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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Débat sur le volet agricole de la négociation OMC

Débat sur la crise de la filière laitière

Questions d'actualité

Politique générale du Gouvernement

M. Jean-Pierre Bel

M. François Fillon, Premier ministre

Bouclier fiscal

Mme Mireille Schurch

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

Crise iranienne (I)

M. Rémy Pointereau

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Crise iranienne (II)

M. Jean-Pierre Plancade

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Congé parental

M. Claude Biwer

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité

Attentat de Karachi

M. Jean-Pierre Godefroy

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Crise du lait

M. Philippe Paul

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche

Respect des droits de l'homme en France

M. Alain Anziani

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Crash du vol Rio-Paris

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports

Installation de défibrillateurs

M. Alex Türk

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports

Pôle emploi (Question orale avec débat)

Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat

Publication des données « passagers » dans les vols internationaux

Congé de maternité

Organismes extraparlementaires




SÉANCE

du jeudi 25 juin 2009

122e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

Secrétaires : Mme Christiane Demontès, M. Jean-Noël Guérini.

La séance est ouverte à 9 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Débat sur le volet agricole de la négociation OMC

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le volet agricole de la négociation OMC.

M. Jean-Pierre Chevènement, au nom du groupe du RDSE, auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour  - (Applaudissements sur les bancs du RDSE) La conclusion du cycle de Doha a été repoussée à la demande de la nouvelle administration américaine. Comme l'Europe, les États-Unis protègent leur agriculture. Ce report nous donne un temps de réflexion opportun avant la révision de la politique agricole commune (PAC) après 2013.

L'agriculture, comme l'industrie lourde, exige des investissements à long terme. Les éleveurs qui quittent leur exploitation ne sont pas remplacés. La population active agricole dans le monde représente encore plus de deux hommes sur cinq ; elle est majoritaire en Chine, en Inde ou en Afrique. En Europe, la moyenne exploitation façonne nos paysages. L'alimentation, enfin, est une préoccupation qui s'impose à tout gouvernement.

Nous ne pouvons donc qu'être inquiets des propos du directeur général de l'OMC, le 10 mai 2009 : « L'intégration mondiale en matière agricole nous permet d'envisager l'efficience au-delà des frontières nationales, en déplaçant la production agricole vers les lieux plus appropriés ». Précisant que les rendements sont plus élevés sur les grandes propriétés foncières que sur les petites exploitations, M. Lamy ajoute que « les frontières nationales n'ont été définies par rien d'autre qu'un long jeu historique de chaises musicales ». Ce mépris des sociétés rurales et des communautés historiquement constituées que sont les nations caractérise la pensée libérale la plus dogmatique, qui prévaut malheureusement à l'OMC.

La négociation agricole poursuit trois objectifs : l'amélioration de l'accès aux marchés, la suppression progressive des subventions à l'exportation, la réduction des mesures de soutien interne « ayant pour effet de distordre les échanges », comme si un libre-échangisme sans frontières et des prix bradés devaient définir les politiques agricoles ! Si cette libéralisation était intervenue avant 2006, la crise alimentaire de 2007-2008 aurait été bien plus grave !

Cette orientation pèse dès aujourd'hui sur la PAC et risque d'aboutir à son démantèlement en 2014. Sous présidence française, dans le cadre d'un « bilan de santé de la PAC », il a été décidé les 11 et 12 décembre 2008 de relever de 1 % chaque année les quotas laitiers, avant leur suppression définitive en 2014 -décision particulièrement inopportune, étant donné la chute des prix du lait.

M. Yvon Collin. - Exactement !

M. Jean-Pierre Chevènement, auteur de la demande d'inscription.  - Plus généralement, la réduction des droits de douane entraînerait l'importation massive de viande bovine, au détriment des petites et moyennes exploitations françaises en moyenne montagne.

La PAC a été minée dès le départ par la fixation de prix irréalistes. Devant des excédents imprévus, la politique de soutien des marchés a été abandonnée en 1992, à l'initiative du commissaire McSharry, au profit de paiements directs versés aux agriculteurs en contrepartie de baisses de prix drastiques. Les réformes de 1999 et 2003 ont poursuivi ce découplage entre aides et prix et favorisé des rentes de situation au prorata des surfaces, sans modulation liée à la conjoncture ou aux productions.

Il faut rompre avec la pensée libérale dogmatique qui rend la PAC actuelle inefficace, coûteuse et fragile, et fonder la PAC de l'après 2013 sur l'objectif d'une relative autosuffisance alimentaire de l'Europe.

Les grands pays d'Asie devront limiter leurs importations agricoles pour privilégier leurs propres producteurs, qui représentent encore plus de la moitié de leur population active. L'an dernier, l'Inde a ainsi refusé la conclusion du cycle de Doha plutôt que de sacrifier ses 700 millions de petits agriculteurs. L'exode rural dans ces pays nourrirait également l'immigration vers nos pays. « La théorie des avantages comparatifs ignore le fait qu'à l'échelle planétaire, les hommes et les sociétés ne sont guère délocalisables », écrit M. Lelong, ancien directeur du Fonds de régularisation des marchés agricoles, prenant le contrepied de M. Lamy.

M. Yvon Collin.  - Pertinent.

M. Jean-Pierre Chevènement, auteur de la demande d'inscription.  - Quant aux États-Unis, ils ne peuvent à la fois soutenir un libéralisme de principe, subventionner leur agriculture et inonder de leurs produits les pays les moins avancés...

Il faut d'abord admettre qu'il n'y a pas de vérité des prix agricoles en dehors d'une zone géographique donnée. L'autosuffisance agricole doit être recherchée à l'échelle de grandes régions du globe ; le rôle du marché ne saurait être essentiel. Le commerce agricole représente d'ailleurs moins du dixième du commerce mondial. L'exception britannique depuis 1846 ne se comprend que dans le cadre d'un monde organisé au profit de la puissance impériale !

L'intervention par les prix est la façon la moins coûteuse et la plus efficace de soutenir le revenu des agriculteurs et d'orienter les productions, mieux que les aides directes. Or pour se conformer aux exigences de l'OMC, on remplit des « boites vertes » de mesures coûteuses et peu efficaces... L'évolution probable des prix vers une hausse modérée à long terme offre une opportunité exceptionnelle pour revenir aux fondements raisonnables de la première PAC.

Il faut privilégier la régularisation sur le soutien, sans trop s'écarter des prix internationaux observés sur le long terme, et en tenant compte des paramètres régionaux. Les mécanismes de régularisation doivent associer les producteurs, et converger avec les actions de conversion et d'orientation. Bref, il faut trouver un équilibre, à travers des prix modérés, entre l'exigence de cohésion à l'intérieur de l'Union et nos relations avec les pays tiers, sans oublier le cas spécifique de l'Afrique.

Pour fonder une PAC renouvelée et viable, il faut partir d'une idée simple : le monde de demain ne sera pas celui des marchés agricoles unifiés sur lesquels s'effectuerait l'essentiel des transactions en fonction de prix internationaux variables et difficilement prévisibles. L'agriculture ne peut s'accommoder d'aussi grands aléas. Le monde de demain sera composé de quelques grands espaces agricoles dont il faudra organiser les relations commerciales. Chacun d'eux cherchera à atteindre une certaine autosuffisance et la dépendance par rapport aux marchés, et donc aux prix internationaux, ne s'exercera qu'à la marge. Une telle orientation permettrait de sauver les paysanneries européennes ou ce qu'il en reste, et d'éviter un immense gaspillage car il serait coûteux et difficile de rebâtir des systèmes agricoles, après qu'on les aurait laissé péricliter. Une telle orientation doit commander notre attitude dans les négociations à l'OMC.

Celles-ci ont été mal engagées, sur des bases faussées dès l'origine : une réduction globale du soutien interne, censé avoir des « effets de distorsion sur les échanges » ; une réduction des tarifs empêchant le libre accès aux marchés ; la suppression des aides à l'exportation.

Ce projet n'a pas abouti et le directeur général de l'OMC l'a remis en chantier, sans pour autant s'écarter des principes qui le fondent, à savoir la théorie libérale des avantages comparatifs. C'est ainsi que la mesure globale de soutien censée fausser les échanges devrait être réduite de 80 % pour l'Union européenne, 70 % pour les États-Unis et le Japon, 55 % pour le reste. Ces réductions auraient été mises en oeuvre sur cinq ans pour les pays développés, huit ans pour les pays sous-développés.

Cela appelle trois observations. D'abord, que l'Europe est le continent le plus pénalisé. Ensuite, que la notion de « pays en voie de développement » constitue un fourre-tout où l'on met aussi bien certains pays du groupe de Cairns que les pays les moins avancés. Cela revient à favoriser les grandes exploitations latifondiaires au détriment de la moyenne exploitation agricole européenne. Enfin, les réductions s'appliquent pour l'essentiel à la catégorie « orange » et épargne la catégorie « verte », c'est-à-dire les aides découplées. Conclure sur ces bases, ce serait figer la politique agricole commune qui repose déjà, pour l'essentiel, sur le découplage des aides d'avec la production, et la fragiliser pour l'avenir.

L'Union européenne ne devrait pas accepter de conclure à l'OMC un accord qui l'empêcherait de revenir à un système d'aides plus raisonnable, fondé principalement sur des prix garantis modérés à la production. On réduirait ainsi le coût de la PAC dans des conditions conformes aux intérêts de la France et des paysanneries européennes.

Les réductions de tarifs selon la méthode de l'étagement frapperaient plus sévèrement l'Union européenne que ses concurrents potentiels, à commencer par de grands pays comme le Brésil qui disposent d'avantages comparatifs supérieurs aux nôtres.

La politique agricole commune avait été fondée sur le principe des prélèvements à l'importation, remplacés, sous la pression de l'OMC, par des droits de douane, d'abord variables, puis fixes. Le dernier acte serait accompli avec le démantèlement tarifaire dont l'OMC a dessiné la perspective. Si l'on peut admettre que les pays les moins avancés d'Afrique disposent de contingents tarifaires en franchise de droits, il est légitime de protéger nos agriculteurs contre la concurrence de pays « neufs » qui pour des raisons géographiques peuvent produire à très bas coût, dans des conditions latifondiaires.

Une troisième catégorie de mesures concerne l'élimination d'ici 2013 de subventions à l'exportation, à commencer par leur réduction de moitié dans une première étape. Il n'est pas certain que ces mesures bénéficient aux agriculteurs des pays les moins avancés qui, en cas de crise alimentaire grave ou même de pénurie structurelle, peuvent avoir besoin d'importer à bas prix. Au-delà de l'aide alimentaire d'urgence, veillons à ce que nos exportations vers les grands pays importateurs de demain ne soient pas handicapées. La visibilité manque pour prendre aujourd'hui de pareils engagements mais j'admets que, plutôt que de subventionner l'exportation, on développe les possibilités de stockage pour reporter la production sur une période moins excédentaire. Une certaine régulation de la production éviterait tout écart durable entre production et consommation.

D'une manière générale il faut opposer au libre-échangisme doctrinaire le principe d'une concurrence équitable dans les échanges internationaux. Nous voyons les produits industriels fabriqués dans les pays à bas coût envahir nos marchés à des prix de dumping, que celui-ci soit social, monétaire ou environnemental. La France et l'Europe seraient bien inspirées de ne pas poursuivre dans le domaine agricole le désarmement unilatéral auquel elles ont procédé en matière industrielle.

De lourdes menaces pèsent sur l'agriculture française, à l'OMC et au niveau européen dans le cadre de la révision de la PAC après 2013, dont on peut craindre le démantèlement si la négociation de Doha aboutit à une diminution drastique de la protection douanière et des subventions agricoles. D'autres intérêts sont en jeu, notamment dans les services, et le Gouvernement peut être tenté de faire prévaloir sur l'intérêt des agriculteurs celui de quelques multinationales, qui ne sont bien souvent françaises que de nom et dont la logique de développement, essentiellement financière, est très éloignée des intérêts de notre économie.

Nous demandons à être rassurés quant à votre détermination. Ce n'est pas le protectionnisme qui a créé la crise économique actuelle, c'est la liberté absolue laissée aux capitaux de spéculer et aux multinationales de se déplacer, dans une économie totalement ouverte qui nous désarme face à la concurrence sauvage du dollar ou des pays à très bas coûts salariaux. Je souhaite que la France défende ses intérêts, qui sont aussi ceux de l'Europe. Celle-ci doit assumer pour l'essentiel son autosuffisance alimentaire. Elle doit veiller à l'équilibre de sa société, où il n'est pas nécessaire que l'exode rural vienne gonfler le nombre des chômeurs. Elle doit veiller à la protection de ses paysages et à la qualité de son alimentation.

Bien entendu, il convient de traiter à part les pays les moins avancés dont le destin est lié au nôtre -je pense à l'Afrique et aux Caraïbes. Ces pays ont besoin d'accéder à notre marché pour leurs productions, qui ne concurrencent guère les nôtres, pour des raisons climatiques. Ces pays ne sont pas ceux du groupe de Cairns, lesquels ne sont plus depuis longtemps « en voie de développement ».

La crise alimentaire de 2006-2008 a montré que l'équilibre alimentaire du monde était loin d'être assuré dans le long terme. La situation de l'Afrique est particulièrement préoccupante et l'Europe, en raison de son histoire comme de sa proximité géographique, a le devoir de s'en préoccuper si elle veut éviter de grands mouvements migratoires. On ne peut confier cette mission aux seules lois du marché.

L'Europe peut pourvoir pour l'essentiel à ses besoins alimentaires. Cet objectif ne nous coupera pas du marché mondial, mais le remettra à sa place, qui ne saurait être la première car doivent primer d'autres considérations, économiques, sociales, sanitaires, environnementales.

C'est pourquoi nous attendons que la France utilise, le cas échéant, son droit de veto pour faire obstacle à la conclusion d'une négociation qui empêcherait une réorientation efficace de la politique agricole commune. Mieux vaut une absence d'accord qu'une négociation bâclée, car l'avenir de l'agriculture française et européenne est incompatible avec l'acceptation du cadre libéral mondialisé. L'OMC mériterait mieux son nom si les marchés étaient véritablement organisés. C'est l'organisation qui manque, malgré sa présence dans le sigle. Nous ne voulons pas que notre agriculture disparaisse comme ont déjà disparu des pans entiers de notre industrie. Nous voulons une Europe qui protège et non une Europe ouverte et offerte, simple relais du libéralisme mondialisé. (Applaudissements à gauche)

Mme Odette Herviaux.  - Il convient d'aborder ce débat sans dogmatisme mais avec toute la lucidité nécessaire face à l'urgence et aux enjeux fondamentaux que représentent les agricultures mondiales et la sécurité alimentaire dans les échanges de demain. On ne peut plus déconnecter la mondialisation de la sécurité alimentaire : sécurité en approvisionnement, sécurité des stocks, sécurité sanitaire, sécurité qualitative.

Le 8 avril dernier, l'Agence Europe reconnaissait que « dans le domaine agricole, le souci prioritaire n'est pas le développement des échanges mondiaux en lui-même mais la recherche de la sécurité alimentaire et le droit pour chacun de poursuivre un degré aussi élevé que possible d'autosuffisance alimentaire ». Avec son orientation libérale, l'OMC a montré ses limites et même ses effets néfastes.

Si l'on peut admettre qu'une organisation du commerce réglementant et facilitant les échanges commerciaux mondiaux a favorisé le développement de certains pays et amélioré les conditions de vie de beaucoup de leurs habitants, nous devons dresser l'amer constat d'une cruelle absence de résultats dans la lutte contre la faim et la malnutrition. Les phénomènes de concurrence et de spéculation inhérents au processus de libéralisation ont aggravé ces problèmes et éloigné l'horizon d'une sécurité alimentaire partagée. Tout le monde se souvient des émeutes de la faim de 2008 : avaient été touchés les citadins des classes défavorisées et moyennes, une population qui n'était pas habituée aux pénuries et aux prix exorbitants. Tout à coup, nombre de dirigeants ont pris conscience de la nécessité de repenser ces règles commerciales mondiales sous peine de révoltes voire de révolutions.

Et pourtant, de nombreuses voix se sont élevées pour nous alerter sur le fait que non seulement nous ne satisferons pas aux objectifs fixés par la FAO pour faire régresser la misère et diminuer le nombre de sous ou malnutris, mais que, depuis 1998, le nombre de personnes touchées a augmenté, atteignant aujourd'hui le milliard dont 80 % sont des paysans.

Parmi les plus menacés et les plus désarmés face à ces fluctuations liées à un commerce mondial débridé, les petits agriculteurs, notamment africains, n'ont qu'une solution : développer leur propre agriculture, souvent vivrière. Cela aura forcement des conséquences sur les agricultures traditionnellement exportatrices et donc sur la nôtre.

Comment lutter contre cette insécurité alimentaire qui menace la planète ? Comment organiser équitablement le marché mondial des productions agricoles ? Comment orienter notre agriculture européenne et française pour permettre à nos agriculteurs de vivre décemment, de respecter l'environnement et de continuer à aménager et dynamiser nos territoires ?

Contrairement à certains, nous souhaitons qu'un cadre international soit maintenu, ne serait-ce que pour l'exercice de notre responsabilité. Hélas, les vraies questions ne figurent pas sur l'agenda des négociations internationales conduites dans le cadre de l'OMC : une ouverture supplémentaire des frontières de l'Union européenne provoquera une diminution de la production agricole. Avec quels effets sur l'environnement ? Les produits importés seront-ils tenus de respecter les normes environnementales et les règles de sécurité alimentaire ? Et les normes sociales pour la production ?

Nous plaidons pour une mondialisation régulée, où l'activité agricole n'est pas banalisée, où les échanges sont encadrés au sein de grandes régions qui détermineront elles-mêmes la place qu'elles souhaitent donner à leur agriculture, comme l'Europe a su le faire à la signature du traité de Rome.

Comment arrêter ces dérives concernant les produits agricoles et alimentaires à l'OMC ? Si les accords du Gatt puis de l'OMC ne répondent plus aux ambitions en termes de développement économique et d'augmentation du niveau de vie des pays les plus pauvres, c'est le signe qu'une refonte des règles s'impose. C'est possible sans attendre une éventuelle réussite du cycle de Doha.

Les préoccupations non commerciales relèvent d'attentes sociétales et même humanitaires qui ne sont pas contradictoires avec les logiques économiques. Le Conseil national de l'alimentation juge ainsi qu'il faut tenter de faire accepter ces facteurs légitimes et leurs préoccupations non commerciales, sociales, environnementales ou éthiques car ils ne s'accompagnent pas de clauses de compensation que seuls les pays riches peuvent payer. Ils seront ainsi sources d'un rééquilibrage et d'une plus grande justice internationale dans l'espace et dans le temps.

Il est donc grand temps de revoir ce droit de l'OMC qui, je le rappelle, concerne le droit international entre les États et non le droit commercial entre les acteurs économiques mondiaux.

Les droits fondamentaux à la vie, à la santé et à l'alimentation, donc à la sécurité des approvisionnements, au développement durable et à la protection des ressources naturelles devraient prévaloir sur les règles du commerce. Il est temps désormais de soumettre l'OMC à la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, sans oublier le protocole de Kyoto dont j'espère qu'il sortira renforcé en décembre de la conférence de Copenhague. Seule une Europe forte de ses 27 États-membres pourra peser en ce sens. Hélas, ce beau défi semble mal engagé, puisque la position pour le moins timorée de la France dans le dossier du lait laisse Mme Merkel revendiquer seule qu'une gestion de l'offre stabilise ce marché. Un grand quotidien régional écrivait samedi qu'à Bruxelles on avait souligné « l'indifférence des Français » sur ce dossier brûlant et on citait l'entourage du Président de la République, pour qui « c'était l'affaire d'Angela Merkel et pas la nôtre ». (On s'indigne sur les bancs du RDSE. M. Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, le conteste) Nos producteurs apprécieront, au moment où ils veulent résister au niveau européen ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur ceux du RDSE)

M. Gérard Le Cam.  - Le blocage du cycle de Doha, entamé en 2001 et qui aurait dû s'achever le 1er janvier 2005, fournit une nouvelle occasion pour demander que le secteur agricole soit exclu de ces négociations. Nul ne saurait se satisfaire d'un éventuel échec, ni d'un improbable succès, de discussions multilatérales conduites dans un cadre ultralibéral dont la crise économique et financière montre les limites. Depuis la création de l'OMC en 1995, la mise en concurrence des agricultures mondiales a fait le bonheur des seuls spéculateurs et mis un milliard d'individus en péril alimentaire. Nul ne peut oublier les émeutes de la faim qui ont secoué de nombreux pays en 2007 et 2008. Ces émeutes se poursuivent dans l'indifférence générale, alors que plus d'un milliard d'êtres humains souffrent de malnutrition. Le modèle concurrentiel et la logique de l'offre prônés par les organisations internationales, au mépris des différences climatiques, des cycles de productions, des types d'exploitations ou simplement des terres disponibles, sont aujourd'hui dans une impasse totale. La sécurité et la souveraineté alimentaires doivent devenir le point central des discussions agricoles.

En juillet 2008, le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, proposait à Genève d'entériner une diminution de 60 % des droits à paiements uniques européens pour achever coûte que coûte ces négociations du cycle de Doha, le commissaire européen Peter Mandelson allant jusqu'à 80 %. Peu d'agriculteurs français ou européens auraient survécu à une telle baisse des tarifs douaniers aux frontières de l'Union européenne, cumulée avec la baisse des aides européennes et avec les facilités d'exportation accordées aux pays tiers. Si l'on ajoute l'adoption par la Commission de Bruxelles en juin 2008, d'une « simplification » de la politique agricole commune supprimant l'obligation de présenter des certificats d'importation et d'exportation pour près de 1 500 produits agricoles, la préférence communautaire n'a plus aucun outil, car ces certificats représentaient le dernier moyen de réguler les échanges agricoles.

Si la réunion de Genève a échoué, c'est aussi grâce au ministre indien du commerce, M. Kamal Nath, qui a invoqué la souveraineté alimentaire de son peuple, pour inclure un « mécanisme spécial de sauvegarde » évitant aux paysans de son pays d'être ruinés par les importations. Cette clause de sauvegarde, permettant de relever les tarifs douaniers lorsque l'excès de produits importés provoque un effondrement des cours, pourrait être plus fréquemment utilisée en France comme en Europe, y compris avec un cahier des charges sociales et sanitaires. Mais le dogme de la « concurrence libre et non faussée » est là. Et la présidence française a omis de s'étendre sur ces sujets vitaux. Oubliés les discours de 2007 sur la préférence communautaire agricole et les prix rémunérateurs pour les producteurs ! Aujourd'hui, l'horizon est barré par le démantèlement de la PAC et l'alignement sur les cours mondiaux d'ici 2013. Le monde agricole, de la FNSEA au Modef en passant par les Jeunes agriculteurs ou la Confédération paysanne, réclame que l'agriculture et l'alimentation sortent du cadre de l'OMC.

D'autres modèles que celui de l'agro-industrie sont possibles, qui procurent des revenus décents aux producteurs. Il en est de même pour la commercialisation. Nous souhaitons qu'une refondation de la FAO lui confie les échanges agricoles, sur des bases bilatérales ou régionales, dans un cadre équitable. Les plus faibles relèvent la tête, pour sauver ce qui reste d'une production nationale qui fait vivre des millions de familles de petits producteurs. En Afrique de l'ouest, le Burkina-Faso, le Tchad, le Mali et le Bénin se sont alliés au sein de « l'initiative sectorielle sur le coton » pour tenter de résister aux États-Unis. En Amérique latine, l'Alternative bolivarienne pour les Amériques (Alba) permet depuis 2001 à ses membres de « donner selon ses possibilités et de recevoir selon ses besoins » : Cuba envoie des médecins bien formés ; la Bolivie exporte du quinoa et des petits camélidés, à des tarifs respectueux de ses producteurs. Les négociations internationales doivent prendre en compte ces thématiques de survie, car il en va aussi de milliers d'exploitations agricoles dans notre pays, où les disparités de revenus s'accroissent sans cesse et où la concentration s'accélère aux dépends des plus faibles.

Les agriculteurs français et européens attendent le retour à une véritable préférence communautaire appuyée sur deux piliers : l'instauration d'un prix minimum européen qui serait un prix de négociation ; la constitution de stocks de sécurité renforçant la souveraineté alimentaire de chaque État. Aujourd'hui au plus bas, ces stocks mettraient un terme à la spéculation qui frappe tour à tour les producteurs de lait, de porcs, de fruits et légumes, de bananes outre-mer, pour le plus grand bénéfice de la grande distribution et des géants de l'agroalimentaire. Nous partageons cet objectif avec beaucoup de paysans et de responsables agricoles d'autres régions du monde. Au nom de ces principes, l'Inde, la Chine et l'Indonésie ont dit non aux négociateurs de l'OMC à Genève, contre l'avis des États-Unis, du Brésil et de l'Australie, dont l'avocat n'était autre que Pascal Lamy ! En 2050, il y aura neuf milliards d'êtres humains à nourrir ; c'est pourquoi il faut sortir l'agriculture et l'alimentation du cadre ultralibéral de l'OMC. Premier pays agricole de l'Union, la France doit avoir le courage de proposer une nouvelle PAC -rémunératrice, solidaire et durable- et de jouer un rôle déterminant dans le concert des nations, pour une coopération alimentaire et d'équitable commerce. (M. Jean-Pierre Chevènement applaudit)

M. Jean Bizet.  - Le cycle de Doha achoppe depuis quelques années sur la question agricole. Cet état de fait, paradoxal puisque ces produits ne portent en fait que sur 10 % des échanges mondiaux, souligne à quel point le secteur agricole reste stratégique pour la souveraineté alimentaire de nombreux États.

Souvent conflictuels, les rapports entre la PAC et l'OMC ont révélé toutes les tensions qui opposent les trois grands partenaires mondiaux ; les États-Unis, l'Union européenne et l'OMC, cette dernière à la fois juge et partie.

Le président du groupe de négociations sur l'agriculture de l'OMC, David Walker, a annoncé le 18 juin que les négociations sur l'agriculture reprendraient avec la participation de tous les membres et sous leur contrôle. M. Walker a confirmé qu'il importait de faire avancer le processus, de réduire les divergences et de régler les questions techniques. II faut tout d'abord se réjouir du meilleur climat des négociations depuis l'échec de juillet 2008, malgré l'aggravation de la crise économique.

Cet échec des négociations n'a rien à voir avec la France ou l'Union européenne : tout vient de la mésentente entre les États-Unis, l'Inde et la Chine sur les importations agricoles, plus spécialement sur le « mécanisme de sauvegarde spécifique » qui aurait permis aux pays en développement de relever le montant de leurs droits de douane sur certains produits agricoles -comme le riz- en cas d'afflux soudain d'importations. L'Union européenne avait proposé de diminuer ses droits de douane agricoles de 60 % et de démanteler ses subventions à l'exportation d'ici à 2013. Ces concessions audacieuses ont été formulées par le commissaire européen au commerce extérieur de l'époque, M. Mandelson. L'échec du cycle de Doha traduit une évolution profonde des rapports des forces en présence à l'OMC : un accord entre les États-Unis et l'Europe suffit de moins en moins à fonder un consensus multilatéral ; il faut désormais compter avec les puissances émergentes, tout en écoutant les pays les plus pauvres, comme l'ont fait l'Union européenne et notamment la France. Cet échec a surtout montré que l'actuel cycle de Doha, commencé en 2001, est déconnecté des réalités. Il est donc plus que temps de le conclure pour repartir sur un cycle ouvert au XXIe siècle.

L'OMC reste incontestablement un concept d'une grande pertinence qu'il faut consolider, parce qu'il permet de régler les différends. L'OMC est un excellent exemple de la régulation des affaires économiques mondiales, que la mondialisation rend indispensable. De même, le progrès des pays les plus pauvres doit rester l'objectif majeur de toute négociation. La défense d'un modèle européen fondé sur un équilibre entre ouverture et protection -mais non protectionniste- doit continuer à inspirer notre action.

En mai, la Commission européenne est arrivée à un accord préliminaire avec les États-Unis afin de régler le contentieux lié à d'importation de la viande aux hormones dans l'Union européenne : les États-Unis s'engagent à supprimer les sanctions appliquées actuellement à de nombreux produits européens, dont le roquefort ; en échange, l'Union européenne autorise l'importation de quantités supplémentaires de viandes américaines sans hormones et suspend pour dix-huit mois la procédure contentieuse engagée à l'OMC contre les États-Unis à propos des sanctions subies. La France a préservé la sécurité alimentaire et maintenu nos préférences communautaires. Il faut saluer cette évolution.

L'Europe doit promouvoir sa conception de la politique agricole au niveau mondial, que ce soit à l'OMC ou en favorisant l'émergence d'une nouvelle gouvernance mondiale de l'agriculture. Il n'est pas concevable que l'OMC, à laquelle nous avons fait de nombreuses concessions, continue de militer en faveur d'un dumping en matière agricole, soit sur les plans sanitaire, écologique ou social. II n'est pas concevable que nous tournions le dos à notre agriculture quand les États-Unis soutiennent massivement leurs producteurs.

Je souhaite que l'agriculture européenne et française utilise comme moyen de défense, non la préférence, mais la spécificité communautaire. Je m'oppose à toute « ligne Maginot » de l'Union européenne.

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Jean Bizet.  - La notion de préférence communautaire n'a plus de support juridique dans les traités communautaires, comme l'a rappelé la Cour de justice de Luxembourg à plusieurs reprises. La préférence communautaire existe encore, mais elle est résiduelle puisqu'elle se traduit par le tarif extérieur commun qui n'est presque plus utilisable comme instrument, en raison de nos engagements internationaux, notamment de la consolidation de nos droits de douane auprès de l'OMC. Des pressions constantes s'exercent sur l'Union européenne pour qu'elle réduise encore ses droits de douane, surtout sur les produits agricoles. C'est tout l'enjeu du cycle de négociations commerciales lancé à Doha, ce qui ne signifie pas qu'il faille abandonner toute protection, mais que celle-ci sera concentrée sur une liste de produits sensibles. En tout état de cause, toute mesure protectionniste est vouée à l'échec, sans compter l'utilité économique contestable de telles décisions.

Puisque l'Union ne peut utiliser la protection tarifaire, elle doit promouvoir ses valeurs en faisant respecter l'environnement et les normes sociales. Certes, l'OMC ne permet pas d'inclure dans les négociations commerciales de telles mesures, mais pourquoi ne pas prendre exemple sur l'ONU avec le protocole de Kyoto, sur l'Organisation internationale du travail avec les normes sociales ou sur l'Unesco avec la convention sur la diversité culturelle ? En outre, l'article 20 du Gatt prévoit des restrictions à la libéralisation pour des motifs légitimes comme la santé publique, l'environnement ou la protection des espèces.

Le 15 juin, le Président de la République n'a pas dit autre chose à l'OIT : la nouvelle régulation de la mondialisation doit lier le progrès économique au progrès social. L'Europe doit relever cet enjeu majeur avec ses propres valeurs. Jusqu'à présent, l'Union n'est cependant pas parvenue à faire adhérer les pays en développement à sa stratégie en faveur de certaines préférences communautaires. Il serait pourtant faux de dire que l'Union ne défend pas ses droits : les chiffres de l'OMC montrent exactement le contraire. C'est elle qui dépose le plus de plaintes contre les États-Unis et qui obtient le plus souvent gain de cause.

La préférence communautaire ne peut se passer d'une politique véritablement offensive en faveur de la recherche-développement, de l'innovation, et de tout ce qui participe à la stratégie de Lisbonne. Une telle politique nous permettrait de conserver notre avance technologique et de valoriser nos entreprises à l'étranger. Faire valoir l'excellence communautaire dans le domaine du développement durable et de l'environnement, c'est ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises européennes. Nous sommes là au coeur du green business, comme l'a dit Jean-Louis Borloo. Cette spécificité communautaire n'est aucunement protectionniste et elle s'inscrit dans la logique du prochain cycle de l'OMC tout en préservant nos intérêts.

Le débat entre la préférence communautaire et l'ouverture au marché mondial s'était ouvert dès la négociation du traité de Rome. Dans la Communauté à Six, la France parvenait, non sans mal, à faire prévaloir son attachement à la préférence communautaire mais, au fil des élargissements, les tendances favorables au libre-échange n'ont cessé de se renforcer. La succession des cycles de négociation a permis à ces dernières de l'emporter et de démanteler les outils d'une préférence communautaire qui, pour le Gatt, relevait du protectionnisme. Le virage décisif a eu lieu lors du passage du Gatt à l'OMC : la notion de préférence communautaire a, de fait, disparu. Il nous faut donc trouver un moyen de défense qui soit en harmonie avec le monde d'aujourd'hui et les règles du commerce mondial. Cette arme doit nous aider à imposer un modèle de développement, soucieux de la protection de l'environnement, de la sécurité sanitaire et du progrès social. Cette spécificité communautaire est vitale pour notre modèle agricole. Au cours du dernier cycle de négociation, l'OMC a ainsi traité une partie des questions agricoles au sein d'un accord spécifique qui déroge aux règles générales du commerce multilatéral. Au cours des prochaines négociations, le Gouvernement devra rappeler la sensibilité particulière du secteur agricole, notamment en raison de l'actuelle crise alimentaire mondiale.

Compte tenu de l'enjeu majeur que revêt cette négociation pour l'avenir de l'agriculture européenne, la France ne peut pas accepter un accord qui sacrifierait l'agriculture européenne sans la moindre contrepartie. L'échec de juillet dernier ne doit pas modifier la position française : un accord à l'OMC ne sera acceptable que s'il empêche l'agriculture européenne de subir des dommages irréparables. Il faudra particulièrement soutenir les productions et les zones les plus fragiles.

Le monde a changé, des priorités nouvelles apparaissent et la régulation mondiale va devoir accoucher d'un nouveau modèle de développement. L'Europe a une carte maîtresse à abattre : l'affirmation de ses valeurs. A nous de trouver le courage et la volonté politique de nous imposer. Loin de stigmatiser une Europe que vous qualifiez, monsieur Chevènement, « d'ouverte et d'offerte », je préfère, pour ma part, une Europe qui ne reste pas à l'écart du monde et qui sache exporter l'excellence communautaire qu'elle a patiemment construite depuis 1957. (Applaudissements à droite)

M. Aymeri de Montesquiou.  - (Applaudissements sur les bancs du RDSE) Le cycle de Doha est en panne depuis son ouverture en 2001. Cependant, le directeur de l'OMC, Pascal Lamy, vient de déclarer avoir décelé des « signes positifs » quant à la reprise des négociations sur la libéralisation du commerce mondial. Il entrevoit même un accord en 2010. Peut-être les changements politiques en Inde et aux États-Unis permettront-ils la reprise d'un dialogue bilatéral. Pourtant, ces deux pays avaient contribué à l'échec des négociations de l'été dernier. Le groupe de Cairns s'est félicité de cette ébauche de discussion.

Pourquoi cet optimisme alors que le commerce mondial va vraisemblablement chuter de 9 % cette année ? Comment peut-on croire à une harmonisation des points de vue quand le secteur agricole, principale pomme de discorde entre les membres de l'OMC, est soumis à de fortes turbulences, entraînant une crise alimentaire chez les uns et une réduction des revenus des producteurs chez les autres ? En période de croissance, les membres de l'OMC n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Avec la crise, il est probable que les anciennes postures, responsables de l'enlisement de Doha, vont ressurgir et même se radicaliser.

M. Yvon Collin.  - Absolument !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Il sera difficile qu'il en soit autrement alors que les modèles agricoles divergent d'un groupe de pays à l'autre. Au-delà des différences structurelles liées à la géographie où à l'histoire, il existe deux grandes conceptions qui aliment les désaccords au sein de la négociation du volet agricole de l'OMC : d'un côté, les tenants d'une agriculture considérée comme une simple activité marchande, ce qui implique un faible coût pour pouvoir vendre sur un marché très concurrentiel. De l'autre, les pays qui privilégient les dimensions stratégique, environnementale et sociale de l'agriculture, d'où des surcoûts de production. Dans ces conditions, le consensus sera impossible, à moins que l'OMC ne revoie ses règles du jeu.

Dans le droit fil du Gatt, l'OMC veut supprimer les distorsions de concurrence, mais la baisse des tarifs douaniers et la réduction des subventions aux exportations, prévues par l'accord de l'Uruguay Round, doivent demeurer des objectifs à long terme. On ne peut en effet demander à des pays aux fortes exigences sociales, sanitaires et environnementales pour leur agriculture, d'affronter ceux qui produisent sans ces mêmes contraintes. La concurrence serait faussée, alors que l'OMC est censée la combattre ! Un agriculteur français ne produit pas au même coût que son homologue brésilien. Pour autant, on ne peut pas non plus demander au Brésil d'adopter notre modèle agricole, au stade actuel de son développement. La disparition du dumping social prendra du temps. L'OMC doit donc proposer un cadre très progressif de libéralisation du commerce agricole, afin qu'aucune des parties ne soient lésées.

Néanmoins, la plus grande hypocrisie règne souvent au sein des relations commerciales, quoi qu'en disent les pays libéraux qui se présentent comme les plus transparents et les plus ouverts. La crise des prix du lait démontre le décalage entre les discours prônant la dérégulation et la réalité qui consiste à soutenir les agriculteurs. Dès que l'Union européenne a autorisé les aides financières au secteur laitier, les États-Unis ont fait de même.

Bien que l'agriculture ne représente que 10 % des échanges mondiaux, elle constitue la principale pierre d'achoppement des négociations de l'OMC. Motivés par des intérêts souvent divergents, les pays membres de l'organisation campent sur des positions durcies par une crise économique propice au repli sur soi et au protectionnisme. Pour sortir de cette spirale, l'OMC doit, lors des prochaines négociations agricoles, mettre en place des outils permettant, à long terme, d'harmoniser les conditions de production et de privilégier le modèle le plus humaniste et le plus durable, afin de respecter au mieux les hommes et leur planète. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et à droite)

M. Jacques Muller.  - Notre débat sur l'agriculture et l'OMC ne saurait se limiter à la seule liberté du commerce. En effet, la crise économique et sociale actuelle tend à faire oublier la situation catastrophique dans laquelle se trouve le monde sur le plan alimentaire : une image chassant l'autre, nous avons déjà oublié les émeutes de la faim l'année dernière en Égypte ou en Côte d'Ivoire. Or, loin de s'améliorer, la situation s'est dégradée. Le 19 juin, la FAO annonçait qu'un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde.

Lors d'un colloque sur la politique agricole que j'ai organisé au Sénat le 9 avril, Edgar Pisani, ancien ministre du général de Gaulle, faisait remarquer que la faim tue bien plus que les conflits. Pourtant la quantité de nourriture produite n'a jamais été aussi élevée.

M. Yvon Collin.  - Quel paradoxe !

M. Jacques Muller.  - Comment l'expliquer, comment expliquer que les paysans sont les premières victimes de la famine ? La dérégulation systématique de marchés agricoles imposés par l'OMC met les agricultures traditionnelles en concurrence avec les productions subventionnées des pays industrialisés, ce qui sape à sa base le développement des pays du sud. Les circuits y sont inversés : les villes nourrissent les campagnes avec des importations, les campagnes exportent des produits pour l'alimentation du bétail ; les déficits se creusent, les pays industrialisés prétendent nourrir le monde et des paysans paupérisés ne mangent plus à leur faim. Des considérations géostratégiques sinistres, enfin, se greffent sur ces mécanismes pervers : la nourriture devient une arme.

La question de la souveraineté alimentaire pèse plus lourd que la liberté du commerce car c'est un droit fondamental pour tout pays ou groupe de pays de maîtriser son alimentation et de développer son agriculture à l'abri des évolutions erratiques du marché.

Que faire ? D'abord rappeler et appliquer le principe de souveraineté alimentaire mis à mal par l'OMC ; se rappeler, ensuite, que la Communauté européenne n'a pas en 1962 pris en compte la logique néolibérale du Gatt, mais a audacieusement mis la PAC à l'abri du marché mondial. Au nom du droit à l'alimentation, il faut sortir l'agriculture mondiale de l'OMC et de sa logique aveugle. Cela passe par l'application de dispositions claires : marchés locaux ou régionaux protégés des importations subventionnées des pays industrialisés ; modification des accords de partenariat économique qui imposent l'ouverture des marchés, moratoire mondial sur les agro-carburants qu'Edgar Pisani présente comme obstacle considérable et insurmontable à l'équilibre alimentaire, suppression des restitutions -je suis d'accord sur ce point avec l'OMC.

Va-t-on prendre cette direction ? Fin janvier l'ONU a réuni des acteurs de premier plan à Rome. On a lancé l'idée d'un nouvel espace de discussion, rejoignant ainsi la proposition d'Edgar Pisani qui juge nécessaire, absolument nécessaire la création d'un conseil de sécurité alimentaire à l'échelle mondiale. Il s'agit d'introduire la politique là où l'OMC installe le marché.

Je laisserai le mot de la fin à Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l'académie d'agriculture : « Je ne suis pas un idéologue, je regarde les faits. On nous avait dit que le libre-échange ferait diminuer le nombre de personnes qui meurent de faim, ce n'est pas vrai ». L'OMC doit être remise à sa place pour que l'agriculture réponde à sa vocation, nourrir les hommes, et que cesse le scandale de la faim. La France et les Français doivent prendre leurs responsabilités. (Applaudissements à gauche)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.  - (Applaudissements à droite) C'est avec un grand plaisir que je prends pour la première fois devant vous la parole comme ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.

M. Charles Revet.  - Un plaisir partagé.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Vous savez le lien plus qu'étroit entre ces sujets et les affaires européennes, et je sais celui qui unit le Sénat au monde agricole. Je suis d'accord avec tous les intervenants sur le caractère essentiel, stratégique de l'agriculture. Elle fait vivre directement ou indirectement des millions de personnes dans le monde, elle constitue un secteur très important dans les pays en voie de développement et M. Chevènement a évoqué les 800 millions d'agriculteurs que compte l'Inde. Elle forme aussi un secteur clef pour garantir une alimentation qui réponde aux inquiétudes que nos concitoyens manifestent de plus en plus. Mais, si l'agriculture constitue un enjeu mondial, ma mission est de défendre les intérêts des agriculteurs et pêcheurs français. Comment faire fonctionner ensemble la négociation de l'OMC, sur laquelle reviendra Mme Idrac, et la politique agricole commune ? Tout l'enjeu est de trouver la meilleure articulation possible, mon rôle étant, dans la redéfinition de la politique agricole commune, de veiller strictement aux intérêts de nos producteurs.

J'avais connu de l'OMC et de la reprise du cycle de Doha dans de précédentes fonctions. Je le dis avec fermeté et gravité, nous sommes allés à la limite extrême de ce que nous pouvons accepter pour l'agriculture et nous n'irons pas plus loin.

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous ne braderons pas les intérêts de nos agriculteurs sur l'autel d'un accord international. On nous dit qu'il faut « achever coûte que coûte ». Mais pourquoi ? Il n'y a aucune raison. L'accord doit être équitable et respecter la règle de la réciprocité. Pourquoi les Européens abandonneraient-ils les restitutions qu'a évoquées M. Muller, si les autres pays ne renoncent pas à leurs aides directes aux exportations ?

M. Charles Revet.  - Exactement !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Regardons le monde tel qu'il est avec lucidité ! L'accord doit garantir la réciprocité et nous ne ferons pas d'autres concessions sur l'agriculture.

La politique agricole commune m'occupera tout particulièrement à ce poste que le Président de la République et le Premier ministre m'ont confié en raison de sa dimension européenne. Le découplage est un débat largement dépassé et aucun État-membre n'est prêt à revenir dessus. S'il a eu des effets pervers sur les territoires de montagne, nous avons mis en place des outils adaptés. Lucidité, révisions régulières et capacité à revenir sur les erreurs...

M. Aymeri de Montesquiou.  - Exactement !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - ...nous ont permis de répondre aux difficultés qui avaient émergé.

On critique souvent le bilan de santé de la politique agricole commune, qui a pourtant des aspects positifs pour l'agriculture. C'est ainsi que nous avons réussi à faire progresser des cultures et des filières qui correspondent aux intérêts des agriculteurs et aux nouvelles habitudes alimentaires de nos concitoyens. M. Bizet a tracé des perspectives très utiles à cet égard.

Les quotas laitiers, sur lesquels nous reviendrons bientôt, ont été créés en 1983 pour une durée limitée afin de faire face à une surproduction. Leur suppression a été décidée dès 1999 -cela ne date pas d'hier. En 2003, ils ont été prorogés jusqu'en 2015. Des rendez-vous sont prévus en 2010 et 2012. La France a décidé de geler pour la campagne 2009-2010 l'augmentation de 1 % des quotas accordée aux États-membres.

Comment améliorer la situation ? Il faut répondre à la détresse des agriculteurs, dont j'ai été témoin en rencontrant des producteurs laitiers de Haute-Normandie, dans les départements de Charles Revet et Joël Bourdin.

Pour cela, nous devons réguler la production. La liberté absolue a montré ses limites, aussi bien dans les domaines industriels et des services que pour l'agriculture. Je me battrai pour qu'il y ait une régulation de la production laitière. (M. Charles Revet approuve) Au conseil des ministres de l'agriculture, le 25 mai dernier, Michel Barnier a obtenu la possibilité d'utiliser les outils d'intervention tant que le marché l'exigera ainsi qu'un paiement anticipé des aides aux producteurs.

J'expliquerai ma conception de cette régulation à Mariann Fischer Boel, avec laquelle je déjeune aujourd'hui, puis je me rendrai en Allemagne pour m'entretenir avec mon homologue allemande, enfin je rencontrerai à Bruxelles d'autres représentants de la Commission. Connaissant bien cette institution, je serai mieux à même d'y défendre fermement la position du gouvernement français.

J'ai accompagné le Président de la République au conseil européen de jeudi et vendredi derniers : contrairement aux rumeurs colportées par la presse, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sont sur la même longue d'ondes. Ils souhaitent que la Commission rende des comptes sur la situation des producteurs laitiers en Europe, qui connaissent tous la même détresse. Personne ne peut affirmer que leur situation est bonne ni que des décisions adaptées ont été prises. Il faut trouver des solutions rapidement. La France, conjointement avec l'Allemagne, a obtenu très clairement que la Commission fasse connaître d'ici deux mois ses conclusions sur ce secteur.

Cette régulation doit s'accompagner d'une recherche perpétuelle de l'innovation et de l'excellence rurale. Jean Bizet l'a bien dit et nous le constatons dans nos territoires, nos circonscriptions, nos régions : nos agriculteurs s'y emploient jour après jour. Leur sens de l'innovation et de la technologie est bien supérieur à ce que croient ceux qui leur reprochent d'en manquer. (M. Charles Revet approuve) Dans le cadre de la révision de la stratégie de Lisbonne, qui sera en 2010 une priorité des présidences suédoise et espagnole, il faut prévoir des critères contraignants en matière d'innovation et de recherche. La France et l'Allemagne, notamment, ne peuvent en supporter seules le coût. Il serait utile que cette révision comporte un volet spécifique pour l'agriculture, la pêche et l'alimentation.

Dans le cadre de mes nouvelles fonctions, j'aurai toujours grand plaisir à dialoguer avec le Sénat afin d'enrichir la réflexion dans les domaines de l'agriculture et de la pêche. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du RDSE)

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur.  - Ce débat vient à point nommé, et je remercie Jean-Pierre Chevènement d'en avoir eu l'initiative. Il nous permet, tout d'abord, de prendre un peu de recul pour examiner l'état des négociations du cycle de Doha après l'épisode de juillet 2008.

Sous la présidence française, j'ai conduit avec Michel Barnier les travaux du Conseil de l'Union européenne. Les élections américaines et indiennes ont imposé une pause politique à Genève. Aujourd'hui, les nouveaux gouvernements sont en place, de nouveaux négociateurs ont été nommés. Ils sont actuellement à Paris pour une réunion des ministres du commerce de l'OCDE et je les rencontrerai à cette occasion.

Cette séance est également bienvenue après la formation du nouveau Gouvernement. Elle nous permet de présenter au Sénat le nouveau binôme que Bruno Le Maire et moi-même formerons pour porter la voix de la France à Bruxelles et à Genève. Nous renouvelons aujourd'hui l'expérience menée avec Jean-Paul Émorine avant les dernières négociations de Genève. Une session intéressante avait alors eu lieu au sein de la commission des affaires économiques, au cours de laquelle Jean Bizet avait déjà pu faire preuve de sa compétence. (Murmures flatteurs)

Ces dernières années de négociations ont abouti à un point très positif pour l'Europe. A la différence des sessions précédentes de Hong Kong, l'agriculture européenne n'est plus dans le collimateur. Le blocage des négociations provient d'un conflit entre les États-Unis et l'Inde sur les sauvegardes spéciales, par lesquelles les pays en développement peuvent réagir à une trop forte augmentation des importations mettant en péril leur agriculture.

Comme Bruno Le Maire l'a indiqué, la Commission a fixé des lignes rouges pour la négociation. L'Union européenne n'ira pas plus loin : la proposition agricole détermine l'effort maximal qu'il est possible de fournir pour parvenir à la conclusion du cycle. Le Gouvernement français s'opposerait à ce qu'un accord sur l'agriculture à l'OMC oblige à revoir la PAC, reformée et confortée par le bilan de santé. Sur ce point, je me situe en totale cohérence avec Bruno Le Maire. La France refuserait qu'on nous prive de leviers de régulation du marché agricole communautaire. José Manuel Barroso a bien pris la mesure de cette détermination : son projet pour les cinq ans à venir précise qu'il défendra la PAC.

On ne peut dire, comme l'a laissé entendre Jean-Pierre Chevènement, que l'agriculture serait sacrifiée au profit des intérêts industriels ou des services. Il ne s'agit pas d'une variable d'ajustement : au contraire, elle fait l'objet d'une attention particulière. L'Union européenne a clairement choisi de modérer ses prétentions dans les domaines de l'industrie et des services pour sanctuariser autant que possible notre position agricole face à des pays émergents comme le Brésil.

L'étape de juillet 2008 n'est pas mauvaise, et le travail doit se poursuivre sur cette base, qui est loin d'être figée. Il n'y a pas un « paquet » de juillet. Trop de paramètres restent ouverts pour baisser les bras ou adopter une position définitive. Nous devons demeurer vigilants, et il est bon d'associer à ce travail la représentation nationale et les professionnels. Le coton figure parmi les sujets en suspens importants à l'échelle mondiale ; pour ce qui nous concerne, la question de la banane n'est pas réglée non plus. Nous ne souhaitons pas obtenir un accord sur ce point à n'importe quel prix.

Nous poursuivons également des intérêts offensifs dans la négociation à l'OMC. Fort heureusement, la France est excédentaire pour le commerce des denrées agricoles et agroalimentaires : cela compense de terribles déficits, tel celui de la filière automobile. Je compte, avec Bruno Le Maire, intensifier encore la professionnalisation de notre agriculture à l'échelle internationale. La question des appellations d'origine figure parmi nos intérêts offensifs. Jean Bizet l'a souligné à juste titre : c'est une spécificité européenne.

Nous avons fait admettre à nos partenaires des lignes rouges, mais nous voulons aller plus loin.

M. Charles Revet.  - Il faut travailler en amont.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - Nous commençons à tracer les pistes d'un après-Doha. La sortie de crise doit se faire par une réponse multilatérale à de nouveaux défis, parmi lesquels, au premier plan, la sécurité alimentaire mondiale et la protection de l'environnement.

C'est pourquoi le Président de la République a, à plusieurs reprises, notamment devant la FAO, préconisé une meilleure coordination avec les instances multilatérales -dont l'organisation mondiale de l'environnement que nous appelons de nos voeux. Nous souhaitons également davantage de réciprocité et de loyauté dans le commerce international, ce que M. Chevènement a appelé une concurrence équitable.

En vous écoutant, j'ai noté une grande convergence de vues sur cette dernière notion, comme sur le refus de la banalisation de l'agriculture et le besoin d'une régulation des échanges. Comme l'a relevé M. Bizet, il faut trouver un équilibre entre ouverture et protection. L'OMC est précisément un lieu de régulation comme il en existe peu aujourd'hui. Je me félicite de la volonté partagée par le Gouvernement et la représentation nationale de défendre une agriculture conforme à notre modèle et propre à assurer la sécurité alimentaire. (Applaudissements à droite et sur les bancs du RDSE)

Débat sur la crise de la filière laitière

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la crise de la filière laitière.

M. Gérard Bailly, au nom du groupe UMP, auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Permettez-moi d'abord, monsieur le ministre, de vous adresser mes plus sincères félicitations pour votre nomination à la tête de ce grand ministère et de me réjouir que l'alimentation figure désormais dans votre titre. C'est en effet la marque de fabrique de notre paysannerie.

Il est particulièrement opportun que nous ayons le présent débat à la suite du précédent. La colère des producteurs laitiers est réelle. Après que 12 000 d'entre eux ont manifesté le 12 mai dernier, bloquant laiteries, usines et supermarchés, le mouvement s'est radicalisé avec des manifestations à Bruxelles et Luxembourg et le blocage les 13 et 14 juin d'une quarantaine de plateformes d'approvisionnement de la grande distribution. La tension monte, la suite des événements est imprévisible si aucune solution n'est trouvée rapidement. Je ne souhaite pas que le dossier passe de vos mains à celles de votre collègue de l'intérieur...

L'origine de la crise est connue : la baisse soudaine et brutale du prix du lait. Après la chute des années 2001-2006 puis la flambée de 2006-2008, le prix est retombé à un niveau historiquement bas : 31 centimes le litre en 2001 en moyenne, 26,7 en 2006, 33,6 en 2008 et aujourd'hui de 20 à 23 centimes selon les régions et les productions, soit un niveau très inférieur au coût de production. En avril, les producteurs ont été confrontés à une baisse de 30 % décidée unilatéralement par les entreprises de transformation. Cette baisse est d'autant plus choquante qu'elle ne se retrouve pas au niveau des consommateurs -2 % seulement. Pourquoi ? Dans les supermarchés, j'ai pu le constater moi-même, on trouve le litre de lait entier à 0,95 ou 0,99 euro et le litre de demi-écrémé à 0,8 euro... et aussi, mais loin des yeux des consommateurs et au milieu des eaux minérales, des briques à 0,59 euro. Quelles sont les charges qui justifient de telles plus-values ? Quand les transformateurs cesseront-ils leurs pratiques opaques que personne n'ose dénoncer de peur de se faire déréférencer ?

La filière rassemble 95 000 producteurs -ils étaient 151 000 en 1988- 700 000 entreprises et coopératives, 200 000 emplois. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 23 milliards d'euros en 2007, pour un excédent commercial de 2,9 milliards. Les éleveurs jouent un rôle déterminant pour l'aménagement du territoire ; les zones d'herbages se transformeront vite en friches si nous n'y prenons garde. Le nombre de vaches laitières est passé de 7,16 millions en 1983 à 3,8 millions aujourd'hui, tandis que le nombre de têtes d'ovins tombait de 11 à 8 millions. Cette situation ne manque pas d'inquiéter pour notre environnement. Je me réjouis que la réforme de la PAC ait permis la revalorisation de la prime à l'herbe pour 2010, mais d'ici là ?

N'oublions pas non plus le rôle stratégique de la filière, en ce qu'elle contribue à la préservation de notre indépendance alimentaire. Qu'adviendrait-il si nous ne maîtrisions plus nos approvisionnements ? Comment garantir la qualité et la sécurité sanitaire de produits provenant d'autres pays qui n'ont pas nos exigences ? Pensons aussi aux objectifs du Grenelle de l'environnement.

Le lait est un produit volumineux et fragile qui ne peut être stocké longtemps. Le métier est difficile, qui laisse peu de temps libre pour la vie privée. Ceux qui l'abandonnent n'y reviennent jamais. Les investissements sont lourds, ce qui rend l'installation délicate, et ne sont rentabilisés qu'au terme de nombreuses années. Enfin, les producteurs ne connaissent le prix qui leur sera payé qu'un mois et demi après la livraison de leur lait. C'est dire que celui-ci, produit vivant, n'est pas un bien industriel comme un autre.

Ces dernières années, le prix du lait faisait l'objet d'une recommandation nationale trimestrielle du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel), non obligatoire cependant. C'est au sein des structures régionales du Cniel qu'étaient discutés les prix de base entre producteurs et transformateurs ; la filière laitière était souvent citée en exemple pour son organisation et son sens des responsabilités. Mais la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF), a demandé en avril 2008 à l'interprofession laitière de cesser ses recommandations, assimilant l'accord interprofessionnel à une entente interdite par la réglementation communautaire -la filière de la viande bovine en avait déjà fait les frais. Le Cniel a obtempéré et le système a volé en éclats. Transformateurs et distributeurs ont cessé de jouer le jeu.

Votre prédécesseur n'est pas resté inactif.

M. Charles Revet.  - C'est vrai !

M. Gérard Bailly, auteur de la demande d'inscription.  - Deux médiateurs ont été nommés pour encourager la reprise des négociations ; et celles-ci ont abouti le 3 juin à un accord qui réévalue légèrement à la hausse le prix du lait pour les prochaines livraisons. S'il ne règle pas les problèmes sur le long terme, il permet à la filière de sortir de l'ornière dans l'urgence. Le futur projet de loi de modernisation de l'agriculture, attendu d'ici la fin de l'année, offrira de nouveaux outils pour améliorer la transparence et mieux organiser la filière. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous en dire un peu plus ?

Votre prédécesseur a obtenu, dans le cadre du bilan de santé de la PAC, deux nouveaux rendez-vous à mi-parcours sur le marché laitier, en 2010 et 2012. Et l'idée d'un maintien du système des quotas après 2013 n'est peut-être pas écartée, au vu de la conjoncture. Les instances européennes sauront peut-être vous écouter. La crise du lait a été mise, sur initiative française, à l'ordre du jour du conseil des ministres européens de l'agriculture du 25 mai dernier, et quelques mesures de soutien ont été annoncées ; mais la Commission a rejeté toute remise en cause de la hausse progressive des quotas d'ici 2013, puis de leur suppression. Pour Mme Fischer Boel, ce sont la surproduction mondiale et la baisse de la consommation qui expliquent avant tout la crise actuelle, ce qui ne manque pas d'interroger.

M. Charles Revet.  - En effet !

M. Gérard Bailly, auteur de la demande d'inscription.  - Pensez-vous que nos partenaires évolueront et que la décision de la Commission, prise dans un contexte aujourd'hui caduc, pourra être révisée ?

La commission des affaires économique, par l'intermédiaire du groupe d'études sur l'élevage que j'anime, a beaucoup travaillé sur le sujet. Elle a reçu les Jeunes agriculteurs ; M. Bédier, président de la Fédération du commerce et de la distribution ; les entreprises Entremont et Danone ; la Fédération nationale des producteurs de lait et le Cniel ; M. Luc Chatel, la semaine dernière. Nous poursuivrons nos auditions dans les semaines à venir.

Nous devrions encore recevoir la DGCCRF, l'Observatoire des prix et des marges, les médiateurs nommés par le Gouvernement et le président de l'Autorité de la concurrence.

Une baisse du prix à la consommation pénaliserait les producteurs ; il faut avant tout une répartition de la valeur ajoutée plus équilibrée et plus équitable tout au long de la filière. Est-il normal qu'un producteur qui a vendu son litre de lait 20 centimes le voit vendu un euro en grande surface ? Il faut plus de transparence dans la formation du prix final. L'Observatoire des prix et des marges, créé par la loi de modernisation de l'économie, doit y travailler.

Producteurs, transformateurs et distributeurs devront discuter ouvertement de la répartition des prix. Transformateurs et distributeurs devront communiquer leurs chiffres et assumer leurs marges. M. Bédier accepte de participer à l'Observatoire des marges, à condition de ne pas être « sur un strapontin ».

La réunion du 17 juin entre les acteurs n'a rien laissé présager de bon. Toutes les grandes enseignes de la distribution n'étaient pas présentes, et les positions paraissent irréconciliables. Pourquoi les grandes et moyennes surfaces ne réduiraient-elles pas leurs marges de quelques centimes, dans un souci d'apaisement, en cette période de crise ?

Au-delà des mesures conjoncturelles, les producteurs devront mieux s'organiser en amont, afin de renforcer leur pouvoir de négociation. Il faut une contractualisation équilibrée pour protéger les éleveurs contre la pression de l'aval de la filière. La mise en place de brigades de contrôle dans chaque département sera très utile aux producteurs qui hésitent à dénoncer les pratiques illégales de commercialisation. L'élaboration d'un cadre interprofessionnel, issu de l'accord du 3 juin, permettra la mise en place d'une contractualisation à partir de 2010.

Au niveau européen, il faudra rediscuter de la fin programmée des quotas laitiers. Les marchés agricoles, soumis aux aléas climatiques, sanitaires ou économiques, doivent être régulés par les pouvoirs publics. Des mécanismes de stockage et de dégagement, efficaces pour lisser les prix en cas de sur ou sous production, doivent être maintenus voire amplifiés -les États-Unis viennent d'ailleurs de décider d'un vaste programme d'abattage de vaches laitières. L'Europe doit également développer l'assurance récolte pour la filière, comme le permet le bilan de santé de la PAC.

Comment discuter publiquement de marges sans tomber dans l'entente et sans revenir au contrôle des prix ? M. Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), a proposé d'instaurer un prix directeur entre producteurs et industriels. L'établissement d' « indices de prix » par le Cniel pour « éclairer les acteurs de la filière » est une bonne chose. A l'initiative du président Émorine, notre commission a saisi l'Autorité de la concurrence de la question ; ses conclusions sont attendues pour octobre.

Pourrait-on interdire la vente de lait en deçà de son coût de production, comme on interdit la revente à perte ? Les éleveurs ont vu leurs charges s'envoler sans pouvoir les répercuter, comme le font les autres maillons de la filière.

Nous devons trouver des solutions à cette crise, quitte à légiférer si nécessaire. Notre assemblée est concernée, ce débat le prouve. Je sais, monsieur le ministre, que vous aurez à coeur de travailler avec nous. Votre connaissance des problèmes européens, de l'Allemagne, des mécanismes de l'OMC sera un atout. Il vous faudra être convaincant pour favoriser l'organisation de filière et renforcer les interprofessions. Nous attendons également le contrôle des marges, comme Michel Barnier et Luc Chatel s'y sont engagés. Enfin, j'espère que vous saurez convaincre Mme Fischer Boel tout à l'heure : bon appétit ! (Sourires et applaudissements à droite)

M. Charles Revet.  - Très bien.

Mme Jacqueline Gourault.  - Je vous félicite à mon tour pour votre nomination, monsieur le ministre. Élu d'un département agricole, vous savez la place fondamentale de l'agriculture dans notre économie. Personne ici n'imagine la ruralité sans agriculteurs, sans exploitations familiales, à dimension humaine.

La crise en 2009 n'aurait pas été possible avant les réformes de la PAC de 2003 et 2006. Face à la flambée des cours des matières premières, aux sécheresses simultanées en Australie et Océanie, au retournement brutal des marchés, les mécanismes de régulation auraient permis de déclencher l'achat au prix d'intervention, de soutenir les exportations permettant les dégagements de marché, d'organiser le marché en recourant aux quotas. Or les réformes purement idéologiques de la PAC l'ont privée de ces leviers.

Résultat : une crise conjoncturelle conduit à une hécatombe économique et sociale. Dernièrement, lors des comices agricoles de La Chaussée-Saint-Victor, dans le Perche, j'ai vu les producteurs laitiers fiers de leur bétail, fêtant l'agriculture -car les comices agricoles sont une fête...

M. Charles Revet.  - Une très belle fête !

Mme Jacqueline Gourault.  - Derrière leur volonté de se battre pour sauver leur métier, on lisait toutefois dans leur regard le désespoir...

M. Charles Revet.  - C'est aussi vrai.

Mme Jacqueline Gourault.  - Il faut prendre des décisions rapidement pour éviter les drames humains.

Le système de quotas et de régulation avait permis à la filière laitière d'avoir les prix les plus stables, de renouveler mieux que toute autre ses actifs, tout en coûtant très peu au budget de l'Union. La suppression des quotas est une impasse. Sans contingentement de la production pour équilibrer les négociations, les producteurs sont désarmés face aux entreprises d'aval. C'est un phénomène en cascade.

Cette filière est à la merci d'un retournement des marchés. Aucun espoir n'est possible sans régulation au niveau du pays ou de chaque bassin de production. On blâme beaucoup la grande distribution et les industriels, mais les décideurs politiques nationaux et communautaires doivent eux aussi prendre leurs responsabilités et permettre aux producteurs de s'organiser pour que les négociations commerciales soient enfin rééquilibrées. J'espère, monsieur le ministre, que vous saurez apporter une solution réelle à la crise. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. Gérard Le Cam.  - La crise laitière de 2009, pressentie depuis 2008, s'inscrit dans le paysage habituel des crises frappant les productions agricoles alimentaires. Chaque crise apporte son lot de colère, d'exaspération, de renoncement et de faillites chez les producteurs qui constituent pourtant la trame de notre ruralité. Chaque fois la concentration des exploitations s'en trouve renforcée, au seul bénéfice des transformateurs et de la grande distribution : le nombre de vaches laitières a baissé de 14,2 % au cours de la période 2001-2007 et plus de 28 000 exploitations ont disparu. Alors que la population a augmenté de 10 millions d'habitants depuis 1985, la collecte annuelle de lait a reculé de 25 à 23 milliards de litres.

Les causes des crises laitières sont multiples et bien identifiées : la répétition des crises affaiblit les producteurs ; le pouvoir d'achat des Français diminue ; la production de la filière du veau, grande consommatrice de poudre de lait, est passée de 405 000 tonnes en 1980 à 274 000 aujourd'hui ; les règles de la concurrence imposent la loi de la jungle et conduisent à des importations extracommunautaires ; la grande distribution se comporte comme un prédateur et réalise des marges abusives via ses centrales d'achat ; les transformateurs, sous la pression de la grande distribution, camouflent leurs marges et répercutent les baisses de prix sur les producteurs ; les aides européennes à la production de produits dérivés comme le beurre et la poudre de lait ont diminué ; l'Europe libérale, en accord avec l'OMC, supprime progressivement tous les outils de régulation, en particulier les quotas, et libéralise à outrance le marché laitier pour imposer le prix de référence mondial, qui ne vaut que pour 6 % des échanges.

Lors de son audition devant la commission des affaires économiques la semaine dernière, M. Luc Chatel a tenté de justifier la loi de modernisation de l'économie et de minimiser son impact négatif sur la filière laitière. Pourtant cette loi, bien loin d'avoir amélioré les relations commerciales, les a dégradées en laissant les producteurs et les transformateurs désarmés face aux diktats des centrales d'achat. Cela n'a rien de surprenant, quand on sait que de nombreuses dispositions de cette loi ont été concoctées par le Président Sarkozy en étroite collaboration avec M. Michel-Édouard Leclerc...

Il y a un an votre Gouvernement, cédant une nouvelle fois aux sirènes libérales de Bruxelles, a retiré au Cniel le droit de formuler des recommandations trimestrielles sur le prix du lait. Les mesures que vous proposez aujourd'hui sont vouées à demeurer inefficaces. Vous voulez autoriser l'interprofession à établir des indices de prix ; mais les centres d'économie rurale disposent déjà des statistiques relatives au prix de revient. Vous envisagez de multiplier les contrôles par la DGCCRF après avoir affaibli cet organisme dans le cadre de la RGPP. Vous souhaitez enfin réformer l'Observatoire des marges et des prix ; mais ni les constats, ni les contrôles ne suffisent à garantir aux producteurs un prix rémunérateur. Pendant des années, les producteurs se sont laissés endormir par les outils de régulation classiques, qui n'empêchaient pas les crises ni la concentration mais rendaient un peu moins douloureuse la situation des exclus. La crise actuelle appelle autre chose que des mesurettes ou de l'enfumage.

Les statistiques du centre d'économie rurale des Côtes-d'Armor permettent de mesurer l'ampleur de la crise. Ces dernières années, une exploitation laitière dégageait en moyenne entre 15 000 et 16 000 euros de revenu par an et par unité de travail humain. Le revenu net mensuel d'un exploitant travaillant seul et produisant 200 000 litres par an s'élevait donc à 1 250 euros. Suite à la baisse de 4 centimes du prix du litre à partir du quatrième trimestre 2008, ce revenu est tombé à 666 euros. Avec les prétentions des industriels, ce revenu deviendrait négatif !

Les communistes proposent depuis longtemps d'encadrer les marges abusives, de mettre en place un prix minimum garanti, de recourir au coefficient multiplicateur afin de lier le prix à la production au prix à la consommation, de partager équitablement les marges afin de permettre aux producteurs de vivre des fruits de leur travail sans pénaliser les consommateurs. Chaque fois nos propositions sont caricaturées : on nous accuse de vouloir « soviétiser » l'économie... Pourtant la FNSEA demande aujourd'hui « la mise en oeuvre d'un dispositif particulier d'encadrement des marges ou de coefficients multiplicateurs pour les produits alimentaires de base, qu'il s'agisse de produits agricoles bruts ou de première transformation ». M. Lemétayer serait-il devenu communiste ? (Mmes Annie David et Jacqueline Gourault s'amusent) Non, mais le bon sens et la pression des campagnes le conduisent à infléchir les règles intangibles du libéralisme. La contractualisation permet de fixer des prix planchers dans le cadre actuel de la LME, mais cela ne suffira pas. Il faut réviser cette loi en faveur des producteurs, garantir la survie des transformateurs et encadrer la grande distribution qui assure plus de 75 % de la mise sur le marché. Espérons que ne se reproduise pas la mésaventure du coefficient multiplicateur pour les fruits et légumes voté par le Sénat mais rendu inapplicable par le Gouvernement ! Ne laissez pas la grande distribution répercuter ailleurs la diminution de ses marges, comme elle l'a fait tant de fois !

Avant de légiférer, il est urgent de réunir une table ronde au second semestre 2009. La situation difficile d'Entremont-Alliance dans l'ouest laisse présager les pires difficultés si le Gouvernement n'agit pas en accordant prioritairement son aide aux producteurs dont le lait est payé en fonction des débouchés comme le beurre et la poudre, et en mettant en place des instruments de péréquation nationale et de gestion collective des volumes excédentaires. Nous craignons de voir demain les laiteries abandonner les producteurs trop petits ou trop éloignés, et la grande distribution racheter les outils de transformation, ce qui accentuerait encore la dépendance des producteurs. Monsieur le ministre, votre responsabilité est immense. Il vous incombe d'assurer la survie d'une agriculture française et européenne capable de résister à la mondialisation des échanges. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Bizet.  - (Applaudissements à droite) Comme vous tous, j'entends chaque jour dans nos campagnes la colère et les attentes des éleveurs. Mais il faut raisonner à l'échelle du continent, car cette crise s'étend à l'Europe entière. C'est la mission que m'a confiée notre commission des affaires européennes. Au cours des débats actuels et surtout des négociations à venir sur la PAC, nous devons avoir une stratégie d'alliance et écouter les autres. Votre nomination à ce poste, monsieur le ministre, est la preuve parfaite des liens entre agriculture et questions européennes.

Le tour d'horizon que j'ai accompli par internet m'a permis de comprendre nos similitudes et nos différences ; mon rapport doit être distribué aujourd'hui. Tous les États européens acceptent les nouvelles règles du marché. Même si la révolution du secteur date d'une dizaine d'années à peine, le régime des prix indicatifs est oublié : il n'y a plus que le marché et son produit, inconnu du consommateur mais essentiel pour l'industriel : la poudre de lait, dont le prix sert en quelque sorte de prix directeur.

Tous les États sont très attachés à la liberté contractuelle entre producteurs et acheteurs. Dans plusieurs pays, ces derniers sont des coopératives codétenues par les éleveurs ; le poids de l'industrie de transformation dans les achats de lait est une spécificité française.

Tous les pays ont connu des variations de prix considérables. L'année 2007-2008 fut marquée par une flambée des prix, l'année suivante par une baisse tout aussi brutale. La situation des nouveaux États-membres est très préoccupante : ils avaient moins profité de la hausse et ont davantage souffert de la baisse, ce qui les rend amers. Votre expérience européenne, monsieur le ministre, sera précieuse dans les négociations à venir.

En France, il faut régler le problème des revenus des éleveurs et celui des variations de prix. Il ne sert à rien de plaider en faveur du maintien des quotas laitiers : nos partenaires n'ont pas changé d'avis à ce sujet. Tous les analystes considèrent que la crise actuelle est liée à l'insuffisance de la demande et non à l'excès de l'offre : l'augmentation des quotas ne change donc rien. De nombreux pays n'atteignent pas leur quota : la France produit environ un milliard de litres de moins qu'elle n'en a le droit. La production s'est adaptée : on annonce déjà que la collecte de lait à l'automne sera l'une des plus faibles des dix dernières années.

Ensuite, plusieurs pays ont intérêt à l'augmentation des quotas, soit pour valoriser un potentiel qui leur semble entravé par ce carcan réglementaire, soit pour éviter une baisse brutale des prix avant l'abandon des quotas.

Nous avions dans ce domaine un allié de poids, l'Allemagne, mais c'était plutôt un allié de circonstance. Les Allemands acceptent l'abandon des quotas, décidé en 2005 et programmé en 2008 : il n'est pas dans leurs habitudes de remettre en cause les décisions collectives du Conseil européen. La France me paraît plutôt isolée. Même notre principal allié dans les négociations sur la PAC, l'Irlande, ne nous suit pas sur ce point.

Dans la stratégie d'alliances que j'appelle de mes voeux, il faut choisir d'autres combats. Face à la volatilité des prix, je crois nécessaire de maintenir des instruments publics de régulation. Nous devrions pouvoir trouver une majorité pour les approuver. A Bruxelles, on se méfie des interventions de l'État car on se souvient des « montagnes de beurre »... Mais l'intervention doit être conçue, non pas comme un moyen de réduire des excédents, mais comme un moyen de réduire les variations de prix. Le stockage régulateur est un outil parfaitement adapté et facile d'utilisation. D'ailleurs, le bilan de santé de la PAC n'a nullement remis en cause les instruments de régulation classiques comme les restitutions.

L'intervention n'a pas eu la pertinence voulue parce que la signature politique reste sous-dimensionnée.

Les DPU, indispensables pour assurer des revenus aux éleveurs en temps de crise sont-ils indispensables lorsque les prix flambent ? Ils pourraient être modifiés.

La PAC doit être mieux évaluée. On évalue toutes les politiques européennes, sauf elle ! L'élevage ne peut être évalué avec les seuls critères de prix et de coût. Il y a d'autres critères à prendre en compte, comme celui de la biodiversité.

Ces politiques publiques peuvent concerner tous les États-membres, mais cela ne doit pas nous exonérer d'une réflexion sur notre propre organisation. La contractualisation est une piste, certes semée d'embuches que j'évoque dans mon rapport, mais utile et incontournable. Les éleveurs ont besoin d'une visibilité. Celle-ci était assurée par les quotas, décidés par la puissance publique mais vécus comme une sorte de contrat moral. Avec la fin annoncée des quotas, il faut passer de cette sorte de contrat moral public à des contrats privés professionnels, régionaux, qui associeraient la distribution.

J'apporte dans mon rapport quelques précisions utiles pour éviter d'être trop manichéen, en faisant la distinction, par exemple, entre lait et produits laitiers, mais il y a aujourd'hui trop de non-dits qui laissent une détestable impression. Quelques correctifs à la LME seraient utiles. J'évoque aussi quelques pistes nationales : quels sont les moyens du ministère acceptables sur le plan communautaire pour accompagner la restructuration des élevages, pour développer des formules de commercialisation nouvelles, pour favoriser le concept de proximité ?

Si la crise est générale, les réactions sont diverses. Pour beaucoup de pays, elle n'est qu'un mauvais moment en attendant le rebond, un moyen de faire émerger les plus compétitifs. Dans d'autres pays, la colère est vive. Mais il y a une unité : la profession ne peut vivre dans un chaos permanent. Les éleveurs ont besoin de visibilité et d'être mis en confiance. Chacun doit jouer son rôle. En France et en Europe, le Gouvernement doit assurer le sien. Nous avons confiance en vous, monsieur le ministre. Nous attendons les résultats. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. François Fortassin.  - Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre : vous arrivez avec la flatteuse réputation d'une personne rompue aux négociations européennes ; ce sera utile dans vos nouvelles fonctions.

La dramatique crise laitière met nos campagnes en ébullition. Notre rôle de parlementaires est de traduire cette colère. La situation est inacceptable, scandaleuse, amorale, suicidaire. Plus de 100 000 exploitations sont touchées, et des centaines de milliers d'emplois, directs et indirects. Les producteurs ne peuvent être en permanence la variable d'ajustement.

C'est amoral car les quatre cinquièmes des plus grosses fortunes françaises se sont faites dans la grande distribution, et pas en plusieurs générations comme pour les dynasties industrielles du XIXe siècle, en quelques années.

Il est scandaleux et amoral qu'on fasse payer aux producteurs des marchandises qu'ils doivent livrer mais qui ne leur seront pas réglées. On leur achète 500 000 pots de yaourt, ils doivent en livrer 550 000 ! On a parlé de racket, je parlerai de gangstérisme légal !

Il faut créer une vraie solidarité dans la filière producteurs-distribution-consommateurs. Le soleil se lève pour tout le monde : chacun doit pouvoir vivre décemment de son travail. Nous attendons, monsieur le ministre, que vous agissiez.

L'élevage laitier a des contraintes importantes : deux traites par jour, des investissements lourds, une douzaine d'années pour constituer un troupeau. Quand il sera abandonné quelque part, on ne reviendra pas en arrière. Il est de votre responsabilité, monsieur le ministre, de faire savoir que, si l'on ne prend pas tout de suite des mesures draconiennes, on peut avoir une pénurie de lait d'ici quatre ou cinq ans.

Le problème est européen mais il est aussi français. La LME est bafouée, les producteurs se sentent abandonnés en rase campagne et, pour les autres, c'est « sauve qui peut, c'est pas ma faute, c'est la faute à l'Europe ! » J'attends que la politique reprenne ses droits. Le Président de la République a eu raison de dire lundi que l'économie devait être au service de l'homme et pas l'inverse. On a là une occasion de mettre en pratique cette déclaration que chacun ne peut qu'approuver.

Je vous demande, monsieur le ministre, de tout faire pour créer les conditions de cette solidarité en imposant le double étiquetage sur les produits du lait. On peut exiger la transparence et demander l'aide des consommateurs pour que cessent certaines pratiques. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Yannick Botrel.  - Depuis plusieurs semaines désormais, l'économie agricole fait débat dans notre pays. La situation des producteurs de lait nous interpelle, avec l'effondrement du prix du lait qui leur est payé. Le constat des causes souffre assez peu de controverses : elles tiennent à la volonté affichée et mise en application de soumettre cette activité à la loi sans limite du marché libéral. On fait ainsi abstraction d'une réalité : la production laitière est liée à des cycles de production longs comme les investissements qu'elle nécessite ; elle ne peut s'adapter instantanément à une conjoncture économique variable ou volatile, d'autant moins qu'elle ne maîtrise que partiellement ses coûts de production et que le coût des mises aux normes ou le prix des matières premières et de l'énergie sont incompressibles.

Or la production laitière est un facteur déterminant de la vie économique et de l'activité de bien des régions, et donc de l'aménagement des territoires. Ce serait une raison supplémentaire pour qu'elle soit organisée et régulée ; au lieu de quoi, les décisions arrêtées depuis plusieurs années en Europe vont en sens opposé : réduction des outils de régulation, abandon programmé des quotas.

Il est absurde de se référer au marché mondial pour la détermination des prix, puisqu'il ne concerne que 5 % de la production globale des produits laitiers. C'est pourtant l'argument utilisé pour tirer les prix vers le bas. Va-t-on attendre du marché qu'il se corrige de lui-même, par sa propre vertu ? Sans volonté de remettre l'action publique au coeur du débat, il est douteux qu'une solution durable puisse émerger. Il faut donc une implication forte de la France, pour que l'Europe retrouve sa fonction protectrice. Tel est le premier objectif : donner un coup d'arrêt aux orientations appliquées par la commission et Mme Fischer Boel. Les quotas laitiers ont depuis de nombreuses années démontré leur utilité ; leur démantèlement doit être stoppé. Il faut même leur rendre toute leur portée à court terme en tant qu'instrument indispensable de la maîtrise de la production et à moyen terme en tant que condition de la survie financière d'une majorité des producteurs.

La chute des prix est disproportionnée par rapport à l'ampleur de la surproduction.

L'Europe doit donc réduire les volumes pour mettre fin à la surproduction. En France, la loi de modernisation économique ajoute une incroyable asymétrie entre production et distribution, bien sûr au détriment de la première. Même les parlementaires de la majorité la dénoncent parfois.

Les études réalisées en Bretagne par les centres d'économie rurale montrent que les exploitations équilibrent en moyenne leurs comptes à partir de 305 euros pour 1 000 litres de lait. Nous en sommes parfois très loin. Ainsi, les producteurs livrant à l'entreprise Entremont-Alliance -la principale du secteur, avec 2,3 milliards de litres collectés- subissent une situation intenable en percevant 205 euros pour 1 000 litres.

La crise va donc éliminer les producteurs les plus fragiles, souvent ceux qui viennent d'investir, autrement dit les plus jeunes. Sachant que parmi les 4 300 producteurs des Côtes-d'Armor, un sur deux a plus de 50 ans, on mesure le défi lancé à l'avenir, puisque ce département occupe la troisième place pour la production laitière.

Il est donc urgent que le Gouvernement agisse enfin ! A défaut, de nombreux producteurs seront acculés à la cessation d'activité, ce dont toute l'économie agricole pâtira. Il est vital d'intervenir aujourd'hui et de réfléchir à l'avenir en envisageant la globalité de la filière. Les paroles et actes du Gouvernement sont attendus avec impatience ! (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Muller.  - La crise profonde qui secoue nos campagnes se manifeste légitimement jusqu'au coeur des villes. Elle résulte de la conjonction de deux phénomènes.

Le premier est l'augmentation des quotas laitiers, qui préfigure leur disparition, programmée par la Commission européenne. Cette dérégulation provient de l'approche néolibérale chère à Mme Fischer-Boell. Or, la faible élasticité de la demande par rapport au prix fait plonger ceux-ci dès que la production excède la demande, sauf à stocker ou transformer l'excédent, ce qui a un coût, donc des limites. Telle est la raison qui avait conduit à instaurer les quotas laitiers en 1983. La Commission européenne joue avec le feu en organisant leur suppression pour des raisons idéologiques et en tablant sur la demande mondiale pour absorber les excédents de lait en poudre et de beurre. Ce pari est hasardeux, car la demande mondiale s'est effondrée en 2008. Il est en outre détestable, car il contredit les principes essentiels de souveraineté alimentaire. Quand donc les pays industrialisés cesseront-ils de détruire l'agriculture vivrière des pays en développement, via le déversement de leurs excédents agricoles ?

Le deuxième phénomène tient au monopole du syndicat majoritaire pour représenter le monde agricole dans les instances interprofessionnelles, alors qu'il ne fédère que la moitié des producteurs laitiers. Les compromis qu'il négocie avec les firmes agroalimentaires font le jeu des grands groupes en répercutant la crise du marché mondial sur les prix versés aux producteurs, asphyxiant ainsi les petites et moyennes exploitations. Transférant sur le monde agricole la crise engendrée par la gestion de 90 000 tonnes de lait en poudre et 220 000 tonnes de beurre, ils traduisent les velléités inavouables de la Commission européenne, qui veut « refaire du Mansholt » en liquidant les exploitations « improductives ».

Cette crise pose donc la question fondamentale du modèle laitier européen : voulons-nous des usines à lait avec des vaches gavées au maïs et aux tourteaux de soja importé, produisant de façon intensive pour le stockage et l'exportation, ou bien des exploitations agricoles plus rustiques valorisant les herbages et produisant pour un marché intérieur grâce à des circuits courts de commercialisation ? Loin de s'opposer, les dimensions économique, sociale et environnementale se conjuguent encore une fois, à condition de rompre avec les fantasmes néolibéraux hostiles aux outils de régulation.

Au nom des Verts, je demande le rétablissement des quotas laitiers, malgré notre préférence pour le principe des quantums, car ils ont organisé l'évolution du secteur laitier en prévenant les crises de surproduction. Élue en Corrèze, ma collègue Bernadette Bourzai se joint à moi pour proposer des quotas régionaux, seul moyen de répartir harmonieusement la production sur le territoire en évitant la concurrence abusive des régions dont l'herbe est la seule ressource agricole. Valoriser celle-ci pour nos élevages comporte un enjeu environnemental qui n'aura échappé à personne à l'ère du Grenelle de l'environnement, mais l'aménagement du territoire est aussi en jeu.

La crise laitière nous offre l'opportunité de revoir entièrement la politique agricole commune pour mettre fin à sa dérive néolibérale et promouvoir un modèle agricole en phase avec les attentes que nos concitoyens viennent de soutenir clairement : un modèle respectueux de l'environnement, moins dépendant des importations et implicitement plus solidaire des pays du sud, en étant tourné vers une demande intérieure de produits de qualité. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Godefroy.  - La crise de la production laitière n'occupe plus l'espace médiatique avec la même intensité, mais la situation catastrophique des producteurs perdure, surtout parmi les plus jeunes.

Au mieux, les quelques mesures annoncées par M. Barnier ont apporté un répit de quelques mois. D'ailleurs, 1 500 producteurs indépendants réunis avant-hier à Saint-Hilaire-du-Harcouët, dans la Manche, ont voté une grève européenne du lait. Cette option de désespoir a des conséquences dramatiques.

Tout comme M. Bizet -dont je salue la compétence- je suis élu dans la Manche, deuxième département producteur de lait en volume et premier par le nombre d'exploitations. A l'occasion d'une table ronde organisée le 11 juin à Caen par le préfet, j'ai certes constaté combien la situation pouvait varier entre départements, selon que la production de lait est principale ou complémentaire, mais produire 300 000 litres de lait ne permet jamais de vivre avec les prix pratiqués depuis le début de l'année.

Les producteurs de mon département sont formels : l'accord signé fixant à 280 euros le prix de 1 000 litres est très insuffisant, notamment pour les jeunes producteurs, qui ne peuvent couvrir les investissements exigés par les normes, notamment environnementales. Les représentants des grandes et moyennes surfaces de la région se sont engagés pendant la table ronde à ne pas renégocier à la baisse leurs prix d'achat jusqu'au 31 décembre 2009, mais cet engagement doit être validé au plan national. En tout état de cause, il est très insuffisant.

L'éventuel report d'un an des annuités d'emprunts bancaires liés à l'investissement et le dégrèvement de charges sociales ne sont que des mesures palliatives, car le fond du problème vient de la déréglementation européenne. J'ai entendu M. Bizet évoquer l'augmentation des quotas, avant leur suppression en 2015, ce qui déstabilise la rémunération des producteurs.

La crise est aussi grave en France parce que la loi de modernisation de l'économie, censée permettre au marché de s'autoréguler, est fatale pour les producteurs et pour les consommateurs. Nul ne peut croire que la mise en place d'un Observatoire des prix et des marges suffira. Le prix du lait payé par le consommateur a augmenté de 17 % entre l'été 2007 et 2008, et n'a baissé que de 2 % depuis !

Aujourd'hui, la situation des producteurs est intenable. Leur avenir et celui de leurs familles est en jeu. Nous attendons des réponses à leur détresse, notamment par une révision de la loi de modernisation de l'économie, dont nous avions prédit les dérives qu'elle provoquerait. La politique européenne ne peut rester figée, car un prix de vente doit être garanti aux producteurs, pour des volumes réguliers.

Je m'exprime en tant que membre de la commission des affaires sociales, car j'ai constaté à Caen la détresse des producteurs ! (Applaudissements à gauche.

M. Adrien Gouteyron.  - Je saisis ce débat pour rappeler la place prépondérante de la production laitière pour l'économie agricole de la Haute-Loire, puisque cette activité occupe 2 400 producteurs, soit environ les deux tiers des exploitations.

Conclu après des manifestations, l'accord du 4 juin a été accueilli avec une certaine résignation et le sentiment aigu que le problème de fond demeurait.

Le 23 juin, l'interprofession de l'Auvergne et du Limousin s'est réunie ; de vives tensions sont apparues entre producteurs et transformateurs.

Ils n'ont pas trouvé d'accord. La discussion reste ouverte ce qui prouve que le malaise persiste. Je veux rendre hommage à votre prédécesseur, monsieur le ministre, qui a su, dans l'urgence, réunir tous les protagonistes et proposer des mesures susceptibles d'alléger les charges de certains producteurs.

En regardant la situation dans mon département, je crains que les exploitations frappées ne soient, d'un côté, les plus performantes qui ont beaucoup investi et, de l'autre, les plus petites dont le volume de production ne permet pas de faire face aux difficultés conjoncturelles actuelles. La situation est donc très grave et nous ne pouvons laisser faire, mais je sais que telle n'est pas votre intention.

M. Luc Chatel, à l'époque secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, a été auditionné par la commission des affaires économiques : il a rappelé que l'ancien système de régulation du prix du lait était insuffisant, qu'il ne respectait pas les règles de la concurrence et qu'il n'était pas efficace. Il a détaillé les mesures prises avec, notamment, la création d'une brigade de contrôle et une grande enquête sur les prix laitiers pour accélérer les travaux de l'Observatoire des prix et des marges. Je reste dubitatif sur ces mesures, même s'il est vrai que nous avons besoin de plus de clarté, notamment sur la répartition de la valeur ajoutée qui, selon M. Chatel, est déséquilibrée. Il ne saurait d'ailleurs en être autrement avec cinq grandes centrales face aux centaines de transformateurs.

Un mot sur l'importance des marges arrière (M. Charles Revet s'exclame), avec un seul exemple, mais ô combien parlant : une petite coopérative, qui n'est pas dans mon département, réalise 20 millions de chiffre d'affaires. Or, ses marges arrière s'élèvent à 2 millions ! Ce n'est ni normal, ni supportable !

M. Charles Revet.  - C'est du racket !

M. Adrien Gouteyron.  - J'imagine que les situations ne sont pas toutes les mêmes...

M. Roland du Luart.  - N'en soyez pas si certain !

M. Adrien Gouteyron.  - ...mais le problème est réel, avec son cortège de conséquences fâcheuses sur le processus économique. Or, nous avons surtout besoin de lisibilité dans ce domaine.

J'en viens à la situation d'une entreprise de mon département, Via Lacta au Puy-en-Velay, qui emploie 180 salariés et regroupe 150 producteurs. Elle est en grande difficulté et il est question qu'elle soit reprise. D'après mes sources, l'affaire est loin d'être bouclée et je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous vous intéressiez à ce dossier, même si j'imagine que vous en avez énormément à traiter. Si ce projet de reprise n'aboutissait pas, ce serait une véritable catastrophe pour le bassin du Puy-en-Velay.

Un dernier mot sur la surproduction dont on nous rebat les oreilles. M. Bizet me rappelait tout à l'heure que son rapport démontre que la France n'est pas en surproduction.

M. Charles Revet.  - Absolument !

M. Adrien Gouteyron.  - Elle n'a pas réalisé la totalité de son quota cette année. Le problème est donc bien celui de la demande, qui est aggravé par la crise.

Nous attendons beaucoup de vous, monsieur le ministre. Au niveau européen, vous avez pris toute votre place et vous avez la capacité d'agir : il faut que l'Europe joue pleinement son rôle de régulation. Ce sera une de vos tâches et je suis persuadé que vous aurez à coeur de la mener à bien. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.  - Tout d'abord, trois remarques, qui iront du général au particulier.

Pour répondre au sénateur Muller, je ne souhaite pas encourager une production laitière intensive dans des fermes où seraient entassées des milliers de bêtes produisant un lait de qualité médiocre qui ne répondrait pas à nos exigences en matière de sécurité sanitaire. Je veux promouvoir des produits de qualité, respectant les normes sanitaires et l'identité de nos territoires. Nous n'allons pas laisser disparaître les établissements laitiers de nos régions sous prétexte qu'ils seraient trop petits ou de trop grande qualité.

Deuxième remarque : dans le prolongement des mesures annoncées par M. Barnier et de l'accord interprofessionnel qui a été signé, nous allons dans un premier temps résorber la crise actuelle à l'échelle nationale. Je rencontrerai demain des producteurs laitiers dans ma région et nous examinerons les mesures qui pourront être prises. En outre, nous devrons offrir aux producteurs laitiers une perspective et une prévisibilité sur le long terme. Nulle activité commerciale ne pourrait survivre avec des prix variant de 30 % à chaque saison !

M. Charles Revet.  - C'est vrai !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous devons donc apporter de la stabilité aux prix, et cela passe par des décisions nationales, comme la contractualisation, et communautaires.

Enfin, pour répondre à M. Gouteyron, je vais me pencher sur le cas de l'entreprise Via Lacta. Il est vrai que beaucoup de dossiers s'accumulent sur mon bureau, mais vous connaissez mon goût pour le travail. Je vais donc m'intéresser à cette entreprise parce qu'elle concerne le secteur laitier, parce que vous me l'avez demandé et, enfin, parce qu'elle est située dans la ville de mon ami Laurent Wauquiez.

J'en viens à la situation du secteur laitier dont vous avez tous dressé un tableau précis : la détresse des producteurs laitiers est réelle en France, comme dans les autres pays européens. La réponse qui leur sera apportée viendra, en premier lieu, de l'Europe. Le bilan de santé de la PAC a permis de réintroduire un vrai pilotage économique et politique de la production et des marchés laitiers. Nous avons deux rendez-vous politiques en 2010 et en 2012 pour décider des options à retenir, notamment sur l'avenir des quotas laitiers. Je partage l'analyse de M. Bizet : la question n'est pas celle de l'offre mais de la demande. Il ne s'agit pas de maintenir ou non les quotas laitiers, mais de savoir si nous les remplissons. Or, tel n'est pas le cas. Il serait possible de plaider matin, midi et soir auprès de la Commission et du Conseil pour le rétablissement des quotas, mais je n'aime pas livrer des batailles inutiles ou perdues d'avance. A supposer que j'obtienne le rétablissement des quotas, nous érigerions une sorte de ligne Maginot qui ne permettrait pas de répondre aux attentes des producteurs de lait. Cela ne veut pourtant pas dire qu'il faut instaurer une libre concurrence dans ce secteur. Nous avons évidemment besoin d'une régulation, car la production laitière n'est pas comparable aux autres puisque le marché n'est absolument pas stable. Nous devrons donc définir les types de régulations qui seront efficaces pour garantir à long terme une stabilité des cours du lait en France et en Europe. Ne nous focalisons donc pas sur cette question des quotas, débat plus théologique que pratique.

Pour mettre en place cette régulation, nous devons savoir quels sont les partenaires européens sur lesquels nous pouvons compter. C'est pourquoi je me rendrai très vite en Allemagne pour mener une stratégie d'alliance.

L'accord que nous avons déjà conclu en Europe a permis de limiter les effets de la crise. Les aides au stockage privé de beurre ont été mises en place dès le 1er janvier. Les restitutions pour les exportations ont été réintroduites dès la fin janvier pour une large gamme de produits laitiers. Enfin, à partir du 1er mars, des achats publics sont intervenus, d'abord à prix fixe puis par adjudication à des prix très proches des prix d'intervention. Ces achats ont permis de stabiliser les cours du beurre et de la poudre de lait qui se situent désormais quasiment aux prix d'intervention.

Des incertitudes et des insatisfactions persistent. Lors du dernier Conseil européen, nous avons demandé, avec l'Allemagne, une mobilisation plus intense des outils de régulation des marchés. C'est ce qui a été fait pour les restitutions à l'exportation et les mesures de stockage.

J'essaierai d'aller plus loin dans ces mesures.

L'accord sur le bilan de la PAC permet à chaque État-membre d'orienter une partie des aides en fonction de choix nationaux. Nous en avons profité : les mesures décidées le 23 février conduisent à orienter en 2010 près de 1,4 milliard en faveur de l'élevage à l'herbe ; 45 millions seront consacrés à la production laitière de montagne à travers une aide couplée au litre de lait de l'ordre de 20 euros les 1 000 litres.

Pour nous, l'objectif des négociations est simple : obtenir la mise en place d'une véritable régulation de la production, sur la base d'alliances solides avec nos partenaires européens car rien n'est pire que de s'arc-bouter sur une position sans les alliances nécessaires, car vous risquez alors d'être contourné et de revenir en France avec un accord qui n'est pas bon pour la France. C'est bien ce que je m'efforcerai d'éviter.

Au niveau national, ensuite, j'ai déjà signalé que M. Barnier avait gelé la première hausse de 1 % des quotas. Une mission de médiation a été mise en place avec le secrétariat d'État à l'industrie et à la consommation. Nous avons proposé un nouveau cadre de régulation : l'interprofession pourra conduire de nouvelles relations contractuelles durables précisant les prix, les engagements sur les volumes, le calendrier des livraisons, les modalités de règlement, de renégociation ou de résiliation des contrats. La question de la contractualisation est majeure.

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Aucun secteur ne peut progresser sans connaître les modalités de fixation des prix, les délais de livraison et les délais de paiement. Il faut définir des règles et les faire appliquer.

M. Roland du Luart.  - Pourvu que vous y arriviez !

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Non, monsieur Le Cam, la contractualisation n'est pas un écran de fumée. C'est la solution ; bien entendu, il faut vérifier qu'elle est appliquée par tous les signataires, mais cette voie paraît des plus prometteuses. Déjà, grâce à elle, les acteurs de l'interprofession ont pu discuter entre eux et aboutir à un accord. Je le sais, le prix de 280 euros pour 1 000 litres est un prix moyen, mais nous aurions tort d'affaiblir l'accord ou de le remettre en cause, même s'il n'est pas parfait.

Enfin, des aides directes ont été débloquées ; le Premier ministre a notamment annoncé que 70 % des aides directes communautaires pour la campagne 2009 seraient versées par anticipation dès le 16 octobre.

Enfin, il a été décidé de lancer une enquête assurant la transparence totale sur les prix et sur les marges ; les résultats en seront communiqués à l'Observatoire des prix et des marges. Je ne reprendrai pas les propos de M. Fortassin pour ne pas abréger ma carrière ministérielle (sourires), mais la transparence totale constitue une exigence républicaine. (Approbations à droite)

M. Jean Bizet.  - Merci !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Pour l'instant, on ne sait pas qui paie quoi, qui gagne quoi et qui empoche la plus-value. (Approbations sur les mêmes bancs) Ce n'est acceptable ni pour les producteurs de lait, ni pour l'ensemble des Français. Vous pouvez compter sur mon travail et ma totale détermination. (Applaudissements à droite et au centre)

La séance est suspendue à midi cinq.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les réponses du Gouvernement aux questions d'actualité.

Permettez-moi, monsieur le Premier ministre, de féliciter les nouveaux ministres présents aujourd'hui... (Applaudissements à droite et au centre), avec une mention particulière pour Henri de Raincourt et Michel Mercier. Je souhaite que les fonctions que leur a confiées le Président de la République soient couronnées de succès.

M. René-Pierre Signé.  - Attendez les élections !

Politique générale du Gouvernement

M. Jean-Pierre Bel .  - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Nous avons tous en mémoire le discours du Président de la République à Versailles. Il a déclaré vouloir « éviter qu'il y ait des exclus que l'on ne puisse réinsérer dans la société... » et nous a promis « un monde dans lequel le progrès social, le progrès humain iront de pair avec les progrès économiques »...

M. René-Pierre Signé.  - Nous l'avons déjà entendu !

M. Jean-Pierre Bel.  - Or cela fait sept ans que Nicolas Sarkozy occupe des fonctions gouvernementales de premier plan et plus de deux ans qu'il est Président de la République. Le moment est venu de répondre à une question : celle du rapport entre le poids des mots et le choc de la réalité, du décalage entre la vie quotidienne et les grands discours flamboyants. En Ariège, dans ma région, dans toute la France, on me parle de fins de mois de plus en plus difficiles, des 200 000 chômeurs supplémentaires au premier trimestre, de l'angoisse des jeunes face à l'avenir, du désarroi des salariés qui voient leur entreprise disparaitre...

Le Président a également affirmé ne pas supporter l'idée qu'une partie du territoire soit abandonnée, que la France soit sans usines et sans ouvriers. Ne voit-il pas que c'est ce que vivent nos concitoyens ? Le Président de la République veut-il continuer comme avant, lorsqu'il promettait aux ouvriers d'Arcelor Mittal de garder leur usine ouverte, pour les laisser assister quelques mois plus tard, la rage au coeur, à sa fermeture ? Qu'allez-vous encore promettre aux salariés de Michelin, Continental, Alcatel et autres ? Un emprunt ? Voilà la recette miracle de l'intervention de Versailles : alors que la dette s'élève déjà à 1 400 milliards d'euros, on nous propose de renvoyer les problèmes à l'après 2012, d'ajouter de la dette à la dette ?

Monsieur le Premier ministre, plutôt que la fuite en avant, essayons ensemble de comprendre pourquoi vos recettes ne marchent pas. Allez-vous enfin organiser un débat de politique générale au Parlement et engager votre responsabilité à l'Assemblée ? Ce débat, vous ne le devez pas seulement aux parlementaires, vous le devez surtout aux Français. (Applaudissements à gauche)

M. François Fillon, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je remercie M. Bel de me permettre de redire devant vous ce que j'ai dit hier à l'Assemblée nationale. Après deux ans et plus de 60 réformes, avec le Président de la République nous avons décidé de remanier le Gouvernement. Il s'agit d'un changement dans le Gouvernement et non d'un changement de Gouvernement. Il n'y a pas de changement de politique...

M. Didier Boulaud.  - Plus de secrétariat d'État aux droits de l'homme !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Je vais continuer à conduire la politique à laquelle vous vous opposez et que la majorité soutient depuis deux ans. (Applaudissements sur les bancs UMP) Il n'y a pas de raison de faire perdre son temps au Parlement avec un débat de politique générale. Cela ne servirait qu'à nous répéter et, pour la majorité, à renouveler sa confiance envers le Gouvernement. (Protestations à droite, approbation à gauche)

M. René-Pierre Signé.  - Si le Parlement perd son temps...

M. David Assouline.  - Le Parlement, c'est toujours du temps perdu !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Notre politique est simple : nous allons amplifier l'effort de relance pour faire face à une crise mondiale qui touche tous les pays européens, dont certains connaissent une augmentation du chômage supérieure à la nôtre. Pour cela, nous allons définir ensemble des priorités qui bénéficieront de moyens supplémentaires pour créer les emplois de demain.

M. David Assouline.  - Paroles, paroles.

M. Didier Boulaud.  - Personne n'y croit !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Vous pourrez vous exprimer dans quelques semaines puisque le Parlement devra définir les secteurs stratégiques qui auront droit aux moyens supplémentaires dégagés par un emprunt national.

M. Didier Boulaud.  - Et la dette !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Nous allons également mettre en oeuvre les engagements du Grenelle de l'environnement afin de réorienter le modèle économique français vers la croissance verte. Cela correspond aux engagements pris devant le Sénat et l'Assemblée nationale. Parmi les réformes de structure destinées à moderniser le pays, la principale est l'organisation de nos territoires. Là encore, le débat aura lieu puisque vous vous prononcerez à l'automne sur ce sujet et sur la réforme de la fiscalité. Pour ce qui est du contrat social, vous allez débattre de la réforme de la formation professionnelle et de l'extension du contrat de transition professionnelle. Tous ceux qui perdent leur emploi vont pouvoir bénéficier d'un an de salaire avec une formation qui leur permettra de rebondir lorsque nous sortirons de cette crise.

M. Alain Gournac.  - Très bien.

M. François Fillon, Premier ministre.  - Le Président de la République a proposé un débat national mi-2010 à l'occasion de l'évaluation des réformes successives de nos régimes de retraite et, éventuellement, de nouvelles décisions à prendre dans ce domaine. Il ne faut pas anticiper ce débat car il faut mener au préalable une concertation avec les partenaires sociaux et les Français.

Il n'y a donc aucune raison d'organiser un débat de politique générale. C'est moins au Gouvernement de réclamer la confiance de sa majorité qu'à l'opposition de s'interroger sur les raisons pour lesquelles elle n'a pas celle du peuple français. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs UMP)

Bouclier fiscal

Mme Mireille Schurch .  - Ma question s'adresse à M. le Premier ministre, qui reprend sans doute à son compte le discours de politique générale prononcé par M. Sarkozy à Versailles. Peut-être pourra-t-il nous éclairer sur les contradictions profondes de celui qui décide des faits et gestes du Gouvernement sans être aucunement responsable devant le Parlement. (Vives protestations à droite, qui couvrent pendant quelques instants la voix de l'oratrice)

MM. Dominique Braye et Alain Gournac.  - Il fallait venir à Versailles !

Mme Mireille Schurch.  - M. Sarkozy, abusant de la méthode Coué, a martelé sa volonté de changer la France, l'Europe, le monde et même le capitalisme... « Rien ne sera plus comme avant », a-t-il dit. Mais pour les oubliés du discours de Versailles, les choses s'aggravent et le Gouvernement ne donne aucun signe de vouloir changer de politique. Les licenciés sont toujours plus nombreux, les pauvres s'appauvrissent et les salariés ne gagnent pas un sou de plus, bien au contraire, puisque beaucoup d'entre eux subissent le chômage partiel. (Le brouhaha se poursuit sur les bancs UMP)

Les services publics, l'hôpital, l'école, la poste sont toujours aussi menacés par vos dogmes libéraux de concurrence, de rentabilité et de réduction des dépenses publiques. Les retraités constatent d'année en année la baisse de leurs revenus. L'éducation nationale que M. Sarkozy continue de démanteler -16 400 postes seront supprimés cette année- relève sans doute du mauvais déficit... Le seul bon déficit est-il à ses yeux celui des aides aux entreprises, dispensées sans contrôle et sans contrepartie réelle ?

Tout va continuer comme avant, parce que le chef de l'État n'entend ni modifier la répartition des richesses, ni réduire les inégalités, ni s'attaquer au pouvoir des actionnaires. Il prétend vouloir répartir autrement les revenus du capital et du travail ; nous attendons en vain des actes depuis le discours de Toulon en octobre dernier. Mettez fin à cette hypocrisie !

M. le président.  - Veuillez poser votre question. (On renchérit à droite, on proteste à gauche)

Mme Mireille Schurch.  - Avant de vous attaquer aux retraités et aux chômeurs, avant d'achever le secteur public et pour qu'enfin « rien ne soit plus comme avant », allez chercher l'argent où il se trouve : mettez fin au scandale du bouclier fiscal, des parachutes dorés et des revenus indécents des dirigeants d'entreprises. Comptez-vous prendre enfin cette mesure de justice fiscale que l'immense majorité de nos concitoyens attendent ? Si vous ne le faites pas, eh bien oui, tout va continuer comme avant ! (Applaudissements à gauche)

M. Guy Fischer.  - Bravo !

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi .  - Vous nous demandez des actes. Eh bien, je vais vous donner la preuve que nous tenons nos engagements. Dans le domaine social, qui a rehaussé l'indemnisation du chômage partiel jusqu'à 90 % du salaire ?

M. Jacques Mahéas.  - Et le Smic ?

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Qui a créé le RSA ?

M. Didier Boulaud.  - Il n'est pas financé !

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Qui a instauré les conventions de reclassement personnalisé et en a développé l'usage ? Qui a porté de dix-sept à vingt-cinq le nombre de bassins d'emploi concernés par les contrats d'insertion professionnelle ? C'est notre majorité. (Marques d'approbation à droite)

Dans le domaine fiscal, qui a eu l'audace de vérifier l'efficacité des niches sociales et d'en plafonner le montant ? (Exclamations à gauche, nouvelles marques d'approbation à droite) Qui a eu le courage d'instaurer un plafonnement global des niches fiscales et de plaider au niveau international en faveur de l'éradication des paradis fiscaux ?

M. Bernard Piras.  - Baratin !

Mme Christine Lagarde, ministre.  - C'est encore notre majorité, sous l'autorité du Premier ministre et du Président de la République.

Vous revenez toujours au même sujet, celui du bouclier fiscal. Pourtant vous savez bien que les deux tiers des contribuables qui en bénéficient paient très peu d'impôts. (On ironise à gauche)

M. Didier Boulaud.  - Pourquoi donc fait-il perdre tant de millions à l'État ?

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Quant aux 14 000 foyers fiscaux qui touchent l'essentiel des remboursements, ils paient plus d'un milliard d'euros à l'État. Le bouclier fiscal se justifie par un principe simple : nul ne doit être contraint de verser à l'État plus de 50 % de ses revenus. (Vifs applaudissements à droite, protestations à gauche)

M. Didier Guillaume.  - Même en période de crise ?

Crise iranienne (I)

M. Rémy Pointereau .  - (Applaudissements à droite) Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.

M. René-Pierre Signé.  - Ministre étranger aux affaires !

M. Rémy Pointereau.  - Le 12 juin dernier, le peuple iranien s'est rendu aux urnes pour élire le nouveau Président de la République islamique. L'annonce de la victoire du président sortant Mahmoud Ahmadinejad a suscité de vives protestations. La réponse des autorités, qui ont choisi de réprimer les manifestations, a soulevé l'indignation de la communauté internationale.

M. Didier Boulaud.  - Et la Birmanie ?

M. Rémy Pointereau.  - Depuis le 13 juin, les manifestants subissent arrestations sommaires et violences physiques ; plusieurs d'entre eux sont morts. La gravité des événements et leur impact dans le monde nous invitent à la prudence : gardons-nous de stigmatiser et d'isoler ce régime, ce qui lui donnerait des arguments dans ses diatribes contre l'Occident. Souvenons-nous également que sa volonté de puissance nucléaire menace la paix internationale.

Pourtant nous ne pouvons assister sans réagir à de telles violences et à ce déni de démocratie. Comment imaginer que des observateurs internationaux vérifient la régularité des élections alors même que certains diplomates étrangers doivent quitter le pays? Entre ingérence et inaction, quelle attitude la France peut-elle adopter afin de témoigner son soutien au peuple iranien ? Quelle marge de manoeuvre aura-t-elle lors de la prochaine réunion du G8 ? (Applaudissements à droite et au centre)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes .  - Entre ingérence et inaction, la marge est étroite. Que voulez-vous que nous fassions ?

M. Didier Boulaud.  - De la Realpolitik ! Vous avez bien changé, monsieur Kouchner !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Notre réaction a été très ferme dès le début des événements, et nous avons été rejoints depuis par l'ensemble de la communauté internationale, qui a condamné sans réserve la répression des manifestations. Mais nous n'envisageons pas de rompre nos relations diplomatiques avec l'Iran, à moins que le régime s'en prenne à nos diplomates ou à ceux de nos alliés européens : deux diplomates britanniques ont déjà été expulsés, et nous ne tolérerons pas que l'on s'en prenne à ceux qui sont restés en Iran. Si cela se produit, les vingt-sept pays de l'Union européenne s'accorderont comme ils l'ont déjà fait pour manifester leur solidarité active à l'égard des Iraniens.

M. Didier Boulaud.  - La Birmanie ?

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Sur la Birmanie, nous avons été au moins aussi fermes que sur l'Iran ! (M. Didier Boulaud s'exclame) Nous avons même été la plus ferme des diplomaties du monde, comme sur l'Iran ! Je n'accepte pas qu'on le conteste. Reportez-vous aux faits (« Bravo » et applaudissements à droite)

Entre l'inaction et l'ingérence, parfois nécessaire, nous nous tenons sur la crête. Nous ne laisserons pas faire. La menace ne pèse pas que sur les droits de l'homme ; il y a derrière la question du nucléaire militaire, sur laquelle l'Iran refuse de répondre à l'Agence internationale. Nous serons mesurés, mais très vigilants. (Applaudissements à droite, MM. Didier Boulaud et René-Pierre Signé ironisent)

Crise iranienne (II)

M. Jean-Pierre Plancade .  - Je partage l'essentiel de ce qui a été dit. L'Iran est un enjeu international majeur. Les allégations concordantes de fraudes électorales nous interpellent. Arrestations d'opposants, de journalistes, censure de l'information, restriction de la liberté de communication, graves violences à l'encontre des manifestants : nous condamnons ces atteintes aux droits de l'homme et nous saluons le courage des manifestants qui, au péril de leur vie, bravent l'interdiction de se rassembler, luttent pour défendre leurs convictions, leur vision de la démocratie. (Applaudissements à droite)

M. Yvon Collin.  - Très bien.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Notre inquiétude est accrue par la position géopolitique de l'Iran, ses liens avec le Hamas, le Hezbollah, la Syrie, sa probable possession de l'arme nucléaire, les déclarations agressives de son Président, inquiétantes pour Israël mais aussi pour le monde arabe.

Une crise politique durable en Iran déstabiliserait le Proche-Orient et plus largement les relations internationales. Il y a une contradiction manifeste entre l'ambition de l'Iran d'être une grande puissance régionale et le non-respect des droits de l'homme et du droit international.

M. Yvon Collin.  - Vrai.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Le secrétaire général des Nations Unies a condamné les violences et appelé au respect des droits civiques, tout comme l'Union européenne et de nombreux États. La France a exprimé sa préoccupation et appelé à la libération immédiate des opposants arrêtés.

Monsieur le ministre, quelle position compte défendre la France lors de la réunion à cinq prévue demain à Trieste, en marge du G8 ? Que pense la France de la proposition suédoise d'un dispositif d'accueil, d'aide et d'assistance dans les ambassades européennes à Téhéran ? (Applaudissements sur les bancs RDSE et sur plusieurs bancs à droite).

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes .  - La France respectera la tradition d'asile, comme toutes les ambassades occidentales. Pour l'heure, le cas ne s'est pas présenté, étant donné le dispositif policier hermétique autour des ambassades.

Au G8, nous publierons ce soir un texte ferme. Aux exactions que vous avez citées s'ajoutent les pressions faites sur M. Karoubi, l'un des candidats, pour renoncer à la journée de deuil prévue aujourd'hui.

Au sommet du clergé chiite, des voix dénoncent ces pratiques, mettent en garde contre l'isolement de l'Iran et soulignent que les sanctions pèsent surtout sur les plus défavorisés. Nous croyons que le mouvement de contestation sera profond et prolongé. C'est pourquoi nous serons attentifs, sans provocations -laissons cela à M. Ahmadinejad, qui s'est encore illustré aujourd'hui par des déclarations insupportables. Je crains d'autres expulsions de diplomates ; nous ne devrons pas rester cois. (Applaudissements à droite)

Congé parental

M. Claude Biwer .  - Je félicite tout d'abord Mme la secrétaire d'État à la famille pour l'élargissement de ses compétences à la solidarité. Ce rapprochement permet d'appréhender dans son ensemble la problématique de l'égalité entre hommes et femmes.

Le Haut conseil de la famille, qui remplace la Conférence de la famille, avec un champ élargi, se réunit aujourd'hui pour la première fois. La France a le taux de natalité le plus élevé d'Europe : la politique familiale doit répondre aux attentes, en matière d'accueil des jeunes enfants, de congé parental ou encore d'articulation entre vie professionnelle et familiale.

Le Président de la République a évoqué un droit opposable à la garde d'enfants. Où en est cette réflexion ? Le Premier ministre veut une rénovation du congé parental, qui ne doit plus exclure du marché du travail. Vous avez évoqué un congé parental plus court et mieux rémunéré. J'espère pour ma part que cette charge ne pèsera pas sur les départements, qui peinent déjà à financer la prise en charge des personnes âgées... Quel dispositif comptez-vous mettre en place ? (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité .  - La France peut s'enorgueillir de sa politique familiale, qui nous permet d'avoir le taux de natalité le plus élevé de l'Union européenne. Nous devons mieux accompagner les familles, dans le cadre de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, faciliter la conciliation entre vie professionnelle et familiale.

Le Haut conseil, doté d'une meilleure gouvernance, lieu de concertation, fera des propositions.

Le congé parental concerne 573 000 personnes qui s'arrêtent de travailler pour s'occuper de leurs enfants de moins de trois ans ; il coûte 2 milliards. Seulement, il ne concerne des hommes que pour 1 % ! Le Haut conseil à la famille va donc faire des propositions pour inciter les pères à recourir davantage à ce congé, afin qu'il ne concerne pas seulement des mères, dont la moitié le prennent par défaut, en l'absence de structures de garde en quantité suffisante.

Le droit opposable ? Nous répondons d'abord à l'attente de nos concitoyens, qui souhaitent beaucoup plus d'équipements. Dans le cadre de l'accord entre l'État et les caisses d'allocations familiales, vont être proposées 200 000 offres de garde supplémentaires.

Vous voyez que nous intensifions notre politique familiale au service des familles. (Applaudissements à droite et au centre)

Attentat de Karachi

M. Jean-Pierre Godefroy .  - J'interroge Mme la garde des Sceaux en tant qu'ancien de la DCN de Cherbourg et ancien maire de la ville.

Lors des obsèques des victimes de l'attentat de Karachi, promesse fut faite aux familles et aux milliers de salariés de DCN venus rendre un ultime hommage à leurs compagnons que toute la vérité serait faite. Sept ans plus tard, la piste d'Al Qaïda, qui n'a jamais revendiqué l'attentat, semble s'effondrer, à telle enseigne que la justice pakistanaise a récemment remis en liberté deux personnes condamnées en première instance et innocentées en appel. Lors de la visite en France, le 15 mai 2009, du Président pakistanais, les familles des victimes souhaitaient que le Président de la République obtienne de sa part des informations sur cette remise en liberté ; il n'en fut rien. Le 18 juin dernier, lors d'un entretien avec les familles au tribunal de grande instance de Cherbourg, les deux juges d'instruction antiterroristes chargés de l'enquête ont avancé la thèse d'un règlement de compte lié à des non-versements de commissions, la qualifiant de « cruellement logique ». S'il convient d'aborder ce dossier complexe avec rigueur, le contexte judiciaire nouveau exige que toute la lumière soit faite. Comme l'a dit l'une des victimes, blessée dans cet attentat, « si tout cela est bien vrai, alors on nous a sacrifiés ».

Le Président de la République, interrogé à Bruxelles, a parlé d'une « fable ». Envisage-t--il, comme il s'y était engagé, de recevoir les familles des victimes ?

Le Gouvernement dispose-t-il d'informations sur cet attentat ? Si elles relèvent du secret défense, est-il prêt à les déclassifier pour faciliter le travail des juges ?

Le Gouvernement est-il prêt à faire la lumière sur le contrat de vente à l'État pakistanais des sous-marins Agosta à l'origine de ces supposées commissions et peut-être donc de cet attentat ? Les déclarations, ce matin, de M. Millon, ministre de la défense en 1995, semblent conforter la thèse avancée par les juges antiterroristes Pour ce qui nous concerne, nous souhaitons la constitution d'une mission d'information parlementaire sur ce sujet.

Ces questions sont d'autant plus urgentes que le Gouvernement envisage de supprimer les juges d'instruction et d'élargir le champ du secret défense, ce qui ne facilitera pas l'émergence de la vérité. La mémoire de nos concitoyens nous appelle à exiger la transparence. (Applaudissements à gauche)

M. René-Pierre Signé.  - Question embarrassante !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Malheureusement, je connais bien le drame du 8 mai 2002 : cela faisait six heures que j'avais pris mes fonctions de ministre de la défense. Je me suis immédiatement rendue sur place ; j'ai assisté aux obsèques -comme vous le savez puisque vous y étiez ; j'ai à de nombreuses reprises reçu les familles.

Il est évident que la lumière, toute la lumière, doit être faite. J'y tiens tout particulièrement. Nous le devons aux victimes et à leurs familles. Nous ferons en sorte que ce soit fait, dans des circonstances dont vous avez dit vous-même, avec le sens des responsabilités qui vous distingue, qu'elles étaient très complexes - et vous savez plus de choses que bien des commentateurs. Ce dossier doit donc être traité avec détermination, sérieux et sérénité. L'information judiciaire a été ouverte dès le 27 mai 2002 ; les juges qui en sont chargés bénéficient de toute l'aide nécessaire, y compris en matière de coopération internationale. Le gouvernement, les gouvernements sont très attachés à ce que la vérité apparaisse afin qu'ensuite la justice puisse passer.

Une mission parlementaire d'information ? La décision en revient à votre Assemblée, étant entendu que cette mission agirait dans le strict respect de la séparation des pouvoirs et du secret de l'instruction. (Applaudissements à droite et au centre)

Crise du lait

M. Philippe Paul .  - Depuis l'accord du 3 juin dernier sur le prix du lait, la situation s'est aggravée. De nombreuses exploitations sont au bord de la faillite et du dépôt de bilan. Les prix moyens variant de 262 à 280 euros pour 1 000 litres prévus par l'accord ont, dès le départ, été déclarés insatisfaisants par la profession, malgré le plan d'aide de 30 millions pour les éleveurs en difficulté. Des producteurs du Finistère ont été payés 247 euros les 1 000 litres et, comme l'a dit ce matin notre collègue Muller, Entremont a réglé, hier, les 1 000 litres 205 euros.

La semaine dernière, une négociation s'est tenue à Bercy, avec le secrétaire d'État à la consommation et les producteurs, mais en l'absence des grands distributeurs. Tout semble fait pour que les producteurs perdent patience.

Comment expliquer cet écart énorme entre le prix payé aux producteurs et le prix de vente aux consommateurs ? La vérité doit être enfin dite ; la transparence est une exigence républicaine ! Nos agriculteurs souffrent, la filière est au bord du gouffre. Personne d'autre n'accepterait de travailler à perte sans aucune perspective ni soutien.

A l'issue du conseil des ministres européens qui vient de se tenir à Luxembourg, nous savons que la France a appelé à une mobilisation de tous les outils de gestion du marché pour soutenir les cours. La réflexion se porte effectivement sur une nouvelle gouvernance des marchés laitiers. Nous sommes tous conscients que la loi de modernisation de l'économie doit impérativement être modifiée. Mais, quel que soit le niveau, européen ou national, les solutions qui se mettent en place ne peuvent pas résoudre dans l'immédiat les difficultés des producteurs. Vous arrivez à ce ministère ; la tâche sera rude. Nous comptons sur vous pour que nos producteurs de lait puissent vivre décemment de leur métier. Pouvez-vous nous assurer de votre détermination et nous dire dans quelle direction vous allez porter vos efforts ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche .  - Comme ce matin, je vous assure que nous ne nous laisserons pas tomber la filière laitière (applaudissements à droite), afin que les producteurs puissent pourvoir vivre dignement et sereinement de leur travail.

Avec le Premier ministre, nous avons pris un certain nombre de décisions, notamment un soutien de 30 millions d'euros à la filière. L'accord fixant à 280 euros le prix des 1 000 litres doit être scrupuleusement respecté. A l'échelle communautaire, nous avons demandé que toutes les possibilités de régulation -notamment de stockage- soient mises en oeuvre. Il y a quelques minutes, j'ai reçu Mme Fischer-Boel au cours d'un long entretien pour lui demander d'utiliser toutes les marges de manoeuvre communautaires.

Ainsi que je l'ai dit ce matin, nous devons obtenir une transparence totale en matière de prix : c'est une exigence républicaine. A la demande du Premier ministre, une étude sera conduite pour savoir où va l'argent. Les conclusions sont attendues par les producteurs laitiers et par l'ensemble des Français. Nous les connaîtrons très prochainement.

Mais nous devons aussi mieux organiser la filière en contractualisant les relations entre les producteurs, les transformateurs et l'industrie agroalimentaire, car aucun agent économique ne peut supporter des prix variant de 30 % d'une année sur l'autre. Cette filière a besoin de visibilité.

Sur le plan communautaire, j'ai clairement dit à Mme Fischer-Boel qu'il faudrait surveiller la fin des quotas laitiers. Des rendez-vous sont déjà prévus en 2010 et 2012. Clairement, ce secteur ne peut se passer de régulation.

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Je rencontrerai les autres commissaires la semaine prochaine. Je me rendrai aussi en Allemagne pour tisser une alliance. Bien sûr, je serai dès demain en Seine-Maritime pour examiner la situation avec les producteurs laitiers. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Je rappelle au Sénat que l'excellent rapport d'information du sénateur Bizet vient de paraître. (Applaudissements à droite)

Respect des droits de l'homme en France

M. Alain Anziani .  - Ma question s'adresse à Mme Alliot-Marie en tant que ministre des libertés.

Les rapports publiés récemment par deux autorités administratives indépendantes nous alertent sur la situation inquiétante des libertés publiques.

Ainsi, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a rappelé l'état inhumain de nos prisons. Le projet de loi pénitentiaire, adopté ici en urgence le 6 mars, sommeille encore sur les rives de la Seine. (On se demande à droite ce que la gauche a fait) Pendant ce temps, les règles pénitentiaires européennes restent lettre morte, les suicides de détenus ou de surveillants se multiplient et « l'humiliation pour la République » perdure.

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a dénoncé les atteintes à la dignité des personnes arrêtées, le recours abusif au menottage, les fouilles avec mise à nu quasiment systématique, les perquisitions arbitraires et les violences contre des mineurs. La commission déplore que ses recommandations soient « si souvent méconnues et que la hiérarchie policière ne veille pas mieux à leur application ». Il ne s'agit pas de simples bavures mais de comportements systématiques car nous avons affaire à une culture -favorisée par le Gouvernement- considérant les droits de la personne comme secondaires.

Devant le Congrès, le Président de la République a évoqué les libertés publiques et les prisons. Fort bien ; mettre en accord ses actes et ses paroles serait mieux.

Que compte faire le Gouvernement pour faire respecter en toutes circonstances les droits de la personne humaine ? (Applaudissements à gauche)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés .  - Adopté par la Haute assemblée en mars, le projet de loi pénitentiaire doit maintenant être examiné par l'Assemblée nationale. Le Président de la République a souvent souligné l'attention extrême qu'il accordait au monde pénitentiaire. Il m'a confié ce dossier comme prioritaire.

J'ai déjà répondu dans d'autres fonctions aux critiques portant sur l'attitude de policiers : tout manquement à la déontologie est sanctionné.

M. Guy Fischer.  - Pas tant que ça !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Bien plus qu'on ne le pense généralement. J'avais donc annoncé, lors de la synthèse des forums, que tous les rapports et toutes les sanctions seraient désormais publiés.

L'état des prisons est extrêmement insatisfaisant, sur les plans quantitatifs et qualitatifs. Améliorer les conditions de détention est une de mes priorités, que je concrétiserai en construisant de nouveaux établissements et en en réhabilitant certains. S'ajoutera un aménagement plus fréquent des peines, notamment grâce au bracelet électronique, car l'emprisonnement et l'aménagement sont complémentaires pour protéger nos concitoyens contre la délinquance, respecter la dignité humaine de chacun et favoriser la réinsertion, indispensable au progrès de la sécurité.

J'ai souvent dit que la sécurité était une chaîne. Comme garde des Sceaux, je continuerai à y prendre ma part. (Applaudissements à droite)

Crash du vol Rio-Paris

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx .  - Nos pensées tristement émues vont vers les victimes du crash de l'avion d'Air France qui s'est abîmé dans l'océan pendant la nuit du 31 mai au 1er juin en reliant Rio de Janeiro à Paris. Elles vont aussi vers leurs proches.

Nous nous associons pleinement à l'hommage, tout d'émotion et de solidarité, qu'a rendu, lors de sa visite au Brésil, le Président du Sénat. Les familles ont été sensibles à l'attention que vous-même et M. Borloo leur avez témoignée. La nomination de Pierre Jean Vandoorne comme ambassadeur chargé des familles a été perçu comme un geste fort. La mobilisation a été active, venue d'acteurs de tous horizons.

Reste que les familles sont déchirées face à la multiplication des démarches : quatre dossiers, quatre adresses différentes, une lettre du Président de la République, une lettre du groupe d'enquête et d'analyse, une lettre de la cellule de crise d'Air France... Elles ne savent plus où téléphoner, qui contacter, et cela ne fait qu'ajouter aux difficultés psychologiques et matérielles qu'elles traversent. Ne serait-il pas souhaitable, pour la qualité de l'aide apportée aux victimes, de simplifier les procédures en centralisant tous les dossiers en un guichet unique, avec une adresse unique ? (Applaudissements à droite et au centre. M. Jean-Pierre Sueur applaudit aussi)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports .  - Je vous remercie d'avoir rappelé combien les familles ont été sensibles au geste de solidarité du Président Larcher et je m'associe à votre hommage. Je sais, madame la sénatrice, combien sensible vous êtes à ce drame, puisqu'une entreprise de votre département compte plusieurs victimes parmi ses salariés. Il est vrai que tout doit être fait pour accompagner les familles. Nous gardons le contact avec elles, celles des passagers comme celles des membres de l'équipage, et nous mesurons les difficultés auxquelles elles se heurtent. Il faut retrouver les corps, identifier ceux qui l'ont été, mener les autopsies, déclarer le décès, ce qui peut prendre du temps ; viennent encore les problèmes d'assurance, d'indemnisation, les relations avec la justice, la tutelle des orphelins, auxquels il faut trouver des familles d'accueil.

Tout cela requiert la plus grande clarté. Air France fait son travail d'information. Le Premier ministre a nommé comme ambassadeur auprès des familles M. Vandoorne, qui, ambassadeur au Venezuela, s'était distingué, lors du crash qui a coûté la vie à plusieurs de nos compatriotes antillais, par sa grande humanité. Il est en contact téléphonique avec chacune des familles, qui dispose également d'un téléphone pour l'accès à l'information.

Il faut, à présent, que l'enquête menée, sous l'autorité judiciaire, par le bureau d'enquête et d'analyse, que l'on a vu mobilisé en juin par le tragique accident de l'Isère, progresse. Une conférence de presse aura lieu jeudi prochain. J'appelle la presse et les médias, par respect pour les familles, à faire preuve de la plus grande prudence tant que le bureau d'enquête n'a pas confirmé l'identification des corps. Le Gouvernement mettra tout en oeuvre pour assurer un accompagnement des familles dans lequel nous mettons toute notre humanité et toute notre affection. (Applaudissements à droite et au centre)

Installation de défibrillateurs

M. Alex Türk .  - J'ai depuis trois ans, madame la ministre de la santé, pris l'initiative, avec Mme Desmarescaux, dans notre département du Nord, de développer, en liaison avec les maires, l'installation de défibrillateurs cardiaques dans nos communes. Nous fêterons dans quelques jours le dixième appareil installé. Vous en connaissez l'utilité puisque vous êtes venue dans notre département à l'occasion du lancement de notre plan de développement, ce dont je vous remercie.

Nous rencontrons cependant deux difficultés. L'article premier du décret du 4 mai 2007 n'est pas totalement applicable, puisque manque l'arrêté qui doit en préciser deux dispositions importantes : d'une part, la localisation en amont des appareils, qui doit permettre aux pompiers et au Samu de gagner un temps précieux dans les situations d'urgence ; d'autre part, la collecte de l'information sur la survenance de ce type d'accidents et l'usage de l'appareil, qui doit permettre aux chercheurs de mieux comprendre les causes, au bénéfice de la prévention. Ces éléments manquant au système, c'est la bonne volonté des Samu et des permanences parlementaires qui permet, pour l'instant, d'assurer une centralisation « artisanale » de l'information.

Se pose également un problème de signalisation. Alors que l'on n'a pas de problème à reconnaître un extincteur, tel n'est pas le cas pour les défibrillateurs, qui ne bénéficient pas d'une signalétique uniforme -couleur, symbole... Une telle uniformisation mériterait d'ailleurs d'être imposée à l'échelle européenne. Elle permet de faire naître les réflexes adéquats. Nous avons déjà, grâce à ce dispositif, sauvé plusieurs personnes dans le Nord. Cela mériterait que l'on réfléchisse à une harmonisation du système. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports .  - Je sais que vous êtes, monsieur Türk, un militant du défibrillateur. J'ai souvenir qu'à l'occasion d'une visite, comme président de la Cnil, vous m'en aviez fait une démonstration. (Rires entendus ; Mme la ministre se joint aux rieurs) Je ne m'en porte pas mal. Je suis toujours au Gouvernement. (Nouveaux rires)

L'utilisation de défibrillateurs fait passer le taux de survie de 2 % à 30 %. Ce sont donc, grâce à eux, 2 500 à 3 500 vies sauvées chaque année. N'oublions pas que l'on déplore plus de 500 décès au cours d'exercices sportifs, dont 45 % sur les lieux mêmes.

Nous avons donc développé une politique ambitieuse d'installation. J'ai mis 2 millions pour équiper les institutions, les établissements publics ont également mis la main au pot, la SNCF a équipé 150 gares et toutes ses rames de TGV. Les collectivités locales aussi, et je les en remercie, se sont mises de la partie, ainsi que certains opérateurs privés, comme certaines grandes surfaces qui ont installé des défibrillateurs dans leur galerie marchande.

Il est vrai qu'à la suite de la publication du décret de 2007, un arrêté reste à prendre sur l'harmonisation et sur le recueil des données.

Nous allons prochainement disposer d'une fiche uniformisée de recueil de données, ce qui nous permettra de suivre ces statistiques de façon beaucoup plus précise.

Quant à la géo-localisation, il n'y a évidemment pas d'obligation de déclarer les défibrillateurs, mais mes services sont en train de rédiger un arrêté pour préciser les choses. Je compte beaucoup sur les agences régionales de santé (exclamations à gauche) pour lancer un recensement des appareils de défibrillation afin de connaître précisément leur localisation.

En ce qui concerne la signalétique, l'Ilcor, le Comité international de liaison de la ressuscitation, a proposé un logo avec un coeur blanc sur fond vert et un éclair vert avec une petite croix blanche sur le côté. Bien sûr, il ne s'agit que d'une préconisation, mais nous demandons à l'ensemble des opérateurs d'utiliser ce logo qui sera bientôt connu par nos concitoyens et j'étudie la meilleure façon de généraliser cette signalétique. (Applaudissements à droite, au centre et sur divers bancs socialistes)

La séance est suspendue à 16 heures.

présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente

La séance reprend à 16 h 20.

Pôle emploi (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. André Vantomme à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur le fonctionnement du Pôle emploi.

M. André Vantomme, auteur de la question.  - Le Pôle emploi est-il vraiment une réponse efficiente et suffisante à l'inquiétante progression du chômage qui nous touche cruellement depuis le début de l'année ? « L'emploi salarié s'est effondré au premier trimestre », titrait récemment un grand quotidien national. Aucun secteur n'est épargné et nous avons perdu 187 800 emplois salariés au premier trimestre, selon l'Insee, soit la plus forte baisse nette depuis 1945. Tout laisse à penser que le seuil des 10 % de chômeurs sera franchi d'ici la fin de l'année. Pouvez-vous nous fournir votre vision de la situation de l'emploi ? Après avoir entendu votre réponse, nous aurons à nous mettre à la place de nos concitoyens confrontés à la perte de leur emploi, au chômage partiel ou total, à la fin de leurs droits. Nous saurons relayer leur détresse et leur désespoir devant les conséquences terribles de la crise. Nous partageons leurs inquiétudes, leurs craintes et savons comment ces situations entraînent une dégradation de la santé, des rapports sociaux et familiaux, voire des drames. Au-delà des divergences politiques, les valeurs républicaines et humanistes que nous partageons doivent nous permettre d'avancer et de faire de ce moment un temps de lucidité et d'introspection sur les réponses à apporter au chômage, sans oublier notre jeunesse qui a tant de mal à accéder à l'emploi.

Bien sûr, le Gouvernement n'est pas seul responsable et la crise est mondiale. Mais les excès du libéralisme financier, qui nous ont amenés là où nous sommes, ont été autorisés par l'idéologie ultralibérale que prônent sans scrupule certains de vos amis, tandis qu'une cupidité sans limite dérégulait une économie mondiale déjà inégalitaire. Nos concitoyens en ont conscience.

S'il est un domaine où le Gouvernement et sa majorité sont pleinement responsables, c'est le choix des questions sur lesquelles il entend légiférer. Ainsi de la réforme du service public de l'emploi. Objectif du Président de la République, annoncée pendant la campagne présidentielle afin de dégager des économies et d'améliorer la prise en charge des demandeurs d'emploi, la fusion ANPE-Assedic, pièce maîtresse de son projet électoral, devait être menée coûte que coûte, d'où l'urgence déclarée.

Si les fusions sont toujours délicates, celle-ci est rendue plus complexe par les différences entre les Assedic et leurs salariés de droit privé, familiers de l'indemnisation d'une part, et l'ANPE, d'autre part, dont les agents de droit public s'occupent du suivi des chômeurs. Voilà deux métiers, deux statuts différents, et deux grilles salariales, avec un différentiel de 30 %. Il va falloir négocier une convention collective, ce que beaucoup redoutent. Quant à la polyvalence, comment apprendre un métier en quelques jours ? Et il y a les locaux et l'informatique ! L'aménagement des 956 pôles mixtes a pris du retard. On appréhende des inégalités territoriales : cette réforme ne doit en aucun cas servir de prétexte à un nouveau desserrage du maillage dans les zones rurales. Le déplacement est crucial car comment se rendre à une convocation à 30 kilomètres ? La possession d'un véhicule n'est pas une condition pour être inscrit. Les pôles doivent absolument être accessibles par tous et partout.

Cette fusion avait été conçue dans une période de baisse du chômage et de retour au plein emploi pour 2012, un schéma auquel plus personne ne croit.

L'Unedic envisage 640 000 chômeurs de plus pour 2009, dont beaucoup de jeunes. Les perspectives les plus pessimistes font état d'un million. Durant les trois premiers mois de l'année, 250 000 chômeurs supplémentaires se sont inscrits à Pôle emploi. Les 45 000 salariés du Pôle, débordés, doivent apprendre leurs nouvelles missions tout en s'occupant chacun d'un portefeuille d'au moins 120 demandeurs d'emploi -200 pour certains sites. Les 1 840 embauches prévues seront insuffisantes. Il en résulte une démobilisation du personnel qui ne peut plus honorer les rendez-vous mensuels avec les inscrits et ne s'occupe que du suivi des chômeurs indemnisés.

Pôle emploi n'est donc absolument pas opérationnel, quels que soient les efforts de l'agence de communication engagée pour tenter de faire le contraire. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous préciser le coût de cette communication ?

De surcroît, depuis le 1er juin, le RSA a été généralisé. Selon Martin Hirsch, il concerne sept millions de Français. Pôle emploi voit donc arriver en masse de nouvelles personnes à accompagner, le plus souvent très éloignées, et depuis longtemps, du marché du travail. Il lui faut également prendre en compte la fin de la dispense de recherche d'emploi pour les personnes âgées de plus de 57 ans et demi... Pôle emploi a donc décidé de confier le traitement de 320 000 chômeurs à des cabinets privés. Peut-on continuer à prétendre que la fusion renforce l'efficacité du service public de l'emploi et permet de faire des économies ?

Le système est surchargé, la plateforme téléphonique sous tension, le suivi mensuel impossible... Les agents ne peuvent plus assurer les visites aux entreprises, alors que le nombre d'offres d'emplois est en chute libre, ni mettre en relations recruteurs et demandeurs d'emploi, ni préparer les entretiens. Dans ces conditions, ils vivent de plus en plus mal le nouveau dispositif d'offre raisonnable d'emploi. Les tensions montent, chez les agents comme chez les usagers qui subissent des menaces de radiation répétées.

Monsieur le secrétaire d'État, ma question est simple. La crise ne pouvant à elle seule expliquer ces dysfonctionnements, quelles actions comptez-vous mener pour mettre fin à la dégradation des conditions de travail des agents du Pôle emploi ? Que proposez-vous pour redonner vie à notre service public de l'emploi qui, jour après jour, perd encore plus en humanité et en efficacité en raison d'une fusion précipitée et mal préparée ? Vos réponses bénéficieront de l'attention de la représentation nationale, de plus en plus sensibilisée à l'efficacité du dispositif, des agents de cette structure et de nos concitoyens qui, tout en sachant qu'il ne faut pas accuser le baromètre quand il fait de l'orage, attendent du service public de l'emploi une indispensable contribution à la résolution de leurs problèmes. (Applaudissements à gauche)

Mme Annie David.  - Un peu plus d'un an après l'adoption de la loi organisant la fusion de l'ANPE et des Assedic, la réalité est loin d'être celle que vous nous annonciez. Plutôt que d'un guichet unique, il s'agit d'une vitrine unique...

Nous nous étions opposés à ce texte, considérant que cette fusion dissimulait la volonté d'accroître la coercition sur les salariés privés d'emploi ainsi que l'employabilité de ces derniers, comme des personnels de la nouvelle agence. Nous dénoncions les risques de la gestion par une seule personne des missions de placement, d'indemnisation, de contrôle et de sanction, et regrettions que cette réforme ne tire aucune conséquence des expérimentations menées. Ainsi, les maisons de l'emploi constituaient un exemple de guichet unique évitant l'écueil de la concentration des missions.

Les difficultés du Pôle emploi sont tellement nombreuses que tous les acteurs concernés, y compris les organisations syndicales favorables à la fusion, dénoncent des conditions de travail qui ne permettent pas de répondre aux besoins des usagers ou à l'attente des salariés. Ces derniers doivent désormais accomplir deux missions radicalement différentes : l'aide au placement et l'indemnisation. En janvier 2008, nous vous mettions déjà en garde sur les risques d'une fusion précipitée. Nous ne voulions pas stigmatiser les salariés, mais relayer leurs inquiétudes. Aujourd'hui, nous nous apercevons que nos critiques étaient fondées : la fusion se réalise dans la douleur et la souffrance pour bon nombre d'entre eux. D'après Christian Charpy, directeur du Pôle emploi, 4 500 agents seraient déjà formés à la double compétence. Mais la formation, autrefois de six mois, ne dure aujourd'hui que trois à sept jours.

L'agence a créé le 3949, numéro surtaxé à destination des salariés privés d'emploi. Il est inacceptable que le service public de l'emploi ne soit pas disponible gratuitement, d'autant que les demandeurs d'emplois ne peuvent plus bénéficier d'un accueil immédiat par un conseiller. Ce n'est pas tant la modernité de l'outil qui importe, mais son usage social : ce service vous permet d'éloigner les demandeurs d'emploi de l'agence et de minimiser la réalité de la situation. Selon vous, cette réforme était le gage d'une plus grande proximité. Avant la fusion, il y avait 650 agences Assedic et 900 ANPE, or le Pôle emploi devrait compter 946 sites en octobre 2009, soit à peine plus que les implantations de l'ANPE. Cela ressemble plutôt à une vaste opération immobilière... Franck Marlin, député-maire d'Étampes, a déclaré à propos de la fermeture de l'agence de La Ferté-Alais que « cela mettra un terme au suivi personnalisé ».

Le délai de traitement des dossiers ne cesse de s'allonger : cette situation est sans doute liée au manque de personnel. Pôle emploi compte 42 000 salariés, alors que le rapport de Serge Dassault estimait les besoins supplémentaires à 18 000 agents afin de limiter le portefeuille des conseillers à 60 personnes, voire 30 pour les cas les plus difficiles. Aujourd'hui, ces portefeuilles peuvent atteindre 100 à 150 demandeurs d'emplois.

Le recrutement en urgence de 1 840 salariés n'est pas satisfaisant : il y aura à peine un salarié de plus par agence, une goutte d'eau face aux quelque 2 000 nouvelles inscriptions quotidiennes. De quelle formation ces nouveaux agents bénéficieront-ils ? Quand pourront-ils être des « interlocuteurs uniques » ? Quant au recrutement supplémentaire de salariés en contrats aidés, il témoigne d'une méconnaissance de la situation actuelle de l'emploi : la crise sera durable et exige une réponse tout aussi durable des pouvoirs publics.

Il y a également beaucoup d'interrogations au sujet des personnels d'orientation de l'Afpa qui devraient intégrer l'agence. Y en aura-t-il un par agence, puisqu'ils sont environ 960 ? Quel sera leur statut ?

En outre, nous assistons à une privatisation toujours plus importante des missions du service public de l'emploi au bénéfice des opérateurs privés de placement, auxquels les salariés du Pôle emploi doivent confier les demandeurs d'emploi correspondant au profil attendu. Le budget qui leur est consacré est passé de 88 millions d'euros en 2008 à 100 millions en 2009, et il devrait atteindre 200 millions en 2010. Christian Charpy, alors directeur de l'ANPE, nous a déclaré que : « pour des populations comparables, les résultats sont identiques entre l'ANPE et le privé, mais pour un coût trois fois plus faible à l'ANPE. [...] On peut être public et efficace ». Le discours a radicalement changé ! Le rapport de juin 2008 du Centre de recherche en économie et en statistique (Crest) et de l'École d'économie de Paris juge « trop faible pour être statistiquement significatif » l'effet positif du recours aux opérateurs privés. Le taux de placement est de 5,7 % à neuf mois dans le privé alors qu'il est de 16,9 % dans le secteur public, pour des prestations s'élevant à 3 500 euros pour le secteur public contre 700 pour le privé.

Nous pensons toujours que cette réforme n'était pas guidée par un souci d'efficacité, mais par des motivations dogmatiques et idéologiques. Il s'agissait de permettre au patronat de disposer d'une main-d'oeuvre à moindre coût en recourant à la coercition sociale. Les salariés privés d'emplois en sont les victimes, ce qui est d'autant plus inacceptable qu'ils subissent une politique entrepreneuriale motivée par la rentabilité, avec la masse salariale comme variable d'ajustement. Là encore, votre Gouvernement est responsable en ce qu'il refuse de limiter les licenciements boursiers. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Procaccia.  - Moi qui fus rapporteur de la loi portant réforme de l'organisation du service public de l'emploi, je me félicite de l'implication et de la vigilance du Parlement à ce sujet. M. Arthuis et moi-même avons auditionné le mois dernier M. Christian Charpy, directeur général du Pôle emploi, tandis qu'à l'Assemblée nationale mon homologue Dominique Tian remettait un rapport d'information sur la mise en oeuvre de la loi. Notre débat s'inscrit dans la continuité de ces travaux et témoigne de l'intérêt que le Parlement porte à cette question.

Je n'accuserai pas Pôle emploi de tous les maux. Certaines de mes remarques rejoindront celles de mes collègues, mais je souhaite que l'on laisse vivre cet organisme né il y a à peine six mois, et que l'on cesse d'accabler de critiques un bébé qui apprend tout juste à parler et à marcher ! (M. Guy Fischer ironise)

La structure du Pôle emploi a été définie par le législateur, en concertation avec les partenaires sociaux. Le personnel est au coeur de cette structure. Lors de l'examen de la loi, nous avions demandé que l'on conclût rapidement une convention collective commune afin de développer une culture d'entreprise partagée, et j'avais souhaité que l'on fixât une échéance. Quand la négociation aboutira-t-elle ? Le personnel du Pôle emploi doit enfin être déchargé du souci de son propre avenir et pouvoir se concentrer sur celui des demandeurs d'emploi. J'ai lu dans la presse qu'il était mécontent d'une organisation où l'ancienne ANPE prédomine et où l'information peine à descendre jusqu'à la base. A mon initiative, le Parlement a accordé au conseil d'administration la faculté de dénouer les conflits et de démettre le directeur général ; si nous n'en sommes pas là, c'est que le point de rupture n'a pas été atteint.

Le problème se pose aussi de la formation des conseillers, essentielle à la réussite de la fusion. Quand les 1 840 nouveaux conseillers seront-ils opérationnels ? Ce travail ne s'improvise pas.

J'en viens à la politique du Pôle emploi. Nous avons souhaité mettre ce nouvel organisme au service des demandeurs d'emploi, mais aussi des personnes qui souhaitent changer d'activité. Mais est-il en mesure de répondre aux besoins de ces derniers, alors que les chômeurs affluent ? Cette mission sera-t-elle confiée spécifiquement à certaines personnes ou à certaines agences ?

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la possibilité de recourir à des opérateurs privés. M. Vantomme et Mme David s'en sont émus. Mais il arrive déjà que l'on fasse appel au secteur privé ! Dans le Val-de-Marne, j'ai moi-même adressé des personnes handicapées et des seniors à la société A4E et j'ai pu constater son savoir-faire. Il me semble que face à la progression du chômage, il est utile de faire appel à toutes les expertises et de faire bénéficier les catégories de chômeurs les moins favorisées d'un accompagnement spécifique. Mais il faut s'accorder sur la répartition des dossiers : les décisions seront-elles prises au niveau national ou local ?

Puisque nous sommes au Sénat, je me dois de dire un mot des relations entre Pôle emploi et les collectivités locales. Dans quelques jours le RSA sera mis en place, de manière très différente d'un département à l'autre selon l'implication des conseils généraux. Mais l'État fera-t-il en sorte que les allocataires bénéficient partout des mêmes services ?

L'un de mes collègues a abordé la question des maisons de l'emploi et des missions locales : je n'y reviens pas.

En revanche, j'insiste sur la nécessité de mieux informer les élus locaux, comme j'y ai invité M. Charpy. On décide de regrouper des structures, de céder des locaux et d'en maintenir d'autres... Mais les élus sont les mieux à même d'assurer la bonne organisation du service public de l'emploi, car ils connaissent bien les réalités locales.

A titre personnel, je souhaiterais que l'on critique un peu moins Pôle emploi au Parlement et dans la presse. Même si certains reproches sont justifiés, ils alimentent la défiance des chômeurs qui ont pourtant un grand profit à tirer du service public de l'emploi. (Applaudissements à droite)

M. Guy Fischer.  - Il y a des réalités qui s'imposent !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Malgré les remarques pertinentes de Mme Procaccia sur les effets de la critique, je ne peux que déplorer la situation catastrophique du Pôle emploi. Le Président de la République déclarait en septembre 2007 : « Nous sommes sans doute le seul pays où le suivi de la recherche effective d'emploi est assuré par trois institutions : l'État, l'assurance chômage et l'ANPE. Autant dire que personne ne s'en occupe ». Il avait raison. Ce constat a conduit au vote de la loi du 13 février 2008 organisant la fusion de l'ANPE et des Assedic. Le Pôle emploi, né de cette fusion, devait être un des outils majeurs de la lutte contre le chômage, le remède miracle pour passer en dessous de la barre des 5 % de sans emploi à l'horizon 2012. Moins de six mois après sa création, la réalité est tout autre : les agences sont surchargées et le personnel mécontent, tandis que les chômeurs affluent.

La mise en place du Pôle emploi est un échec, et la grève de la semaine dernière illustre le malaise des agents. La formation des anciens employés des Assedic à l'accompagnement et de ceux de l'ANPE à l'indemnisation reste insuffisante. Le personnel subit la précarité et la dégradation de ses conditions de travail. Mme Lagarde avait annoncé qu'aucun conseiller ne serait chargé de plus de 60 dossiers, voire de 30 dans les cas difficiles. En réalité, cette charge s'élève à 100 ou 150 dossiers, et même à 300 pour gérer le flux des nouveaux inscrits. Les files d'attente s'allongent et les usagers sont mécontents. La création annoncée de 1 840 postes dans les agences et de 500 postes dans les plateformes est insuffisante. Cette situation aggrave les tensions : les agressions physiques et verbales se multiplient, et il y a peu de chances que les choses s'améliorent.

Or nous avons besoin d'un Pôle emploi performant. La France subit sa plus grave crise économique de l'après-guerre. Tout récemment, Pôle emploi a fait état de 175 100 destructions nettes d'emplois salariés au premier trimestre 2009 ; à la mi-mai, le ministère de l'emploi n'en prévoyait que 138 000. Cette chute d'ampleur inédite concerne tous les secteurs économiques et devrait se poursuivre encore plusieurs mois. La réforme aurait dû être plus mûrement préparée et accompagnée des moyens humains nécessaires.

De cette expérience, je retiens deux leçons : simplifier les structures ne suffit pas toujours à en améliorer le fonctionnement ; et l'on ne réforme pas contre les agents, mais avec eux. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Jeannerot.  - Ayant consacré 30 ans de ma vie professionnelle à l'ANPE, puis à l'Afpa, je suis viscéralement attaché au service public de l'emploi. Malgré les dysfonctionnements décrits par mes collègues, Pôle emploi joue en ces temps de crise un rôle irremplaçable d'amortisseur social.

Je veux rendre hommage aux 45 000 agents : animés par la volonté d'apporter le meilleur service au public, ils ne peuvent être tenus responsables des difficultés observées. Premiers témoins de la détresse des demandeurs d'emploi, ils font tout pour atténuer les conséquences d'une réorganisation dévastatrice. Appelés à cesser le travail par leurs organisation syndicales, ils n'ont pas voulu ajouter à cette détresse des désagréments supplémentaires.

Dans un contexte de dégradation du marché du travail, le service public de l'emploi, qui devrait être pleinement mobilisé et réactif, est en plein chantier. Les demandeurs d'emploi sont soumis à une double peine : leur emploi perdu, ils se retrouvent pris dans un parcours kafkaïen, fait de retards et d'embouteillages. Dans ma région, un agent du Pôle emploi gère 200 dossiers individuels. L'objectif était 60... Et je ne parle pas de l'accueil téléphonique au 3949, coûteux et impersonnel.

La mise en place du RSA au moment où Pôle emploi est en pleine restructuration inquiète le président de conseil général que je suis : il y a un enjeu social, mais aussi financier !

Les conséquences pèsent aussi sur les entreprises. Dans mon département, deux entreprises ont été rayées de la carte en 48 heures : la Papeterie du Doubs et GFD à l'Isle-sur-le-Doubs. Le fatalisme s'installe devant la destruction industrielle. Dans ce contexte, nous devrions pouvoir compter sur un service public de l'emploi offensif, capable de promouvoir des dispositifs d'accompagnement à l'emploi, d'orienter vers des parcours de formation. Vous en avez besoin, monsieur le ministre, comme nous !

A Versailles, le Président de la République a prôné les parcours de transition professionnelle. N'était-ce qu'incantation ? Comment Pôle emploi peut-il remplir sa mission de prospection et de conseil quand il peine à assurer l'accueil élémentaire des chômeurs ? La baisse des offres d'emploi de 25,7 % par rapport à avril 2008 traduit certes la détérioration de la conjoncture, mais aussi l'incapacité du Pôle emploi de mobiliser les potentialités du marché du travail.

Fusionner ANPE et Assedic en un guichet unique était une idée séduisante, déjà prônée par certains lors de la création de l'ANPE par Jacques Chirac, alors jeune secrétaire d'État aux affaires sociales, en 1967. Vous l'avez fait. Hélas, cette fusion est un échec, pour les usagers comme pour les personnels.

Vous avez cumulé les ingrédients du désastre, même si tout ne vous est pas imputable. La réforme vient au pire moment, alors que le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A a augmenté de 24 % par rapport à 2008, et de 40 % en Franche Comté ! Lancerait-on des travaux dans un grand magasin au moment des plus fortes ventes ?

L'ANPE et l'Assedic sont de culture différente : administrative pour la première, paritaire pour la seconde. Les agents de l'Assedic ont un statut de droit privé, et un salaire de 30 % supérieur à leurs homologues de l'ANPE. Surtout, il s'agit de deux métiers différents : l'ANPE exerce une fonction d'intermédiation sur le marché du travail, d'accompagnement du demandeur d'emploi, de prospection et de conseil auprès des entreprises ; l'Assedic, une fonction d'indemnisation et de collecte des cotisations. Vos services ont mal mesuré ces difficultés. S'y ajoute la formation insuffisante des personnels : trois jours seulement pour apprendre les techniques d'indemnisation, sept pour l'accompagnement des demandeurs !

Les modalités de la fusion n'ont pas été suffisamment concertées avec les syndicats. A vouloir aller vite, vous avez agi à la hussarde, sans réfléchir suffisamment à l'organisation du travail. Est-il opportun de vouloir aujourd'hui intégrer en sus les 900 psychologues de l'Afpa ?

Cette situation, indigne pour les demandeurs d'emploi, ne peut perdurer, d'autant qu'elle entrave la fluidité du marché du travail à un moment où celui-ci doit être le plus réactif possible.

Monsieur le ministre, j'attends que vous nous précisiez la situation actuelle, et que vous dressiez un inventaire des conséquences de la réforme pour les demandeurs d'emploi et les entreprises. Quelles mesures correctrices entendez-vous prendre ? Il faudra redéfinir les conditions de dialogue social revoir les dispositions organisationnelles, définir le contenu des postes de travail. La polyvalence des compétences s'impose-t-elle immédiatement ? Quid des exigences de formation et de recrutement, des conséquences immobilières et informatiques, de l'impact financier ? La réforme, qui devait mutualiser les ressources des deux institutions, risque in fine de coûter plus cher au contribuable au regard du gain de service enregistré... Votre réponse sera examinée avec attention par la représentation nationale, par les personnels mais aussi par les millions de demandeurs d'emploi qui attendent du service public un accompagnement qu'ils ne trouvent plus. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Fouché.  - Le Pôle emploi a été créé pour favoriser la mise en oeuvre d'un service public de l'emploi plus efficace ; il regroupe ANPE et Assedic afin d'être l'opérateur « exclusif » de l'accompagnement vers l'emploi des demandeurs d'emploi. Cependant, la forte croissance du nombre de demandeurs d'emploi ne peut être gérée par le seul Pôle emploi. Celui-ci doit régler ses problèmes internes d'organisation et de statut, faire face à un suivi mensuel personnalisé dans des conditions de plus en plus difficiles, ainsi qu'à la généralisation du RSA et à ses conséquences en matière de flux de demandeurs d'emploi. Malgré les recrutements en CDI et en CDD, le nombre de demandeurs d'emploi suivis par chaque conseiller avoisine les 120 à 130 personnes.

Il est incontestable que les difficultés actuelles du Pôle emploi viennent en grande partie de la montée brutale du chômage. Cela rend d'autant plus incompréhensibles les relations qu'entretient Pôle emploi avec les Maisons de l'emploi. Si je considère le projet originel de Maison de l'emploi d'une manière générale, et ce que j'ai signé dans la Vienne, je vois que l'axe 2 de la convention pluriannuelle d'objectifs signée en janvier 2008 avec l'État, le conseil général et les intercommunalités concerne l'accompagnement et le retour à l'emploi. Aujourd'hui, cet axe est supprimé et l'État demande que les Maisons de l'emploi ne fassent que du pré-accompagnement, c'est-à--dire qu'elles ne fassent qu'informer sur l'offre de service du Pôle emploi. C'est absurde !

Il y a certes l'évolution de l'offre de services du Pôle emploi : un conseiller personnel, un suivi mensuel, un accompagnement personnalisé, le site. Mais, sur le terrain, une Maison de l'emploi offre une ouverture quotidienne, un espace numérique avec un accueil et un conseil, quand Pôle emploi n'assure qu'une présence partielle. Ne peut-elle pas faire plus qu'un simple relais vers un site Pôle emploi distant ? N'y a-t-il pas des synergies à développer, particulièrement dans les zones rurales ? Les antennes des Maisons de l'emploi sont parfaitement identifiées comme un lieu ressource incontournable pour les personnes en recherche d'emploi.

Vous-même, monsieur le ministre, aviez estimé que les Maisons de l'emploi doivent être un outil permettant de simplifier et rendre l'action du Pôle Emploi plus efficace. Pourquoi alors s'obstiner à refuser la contribution des ressources qualifiées des Maisons de l'emploi ? Comment ne pas y voir la seule manifestation d'une volonté mal placée de conserver un pré carré ?

En même temps que le nouveau cahier des charges des Maisons de l'emploi, nous attendons une convention régissant, au plan national, les relations entre Pôle emploi et ces dernières. Il y a urgence. Dans la situation économique que nous connaissons, ce sont les territoires qui connaissent les vraies difficultés et ce sont les acteurs locaux qui sont en position d'apporter les meilleures réponses.

M. Christian Demuynck.  - Rassemblant en une seule entité, la gestion des offres d'emploi et des allocations, le Pôle emploi a dû faire face après quelques mois d'existence à une explosion des demandes. Plus de 600 000 personnes ont perdu leur travail depuis août 2008. Face à cet afflux, le Pôle emploi s'est engagé à répondre plus efficacement à trois priorités : inscrire, indemniser, accompagner. Des postes seront créés dès le mois prochain pour augmenter le taux d'accès au 3949. Cela permettra de répondre dans les meilleurs délais aux demandeurs. Des moyens importants seront débloqués cet été afin que les indemnisations ne soient pas retardées et pour répondre à ceux qui s'inscriront après la période estivale. Je pense aux nouveaux diplômés et aux emplois d'été qui ne seront pas reconduits.

Le mois de septembre verra le nombre de demandeurs augmenter fortement. Pôle emploi anticipe donc cette période délicate, après un début d'année 2009 déjà difficile. L'accompagnement sera renforcé grâce à des opérateurs privés qui viendront aider Pôle emploi à trouver, chaque année, des solutions pour 150 000 à 170 000 demandeurs.

La presse ne manque pas de stigmatiser les difficultés rencontrées par la nouvelle entité. Elle dénonce le manque de formation des conseillers alors que sur les 20 000 agents qui doivent être formés au cours de l'année 2009, 13 000 l'ont déjà été. Elle monte en épingle un prétendu découragement des agents et leurs mouvements de grève. Le travail accompli chaque jour est ainsi relégué au second plan, malgré son importance et sa difficulté, qui justifient notre soutien. Le personnel est concentré sur ses missions et son énergie à voir Pôle emploi remplir ses objectifs.

Ces polémiques font oublier l'importance de la création et les résultats obtenus. Ce qui était un engagement de Nicolas Sarkozy répond à une vraie nécessité. Jusqu'il y a quelques mois, la France était le seul pays d'Europe où le suivi de la recherche d'emploi était assuré par trois institutions bien distinctes ! Cet enchevêtrement de structures était illisible pour les demandeurs d'emploi, nuisait à la rapidité du retour sur le marché du travail, avait un coût de fonctionnement important : 2,2 milliards rien que pour l'ANPE qui, soulignons-le, ne participait au placement que de 11 % des chômeurs. Cela devait donc changer.

Mais tout nouveau dispositif doit être amélioré. Surtout celui-ci, créé alors que la situation du marché du travail n'était pas aussi difficile qu'aujourd'hui. Des ajustements et un nouvel équilibre sont donc nécessaires. L'instauration de réunions d'échanges régulières dans chaque agence serait l'occasion d'obtenir un maximum d'informations venant du terrain. Ces échanges seraient autant de moyens de transmettre des informations et des précisions : nombre de décisions prises par le Gouvernement ne sont pas bien comprises par les conseillers. Vous l'avez-vous-même souligné lors de votre déplacement dans une antenne de mon département, à Saint-Ouen. De plus, il convient de veiller à la rapide mise en place des référents uniques. Avec la crise actuelle on ne peut attendre. Au-delà de leur nombre, j'insiste sur la qualité de leurs conseils qui s'avère cruciale. Ma conviction est qu'il est indispensable de donner aux conseillers un outil de pilotage sur les métiers qui embauchent afin d'optimiser l'accompagnement des demandeurs d'emplois. Les conseillers doivent non seulement être en mesure de connaître la situation du marché de l'emploi sur leur zone géographique, mais aussi être en mesure d'apporter des recommandations efficaces.

Dans le cadre de la mission commune d'information sur les politiques en faveur des jeunes, nous avons souligné cette faiblesse. Je ne doute que celle-ci sera vite corrigée. Nous devons également débloquer plus de fonds afin de financer les formations pour les demandeurs d'emplois notamment pour répondre aux nouveaux marchés, comme l'écologie et le développement durable.

Élu de Seine-Saint-Denis où le taux de chômage est particulièrement élevé, je sais que la création du Pôle emploi était nécessaire. Même si ses débuts ont été marqués par quelques difficultés, je préfère m'engager dans une démarche positive que stigmatiser. Pôle emploi est une réponse ambitieuse, adaptée aux enjeux de notre époque et aux attentes des demandeurs. (Applaudissements à droite)

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi.  - Je vous remercie du temps que vous consacrez à ce sujet et de vos interventions nourries, précises et constructives. M. Vantomme a assumé dans un esprit humaniste et républicain la lourde charge d'ouvrir le débat. Je ne partage pas toutes les options de Mme David mais j'apprécie toujours son sérieux, la précision de sa documentation, son investissement. Mme Procaccia connaît bien le sujet pour avoir travaillé directement sur la loi qui a donné naissance au Pôle emploi ; elle a parlé avec beaucoup d'objectivité. J'ai écouté M. Plancade avec grande attention, même si je ne partage pas toutes ses idées. M. Jeannerot a mis à profit son expérience et rappelé le rôle essentiel d'amortisseur social de l'agence. M. Fouché a consacré l'essentiel de son intervention aux Maisons de l'emploi ; enfin, M. Demuynck, avec la précision qu'on lui connaît, a évoqué les améliorations possibles.

Il ne faut pas se tromper de diagnostic : nous traversons la crise la plus grave depuis un demi-siècle. Comment répondre à une augmentation de 25 % du nombre de demandeurs d'emploi accompagnés ? Quel service public de l'emploi pourrait s'adapter du jour au lendemain à une telle situation ? La seule vraie question est de savoir si le Pôle emploi améliore la situation et si celui-ci doit encore être perfectionné.

Rappelez-vous la situation de 1993 : des files d'attente devant les guichets de l'ANPE, des agences des Assedic fermées un jour sur deux faute de pouvoir faire face au flot des indemnisations, des demandeurs d'emploi attendant un mois pour être inscrits...

Loin de moi l'idée que les 500 000 nouveaux demandeurs seraient tous parfaitement pris en charge aujourd'hui, mais il est faux de prétendre que le Pôle emploi fasse moins bien que l'ancien logiciel poussiéreux ANPE-Assedic, dont la défaillance était catastrophique en 1993. Il y avait alors trois fois moins de chômeurs qu'aujourd'hui, mais leur prise en charge était apocalyptique. Grâce au dévouement des agents des Pôles emploi, la nouvelle structure fait bien mieux face aujourd'hui, ce qui ne signifie pas qu'il ne faille rien améliorer.

Si la fusion ayant conduit aux Pôles emploi avait été facile, pourquoi aucune majorité n'a-t-elle eu en 20 ans le courage de s'attaquer à ce sujet épineux et délicat ? Bien sûr, la fusion est difficile, mais nous allons de l'avant pour mieux protéger nos concitoyens qui en ont besoin et améliorer progressivement la situation en lien étroit avec les agents du Pôle emploi. M. Vantomme l'a noté : la difficulté ne tient pas aux vaisseaux, mais à la tempête ; l'essentiel est de carguer les voiles et de maintenir le cap pour sortir de l'oeil du cyclone.

Où en sommes-nous ?

La fusion des deux organismes est opérationnelle, avec 26 directions régionales et 430 directeurs locaux déjà nommés. Les 930 directeurs des pôles locaux seront en place à la fin de juillet, chacun avec un contrat de performance, car les structures doivent s'organiser en fonction des réalités locales. M. Demuynck a insisté sur ce point cher au Sénat.

Pour négocier la future convention collective, important sujet abordé par Mme Procaccia, nous attendons les élections professionnelles de septembre ou d'octobre, afin de discuter avec ceux qui auront la charge de la nouvelle structure. Je m'engage à conclure avant 2010, en rappelant que les agents publics pourront choisir entre leur statut actuel et la nouvelle convention collective.

En éliminant les doublons, l'équivalent de 3 000 conseillers supplémentaires seront mis au contact direct du public pendant les prochains mois, c'est-à-dire des demandeurs d'emploi ou des employeurs. Parallèlement, les 1 800 agents supplémentaires en cours de recrutement arriveront dans quelques jours sur le terrain.

La fusion progresse chaque jour. Nous parlons de 45 000 agents travaillant dans 1 500 implantations sur le territoire. Une telle révolution culturelle ne se fait pas d'un claquement de doigts.

J'en viens à l'amélioration du service rendu. Madame David, je me rends chaque semaine sur le terrain. J'ai ainsi passé une journée complète chez M. Demuynck, à l'agence de Saint-Ouen, sans journalistes ni caméras, pour constater les progrès en dialoguant avec les agents. Pour les demandeurs d'emploi, la première chose est de ne devoir se rendre qu'en un seul lieu, car il ne s'agit pas de personnes schizophrènes ayant érigé une séparation mentale absolue entre la recherche d'un emploi et son indemnisation.

Mon premier souvenir comme secrétaire d'État à l'emploi concerne un demandeur qui rencontrait pour la première fois un agent des Assedic. Une entreprise de logistique était disposée à l'embaucher en CDI, sous réserve qu'il obtienne un certificat d'aptitude à la conduite en sécurité. Il fallait voir son visage en entendant répondre que le guichet s'occupait uniquement de son inscription, et qu'il devrait présenter sa demande ailleurs et plus tard ! C'est ce que le Pôle emploi a changé.

Madame David, sur le plan territorial, notre objectif est d'aboutir à 946 sites, après avoir hérité de 1 500 implantations. Élu rural, je sais la difficulté des déplacements pour un demandeur d'emploi. Je m'engage solennellement à ne réduire en rien la couverture territoriale assurée par la nouvelle structure. Au contraire, je l'étofferai, notamment en Rhône-Alpes et dans le Centre. Loin de vouloir diminuer le maillage territorial, le gain d'efficacité permettra une présence accrue. Je vous remercie de souligner que nous parlons d'une question historique.

Madame David, 156 sites mixtes étaient opérationnels au 18 juin, car les discussions avec les partenaires sociaux ont fait prendre du retard sur le calendrier prévisionnel. Les fondations étant assainies, nous pourrons rattraper le retard pendant l'été.

La deuxième amélioration porte sur l'accueil téléphonique au numéro 3949, qui permet aux demandeurs d'emploi de poser toute question. La situation s'améliore, avec un taux de décroché limité à 70 %, mais il faut progresser pour atteindre au moins 80 %. C'est une priorité pour la rentrée. Nous allons améliorer les plates-formes régionales mutualisées, car je ne veux plus que les conseillers perdent du temps à fixer des rendez-vous téléphoniques. J'ai donc demandé que cela change. Christian Charpy, en qui j'ai toute confiance, a pris le sujet à bras-le-corps.

Mme David a évoqué à juste titre le coût du 3949. C'est un héritage des Assedic, dont le numéro était surtaxé, mais le taux de décroché apocalyptique.

M. Guy Fischer.  - Il était pratiquement inaccessible !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - C'est exact.

J'ai exercé une pression infernale sur les opérateurs téléphoniques, notamment sur ceux de la téléphonie mobile, qui avaient profité de la situation. Nous avons fait le choix politique de ne pas instituer la gratuité pour ce numéro, mais il est le moins cher de tous les numéros de services publics.

Monsieur Jeannerot, nous allons réserver aux employeurs un numéro court unique.

Voilà pour l'accueil des demandeurs. Encore faut-il les accompagner. Dans le cas évoqué tout à l'heure, la première question posée portait non sur la pertinence de la formation, mais sur l'indemnisation du demandeur, car celle-ci conditionnait la prise en charge de la formation. On tenait alors un raisonnement typiquement français négligeant l'éventuelle conclusion d'un CDI à l'arrivée. Tout cela est derrière nous ! Aujourd'hui, on étudie exclusivement les perspectives d'embauche ouvertes par la formation. Monsieur Fouché, ce changement majeur de culture, qui a fait exploser le carcan inepte du statut, a permis de doubler les aides à la mobilité.

La mise en place de l'entretien unique se poursuit. Dans le système antérieur, le délai d'inscription moyen était de cinq jours. Les entretiens ont désormais lieu le même jour, et nous basculerons peu à peu vers l'entretien unique personnalisé.

Il nous reste à repenser, Mme Procaccia l'a relevé à juste titre, la question des partenariats. Un travail a été engagé avec l'ensemble des acteurs. Je pense à Cap emploi, qui joue un rôle essentiel dans l'insertion professionnelle des personnes handicapées, aux missions locales, précieuses pour aider à résoudre le problème de l'emploi des jeunes, mais aussi aux opérateurs privés qui, étant entendu qu'il ne s'agit pas de toucher à la colonne vertébrale du service public, peuvent apporter un renfort substantiel.

M. Fouché a posé la question du partenariat entre Maisons de l'emploi et Pôle emploi. Je sais, monsieur le sénateur, combien vous êtes attaché à ces structures. Mme Procaccia a raison de dire que Pôle emploi ne doit pas être une citadelle. C'est un message que nous avons clairement envoyé. Si vous rencontrez des difficultés sur le terrain, je vous demande de m'en informer clairement, pour me permettre d'y remédier. Les cadres du Pôle emploi doivent pouvoir agir au service des élus : c'est par le travail d'équipe que l'on imagine des dispositifs au plus près des besoins des territoires. Les Maisons de l'emploi permettent à l'ensemble des acteurs de se retrouver autour de la même table. Ces lieux doivent être des forces de proposition au service de l'expérimentation locale et de l'innovation. Je pense aux programmes de lutte contre l'illettrisme, aux actions transfrontalières, à l'expérimentation de modes de garde innovants, autant de sujets sur lesquels elles nous ont été précieuses. Mais je ne souhaite pas, en revanche, qu'elles agissent comme des opérateurs de placement. Cela pousse, sur certains territoires, à un jeu de concurrence malsain...

M. Alain Fouché.  - Pas concurrence, complémentarité.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - ...qui trouve vite, sur le terrain, une exploitation politique. La Maison de l'emploi de Chevigny, monsieur Fouché...

M. Alain Fouché.  - Chevigny et ailleurs.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - L'élu que vous êtes sait bien que ce qui se passe sur un territoire mérite attention pour en tirer des leçons à l'échelle nationale. Le Pôle emploi continuera d'animer la Maison de l'emploi, mais ce que je ne veux pas, c'est que sur un même territoire, deux services fassent la même chose. Ce serait renouer avec la complexité dont on a voulu se défaire. C'est pourquoi vous avez raison, monsieur Fouché, de parler de complémentarité, d'association.

Nous élaborons un cahier des charges pour les Maisons de l'emploi, qui sera mis en place dès le début de l'année 2010. Nous allons sortir, à la plus grande satisfaction, à n'en pas douter, des élus, du système surréaliste de financement de ces structures qui prévalait jusqu'ici et donnait lieu à un jeu de chassé-croisé épuisant. L'évaluation se fera a posteriori ; ç'en sera fini des versements au compte-goutte qui suscitaient des difficultés de trésorerie.

Il est des outils de la politique de l'emploi qui font l'objet de demandes pressantes des élus auprès de mes services. Je pense notamment au contrat de transition professionnelle : c'est le Pôle emploi qui les gère désormais, avec des améliorations notables sur le terrain. Je pense également au dispositif « zéro charges », qui a permis l'équivalent de 310 000 embauches dans les entreprises de moins de dix salariés et dont tous s'accordent à reconnaître l'utilité. Nous ne serions jamais parvenus à une telle simplicité, avec un formulaire limpide et téléchargeable, si nous étions restés dans l'ancien système dual. C'est l'existence du Pôle emploi qui a permis ces améliorations.

Je ne cherche pas à minimiser les difficultés, ni à nier les circonstances adverses auxquelles sont confrontés les agents et les demandeurs d'emploi. Je n'entends pas jeter un voile pudique sur la situation mais je demande à chacun de se poser la question en son âme et conscience : voulons-nous revenir aux deux guichets, aux deux entretiens à trois semaines, parfois, de délai, aux deux numéros de téléphone, aux deux sites internet, à une situation où l'on se demandait à qui il convenait de poser sa question, avec deux systèmes d'aide séparés où l'on raisonnait en termes de statut plutôt que de besoin, à un système qui n'aurait pas été capable de soutenir des innovations comme le CTP ou le « zéro charges » ?

Nous sommes, à l'échelle de la politique de l'emploi, face à un vrai défi historique. Ferons-nous le choix de l'immobilisme ? Reviendrons-nous à l'ancien logiciel ou entrerons-nous, malgré les turbulences de la crise, dans la modernité ? Je récuse, pour ma part, le choix du conservatisme et les combats d'arrière-garde et choisis d'aller résolument de l'avant, comme les agents du Pôle emploi et à leur côté. (Applaudissements à droite)

M. André Vantomme, auteur de la question.  - Nos débats ont montré que la vérité est pluraliste... mais que le jugement porté sur le Pôle emploi est, convenons-en, globalement mitigé. J'espère que les propos tenus ici de l'un et l'autre côté de l'hémicycle éclaireront les décisions que vous serez amené à prendre pour remédier à une situation qui reste très perfectible... C'est là votre responsabilité, et le temps presse. Nous suivrons avec attention ce que vous proposerez et ce que vous ferez. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat.

Je vous rappelle que le débat sera organisé autour des deux thèmes suivants : la publication des données « Passagers » dans les vols internationaux puis le congé de maternité. Chacun de ces sujets donnera lieu à un échange.

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la Conférence des Présidents, pour chacun des deux sujets, interviendront successivement pour cinq minutes le représentant de la commission compétente et le Gouvernement. Puis une discussion spontanée et interactive...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Participative, comme dirait Mme Royal !

Mme la présidente.  - ...de dix minutes sera ouverte sous la forme de questions-réponses de deux minutes maximum par intervention.

Publication des données « passagers » dans les vols internationaux

M. Yves Détraigne, au nom de la commission des lois.  - Le Sénat a adopté le 30 mai une résolution sur la proposition de décision-cadre relative à l'utilisation des données des dossiers passagers, dites PNR, à des fins répressives. Cette résolution est le fruit d'une initiative de notre collègue Simon Sutour au nom de la commission des affaires européennes.

Les données PNR sont celles recueillies par les compagnies aériennes et les agences de voyage auprès des passagers à l'occasion de la réservation d'un vol. Ce projet européen de collecte des données PNR aux fins de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée fait écho au système mis en place par les États-Unis après les attentats de 2001. La création de ce système a d'ailleurs donné lieu à d'âpres négociations entre l'Union et les États-Unis pour définir les conditions dans lesquelles les compagnies opérant des vols transatlantiques pouvaient transmettre ces données. Ces négociations ont alerté les pouvoirs publics et les opinions sur les risques liés à une utilisation extensive de ces données, recueillies initialement dans un but commercial. L'Union s'est efforcée, avec un succès très mitigé, de faire valoir la conception européenne de la protection des données personnelles. Elles ont, dans le même temps, éveillé l'intérêt des services de sécurité européens pour ces données dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.

En ce qui concerne le respect des droits fondamentaux, les risques sont de plusieurs ordres. Les systèmes PNR peuvent être comparés à des filets dérivants capturant de nombreuses données relatives à des citoyens ordinaires afin de détecter des activités terroristes ou criminelles et de pouvoir réveiller ces données pendant plusieurs années. Cette démarche est distincte de celle des fichiers de police traditionnels qui ont pour objet d'accumuler des données sur des personnes déjà connues des services.

Le principal reproche fait à cette collecte indifférenciée est de considérer chaque utilisateur comme un suspect a priori. Ses données personnelles sont conservées au cas où elles se révéleraient intéressantes ultérieurement. En conséquence, le principe de proportionnalité requiert de mettre en balance les sacrifices consentis au détriment du respect des droits fondamentaux et les gains pour la sécurité. Or, des éléments précis et chiffrés manquent. Pour des raisons compréhensibles, mais dommageables au débat public, les services de sécurité restent discrets sur les résultats obtenus. En outre, par nature, il est très difficile d'isoler la plus-value de ces données. Comme l'a confié le directeur de la direction centrale du renseignement intérieur, en matière de renseignement, il est très rare qu'une donnée à elle seule soit décisive. Les données PNR ne dérogent évidemment pas à cette règle : elles ne viennent que compléter une panoplie documentaire et elles fournissent une multitude de petites informations qui, agrégées à d'autres, sont autant de signaux d'alarme.

La résolution du Sénat prend acte du projet de PNR européen, sans l'approuver ni le dénoncer. A titre personnel, et compte tenu des auditions menées et des premiers retours d'expérience, ces données ne me semblent pas redondantes avec d'autres systèmes d'information en vigueur. Elles m'apparaissent également comme une aide précieuse pour les services de sécurité. Toutefois, une limite ne doit pas être franchie : l'extension de la collecte des données PNR à des vols nationaux ou intracommunautaires. Dans ce cas, l'équilibre entre liberté et sécurité serait rompu.

Si, sur le principe, la résolution du Sénat ne rejette donc pas un PNR européen, elle pose plusieurs conditions nécessaires au respect du principe de proportionnalité. Tout d'abord, les finalités du système doivent être précisées. La référence à des infractions graves ou à la criminalité organisée est trop floue. La piste dégagée par les travaux du Conseil consistant à se référer aux 32 catégories d'infractions permettant de recourir au mandat d'arrêt européen est intéressante. Toutefois, elle ne saurait exonérer d'un examen de chacune de ces catégories afin de s'assurer de leur pertinence par rapport à l'exploitation des données PNR.

La liste des données PNR pose un deuxième problème. Si la plupart apparaissent utiles, la question des données sensibles, c'est-à-dire celles « révélant la race ou l'origine ethnique, les convictions religieuses, les opinions politiques, l'appartenance à un syndicat, la santé ou l'orientation sexuelle » demeure. Lorsque ces mentions figurent parmi les données PNR, elles se trouvent dans la rubrique 12 intitulée « Remarques générales ». Cette rubrique est un champ libre dans lequel les compagnies aériennes peuvent inscrire des informations relatives au handicap d'une personne ou à ses préférences alimentaires. La résolution du Sénat préconise une solution simple et claire : exclure purement et simplement cette rubrique de la liste des données PNR transmises. Cette solution présente plusieurs avantages : la question technique du filtrage des données sensibles au sein de la rubrique « Remarques générales » ne se posera plus. En outre, elle répond à la fois aux critiques contre l'utilisation des données sensibles et aux réticences de la Cnil quant à l'utilisation de ces champs libres. De plus, cette solution permettrait d'apaiser le débat sur le PNR européen, sans que les capacités opérationnelles des services de sécurité ne soient véritablement affectées. Les auditions des responsables de ces services ont d'ailleurs fait apparaître que cette rubrique était la moins utile.

J'en viens à la durée de conservation des données par les services de sécurité. Les treize ans initialement envisagés étaient inacceptables. Si les durées actuellement discutées apparaissent plus raisonnables, entre six et dix ans, elles semblent encore excessives compte tenu des besoins exprimés par les services de sécurité pour qui une durée de cinq ans serait suffisante. C'est pourquoi notre résolution préconise une première phase de conservation de trois ans, à laquelle succéderait une phase de préservation de trois ans des seules données ayant présenté un intérêt particulier au cours de la première phase. Le fichier des données PNR se rapprocherait ainsi, au cours de cette seconde phase, du format habituel d'un fichier de police.

La résolution soulève bien d'autres problèmes tels que la désignation précise des destinataires des données, le renforcement des droits des personnes concernées ou l'encadrement strict des transmissions de données à des États tiers.

Cette résolution est exigeante au nom du respect de la vie privée et de la liberté d'aller et venir. Nous n'ignorons pas que les négociations européennes ont déjà permis de faire évoluer le projet dans le bon sens sur plusieurs points. II reste néanmoins en retrait par rapport à la position de notre Haute assemblée. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser le stade d'avancement des négociations et la position du Gouvernement par rapport à notre résolution ? (Applaudissements)

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes.  - Très bonne intervention !

Mme la présidente.  - Je vous félicite d'avoir tout fait pour tenir ce délai sans doute un peu juste.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes.  - C'est un bon délai ! (Sourires)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports.  - Comme l'a excellemment rappelé M. Détraigne, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale appelle une mobilisation de tous les instants face à des organisations qui savent exploiter nos points faibles. L'utilisation des informations commerciales contenues dans les bases de données des compagnies aériennes, dites données PNR, s'est progressivement imposée comme une réponse efficace, à des fins de prévention et de répression de ces phénomènes.

A la demande des États-Unis, l'Union européenne a négocié un accord permettant aux transporteurs aériens de transférer les données PNR aux autorités américaines pour tous les vols transatlantiques. Un cadre juridique a été également mis en place avec le Canada et l'Australie et il faut s'attendre à des demandes similaires d'autres pays tiers. Certains États membres de l'Union, à l'instar de la Grande-Bretagne, ont également commencé à développer leur propre système PNR. En France, la loi du 23 janvier 2006 concernant la lutte contre le terrorisme a prévu le cas. D'ores et déjà, les douanes françaises effectuent plus de 60 % des saisies annuelles de stupéfiants dans les aéroports de Roissy et d'Orly en exploitant les données PNR.

Partant de ce constat, la Commission européenne a présenté, en novembre 2007, une proposition de décision-cadre afin de permettre à l'Union de mettre en place un système cohérent. Cette initiative était la bienvenue pour trois raisons : il était paradoxal que l'Union accepte de transmettre à un nombre croissant de pays tiers des données PNR, sans prévoir pour elle-même la possibilité de les exploiter. De plus, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale appelle des réponses européennes harmonisées. Dans un marché intérieur des transports unifié, il est logique de soumettre les entreprises concernées aux mêmes obligations.

Troisième raison : il appartient à l'Union, compte tenu de ses valeurs, de développer un modèle de PNR reposant sur la double volonté de protéger ses citoyens et de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes. Le principal enjeu de cette négociation consiste à parvenir à un équilibre entre l'efficacité dans la lutte contre le terrorisme et la protection des données à caractère personnel. C'est bien sous cet angle que ce dossier a été appréhendé, en particulier lorsque nous avons exercé la présidence du Conseil de l'Union.

Après une première lecture de la proposition de la Commission sous présidence slovène, la France a estimé qu'il n'était pas possible de poursuivre la négociation au Conseil selon la méthode habituelle. En juillet dernier, Mme Alliot-Marie a donc proposé à ses collègues, au sein du Conseil « Justice et Affaires intérieures », de laisser provisoirement de côté le texte de la Commission et de privilégier un débat de fond sur plusieurs éléments-clés afin de dégager des orientations politiques qui permettraient d'aborder la suite de la procédure législative sur des bases plus solides. Elle a également tenu à associer à ce débat les principales parties prenantes, comme les organisations de transporteurs aériens et les autorités répressives des États-membres, mais aussi le contrôleur européen pour la protection des données et le Parlement européen. Pour la première fois, l'Agence européenne des droits fondamentaux a été formellement consultée par la présidence du Conseil dans le cadre d'une procédure législative et a rendu un avis, qui a été pris en compte dans les travaux. Cette méthode a produit des résultats convergents avec les préoccupations exprimées par votre résolution. Je tiens, à cet égard, à saluer la qualité du travail de M. Détraigne auquel je rends hommage.

L'objectif d'un PNR européen est de prévenir et de détecter les infractions terroristes et les formes graves de criminalité, ainsi que de procéder à des enquêtes et des poursuites. Les crimes graves seront définis par référence au mandat d'arrêt européen.

La transmission des données selon la méthode push devrait offrir les meilleures garanties en matière de protection des données à caractère personnel. Afin de permettre aux transporteurs aériens de s'adapter à cette exigence, une période transitoire, qui pourrait être de trois ans, est envisagée, conformément au dispositif retenu dans des accords antérieurs avec les pays tiers. Mais, au terme de ce délai, il appartiendra aux transporteurs aériens de transmettre les données vers la base de l'autorité publique qui n'ira plus les chercher auprès du transporteur.

Le système devrait reposer sur des « unités de renseignements passagers » qui seront créées pour traiter les données PNR. Les travaux sous présidence française ont permis de dégager un consensus pour assurer un niveau optimal de protection des données. L'intervention d'intermédiaires devrait être exclue. Chaque État-membre adoptera une liste des autorités compétentes habilitées à demander et à recevoir ces unités de données.

Conformément au voeu du Sénat, les personnes ayant accès aux données seront soumises à des règles de confidentialité.

L'accès aux installations doit être contrôlé et les éventuelles violations sanctionnées. Plus généralement, on envisage bien d'obliger les États-membres à ce qu'une ou plusieurs autorités publiques indépendantes et dotées d'un pouvoir d'investigation soient chargées du contrôle du dispositif après sa transposition.

Le débat continue sur le traitement des données sensibles, par exemple sur le régime alimentaire, mais l'évaluation du risque ne saurait reposer sur la race, l'origine ethnique, les convictions religieuses ou philosophiques, la santé ou l'orientation sexuelle.

Si le Conseil s'orientait vers la non-utilisation des données sensibles, leur effacement ne saurait être à la charge des transporteurs, déjà éprouvés par la crise. Dans le cas contraire, leur exploitation serait sévèrement encadrée.

La conservation des informations est une question très importante. Le Conseil s'oriente vers une baisse de treize à trois ans avec un archivage de trois à cinq ans. Enfin, sur le régime applicable à la protection des données, les garanties doivent être clarifiées. Sous présidence française, un consensus s'était dégagé pour un régime équivalent à celui prévu par la directive de 1995. Un niveau adéquat de protection doit être garanti pour la transmission de données à un pays tiers.

Un travail de fond a été accompli, dont la présidence tchèque tire les conséquences et que poursuivra la présidence suédoise. Si nous disposons comme nous l'espérons d'un nouveau cadre institutionnel d'ici la fin de l'année, les progrès réalisés serviront de base à un texte en codécision, l'intervention du Parlement européen constituant une garantie supplémentaire. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Guy Fischer.  - Mon groupe, s'il partage les réserves formulées par la proposition de résolution, continue de s'interroger sur l'opportunité d'un dispositif que contestent tant les spécialistes que le Parlement européen. Les objectifs de lutte contre le terrorisme ont été sacralisés depuis les attentats du 11 septembre mais dans nombre de pays, des dispositifs dont on ne mesure pas l'efficacité provoquent des atteintes caractérisées aux droits fondamentaux des citoyens. Le Parlement européen s'est interrogé le 20 novembre 2008 sur la valeur ajoutée d'un dispositif dont la Cour de justice des Communautés européennes avait sanctionné la préfiguration en 2006 au motif que sa base juridique était erronée et que cela ne relevait pas de la Commission. Une étude aurait dû être entreprise sur l'efficacité du dispositif. Surtout, l'ambiguïté entretenue entre immigration et terrorisme n'est pas saine. Une meilleure coopération juridique doit se développer sur des bases juridiques claires et respectueuses des droits des citoyens, sans porter atteinte aux droits de l'homme. Je sollicite le Gouvernement pour qu'il obtienne un gel des négociations jusqu'à ce qu'une étude sérieuse lève toutes les craintes.

M. Jean-Pierre Sueur.  - M Sutour, auteur du projet de résolution, ne peut être parmi nous et m'a demandé de l'excuser. Notre groupe aborde cette question avec un mot clef, celui de responsabilité. Devant l'horreur des attentats, comment ne pas souscrire à la nécessité de mesures efficaces pour lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme ? Nous pensons avec M. Sutour que le même esprit de responsabilité conduit à être très attentif au respect de la vie privée et des libertés. L'objet du projet de résolution était de concilier ces deux objectifs et je remercie M. Détraigne de l'avoir enrichi sur des points essentiels. Il est important que la présidence suédoise ait d'ores et déjà indiqué son souhait d'avancer dans cette direction. Je m'en tiendrai à des questions précises.

Mme la présidente.  - Rapidement.

M. Jean-Pierre Sueur.  - La proposition de résolution adoptée par la commission dispose que les agents devront être individuellement habilités pour accéder aux données PNR. Pouvez-vous nous garantir que ce sera la position de la France ?

Vous avez indiqué qu'il ne saurait être question d'enregistrer des données relatives à l'origine ethnique, les convictions religieuses ou politiques, la santé, l'orientation sexuelle. La France sera-t-elle opposée à la rubrique 12 « Remarques générales » ?

Si votre position sur la durée de conservation rejoint celle de la commission, le projet de résolution considère que la transposition de la décision locale doit se faire par la loi. Le Gouvernement envisage-t-il que la transposition incombe explicitement au Parlement ?

M. Yves Détraigne, au nom de la commission.  - M. Sueur vient d'évoquer la rubrique 12. La résolution propose de l'exclure de la transmission, vous semblez considérer qu'il peut y avoir transmission mais que certaines données ne peuvent pas être exploitées. Si nous avions proposé de ne pas les transmettre, c'est qu'au fil des auditions, j'avais acquis la conviction qu'elles n'étaient pas nécessaires aux recoupements que l'on cherche à réaliser. Co-auteur avec Mme Escoffier d'un rapport sur les libertés individuelles face au numérique, je souhaite y insister.

Vous semblez ensuite aller sur une durée de six ans que nous évoquions, mais alors que nous songions à une durée générale de trois ans renouvelable pour les données qui ont montré leur intérêt, vous paraissez envisager qu'elles soient toutes conservées durant six ans. Est-ce le cas ?

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - La conservation des données a prouvé son utilité, monsieur Fischer : elle a récemment permis le démantèlement d'importants réseaux pédophiles en Grande-Bretagne. Tout cela ne doit pas se faire aux dépens des libertés individuelles : nous avons demandé des garde-fous et contribué à faire prendre en compte des protections plus claires, conformément aux principes de la directive de 1995. Vous pouvez être rassuré.

En vertu de l'article 7 de la loi de 2006, seuls les agents habilités des services de sécurité peuvent avoir accès aux données, monsieur Sueur. Le débat se poursuit sur le point 12 car certain États sont très attachés à ce que cette possibilité ne soit pas écartée d'emblée.

La rubrique concernée du dossier de réservation ne peut pas donner lieu à un traitement automatisé, et toutes les données qui s'y trouvent n'ont pas le même degré de sensibilité : à cet égard, on ne peut comparer la réservation d'un hôtel et l'état de santé d'un passager.

Si le Conseil autorise une utilisation raisonnée des données sensibles, il faudra encadrer strictement cette possibilité. S'il exclut celle-ci, l'obligation d'effacement ne pourra être à la charge des transporteurs aériens. Après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il reviendra au Parlement européen de veiller à la défense des droits fondamentaux.

Monsieur Sueur, il n'est pas aisé d'identifier dès maintenant le véhicule législatif adéquat pour la transposition de cette directive.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il faut que le Parlement soit saisi, quel que soit le véhicule choisi.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - Puisqu'il s'agit des libertés individuelles, le Parlement aura son mot à dire.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - C'est du domaine de la loi.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - Yves Détraigne a posé la question très importante de la durée conservatoire. Nous proposons une solution intermédiaire de trois ans, avec quatre ans de stockage technique.

Pour ce qui est de la lutte contre la criminalité et le trafic de drogue, tout de qui touche aux personnes est très compliqué. Je l'ai indiqué à Marie-Hélène Des Esgaulx, qui m'a interrogé lors des questions d'actualité sur l'accident du vol d'Air France. Ainsi, nous ne pouvons publier la liste des passagers : une erreur d'orthographe pourrait créer une confusion sur l'identité d'une personne ou une famille découvrir qu'un mari voyageait avec son amie. Même en matière de lutte contre le terrorisme, il faut raison garder quand les libertés individuelles sont concernées. (Applaudissements sur le banc de la commission)

Congé de maternité

Mme Annie David, au nom de la commission des affaires sociales.  - Le 15 juin, à l'initiative de la commission des affaires sociales, le Sénat a adopté une résolution européenne sur la proposition de directive relative à la protection des travailleuses enceintes, actuellement en discussion à Bruxelles. Depuis cette date, aucune discussion n'a eu lieu au Conseil à ce sujet. Ce débat n'aura donc pas pour objet de contrôler l'application par le Gouvernement des résolutions du Parlement, mais plutôt de connaître les intentions de l'exécutif sur cette directive.

Nous reconnaissons les avancées contenues dans le texte communautaire, dont l'allongement du congé de maternité à dix-huit semaines, mais il soulève plusieurs difficultés. La première résulte de l'interdiction faite aux États-membres d'inciter les femmes enceintes à prendre un congé prénatal. Cela serait non seulement contraire au principe de subsidiarité, mais nuirait à la santé des mères et des nouveau-nés. Pouvez-vous nous confirmer, madame la ministre, que le Gouvernement restera intransigeant sur ce point ?

La deuxième difficulté tient à la timidité des mesures proposées par la directive pour assurer l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle. Le fait d'avoir des enfants constitue souvent un frein dans la carrière des femmes, mais ce désavantage n'est jamais reconnu ou assumé par l'employeur. Puisque l'interdiction de défavoriser les femmes enceintes ne suffit pas, il faut reconnaître au niveau européen l'équivalent de la loi française du 23 mars 2006, qui donne droit aux femmes ayant bénéficié d'un congé de maternité aux mêmes augmentations de salaire et avantages que ceux accordés pendant son absence aux salariés de la même catégorie. Madame la ministre, allez-vous vous appuyer sur cet exemple pour promouvoir le droit des femmes dans l'Union européenne ?

Troisième difficulté : la présomption de culpabilité au nom de la lutte contre les discriminations envers les femmes enceintes. Comment permettre que, dans un État de droit, de simples présomptions aient valeur de preuves et que quelques indices suffisent pour qu'une faute soit reconnue par un tribunal ? Que fera le Gouvernement face à une disposition contraire aux principes fondamentaux de la République ? Ne fuyez pas le débat en nous disant qu'il n'y a de véritable présomption d'innocence qu'en matière pénale. On ne peut juger qu'une personne a eu un comportement discriminatoire ou la condamner pour discrimination à partir de simples hypothèses. C'est une règle fondatrice de l'État de droit et j'attache beaucoup d'importance à votre réponse sur ce point.

Enfin, je souhaite connaître la position du Gouvernement sur le congé européen de paternité, préconisé par notre résolution. Comment atteindre l'égalité des chances si l'on n'incite pas, d'une manière ou d'une autre, les pères à s'impliquer davantage à l'occasion d'une naissance ? Madame la ministre, lors de votre intervention sur le congé parental lors des questions d'actualité, vous avez manifesté votre intérêt pour ce sujet. (Applaudissements à gauche)

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.  - La présidence française de l'Union européenne a montré que l'Europe pouvait mener une politique sociale ambitieuse. Dès le 20 octobre dernier, des discussions ont été ouvertes pour modifier la directive de 1992 relative à la sécurité des femmes enceintes, accouchées et allaitantes au travail. C'est dire l'importance que la France attache à ce sujet et aux questions que soulève votre résolution. Les débats qui ont eu lieu au Conseil témoignent du soutien des États-membres à la protection des travailleuses et en faveur de l'égalité de traitement des hommes et des femmes, et pour faciliter le retour vers l'emploi des femmes après leur grossesse. Cet objectif est évidemment partagé par les partenaires sociaux français consultés sur ce projet de directive.

Notre pays connaît une démographie dynamique, avec un taux de fécondité de 2,018 enfants par femme en 2008. Cela se concilie avec un excellent taux d'emploi féminin : 82 % pour les 25-50 ans. Dans les pays occidentaux, plus le taux d'emploi des femmes est important, plus le taux de fécondité est élevé. Pour soutenir ce dynamisme, les femmes ne doivent pas être contraintes à renoncer à leur carrière ou à la mettre entre parenthèses pour s'occuper de leurs enfants, et les pères doivent pouvoir s'impliquer davantage dans l'éducation de ces derniers -et j'ajouterai : dans les tâches ménagères ! (Sourires)

La proposition de directive prévoit d'allonger la durée du congé de maternité de quatorze à dix-huit semaines dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Les salariées françaises bénéficient déjà d'un régime très protecteur en la matière : seize semaines de congés légaux, et 26 à partir du troisième enfant. Le congé est souvent plus long car, pour sept femmes sur dix, il est précédé d'un congé pathologique de deux semaines. Le dispositif français se situe donc dans la moyenne supérieure des États-membres -le congé est de quinze semaines en Belgique et de quatorze en Allemagne. Le Gouvernement n'est pas opposé à cet allongement.

En France, l'indemnisation journalière de maternité est très proche du salaire ; elle apparaît comme l'une des plus favorables d'Europe. Son augmentation n'est donc pas prioritaire, d'autant que cela ferait peser sur les finances publiques un coût supplémentaire.

Quant au déroulement du congé de maternité, le Conseil a observé une très grande disparité dans l'ensemble de l'Union -il peut durer jusqu'à un an en Bulgarie. Chaque État est attaché à ses règles, et la France estime indispensable de garder une période obligatoire de repos prénatal. (M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, approuve) Cela permet de lutter contre les naissances prématurées, qui représentent 6 % des naissances en France. La durée de notre repos prénatal -six semaines éventuellement réduites à trois avec accord médical- fait l'objet d'un consensus : nous souhaitons la maintenir. Le Gouvernement partage la position exprimée par la commission des affaires sociales : la directive devrait fixer des principes généraux et laisser les États libres d'opter ou non pour un repos prénatal, et de déterminer sa durée. (M. Hubert Haenel approuve)

Les situations sont très diverses dans le cas des naissances dites atypiques. En cas de naissance de jumeaux ou de triplés, d'accouchement prématuré ou tardif, ou encore d'hospitalisation du nouveau-né, la durée du congé maternité est augmentée.

La naissance d'un enfant handicapé n'a pas d'incidence sur la durée du congé de maternité. Mais des allocations spécifiques peuvent être accordées par la caisse d'allocations familiales : l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé destinée à compenser les frais d'éducation et de soins, qui concernait 150 000 allocataires le 1er mars 2009 ; et l'allocation journalière de présence parentale octroyée lorsque l'enfant handicapé, gravement malade ou accidenté, a impérativement besoin que l'un de ses parents reste auprès de lui, qui concernait à la même date 4 500 allocataires.

Vous réflexions au sujet de l'aménagement de la charge de la preuve ont retenu mon attention. Dans le droit commun, le plaignant doit établir les faits allégués. Dans les affaires de discrimination, le droit européen et national dispose que le salarié peut présenter au juge les éléments laissant supposer qu'il en a été victime ; c'est à l'employeur de prouver que sa décision était justifiée. Il s'agit là d'un aménagement et non d'un renversement de la charge de la preuve, qui existe d'ores et déjà dans le droit du travail.

Le Gouvernement souhaite que soient aménagés des dispositifs fondés sur le principe de libre choix et favorisant le retour à l'activité des femmes. Le congé de maternité se traduit parfois par une rupture dans le parcours professionnel des femmes. Nous voulons favoriser un meilleur équilibre au sein de la famille pour aider les femmes dans leur carrière professionnelle. Je partage donc votre avis : il est important de mentionner le congé de paternité dans la directive, afin qu'il n'incombe pas aux seules femmes de résoudre le dilemme entre vie familiale et vie professionnelle.

Nous devons également poursuivre nos efforts pour développer et diversifier l'offre de gardes d'enfants : aujourd'hui, près d'une femme sur deux prend un congé parental faute d'avoir trouvé un mode d'accueil adapté. Le Président de la République m'a chargé de créer 200 000 places d'accueil supplémentaires d'ici à la fin du quinquennat ; nous nous sommes donné les moyens d'atteindre cet objectif.

La négociation va se poursuivre au sein du Conseil sous la présidence suédoise. Gardant à l'esprit la résolution du Sénat, le Gouvernement français s'efforcera d'aboutir à un texte équilibré, qui devra être adopté à la majorité qualifiée et en codécision avec le Parlement européen. Ce sujet qui me tient à coeur illustre de manière concrète la manière dont l'Europe peut améliorer les conditions de vie et de travail des citoyens européens. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)

Mme Gisèle Printz.  - Le 3 octobre dernier, la Commission européenne a soumis au Conseil et au Parlement européens une proposition de directive où est enfin affirmé au niveau européen le principe de l'interdiction de licenciement des femmes enceintes tout comme le droit pour une femme enceinte de continuer à bénéficier des avantages accordés à ses collègues pendant son absence. Les femmes enceintes et celles qui viennent d'accoucher auront également la possibilité de demander une modification de leurs horaires et rythmes de travail, mais il faudra veiller à ce que cette disposition englobe le travail de nuit pour que ces femmes puissent être affectées à un poste de jour sans diminution de salaire.

Cependant ce texte manque cruellement d'ambition sur d'autres points. En ce qui concerne le congé de maternité, une durée minimale de dix-huit semaines peut constituer un progrès dans certains pays, mais l'OIT recommande vingt semaines, l'OMS et l'Unicef vingt-quatre. Les États-membres pourront déterminer les critères d'éligibilité au congé maternité, mais s'ils sont trop restrictifs ils limiteront le champ des bénéficiaires et la mobilité des travailleurs. En outre, la directive invite mais n'oblige pas à verser aux femmes pendant leur congé une rémunération égale à leur salaire : ce principe risque donc de rester lettre morte dans certains pays. En autorisant les États à rémunérer le congé de maternité au même niveau que le congé maladie, la directive assimile une femme enceinte à une femme malade : cette ambiguïté doit être levée.

La directive fait l'impasse sur le rôle des pères. Certains pays sont à cet égard exemplaires : en Suède les couples peuvent partager seize mois de congé de parenté. Ne pensez vous pas que l'Union européenne devrait proposer un dispositif semblable afin d'encourager le partage des rôles dans l'éducation des enfants ? Il est également regrettable que le texte ne comporte aucune mesure en faveur des femmes exerçant des professions non salariées -chefs d'entreprise, artisans- qui sont trop souvent contraintes de reprendre prématurément leur travail.

Bref, cette proposition de directive n'apporte aucune avancée significative aux femmes françaises. S'agissant du congé prénatal, elle constitue même une régression : d'après l'exposé des motifs, les États-membres n'auront plus la possibilité d'imposer ce congé aux femmes enceintes. Quelle est la position du Gouvernement français sur ce point ? Quelles améliorations compte-t-il suggérer pour que cette directive ne soit pas qu'une action a minima ?

M. Guy Fischer.  - Je ne reviendrai pas sur les critiques formulées par le groupe CRC-SPG au sujet de cette proposition de directive, au demeurant très proches des objections avancées par la résolution européenne adoptée par le Sénat le 15 juin dernier, à laquelle Mme David a beaucoup contribué.

Cette proposition de directive a fait naître de grands espoirs : pour la première fois depuis 1992, un texte européen allait enfin revenir sur les règles relatives au congé de maternité et porter partout en Europe ce congé de quatorze à dix-huit semaines, les États-membres demeurant libres d'imposer une période plus longue. Mais le Parti populaire européen, où siègent les eurodéputés de la majorité, a repoussé à plus tard l'examen de cette directive. Les femmes de France et d'Europe pourront attendre.

L'Organisation internationale du travail, constatant que le nombre de grossesses à risques ne cessait de croître, avait pourtant recommandé d'allonger la durée minimale du congé de maternité. Ma question est simple : qu'entendez-vous faire pour que le Parlement européen puisse se prononcer rapidement sur ce projet de directive ? Le Gouvernement s'engage-t-il à intervenir auprès de la Commission et des eurodéputés de la majorité pour le faire adopter ?

M. Michel Magras.  - Je me félicite de la décision du Sénat de tenir aujourd'hui ce débat : elle confirme le rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel communautaire.

Nous devons souligner ce qui est positif et améliorer ce qui est perfectible : c'est le rôle de la commission des affaires européennes et des commissions saisies au fond. (M. Hubert Haenel le confirme) L'allongement du congé de maternité et le droit accordé aux femmes enceintes de demander la modification de leurs horaires de travail constituent des avancées.

Mais l'interdiction faite aux États, contrairement au principe de subsidiarité, de définir eux-mêmes les modalités du congé de maternité est regrettable, de même que le silence du texte sur le congé de paternité. Votre réponse, madame la ministre, a levé certaines ambiguïtés.

Cependant je souhaite que nous allions plus loin dans notre réflexion sur la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle en résolvant le problème urgent de la garde des enfants. Je vous sais particulièrement attentive à ce sujet, madame la ministre, et j'approuve la création de jardins d'éveil. Où en est aujourd'hui ce projet, et quelles mesures comptez-vous prendre pour venir en aide aux familles ?

Mme Annie David, au nom de la commission des affaires sociales  - Madame la ministre, nous sommes d'accord : je propose non pas de renverser la charge de la preuve, mais de l'aménager. De tels aménagements existent déjà en droit français. La directive comporte à cet égard une ambiguïté qu'il faut lever.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Je tiens tout d'abord à dire mon attachement au congé pathologique de deux semaines, qui s'ajoute au congé maternité.

Madame Printz, l'article 12 de la directive de 1992 dispose déjà que les femmes enceintes ne sont pas tenues de travailler de nuit. Un amendement à l'article 11 de cette directive et la législation française garantissent l'égalité des rémunérations pendant le congé de maternité.

Monsieur Fischer, vous m'avez demandé d'agir pour que le Parlement puisse examiner rapidement ce projet de directive. Malheureusement je ne suis pas maîtresse de l'ordre du jour du Parlement européen. Je rappelle toutefois que les ministres de la famille de l'Union européenne se sont réunis à mon initiative le 18 septembre dernier, sous la présidence française, pour parler de la démographie, des gardes d'enfants, de la protection des mineurs sur internet et d'autres sujets. La République tchèque a accepté de poursuivre ce travail sous sa présidence, ainsi que la Suède. Lors de notre prochaine réunion, je proposerai donc que l'examen de cette directive soit bientôt inscrit à l'ordre du jour du Parlement européen, même s'il est difficile d'intervenir.

S'agissant de la présomption d'innocence, l'idée est de protéger la victime, sans faire peser de charge excessive sur l'employeur. La rédaction est peut-être ambiguë, mais l'idée est la même.

Monsieur Magras, la France est un exemple en matière de diversification des modes de garde. J'ai récemment reçu mon homologue allemande, Ursula von der Leyen, ainsi que la ministre polonaise, qui souhaitait s'informer sur les assistantes maternelles. La France est une référence ! Nous nous sommes engagés à créer 200 000 offres de garde supplémentaires ; l'État finance cet engagement à hauteur d'1,3 milliard dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion. Preuve de tout l'intérêt d'une politique familiale dynamique et ambitieuse, la France a vu la naissance de 834 000 bébés l'an dernier ! (Sourires admiratifs)

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes.  - Merci aux intervenants, ainsi qu'à Mme la ministre, qui a dit avoir toujours à l'esprit le travail du Sénat. Monsieur Fischer, le débat ne s'arrête pas aujourd'hui. La commission des affaires européennes veille au grain !

M. Guy Fischer.  - Il y a intérêt !

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes.  - Il y a du nouveau, nous travaillons autrement ! Ce sont tous les parlementaires européens, de toutes tendances, qui sont réunis, pas uniquement le PPE ! (M. Guy Fischer approuve)

Organismes extraparlementaires

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation, d'une part, du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés et, d'autre part, du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'administration de FranceAgriMer.

Conformément à l'article 9 du Règlement, j'invite la commission des affaires économiques à présenter des candidatures.

La nomination au sein de ces organismes extraparlementaires aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du Règlement.

Prochaine séance, lundi 29 juin 2009 à 16 heures.

La séance est levée à 19 h 5.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du lundi 29 juin 2009

Séance publique

A 16 HEURES

1. Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à modifier le scrutin de l'élection de l'Assemblée de Corse et certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse (n° 476, 2008-2009).

Rapport de M. Patrice Gélard, fait au nom de commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 479, 2008-2009).

Texte de la commission (n° 480, 2008-2009).

2. Proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Nicolas About, Philippe Richert, Philippe Adnot, Philippe Arnaud, Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Laurent Béteille, Joël Bourdin, Auguste Cazalet, Marcel Deneux, Mme Béatrice Descamps, M. Yves Détraigne, Mme Muguette Dini, MM. Michel Doublet, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, M. René Garrec, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Jacqueline Gourault, MM. Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Christiane Kammermann, MM. Jean-Claude Merceron, Philippe Nogrix, Mmes Monique Papon, Anne-Marie Payet, MM. Louis Pinton, Paul Raoult, Ivan Renar, Charles Revet, Daniel Soulage, Mme Odette Terrade, MM. André Vallet, Jean-Marie Vanlerenberghe et François Zocchetto (n° 215, 2007-2008).

Rapport de M. Philippe Richert, fait au nom de commission des affaires culturelles (n° 482, 2008-2009).

Texte de la commission (n° 483, 2008-2009).

LE SOIR

3. Proposition de loi visant à renforcer l'efficacité de la réduction d'impôt de solidarité sur la fortune au profit de la consolidation du capital des petites et moyennes entreprises, présentée par M. Jean Arthuis (n° 398, 2008-2009).

Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (n° 469, 2008-2009).

Texte de la commission (n° 470, 2008-2009).