Panneaux en langue régionale
M. le président. - L'ordre appelle l'examen de la proposition de loi relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale.
Discussion générale
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Le ministre de l'éducation nationale, rappelant l'existence de cette proposition de loi, a souhaité, à l'Assemblée nationale, que l'on fixe un cadre juridique sûr à l'installation de panneaux en langue régionale à l'entrée et à la sortie des agglomérations. Si une telle installation n'est pas interdite, rien ne l'autorise aujourd'hui expressément. Le tribunal administratif de Montpellier a condamné, en octobre 2010, la commune de Villeneuve-lès-Maguelone à retirer les panneaux qu'elle avait fait installer.
Pourtant, de nombreuses villes ont fait le choix de l'ouverture culturelle, choix largement approuvé par leurs populations. La République n'est pas menacée par les langues régionales ! Il n'est pas nécessaire d'en appeler au salut public ! Inquiétons-nous plutôt des attaques de l'anglo-américain (approbations sur les bancs socialistes) : certains annoncent même un Waterloo linguistique. De grâce, cessons de tirer sur les langues régionales ; elles sont vraiment menacées de disparition.
La loi de 1994 répondait à l'intention de protéger le français face à l'anglais, non aux langues régionales. Ces dernières font partie de notre patrimoine ; mais la moitié d'entre elles auront disparu dans cinquante ans si nous ne réagissons pas.
Les habitants des régions à forte identité culturelle ont toujours montré qu'ils ont le coeur français : il suffit de regarder les monuments aux morts.
La France est riche de sa diversité culturelle et linguistique. Les langues régionales sont vivantes. La langue n'est pas qu'un outil de communication ; c'est aussi un véhicule de transmission de symboles collectifs, la communion en un même système de valeurs.
Je plaide pour une écologie des langues régionales. Comment ne pas réagir après le jugement de Montpellier qui pourrait dissuader les collectivités d'agir pour la reconnaissance des langues régionales, admises par notre Constitution comme faisant partie du patrimoine de la France ?
Cette décision pourrait faire jurisprudence. Elle se fonde sur une interprétation radicale des textes, par exemple sur le non-respect de règles de sécurité routière, la présence d'un ò avec accent grave ou l'absence d'un fondement historique.
Les contraintes typographiques ne devraient-elles pas être adaptées aux langues régionales ?
Le tribunal exige aussi une « raison d'intérêt général » ou des « circonstances particulières ». Nous n'avons pas la même lecture que lui de la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 1994. Quant à l'absence de fondement historique... Les formes correctes de toponymie sont attestées par l'usage, les cartes ou les cadastres. La forme « Vilanòva-de-Magalona » est attestée dès 1419 ! D'ailleurs, le Conseil constitutionnel n'impose pas un tel fondement.
Le problème est bien que la loi de 1994 est sujette à interprétation. Certes, c'est son article 3, toute inscription sur la voie publique doit être formulée en français ; mais son article 21 indique que cette disposition s'applique sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales.
Aucun texte n'autorise expressément les communes à implanter des panneaux en langue régionale. Il faut combler ce vide. Nous proposons donc de compléter l'article 3 de la loi de 1994 pour conforter une pratique. Notre intention n'est nullement de remettre en cause l'apposition de plaques de noms de rue en langue régionale. Pour vivre, une langue doit être présente dans l'espace public.
Cette proposition de loi n'a qu'un objet limité. Il faudra un jour donner un véritable statut juridique protecteur aux langues régionales qui appartiennent, selon l'article 75-1 de la Constitution, au patrimoine de la nation. La cour administrative d'appel de Nancy a considéré qu'il n'y avait pas de droit aux langues régionales : preuve de l'insuffisance des textes.
Depuis des décennies, les institutions internationales rappellent l'importance des langues dans le patrimoine de l'humanité et incitent les États à les défendre et à la promouvoir. La France est riche de sa diversité culturelle et linguistique : nous sommes responsables devant les générations futures de sa préservation.
Cette proposition de loi est modeste mais nécessaire. La commission y est favorable, sous réserve de modifications que j'approuve ; j'espère que le Gouvernement et le Sénat partageront son avis. (Applaudissements à gauche ; plusieurs sénateurs socialistes félicitent l'orateur en occitan)
Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture - Cette proposition de loi vise à compéter la loi de 1994 en précisant que les panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération peuvent être assortis d'une traduction en langue régionale. Elle vise à transcrire en droit positif ce qui n'est pas interdit et pratiqué dans de nombreuses communes de France.
La question des langues régionales mobilise le Parlement, comme en témoignent de nombreuses questions et propositions de loi. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, la Constitution reconnaît que les langues régionales appartiennent au patrimoine national.
La combinaison des articles 3 et 21 de la loi du 4 août 1994 permet aux communes d'implanter des panneaux d'entrée et de sortie en langue régionale. Le Conseil constitutionnel impose une signalisation en français mais ne prohibe pas une signalisation bilingue.
On peut se demander s'il est opportun de légiférer pour autoriser une pratique non proscrite. Mais le tribunal administratif de Montpellier a récemment obligé la commune de Villeneuve-lès-Maguelone à retirer ses panneaux, non parce qu'ils étaient bilingues mais d'abord pour des raisons de sécurité routière, ensuite parce que le ò ne figure pas dans l'arrêté de 1967 relatif à la signalisation routière. Il faudrait au moins adapter la réglementation typographique.
Enfin, le juge a invoqué l'incapacité de la commune à faire valoir un usage historique attesté. Dès lors, aucune « circonstance particulière ou tenant à l'intérêt général » n'imposait un panneau bilingue. Ces derniers considérants pourraient conduire à empêcher une pratique admise par la loi comme par le juge constitutionnel : ce serait dommage.
Dans ces conditions, la commission soutient cette proposition de loi, étant précisé qu'il ne faudrait pas que la volonté du législateur fût interprétée comme remettant en cause en cause d'autres pratiques, telle l'installation de panneaux de noms de rue en langue régionale. La dénomination française doit, quoi qu'il arrive, être inscrite en premier. (Marques d'approbation à gauche)
La commission a relevé deux difficultés. En premier lieu, l'article unique ne mentionne que « les panneaux apposés sur la voie publique », ce qui pourrait inclure les panneaux publicitaires. Le titre de la proposition de loi ne vise pourtant que les panneaux d'entrée et de sortie. N'encourageons pas la pollution des paysages par la prolifération de panneaux, contre laquelle se bat, avec le soutien de la commission, M. Ambroise Dupont.
Il faut ensuite revenir sur le mot « traduction » : n'autorisons pas les communes à inventer un nom à tonalité régionale sans qu'il y ait le moindre fondement historique. C'est l'appellation française qui est, historiquement, une traduction du nom régional : Castelnaudary s'appelait Castel Neu d'Ari et Bergerac, Brageirac. Je vous soumettrai donc un amendement en ce sens. (Applaudissements sur la plupart des bancs ; des sénateurs socialistes interpellent le ministre en occitan, lequel leur répond dans cette langue ; sourires)
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. - (Applaudissements à droite) Cette proposition de loi vise pour la première fois à donner à lire les noms de lieux dans leur forme traditionnelle et la langue qui les a façonnés. L'idée est enracinée en nous d'une adéquation parfaite entre la langue française et le territoire national ; nous acceptons que le français déborde sur les pays voisins, nous louons la féconde dispersion de notre langue dans le monde mais qu'on parle en France une autre langue que le français nous trouble. Pourtant, les limites politiques et linguistiques diffèrent. M. Courteau nous invite en réalité au dévoilement d'une réalité cachée : sous l'habillage uniforme des appellations officielles, d'autres noms se cachent qui nous portent à lire ou à relire l'histoire des langues dans notre pays.
Les noms de ville ont souvent été adaptés à la phonétique et à la graphie française : Millau pour Milhau, Polignac pour Polinhac ; voilà pour la graphie. Pour la phonétique, la diphtongue [aw] de Milhau sera prononcée [o], Castelnôu avec [ow] devient Castelnau ; il y a aussi des cas de traduction pure et simple, lorsque Castelnôu devient Châteauneuf. Il ne faut pas parler de traduction en langue régionale : c'est le plus souvent le nom français qui est une traduction ou une adaptation.
En dehors de quelques zones périphériques comme l'Alsace, la toponymie officielle se distingue de la toponymie historique. Il n'y a rien de répréhensible à ce que celle-ci apparaisse sur la voie publique. (« Très bien ! » à gauche) Il me plaît et m'importe de savoir que sous Le Guilvinec se cache Ar Gelveneg et que Guingamp dissimule à peine Gwengamp, ce qui m'apprend que gwenn signifie « blanc », que le lann de Landerneau est « l'ermitage » et le ploc de Plougastel « la paroisse ». Et Dunkerque, « l'église de la dune »...
Il ne s'agit pas de repli identitaire mais de dévoilement identitaire : c'est un miroir plus fidèle de la nation, politiquement une, culturellement plurielle.
Faut-il pour autant légiférer ? Jusqu'ici, l'usage n'avait pas posé de difficulté. Ce qui n'est pas interdit est autorisé...
M. Gérard Longuet. - Principe fort libéral !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. - Mais je n'ignore pas qu'une décision de justice a imposé le retrait de panneaux en occitan.
Par sa proposition de loi, M. Courteau veut éviter des contentieux et la prospérité d'une nouvelle philosophie du droit qui voudrait que n'est autorisé que ce qui est expressément prévu par la loi.
Sans doute faut-il se résoudre à en passer par la loi mais celle-ci ne doit pas être entendue de manière restrictive : les panneaux de rue bilingues ne sont pas exclus. Le Gouvernement ne s'opposera pas à ce texte, qui donnera droit de cité aux langues régionales et une réalité concrète au nouveau principe constitutionnel. Dans la mondialisation, la pluralité des langues et des cultures est une chance pour notre pays, qu'elle rend plus attractif.
A condition que la sécurité routière ne soit pas mise en péril, et sous réserve de l'adoption des amendements de la commission, cette proposition de loi reçoit donc l'accord du Gouvernement. (Applaudissements sur la plupart des bancs)
M. François Fortassin. - J'ai jadis enseigné l'occitan. Ce débat est l'occasion de réunir Catalans, Languedociens, Béarnais et Bretons dans leur joyeuse diversité culturelle. Je félicite M. Courteau de son initiative. Cette loi a été rendue nécessaire par la décision du tribunal de Montpellier. J'ai apprécié la position équilibrée de la commission et j'ai constaté que M. le ministre était aussi un puits de culture régionale.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. - Merci !
M. François Fortassin. - Il faudra éviter quelques écueils. Dans des terres frontalières, plus de deux langues peuvent être en usage et il faut éviter la prolifération -je pense au Val d'Aran, où l'on parle catalan, aranais et castillan. N'allons pas non plus trop loin dans la traduction : les langues régionales sont l'héritage de civilisations rurales et il est difficile d'y traduire les notions de voiture ou de fracture numérique... Sans jacobinisme, il faut se garder de toute dérive.
C'est avec grand plaisir que je voterai ce texte amendé par la commission, comme la majorité du RDSE. (Applaudissements à gauche)
M. Ivan Renar. - Les langues régionales participent de la diversité culturelle de notre pays : il faut les défendre mais ce ne doit pas être au détriment de la langue de la République. Il n'y a nulle opposition. (Applaudissements à gauche)
C'est contre l'uniformisation culturelle et linguistique qu'il faut lutter : l'anglais s'impose aux dépens du français, jusque dans les institutions européennes où ce dernier est pourtant langue officielle.
Depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts, la langue française assure l'unité de la France, l'égalité de tous devant la loi. Aujourd'hui, notre pays ne persécute pas les cultures régionales, vecteurs d'histoire et d'ouverture auxquels il faut donner les moyens d'exister, non en faire les ferments d'un repli identitaire. L'article premier de la Constitution consacre ce qui unit et rassemble, non ce qui divise.
Aujourd'hui, un enseignement facultatif des langues régionales existe dans l'enseignement secondaire, malgré le manque de moyens. Depuis 2008, les langues régionales ont été constitutionnalisées. Nous parlons aujourd'hui de panneaux sur la voie publique ; demain, invoquera-t-on la Constitution pour favoriser le communautarisme ? C'est avec « une main tremblante » que je prends position dans ce débat.
Ce n'est pas parce qu'il s'agissait de panneaux bilingues que le tribunal de Montpellier a imposé le retrait de ceux de Villeneuve-lès-Maguelone. Le Conseil constitutionnel a rappelé, en juin 1999, que la promotion des langues régionales ne pouvait remettre en cause l'égalité devant la loi ni l'indivisibilité de la République.
Mme le rapporteur a raison de vouloir restreindre le champ du texte aux panneaux d'entrée et de sortie. En l'état, cette proposition de loi ne contrevient à aucun principe constitutionnel et nous la voterons, en réitérant notre appel à la prudence. (Applaudissements à gauche)
M. Joseph Kergueris. - Je veux dire l'accord et la perplexité du groupe de l'Union centriste. Le Breton que je suis est particulièrement sensible à ces questions, d'autant que le département que je représente est le seul de France dont le nom ne soit pas français : Morbihan signifie, en breton, « petite mer ». Cette appellation choisie par les constituants est-elle donc contraire à la loi de 1994 ? Mais à l'entrée de notre département, le panneau n'est pas traduit en français...
En Bretagne, la plupart des communes ont déjà des panneaux bilingues, et les départements aussi. Sommes-nous en infraction ? Non, et c'est cette proposition de loi qui m'en a convaincu. Son argumentaire en montre admirablement l'inutilité. Si tout ce qui n'est pas interdit est autorisé, pourquoi une loi ?
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - Pour éviter des contentieux !
M. Joseph Kergueris. - Cela risque d'avoir un effet restrictif.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - Mais non.
M. Joseph Kergueris. - Pour l'heure, seul un jugement du tribunal administratif de Montpellier restreint les possibilités.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - Il y a des menaces.
M. Joseph Kergueris. - C'est peut-être un peu léger pour s'en remettre à la loi.
M. Jean-Jacques Mirassou. - On a vu pire.
M. Joseph Kergueris. - Au bénéfice du doute, j'accepte votre proposition de loi. Les langues régionales font partie de notre patrimoine, elles sont des marques d'identité et d'identification. Cette proposition de loi a le mérite d'ouvrir un vrai débat de fond.
Je salue le travail de Mme Mélot, dont je partage l'analyse. (Applaudissements au centre et à droite)