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Table des matières
Bisphénol A (Deuxième lecture)
Mme Patricia Schillinger, rapporteure de la commission des affaires sociales
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée
Hébergement d'urgence (Questions cribles)
Recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'APA
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi
Engagement de procédure accélérée
Questions prioritaires de constitutionnalité
Égalité des territoires (Proposition de résolution)
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement
Décisions du Conseil constitutionnel
SÉANCE
du jeudi 13 décembre 2012
38e séance de la session ordinaire 2012-2013
présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président
Secrétaires : M. Alain Dufaut, M. Gérard Le Cam.
La séance est ouverte à 9 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Bisphénol A (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.
Discussion générale
Mme Patricia Schillinger, rapporteure de la commission des affaires sociales . - Nous avons longuement débattu de ce texte le 9 octobre dernier. Rappelons le contexte : le bisphénol A (BPA) est très largement utilisé dans les produits de la vie courante. D'après les études de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en 2011 et en 2012, il existe un consensus sur la toxicité du bisphénol A chez l'animal -elle est suspectée chez l'homme ; sur le fait que l'alimentation est la source principale d'exposition ; sur les effets à faible dose du produit ; et sur la vulnérabilité particulière des femmes enceintes ou allaitantes et des nourrissons.
Quelles sont les modifications apportées par l'Assemblée nationale ? D'abord, la date qui nous avait beaucoup occupés. Par prudence, les députés ont retenu le premier jour du premier mois suivant la promulgation de la loi, quand nous avions fixé au 1er janvier 2013 l'interdiction pour tous les conditionnements alimentaires destinés aux enfants de 0 à 3 ans. Pour les autres conditionnements, le Sénat, peut-être dans sa légendaire sagesse, avait retenu la date du 1er juillet 2015. Pour autant, les industriels ont largement anticipé cette évolution -preuve de l'utilité de nos débats parlementaires. L'Assemblée nationale est revenue à la date volontariste que je défendais, à savoir le 1er janvier 2015. Nous pouvons d'autant plus l'accepter que les députés ont circonscrit le champ aux conditionnements en contact direct avec les produits alimentaires.
En outre, le Gouvernement devra remettre avant le 1er juillet 2014 un rapport évaluant les substituts possibles au bisphénol A, ce qui permettra si nécessaire une évolution de la législation. L'Assemblée nationale a enfin confirmé l'habilitation des agents de la répression des fraudes au contrôle de ces dispositions et l'avertissement sanitaire que nous voulions.
En revanche, ils ont supprimé, au motif que son champ était trop large, l'extension de la suspension, proposée par Mme Jouanno, à tous les dispositifs médicaux à destination des femmes enceintes ou allaitantes et des enfants en bas âge contenant des substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques, les fameux CMR. Le tableau des CMR publié au Journal officiel de l'Union européenne comporte plus de mille pages... Mieux vaut en rester là d'autant qu'un rapport viendra.
L'Assemblée nationale a circonscrit le champ de la mesure plus ciblée, introduite par M. Barbier, pour interdire au 1er juillet 2015 l'utilisation, dans les services de pédiatrie, de néonatalogie et de maternité, de matériels de nutrition parentérale et de tubulures contenant certains phtalates. Les députés ont limité cette disposition aux dispositifs contenant le seul DEHP.
En outre, l'Assemblée nationale a ajouté deux interdictions : l'utilisation du BPA pour les collerettes des tétines, sucettes et anneaux dentaires et les biberons contenant du bisphénol A dans les établissements de santé.
Le rapport voulu par les Verts sur les perturbateurs endocriniens nous renseignera et permettra d'actualiser nos connaissances.
La navette parlementaire a été fructueuse. Adoptons ce texte sans modifications pour qu'il entre en vigueur sans délai. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille . - Je vous prie d'excuser l'absence de la ministre de la santé.
Ce texte n'a qu'un objectif : la sécurité de nos concitoyens. Il ne s'agit pas de sanctionner : quand la santé est en jeu, les intérêts privés doivent passer à l'arrière-plan. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont voté en 2010 l'interdiction du bisphénol A dans les biberons. La même année, une étude a montré l'existence d'un lien entre le BPA et certaines pathologies ; une autre, en 2011, que les femmes enceintes ou allaitantes et les enfants en bas âge étaient les plus vulnérables au BPA. On sait que le BPA peut migrer vers les produits alimentaires. Dans ce contexte scientifique, il serait irresponsable de ne pas agir.
Ce texte, déposé il y a un an par M. Bapt et cosigné notamment par M. Jean-Marc Ayrault, vise à interdire le bisphénol A dans la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché de conditionnements alimentaires utilisant du bisphénol A. Ce faisant, la France sera pionnière en Europe : le bisphénol A est un produit potentiellement toxique pour tous nos concitoyens. Nous avons procédé par étapes : la date du 1er janvier 2013 pour les produits à destination des enfants de moins de 3 ans, deux ans après pour tous les contenants alimentaires, le temps de trouver des substituts.
Avec la Conférence environnementale, ce Gouvernement a posé les bases de la démocratie environnementale : une méthode et un calendrier pour éliminer les risques que présentent les substances mutagènes, cancérogènes, reprotoxiques et les perturbateurs endocriniens. Nous devons progresser dans les recherches, au niveau national comme à l'échelle européenne.
Cela dit, pour certains produits, nous ne pouvons plus attendre. Ainsi, à l'article 3, l'Assemblée nationale a décidé d'interdire les tubulures contenant du phtalate DEHP dans les services de pédiatrie, néonatologie et maternité. Un substitut existe et il n'est pas nocif. Le Gouvernement s'est saisi du sujet des dispositifs médicaux ; c'est un signal fort envoyé aux industriels pour qu'ils mènent rapidement des travaux sur les produits de substitution : ce texte marque la fin du laissez-faire.
La prévention des risques sanitaires de l'environnement est un axe majeur de la politique de santé du Gouvernement. Un groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens rendra ses conclusions avant juin 2013. Les actions seront priorisées, nous ne pouvons pas nous circonscrire au bisphénol A ; il faudra mener le travail sur les phtalates et rechercher des substituts, tous les perturbateurs endocriniens doivent faire l'objet de notre attention.
Notre priorité est la protection de nos concitoyens : adoptons ce texte conforme sans tarder ! (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Deroche . - Le bisphénol A représente un danger sanitaire à haute température et au contact d'un aliment, tel un biberon de lait réchauffé au micro-ondes. D'où la proposition de loi du 30 juin 2010, dont l'initiative revient au Sénat, pour protéger en urgence une population fragile, les nourrissons et enfants de moins de 3 ans dont le système hormonal est encore immature.
Pour ce texte, la situation est différente : d'une part, il interdit l'utilisation du BPA, chauffé ou non, au contact des produits alimentaires ou non ; d'autre part, l'innocuité des substituts n'est pas encore garantie. Il faut donc ménager une période transitoire afin que les industriels puissent s'adapter. Je me réjouis donc de l'alinéa 6 ajouté à l'article premier par les députés. Je me réjouis également du rapport demandé au Gouvernement sur les substituts. Ne nous précipitons pas au risque de prononcer une suspension qui serait contre-productive.
Nous soutenons le compromis trouvé sur les dates, ainsi que l'article 4. Le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements à droite)
Mme Isabelle Pasquet . - La protection de nos concitoyens est un impératif politique et sanitaire qui découle du principe de précaution à valeur constitutionnelle. Cela aurait dû nous conduire à une position moins frileuse. Dès 2010, il aurait fallu interdire l'utilisation du bisphénol A dans tous les conditionnements alimentaires et ne pas repousser les délais.
Dans ces circonstances, nous sommes déçus devant le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale. La restriction de l'interdiction du recours au bisphénol A dans les conditionnements en contact direct avec des produits alimentaires était une demande du secteur agro-alimentaire ; elle ne saurait nous satisfaire. La recherche sur les substituts est une nécessité ; les pouvoirs publics l'accompagneront-ils ? Y participeront-ils ? Elle ne doit pas rester entre les mains des industriels.
La proposition de Mme Jouanno d'interdire les dispositifs médicaux contenant des substances CMR dès le 1er janvier 2015 était peut-être trop ambitieuse, mais pourquoi la supprimer purement et simplement ? Le Gouvernement peut-il nous rassurer sur ses intentions ? Idem sur la limitation apportée à la proposition de M. Barbier : seul le DEHP sera interdit dans les tubulures utilisées dans les services de néonatologie, maternité et pédiatrie.
Certes, il est difficile de parvenir à un équilibre, légiférer sur le fondement du principe de précaution n'est pas aisé. Pour autant, ce texte marque un progrès. La loi de 2010 avait fait bouger les lignes : trois autres pays européens nous ont suivis. Puisse ce nouveau texte en faire de même.
Le groupe CRC votera le texte de l'Assemblée nationale. (Applaudissements à gauche)
M. Vincent Capo-Canellas . - L'objectif est consensuel. La question n'est pas de savoir si nous devons adopter ce texte, mais selon quelles modalités.
D'autres, avant moi, ont rappelé l'état des connaissances scientifiques sur la toxicité du bisphénol A. Après le texte de 2010, cette proposition de loi interdit le recours au bisphénol A pour les conditionnements destinés aux nourrissons dès le premier jour du premier mois suivant la promulgation du texte et étend cette suspension à tous les produits au 1er janvier 2015. Auparavant, un rapport d'étape sera l'occasion de faire le point sur cette question. Je me réjouis de ces dispositions pragmatiques.
Qu'en est-il pour les dispositifs médicaux ? Pour nous, il faut maintenir la proposition de Mme Jouanno, en pointe sur ces questions depuis son passage au ministère de l'écologie. Lors de la conférence environnementale, le Gouvernement a pris peu d'engagements à ce sujet, si ce n'est celui de la ministre de l'écologie. Il faut approfondir les recherches, on en sait encore trop peu sur les effets cocktail ou à long terme de ces substances.
Oui, il faut agir au niveau national comme à l'échelon européen pour réduire l'exposition de nos concitoyens aux perturbateurs endocriniens. N'oublions pas les effets sur la concurrence. La demande d'inscription du bisphénol A dans Reach et un rapport en février prochain sur la protection des populations vont dans le bon sens. Pourtant, la France doit pousser la Commission européenne à agir plus vite pour lutter contre les phtalates, les perturbateurs endocriniens, les substances mutagènes, cancérogènes et reprotoxiques.
Ce texte est un signal fort, poursuivons dans cette voie.
M. Gilbert Barbier . - À ce stade, il est inutile de justifier le bien-fondé de ce texte : le doute, au nom du principe de précaution, doit suffire à interdire une substance. Du reste, le RDSE avait été à l'initiative de la loi du 30 juin 2010, que le Sénat avait restreinte aux biberons, et que l'Europe avait reprise. Depuis, des études scientifiques ont prouvé la toxicité des CMR, je l'ai vu en conduisant un rapport pour l'Opecst.
C'est dire que je partage la préoccupation des auteurs de la proposition de loi. Je regrette toutefois que les députés aient réduit ma proposition au DEHP et aux tubulures. Quid des contenants, comme les poches plastiques, et les autres phtalates ?
Il n'y a plus à tergiverser ; au reste, les industriels ont largement anticipé cette interdiction. L'avertissement sanitaire devrait être plus gros pour être efficace ; voyez le logo pour l'alcool chez les femmes enceintes.
En revanche, j'ai une objection concernant la date du 1er janvier 2015 pour l'interdiction totale. Certes, il y a Nestlé. Mais cette entreprise ne met pas en boîte du cassoulet de Castelnaudary... Il ne sera pas facile de trouver des substituts, en particulier pour les produits acides. J'en appelle, madame la ministre, à fixer une date réaliste pour plus d'efficacité.
Mme Aline Archimbaud . - La dangerosité du bisphénol A n'est plus une hypothèse : plus de 700 études, dont 95 % sont concordantes, décrivent ses effets délétères sur la qualité du sperme ou le métabolisme du glucose, montrent qu'il augmente les risques de cancer et, surtout, que ses effets sont héréditaires et transgénérationnels.
Nous saluons donc cette proposition de loi. Certes, elle exclut, depuis son passage à l'Assemblée nationale, les dispositifs médicaux et les conditionnements qui ne sont pas directement en contact avec un produit alimentaire. Néanmoins reconnaissons qu'elle comporte une grande avancée : le rétablissement de la date initiale de l'interdiction pour tous les conditionnements, soit le 1er janvier 2015. Autre motif de satisfaction, le rapport sur les substituts que le Gouvernement doit remettre pour le 1er juillet 2014. Des substituts existent d'ores et déjà, leur liste est longue depuis les briques Tetra Pak, le copolyester Tritan jusqu'aux films en PET. Enfin, l'interdiction du bisphénol A dans les tétines et autres sucettes.
Si je regrette que l'on ait écarté la proposition de Mme Jouanno, il faut adopter ce texte sans modifications afin qu'il entre rapidement en vigueur. Ce texte n'est qu'une étape, il ne nous empêche pas de poursuivre le combat sur les perturbateurs endocriniens. Une étude d'un chercheur de l'Institut de veille sanitaire, M. Matthieu Rolland, publiée le 5 décembre dernier, a montré une chute de 32 % du taux de concentration des spermatozoïdes dans les pays industrialisés entre 1989 et 2005 ; cette chute peut être liée à des facteurs environnementaux, dont les perturbateurs endocriniens. Le rapport prévu à l'article 4 est bienvenu, de même que la mise en place du groupe de travail annoncée par le Gouvernement. Nous serons vigilants. (Applaudissements à gauche)
M. Bernard Cazeau . - Je veux remercier M. Bapt pour son initiative. Ce texte a pris sa forme définitive : le mot suspension souligne sans équivoque notre volonté d'appliquer le principe de précaution en matière de santé publique.
En 2010, un rapport du ministre de la santé du Canada démontrait la présence de traces de BPA dans 91 % de la population. La liste des effets suspectés de cette substance est longue et inquiétante. L'absence de certitudes ne doit pas retarder la mise en place d'une politique de prévention.
En première lecture, le Sénat avait précisé l'interdiction du BPA dans les emballages alimentaires. L'Assemblée nationale n'a pas remis en cause notre texte, si ce n'est qu'elle a avancé cette interdiction de six mois, au 1er janvier 2015, ce qui d'ailleurs était la position du groupe socialiste du Sénat en première lecture. Le compromis est acceptable, d'autant que les entreprises pourront faire face : elles n'ont pas attendu l'adoption de ce texte pour travailler sur des substances alternatives et innovantes. Il s'agit d'une chance pour notre industrie, car d'autres pays commencent à envisager d'interdire le BPA. Pensez-vous que les consommateurs espagnols et italiens soient moins attentifs et vigilants que les Français ?
L'Assemblée nationale a adopté deux mesures de compromis : seuls les conditionnements entrant en contact direct avec les aliments seront concernés. Le Gouvernement remettra, avant le 1er juillet 2014, un rapport pour évaluer les substituts possibles au BPA, en fonction duquel nous adopterons, si besoin est, notre législation. Il serait déraisonnable de rouvrir le débat sur les dispositifs médicaux.
M. Gilbert Barbier. - Et pourtant !
M. Bernard Cazeau. - Plus de 400 molécules étaient visées. En raison du champ trop large, l'Assemblé nationale a estimé que nous risquions de nous priver des dispositifs médicaux indispensables. Il nous faudra revenir sur cette question à l'avenir. Ne nous précipitons donc pas et cherchons la meilleure solution. M. Barbier voulait interdire trois catégories de phtalates dans les services de maternité. Pour l'un des trois, le DEHP, il existe un substitut possible. Pour les deux autres, le rapport prévu à l'article 4 nous dira l'état de la recherche.
Nous devons voter ce texte conforme pour qu'il entre en vigueur rapidement. (Applaudissements à gauche)
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée . - Je veux remercier tous les orateurs. Nous partageons tous le même objectif. Il s'agit effectivement d'une avancée notable et Mme la ministre saura porter devant ses collègues européens les engagements qu'elle a pris devant vous. Merci à Mme la rapporteure pour son travail.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Article premier
Les amendements nos2, 10 et 4 ne sont pas défendus.
M. le président. - Amendement n°9, présenté par M. Barbier.
Alinéa 4
Supprimer les mots :
, l'exportation
M. Gilbert Barbier. - Il faudrait autoriser l'exportation de produits contenant du BPA qui est toujours utilisé à l'étranger, afin de ne pas défavoriser nos entreprises.
Mme Patricia Schillinger, rapporteure. - La commission était opposée à cet amendement en première lecture. Comment exporter des substances que nous estimons toxiques en France ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. - Il s'agit d'une question d'éthique : on ne peut pas exporter des produits dangereux. Avis défavorable.
M. Gilbert Barbier. - Je comprends l'argument et retire mon amendement. Mais les PME seront pénalisées.
L'amendement n°9 est retiré.
L'amendement n°5 n'est pas défendu.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par Mme Aïchi.
Alinéa 5
Remplacer l'année :
2015
par l'année :
2014
Mme Leila Aïchi. - Il convient de rétablir la date d'application de la mesure de suspension fixée au 1er janvier 2014 dans le texte transmis en première lecture par l'Assemblée nationale.
Un report prolongera le problème sanitaire.
Nous nous exposons à un désastre sanitaire car le BPA induit de graves maladies. Comment accepter que des femmes enceintes ingèrent encore ces produits ? L'étude de l'INVS publiée le 5 décembre démontre ainsi que le nombre de cancers de la prostate a quintuplé entre 1978 et 2008, -celui des testicules et du sein- doublé.
Je ne comprends pas que des considérations économiques interviennent dans ce débat quand il y a urgence sanitaire. Il existe déjà des substituts. Pourquoi attendre encore ? Pourquoi ne pas privilégier les emballages en carton qui réduisent, de plus, les émissions de CO2 ? Ils sont utilisés en Italie, en Suède ; nous créerions des emplois.
L'amendement n°1 n'est pas défendu.
M. le président. - Amendement n°8, présenté par MM. Barbier, Mézard, Baylet, Collin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Alinéa 5
Remplacer la date :
1er janvier 2015
par la date :
1er juillet 2015
M. Gilbert Barbier. - Si on maintient le terme « comportant du BPA », certains produits continueront à être utilisés alors qu'ils en contiennent.
M. Cazeau a parlé des matériels médicaux. Pendant des années, le verre servait de contenant pour le sang. Certes, c'était moins pratique que les poches plastiques, mais interdire le BPA dans les tubulures et pas dans les contenants, c'est tout de même curieux.
Cet amendement repousse la date de l'interdiction de six mois afin de laisser aux entreprises le temps de s'adapter.
Mme Patricia Schillinger, rapporteure. - M. Barbier souhaite repousser la date et Mme Aïchi l'avancer. La commission vous propose de maintenir la date en l'état, ce qui est déjà une avancée ambitieuse. Il serait dommage de repousser la date d'adoption de ce texte. De plus, le Gouvernement pourra toujours autoriser certaines opérations s'il n'y a pas de solutions alternatives. Avis défavorable aux deux amendements.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. - Je partage ces arguments. L'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un compromis. L'urgence est de voter cette loi le plus vite possible. Retrait des deux amendements ?
Mme Leila Aïchi. - Je maintiens mon amendement. À juste titre, Mme la ministre a souligné dans son intervention la nocivité du BPA ; à juste titre elle a rappelé les effets de cette substance sur la reproduction humaine.
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
M. Gilbert Barbier. - Je comprends la nécessité de trouver un compromis. Reste que les industriels devront s'adapter rapidement aux nouveaux conditionnements. Je compte sur vous, madame la ministre, pour les y aider.
L'amendement n°8 est retiré.
L'article premier est adopté.
Article 2
Les amendements n°s3 et 11 ne sont pas défendus.
L'article 2 est adopté.
Article 3
M. le président. - Amendement n°7, présenté par Mme Jouanno et les membres du groupe UCI-UC.
Alinéa 4
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 5214-1. - Sont suspendues à compter du 1er juillet 2015 la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tout dispositif médical destiné aux femmes enceintes, aux femmes allaitantes, aux nourrissons ou aux enfants jusqu'à trois ans comportant :
« 1° soit une des substances définies comme cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques de catégorie 2 au sens de la partie 3 de l'annexe VI du règlement CE n°1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) n°1970/2006 ;
« 2° soit un perturbateur endocrinien présentant de probables effets sérieux pour la santé humaine, identifié dans les conditions fixées à l'article 59 du règlement (CE) n°1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n°793/93 du Conseil et le règlement (CE) n°1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission.
M. Vincent Capo-Canellas. - Cet amendement reprend la proposition n°10 de la mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, présidée par Mme Jouanno. Il interdit l'ensemble des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR de catégorie 2) et perturbateurs endocriniens dans les dispositifs médicaux destinés aux nourrissons, jeunes enfants et femmes enceintes.
Les dispositifs médicaux ne sont pas moins dangereux que des jouets ou des conditionnements pour la santé de nos concitoyens, pouvait-on lire dans le rapport de la mission adopté à l'unanimité. M. Barbier, au nom de l'Opesct, ne disait pas autre chose.
Il est temps d'agir : pourquoi maintenir le BPA dans les dispositifs médicaux ?
Enfin, l'argument de la réunion de la CMP, qui retiendrait l'entrée en vigueur de la loi, est de faible portée : n'est-ce pas pour éviter le débat ? (M. Gilbert Barbier applaudit)
Mme Patricia Schillinger, rapporteure. - Le Sénat avait adopté cet amendement en première lecture. Le rapport de la mission d'information présidée par Mme Jouanno a démontré qu'il fallait créer les conditions d'une vraie sécurité. L'article 4 prévoit d'ailleurs un rapport du Gouvernement sur les perturbateurs endocriniens. C'est à partir de ce rapport que nous pourrons agir. Le champ de cet amendement est trop large : il vise tous les dispositifs médicaux : nul n'est capable de dire combien de dispositifs sont concernés. En outre, un hôpital aurait bien du mal à distinguer ceux qui ne concernent que les services de pédiatrie. L'Assemblée nationale parle de 400 dispositifs, mais j'estime qu'il s'agit plutôt de 6 000 d'entre eux. Le litium ne fait-il pas partie de ces substances ? Devrons-nous l'interdire alors qu'il est présent tant dans les batteries que dans certains médicaments. Autant il est possible de se passer d'un jouet ou d'un emballage, autant il est beaucoup plus délicat de refuser un dispositif médical qui peut sauver des vies.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. - Je respecte l'amendement de Mme Jouanno, qui soulève des questions importantes. Mais cette disposition est imprécise : son champ d'application est trop large. Nous ne connaissons pas toutes les alternatives : quels substituts ? Sont-ils sans danger pour la santé ?
Ce texte démontre la volonté du Gouvernement d'avancer sur cette question avec l'interdiction du DEHP dans les tubulures, du bisphénol A dans les tétines et du biberon au bisphénol A comme dispositif médical. En l'état actuel, nous ne disposons pas des études suffisantes pour interdire dès maintenant certains dispositifs médicaux. Retrait ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Si le champ de cet amendement est trop large, pourquoi ne pas le restreindre? Je ne comprends pas le refus du Gouvernement, d'autant que cet amendement avait été adopté en première lecture.
M. Bernard Cazeau. - L'amendement de Mme Jouanno reprend les préconisations du rapport dont j'étais le rapporteur. J'en approuve le principe. Il n'est néanmoins pas possible de changer de dispositifs médicaux aussi rapidement. Les procédures doivent être respectées. Je me range donc à l'avis de l'Assemblée nationale, de Mme la rapporteure et de Mme la ministre.
Certes, nous pourrions décider de notre propre législation sans attendre l'Europe, mais attendons la présentation des études à venir. Il est nécessaire d'envisager cette question de façon plus globale.
M. Gilbert Barbier. - J'admire les contorsions verbales de Mme la rapporteure et Mme la ministre. Il y a un instant, il y avait urgence : maintenant, il faut attendre.
Pourquoi ne pas appliquer le principe de précaution ? Les substances de remplacement existent, tant pour les tubulures que pour les contenants. Certes, la loi doit être votée rapidement, mais pour les prématurés, la teneur en BPA est de 100 à 500 fois supérieure à ce qu'elle est pour un adulte. La mission d'information a beaucoup travaillé, et je regrette que le Sénat repousse cet amendement.
Mme Nathalie Goulet. - Nous avons connu M. Cazeau plus audacieux, notamment sur les cabines de bronzage. (Sourires)
Sur cet amendement, j'observe que la date du 1er janvier 2015 n'est pas demain : cela laisse du temps...
Le vote conforme ne s'impose pas. Une CMP ? Et alors ? La sécurité sanitaire n'en souffrirait pas. Cet amendement pourrait être rectifié. Le refus du Gouvernement est un mauvais signal pour la sécurité sanitaire.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. - Sans être médecin, je sais l'importance d'apprécier le risque : si l'on veut supprimer un produit dans les instruments médicaux il faut être sûr que le substitut n'est pas plus néfaste encore. Or nous n'en savons rien.
Il ne s'agit pas d'un recul ; nous voulons supprimer tous les phtalates, mais prenons le temps d'évaluer les produits de substitution. Au nom du principe de précaution, nous risquons de prendre de nouveaux risques.
Mme Nathalie Goulet. - 2015 ! Deux ans, madame la ministre !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. - Sachons apprécier les risques que nous prendrions pour les actes médicaux lourds. Je souhaite le retrait de cet amendement.
Mme Patricia Schillinger, rapporteure. - Vous étiez chirurgien, monsieur Barbier. Le champ de cet amendement est bien trop large : comment contrôler l'interdiction de milliers de substances ? On prendrait un risque.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté, ainsi que l'article 4.
La proposition de loi est définitivement adoptée.
(Applaudissements)
Accord en CMP
M. le président. - La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la création de la Banque publique d'investissement est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
La séance est suspendue à 10 h 50.
présidence de M. Jean-Pierre Bel
La séance reprend à 15 heures.
Hébergement d'urgence (Questions cribles)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l'hébergement d'urgence à Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement.
M. Alain Bertrand . - Selon le baromètre du 115, la prise en charge des sans-abri s'est encore détériorée depuis un an : les demandes d'hébergement ont augmenté de 37 % depuis novembre 2011. Le taux de réponses négatives atteint 78 %. Les familles représentent 53 % des demandes, en hausse de 60 %. Le Premier ministre a annoncé, en clôture de la conférence de lutte contre la pauvreté et les exclusions, 8 000 nouvelles places d'hébergement et des moyens consolidés. Le plan hivernal a été mis en place, et vous avez évoqué des réquisitions. Mais l'État doit assumer ses responsabilités. Je regrette l'absence de réponse annuelle, pas seulement en période de grand froid. L'hébergement d'urgence n'est pas affaire de saison et cette gestion au thermomètre provoque un stop and go permanent. Les demandes sont aussi importantes en juillet qu'en mars, les réponses négatives plus nombreuses en été qu'en hiver. Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour gérer le problème tout au long de l'année ? (M. Jacques Mézard applaudit)
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. - L'aggravation de la crise accroît le mal-logement, jetant des familles à la rue. On meurt plus à la rue en été qu'en hiver, les besoins sont pérennes. D'où les annonces du Premier ministre, en particulier les 8 000 places supplémentaires, en plus des 1 000 déjà budgétées. J'espère que nous mettons en place pour la dernière fois le plan grand froid. Dans certaines agglomérations, le Gouvernement réquisitionnera des bâtiments vides, pour assumer ses responsabilités, car le droit à un toit est un principe fondamental.
M. Alain Bertrand. - Cette réponse nous convient parfaitement.
Mme Élisabeth Lamure . - Avant même le froid, trop de personnes appelant le 115 restaient à la rue : à Lyon, plus de 700 se sont vu refuser un hébergement en novembre, quand la température n'était pas encore si redoutable. La loi Dalo de 2007, la loi Logement de 2009 ont montré leurs limites. Les contrats d'insertion sont devenus sans effets, du fait de l'absence de sanctions lorsqu'ils n'étaient pas respectés. Des places d'urgence sont occupées à long terme. Il ne faut pas confondre hébergement, temporaire par définition, et logement. Prévoyez-vous de revoir la réglementation applicable à chacun de ces deux segments, aussi bien pour la réhabilitation que pour la construction ? Elle a été adoptée trop rapidement sous la pression de l'occupation du canal Saint-Martin.
Mme Cécile Duflot, ministre. - Nous n'envisageons pas de revenir sur les avancées de la loi de Mme Boutin, notamment l'ouverture de centres toute la journée. Le maintien dans des sites d'hébergement de personnes qui ont vocation à accéder à un logement pérenne est un vrai problème : les annonces du Premier ministre, dont les 9 000 places en logement accompagné, vont dans ce sens.
Parmi les mesures destinées à accompagner les personnes vers le logement pérenne, une aide pratique locative rassurera les bailleurs inquiets. Les places d'hébergement doivent être réservées à ceux qui en ont vraiment besoin, notamment dans les maisons-relais, où les grands blessés de la vie sont accueillis par des hôtes. Le but ultime étant le retour au logement.
Mme Élisabeth Lamure. - J'apprécie que vous reconnaissiez que les mesures de l'ancien gouvernement étaient bonnes. Hélas la confusion entre hébergement et logement demeure, créant un embouteillage. Vous n'avez pas répondu à ma question sur les normes -9 mètres carrés pour l'ancien, 12 pour les constructions nouvelles- qui empêchent les centres d'hébergement d'allouer des places supplémentaires.
M. Yves Pozzo di Borgo . - Vos déclarations, madame la ministre, sur la réquisition des églises ont choqué certains. Votre style primesautier apporte un peu de fraîcheur à la vie politique, il est sans doute destiné à cacher votre agressivité. J'espère qu'il ne masque pas plutôt... votre impuissance ! En Île-de-France, 40 000 nuités sont financées chaque année, pour un coût élevé : 460 millions d'euros. C'est une somme importante, pourtant en matière d'hébergement d'urgence, les gouvernements successifs restent le nez sur le guidon, sans vision à long terme. Avez-vous un projet structurel ? Quid des délégations de compétence entre l'État et les conseils généraux ?
Mme Cécile Duflot, ministre. - Je ne sais si ma réponse sera primesautière, mais, quand il est question d'hébergement d'urgence, il faut être réfléchi et posé. Je maintiens, comme le Premier ministre, qu'il faut réquisitionner des bâtiments vides, parce que le dispositif des places hivernales est saturé, en Île-de-France notamment. Tous les mètres carrés vacants, qu'il s'agisse de casernes, de bureaux inutilisés, de bâtiments appartenant à des assurances, des banques, et vides depuis plus de deux ans doivent pouvoir être réquisitionnés, sans sectarisme mais avec sens des responsabilités. Certains se sont émus de mes propos ? J'imagine qu'ils éprouvent autant ou plus d'émotion à l'égard de ceux qui dorment dans la rue. Le budget 2013 sera rebasé pour mettre fin aux sous-dotations permanentes. Et un grand plan structurel sera mis en oeuvre pour l'hébergement d'urgence, car la location de chambres d'hôtel, très coûteuse, n'est pas une bonne solution. Pensons notamment aux enfants et à la nécessité de les scolariser. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Richard. - Il aurait fallu le faire avant.
M. Yves Pozzo di Borgo. - J'attends de voir le contenu de ce plan structurel. J'aurais voulu savoir quelles sont les délégations des conseils généraux, en Île-de-France notamment.
M. Claude Dilain . - Lors de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, vous avez travaillé avec les associations pour augmenter les possibilités d'hébergement et pris des décisions de bon sens. J'ai également beaucoup apprécié le retour de la notion de solidarité, en rupture avec les insupportables condamnations d'assistanat entendues tout au long du précédent septennat.
Certains territoires se spécialisent malgré eux dans l'accueil de la pauvreté : attention à ne pas renforcer cette fracture territoriale. Les chambres d'hôtels de la Seine-Saint-Denis sont très sollicitées par le Samu social, entraînant des dépenses sociales supplémentaires pour des villes déjà pauvres. Quelles réformes structurelles envisagez-vous ? (Applaudissements à gauche)
Mme Cécile Duflot, ministre. - C'est au niveau régional qu'il faut piloter le dispositif. En Île-de-France se pose un problème spécifique : le manque de places. On loge les personnes là où l'on trouve des places, pour répondre à une nécessité criante. Les arbitrages, à la fin de la conférence, ont prévu des moyens pour renforcer les services intégrés d'accueil et d'orientation (Siao) et l'organisation en réseau des divers acteurs. Il faut, dans les plans départementaux accueil hébergement insertion et de l'habitat, mieux articuler les différentes étapes, entre l'hébergement et le logement -nous y reviendrons au printemps quand je vous présenterai mon projet de loi. Avec 33 associations spécialisées, nous travaillons sur des dispositifs de diagnostics, afin de préparer la sortie du plan hiver et prévoir une meilleure articulation territoriale. (Applaudissements à gauche)
M. Claude Dilain. - Cette réponse me satisfait. Il est vrai que l'hébergement serait facilité si l'on avait plus de logements sociaux ! Lundi soir prochain, je ne doute pas que nous serons mobilisés, sur tous les bancs, pour voter sur la loi Duflot ! (Applaudissements et rires à gauche)
Mme Mireille Schurch . - Comment peut-on laisser dormir dans la rue des hommes, des femmes et des enfants par un froid aussi cruel ? C'est pourquoi nous avons demandé cette séance de questions cribles.
Le Gouvernement a pris des engagements forts à la conférence nationale. Vous vous êtes engagée à réquisitionner des logements vides, nous saluons ces efforts, ainsi que les 50 millions d'euros annoncés, mais les besoins restent criants ; d'autant qu'il faut réhabiliter les centres d'hébergement. Pourquoi le Gouvernement a-t-il refusé une taxe sur les bureaux vacants ?
D'après les associations, les expulsions concernent 50 000 personnes par an : il faut examiner notre proposition de loi qui traite de la question et interdire les expulsions en l'absence de solution de relogement. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Cécile Duflot, ministre. - Je salue le travail exceptionnel réalisé en amont de la conférence, qui a associé tous les acteurs. Le rapport Robert et Regnier qui m'a été remis, très riche, propose une transformation en profondeur des modes d'accueil, dont la prévention des expulsions. La garantie universelle des loyers sécuriserait les locataires et rassurerait les bailleurs. Nous y travaillons. Un plan pluriannuel sera annoncé le 22 janvier, du premier hébergement jusqu'au logement et à la prévention des expulsions. Trop de personnes méconnaissent les dispositifs existants. Le Parlement, et donc vous, madame la sénatrice, sera associé à ce travail. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Les femmes victimes de violences conjugales doivent se voir proposer très vite une solution d'hébergement. Les dispositifs tels que « Un toit pour elle » en Seine-Saint-Denis ou l'initiative de la Boucle d'or des Hauts-de-Seine, ne peuvent suffire, l'État doit prendre sa part aux efforts. Un tiers des places créées sur le quinquennat seront réservées aux femmes victimes de violence, souvent accompagnées d'enfants, tant mieux. Elles constituent un public spécifique. Il leur faut une solution spécifique et pérenne. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG et du groupe écologiste)
Mme Aline Archimbaud . - Le Dalo a été créé en 2007 : il faut, pour en bénéficier, déposer un dossier auprès d'une commission de médiation qui rend sa décision dans les trois à six mois. Le préfet dispose d'un nouveau délai équivalent pour proposer des logements. Il y a eu 300 000 recours depuis 2008 et les retards s'accumulent, notamment en Île-de-France, dans les régions d'outre-mer et en région Paca. Je me félicite de la circulaire du 26 octobre, qui oblige les préfets à proposer un relogement effectif aux ménages prioritaires. De quels moyens allez-vous disposer pour mettre en oeuvre cette circulaire, pour accompagner ces personnes en amont des procédures d'expulsion ? Comment cette question sera-t-elle prise en compte dans le plan de relogement annoncé mardi ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Mme Cécile Duflot, ministre. - La loi Dalo n'a pas été suffisamment accompagnée de moyens. Aujourd'hui, 47 000 ménages attendent l'application d'une décision positive de la commission de médiation : ils ne doivent pas être expulsés sans qu'un logement leur soit proposé, tel est l'objet de la circulaire d'octobre, qui restera applicable après la trêve hivernale. Le Premier ministre a annoncé le relogement en 2013 de 15 000 familles prioritaires. Mais 490 000 sont attribués chaque année. Si tous les acteurs se mobilisaient, le problème pourrait être résolu plus vite encore. Le comité de suivi de la loi Dalo a remis son rapport au président de la République. Aujourd'hui, la solution réside dans la mobilisation de tous les outils, construction, garantie universelle, taxation supplémentaire des logements vacants, remise sur le marché des 2 à 3 millions de logements vacants. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Mme Aline Archimbaud. - Votre réponse montre votre engagement. Il faut travailler en amont, pour éviter les drames. Tout le monde devra se montrer vigilant à la fin de la trêve le 15 mars. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. Pierre Charon . - La chute des températures pose le problème de l'hébergement d'urgence. Deux interrogations nous préoccupent. Vous avez évoqué la réquisition des locaux vacants en citant maladroitement l'Église et entretenant le doute à propos des appartements privés. Or il existe, au 17 boulevard Morland, 20 000 mètres carrés vacants qui appartiennent à la ville de Paris. Pourquoi refuser de procéder à un inventaire précis des capacités dans les bâtiments publics avant de menacer comme vous le faites les propriétaires privés ? (Exclamations sur les bancs CRC) Comment expliquer à nos compatriotes cette situation, alors que l'État loge dans des chambres d'hôtel à 150 euros la nuit les clandestins qui ont occupé la basilique Saint-Denis l'été dernier ? C'est une prime à la délinquance. Ceux qui transgressent la loi en séjournant irrégulièrement chez nous et en occupant illégalement un édifice religieux, quand de nombreuses familles qui respectent la loi sont dans la détresse. Elles subissent une véritable discrimination dans l'accès au logement. C'est une situation très grave sur le plan moral. L'accès à l'hébergement d'urgence ne saurait être facilité par la transgression médiatisée de la loi. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Éliane Assassi. - Indécent !
Mme Cécile Duflot, ministre. - La loi de 1998 vise uniquement les personnes morales, sans exception -mais toutes les personnes morales.
Il est indécent de polémiquer sur de prétendues réquisitions d'appartements privés. (Applaudissements à gauche)
Le prix moyen de l'hébergement en chambre d'hôtel, c'est 15 euros par nuit, et non 150 ! (M. Pierre Charon s'exclame) Allez visiter les hôtels qu'occupent ces personnes, vous verrez qu'ils sont à la limite de la décence.
Il y va de la dignité humaine : il est inacceptable que nos égaux vivent à la rue, dans des conditions dégradantes, dans un pays qui porte haut les valeurs de l'égalité et de la fraternité -non de charité... C'est un devoir de la République que de loger de façon respectable l'ensemble des habitants. C'est ce à quoi s'engage le Gouvernement, sans polémique mais avec détermination. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Charon. - Vous êtes récemment élue à Paris : vérifiez donc le prix des chambres d'hôtels. Ce n'est pas 15 euros ! (Madame la ministre s'exclame) C'est à moi de parler, pas à vous. (Exclamations à gauche) Avant de faire la leçon, il faut balayer devant sa porte ! (Exclamations à gauche)
Vous avez, comme présidente de groupe au conseil régional, voté l'achat d'un hôtel particulier de 1 800 m² à 19 millions d'euros, rue Barbet-de-Jouy, pour le confort des vice-présidents de la région. Dénommé « le château Huchon », il est vide ! (Protestations à gauche)
M. Claude Bérit-Débat . - Le nombre de demandeurs de logement augmente sans cesse, mais la pauvreté existe aussi dans les départements ruraux. Voyez ce qui se passe en Dordogne où les sept structures d'accueil ont un taux d'occupation qui frise 100 %. Il n'est plus possible de répondre aux demandes nouvelles.
En outre, les centres sont concentrés dans les agglomérations de Bergerac et Périgueux, alors que la pauvreté touche tout le département. Les collectivités territoriales sont forcées de consentir des dépenses qui ne leur incombent pas.
Il faut donc créer des hébergements d'urgence mais aussi mieux mailler le territoire. Comment l'État peut-il adapter son action aux spécificités des territoires ruraux ? (Applaudissements à gauche)
Mme Cécile Duflot, ministre. - Vous avez raison d'attirer notre attention sur les difficultés en milieu rural, où les centres sont rapidement saturés. Les petites villes ont beaucoup de mal à gérer l'urgence, alors que des familles sont en situation d'extrême mal-logement. Les disponibilités en locaux sont limitées et les coûts élevés. Enfin, se pose le problème des transports pour les personnes à la recherche d'un emploi.
Je ferai tout pour régler cette question. Nous allons ouvrir de nouvelles places pour couvrir tout le territoire, proposer des services mutualisés, des hébergements toute l'année. Croyez en mon engagement, monsieur le sénateur, car l'égalité des territoires, qui fait partie de mes attributions ministérielles, me tient à coeur. (Applaudissements à gauche)
M. Claude Bérit-Débat. - Dans les territoires ruraux, il convient de raisonner non pas tant en nombre de place qu'en termes qualitatifs. Des familles ont besoin de logements alors que nous ne disposons que de chambres pour personnes seules. Il faudrait aussi des crédits de fonctionnement supplémentaires pour gérer les centres. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Procaccia . - L'hébergement d'urgence est une compétence régalienne. Or près d'un tiers des dépenses sont prises en charge par les collectivités territoriales. Dans le Val-de-Marne, qui compte 1 600 lits d'hébergement d'urgence, il faut faire face à l'afflux des SDF qui sont des migrants irréguliers. Ainsi 40 % des mères isolées avec enfants sont africaines et en situation irrégulière. Les communes ont à leur charge l'aide sociale, la gratuité des cantines... Le poids des dépenses sociales ne peut s'accroître sans cesse pour les collectivités territoriales.
Dans le bois de Vincennes, 200 sans-abris vivent dans des tentes, dans des conditions déplorables, dans une misère absolue. Les élus tentent de trouver des réponses, M. Cambon a ainsi ouvert l'hébergement dans l'hôpital de Saint-Maurice, dont ce n'est pas la vocation. Acceptez-vous ces campements dans le bois de Vincennes ?
Enfin, le ministère devrait consulter les élus locaux et au moins informer les maires avant de prendre certaines décisions, comme la réquisition d'une ancienne maternité à Ivry, ou celle d'un foyer de cheminots. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Cécile Duflot, ministre. - Dans le bois de Vincennes, la situation est effectivement préoccupante. Aujourd'hui, ces personnes sont suivies par Emmaüs qui organise une maraude pour leur venir en aide, et par la Ville de Paris.
Le 10 décembre, il y avait 112 personnes, et 40 personnes particulièrement fragiles ont été depuis dirigées vers le fort de Nogent. Le dispositif des maraudes se poursuit.
Vous avez évoqué l'origine des personnes accueillies... Nous accueillons, sans regarder l'origine. En matière d'hébergement d'urgence, c'est l'État qui assure l'essentiel des dépenses, sans discrimination. Nous travaillons, autant que faire se peut, avec les élus, mais nous rencontrons parfois des résistances... En tout cas, l'adjoint au maire était présent lorsque je me suis rendue avec le président de la SNCF dans le foyer mis à notre disposition. Quant à la maternité, elle n'a pas été « réquisitionnée » mais ouverte à l'hébergement, en partenariat avec l'assistance publique. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Procaccia. - Je me réjouis qu'il n'y ait plus que 100 personnes dans le bois de Vincennes, même si c'est encore trop, car les conditions de vie sont déplorables.
Non, madame la ministre, les collectivités territoriales assument beaucoup de charges, de dépenses. Dans le Val-de-Marne, on ne regarde pas dans quel pays les enfants sont nés : mais le problème, c'est le coût.
La séance est suspendue à 15 h 50.
présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente
La séance reprend à 16 h 5.
Recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'APA
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie pour les successions supérieures à 150 000 euros.
Discussion générale
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi . - Cette proposition de loi se veut, après d'autres, un élément de réponse à l'urgence, que les conseils généraux rencontrent chaque année au vu de l'écart croissant entre les dépenses d'APA et la compensation de l'État. Si la tendance est structurelle, la réforme des finances locales ne permet plus de combler le trou, au point que le Gouvernement a dû créer en urgence un fonds doté de 170 millions pour aider les départements les plus en difficulté. Les recettes de la CVE sont moins dynamiques que feue la taxe professionnelle, celles de la taxe d'habitation régressent et les droits de mutation jouent au yoyo. En outre, les dotations de l'État ont été gelées au motif que les collectivités territoriales doivent contribuer au redressement des finances publiques, même si elles ne sont pour rien à leur dégradation. Les présidents de conseils généraux ont demandé à engager des négociations pour obtenir dès 2014 un financement durable des aides pour les personnes en perte d'autonomie ou dépendantes. La réponse de l'écho tarde...
La Casa n'est pas une réponse : si j'ai bien compris, l'abondement de la CNSA est compensé par une ponction équivalente... La proposition de loi Roche, qui prévoit une contribution assise sur les retraites des indépendants -elle pourrait rapporter près de 900 millions d'euros- doit encore être inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Le problème de fond n'est pas dû à la crise mais au sous-dimensionnement aventureux du dispositif de financement de l'APA à sa création en 2001. L'APA a été victime de son succès mais aussi de ses erreurs de conception. Plus complète, plus équitable que la PSD qu'elle remplaçait, l'APA répond à un besoin profond lié au vieillissement de la population. Nous vivons plus longtemps avec un besoin d'assistance multiforme : plus de 3 millions d'octogénaires aujourd'hui, 8 millions en 2060. Paradoxalement, le nombre d'années pendant lesquelles on peut espérer vivre sans incapacité régresse en France. Le nombre de personnes âgées dépendantes pourrait passer de 1,2 million aujourd'hui à 2,3 millions en 2060.
Avec 1,2 million de personnes allocataires de l'APA en 2012, les dépenses ont explosé : 1,8 milliard d'euros en 2002, 3 milliards en 2003, 4 en 2006, 5 en 2009. L'étude d'impact de la loi tablait sur 3,5 milliards en régime de croisière... En 2013, on frisera les 5,7 milliards : en dix ans, les dépenses ont triplé. De plus, le poids de ces dépenses porte de plus en plus sur les départements. La participation de l'État a doublé tandis que celle des départements triplait. En dix ans, le taux de couverture de l'APA par l'État est passé de 43 % à 30,8 %. C'était notre rubrique : les collectivités territoriales contribuent au redressement des finances publiques... (Sourires) Au total, 2,7 milliards auront été reportés sur le contribuable local. C'était notre rubrique : l'irresponsabilité fiscale des collectivités territoriales...
Dès l'origine, les dés étaient pipés. Jean-Pierre Sueur, missionné par Lionel Jospin, préconisait en 2000 que l'effort soit réparti à parts égales entre l'État et les départements. Le Sénat adopta ce principe -disposition supprimée par l'Assemblée nationale, au motif qu'il serait normal de demander un effort accru aux départements qui auront ainsi la chance, dixit le rapporteur d'alors, qui n'était pas encore président de conseil général, de voir renforcée leur légitimité d'acteur social de proximité...
Reste la question de la récupération sur succession, qui existait pour la PSD, écartée par le rapport Sueur au motif qu'elle serait dissuasive et freinerait l'entrée dans le dispositif. Le projet de loi initial prévoyait pourtant un recours sur succession : Élisabeth Guigou rappelait alors l'importance de la solidarité familiale, fixant le seuil à un million de francs, soit environ 150 000 euros en euros courants. Elle ne sera pas suivie par les députés, au nom du caractère dissuasif du dispositif et de la faiblesse des sommes qui seraient ainsi récupérées. La perte de recettes -dénoncée par les sénateurs- n'avait pas été chiffrée...
Faute d'étude précise, le caractère dissuasif est difficile à évaluer. Quand bien même il existerait, que penser d'une famille qui laisserait ses membres les plus fragiles sans ressources pour préserver leur patrimoine ?
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. - Pourtant, cela existe !
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi. - Faute de prise en charge partagée, les départements n'ont qu'un levier fiscal à leur disposition, la taxe foncière sur les propriétés bâties, pour équilibrer le système. Si c'est juste, vous me le direz...
Cette proposition de loi, après une autre de 2010 cosignée par les groupes socialiste et CRC, apporte une réponse immédiate à un problème immédiat. Elle est perfectible, s'agissant du seuil notamment. Si d'autres solutions existent, nous sommes preneurs, à condition qu'elles passent du stade de bonnes intentions à celui de réalité ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales . - Le Sénat s'est penché à plusieurs reprises sur ce sujet complexe. La situation financière des conseils généraux est connue. Si le principe d'un financement égal de l'APA entre l'État et les départements était respecté, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) devrait apporter un milliard d'euros supplémentaire... Ne serait-il pas plus équitable, dès lors, de faire davantage contribuer les bénéficiaires qui possèdent les patrimoines les plus élevés ?
Reste que cette proposition de loi n'apporte pas une solution adaptée. Le Gouvernement présentera bientôt un projet de loi, articulé entre prévention, adaptation et accompagnement de la dépendance. N'obérons pas les débats autour d'une réponse plus globale au problème de la dépendance. Le recours sur succession a été rejeté en juin 2011 tant par le rapport du groupe de travail que par celui du Conseil économique, social et environnemental. D'autres pistes existent, comme un prélèvement général limité sur les mutations à titre gratuit ou un alignement du taux de CSG sur les retraites sur le droit commun.
Historiquement, la récupération sur patrimoine découle du caractère subsidiaire de l'aide sociale par rapport à la solidarité familiale. L'APA, contrairement à l'aide sociale pour l'hébergement (ASH), est une prestation universelle destinée à couvrir un risque identifié, celui de la dépendance. Imaginerait-on un système de recours pour les dépenses d'assurance maladie liées à un cancer ? Pourquoi traiter différemment un malade d'Alzheimer ?
La récupération sur succession serait un moyen de responsabiliser les familles ? Je ne le pense pas. L'implication des aidants est considérable ; cette mesure serait un très mauvais signal envoyé aux familles. Elle risque en outre d'évincer un nombre important de bénéficiaires potentiels qui ne voudront pas transmettre un patrimoine amputé. On le voit pour l'ASH, dont le nombre d'allocataires n'a pas augmenté en une décennie. C'est le Parlement qui a exonéré l'APA de toute forme de recouvrement sur succession. Or le succès de l'APA est manifeste : 1,2 million de personnes, deux fois plus qu'en 2002. Faudrait-il envisager de relever le seuil pour ne toucher que les plus aisés ? L'effet psychologique serait le même quel que soit le seuil choisi. L'effet d'évincement pourrait en outre avoir un impact sur les secteurs d'aide à domicile, déjà très fragilisé.
M. Roland Courteau. - Évidemment !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. - Sachant qu'on estime à 90 % le montant des plans d'aide à domicile utilisé pour financer le recours à un aidant professionnel, en période de chômage, ce serait un très mauvais signe adressé aux demandeurs d'emploi.
Enfin, la mise en oeuvre technique du dispositif paraît très problématique. Le mécanisme proposé est très différent de ce que le Sénat avait préconisé dans le cadre de la mission commune d'information sur la dépendance, qui prévoyait un droit d'option. Avec l'article premier, si le bénéficiaire potentiel refuse le recouvrement, il n'a droit à aucune prestation. Aux termes de l'article 2, la loi serait en outre applicable à l'ensemble des successions à compter du sixième mois suivant la publication de la loi ; il serait plus juste que ne soient concernées que celles ouvertes après cette date.
Est-on riche avec un patrimoine de 150 000 euros ? En Bretagne, dans ma commune, c'est le prix d'une maison... Près de 40 % des bénéficiaires seraient concernés. Le texte ne dit rien des coûts de recouvrement pour les départements ; sans compter que les sommes non dépensées par les départements au titre de l'APA risquent de l'être plus tard par l'assurance maladie.
La commission des affaires sociales a rejeté la proposition de loi, sur ma recommandation, après de nombreuses auditions. Même l'ADF était contre. Nous ne nions pas les difficultés des conseils généraux, mais n'adoptons pas dans l'urgence un dispositif qui risque d'avoir des effets pervers.
M. Roland Courteau. - Exactement !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. - Le Gouvernement s'est montré attentif à la situation des départements. Dès 2013, un fonds doté de 170 millions d'euros sera mis en place pour les départements les plus en difficulté et des solutions pérennes seront proposées pour 2014. Ne confondons pas urgence et précipitation.
M. Roland Courteau. - Comme c'est bien dit !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. - Un grand projet de loi sur la dépendance, trop longtemps retardé sous la précédente législature, sera bientôt présenté : ce sera l'occasion d'un vrai débat. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie . - Comme je l'ai rappelé lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et de la proposition de loi Roche, les relations entre l'État et les collectivités locales doivent être fondées sur la confiance, le partenariat et la complémentarité. Cette proposition de loi est un premier exemple de ce travailler ensemble auquel nous aspirons.
Le Gouvernement est pleinement conscient des difficultés des conseils généraux : le président de la République a pris dix engagements en ce sens, dont le fonds d'urgence de 170 millions. Le premier d'entre eux est de définir en commun, à l'horizon 2014, des ressources pérennes pour financer les allocations de solidarité. Ce sont des considérations de justice sociale, d'éthique, d'emploi, de prévention de la perte d'autonomie, qui m'amènent à rejeter cette proposition de loi.
L'APA, instaurée en 2001, se distingue de la PSD, notamment par la suppression de tout recours sur succession. Son succès est manifeste : le nombre de bénéficiaires a plus que doublé, passant de 145 000 PSD en 2001, à 357 000 APA dès 2002. Selon l'Igas, 110 000 ayants droit n'auraient pas demandé la PSD en raison du recours sur succession, frein psychologique, voire psychique et affectif. En cette période d'incertitude et de fragilité qu'est le grand âge, faut-il ajouter ce sujet de tourment ?
On en voit l'effet pour l'ASH. Que le gage ait un caractère volontaire ou non, il constitue une rupture d'égalité. L'APA est une prestation universelle de solidarité nationale, notion chère à François Hollande. N'opposons pas les Français les uns aux autres sur ce sujet réellement existentiel.
En outre, le seuil proposé viserait les propriétaires de résidence principale : 75 % des retraités sont propriétaires de leur logement et le patrimoine médian est de 159 000 pour les plus de 70 ans ; il augmente avec le renchérissement de l'immobilier. Loin d'être une mesure de justice sociale, la mesure proposée creuserait les inégalités entre ceux pour lesquels le gage représenterait une part importante de leur patrimoine et les autres ; elle frapperait pleinement les classes moyennes. On ne peut reprocher au Gouvernement d'avoir institué une contribution sur les retraités imposables...
M. Alain Bertrand. - On l'a votée ! Ne dites pas n'importe quoi !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. - Certains ont voté contre.
M. Alain Bertrand. - Pas le RDSE ! Ne nous confondez pas avec l'UMP !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. - Je m'adresse à tous les sénateurs, sans distinction...
M. Alain Bertrand. - Distinguez, madame, distinguez !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. - Le médecin hospitalier que je suis le sait : la perte d'autonomie peut frapper n'importe qui, quelle que soit sa condition sociale. Ne serait-il pas scandaleux de récupérer sur la succession le coût des traitements pour un cancer ? On ne peut le faire davantage pour l'Alzheimer. D'autant que les grands âgés sont le plus souvent polypathologiques. Mme Bachelot avait elle aussi émis des réserves d'ordre éthique, qui transcendent tout clivage, sur le recours sur succession. La piste d'un relèvement d'une fiscalité sur le patrimoine n'est en revanche pas exclue, disait-elle. Sur ce point, je suis d'accord avec elle.
La Fédération nationale des associations de personnes âgées et de leurs familles s'est émue de cette proposition de loi, qui aurait des effets sur l'emploi dans le secteur de l'aide à domicile au plan local. L'emploi est très lié à cette prestation ; les diminutions de plans d'aide concernant les GIR 4 et 5 montrent l'importance des enjeux humains et financiers si on touche à l'universalité. En 2011, le nombre d'emplois d'aide à domicile a baissé de 2 % ; en deux ans, l'aide à domicile sous forme associative a perdu 5 % de ses effectifs. Dans les territoires ruraux, ce sont des femmes sans qualification qui seront pénalisées. Avec le nouveau fonds de 50 millions d'euros, nous entendons sauver plusieurs milliers d'emplois et nous préparons à faire face aux besoins de 300 000 emplois en 2020.
La grande perte d'autonomie n'est pas inéluctable, elle est souvent le résultat d'une accumulation de fragilités. L'APA est un outil de prévention, elle permet de pallier les petites pertes d'autonomie qui s'additionnent. Les personnes non prises en charge par l'APA devront l'être à terme, à un stade de dépendance accrue, en établissement, ce qui grèverait les budgets des départements. Ce serait un mauvais calcul.
Pour conclure, le Gouvernement est actif sur les réponses à apporter pour permettre aux départements de remplir leurs missions de proximité. Des groupes de travail communs se mettent en place. N'altérez pas cette confiance mutuelle par une mesure injuste. Je vous demande de ne pas voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes et CRC)
M. Dominique Watrin . - En un mois, le Sénat aura débattu plusieurs fois de la perte d'autonomie : après la proposition de loi Roche...
Mme Nathalie Goulet. - Excellente !
M. Dominique Watrin. - ...ce texte n'aborde la question que sous l'angle financier. Cette approche n'est pas la bonne. Elle nous prive d'un débat plus général, en ne présentant le vieillissement que comme une charge supplémentaire. Les réponses proposées sont trop étroites, trop faciles ; elles partent toutes du postulat qu'il n'y a pas d'autre manière de financer la dépendance qu'en taxant les bénéficiaires.
Élus de terrain, nous savons que les dépenses sociales des départements progressent beaucoup plus vite que leurs recettes, que l'État se désengage de sa mission de solidarité nationale. Nous avions ainsi déposé, avec tous les groupes de gauche, une proposition de loi exigeant de l'État qu'il assume ses engagements initiaux en matière de financement de la PCH, du RSA et de l'PAP. Nous l'avons voté ensemble -sans récupération sur succession, monsieur Collombat !
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi. - Cela va dans le même sens !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. - Cela n'avait rien à voir !
M. Dominique Watrin. - On sait le sort que le précédent Gouvernement lui a réservé. C'est en l'absence de réponse du gouvernement Ayrault que la proposition de loi a été déposée. Ce n'est pas la piste à suivre. Il faut au contraire une grande réforme autour de la perte d'autonomie, avec une sous-branche de la branche maladie de la sécurité sociale.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. - Absolument.
M. Dominique Watrin. - Cette évolution doit se faire dans un modèle démocratique renforcé. Les départements doivent jouer un rôle nouveau pour orienter les bénéficiaires et les accompagner, afin que les personnes âgées vivent dignement chez elles ou en établissement. Reste la question du financement et du reste à charge. Nous proposons que le financement repose sur des cotisations sociales, assises sur les revenus financiers des entreprises, qui servent à la spéculation et à l'enrichissement d'une minorité.
Nous ne sommes pas opposés ensuite à ce que les cotisations salariales et patronales sur l'intéressement et la participation augmentent légèrement. Nous sommes donc en totale opposition avec la logique de cette proposition de loi.
La PSD a été un échec, imputable à l'existence d'un mécanisme de récupération sur succession. Il risque d'en aller de même avec l'APA, si ce texte est voté. Alors que les plans d'aide à domicile stagnent, il n'est pas opportun d'instaurer des recours sur succession. Ceux qui défendent cette disposition espèrent-ils vraiment récupérer plus de ressources ou évincer d'éventuels bénéficiaires ?
Nous voterons contre ce texte tout en insistant sur l'urgence qu'il y a à traiter de la perte d'autonomie dans le respect des règles fondatrices de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les bancs CRC et socialistes)
Mme Françoise Laborde . - Lorsque le législateur a décidé de créer l'APA, il voulait améliorer la vie quotidienne des personnes âgées. C'était une grande avancée, mais les départements ont payé le prix fort ! Comme l'explique P. Jamet, les élus départementaux ont le sentiment de devenir des guichets agissant pour le compte de l'État, dont la participation s'est effritée au cours des ans, alourdissant considérablement la charge des conseils généraux. (M. Roland Courteau le confirme)
Un bilan de la loi était prévu en 2003 mais les aménagements adoptés depuis n'ont guère amélioré la situation. Alors que la PSD était réservée aux personnes en GIR 1 à 3, l'APA a été élargie aux GIR 4 et s'attribue sans conditions de ressources. La situation économique a aussi joué un rôle important, et le vieillissement de la population explique pour partie la hausse du nombre des bénéficiaires.
En 2001, le coût prévisionnel était chiffré à 3,1 milliards en année pleine, d'où la suppression du recours sur succession, sans concertation préalable. On en est arrivé à 5,2 milliards, dont 3,6 à la charge des départements qui sont aujourd'hui contraints d'augmenter leurs impôts et de réduire certains autres budgets. Le recours sur succession permettrait de rééquilibrer les comptes des départements, tout en bénéficiant aux plus modestes. Nous sommes prêts à accepter un relèvement du seuil. Les personnes âgées perçoivent l'APA pendant quatre ans en moyenne : les sommes à récupérer ne seraient donc pas insupportables. En outre, des recours sont prévus pour d'autres prestations. Faut-il continuer à asphyxier les ressources des départements ? Je suis convaincue que cette proposition de loi apporte une réponse équilibrée entre solidarité nationale et solidarité familiale. Je me désole de voir que vous nous faites passer pour des méchants : quelle caricature !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. - C'est ce que vous dites qui est caricatural !
Mme Françoise Laborde. - Nous ne sommes pas davantage des pourvoyeurs de chômage ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Jean Desessard . - En octobre, nous discutions, à l'initiative de M. Roche, une proposition de loi pour compenser le coût de la dépense de l'APA. J'avais voté contre.
Mme Nathalie Goulet. - Quelle erreur !
M. Jean Desessard. - Non parce que je méconnais les difficultés des conseils généraux mais parce que le projet de loi de financement de la sécurité sociale devait proposer une mesure similaire. Ce qui fut fait. (Exclamations sur les bancs du RDSE et de l'UDI)
M. Jacques Mézard. - Du tout !
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi. - Mais non ! Ils ont pris l'argent ! (Sourires)
M. Jean Desessard. - Avec un recours sur succession, les conseils généraux retrouveraient des finances plus saines, dites-vous. D'ailleurs, certaines prestations peuvent déjà faire l'objet de tels recouvrements.
L'APA est-elle une aide sociale ?
M. Kerdraon estime que la proposition de loi introduirait une iniquité entre les individus selon leur pathologie. On ne demanderait pas à un cancéreux de payer. Mais la perte d'autonomie est-elle une maladie ?
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. - Quand elle s'appelle Alzheimer, oui !
M. Jean Desessard. - Perdre en autonomie, c'est ne plus pouvoir faire à 85 ans ce que l'on faisait à 40. Est-ce pour autant être malade ?
Si la médicalisation de la vieillesse est une réalité, est-elle juste ? Pour aborder le chantier de la perte d'autonomie, il faut revoir la copie : les personnes âgées dépendantes ne constituent pas une catégorie sociale à part !
Des experts estiment qu'il faudra trouver 10 à 20 milliards d'euros d'ici vingt ans. Selon que l'on privilégie l'approche individuelle ou collective, les réponses ne peuvent être les mêmes.
Attendons les propositions du Gouvernement : le groupe écologiste n'est donc pas favorable à l'adoption de ce texte en l'état. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Catherine Deroche . - Cette proposition de loi reprend un amendement du projet de loi de finances rectificative de cet été, retiré à la demande du Gouvernement et de la commission des finances. Le problème est récurrent depuis des années : les dépenses de l'APA ont considérablement augmenté, surtout pour les départements. Cependant, la réponse apportée par ce texte n'est pas satisfaisante. Il ne prévoit pas le droit d'option naguère proposé par MM. Vasselle et Marini.
Autre difficulté : le seuil fixé à 150 000 euros. La Cour des comptes a rappelé que le patrimoine médian des ménages s'établit à 149 600 euros pour les personnes de plus de 70 ans ; 72 % des personnes âgées sont propriétaires occupantes. Cette mesure toucherait les propriétaires de leur logement, sans que ce soient forcément le plus aisés. En outre, une telle mesure risque de décourager les éventuels bénéficiaires qui veulent léguer leur patrimoine intact à leurs descendants.
Le débat global sur la dépendance sera l'occasion d'examiner toutes ces questions. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP s'abstiendra.
M. Claude Bérit-Débat . - Sur de nombreux sujets, le groupe RDSE et le groupe socialiste se rejoignent. Depuis septembre 2011 et l'alternance historique dans notre assemblée, nous le démontrons presque quotidiennement.
Nous partageons pleinement le constat qui fonde cette proposition de loi : le conseil général prend à sa charge une grande partie de l'APA et la pérennité de cette prestation n'est pas assurée, à cause d'un effet de ciseaux.
Explosion du nombre de bénéficiaires et participation de l'État en baisse, les départements ne peuvent pas continuer ainsi.
Il y a donc urgence à trouver des solutions durables. Cette proposition de loi s'inscrit dans cette préoccupation. Pourtant, le groupe socialiste ne vous suivra pas.
L'option du recouvrement sur succession n'est pas un choix anodin. Il revient sur la distinction entre solidarité nationale et solidarité familiale. (M. Roland Courteau confirme) Avec l'APA, il n'y avait pas d'équivoques, il s'agissait d'une allocation universelle. L'APA est une prestation de solidarité pour la perte d'autonomie, disait-on en 2001. C'est pourquoi il ne fallait pas soumettre cette allocation à recouvrement sur succession. Des parlementaires de tout bord ont défendu cette mesure autant par conviction que par souci d'efficacité. La PSD, ancêtre de l'APA, n'avait pas connu un grand succès, du fait de ce recours. Le frein psychologique reste d'actualité : nos aînés font bien souvent passer le bien-être de leurs descendants avant le leur... Avec le seuil de 150 000 euros, 40 % des bénéficiaires de l'APA seraient touchés. Or l'APA favorise le maintien à domicile des personnes âgées. Avec une telle mesure, nous assisterions à terme à une augmentation des demandes d'hébergement en établissements. Le coût pour les départements serait très élevé. Enfin, les emplois liés à l'APA seraient touchés, tout un savoir-faire serait perdu. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas voter cette proposition de loi.
Au-delà du seuil de déclenchement, fixé à 150 000 euros, est-on riche ? Nous ne le pensons pas, notamment avec l'augmentation des prix de l'immobilier. De plus, aucun plafond de recouvrement n'est prévu par le texte. Si le recouvrement est total, on ne pourrait plus parler de solidarité nationale, mais d'avance sur trésorerie pour la solidarité familiale ! (Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, approuve)
Enfin, cette loi aurait un effet rétroactif puisqu'elle concernerait des personnes qui bénéficient déjà de l'APA.
M. Roland Courteau. - C'est juste.
M. Claude Bérit-Débat. - Le Gouvernement a entendu les cris d'alarme des départements et il fera la grande réforme de la dépendance promise par ses prédécesseurs, même si elle n'est pas aisée à mener. Nous aurons besoin de toutes les bonnes volontés ! Laissez-nous un peu de temps, chers collègues du RDSE. Si nous ne votons pas cette proposition de loi, c'est pour ne pas dénaturer l'APA et pour ne pas voir la situation de nos aînés se dégrader. Nous ne voulons pas apporter de réponse parcellaire. Je compte sur vous pour nous accompagner. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. René-Paul Savary . - Tout a été dit sur l'APA. Je veux pour ma part évoquer la situation du département de la Marne : 8 500 personnes âgées bénéficient de l'APA qui coûte au département plus de 33 millions et la compensation de l'État est inférieure à 10 millions. Pour la prestation de compensation du handicap, 13 000 dossiers, 15 millions de dépenses et 5 millions de compensation ! Enfin, chaque mois, nous comptons 1 % de bénéficiaires du RSA en plus -l'annonce de sa revalorisation n'est pas pour nous rassurer, sur ce plan...
Des coupes franches dans nos budgets sont donc indispensables, mais elles se font au détriment de nos concitoyens et de la croissance.
Quelques remarques : en ce qui concerne l'ADF, les positions ne sont pas aussi tranchées que vous le dites : il va falloir agir très vite, avant le vote des budgets des départements qui vont avoir du mal à équilibrer leurs comptes. C'est pourquoi certains présidents de conseil général estiment que le recours sur succession doit être envisagé, d'autant que les départements ont un vrai savoir-faire en ce domaine, avec l'aide sociale à l'hébergement.
Le coût de la gestion de ces dossiers ne serait donc pas exorbitant.
Y a-t-il une différence entre maladie et dépendance ? On peut se poser la question, mais en pratique il y a surtout une différence dans le financement par le sanitaire ou le médico-social, dont le travail est imbriqué.
Le système de protection sociale ne fait pas appel au recours sur succession, mais il s'agit d'un système assurantiel, avec organismes complémentaires. Pourquoi ne pas faire de même pour la dépendance ? Le reste à charge doit être supportable pour les personnes dépendantes et acceptable pour les contribuables.
Les ressources de la personne dépendante sont prises en compte mais non pas le patrimoine. Pourquoi ne pas le prévoir ? Pourquoi ne pas aussi prévoir une récupération volontaire ? Certaines personnes âgées n'ont pas d'héritiers et préfèreraient qu'on ne diminue pas leurs ressources de leur vivant.
L'APA a démontré son efficacité -c'est l'essentiel- mais aussi ses limites financières. En attendant 2014, la responsabilité du conseil général est essentielle. C'est pourquoi des solutions doivent être trouvées et ce ne sont pas les 170 millions annoncés qui amélioreront la situation.
C'est pourquoi je demande au Gouvernement de prendre en compte la situation des départements. Vous appelez à un pacte de confiance avec les départements, mais comprenez notre inquiétude, surtout devant les récentes annonces du Premier ministre.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée . - Mme Laborde estime que les sommes récupérables ne seraient pas insupportables, mais elles augmenteraient forcément avec la durée de la dépendance, ce qui est choquant.
Je n'ai jamais dit, ni pensé, que vous étiez des pourvoyeurs de chômage, mais reconnaissons qu'une réduction du recours à l'APA diminuerait l'emploi social, ce qui pénaliserait les territoires.
Si de l'argent a été soustrait à la CNSA, c'était pour venir en aide au financement de trois allocations, dont le RSA.
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi. - Nous parlons de la dépendance.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. - Autre remarque : la perte d'autonomie est-elle une maladie ? Oui, pour l'Alzheimer, mais aussi pour toutes les autres affections, car on souffre souvent d'un cumul de pathologies, comme l'arthrose, la perte de vision, le parkinson, etc.
Il avait été dit que l'État prendrait en charge 50 % des dépenses de l'APA -mais pour le flux, pas pour le stock ! (On ironise sur les bancs du RDSE)
M. Bérit-Débat a relevé à juste titre que cette proposition de loi transformerait l'APA en avance de trésorerie sur succession. Enfin, la loi serait effectivement rétroactive si elle était adoptée en l'état.
M. Savary évoque une participation volontaire des personnes âgées sans descendance : ce serait une forme de viager d'État. C'est une piste intéressante (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Article premier
M. Dominique Watrin . - Le groupe CRC estime que la réforme du financement de l'APA est urgente. Un projet plus global est donc nécessaire, mais nous regrettons que la même remarque n'ait pas été faite à l'article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale...
L'introduction d'un recours sur succession conduirait un grand nombre de bénéficiaires potentiels à renoncer à l'allocation. Leur situation se dégraderait et entraînerait, à terme, des dépenses supplémentaires d'hébergement.
De plus, le mécanisme prévu n'est pas juste : le niveau du patrimoine visé est particulièrement bas, sachant que 75 % des personnes âgées sont propriétaires de leur logement, ce qui ne signifie pas qu'elles soient toutes aisées.
Enfin, cette proposition de loi opère une distinction entre les citoyens malades et ceux dont les besoins sont liés au vieillissement : ce serait injuste et sans doute anticonstitutionnel.
Il n'est pas possible de revenir sur cette prestation universelle.
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi . - Cette quasi-unanimité contre notre texte prouve que nous avons touché là où ça fait mal.
Cette proposition de loi est d'abord un appel ; un appel à répondre aux difficultés financières des départements. L'ADF a une autre position ? Nous verrons.
Ce texte est amendable, partiel, mais nous demandons des solutions pérennes pour assurer le financement de l'APA.
J'ai apprécié l'intervention de M. Bérit-Débat, mais pas certains reproches qui nous ont été faits. L'absence d'étude d'impact ? Que dire de celle de 2001 : que d'erreurs !
L'éthique ? Cette sanctuarisation du patrimoine est étonnante, surtout de la part des groupes socialiste et CRC.
L'emploi ? Vous avez raison, mais n'y a-t-il pas plus de risque à geler les dotations des conseils généraux ?
Savez-vous combien d'emplois ont été perdus dans le BTP du fait de la baisse des commandes des collectivités territoriales ? Des milliers ! Enfin, la dépendance est-elle une maladie ? Pourquoi alors un ticket modérateur ? Une personne qui a un cancer est totalement prise en charge. Or dans l'APA, il y a bien un ticket modérateur ! Tout cela n'est donc pas aussi clair que vous voulez bien le dire.
M. Desessard a regretté la médicalisation à propos du vieillissement. Regardez pourtant ce qui se passe dans les maisons de retraite : les personnes qui y entrent sont souvent très âgées et éligibles à l'APA et pour la partie hôtelière, il y a récupération, mais pas pour la dépendance.
Ces comparaisons fournissent l'occasion de beaux effets de tribune mais elles ne tiennent pas. Nous verrons ce que vous nous proposerez pour l'avenir. Mais le tour de passe-passe sur la Casa n'est pas pour nous rassurer...
M. Roland Courteau . - Nous saluons l'initiative de nos collègues RDSE qui attirent l'attention sur la situation de quasi-banqueroute de nombreux départements à cause de l'APA, mais nous ne pouvons partager leurs préconisations. Le recouvrement sur succession est antinomique avec les objectifs à l'origine de la création de l'APA. En outre, l'article premier ne fixe aucun plafond au montant recouvré : vise-t-il la totalité des sommes versées ? Si oui, où est la solidarité nationale ? Est-ce l'APA à domicile qui est visée, ou l'aide en établissement ? Enfin, le seuil de 150 000 euros est trop bas, nombre de familles aux revenus modestes mais dont la résidence principale a pris de la valeur seront pénalisées. C'est pourquoi, à regret, le groupe socialiste ne votera pas cet article.
M. Gérard Miquel . - L'APA est une formidable avancée, un élément de solidarité envers les personnes âgées qui peuvent ainsi être maintenues le plus longtemps possible à domicile.
Cependant le recours sur succession, en débat depuis... l'instauration de l'allocation, ne réglerait pas le problème de financement. À coup sûr, il ferait baisser le nombre de bénéficiaires, mais uniquement parce que les intéressés, pour transmettre un petit patrimoine à leurs enfants, se refuseraient à demander l'aide et à se soigner...
À titre personnel, je m'abstiendrai, mais je m'inquiète. Le Gouvernement parle de climat de confiance entre l'Etat et les collectivités territoriales. Nous le souhaitons. Le Gouvernement débloque 170 millions pour les départements les plus en difficulté. Mais comment cette enveloppe sera-t-elle répartie ? C'est là que le bât blesse : l'égalité entre territoires n'est pas respectée ! Vous introduisez en effet un critère de population redoutable pour un petit département comme le Lot, avec ses 175 000 habitants : il percevra une misère ! Je proposerai demain, lorsque nous en discuterons à l'occasion du collectif, de retenir le critère de l'effort fiscal. Mon département a un effort fiscal de 1,52, contre 1,14 en moyenne nationale et, par exemple, 0,79 dans le Var. Or ce département touchera 4,5 millions d'euros, et nous, 600 000 euros ! Dans mon budget, les dépenses sociales augmentent de 7 millions, ce qui représente une augmentation d'impôts de 18 % pour les contribuables locaux. Pendant ce temps, les droits de mutation baissent. Pour faire face aux besoins de transport scolaire, il faut débourser des millions supplémentaires...
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. - Quel rapport avec la proposition de loi ?
M. Gérard Miquel. - Les départements sont à l'agonie, ils vont disparaître, asphyxiés ! La répartition inégalitaire des 170 millions pénalisera mon département où la moyenne d'âge est très élevée. Il faut impérativement revoir les critères d'attribution ! (Applaudissements sur les bancs RDSE)
M. René-Paul Savary . - Je me réjouis de ce débat. Sur l'autonomie, on ne peut qu'être d'accord : le coût est tel que nous ne pouvons plus financer la dépendance. Nous ne pourrons plus faire face au coût sociétal. Les mesures prises, à commencer par la médicalisation en Ehpad, ont des répercussions financières.
L'âge moyen d'entrée en maison de retraite dans mon département est de 83 ans. C'est très tard, les personnes arrivent en mauvais état de santé. Si la distribution de l'APA est mutualisée au niveau des établissements, et non plus individualisée, cela coûte plusieurs millions d'euros aux départements. Et si les salaires des employés à domicile sont relevés, nous serons contraints de diminuer le nombre d'heures prises en charge, faute de moyens.
Le Gouvernement a refusé la proposition de loi Roche, il a refusé nos amendements sur le financement de l'APA par la CNSA, il refuse aujourd'hui le recours sur succession : autant de portes qu'il ferme. C'est pourquoi je m'abstiendrai.
M. Jean-Claude Lenoir. - Et tout le groupe UMP avec vous.
M. René-Paul Savary. - La répartition des 170 millions, obsession des présidents de conseil général, est soumise à des critères tels que l'on est assuré d'une chose : cet argent ne sera pas dépensé !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. - Hors sujet !
M. René-Paul Savary. - Commencez donc par mieux compenser l'APA dans les départements ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
Mme Nathalie Goulet . - Cette proposition de loi n'est sans doute pas parfaite juridiquement, mais elle a le mérite de traiter d'un problème sérieux. Dans l'Orne, les dépenses sociales augmentent six fois plus vite que les recettes : plus de 3 millions d'euros. Heureusement que nous bénéficions de l'excellente gestion de notre ancien collègue Alain Lambert.
Dommage que nous n'ayons pu examiner la deuxième partie du projet de loi de finances, pour revenir sur les dotations de l'État aux collectivités locales... La proposition de loi Roche, comme l'article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, fléchaient des recettes vers les départements. Le problème de l'APA, cela a été rappelé plusieurs fois, est l'absence de disposition législative sur une clé de répartition des dépenses entre l'État et les départements.
Les problèmes restent donc entiers. Les arguments du Gouvernement ne sont guère convaincants. On nous demande toujours d'attendre, or il y a urgence et les départements sont très inquiets. Le groupe UDI-UC votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
L'article premier n'est pas adopté, non plus que les articles 2 et 3.
Mme la présidente. - Je constate qu'il n'y a plus de texte. En conséquence, un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire : la proposition de loi n'est pas adoptée.
Accord en CMP
Mme la présidente. - La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Engagement de procédure accélérée
Mme la présidente. - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Croatie à l'Union européenne, déposé sur le Bureau du Sénat le 13 décembre 2012.
Questions prioritaires de constitutionnalité
Mme la présidente. - La Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel quatre décisions de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la loi du 20 décembre 2011 et la rémunération pour copie privée.
Égalité des territoires (Proposition de résolution)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la proposition de résolution, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative au développement par l'État d'une politique d'égalité des territoires.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution . - La République, c'est une chance égale pour chaque citoyen, selon ses capacités, sa volonté de réussir ; c'est la justice, l'égalité, non l'égalitarisme. C'est la déclinaison de l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le socle républicain, le fil rouge de la sensibilité politique que j'ai l'honneur de représenter.
Jamais les sociétés n'ont connu autant de bouleversements, responsables de l'aggravation des fractures sociales et territoriales. D'où cette proposition de résolution sur l'égalité territoriale. Sans prétendre que chaque citoyen de chaque commune doive accéder aux mêmes services, il faut relancer la politique d'aménagement du territoire, restaurer la Datar, revenir à une démarche planificatrice. Il ne faut donc pas plus d'État, mais mieux d'État !
La croissance démographique, un atout en Europe, est cependant anarchique : la crise du logement dans les grandes agglomérations coexiste avec la désertification des territoires ruraux. À chaque étape de la décentralisation, la ruralité a été pénalisée et des distorsions sont aujourd'hui considérables. Les territoires riches sont devenus de plus en plus riches, y compris ceux qui hurlent la bouche pleine, autour de Paris ; les plus pauvres sont devenus de plus en plus pauvres, et c'est là que l'impôt local est le plus lourd, son montant, pour les ménages, dépassant souvent l'impôt sur le revenu. Il est plus léger dans des villes moyennes, encore plus à Paris. La fracture territoriale s'est accrue, créant un profond mal-être de la population, alors qu'il faudrait une véritable démocratie de proximité.
Les élus ruraux, sur la défensive, attendent la prochaine mauvaise nouvelle, le prochain départ de service public... Comment bâtir l'avenir dans un tel climat ? Le PIB régional est du simple au double entre l'Île-de-France et la Basse-Normandie ou l'Auvergne. De telles différences sont inéquitables dans un même pays. La péréquation a trop tardé. Les inégalités se sont creusées entre les grandes métropoles et le reste de la France, entre l'est et l'ouest, entre communes, entre quartiers. L'autonomie financière des collectivités a introduit la compétition entre les territoires, sans produire les effets escomptés, espérés, nécessaires.
La distribution des richesses doit être rééquilibrée, mais pas au prix d'une déresponsabilisation des territoires. Au lieu de soutenir les territoires fragilisés, on a favorisé, avec la fameuse RGPP, ceux qui concentraient déjà les atouts. La crise a été un nouveau coup de poignard -les amortisseurs sociaux sont affaiblis par la disette budgétaire. Les écarts entre départements s'accentueront. La crise du logement frappe des millions de personnes. Les annonces du président de la République, relèvement du pourcentage de logements sociaux obligatoires par commune, construction de 150 000 logements sociaux par an, etc. sont bienvenues, mais il faut surtout saisir cette occasion pour opérer un rééquilibrage.
Que dire de l'accès aux soins ? La ruralité est synonyme de déserts médicaux : 239 médecins pour 100 000 habitants en Picardie, 370 en région Paca ! Dans certains départements, Gers, Alpes-de-Haute-Provence, il faut plus d'une heure pour se rendre à l'hôpital, contre 21 minutes en moyenne au plan national. Le nombre de médecins en zone rurale diminuera encore de 25 % d'ici 2030. Le président de la République a promis des pôles de santé de proximité : nous les attendons, ils sont indispensables.
Les temps de trajet, les moyens alloués au transport scolaire ne sont pas les mêmes selon les académies. L'État consacre 40 % de plus pour former un élève à Paris qu'à Créteil. Il supprime 426 postes à Créteil pour 3 826 élèves en plus, en crée 20 à Paris pour 1 000 élèves de plus. Le coût, pour fabriquer un énarque ou un normalien, est naturellement plus élevé...
Les emplois à forte valeur ajoutée se concentrent dans les métropoles, au détriment du reste du pays, on le sait. Les transports en voiture tendent à diminuer dans les villes, où les transports en commun sont performants. En zone rurale, la voiture est indispensable et sans elle l'accès à l'emploi très difficile. Les TER ont été délaissés. Le service public minimal n'est plus garanti. Au-delà des incantations sur le développement durable, il faut offrir des modes de transport à ceux qui aujourd'hui, n'ont d'autre choix que de dépenser leur Smic pour rouler. Il faut des trains, des aéroports en région -je n'y insiste pas...
Certes, il est plus facile de résider dans les quartiers huppés de Paris que dans mon département : un aller-retour en avion pour Paris coûte 500 euros ! Le train, direz-vous ? Je peux vous décrire des trains d'un autre âge, des trains de sénateurs ! (Sourires) J'ai ici les horaires Aurillac-Paris de 1905 -période bénie où les radicaux étaient au pouvoir. (Sourires) La liaison était plutôt meilleure à cette époque ! Espérons que le gouvernement Ayrault fera aussi bien que le gouvernement Rouvier. À l'automne, j'ai écrit au président de la SNCF pour l'informer que nos trains patinaient sur les feuilles mortes.
Mme Nathalie Goulet. - Chez nous aussi !
M. Jean-Claude Lenoir. - En effet !
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. - Ce n'était pas le cas autrefois, car les voies étaient entretenues. Il faut faire des choix, des choix fondamentaux.
Le très haut débit doit supprimer les distances, mais pour ce faire, il faut le développer ! La proposition de loi Maurey-Leroy, adoptée au Sénat, a été rejetée par l'Assemblée nationale : Mme Fleur Pellerin, la ministre de l'économie numérique, l'a considérée comme obsolète, les objectifs inscrits dans le texte ne pouvant être atteints dans le calendrier prévu. La ministre présentera sa feuille de route en février 2013. Il faut aller très vite pour installer la fibre optique partout. Ma région est en pointe, je m'en réjouis et souhaite que la fibre à la maison soit une réalité pour tous.
L'aménagement du territoire exige une certaine planification. Seul l'État a la vision stratégique nécessaire. L'acte III de la décentralisation devra clarifier les compétences. Et la BPI peut être une belle avancée de la politique économique locale.
Le zonage actuel n'a pas répondu aux attentes. Le bilan que tire la Cour des comptes des dix dernières années de politique de la ville est accablant. Les ZUS comme les ZRR sont des échecs. J'ajoute que la distinction entre l'urbain et le rural est obsolète. Mme Cresson a été caricaturée pour avoir voulu délocaliser certaines administrations en région. Elle avait pourtant raison !
Le député Jean-Marc Ayrault proposait en mars 2011 un bouclier rural, espérons que le Premier ministre ne l'oubliera pas.
M. Jean-Claude Lenoir. - On peut en douter !
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution. - Ce Gouvernement va-t-il enfin entendre l'exaspération qui monte de nos territoires délaissés, de ces îles de l'intérieur, de cette France dite péjorativement, « profonde », alors qu'elle a toujours manifesté son fervent attachement à la République ? Pour toutes ces raisons, je vous demande de voter cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche et sur les bancs centristes)
Mme Mireille Schurch . - Ce débat met en exergue les conséquences dramatiques des politiques menées ces dix dernières années. Les précédents gouvernements n'ont eu de cesse de remettre en cause les acquis de la République et de casser les services publics, enfermant chaque jour davantage notre pays dans la crise.
La concurrence entre territoires, le repli identitaire se sont substitués à la solidarité nationale. La RGPP, aveugle et mécanique, se traduisait par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux.
M. Jean-Claude Lenoir. - Désormais, ce sera deux sur trois !
Mme Mireille Schurch. - Nous partageons le constat de M. Mézard : il y a urgence à agir pour redéfinir le pacte républicain du XXIe siècle dans le pays des lumières. Plus d'écoles, plus d'hôpitaux, plus de tribunaux, plus de bureaux de poste, la fibre optique pour tous : nous signons cette liste au Père Noël des deux mains, mais les engagements ont été pris par le Gouvernement dans un sens radicalement opposé : je veux parler bien sûr du traité européen et de la règle d'or, qui imposent la rigueur. Je me dois de rappeler que les auteurs de la proposition de loi eux-mêmes ont voté pour !
L'urgence n'est pourtant pas à rembourser les banques, ni à répartir l'austérité dans l'Union européenne, mais à sortir de ces logiques comptables qui nous mènent droit dans le mur. Rompons avec l'idéologie du déclin, osons remettre en cause la construction européenne telle qu'elle s'élabore actuellement, réformons avec courage la décentralisation, dans laquelle l'État, au lieu de se désengager, mène une action complémentaire de celle des collectivités. Donnez aux élus locaux les moyens de mettre en oeuvre les politiques locales. Attention à l'hyper-régionalisation comme à l'hyper-métropolisation, elles créeront de nouvelles disparités territoriales.
Il faut tordre le cou au dogme de la concurrence libre et non faussée : c'est une impasse ! Le secteur privé ne s'implante que dans les zones rentables, on le voit pour la fibre optique comme pour le rail. De nouvelles nationalisations, même temporaires, doivent être envisagées.
Moderniser l'État, ce n'est pas le priver de son pouvoir régalien mais abandonner l'illusion que le privé est toujours plus performant que le public. Voyez le coût des partenariats public-privé ! Nous ne sommes pas contre l'hyper-ruralité...
M. Alain Bertrand. - Vous avez raison !
Mme Mireille Schurch. - Mais le problème réside dans le gel des dotations aux collectivités : il est temps de revoir les bases de la fiscalité locale, les volumes et les critères des dotations de droit commun... Et que les dotations spécifiques ne viennent pas en déduction dans le total ! Oui à la péréquation, à condition qu'elle ne serve pas à gérer la pénurie, et qu'elle ne soit pas seulement horizontale : elle doit être assise sur une fiscalité nationale. Il faut s'attaquer à la répartition des richesses, créer de nouvelles recettes, avec un pôle public financier qui mette les banques au service des territoires : c'est le rôle de la BPI.
Enfin, dans l'égalité territoriale, les communes ont un rôle central, qui j'espère sera reconnu dans l'acte III de la décentralisation. Nous voulons réaffirmer la primauté du politique sur le financier, des peuples sur les marchés financiers. Voilà pourquoi nous voterons cette proposition de résolution qui relance un débat juste et nécessaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRC-SPG et RDSE)
Mme Nathalie Goulet . - Cette proposition de résolution sera je n'en doute pas votée par le Sénat tout entier. L'intitulé de vos fonctions, madame la ministre, comporte l'égalité des territoires. C'est une bonne chose, pour l'image. Mais pour l'action, il faut de l'argent, sans lequel une politique des territoires n'est qu'un voeu pieux. Vous avez l'intention de créer un commissariat général aux territoires et un rapport qui va vous être remis suggérera des orientations ainsi que les contours souhaitables de la future institution. Je suis pour ma part hostile aux états généraux, assises, forums ou Grenelle en tout genre, qui n'apportent que des questions, jamais de réponses. Du reste, nous connaissons tous ces problématiques, nous n'avons nul besoin des conclusions d'une quelconque commission.
Dans l'Orne, nous avons récupéré six postes dans l'éducation nationale. Je m'en réjouis et rien que pour cette raison, j'ai bien fait de m'engager en faveur de M. François Hollande. Mme Touraine a présenté son plan contre les déserts médicaux : cependant, à mon sens, il faut non seulement des carottes, mais aussi le bâton, autrement dit, des mesures coercitives pour faire venir les médecins dans nos contrées rurales... Sur les inégalités numériques, sur les transports -lisez donc le blog des usagers du Paris-Granville- le constat est connu.
Qu'est devenue l'ambition de « réduire le mille-feuille » des compétences ? Le brillant mode de scrutin binominal ne réduira pas le nombre de conseillers généraux, qui n'ont pourtant qu'une utilité réduite, puisque les intercommunalités priment sur les cantons. L'Orne, avec 293 000 habitants, compte 40 cantons ! Il n'en restera que 20 si le texte en projet est voté, mais toujours 40 conseillers généraux. Actuellement 674 cantons comptent moins de 2 500 habitants : supprimez les élus inutiles ! Et réorientez les indemnités en dotations !
Reprenons aussi le travail de notre ancien collègue Gérard Delfau, en défendant la péréquation verticale. Le FPIC créé dans la loi de finances pour 2012 est un bon dispositif, mais il aboutit à certaines situations absurdes, où l'on prélève sur les pauvres et donne aux riches.
Une réforme territoriale avortée, une simplification des schémas intercommunaux, de prochaines élections cantonales dont le mode de scrutin n'est pas très simple : on ne voit pas comment, dans tout ce fatras, mener une politique d'égalité des territoires sans revoir les règles de financement et de compétence -la meilleure preuve en est l'article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les moyens manquent, comment ferez-vous mieux que vos prédécesseurs ? Allez-vous réunir le comité interministériel d'aménagement du territoire ? Allez-vous préserver la politique des pôles d'excellence rurale ? Revoir les zonages ? Etes-vous impliquée dans l'élaboration de la future loi de décentralisation ? Vous n'aurez pas trop de cinq ans pour mettre bon ordre dans tout cela -à condition de commencer immédiatement. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)
M. Alain Bertrand . - La politique d'égalité des territoires, j'en ai rêvé. Jeune sénateur, élu deux fois l'an dernier, j'aurais voulu voter une loi aujourd'hui. Mais je suis quand même content ! J'espère que Mme la ministre nous fera une grande loi nécessaire à la République, à la justice, à l'aménagement du territoire, à l'égalité des territoires, afin que toute la France respire le même air, vive mieux, soit plus heureuse.
Des écueils doivent être évités, à commencer par la sacro-sainte règle du nombre. Le Lot compte 150 000 habitants ? C'est deux fois plus que nous ! Quand on veut une route, un train, un homme en costume vous demande pour combien de voitures ou de voyageurs. S'il n'y en a pas assez, pas d'infrastructure ! Il faut sortir de la culture du nombre. Ce n'est pas parce qu'on est petit qu'on n'a droit à rien. Autre écueil, considérer que tout est rural en France. Il faut une définition précise de la ruralité et de l'hyper-ruralité -elles ne commencent pas à 10 kilomètres d'une grande ville. Comme l'argent est rare, il faudra définir les zones à forts handicaps, à la campagne comme dans certains quartiers urbains et y concentrer les moyens.
La loi de décentralisation à venir devra prévoir des obligations d'implantation, sinon nous ne nous en sortirons jamais. Pourquoi les ruraux, les habitants des quartiers sensibles n'auraient-ils pas droit à une école d'ingénieur, à un IUFM, à une antenne universitaire digne de ce nom. Cette troisième décentralisation doit être un acte de nouvelle intelligence - new intelligence en anglais- (sourires) avec l'obligation de réorganiser les territoires autour des notions de territoire, d'avenir, de citoyen, de solidarité. J'espère que vous aurez les moyens de mettre cette loi en oeuvre.
Il faudra aussi aider les initiatives en milieu rural et dans les quartiers difficiles et obliger l'État et les collectivités à cofinancer les projets qui s'y développent.
Votre mission est noble et permettra de renforcer la République. Celui ou celle qui fera la grande loi que nous attendons portera pour longtemps une partie de l'honneur de la République. Ne parlons pas de l'aménagement du territoire qu'en période électorale. Nous vous aiderons, madame la ministre ! (Applaudissements à gauche)
Mme Élisabeth Lamure . - Cette proposition de résolution est l'occasion de rappeler que la ruralité est un atout pour la France, d'autant qu'elle répond aux attentes nouvelles de nos concitoyens, qui sont de plus en plus nombreux à quitter les villes. Dans les communes rurales, on trouve de plus en plus d'employés et d'ouvriers. L'UMP se bat pour la ruralité depuis des années.
Transformation majeure, le vieillissement de la population exige que nous réfléchissions à l'accès aux soins. Et les nouvelles technologies doivent aussi bénéficier aux ruraux. Enfin, l'État n'agit plus seul mais en partenariat avec les collectivités territoriales. Le Gouvernement précédent avait agi pour un accès égal aux soins sur tout le territoire, avec les maisons de santé, les 400 bourses pour les étudiants en médecine qui acceptent de s'installer dans les zones en défaut, le développement de la télémédecine, complément de la médecine de proximité.
L'accès au très haut débit est indispensable : 2 milliards d'euros ont été mis à la disposition des collectivités territoriales par le Grand emprunt. Les transports publics doivent être améliorés. L'accès à des services publics de qualité implique aujourd'hui de faire évaluer l'offre ; imaginons les services publics de demain plutôt que maintenir à tout prix les services publics d'hier. Nous devons inventer un nouvel accès aux services publics à un prix raisonnable, en développant des lieux d'accueil uniques.
L'activité économique et l'emploi doivent être encouragés. Dans le monde rural, il y a beaucoup d'employés, d'ouvriers. L'artisanat et le commerce doivent y être soutenus, de même que les projets structurants tels les pôles d'excellence rurale.
Le Gouvernement a choisi de placer l'aménagement du territoire sous le signe de l'égalité. En commission, vous avez dit vos grandes ambitions, madame la ministre. Vous avez posé la question des relations entre les centres-villes, les banlieues, les zones rurales, vous avez évoqué la réparation des territoires meurtris. Le groupe UMP ne peut qu'être d'accord avec ces objectifs ambitieux. Reste à savoir comment ils se traduiront dans les faits.
Une commission a été installée pour préfigurer le futur Commissariat général à l'égalité des territoires. Plutôt que de créer une nouvelle structure, pourquoi ne pas réformer la Datar et lui donner davantage de compétences et de moyens ? Des experts se penchent parallèlement sur la politique publique d'égalité des territoires. Quand tout cela débouchera-t-il ?
Les zones rurales sont l'avenir de la France. Mon groupe espère que votre politique s'inscrira dans la continuité de ses prédécesseurs. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Nathalie Goulet. - Ah non !
Mme Esther Benbassa . - Nous souscrivons à cette proposition de résolution. La politique menée par la précédente majorité a eu des effets dommageables pour la République. Les inégalités se sont dramatiquement creusées. Les handicaps dont souffrent les quartiers se sont aggravés, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté s'est accru, notamment parmi les jeunes dont beaucoup, dans ces territoires, sont au chômage. Cette réalité engendre le désespoir, le sentiment de relégation et d'abandon. Les inégalités entre territoires sont la marque de l'absence de solidarité. La nouvelle majorité l'a compris et fait de la lutte contre la fracture territoriale sa priorité -dont la création de votre ministère a été le premier signe. L'objectif est clair : M. Lamy l'a rappelé, aboutir sans délai à une amélioration concrète de la vie des 8 millions de nos concitoyens qui habitent dans les quartiers et réduire les inégalités dans tous les domaines. Vous avez vous-même rappelé, madame la ministre, que votre mission était de placer la politique des territoires sous le sceau de l'égalité -ce qui ne veut pas dire uniformité, on ne peut méconnaître les contextes locaux.
La réparation des territoires meurtris, la restauration de la solidarité entre les territoires, le rétablissement d'un égal accès aux services publics sont indispensables. Le groupe écologiste votera cette proposition de résolution car assurer l'égalité des territoires, c'est garantir un meilleur accès à l'emploi, au logement, à la santé, à l'environnement, en assurant un maillage interactif entre les centres-villes, les banlieues et les territoires ruraux.
À la fracture territoriale, il faut répondre par une cohésion fluide. Tout cela dépend d'une décentralisation qui ne serait pas décrétée par Paris. La réforme nécessaire vient d'être engagée, avec la collaboration de tous les acteurs concernés. Nous espérons que les effets de votre politique seront bientôt visibles. La tâche est immense, mais nous n'avons pas le droit à l'erreur : l'extrême droite est toujours prête à surfer sur les attentes déçues, et les échéances électorales ne sont pas loin. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Teston . - Mes collègues ont rappelé que les dernières décennies ont été marquées par l'absence de politique d'aménagement du territoire et l'aggravation des inégalités. Nous avons pris acte de la création de votre ministère, reconnaissance de l'existence de la fracture territoriale.
Les auteurs de la proposition de résolution souhaitent la restauration des services publics sur l'ensemble du territoire, l'égalité des chances en termes de santé, d'emploi, d'enseignement, de transport, de très haut débit ; le droit à l'avenir pour tous.
Ce texte rejoint la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, déposée par le groupe socialiste, qui avait fait l'objet d'un renvoi en commission par la majorité précédente. Elle proposait une organisation de l'offre des services publics respectant les principes d'équité territoriale et de proximité. Mon groupe partage donc l'objectif de cette proposition de loi. Mais le Gouvernement a déjà entamé la reconquête du territoire : préfiguration d'un Commissariat général, plan de Mme Touraine contre les déserts médicaux, nouveau plan de couverture en très haut débit, annonce de l'acte III de la décentralisation, création de la BPI, refondation de l'école.
Les infrastructures ont longtemps été considérées comme les seuls moyens permettant de désenclaver les territoires. Le développement des technologies numériques a changé la donne. Quant à la remise à plat du schéma national des infrastructures des transports, elle devrait permettre de faire le point sur les territoires les plus enclavés, qui doivent devenir prioritaires.
Sur le désenclavement numérique, le plan Fillon était bien trop timide et faisait la part trop belle aux opérateurs ; le Fonds d'aménagement numérique du territoire n'a jamais été alimenté. L'État doit reprendre la main : les collectivités territoriales doivent pouvoir agir si les opérateurs ne tiennent pas leurs engagements. Certains crédits du Grand emprunt peuvent encore être utilisés. Et il ne sera peut-être pas nécessaire de créer une nouvelle taxe puisqu'un recours a été déposé contre la taxe Copé ; si elle était annulée, elle pourrait servir à alimenter le Fonds. J'ajoute qu'il ne devrait pas être impossible de faire participer les opérateurs au déploiement dans les zones peu denses, dans la mesure où la logique de l'aménagement du territoire n'est pas celle de la concurrence. L'État doit s'assurer que les opérateurs respecteront leurs engagements dans la 4 G.
Le groupe socialiste votera donc cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Lenoir . - Ministre de l'égalité des territoires, votre titre sonnait de façon prometteuse, madame Duflot, lorsque vous fûtes nommée...
Merci, monsieur Mézard, pour votre intervention de qualité. Les territoires ruraux sont dynamiques, animés par des personnes volontaristes et qui n'ont pas hésité à accompagner les restructurations nécessaires. Voyez ce qui s'est passé en matière scolaire, pour les gendarmeries, pour la carte judiciaire. Je vous renvoie à l'exemple de mon département en matière de justice : nous avons pris des initiatives pour rendre possible l'accès au droit de tous. Rien n'est fatal.
En zone rurale, nous devons payer pour le numérique, comme pour la présence médicale ; des pôles de santé sont en construction, d'autres fonctionnent déjà. Les services à la personne se développent, grâce notamment au bénévolat. En matière d'accès à la culture, le fossé se comble grâce à des politiques très dynamiques. De même pour le logement des jeunes, des apprentis en particulier -j'ai un dossier dont je vous entretiendrai.
Enfin, tout le monde est d'accord pour dire que les transports coûtent très cher en zone rurale, nous payons les infrastructures des grandes villes, aussi nos routes et les péages. À l'intérieur des territoires, beaucoup de personnes dépensent une bonne partie de leur salaire pour se rendre sur leur lieu de travail. Avec un chèque-carburant payé pour moitié par l'employeur et exonéré de charges, sur le modèle de la carte orange, le coût serait divisé par deux pour le salarié.
M. Mézard souhaite le retour des radicaux au pouvoir. Peut-être y a-t-il d'autres solutions en attendant le grand soir... (Sourires) Celle que je préconise, c'est la contractualisation, entre l'Europe, qui doit pouvoir intervenir, l'État, les régions, les collectivités, notamment les intercommunalités, pour élaborer une stratégie ambitieuse de reconquête.
Aujourd'hui, vivre en zone rurale coûte plus cher que vivre en zone urbaine. Il faut restaurer une réelle égalité des chances. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Odette Herviaux . - La création de votre ministère, madame la ministre, consacre le constat de la fracture territoriale. Il fallait promouvoir l'égalité des droits -plutôt que des chances- de tous les citoyens. Cette proposition de résolution est bienvenue.
La transformation de la Datar a conduit à la remise en cause de la politique de coopération entre l'État et les collectivités. Le constat est simple et souvent désolant : depuis des années, des espaces entiers ont été abandonnés par les pouvoirs publics. Nous devons préserver leur spécificité et rétablir leurs droits aux services publics. Au niveau infrarégional, le phénomène de métropolisation a accentué les déséquilibres. L'étude de l'Insee sur les bassins de vie est très parlante ; en Bretagne, le plus petit s'étend sur 18 km² en bordure de côte, la plus grand en centre Bretagne fait 800 km²...
Nous avions défendu une proposition de loi sur l'aménagement du territoire, M. Teston l'a rappelé. La continuité territoriale et la situation des territoires insulaires ne sauraient être ignorées. Voulons-nous avoir encore des habitants sur ces îles dans 30 ans ? La spécificité des territoires ultramarins doit aussi bénéficier de toute l'attention du Gouvernement.
Parler d'égalité des territoires, c'est défendre l'égalité des droits de tous nos concitoyens. Chacun doit avoir la conviction qu'il dispose des mêmes droits ; pour beaucoup de territoires, une restauration est nécessaire, surtout en matière de justice, d'éducation et de santé.
Le droit à la santé devra être rétabli. L'État doit aussi veiller à sa fonction redistributrice en veillant au maintien de capacités locales d'animation et d'expertise comme à la péréquation. Le projet de loi de finances 2013 portait plusieurs engagements forts, je regrette que nous n'ayons pu en débattre jusqu'au bout.
Les élus locaux sont dans une situation très inconfortable, pris dans l'étau des restrictions budgétaires et des besoins de leurs concitoyens. La politique de la ville, la conférence environnementale et l'acte III de la décentralisation doivent être cohérents entre eux. Il nous appartiendra de promouvoir les principes de subsidiarité et de chef de file ; plutôt qu'un partage définitif des responsabilités, nous plaiderons pour la co-construction de responsabilités partagées.
Cette proposition de résolution a évoqué beaucoup de ces problématiques, nous la voterons avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement . - Je suis très heureuse de m'exprimer devant vous sur ce sujet. Le Gouvernement a créé le ministère de l'égalité des territoires : belle ambition politique, lourde tâche aussi. Croyez bien que je ne me contenterai pas de paroles, mais que des actes viendront.
Les fractures territoriales s'aggravent entre les régions, mais aussi entre les bassins de vie ou les quartiers. Il est urgent d'y répondre, mais pas par un claquement de doigts venu de Paris. Dix ans de mise en concurrence des territoires, dix ans d'absence de vision politique d'aménagement du territoire laissent de profonds stigmates.
Un diagnostic précis est donc indispensable. La méthode que nous avons retenue, c'est de prendre le temps de la réflexion pour bâtir un travail solide et durable. À peine avais-je été nommée à la tête de ce ministère que j'ai voulu prendre à bras-le-corps la question de l'égalité des territoires. J'ai commandé à une équipe d'universitaires un rapport sur le sujet, qui me sera remis en février 2013 ; chaque contribution d'universitaire fera l'objet d'un contrepoint par le regard d'un élu. Parallèlement, je réfléchis aux modalités d'intervention de l'État sur les territoires, y compris outre-mer. Une mission de préfiguration du commissariat général est en cours, ainsi qu'une réflexion sur les missions d'appui de mon ministère auprès des collectivités territoriales.
Des concertations ont été lancées pour refonder l'école, les assises de l'enseignement supérieur ont eu lieu, M. Valls a lancé les ZSP, Mme Bertinotti entend développer les services de la petite enfance sur tout le territoire. La BPI permettra de mieux répondre aux besoins des PME de chaque région, tandis que se développera une nouvelle politique des pôles de compétitivité ; et je n'oublie pas les emplois d'avenir.
Nous voulons développer les capacités propres à chaque territoire en misant sur le numérique. C'est est une chance inestimable, car il s'appuie sur la créativité de tous. Le futur projet de loi de décentralisation y fera toute sa part. Le socle des compétences figurera également dans ce texte.
Les territoires meurtris devront être réparés. L'accès aux services pose, lui, la question de la mobilité. Le schéma national des infrastructures de transport est en cours de réexamen. La présence des services publics en région a été pensée, ces dernières années, ministère par ministère ; le résultat est connu... Le Gouvernement entend rompre avec cette méthode mais continuer la modernisation de l'appareil administratif en organisant la présence des services publics de façon cohérente. Que signifie « accéder aux services » ? Il faut réfléchir au bouquet de services rendus : pour qui, comment, dans quels délais ? Je m'engage à favoriser la mutualisation pour renforcer le maillage du territoire en services au public -sans oublier les services publics. Il faut mettre en cohérence les politiques publiques au service de l'aménagement du territoire, mettre en facteur commun tous les outils de contractualisation. Les outils européens, les contrats de territoire participent à cette réponse aux besoins des territoires meurtris.
C'est moi, monsieur Bertrand, si les circonstances le permettent, qui viendrai défendre devant vous une loi pour l'égalité des territoires, après une large concertation, à laquelle vous serez associés. J'aurai besoin de vous. Vous avez été les premiers à dénoncer les fractures du pays, je pense que vous serez les premiers à vouloir les réparer. Je ne vois donc que des avantages à l'adoption de cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)
La proposition de résolution est adoptée.
Mme la présidente. - C'est l'unanimité. (Applaudissements à gauche)
Décisions du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. - M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil Constitutionnel, par lettres en date du jeudi 13 décembre 2012, le texte de deux décisions du Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution, d'une part, de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 et, d'autre part, de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.
Prochaine séance demain, vendredi 14 décembre 2012, à 9 h 30.
La séance est levée à 20 h 5
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du vendredi 14 décembre 2012
Séance publique
À 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir
- Projet de loi de finances rectificative pour 2012, adopté par l'Assemblée nationale (n° 204, 2012-2013)
Rapport de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 213, 2012-2013)