Droit au séjour (Procédure accélérée - Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au droit de séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier.
Discussion générale
M. Gaëtan Gorce, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Ce projet de loi a été rendu nécessaire par l'injustice inacceptable du délit de solidarité et par l'évolution de la jurisprudence européenne.
Nous sommes parvenus à un texte qui répond de manière satisfaisante à cette double préoccupation. Nous avons renforcé les garanties apportées aux étrangers sans nuire à l'efficacité de l'action de l'administration. L'Assemblée nationale les a confortées en prévoyant des garde-fous sur le contrôle des papiers, à l'article premier, et l'assistance d'un avocat, à l'article 2. Ces dispositions ont fait l'objet d'un accord en CMP.
Dans l'hypothèse où l'étranger était conduit au poste de police pour rétention, l'Assemblée nationale a précisé la rédaction du Sénat en prévoyant que l'étranger ne pourrait être placé « simultanément » dans un local où seraient des gardés à vue. L'Assemblée nationale, à l'article 8, a élargi le bénéfice des immunités de ceux qui apportent une aide nécessaire aux étrangers.
Restait la difficulté de l'article 6 : le délit de maintien sur le territoire français ne sera établi que lorsque l'ensemble des voies disponibles pour l'administration aura été épuisé, dans des conditions régulières sous le contrôle du juge. Cette formulation est conforme à la jurisprudence de la CJUE comme du Conseil constitutionnel.
Nous sommes donc parvenus, en CMP, à un texte qui répond à nos préoccupations et que je vous suggère d'adopter. Je remercie le Gouvernement de l'esprit de concertation dont il a su faire preuve. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Le débat parlementaire sur ce projet de loi arrive à son terme. Je vous prie d'excuser M. Valls, qui accompagne le président de la République en Algérie.
Je tiens à remercier le président Sueur pour la qualité du travail de la commission en un temps restreint et M. Gorce pour sa détermination et son abnégation. Il vient de rappeler l'essentiel.
En matière de politique migratoire, le Gouvernement sera intransigeant tant sur la recherche de l'efficacité que sur le respect des principes.
L'arrêt de la Cour de cassation du 5 juillet 2012 appelait une réponse législative. Ce projet de loi, en prévoyant une durée maximale de retenue de seize heures, répond aux besoins opérationnels et respecte l'impératif constitutionnel de proportionnalité. Le Gouvernement est resté à l'écoute du Sénat comme de l'Assemblée nationale.
Grâce au travail parlementaire, la présence de l'avocat pendant la durée de la retenue et des garanties supplémentaires pour le droit des personnes ont été inscrites dans le texte.
Ce projet aura force de loi dans quelques jours si vous le votez. Notre politique concilie la fermeté indispensable de la lutte contre l'immigration irrégulière et la protection des droits des étrangers.
D'autres initiatives suivront. Un parlementaire en mission sera nommé dans quelques jours pour faire le point sur le contentieux en matière de droit des étrangers. Le ministre de l'intérieur a en outre annoncé la tenue d'un débat au Parlement dans les premiers mois de 2013 sur l'immigration économique et étudiante. Une autre proposition de loi est en préparation sur la création d'un nouveau titre de séjour pluriannuel, qui sécurisera les migrants dans leur parcours d'intégration et évitera aux préfectures des tâches inutiles.
La question de l'immigration exige discernement et réalisme. Ce texte est équilibré ; il sera efficace. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Excellent ministre de l'intérieur !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Nous applaudissons M. Vidalies.
Mme Éliane Assassi . - Depuis 2002, les gouvernements de droite ont fait adopter des lois qui toutes ont réduit les droits des étrangers, faisant peser un soupçon continuel sur eux et alimentant la rhétorique envahissante de « l'étranger fraudeur ».
Le présent projet est minimaliste ; la politique de criminalisation de l'étranger demeure. Nous sommes souvent taxés « d'idéalisme »...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - C'est une vertu !
Mme Éliane Assassi. - ...mais nous ne sommes pas les seuls à vouloir la disparition de tout régime d'exception applicable aux étrangers en situation irrégulière. La CNCDH a dévoilé son avis sur ce projet le 22 novembre, voté à l'unanimité de ses 46 membres : c'est un désaveu cinglant. Outre qu'elle regrette d'avoir dû s'autosaisir, ses recommandations reprennent la plupart des points que nous avons soulevés dans le débat sur ce texte. Elle appelle à une remise à plat du dispositif et au retour du rôle constitutionnel de l'autorité judiciaire.
Elle s'interroge ensuite sur l'opportunité d'un nouveau régime d'exception. Monsieur le ministre, dès lors que les placements en rétention se maintiennent à un niveau constant depuis la décision de la Cour de cassation, il faut en conclure que le délai de quatre heures pour la vérification d'identité est suffisant. La CNCDH nous appelle au respect du droit commun des vérifications d'identité.
Les avancées adoptées à l'Assemblée nationale sur la présence de l'avocat sont insuffisantes. Les OPJ et APJ peuvent notifier ses droits à l'étranger dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, prescription suffisamment large pour interdire toute possibilité de recours. Si la présence d'un interprète est prévue pour la suite de la procédure, la notification du droit au silence n'est pas envisagée.
Nous dénonçons la création d'un délit de maintien sur le territoire remplaçant le délit de séjour irrégulier, qui ne se justifie aucunement si ce n'est pour continuer à justifier l'usage de la garde à vue comme antichambre de l'expulsion. C'est une réponse a minima à la jurisprudence de la CJUE. Cela nous donne la désagréable impression d'avancer au coup par coup et de nous exposer à de nouvelles condamnations.
Je me suis abstenue en commission pour des raisons précises qu'il n'est pas utile de rappeler. Je confirme que le groupe CRC votera contre ce texte. Je reste cohérente avec mes choix et ceux de mon groupe.
M. Stéphane Mazars . - La façon dont un pays accueille les étrangers en dit long. Le nôtre ne s'est pas distingué ces dernières années par la qualité de son accueil et ses capacités d'intégration.
Notre groupe, dans sa diversité, n'a jamais défendu l'ouverture en grand des frontières mais a toujours voulu une politique migratoire tolérante.
La solution finalement retenue d'une durée maximale de seize heures permet aux services d'enquête de procéder à des vérifications complexes. C'est aussi la garantie d'un examen approfondi et individuel de la personne concernée. Le professionnel que je suis se félicite que l'Assemblée nationale ait renforcé les garanties offertes aux personnes concernées. Les étrangers seront assistés par un avocat de façon effective ; c'est une avancée importante. La personne retenue sera en outre à même de prendre tout contact utile pour la prise en charge de ses enfants.
Le texte de la CMP est équilibré. A l'article 5, le délit de séjour irrégulier a été supprimé, respectant la jurisprudence européenne et celle de la Cour de cassation. La loi protègera désormais les personnes apportant une aide humanitaire et désintéressée aux étrangers en situation irrégulière, sans laxisme pour autant à l'égard des réseaux criminels mafieux. Nous y souscrivons. C'est une cause juste.
Le groupe du RDSE dans son ensemble votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
Mme Esther Benbassa . - L'espoir était grand au printemps dernier pour les migrants, leurs défenseurs et tous les militants des droits de l'homme, après les durcissements successifs de la législation qui, depuis dix ans, ont porté atteinte aux droits fondamentaux des étrangers. M. Valls nous annonçait, en juin, la fin du placement en rétention des enfants, de la politique du chiffre et du délit de solidarité. Restait à changer la loi.
Ce projet de loi comporte des avancées importantes.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - C'est vrai !
Mme Esther Benbassa. - Il met en conformité notre législation avec le droit européen, édictant qu'enfermer un étranger était par principe incompatible avec son éloignement et que la sanction pénale ne pouvait être que subsidiaire. Demeurent cependant des mesures auxquelles nous ne pouvons souscrire. Ainsi, si être sans papiers n'est plus un délit, l'article 6 du texte de la CMP pénalise le maintien sur le territoire, si l'autorité administrative a tout mis en oeuvre pour procéder à l'éloignement, d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 euros. Le délit de soustraction à une mesure d'éloignement est maintenu en l'état et puni de trois ans d'emprisonnement et de dix ans d'interdiction du territoire. La double peine, jamais abolie, est toujours d'actualité. Les sans-papiers ne sont plus assimilés à des délinquants, mais nous espérions une réforme plus profonde.
L'article 2 nous pose problème : il permet de retenir un étranger jusqu'à seize heures pour vérifier sa situation. La gauche s'était opposée aux réformes liberticides des précédents ministres de l'intérieur ; nous ne pouvons accepter aujourd'hui, sous un gouvernement de gauche, une procédure aussi dérogatoire du droit commun. Le dispositif de vérification d'identité applicable à tous devrait suffire.
M. Valls aurait pu suivre la CNCDH en abrogeant tout simplement le délit de solidarité, en érigeant l'immunité en principe et l'infraction en exception. Nous espérons que le Gouvernement agira pour que la solidarité ne soit plus jamais assimilée à de la délinquance. Une politique de gauche devrait donner tout son sens à un des fondements de notre société, la fraternité.
En l'état, les écologistes considèrent que la rédaction de la CMP, en dépit d'avancées notables, comporte toujours des mesures d'exception auxquelles ils sont opposés. Nous nous abstiendrons. (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, Mme Éliane Assassi et M. Jean-Yves Leconte applaudissent)
M. André Reichardt . - N'en déplaise à nos détracteurs, pendant cinq ans, nous avons agi avec Nicolas Sarkozy...
Mme Éliane Assassi. - Vous devriez en avoir honte !
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Avec M. Fillon aussi...
M. André Reichardt. - ...en restant fidèle à nos traditions d'intégration.
Mme Éliane Assassi. - Ben voyons !
M. André Reichardt. - Ces efforts seraient vains si nos procédures étaient inopérantes. La Cour de cassation a jugé illégale la garde à vue. Or elle était la principale procédure permettant aux services de police et de gendarmerie de vérifier la situation d'un étranger et, le cas échéant, de l'éloigner.
Vous avez souhaité mettre en place un nouveau dispositif de retenue administrative explicitement destinée à vérifier le droit au séjour des étrangers. Ce projet de loi est soucieux des libertés individuelles et des droits de la défense. Il est tout à fait pertinent. Le délai de seize heures a été préservé. Il reste très inférieur à celui de la garde à vue. Sur le fond, nous sommes arrivés à un consensus.
Le délit de solidarité est supprimé. Nous ne pouvons que nous féliciter de la différence établie entre l'état objectif de la personne en détresse et la notion d'un but lucratif, qui est répréhensible car il anime les organismes de filières d'émigration clandestine. Mais le juge constitutionnel a déjà rappelé que le délit d'aide au séjour irrégulier ne saurait concerner les associations humanitaires. Il est imprudent d'anticiper sur les inconvénients théoriques d'une norme.
Sans surprise, nous voterons ce texte utile aux forces de police et de gendarmerie pour accomplir leurs missions. (M. Jacques Gautier applaudit)
M. Jean-Yves Leconte . - Ce projet de loi répond à deux exigences : celle de la jurisprudence européenne et celle du respect du principe de la dignité des personnes.
Après la décision de la Cour de Cassation, le délai de quatre heures ne pouvait suffire. Une retenue de seize heures maximum est créée, durant laquelle les OPJ procèderont aux vérifications nécessaires ; dès le début de la procédure, le procureur de la République sera informé ; la personne concernée pourra bénéficier de l'assistance d'un interprète, d'un avocat, d'un médecin et prévenir une personne de confiance. Le temps nécessaire aux vérifications devrait être habituellement inférieur : le délai maximum ne doit pas devenir la norme.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. - Les lectures au Sénat puis à l'Assemblée nationale ont permis des avancées. Nous resterons vigilants sur l'usage des fichiers automatisés ; celui des empreintes digitales est clairement de nature judiciaire. Certes, le Ceseda prévoit qu'au cas où l'étranger ne présente pas de justificatifs d'identité, les agents habilités du ministère de l'intérieur peuvent consulter les fichiers automatisés ; en l'espèce cependant, une modification des textes est nécessaire. Ne sous-estimons pas les restrictions rappelées par la Cnil. Nous attendons que le Gouvernement publie un nouveau décret.
La suppression du délit de solidarité est bienvenue. L'article 8 protègera les personnes qui agissent par solidarité tout en permettant les poursuites contre les filières d'immigration clandestine.
Ce sont là de nouvelles manières d'aborder ces questions : fermeté et humanisme. Il est bon que le Gouvernement ait rompu avec la politique du chiffre. Comment faciliter l'intégration quand on maintient des personnes dans la précarité ? Pour l'OCDE, le vieillissement de la population est un défi à venir, et la France est sur une trajectoire démographique plus favorable que l'Allemagne. La réussite d'une politique d'immigration et d'intégration sur le moyen et long terme est un facteur de dynamisme économique. Reste à venir la loi réformant le Ceseda et la création d'un titre de séjour pluriannuel pour les étrangers ayant vocation à s'installer durablement en France. Nous serons attentifs au rôle qui sera dévolu au juge des libertés et de la détention dans le cadre de la procédure de rétention.
Vient maintenant le plus difficile, la mise en pratique. Il faudra veiller que les seize heures de retenue soient un maximum, et non la norme. Vous avez le soutien du groupe socialiste qui votera ces conclusions. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois . - Merci, monsieur le ministre, de votre soutien à notre travail. Le texte traite de situations humaines souvent difficiles. Nous nous sommes attachés à veiller au respect des droits des personnes retenues, reprenant certaines -pas toutes, il est vrai- des recommandations de la CNCDH. Droit à l'avocat, au médecin, à l'interprète, voilà des acquis du débat parlementaire.
Sur les seize heures, je répète que pour nous, c'est, et dans l'esprit et dans la lettre du texte, un maximum. Jamais il ne faudra aller au-delà du temps utile et tout devra se faire sous l'autorité de la justice. La loi à venir complètera ce texte au cours du premier semestre ; elle prendra en compte l'ensemble de la question. Le parlementaire en mission devra veiller à ce calendrier. Il sera important de traiter la question de la présence du juge des libertés et de la détention dans les centres de rétention administrative.
Il est nécessaire de maîtriser l'immigration mais la France est une terre d'accueil. Alors que le président de la République est en Algérie, je pense aux étudiants qui doivent faire des queues interminables avant de pouvoir venir faire leurs études ici, quand c'est un honneur pour nous de les accueillir. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)
La discussion générale est close.
M. Alain Vidalies, ministre délégué . - Les seize heures sont effectivement un maximum. Je réitère l'engagement de déposer une nouvelle loi avant la fin du premier semestre 2013, après que le rapport du parlementaire en mission aura été rendu, fin mars-début avril.
L'ensemble du projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la CMP.