Mercredi 6 février 2013

présidence de M. Jean-Pierre Michel,vice-président

Audition de représentants de l'Interassociative inter-LGBT

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous reprenons nos auditions publiques sur le mariage pour tous. Mme Michelle Meunier, qui a été désignée rapporteure pour avis par la commission des affaires sociales ce matin, participe à nos travaux.

M. Nicolas Gougain, porte-parole de l'inter-LGBT. - Merci de votre invitation. L'Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans fédère une soixantaine d'organisations militant contre les discriminations subies au quotidien par les homosexuels dans le monde du travail, à l'école, dans le sport, etc., mais aussi pour l'égalité des droits. Elle organise également la marche des fiertés, autrefois appelée la Gay pride. La revendication politique d'égalité n'est pas nouvelle. Nous sommes très émus d'être entendus au Parlement, cela a été très rare par le passé. Enfin, on parle de la prise en compte des familles, quelle que soit leur orientation sexuelle. Cela nous fait beaucoup de bien, car nous attendions depuis longtemps ce projet de loi, ce moment historique.

M. Mathieu Nocent, co-secrétaire de la commission politique de l'inter-LGBT. - Je commencerai par une anecdote. En mai 2012, Barack Obama s'est déclaré en faveur du mariage aux couples de même sexe. Une petite fille, Sophia Bailey Klugh, 10 ans, lui a écrit : « Je suis tellement heureuse que vous soyez d'accord avec le fait que deux hommes puissent s'aimer, parce que j'ai deux papas et ils s'aiment, mais à l'école les enfants pensent que c'est dégoûtant et bizarre, et cela me blesse et me fait mal au coeur. Si vous étiez à ma place, que feriez-vous ? ». Le président des États-Unis lui a répondu deux jours plus tard pour la remercier de cette si belle lettre : « En la lisant, je me suis senti fier d'être votre président, et j'ai ressenti encore plus d'espoir dans l'avenir de notre pays. Aux États-Unis, il n'y a pas deux familles qui se ressemblent. Nous sommes fiers de cette diversité. Nos différences nous unissent. Nous sommes chanceux de vivre dans un pays où nous sommes tous nés égaux, et ceci quelle que soit notre apparence physique, l'endroit où nous sommes nés ou l'identité de nos parents. »

En France, des dizaines de milliers d'enfants vivent la situation de la petite Sophia : ils sont élevés par deux papas ou deux mamans, par un papa et deux mamans, une maman et deux papas, ou par deux mamans et deux papas. Depuis quelques semaines, ils entendent dire à l'Assemblée nationale que le mariage consacre l'union d'un homme et d'une femme, dans le but de procréer. C'est ignorer la révolution juridique que le mariage a connue depuis le code napoléonien de 1804.

Cette conception est dépassée. Depuis 1972, les droits et les devoirs des enfants et des parents sont identiques dans le mariage et hors mariage ; depuis 2005, il n'y a plus de distinction entre filiations légitime et naturelle. Plus d'un enfant sur deux naît hors mariage ; bien des couples se marient sans avoir l'intention de procréer. Le coeur du mariage n'est plus la présomption de paternité mais le couple. Comment justifier désormais que les couples de même sexe n'y aient pas accès ?

Ils entendent dire que les enfants doivent avoir un père et une mère pour s'épanouir. C'est méconnaître la diversité des familles et faire injure aux enfants de familles monoparentales et homoparentales. La famille « idéale » renvoie à un jugement de valeur. Faisons confiance aux enfants pour gérer le pluralisme du monde dans lequel, de toute façon, ils vont vivre.

Ces enfants entendent aussi dire que leurs parents leur mentiraient et que l'État appuierait ce mensonge en reconnaissant une double filiation monosexuée. Aucun couple homosexuel ne prétendra être les parents biologiques de l'enfant ! Comme le dit Irène Théry, « la filiation adoptive n'est pas un décalque de la procréation. Loin de chercher à se faire passer pour ses géniteurs, les parents adoptifs revendiquent l'adoption pour elle-même, comme une façon pleinement légitime de construire la filiation sur l'engagement ». Personne n'a l'intention de faire passer les enfants issus de la procréation médicalement assistée (PMA) comme nés de deux femmes : c'est un fantasme. S'il y a un mensonge, c'est celui du droit qui fait croire, pour les enfants nés de la PMA, que le mari stérile est le géniteur...

Ces enfants entendent encore dire que ce mariage va contre la nature. Une vision naturaliste pour le moins audacieuse...Les Lumières sont-elles si éloignées ? A-t-on oublié que l'on est passé de la nature à la culture, d'un ordre religieux à un ordre civil ? La nature n'a pas force de droit et ne saurait imposer en droit la reconnaissance d'une seule structure familiale.

On leur explique enfin que la différence des sexes serait un référentiel indispensable à la construction de l'enfant. Mais elle est omniprésente dans leur environnement, dans leur quotidien ! Ce texte met à bas les stéréotypes et rétablit une pleine égalité entre les couples et au sein des couples.

Le président Obama terminait ainsi sa lettre à la petite Sophia : « Une bonne règle est de traiter les autres comme tu aimerais qu'ils te traitent. Rappelle cette règle à tes camarades s'ils tiennent des propos qui te blessent ». Cependant, alors qu'hier la Chambre des communes du Royaume-Uni a voté, à 400 voix contre 175, l'ouverture du mariage à tous, le député Bénisti parlait, à l'Assemblée nationale, d'« enfant Playmobil » ; Mme Dalloz réclamait que le principe de précaution ne s'applique pas qu'aux animaux ; le député Duyck parlait d'une régression monstrueuse ; son collègue Poisson s'inquiétait que l'on finisse par créer artificiellement des enfants « disponibles à toute forme de volonté, de désir », et Mme Genevard s'inquiétait des cris de détresse des enfants élevés sans père ou sans mère. J'ose croire qu'un jour, les enfants qui souffrent de ces outrances et de cette stigmatisation pourront dire à leurs camarades : « oui, j'ai deux papas, et alors ? »

M. Nicolas Gougain. - Le projet de loi ne vise pas à remplacer un modèle par un autre, il est inclusif. Il ne s'agit pas d'imposer un modèle, mais d'en reconnaître un autre en ajoutant à la diversité. Vous n'enlèverez rien aux familles hétérosexuelles en donnant aux familles homosexuelles le droit de vivre leur histoire comme elles l'entendent - que ce soit par le Pacs ou le mariage. Le rôle du législateur est de sécuriser la situation de ces familles et de garantir l'égalité des droits. Ce projet de vivre-ensemble contribuera à la lutte contre les discriminations et les stéréotypes.

L'attente est extrêmement forte. Il y a deux ans, la date de la marche des fiertés avait coïncidé avec la reconnaissance par l'État de New York du mariage homosexuel. Cela avait soulevé un formidable espoir.

Nous regrettons que la France, encore une fois, ait été doublée par un autre pays dans la lutte contre les discriminations. Mais aujourd'hui, nous y sommes, la France marche vers l'égalité des droits.

Vous recevrez bientôt le texte de l'Assemblée nationale, j'espère que vous l'enrichirez.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je tiens à vous rassurer : il y aura des oppositions au Sénat, mais on n'y tiendra pas les mêmes propos qu'à l'Assemblée nationale. Quant à la PMA, Mme Héritier, après un passionnant exposé anthropologique, nous a expliqué hier que nous allions nous prononcer sur un détail, que la principale révolution était devant nous : la procréation hors utérus. Rassurez-vous donc, bonnes gens !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - On entend beaucoup les opposants au projet de loi. J'aimerais savoir ce que disent les associations depuis le début de ce débat. Constatez-vous un élargissement de votre audience et quels sont les effets du texte sur ceux qui y sont favorables ?

Mme Virginie Klès. - Vous avez parlé de mensonge. Il faut bien un homme et une femme pour faire des enfants, même si les fonctions éducatives peuvent être confiées à d'autres. Il importe de le rappeler pour éviter des dérives sur ce projet de loi.

On parle beaucoup des enfants éduqués dans des couples homosexuels, peu des parents d'homosexuels. Ceux-là sont-ils heureux de voir le mariage ouvert à leurs enfants ou, au contraire, inquiets ? Leur avis est important. Pour ma part, en tant que maman, je préfèrerais que mon fils ou ma fille soit heureux.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous auditionnerons ensuite d'autres associations, avec lesquelles nous reviendrons également sur la question des enfants.

Mme Maryvonne Blondin. - Ce projet de loi facilitera la vie des personnes trans, qui peinent à modifier leur état civil et, donc, à se marier.

Vous évoquez un manque d'écoute de la part du Parlement. Le Sénat, depuis quelque temps, a commencé d'auditionner les associations. Mme Meunier et moi-même auditionnons sur cette thématique, vous le savez.

Mme Corinne Bouchoux. - Le débat a fait découvrir à certains enfants qu'ils n'étaient pas comme les autres. En a-t-on pris la mesure ? Le bas niveau de certains propos ne donnera pas une bonne image des politiques... Vous connaissez bien l'association « Contact ». Moi aussi, je voulais parler des parents d'homosexuels qui vivent avec difficulté les propos homophobes proférés en France. On parle des homosexuels comme on ne parlerait pas des coléoptères... Le débat a été plus posé au Royaume-Uni et en Espagne. Pourquoi à votre avis prend-il cette tournure en France ?

M. Mathieu Nocent. - Nous ne nions absolument pas qu'un enfant naisse d'un homme et d'une femme. En revanche, nous distinguons le géniteur du parent. On entend qu'il faut lier l'homoparentalité à la problématique de l'accès aux origines. Personnellement, je ne voix pas très bien comment lier les deux. Nous parlons ici de filiation sociale et non de filiation procréative ou biologique. Dire qu'aujourd'hui, la filiation est une filiation procréative est déjà inexacte en droit, puisque la filiation adoptive n'est pas procréative par essence. La présomption de paternité n'établit pas que le père est le géniteur. Nous militons pour la reconnaissance d'une filiation sociale, qui existe déjà, de fait, dans notre droit avec l'adoption.

M. Nicolas Gougain. - J'ai été reçu au Parlement avec les associations trans lors de l'examen du projet de loi sur le harcèlement sexuel. Je remercie le Sénat de son initiative. Des parlementaires s'engagent pour faciliter le changement d'état civil des trans. Je salue ces personnes qui travaillent à l'égalité des droits.

Les conséquences du débat parlementaire ? « SOS homophobie » a reçu trois fois plus d'appels en décembre 2012 qu'en décembre 2011, quatre fois plus en janvier 2013 qu'un an auparavant. C'est un indicateur. Le débat a libéré des propos homophobes, on l'a vu sur les réseaux sociaux ou dans les réactions d'internautes aux articles de presse. Je reste néanmoins très optimiste pour l'avenir tant la société française a évolué depuis une quinzaine d'années. Le Pacs, qui avait suscité une vive opposition à l'époque, y a contribué - au point que les opposants au projet proposent de le renforcer.

Concernant les parents d'homosexuels, nous avons mobilisé des centaines de milliers de personnes le 16 décembre et le 27 janvier dernier pour soutenir le texte. Défiler quand on est pour un projet, et que ce projet est appuyé par une majorité politique ne tombe pas sous le sens. Cela relève de l'exploit. Parmi les manifestants, se trouvaient de nombreux parents, dont les miens. D'après un sondage du Parisien, les deux tiers des parents déclarent qu'ils assisteraient au mariage de leur enfant homosexuel. Comme tous les sujets polémiques, tels que l'avortement, la contraception et même la peine de mort, le débat s'apaisera et la réforme deviendra consensuelle. Bien au-delà d'une minorité, le texte intéresse toute la société, ainsi des associations de parents d'élèves ou des associations familiales laïques s'y sont déclarées favorables. Il s'agit aussi de familles.

M. Mathieu Nocent. - L'homoparentalité, tout le monde l'a compris, interroge la conception de la famille. Nous sommes en contact avec les familles adoptives, qui se sentent très touchées par ce débat. Elles aussi sont choquées que l'on mette autant en cause la filiation sociale.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Fin février, une série d'auditions sera consacrée à l'adoption. Le 21 février, nous entendrons le témoignage de parents qui ont accepté l'homosexualité de leur enfant. Nous ne pouvons entendre tout le monde. Nous avons demandé aux autres d'envoyer des contributions par écrit.

Pour l'heure, le texte ne propose que l'adoption. D'où la question de l'accès aux origines dont la connaissance, pour moi, nous distingue de l'animal. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. Nicolas Gougain. - Certes, l'adoption plénière substitue la filiation adoptive à la filiation biologique, mais cela ne fait pas obstacle à la connaissance des origines. Au reste, les familles adoptives, parce qu'elles assument la filiation sociale, expliquent à leurs enfants quelle est leur origine. Il n'est donc pas besoin de restreindre le texte à l'adoption simple.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Hier, nous avons auditionné deux pédopsychiatres qui tenaient, en s'appuyant sur des cas cliniques, des discours opposés. L'un soutenait qu'il fallait dire la vérité, l'autre que l'enfant devait faire corps avec ses parents adoptifs.

Mme Virginie Klès. - On a parlé des animaux, j'interviendrai en tant que vétérinaire. Chez les mammifères, la reconnaissance maternelle se fait dans les heures qui suivent la naissance par les phéromones, les gestes de léchage. Pour d'autres espèces, la reconnaissance n'est pas forcément le fait de la mère et passe par des stimuli visuels. L'adoption existe chez les animaux, les chevaux ou les chiens, mais, exceptionnelle, elle est liée à un comportement particulièrement maternant de certaines femelles. L'on n'en comprend pas bien les mécanismes.

Mme Esther Benbassa. - En cas de vote de la loi, qui traite de l'adoption plénière, comment l'adoption simple sera-t-elle gérée au sein des familles ?

M. Nicolas Gougain. - La question de l'adoption rejaillit dans le débat public. Celles de l'accès aux origines ou de l'insémination artificielle par donneur ne sont pas plus aiguës parce nous en ouvririons l'accès aux couples homosexuels. Nous espérons que le législateur se saisira de ces questions dans le futur. D'après les familles adoptives, l'adoption plénière est la formule la plus adaptée pour les adoptions internationales. Celles-ci sont en baisse partout, mais de manière encore plus prononcée en France. Peut-être faut-il mener une réflexion sur l'accompagnement de l'adoption par les consulats. En tout cas, les difficultés liées à l'adoption sont les mêmes pour tous. Il est malhonnête de mettre en concurrence familles homosexuelles et hétérosexuelles, repensons plutôt le dispositif d'adoption en tant que tel. A côté de la mesure d'égalité que nous attendons tous, engageons cette réflexion.

Je pense, enfin, que l'adoption par le conjoint est une attente très forte, car elle permettra de sécuriser la situation de l'enfant, suite à un accident de la vie par exemple.

Le partage de l'autorité parentale devra être traité au sein de la future loi sur la famille et l'ouverture de l'adoption au-delà des couples non mariés, de même que l'accès à la PMA pour les couples de femmes. Alors que beaucoup de couples se rendent en Espagne ou en Belgique pour se faire inséminer, il serait hypocrite de ne pas traiter ce sujet.

M. Mathieu Nocent. - J'ajoute le cas des couples séparés - car cela arrive également chez les personnes homosexuelles. Certains couples s'organisent pour maintenir le lien avec la mère sociale ; il faudrait encadrer juridiquement ces situations dans l'intérêt de l'enfant. On ne va tout de même pas demander à des femmes séparées de se marier et de divorcer pour créer un lien de filiation. Il faut penser ce lien de filiation, même hors mariage.

La création de la filiation hors adoption et hors mariage se posera également avec la PMA. La reconnaissance en mairie, la possession d'état sont ouvertes aux hétérosexuels : nous revendiquons la même chose pour les couples de même sexe. Prenons un couple de femmes qui fait une PMA à l'étranger : si la loi passe en l'état, la femme qui accouche sera la mère de l'enfant, la seconde mère devra entamer une procédure juridique pour adopter l'enfant, ce qui prend environ deux ans. Pendant ce temps-là, l'enfant ne sera pas protégé s'il arrive quelque chose à la première mère...

Obliger les homosexuels à se marier pour établir le lien de filiation serait discriminatoire par rapport aux couples hétérosexuels.

L'adoption simple est intéressante en ce qu'elle autorisera une tierce personne à adopter l'enfant, si les parents légaux sont d'accord : ce serait répondre à une vraie demande de certaines familles en co-parentalité, où le projet parental se construit à trois ou quatre personnes.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci. Nous aurons, je l'espère, l'occasion de vous entendre à nouveau lors d'un texte ultérieur sur la famille et sur la filiation.

Audition de représentants de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous accueillons l'APGL, association créée en 1986.

M. Dominique Boren, co-président de l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL). - L'APGL et ses adhérents vous remercient de votre invitation. Le 2 février 2013, jour de l'adoption du premier article du projet de loi par l'Assemblée nationale, l'égalité républicaine s'est remise en marche, pour donner des droits à des citoyens qui en étaient privés à raison de leur seule orientation sexuelle.

L'APGL est très reconnaissante à Mmes Bertinotti et Taubira et aux parlementaires d'avoir défendu cette première avancée. Nul ne doute que le Sénat votera à son tour cette loi.

Treize ans après l'adoption du Pacs, à laquelle M. le rapporteur Jean-Pierre Michel a tant oeuvré, la France est invitée à honorer son pacte républicain - l'égalité pour tous - et à répondre à l'impérieuse exigence de protéger toutes les familles, tous les enfants, sans distinction.

Pourquoi la France a-t-elle tardé ? Contrairement à ce que certains fantasment sur les bancs de l'opposition à l'Assemblée nationale, le projet de loi ne répond pas à « une revendication catégorielle portée par une minorité », organisée en je ne sais quel effroyable « lobby communautariste ». Nous demandons simplement les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous. Nous ne voulons pas d'un statut à part, d'un statut spécifique qui ferait des personnes LGBT une sous-catégorie de citoyens.

Ce projet de loi associe conjugalité et lien de filiation. La conjugalité homosexuée sera dorénavant au même niveau que la conjugalité hétérosexuée. La famille homoparentale obtient enfin une reconnaissance. Le mariage républicain, qui n'appartient à aucun parti, à aucune chapelle, qui est célébré dans la maison commune par un élu, remplira pleinement sa mission universaliste. En votant le texte, vous répondrez au besoin légitime de protection mutuelle et de solidarité de tous les couples.

L'ouverture sans restriction de l'adoption et l'adoption intrafamiliale marque une rupture bienvenue : ce sera reconnaître légalement la filiation homosexuée.

Les parents sociaux ont le droit d'exister, eux qui, au quotidien, sont déjà des parents à part entière - et perçus comme tels à la crèche, à l'école. Mais nos lois n'en font que des fantômes, sans statut, au risque de fragiliser les familles - parfois jusqu'à la rupture.

Je vous invite à voter cette loi, telle qu'elle sortira de l'Assemblée nationale. Vous écrirez un nouveau chapitre dans l'égalité de tous les citoyens de la République.

L'égalité réelle commande que le mariage ouvre les mêmes droits en termes de filiation, avec la substitution de la présomption de parentalité à la présomption de paternité. Elle commande aussi que la filiation homosexuée, hors mariage, puisse être établie par une reconnaissance de paternité en mairie, devant l'officier d'état-civil : mêmes droits que pour les autres. Dans le cadre de la co-parentalité, les enfants ont le droit d'avoir des parents qui jouissent tous des mêmes droits. Une piste serait d'ouvrir l'adoption simple à plus d'une ou deux personnes.

L'égalité commande que, dans les couples non mariés, le parent qui n'est pas le parent légal mais a désiré, entouré, élevé l'enfant puisse maintenir un lien avec lui en cas de séparation, et faire reconnaître par le juge ce lien de parenté.

L'égalité commande, enfin, que la PMA soit ouverte à toutes les femmes. Je vous engage à vous saisir de cette première loi et de préparer la prochaine. L'année 2013 doit être celle de l'égalité.

Mme Fathira Acherchour, porte parole de l'APGL. - Merci de votre invitation. L'ouverture du mariage aux couples de même sexe est une question d'égalité : elle facilitera la vie de nombreux adultes et enfants en reconnaissant les parents sociaux. Il faut toutefois élargir le débat. Avec le mariage proposé en l'état, ces personnes ne pourront pas faire famille dans les mêmes conditions de sécurité que les hétérosexuels. La seule possibilité actuelle, c'est la délégation-partage de l'autorité parentale. Elle n'assure pas l'égalité entre les deux parents. Pourquoi imposer au conjoint du parent de se soumettre à l'arbitraire d'un jugement d'adoption afin d'établir la filiation, là où d'autres n'ont qu'une simple déclaration à faire ? C'est tout le contraire de l'égalité et de la justice. En outre, la loi reconnaîtra le mariage pour tous, mais pour l'adoption, il n'en sera pas de même. Tous les enfants ne seront pas adoptables par le conjoint de leur parent, notamment en cas d'adoption simple ou s'il existe déjà deux filiations reconnues.

La loi doit prémunir, prévenir, anticiper. Des propositions existent. Pour tenir compte des histoires de vie, de famille, d'enfants et des réalités familiales, il faut élargir la présomption de paternité à une présomption de parenté. Cela implique d'écrire l'article 312 du code civil ainsi : « L'enfant né d'une personne mariée a pour parent le conjoint de celle-ci ». Cela évitera aux couples homosexuels de se soumettre à un jugement pour chaque enfant. Idem pour la PMA... J'espère qu'avant la fin de l'année nous aurons enfin une loi.

Le projet de loi doit aussi viser la filiation hors mariage : il faut pouvoir établir la filiation en prévoyant une simple déclaration d'engagement parental, en mairie, comme pour les personnes hétérosexuelles, à qui l'on ne pose aucune question ! La simple expression de la volonté de reconnaissance suffit.

La loi doit être protectrice. Pour certains parents, le mariage sera impossible comme voie d'établissement de la filiation, je pense aux couples séparés, ou à ceux dont l'un des conjoints est originaire d'un pays où l'homosexualité est réprimée...

L'APGL vous appelle à prendre vos responsabilités : le mariage doit ouvrir aux couples de même sexe tous les droits attachés au mariage, et ce au nom de l'égalité.

Mme Marie-Claude Picardat, co-présidente de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL). - La loi ne devra laisser aucune famille, aucun enfant sur le bord du chemin. Le nombre de Pacs approche celui des mariages. Les homosexuels seront-ils les seuls à être obligés de se marier pour établir une filiation ? Vous devez ouvrir des droits à ces parents sociaux sans statut. Nouvelle vie, nouvelles familles, nouvelle loi ! Il peut y avoir plus de deux parents à l'origine d'un projet familial. Il vous revient de penser la coparentalité, la pluri-parentalité, avec un statut pour tous les parents sociaux et les beaux-parents. Ces derniers se font le plus souvent débouter par les tribunaux quand, après une séparation, ils réclament un droit de visite auprès des enfants qu'ils ont élevés pendant des années.

Des propositions existent, sur le partage de l'autorité familiale, les aspects patrimoniaux, la filiation. Il y aura bientôt une loi sur la famille, nous dit-on. Mais, en l'état, faute d'être allé suffisamment loin, le texte va créer de nouvelles situations de non-droit que nous redoutons. Certains changements pourraient être intégrés dans ce texte afin de protéger les familles existantes qui n'entrent pas dans le cadre du mariage et de l'adoption. Les enfants sont là, ils ont grandi, les familles se sont parfois défaites, voire déchirées. La France a signé en 1990 la convention internationale des droits de l'enfant, qui prescrit le maintien des liens entre l'enfant et tous les adultes qui l'ont élevé. La loi de 2002 en prend acte, mais du bout des lèvres. L'amendement n° 5255 du rapporteur Erwann Binet pour l'Assemblée nationale va également dans ce sens, mais il faut aller plus loin et créer un véritable statut de beau-parent et de parent social, dans l'intérêt de l'enfant. A vous, sénateurs, de vous en charger - en incluant le partage de l'autorité parentale avec le parent social, même si le parent légal n'y est pas favorable.

Pensons aux fratries qui sont éclatées - il faut les protéger. La possession d'état doit pouvoir être utilisée par les familles homoparentales et pluri-parentales. Le juge devra avoir les moyens de vérifier qu'il n'y a pas de conflit entre le parent social, souvent à l'origine de la naissance de l'enfant, et le nouveau conjoint marié de l'autre parent, doté de nouveaux droits...

Réformons dès maintenant l'adoption simple... Celle-ci autorise déjà plus de deux filiations, jusqu'à quatre parents, deux de naissance, deux adoptifs. La limite, c'est que les parents adoptifs ont seuls l'autorité parentale - même si celle-ci peut être déléguée. En outre, l'adoption simple n'est possible que par une seule entité, couple marié ou personne seule. L'adoption par deux personnes n'est possible que si elles sont mariées - cela n'a aucun sens pour des familles recomposées, par exemple, quand l'enfant a déjà, en quelque sorte, quatre parents.

Les députés socialistes ont voté le Pacs en pleine épidémie du sida, malgré les manifestations et les déferlements de haine. Il est aujourd'hui plébiscité. Merci à Jean-Pierre Michel et Patrick Bloche, qui en étaient les initiateurs ! Ils ont tenu bon pour que les dispositions soient inscrites, au sein du code civil, au chapitre « droit des personnes » et non au chapitre « droit des contrats ». Avec le vote de l'article premier du projet de loi, la France rejoint le groupe de tête des pays qui font avancer les droits de l'homme. Il faut continuer, protéger le peuple et ses composantes les plus vulnérables - les personnes homosexuelles mais plus encore leurs enfants, aujourd'hui privés de filiation, bâtards de la République.

Mmes et MM. les Sénateurs, votez le mariage, votez l'adoption ; mais modifiez ce texte en pensant aux enfants, et en dessinant un droit de la famille... qui ressemble aux familles. C'est une bataille parlementaire historique et j'espère qu'à son issue, aucun enfant, aucune famille ne restera au bord du chemin.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - La marche vers l'égalité est, effectivement, un long chemin. Vous nous invitez à dépasser le cadre fixé au présent projet de loi. Pour ma part, je pense qu'il faut attendre le futur projet de loi sur la famille pour revisiter les liens familiaux, la PMA, le statut du beau-parent.

Mme Corinne Bouchoux. - Une question concrète : pouvez-vous illustrer les stigmates dont sont victimes ces familles au quotidien, dans les relations avec l'école ou avec le monde médical ? Pouvez-vous citer des préjudices - de chances et de droits - dont pâtissent ces enfants ?

M. Henri Tandonnet. - Ces interventions étaient très intéressantes. Une réforme de la filiation s'impose. Je crains cependant qu'en n'abordant pas le sujet dans sa globalité, mariage, parentalité et filiation, nous nous trouvions en porte-à-faux lors de la deuxième loi. Ne serons-nous pas, alors, contraints par le premier volet ? Car il y a un changement de la nature du mariage. Il faut en tenir compte.

Mme Marie-Claude Picardat. - Nous demandons une régularisation des situations existantes.

Paradoxalement, au quotidien, les familles homoparentales sont très bien acceptées : il y a un décalage entre le politique et le social. Les administrations, santé, école, tout comme les télécoms ou la SNCF, intègrent nos familles. Nos adhérents ne nous font pas remonter beaucoup de réactions homophobes au quotidien. Les enseignants ont vu les familles changer et ils accompagnent tranquillement l'évolution sociale.

En revanche, des décisions peuvent être soumises à l'arbitraire. Un exemple : une enfant souffrant d'asthme chronique. Un jour, c'est la maman non reconnue légalement qui l'accompagne aux urgences - les médecins ont beau connaître la famille, ils n'hospitalisent pas la fillette car la mère légale, en voyage à l'étranger, ne pourrait pas signer l'autorisation de sortie ! Dans des cas plus graves, la mission médicale prend le pas sur le reste mais, le plus souvent, la décision dépend du bon vouloir des uns et des autres. C'est particulièrement vrai chez les magistrats... Pour déléguer l'autorité parentale, à Toulouse, c'est très simple, il suffit au parent légal de remplir un papier ; à Paris, il y a enquête de police et les décisions rendues sont souvent contradictoires. L'enfant peut voir son parent social désavoué par un inconnu. Or, dire devant un enfant à son parent, pour motiver un refus : « Vous n'êtes rien pour lui », c'est placer les enfants dans des situations psychiquement très éprouvantes.

Le droit doit changer plus vite. Sans quoi, le parent social ne pourra pas faire reconnaître son lien avec l'enfant si le parent légalement reconnu se remarie. Il y a aussi dans notre association des gens séparés qui sont prêts à se marier pour pouvoir adopter l'enfant ! Imaginez la gymnastique !

Mme Esther Benbassa. - Cela vaut pour toutes les familles recomposées, y compris hétérosexuelles. Il faut revoir l'ensemble !

Mme Marie-Claude Picardat. - Absolument. Le droit de la famille ne peut plus reposer sur le mariage. Allons au bout de la logique. N'oublions pas que dans les familles recomposées hétérosexuelles, les liens de filiation, de fratrie, ne sont pas remis en cause. Dans les familles homoparentales, ils ne sont même pas établis.

M. Dominique Boren. - Le projet de loi ne donne pas des droits aux familles homosexuelles en en retirant aux familles hétérosexuelles : nous ne prenons rien à personne ! Nous ne voulons pas d'un statut spécifique pour les homosexuels. La deuxième loi devra donner des droits à tout le monde. Nous sommes des hommes et des femmes comme les autres, des citoyens à part entière : nous ne nous résumons pas à notre orientation sexuelle !

Mme Marie-Claude Picardat. - Le projet de loi ouvre certes le mariage, mais sans la filiation : ce n'est pas le même mariage pour tous, même si c'est un premier pas.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le Gouvernement serait bien inspiré de saisir le Sénat en premier sur la loi famille !

Audition de représentants de l'Association La voix de l'enfant

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur - L'association La voix de l'enfant est membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Elle a pour mission d'être à l'écoute de tous les enfants en détresse.

Mme Martine Brousse, déléguée générale de l'association La voix de l'enfant. - Merci d'entendre La voix de l'enfant, qui regroupe 78 associations et intervient dans une centaine de pays.

Nous travaillons sur la question des enfants dans les familles homosexuelles depuis plus de sept ans, avec pour souci majeur de faire entendre la voix de tous les enfants : nous somme le parti de l'enfant.

Me Bertrand Colin, membre de l'association La voix de l'enfant. - Je suis avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. J'interviens ici en tant que membre de la commission juridique de l'association.

Ce projet de loi entend répondre à un triple impératif : réparer une inégalité et supprimer une discrimination indirecte ; intégrer en ouvrant à tous l'accès à une institution républicaine ; compléter les droits ouverts par le Pacs et protéger. Comme l'a dit le professeur de droit privé à l'université de Toulouse Claire Neirinck, quelle que soit son orientation sexuelle, on peut ressentir l'exigence viscérale de se survivre, de donner la vie. Cependant la situation des couples de même sexe est différente de celles des couples hétérosexuels et l'impossibilité pour deux personnes du même sexe de concevoir un enfant peut justifier en droit un traitement différent. Il n'en reste pas moins que la filiation, l'adoption, la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA) sont des problématiques communes à tous les couples.

Fonder une famille est une aspiration légitime pour les époux. Toutefois, parce que nous avons en vue l'intérêt supérieur de l'enfant, nous considérons inopportun d'ouvrir l'adoption aux couples de même sexe dans ce texte qui ne porte que sur le mariage, sans débat préalable sur l'adoption et sur les autres modes de procréation, PMA ou GPA. La Voix de l'enfant lance une mise en garde, prononce un double refus : non à l'instauration immédiate de l'adoption par les couples de même sexe sans réforme générale de l'adoption et des modes d'établissement de la filiation ; non à une famille qui fait passer le droit à l'enfant avant les droits de l'enfant.

En l'état actuel, le projet de loi maintient la logique qui prévaut dans le code civil et le lien entre mariage et adoption. Or, il serait concevable de dissocier les deux. Cela reflèterait d'ailleurs fidèlement la réalité, puisque 55 % des enfants naissent hors mariage et que l'adoption est ouverte aux célibataires. Depuis quarante ans, on tend à dissocier conjugalité et filiation. En tout état de cause, il faut au préalable qu'un débat général et approfondi sur l'adoption ait lieu, je le répète. Ainsi le Portugal a ouvert le mariage aux couples homosexuels en 2010, mais pas l'adoption.

Je vois trois inconvénients à ce projet de loi.

Comment faire apparaître dans les actes d'état civil la conception par un homme et une femme d'un enfant adopté par un couple homosexuel ? Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur ces enfants ; le but est de leur donner accès à leurs origines. Le temps est révolu où l'on cachait aux enfants qu'ils étaient adoptés. L'acte d'état civil ne saurait entretenir la fiction d'un enfant conçu par deux personnes de même sexe. L'accès aux origines, la conciliation du droit de l'enfant à l'information et du droit d'accoucher sous X de la mère, toutes ces questions sont laissées de côté par le projet de loi, c'est une lacune. Il ne prévoit pas les conséquences de l'ouverture de l'adoption aux couples homosexuels.

L'exposé des motifs avance que le texte apporte une réponse à des situations existantes, celles des couples homoparentaux qui ont déjà des enfants. N'est-ce pas un leurre ? Car le projet ne traite pas de l'ensemble des situations d'homoparentalité. Pour une simple et bonne raison : il ne donne pas de statut à toutes les personnes qui entourent l'enfant. La difficulté se pose dans les mêmes termes pour les familles recomposées. Adoption simple, délégation de l'autorité parentale et tutelle testamentaire qui existent aujourd'hui doivent être adaptés, afin que tout le monde soit pris en compte.

L'Assemblée nationale s'est saisie de ce problème et a introduit dans le texte des dispositions relatives au maintien des liens avec l'enfant. Il est regrettable que l'article figure dans un texte relatif au mariage entre personnes du même sexe et non dans une loi sur la famille et la filiation.

Autre inconvénient de ce texte, il prend les questions dans un ordre inverse à la logique. Le nombre d'enfants adoptables en France diminue et il est très inférieur au nombre des demandes. Les conditions de l'adoption à l'étranger ne sont pas plus satisfaisantes. Ouvrir un droit à l'adoption avant de réformer les conditions de l'adoptabilité et les critères d'accès à l'adoption internationale n'a pas de sens.

Enfin, ce texte autorise l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, mais laisse de côté les revendications concernant la PMA et la GPA. Or, admettre l'adoption plénière revient à valider implicitement la PMA et la GPA. Par exemple, la conjointe d'une femme qui irait en Belgique se faire inséminer pourra ensuite adopter l'enfant. La démonstration vaut pareillement pour un couple d'hommes qui aurait recours à l'étranger à une mère porteuse, ce que le droit français n'autorise pas. On ouvre alors un droit à la licéité douteuse.

Ces exemples montrent bien qu'il faut dissocier les questions du mariage et de l'adoption.

La voix de l'enfant dit non à une famille qui ferait primer le droit à l'enfant sur le droit de l'enfant. Nous maintenons notre opposition radicale à la PMA, sinon dans les cas d'infertilité médicale diagnostiquée ou pour éviter la transmission de maladies graves, ainsi qu'à la GPA. L'enfant n'est pas une marchandise, un produit ; les femmes ne sont pas un véhicule, un instrument, elles méritent qu'on respecte leur dignité.

Nous invitons le législateur à s'en tenir au mariage, sans ouvrir pour l'instant l'adoption.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Je suis perplexe : nous allons trop loin pour certains, pas assez loin pour d'autres...

M. Alain Fauconnier. - Si j'ai bien compris, vous souhaitez une réforme générale de l'adoption. Dans ce cadre, êtes-vous pour l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe ?

Mme Virginie Klès. - En quoi votre opposition à la PMA et à la GPA justifie-t-elle votre refus de l'adoption par les familles homosexuelles dans ce texte ? Je comprends mal le lien...

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous examinerons, après ce texte, une loi sur la famille. Il conviendra de mettre tout à plat, familles recomposées, décomposées, hétérosexuelles, homosexuelles, beaux-parents, quatre parents, etc. Peut-être réviserons-nous également la loi de bioéthique pour adapter le droit aux progrès de la science ? Quelle sera alors votre position ?

Mme Martine Brousse. - Notre position est très claire : dès le mois de septembre dernier, nous avons dit à Mme Bertinotti notre souhait que l'adoption fasse l'objet d'un débat, avant toute décision. Je rappelle que 10 % des enfants adoptés retournent à l'Aide sociale à l'enfance, que beaucoup d'enfants adoptés viennent de pays, tel Haïti, qui n'ont pas ratifié la convention de La Haye, ou encore, que l'on compte environ 600 accouchements sous X par an alors que 27 000 familles attendent un enfant à adopter...

A l'Assemblée nationale, on a affirmé que la loi régulariserait les situations existantes. Je n'en suis pas certaine. Ne faisons pas croire aux couples homosexuels qu'ils pourront adopter, quand 27 000 familles attendent. De plus, la loi n'étant pas rétroactive, cela ne résoudra pas les situations existantes. Avec les avocats et les magistrats qui sont membres de notre association, nous avons néanmoins cherché à comprendre quelles étaient ces situations existantes. La France a le plus bel arsenal législatif de protection de l'enfant. Ce qui nous manque, ce sont des moyens. Il se trouve que l'adoption simple, qu'on avait complètement oubliée ces dernières années, et la délégation d'autorité parentale pourraient répondre aux difficultés actuelles, à condition d'être légèrement adaptées.

La protection de l'enfant doit primer. Or ce texte créerait des discriminations indirectes au sens de la Cour européenne à l'encontre des enfants issus des personnes de même sexe : leurs parents seront obligés de se marier ou n'auront pas les mêmes droits que les autres.

Autre raison de notre opposition : l'état civil. On a parlé d'un « parent 1 » et d'un « parent 2 », la Chancellerie a finalement tranché : on écrira dans le livret de famille « père et mère » pour les couples hétérosexuels, « père et père » ou « mère et mère » pour les couples homosexuels... Or, l'état civil vous suit toute une vie ! Ce tiers, qu'est l'enfant, au-delà du désir d'égalité de ses parents, a des droits et notamment celui d'être reconnu issu d'un homme et d'une femme. Nous nous battrons toujours pour leur reconnaissance mais, avant de prendre position sur l'adoption, nous attendons des réponses conformes à l'intérêt supérieur de l'enfant.

M. Jean-René Lecerf. - Nous avons tous reçu des messages de célibataires en attente d'adoption qui craignent que ce texte ne complique encore leurs démarches. Le nombre d'enfants adoptables ne cesse de diminuer... Cela dit, quand une famille est déterminée à adopter, elle y arrive généralement : deux de mes nièces y sont parvenues, via l'adoption internationale et l'Aide sociale à l'enfance.

Ensuite, il faudrait réformer l'adoption car le maintien d'un lien, même ténu, avec les parents biologiques suffit actuellement à interdire l'adoption.

Mme Martine Brousse. - Oui, il faut réformer l'adoption auparavant ! Je tiens à signaler que, depuis la reconnaissance du mariage homosexuel en Belgique, on y a dénombré trois adoptions internationales seulement. Les chiffres de l'Espagne ne semblent guère plus encourageants. Il faut en tenir compte : certains pays refuseront-ils l'adoption par des couples français après une telle évolution législative ?

Nous demandons à Mme Bertinotti un travail de fond. Aujourd'hui, 40 à 50 000 enfants patientent dans des foyers de l'Aide sociale à l'enfance parce qu'ils reçoivent un coup de fil ou une carte postale par an. Eux n'ont pas le droit à l'adoption ! Ils sont abandonnés en droit. Combien de jeunes SDF, de jeunes délinquants issus de l'Aide sociale à l'enfance... Mme Simone Veil avait proposé, pour eux, l'adoption par des parrains, avec reconnaissance juridique.

Enfin, ne l'oublions pas, l'adoption internationale, c'est pour les riches : elle coûte 15 à 20 000 euros. Il y a là aussi une question d'égalité des droits.

Me Bertrand Colin. - En un mot, nous ne sommes pas, par principe, contre l'adoption par des couples homosexuels - nous ne les considérons pas inaptes, ou moins aptes que les autres, à élever un enfant. Nous estimons toutefois qu'elle mérite une réflexion approfondie avant de légiférer.

Audition de la représentante de l'Association Enfance et partage

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'association Enfance et partage promeut, comme la précédente, les droits des enfants. Peut-être aura-t-elle un point de vue différent...

Mme Isabelle Guillem, secrétaire générale de l'association Enfance et partage. - Nous défendons les droits des enfants depuis 35 ans. En 1988, nous avons créé le premier numéro vert d'écoute pour les situations de maltraitance. Les pouvoirs publics ont pris le relais avec le 119 ; tant mieux, les associations sont là pour montrer la voie. Nous avons une trentaine de psychologues et cinquante avocats spécialisés, car nous prodiguons aussi un accompagnement juridique et pouvons nous porter partie civile. Nous menons des actions de prévention dans les écoles. Dans ce cadre, nous avons créé un numéro « Allo parents bébé » en 2008 et proposons depuis peu un rendez-vous avec un psychologue aux personnes qui nous téléphonent de façon répétée, non pas pour les recevoir régulièrement sur la durée, mais pour les orienter vers d'autres professionnels.

Nous n'affichons aucune obédience politique, philosophique ou religieuse, notre souci est l'intérêt de l'enfant, que la convention de La Haye reconnaît comme étant « d'une importance primordiale ». Si le mariage relève de la liberté individuelle, ce n'est pas le cas de l'adoption. Nous sommes choqués, tout comme Dominique Baudis, le Défenseur des droits, que le projet de loi fasse de l'adoption une question secondaire découlant du mariage.

Notre position ne se fonde pas sur une expérience de terrain : lorsque l'on nous appelle pour un cas de maltraitance, nous ne posons pas de questions sur l'orientation sexuelle des parents.

En revanche, nous devons aux 40 000 à 100 000 enfants qui vivent dans des familles homoparentales un statut protecteur. Les enfants doivent être égaux, quel que soit le statut de leur parent. Distinguons bien le géniteur du parent. L'enfant a également le droit de savoir d'où il vient, or l'accès à l'origine n'est pas éclairci dans le texte. Le droit évolue, aujourd'hui on ne parle plus d'enfants « légitimes » ou « illégitimes ». Il est temps de tenir compte également des nouvelles parentalités.

Ne faisons pas non plus des parents biologiques des rivaux de parents adoptifs. Hier, la psychologue Sophie Marinopoulos, lors d'un colloque organisé par « Allo parents bébé » a insisté sur la construction psychologique de l'enfant, indissociable de la connaissance de son histoire, de ses origines.

Nous nous inquiétons de constater que la réponse contenue dans le projet de loi n'est pas adaptée à l'intérêt des enfants. Que le débat se déroule dans un climat passionnel, une atmosphère électrisée, ne nous étonne pas. Car on touche là, comme le disait fort bien hier Sylvain Meissonnier, « aux poutres maîtresses de l'architecture du sujet ». Comme lui, faisons le départ entre la polémique et le débat. Nous entendons porter un message de tolérance et d'humanité.

M. Jean-Pierre Michel, président. - Rassurez-vous : le Sénat n'est pas l'Assemblée nationale.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Vous regrettez que l'adoption soit traitée comme une question secondaire : mais ce texte est consacré au mariage des personnes de même sexe... Comme l'association précédente, mais dans une perspective différente, vous demandez une réflexion globale sur l'adoption, qui dépasse le cadre du seul mariage.

Vous avez raison : il y a eu assez d'invectives !

Mme Isabelle Guillem. - Enfance et partage a créé un jeu pour faire découvrir aux enfants leurs droits dans les écoles : y figure le droit à une famille. Mais attention, on ne peut plus décrire la famille comme étant fondée par un papa et une maman, sinon des petits doigts se lèveront pour poser des questions, car la société a évolué !

Mme Virginie Klès. - Avez-vous constaté une explosion des appels sur votre numéro vert à la suite des outrances de ce débat médiatisé ?

Mme Isabelle Guillem. - Non. Les appels concernent de moins en moins des cas de maltraitance, de plus en plus des situations où l'enfant est objet ou otage du conflit parental. C'est plutôt cela, le sujet d'actualité.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je suis moi aussi en faveur de l'accès aux origines. La question se posera forcément si on légalise la PMA. Qu'en pensez-vous ?

Mme Isabelle Guillem. - Je pense qu'un enfant doit connaître la vérité sur la manière dont il est venu au monde. Il a besoin de savoir son histoire pour se construire. Voilà ma réponse de terrain.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - C'est aussi mon opinion.

Mme Virginie Klès. - Des origines à l'histoire, il y a un glissement sémantique. Ce n'est pas la même chose : nom et identité ne font pas une histoire. C'est cette dernière qui compte le plus !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - J'ajoute que ces histoires ne sont pas toutes heureuses, loin s'en faut. Oui à l'accès aux origines, mais n'oublions pas le droit pour les femmes d'accoucher sous X.

Mme Virginie Klès. - D'où l'importance de l'histoire !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci. Demain, nous auditionnons les associations familiales.