Jeudi 7 février 2013

présidence de M. Jean-Pierre Michel,vice-président

Audition de représentants de l'Union nationale des associations familiales (Unaf)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous poursuivons nos auditions avec les représentants des associations familiales. L'Unaf, parce qu'elle fédère une multitude d'associations, est l'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Comme lors des débats sur le Pacs, elle est divisée sur ces questions. Nous entendrons d'abord la position majoritaire de l'Unaf par la voix de son président, M. François Fondard, puis d'autres associations minoritaires, laïques et catholiques.

M. François Fondard, président de l'Union nationale des associations familiales. - Merci de votre invitation. Nous souhaitons que la navette parlementaire permette au Sénat de jouer pleinement son rôle. La présentation précipitée de ce texte n'a pas permis de procéder aux consultations nécessaires ; ainsi, le Conseil national de l'adoption n'a pas eu le temps de rendre un avis sur le fond. Nous souhaitons que tous les points de vue des experts soient rendus publics. Par exemple, l'audition du Défenseur des droits à l'Assemblée nationale n'a pas été retransmise, alors qu'il soulignait des manques s'agissant des droits des enfants...

L'Unaf regroupe 700 000 adhérents autour de 22 unions régionales et 99 unions départementales. La loi lui confie la charge de représenter les 17 millions de familles françaises ; c'est à ce titre qu'elle est consultée sur ce projet de loi qui, contrairement à ce que laisse penser son intitulé, va bien plus loin que l'ouverture du mariage aux couples de même sexe.

Le mariage comporte des conséquences sur l'adoption et la filiation. Le Défenseur des droits l'a bien noté : « Contrairement à la question de l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe, qui relève de la seule responsabilité du Gouvernement et du Parlement, la question des enfants, de l'adoption et de la filiation, doit s'inscrire dans le cadre des obligations internationales souscrites par la France. La procédure suivie pour l'élaboration du projet de loi qui vous est soumis présente à cet égard une évidente lacune. En effet, l'étude d'impact qui accompagne le projet ignore totalement la convention internationale des droits de l'enfant. Pas une page, pas une ligne ne lui est consacrée. »

Il est impossible de dissocier le mariage de la filiation.

Ce projet de loi touche toutes les familles parce qu'il se trouve à la croisée de plusieurs droits : droits des adultes, droits des femmes, droits des enfants, droit des pères, droits des mères...Tous ces droits pris séparément ont leur légitimité, mais quand ils viennent en concurrence, il faut choisir.

La majorité de l'Unaf est favorable à l'ouverture de nouveaux droits aux couples de même sexe, mais la majorité de son conseil d'administration considère qu'elle doit prendre une autre forme que le mariage ; à une très forte majorité, elle est opposée au recours à l'aide médicale à la procréation (AMP) pour les personnes de même sexe et, a fortiori, à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA).

Comment ouvrir de nouveaux droits aux personnes homosexuelles ? Choisir le mariage, c'est choisir la filiation, car le mariage est un tout. Pour nous, la réponse n'est ni dans le mariage ni dans le Pacs. Elle réside dans l'union civile, qui permet l'ouverture de droits sociaux et patrimoniaux et l'officialisation de l'union en mairie. Celle-ci, à notre grand regret, a été évacuée en quelques lignes dans l'étude d'impact, qui indique même que les associations familiales se sont montrées « résolument opposées » à ce dispositif. Nous avions dit le contraire ! Pourtant, c'est la solution appliquée en Allemagne où a été créé un « partenariat de vie » qui confère des droits sans assimilation au mariage ; seule l'adoption de l'enfant biologique du partenaire est possible, permettant aux deux membres du couple d'exercer conjointement l'autorité parentale sur l'enfant. L'Unaf s'est d'ailleurs prononcée majoritairement pour l'adoption simple de l'enfant du conjoint dans le cadre d'une union civile. Une adoption plénière, nous l'avons dit dès les premières consultations ministérielles, remettrait en question la filiation adoptive pour tous les couples et l'unicité d'un lien maternel et d'un lien paternel pour l'enfant.

Ce projet de loi ouvre à la parenté : dès lors se pose la question de l'ouverture à l'AMP et à la GPA. Le président de la République nous a indiqué il y a quinze jours qu'un projet de loi sur la famille serait présenté et qu'il saisirait le comité consultatif national d'éthique. Pour l'Unaf, si les accidents de la vie peuvent priver un enfant d'un de ses parents, la loi ne doit pas priver volontairement dès sa conception un enfant de père ou de mère : l'AMP revient à confectionner des enfants sans père, la GPA revient à priver les enfants de leur mère. L'Unaf souhaite donc limiter strictement l'accès à l'AMP et maintenir l'interdiction de la GPA. Ces questions doivent faire préalablement faire l'objet d'états généraux organisés par le comité consultatif national d'éthique.

L'AMP pour les couples homosexuels serait contraire à l'article 311-20 du code civil qui prévoit une double filiation : une mère et un père ; elle serait contraire au principe d'ordre public qui interdit l'établissement d'un double lien de filiation maternelle. Quant à la GPA, elle correspond à une marchandisation du corps humain contre laquelle il faut toujours lutter.

La réforme du mariage est, en fait, la porte d'entrée d'une réforme qui ne dit pas son nom : celle de la parenté, comme le reconnaît d'ailleurs l'exposé des motifs. Avec les amendements balais, les termes de « père » et « mère » ont été maintenus à l'Assemblée nationale. Selon le président de la République, l'Unaf aurait convaincu sur ce point. Il faudra toutefois les interpréter par le mot de « parents » pour les couples homosexuels. On peut s'interroger sur la conformité aux objectifs constitutionnels de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ...

Quel rapport entre la norme juridique avec le réel quand « père et mère » peuvent désigner indifféremment un homme et une femme, deux femmes ou deux hommes ? L'article 4 du projet de loi exclut le titre VII du livre premier relatif à la filiation du champ de la réforme ; ce titre comprend notamment la présomption de paternité, pour laquelle les termes de « père » et « mère » seront d'interprétation stricte. Quelle cohérence à désigner par des termes identiques deux réalités dans le même code ?

Dans le titre VII, l'article 310 consacre le principe fondamental de l'égalité entre tous les enfants, naturels ou légitimes. Cette égalité vaut également entre enfants issus d'une filiation adoptive ou biologique. Or, le projet de loi se limiterait aux seuls enfants issus de couples hétérosexuels ...

La question de l'état civil n'est toujours pas résolue. Le nouveau texte ne modifie pas l'article 34 du code civil, la garde des Sceaux ayant précisé que ce point serait traité par décret. Pour l'heure, donc, pas de désexualisation explicite de l'état civil. En apparence seulement, car malgré nos demandes répétées, nous n'avons pas obtenu d'éclaircissements. A partir du moment où la réforme avalise l'existence de couples parentaux formés de deux mères ou de deux pères, cela aura des conséquences. Pour légiférer en connaissance de cause, le Parlement doit avoir communication des décrets d'application ; les parents de même sexe auront-ils un livret de famille spécifique ?

Quant une femme accouche, sauf sous X, elle est désignée comme mère ; si sa compagne adopte son enfant, celle-ci sera-t-elle désignée comme parent ou comme seconde mère ? La mère restera-t-elle mère ou deviendra-t-elle parent ?

Ce projet de loi remet également en cause les droits de la mère : il aménage la majoration de la durée d'assurance accordée au titre de l'incidence sur la vie professionnelle de la naissance, de l'éducation ou de l'adoption ; pour les couples de même sexe, il y a un partage égal pour les trimestres non liés à l'accouchement ; pour les couples de personnes de sexe différent, l'attribution de la totalité de trimestres à la mère. Il n'y a donc plus égalité de traitement entre les mères biologiques selon qu'elles vivent avec un homme ou une femme. La question se pose également pour l'assurance maternité.

Enfin, le projet de loi modifie pour tous les règles de dévolution du nom de famille. Jusqu'à présent, l'enfant prend par défaut le nom de son père. Le projet de loi prévoyait que les enfants adoptés prendraient les noms de leurs deux parents, dans l'ordre alphabétique ; afin d'éviter une rupture entre filiation biologique et filiation adoptive, l'Assemblée nationale vient d'étendre ce changement à toutes les familles. Cette transformation majeure n'a fait l'objet d'aucune étude préalable et n'a pas sa place dans ce texte ; nous demandons au Sénat de revenir sur ce point.

Cette réforme soulève donc de nombreuses interrogations non résolues ; nous vous remerciant pour votre écoute.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci pour votre intervention fouillée. Nous entendrons le Conseil supérieur de l'adoption, une fédération d'associations consacrées à l'adoption ainsi que le Défenseur des droits, qui s'est substitué au Défenseur des enfants.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - L'Unaf est représentative du mouvement familial ; comment analysez-vous les évolutions de la famille ? Votre mouvement rassemble des représentants de familles monoparentales, recomposées ou encore en co-parenté : la famille se décline au pluriel dorénavant. Comment accueillez-vous les familles homoparentales ? Quelles seraient les conséquences de ce texte pour les familles hétérosexuelles ? Pour ma part, je n'en vois pas : elles concernent surtout les personnes de même sexe qui attendent de se marier.

M. François Fondard. - L'Unaf est ouverte à toutes les familles et prend en compte toutes les situations familiales. Sur 15 millions d'enfants mineurs, 76 % vivent avec leurs deux parents, selon l'Insee. La famille n'est donc pas si éclatée qu'on veut le dire !

Sur ces 15 millions d'enfants mineurs, 16 % vivent dans des familles monoparentales, mais cette situation est le plus souvent transitoire. Les familles recomposées représentent 6 % du total. Les 2 % restant, soit 300 000 enfants, sont des mineurs placés en famille d'accueil ou en établissement. L'accueil des familles homoparentales ? Quelques associations de familles homosexuelles ont fait des demandes d'adhésion ; pour l'heure, aucune n'a été agréée car leurs statuts n'étaient pas conformes au code de l'action sociale et des familles. L'ADFH avait ainsi demandé à adhérer à l'Unaf de Paris, mais n'a pas été agréée car elle n'a pas fourni la liste de ses adhérents - ce qu'exige le code de l'action sociale et des familles. Si elle le fait, nous n'aurons aucune raison de ne pas donner suite à sa demande.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'APGL a-t-elle présenté une demande ?

M. François Fondard. - Cette association avait présenté une demande en 2000-2001. Mon prédécesseur, Hubert Brun, avait eu alors des échanges avec la ministre de la famille de l'époque, Mme Ségolène Royal. Là encore, ses statuts n'étaient pas conformes au code de l'action sociale et des familles.

M. François Edouard, vice-président, président du département « Droit de la Famille et Protection de l'enfance » de l'Unaf. - Oui, le texte aura bien des conséquences pour toutes les familles, notamment sur le livret de famille.

Des arrangements entre adultes ne doivent pas se faire au détriment des enfants !

Un statut de beau-parent ? Nous sommes très vigilants sur ce point : ce beau-père aura-t-il plus d'importance que le père ? La loi de 2002, qui autorise une délégation de l'autorité parentale, constitue déjà une solution. Les adultes doivent s'entendre pour le bien-être de l'enfant.

Dernier exemple, le nom de famille : l'Assemblée nationale a prévu d'accoler systématiquement les deux noms pour tous les enfants adoptés.

M. Jean-Jacques Hyest. - Les débats à l'Assemblée nationale me lassent un peu, je ne les suis pas de très près... Très peu de couples hétérosexuels demandent à ce que l'enfant porte le nom des deux parents ! Ce serait extraordinaire d'imposer une telle règle à tous.

L'Unaf a accompli un beau travail juridique. Reste un problème : la France ne connaît pas de contrôle de conventionnalité a priori. Or le texte, tel qu'il va sortir de l'Assemblée nationale, n'est pas, à mon sens, conforme à nos engagements internationaux, notamment à la convention de New York sur les droits des enfants et, même, à la convention européenne des droits de l'homme.

Mme Guillemette Leneveu, directrice générale de l'Unaf. - En l'état actuel du texte, les deux noms des parents seraient donnés par défaut à tous les enfants. Auparavant, l'enfant héritait par défaut du nom du père.

Mme Catherine Tasca. - Le psychanalyste Serge Tisseron suggère de distinguer le document qui établit le mariage de celui qui établit la filiation. Qu'en pensez-vous ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Les enfants placés en famille d'accueil tissent souvent des liens très forts avec celle-ci et sont parfois adoptés par elles. Qu'est-ce qui fait famille pour l'Unaf ?

En ce qui concerne le nom, 99 % des femmes mariées prennent le nom de leur époux, même si ce n'est pas mon cas personnel !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Ce n'est qu'un usage bourgeois hérité du XIXsiècle. En droit, les femmes conservent leur nom.

M. François Fondard. - Qu'est-ce qui fait famille ? Cela renvoie aux problématiques des 2 % d'enfants qui font l'objet de mesures de placement et de délégation de l'autorité parentale. Nous en reparlerons lors du projet de loi sur la famille. L'autorité parentale, renforcée dans la loi de 2002, est un élément fondamental. Elle ne doit pas être remise en cause par la création d'un statut de beau-parent.

Mme Guillemette Leneveu. - L'article de Serge Tisseron confirme notre analyse : cette réforme va bien au-delà du mariage ; c'est pour cela que l'Unaf préconise l'union civile, qui évite des modifications trop importantes.

M. François Edouard. - Qu'est-ce qui fait famille ? A l'évidence, l'arrivée de l'enfant dans le couple. Cette famille va évoluer ; généralement, les géniteurs élèvent l'enfant, mais les aléas de la vie font que ce n'est pas toujours le cas. Ceux qui les élèvent peuvent leur donner tout leur amour : les enfants sont néanmoins toujours curieux de leurs origines, ils en ont besoin pour se construire. Raison pour laquelle l'Unaf préfère l'adoption simple pour ne pas gommer les origines de l'enfant.

Le psychiatre M. Lévy-Soussan le dit bien, un enfant ne peut pas avoir deux mères ; il a une mère et la compagne de sa mère. Au reste, il a demandé à une femme élevée par deux femmes chez qui elle était allée habiter après la séparation du couple ; elle a répondu spontanément : « Chez maman » ! C'est pour cela qu'il n'est pas anodin de supprimer les mentions de père et de mère dans l'état civil.

Audition de représentants de la Confédération nationale des associations familiales laïques (Cnafal), de l'Union des familles laïques (Ufal) et de la Confédération syndicale des familles (CSF)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous recevons la Cnafal, l'Ufal et la CSF.

M. Jean-Marie Bonnemayre, président de la Confédération nationale des associations familiales laïques (Cnafal). - La Cnafal existe depuis plus de 45 ans au niveau national, et les associations familiales laïques depuis plus de 65 ans. Après la loi de juillet 1975 sur les associations familiales, nous avions fait le choix d'adhérer à l'Unaf. Les années 1970 ont marqué de grandes ruptures dans la conception de la famille ; le divorce par consentement mutuel, la libre contraception, la levée de l'interdiction de l'avortement et la pleine capacité juridique des femmes ont fait éclater le modèle de la famille patriarcale. Aujourd'hui, les familles monoparentales sont nombreuses, mais elles sont souvent la transition vers des familles recomposées.

Le parallélisme est saisissant, 45 ans après ; les familles homoparentales doivent obtenir une reconnaissance pleine et entière de leurs droits : mariage, adoption, PMA. La Cnafal était la seule association familiale à soutenir le Pacs. A qui fera-t-on croire que seuls 15 % des adhérents de l'Unaf sont favorables au mariage homosexuel, seuls 6 %, favorables à l'adoption ? La question de la représentativité de l'Unaf doit être posée. D'ailleurs, la Cnafal a soutenu la demande d'agrément de l'association des parents gays et lesbiens (APGL) à l'Unaf.

Vous avez auditionné des personnalités prestigieuses comme Irène Théry ou Françoise Héritier qui sont des habituées de nos colloques. La Cnafal mettra donc l'accent sur ses convictions et non sur les arguments qui vous sont connus. Nous considérons qu'il n'y a pas de famille standard, normée, même si l'Église catholique a tenté d'imposer son modèle. Pour nous, toute discrimination est génératrice d'exclusion et de stigmatisation. Laïcs, nous prenons en compte l'intérêt de l'enfant : le principe de protection de l'enfant doit s'appliquer pleinement, quelle que soit la situation familiale. Les homosexuels revendiquent des droits, mais aussi des devoirs ! « Il n'y a pas de meilleure éducation que celle qui vous permet de remettre en cause celle que l'on a reçue », disait Paul Valéry.

Nous sommes pour l'accès des enfants à leurs origines. La réalité des liens qui unissent les membres d'une famille doit être prise en compte ; reconnaissance symbolique et reconnaissance juridique vont de pair. Maintenir la situation actuelle, c'est continuer d'ostraciser les homosexuels, de les laisser de côté. Le Pacs a été une avancée, mais reste une boîte où l'on a tenté de maintenir les homosexuels. Les familles homosexuelles ont droit aux droits, à l'invisibilité par la banalisation de leur situation. L'opprobre et la honte, c'est le venin qu'on inocule dans la construction de l'être.

Les couples gays et lesbiens sont attachés à la famille, d'autant plus qu'ils en ont souvent été exclus. Ils veulent faire famille. Marcel Proust parlait ainsi des homosexuels dans Sodome et Gomorrhe : « Race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et le parjure, puisqu'elle sait tenu pour punissable et honteux, pour inavouable, son désir ; [...] fils sans mère, à laquelle ils sont obligés de mentir toute la vie et même à l'heure de lui fermer les yeux ».

Messieurs les parlementaires, je vous invite à mettre fin à cette malédiction.

M. Michel Canet, président de l'Union des familles laïques (Ufal). - L'Ufal apporte son soutien à ce projet de loi, qui constitue une étape vers l'égalité entre les différentes formes de couples. Nous sommes attachés au caractère laïc du mariage civil. Nous souhaitons que le Pacs évolue vers des droits comparables à ceux qu'offre le mariage, avec une cérémonie en mairie. L'Ufal souhaite un même contrat civil pour tous les couples. Ce contrat civil républicain doit être bien distingué du mariage religieux ; dans une République une, indivisible, laïque, démocratique et sociale, les couples homosexuels doivent être traités à égalité avec tous les autres.

L'adoption doit être ouverte à tous. La refuser aux couples homosexuels serait incompréhensible quand elle est ouverte aux célibataires. De même, le livret de famille doit être unique pour tous. Le code de l'action sociale et des familles doit reconnaître comme famille les couples pacsés et les concubins associés aux père et mère isolés, avec à terme un statut de beau-parent.

Enfin, l'Ufal regrette que le projet de loi n'ouvre pas l'AMP à tous les couples de femmes, avec filiation automatique.

Mme Marie-Françoise Martin, présidente de la Confédération syndicale des familes (CSF). - La CSF se situe dans le mouvement de l'Unaf, qui regroupe une pluralité de mouvements.

La CSF, implantée dans 70 départements, regroupe des familles des quartiers populaires des grandes villes depuis 1946 et prend en compte la globalité de la vie des familles : consommation, logement, éducation, santé, culture, loisirs... Notre mot d'ordre est le faire avec, le faire ensemble, et non le faire pour ou à la place de ; la CSF défend les familles dans leur diversité.

La société évolue, les familles aussi. Le droit vient accompagner ces évolutions et assurer la protection des personnes. Le statut de la femme a bien changé au XXe siècle ; la CSF s'était investie pour la reconnaissance des femmes chefs de famille et la défense des jeunes femmes célibataires qui subissaient l'opprobre de la société. Elle s'est battue pour les droits propres des familles monoparentales. Les attentes de la société sont très diversifiées, le code de la famille a dû s'adapter : autorité parentale, divorce, avortement... Depuis 1982, l'homosexualité n'est plus perçue comme une tare, une maladie, voire une déviance, mais la question du mariage et de l'adoption par les couples de même sexe continue de faire débat.

Le droit au mariage est un droit fondamental de la personne. L'égalité entre époux a été progressivement reconnue : le mari ne doit plus protection à la femme et la femme obéissance au mari... Le mariage civil constitue une double démarche, de la part du couple mais aussi de la société ; le code civil recentre les droits du couple sur les questions patrimoniales.

Aujourd'hui, on peut organiser sa vie de couple de différentes façons : union libre, Pacs, concubinage. Mais sur le plan symbolique, le mariage représente l'entrée dans la norme et l'accès à un statut social. Rappelons que 13 000 élus avaient signé une pétition contre la célébration du Pacs en mairie ; si la loi sur le mariage pour tous est adoptée, elle devra être appliquée partout.

Le Pacs n'ouvre pas les mêmes droits que le mariage. Les tribunaux refusent les demandes d'adoption simple aux compagnes homosexuelles des mères biologiques, ce qui n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant.

Parce que le mariage est une affaire entre adultes, la CSF, très attachée à l'égalité des droits, est favorable au mariage pour tous.

Mme Aminata Koné, secrétaire générale de la CSF. - Nous sommes favorables à l'adoption par les familles homoparentales, mais l'adoption pose problème : l'adoption simple ne donne pas suffisamment de garanties à l'enfant, mais l'adoption plénière gomme l'histoire de l'enfant. Nous souhaitons donc une réforme de l'adoption dans le cadre du mariage pour tous, en renforçant les garanties de l'adoption simple, mais en permettant à l'enfant de connaître son histoire personnelle.

Ce débat m'a émue, tant il a mis en cause les choix de vie des minorités. Tous les citoyens ont droit à la protection de la loi. Sans loi, les minorités sont en difficulté. Il faut apaiser les tensions sociales et que toutes les familles aient les mêmes droits et devoirs.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Les débats au sein de l'Unaf ont dû être passionnants, mais difficiles puisque vous représentez une position minoritaire.

J'ai entendu parler de droits des mères : je ne sais pas ce que c'est ; vous parlez de droits des femmes : je m'y retrouve davantage ! Où se situe le point de clivage avec la position majoritaire de l'Unaf ?

M. Yves Détraigne. - Quelle est votre définition de la famille aujourd'hui ? Est-elle liée à l'enfant ?

Mme Marie-Odile Pelle Printanier, vice-présidente de la CNAFAL. - Selon Irène Théry, « l'ignorance est le terreau de toutes les peurs ». L'Unaf a refusé toutes les évolutions récentes de la famille : le Pacs, la réforme du divorce... Le clivage est donc ancien. Je rappelle que le président Fondard qui vient de s'exprimer au nom de l'Unaf, fait partie de la CSF qui tient un discours en rupture avec la position de l'Unaf. Cette ambiguïté est gênante...

Nous aurions voulu dire un mot sur la PMA.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Elle n'est pas dans la loi.

Mme Marie-Odile Pelle Printanier. - Nous voulions la voir inscrite dans le texte, ne serait-ce que dans ses conditions actuelles. La Cnafal a rencontré Mme Bertinotti, qui a organisé cinq colloques dans toute la France, pour faire mieux connaître ces sujets de société. La ministre nous a expliqué pourquoi la PMA figurerait dans la loi famille et pas dans ce projet de loi-ci ; elle nous a convaincus.

La saisine du comité d'éthique nous inquiète : on risque de ne pas avancer beaucoup, si j'en juge par le rapport du professeur Sicard sur la fin de vie ! Et pour avoir participé aux précédents états généraux sur la bioéthique, j'estime - avec M. Leonetti - que les débats n'avaient pas été très objectifs. Or le comité d'éthique n'a pas changé.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'avis du comité d'éthique est purement consultatif ; le Gouvernement et le Parlement feront ce qu'ils voudront.

Mme Marie-Odile Pelle Printanier. - Nous faisons confiance au Parlement.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous voulons un débat apaisé. Chacun sait que je suis favorable au mariage, à la PMA et à la GPA pour tous. Mais par étape : nous avons bien attendu quinze ans après le Pacs avant de créer le mariage pour tous.

M. Jean-Marie Bonnemayre. - Dès lors qu'un couple se constitue dans la durée, il fait famille, avec ou sans enfant. Avec l'évolution de la société, un homme et une femme peuvent faire plusieurs familles, successivement.

Le statut juridique doit assurer la protection de l'enfant, notamment en matière patrimoniale et en cas de séparation. Nous voulons une société plus adulte et plus protectrice des intérêts des enfants.

M. Michel Canet. - L'Unaf a pris son envol à une époque où les associations laïques n'y participaient pas. Les associations traditionnelles y sont majoritaires, l'évolution est donc très lente...

A l'Unaf, nous avons tous la même vision de l'intérêt de la famille. Tout le monde souhaite aider les familles les plus défavorisées, lutter contre les inégalités... Mais, dès lors qu'il faut prendre une position de principe, c'est le repli stratégique et nous devenons ultra-minoritaires ! L'Unaf évoluera. En attendant, je suis un peu déçu.

M. Charles Arambourou, administrateur de l'UFAL. - L'Unaf, c'est le lobby familialiste. Les principales associations de l'Unaf sont contre le mariage pour tous, même si l'Unaf a construit quelques contre-feux, comme la proposition d'une union civile pour les homosexuels. Dommage qu'il y ait un tel décalage entre l'Unaf, institution ayant pignon sur rue, et la réalité de notre pays !

La famille, c'est d'abord des personnes qui ont des liens de parenté : ascendants, descendants, collatéraux, alliés...au total, une nébuleuse assez vaste !

La famille nucléaire, dans l'acception traditionnelle, regroupait papa, maman et les enfants. Il existe dorénavant, non une, mais des familles. Il y a même des concubins non cohabitant ! L'évolution de la société est vertigineuse.

Le devoir du Parlement est d'assurer que les principes républicains s'appliquent à toutes les situations dès lors qu'elles ne violent pas l'ordre public. N'oublions pas non plus les familles monoparentales ; elles existent, bien qu'on refuse aux femmes célibataires la PMA. Cette dernière aurait dû être traitée dans le texte sur le mariage pour tous.

L'Ufal s'inquiète de l'avis demandé au comité d'éthique, dont la composition est étrangère aux principes laïcs de notre République : on y trouve des gens qui sont là à raison de leurs convictions ! Sur un certain nombre de sujets, ses avis n'ont pas placé la France en pointe parmi les démocraties occidentales...

Mme Aminata Koné. - L'Unaf connaît un blocage culturel et historique. La CSF était un mouvement ouvrier ; elle comprenait quelques religieux, mais s'est déconfessionnalisée. Nous ne pouvons pas avoir la même position que la majorité de l'Unaf, car les familles populaires ne sont pas attachées au mariage. Les gens sont libres de leur choix !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Un enfant sur deux naît hors mariage.

Mme Aminata Koné. - Si les notaires conseillent le mariage à ces familles, c'est pour protéger le conjoint survivant. Le mariage offre en effet une protection solennelle : tout le monde a droit à cette protection.

Nous ne sommes pas attachés à la famille mais aux familles, dans leur diversité. Le fait familial, pour nous, est l'ensemble de ce qui constitue notre société.

Sur l'AMP, le débat n'est pas fermé ; il nous faut du temps pour mener la réflexion à son terme. Les lois sont faites pour protéger, ne l'oublions pas. La famille hétérosexuelle peut aussi être violente envers l'enfant !

Le président de l'Unaf est certes membre de la CSF mais il défend la position de l'institution, c'est-à-dire la position majoritaire. L'Unaf a bien fini par accepter le Pacs, naguère considéré comme la fin du monde ; elle propose aujourd'hui une union civile. J'espère que cette loi sera votée, et s'appliquera pour que toutes les familles puissent vivre leur projet familial avec sérénité.

M. Michel Canet. - Le code de l'action sociale et des familles considère comme famille les couples mariés et les personnes seules avec enfant, mais pas les personnes pacsées sans enfant. Nous demandons depuis longtemps la reconnaissance comme familles des pacsés et des concubins déclarés sans enfants.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Les débats sur le Pacs ont été très âpres. Il s'agissait d'un débat sur le couple, pas sur la famille. Le groupe socialiste, à l'époque, soutenait l'idée que les personnes pacsées étaient deux célibataires vivant ensemble !

Mme Marie-Odile Pelle Printanier. - J'ai défendu le Pacs à l'Assemblée générale de l'Unaf à Perpignan sous les huées et les sifflets. Depuis, les choses ont évolué, puisque l'Unaf demande maintenant une amélioration du Pacs pour refuser le mariage pour tous. Je ne doute pas qu'elle évoluera encore, mais nous souhaiterions des débats plus apaisés et moins énergivores !

Plus de la moitié des premiers enfants naissent hors mariage : les couples ne se marient plus pour avoir des enfants, mais parce qu'ils en ont déjà !

Mme Catherine Tasca. - Le Pacs découlait aussi de l'idée que notre société était handicapée par le secret : la majorité des homosexuels vivaient leur choix dans le secret ; le Pacs leur donnait l'occasion d'en sortir et de faire reconnaître leur existence par la société. En matière de filiation, il faudra poser la question de l'accès aux origines pour les enfants. De nouveaux secrets ne doivent pas venir peser sur notre société. Il n'y a pas pire que le mensonge, pour les relations interpersonnelles et pour la société.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Lors du débat sur le Pacs, M. Brun a été honnête et nous a précisé que la motion votée à Perpignan était majoritaire, mais que la minorité était en désaccord.

Audition de représentants de Familles de France et de la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous recevons, pour terminer cette série d'auditions, les associations familiales catholiques. A priori, elles ne sont pas favorables à ce texte.

M. Roland du Luart. - Laissez-les donner leur avis...

M. Antoine Renard, président de la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC). - Merci de nous recevoir. D'emblée, je veux dire notre forte hostilité à ce texte et à la méthode employée. Dès 2001, nous disions qu'il n'existait plus de consensus sur ce qu'est le mariage civil républicain. Il aurait fallu répondre à cette question, se demander si le mariage est la bonne réponse aux vraies questions posées par les couples de même sexe, avant d'adopter cette solution bancale, choquante et qui nous heurte pour deux raisons majeures.

D'abord, on entame une partie de notre pacte républicain. Avec ce texte, il ne s'agit pas seulement d'étendre le mariage mais de le modifier en profondeur, d'en changer la nature même ; on le dilue, on en change la nature, quand tant de jeunes aspirent encore au mariage.

Ensuite, l'ouverture à l'adoption plénière - conséquence automatique du mariage - privera les enfants de l'accès aux conditions de leur naissance. Comment l'accepter ?

Ce texte pose beaucoup plus de questions qu'il n'en résout et crée une injustice au nom d'une fausse égalité. Et le tout aux dépens du plus faible : l'enfant, protégé jusqu'ici par l'institution républicaine du mariage. Forcer le destin en passant par le mariage n'est pas la bonne solution.

Mme Clotilde Brunetti, chargée du droit de la famille et de la protection de l'enfance à la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC). - Je m'exprimerai ici en tant que juriste, universitaire, directeur d'un centre de recherches international.

Tout d'abord, le projet modifie en profondeur le droit des personnes et de la famille.

La commission des lois de l'Assemblée nationale, pour éviter de supprimer « père » et « mère » dans plus de 90 articles du code civil, a introduit un article 6-1, juste après les principes qui définissent l'ordre public, qui indique que lorsqu'il est fait mention du père et de la mère ou du mari et de la femme, il peut s'agir de deux hommes ou de deux femmes. Cette disposition est contraire à l'ordre public. Depuis le droit romain, notre législation protège l'enfant et la famille afin de ne pas les mettre dans le commerce, à la merci d'un accord privé.

Or le projet de loi permet à une convention ou à une décision individuelle de mettre l'enfant dans le commerce. En effet, la loi permet l'adoption de l'enfant par un couple homosexuel. En faisant cela, la mère peut cacher à son enfant soit l'identité du père, soit le recours à la PMA. Dans tous les cas, la loi donne donc effet juridique à une décision privée portant sur une règle jusque là d'ordre public. Cela sera encore plus vrai dans le cadre de l'adoption plénière, puisqu'elle interdira à l'enfant de rechercher en justice sa filiation biologique.

Le projet de loi ouvre la parenté aux personnes de même sexe et, donc, la parentalité. On donnera donc à la femme, qui n'est pas la mère biologique, des droits sur l'enfant. On dit que c'est bien pour cet enfant que la compagne de la mère puisse lui verser une pension alimentaire : mais on ne dit pas que l'enfant devra peut-être lui verser une pension alimentaire ! La compagne de la mère pourra obtenir la garde de l'enfant en cas de séparation, et même des droits de succession aux dépens de l'enfant.

J'ai beaucoup parlé des couples de femmes ; les hommes aussi sont concernés, à en croire la fameuse circulaire qui atténue les dispositions sur la GPA.

Le législateur n'a peur de rien : même le droit du nom est modifié ! Demandez à M. Hauser, à Mme Dekeuwer-Défossez, à tous les grands juristes, ce qu'ils pensent de ce texte ! Ils vous diront la même chose que moi.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Cela ne suffit pas.

Mme Clotilde Brunetti. - Ce projet heurte aussi les droits de l'enfant et nos principes fondamentaux.

Il y a un principe fondamental de notre droit, rappelé encore le 7 juin 2012 par la Cour de cassation, selon lequel un enfant ne peut pas être inscrit à l'état civil comme né de deux parents de même sexe.

De même, l'article 7-1 de la convention des droits de l'enfant indique que l'enfant a le droit de connaître ses origines et d'être élevé par ses parents ; c'est la Cour de cassation qui exerce un contrôle de conventionnalité.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - J'ai bien suivi votre raisonnement, mais les juristes se font une opinion, et l'habillent ensuite d'arguments juridiques : je le sais, pour avoir été magistrat. Ce que vous dites, par exemple pour les successions, vaut pour tous les couples, y compris les couples hétérosexuels lorsqu'il y a un beau-parent.

Mme Clotilde Brunetti. - Lorsqu'il y a recomposition familiale.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Cela ne vaut pas pour les seuls nouveaux couples.

Mme Clotilde Brunetti. - On institue la parenté par l'adoption !

M. Patrick Chrétien, secrétaire général de Familles de France. - Notre mouvement n'a aucune attache politique, syndicale ou confessionnelle. Il représente environ 70 à 80 000 familles selon les années, soit 300 000 personnes. Dès la publication du programme de François Hollande, nous nous sommes interrogés sur la proposition n° 31. L'ouverture du mariage concernerait 1 % des familles ; cette réforme qui est tout sauf anodine mérite, à tout le moins, un grand débat national. Ce mouvement familial, qui est divisé, s'inquiète de voir ce texte discuté par le seul Parlement et adopté selon des consignes de vote données par les grands partis.

Le droit des enfants est-il secondaire par rapport au désir des adultes ? Voilà la question. Nous demandons un référendum sur les trois questions suivantes : êtes-vous pour ou contre le mariage de couples de même sexe ? Êtes-vous pour ou contre l'adoption par des couples de même sexe ? Êtes-vous pour ou contre l'ouverture de la PMA aux couples de même sexe ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je tiens à vous rassurer : nous appartenons tous, sauf quelques individualités, à des partis politiques, mais le mandat impératif est nul ; au Sénat, plus peut-être qu'à l'Assemblée nationale, le vote est libre et, sur les grandes questions, chacun se détermine en conscience ; il y aura des voix discordantes au sein des grandes formations politiques.

Faut-il débattre du référendum ? La révision constitutionnelle de 2008 a introduit le référendum d'initiative populaire à l'article 11. La majorité qui l'avait voté n'a, hélas, pas pris de loi organique, ce qui en empêche l'application.

Consulter le peuple, bien sûr, mais tous les référendums ont toujours tourné autour d'une seule et même question : êtes-vous pour ou contre le président de la République ?

M. Charles Revet.  - C'est bien de poser la question !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - On se souvient du résultat du référendum sur la Corse : il a servi à dire non à Sarkozy. Mais je m'arrête là : c'est un autre débat.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Ma question s'adresse surtout à la CNAFC. Nous connaissons votre position, elle est tranchée. Il existe pourtant, dans les familles catholiques, des homosexuels qui vivent leur foi chrétienne. Comment les intégrez-vous dans vos associations ?

M. Jean-Jacques Hyest. - Même si l'on n'organise pas de référendum, ce sont les sondages qui font la loi. Même si personne ne le dit, tout le monde est plutôt favorable à une union civile, sur le modèle allemand ou un mariage sans adoption, comme au Portugal. De plus, certains des pays qui ont voté le mariage pour tous n'ont pas les mêmes traditions juridiques que nous. Vous avez parlé de la Cour de cassation, soit. Mais sa jurisprudence change quand la loi évolue... sauf contrôle de conventionnalité que la Cour de cassation s'arroge souvent.

Mme Clotilde Brunetti. - Vous mettez le doigt sur l'essentiel.

M. Jean-Jacques Hyest. - Une loi non-conforme à nos engagements internationaux aura des conséquences.

Mme Nicole Bonnefoy. - Vous avez affirmé que le mariage pour tous portait atteinte à l'ordre public. Considérez-vous que les couples homosexuels qui existent actuellement et qui élèvent des enfants y portent atteinte ?

M. Yves Détraigne. - Selon M. Renard, « on entame une partie du pacte républicain ». Mais 20 % des enfants ne vivent pas dans des familles traditionnelles, et la majorité d'entre eux naissent déjà hors mariage. En quoi notre pacte est-il entamé ? Par l'instauration du mariage pour les couples homosexuels ou par ses conséquences ?

M. Charles Revet. - Les couples homosexuels existent, cette réalité est indéniable. Pour eux, le problème n'est pas de se voir reconnaître le mariage ; il est de renforcer le Pacs : à peine 4 % des personnes pacsées sont des homosexuels. Améliorer le Pacs semble normal ; passer par le mariage est choquant : il suffit d'ouvrir le dictionnaire pour savoir que c'est l'union d'un homme et d'une femme en vue de procréer.

M. Thierry Vidor, directeur général de Familles de France. - Qu'est-ce qui fait famille ? Deux personnes de même sexe vivant ensemble font famille ; oui, le mariage n'est pas aujourd'hui nécessaire pour faire famille. En revanche, les sondages le montrent, s'il existe un large consensus autour d'une union civile pour les couples homosexuels, la majorité de nos concitoyens s'inquiète de l'ouverture aux couples homosexuels de l'adoption, de la PMA et de la GPA. Le problème, ce n'est pas le mariage : il n'intéresse qu'1 % des Français, et encore... Le problème, c'est que le mariage en France ouvre des droits, dont le droit à l'adoption, ce qui bouleversera notre rapport à l'enfant. C'est ouvrir la boite de Pandore : dire à des couples de même sexe qu'ils ont droit à l'enfant, c'est introduire un biais dans notre pacte républicain. Des couples gays ou lesbiens diront « J'ai droit à un enfant ». Résultat, on ouvrira la voie à la marchandisation du corps - es greffes d'utérus existent déjà et à la marchandisation de l'enfant, que l'on observe déjà dans certains pays européens.

Mme Clotilde Brunetti. - Les couples homosexuels existant ne heurtent pas l'ordre public puisque, en l'état du droit actuel, l'enfant d'un couple de femmes peut entreprendre une action en recherche de paternité. Avec ce texte, on priverait définitivement l'enfant de sa filiation paternelle ou de sa filiation maternelle. C'est une conséquence de l'adoption, qui est irrévocable.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Certes, quand on est adopté, on ne peut pas faire de recherche de paternité, puisque le père est le père adoptif ; en revanche, ça n'interdit en rien d'avoir accès à ses origines.

Mme Clotilde Brunetti. - C'est difficile... et c'est autre chose.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - C'est la même chose pour la PMA !

Mme Clotilde Brunetti. - La PMA n'est pas autorisée pour l'instant.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Si, pour les couples stériles.

Mme Clotilde Brunetti. - La PMA n'est pas ouverte aux couples de femmes. 

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - A titre personnel, j'étais très réticent sur la PMA avec tiers donneur, puisqu'on interdit à l'enfant de connaître son père biologique.

Mme Clotilde Brunetti. - C'est un autre sujet...

Le juge doit appliquer la loi ; il ne peut faire prévaloir des principes supérieurs qu'au nom d'une convention. La Cour de cassation pourra donc refuser les adoptions en s'appuyant sur la convention sur les droits de l'enfant. Jusqu'à présent, jamais le législateur n'a mis en cause ces principes fondamentaux qui remontent à la nuit des temps - d'où leur formulation en latin ; ce serait une première ! La Cour de cassation a tenu à publier le 22 janvier 2013 un arrêt disant que les droits de l'enfant ont rang constitutionnel ; c'était une façon d'adresser un message au législateur : elle défendra les principes supérieurs.

Le nouvel article 6-1 fait entrer dans notre code civil la théorie du genre. Formulée par des féministes extrémistes, dont la figure de proue est Judith Butler, elle postule que les enfants naissent fondamentalement inégaux, le garçon naissant avec un sexe qui le pousse à la domination de la femme ; dès lors, il faut supprimer toutes les conséquences sociales et juridiques du sexe masculin. Cette théorie me fait peur ; elle est désormais dans notre code civil.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Si je puis me permettre, la loi qui a le plus bouleversé les principes fondamentaux est celle de la filiation, rédigée avec l'aide du doyen Carbonnier !

Mme Clotilde Brunetti. - Cette loi ne touchait pas comme aujourd'hui aux principes supérieurs, et c'était toujours par voie d'exception.

M. Antoine Renard, président de la Cnafc. - Ce sont les associations qui sont catholiques, pas les familles ! Notre source d'inspiration est l'enseignement familial et social catholique. Nous n'en sommes pas pour autant un mouvement confessionnel, et nous sommes ouverts à tout le monde. Mais à partir du moment où la famille est encore constituée d'un père, d'une mère et des enfants, les associations familiales peinent à accueillir les familles homosexuelles. Quant à l'Église, vous le savez, elle réfléchit à ces questions, et Mgr Paglia a tenu récemment des propos intéressants. Mais nous ne sommes pas l'Église !

La rupture du pacte républicain tient à la fois à l'ouverture du mariage et à ses conséquences. Les mots ont un sens ; c'est quand même Soljenitsyne qui a invité les Français à retrouver l'usage de leur dictionnaire ! Le député martiniquais M. Azérot l'a dit mieux que moi : les Martiniquais s'inquiètent d'une rupture du pacte républicain qui pourrait les conduire à quitter la République. C'est très grave !

Chacun est libre de se marier, mais personne n'est libre de dire ce qu'est le mariage. Aujourd'hui, tout le monde sait ce qu'est mariage ; demain, nous serons en plein brouillard.

Mais le plus grave, c'est l'accueil de l'enfant. Je considère que nous sommes dans un monde sexué. Le mariage précède les religions, contrairement à ce que dit l'exposé des motifs du texte, parce qu'il est la capacité d'accueillir un enfant dans un monde sexué. Je ne soutiens pas le référendum qui conduit à un affrontement, alors qu'il faut trouver un consensus. Comment y parvenir ? Je compte sur votre liberté...Étonné par le trouble des députés socialistes, j'ai regardé les statuts du parti socialiste : selon l'article 5-4-3, les élus respectent en toutes circonstances les instructions et la tactique du parti. J'espère que les sénateurs exerceront leur liberté de conscience et prendront le relais des Français, qui sont en pleine confusion : 60 % sont favorables au mariage entre personnes du même sexe, et 60 % sont contre l'adoption par des personnes de même sexe, alors que la loi ne permet pas de distinguer les deux. C'est aux politiques de trouver un consensus.

M. Bernard Mantienne, représentant de la Cnafc. - Maire pendant 30 ans, je constate le désarroi de nos concitoyens. Ils s'inquiètent de cette ouverture du mariage et de l'adoption. J'ai écrit au Président Hollande pour lui dire qu'il commet, avec ce texte, une erreur et une faute. Une erreur car les Français vivent déjà beaucoup de difficultés : pourquoi en rajouter ? Une faute parce que, de ce texte, que sortira-t-il demain ? Un de mes administrés d'origine maghrébine est venu me voir pour me demander si avec cette loi il pourrait faire venir en France sa deuxième femme et se marier avec elle. Je n'ai su lui répondre...Après tout, quand tout est permis, il suffit de faire pression ! Je crois que la pression qui s'exerce en faveur du mariage pour tous est minoritaire, et qu'il y avait des solutions plus adaptées...

Je crains que nous ne soyons dans la situation des schlitteurs, ces bûcherons vosgiens qui transportent le bois en retenant un chariot qui glisse sur des rails en bois : il suffit du moindre faux-pas pour provoquer une catastrophe !

M. Thierry Vidor. - En ces matières, nous n'avons pas assez de recul, ni d'études sérieuses. Tout le monde est d'accord pour faire évoluer le Pacs vers un contrat d'union civile, mais ouvrir l'adoption semble très dangereux à la majorité des Français ; la question mérite une réflexion et des études approfondies.

En Belgique, la loi a été votée il y a une dizaine d'année : depuis la reconnaissance du mariage homosexuel, il n'y a pas eu d'adoption pour les couples homosexuels. Dès que nous adopterons cette réforme, nous serons en effet au ban de la communauté internationale et la plupart des pays refuseront des donner des enfants à l'adoption en France. Cela tient du mensonge d'État : on dit à ces gens qu'ils pourront adopter, or ils ne le pourront pas. Il y a déjà 6 000 adoptions par an, et 30 000 couples qui veulent adopter ! Et qui choisira entre un couple homme-femme, un couple femme-femme et un couple homme-homme ? Au nom de la lutte contre les discriminations, les couples d'hommes réclameront la GPA, et l'égalité pour tous débouchera sur la marchandisation du corps de la femme.

Il est trop tôt ; ne votons pas dans la précipitation une loi non consensuelle, d'autant que le président Hollande n'a pas été élu sur la proposition n°31...

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci. Nous poursuivrons notre série d'auditions la semaine prochaine.