Jeudi 14 février 2013

présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président

Audition de représentants d'associations et d'institutions d'adoption

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Nous allons commencer nos auditions de ce jour en entendant les représentants de la Fédération française des organismes autorisés pour l'adoption (FFOAA), du Mouvement pour l'adoption sans frontières (MASF), d'Enfance et familles d'adoption ainsi que de La voix des adoptés. Je vous prie d'excuser l'absence de M. Sueur qui assiste ce matin à la conférence de consensus réunie par Mme la garde des sceaux sur la récidive.

Mme Marie-Claude Riot, présidente de la Fédération française des organismes autorisés pour l'adoption (FFOAA).  - Merci de nous recevoir. La FFOAA regroupe vingt-six organismes autorisés pour l'adoption (OAA), soit plus de la moitié des organismes d'adoption, qui sont des opérateurs privés, assumant une mission de service public comme intermédiaires. La FFOAA est membre du Conseil supérieur de l'adoption (CSA) et de l'Agence française pour l'adoption (AFO), l'opérateur public. Notre expertise est réelle et reconnue. Les plus jeunes de nos OAA ont vingt ans d'existence. Tous ont accompagné des familles très diverses dans leur démarche et 53% des adoptés l'ont été via des OAA de la fédération.

Les membres des organismes autorisés s'accordent sur la liberté des personnes de même sexe d'aimer et de se marier ; ils ne prennent pas position pour ou contre le mariage. L'adoption est, en revanche, source de questionnements.

Nous avons beaucoup réfléchi à l'homoparentalité, d'autant qu'aujourd'hui déjà, certains célibataires adoptants vivent avec un conjoint de même sexe mais celui-ci n'apparaît pas dans la procédure. Nous ne remettons pas en cause la capacité des couples homoparentaux à aimer et éduquer des enfants. Cependant, si l'enfant adopté est un enfant comme les autres, il est aussi porteur d'un passé et de différences.

Le mariage pour tous entraînera demain de nouvelles demandes d'adoption. Les organismes autorisés auront l'obligation légale d'examiner sans discrimination les dossiers présentés par des conjoints de même sexe. Nous connaissons la douleur de tous les couples, quels qu'ils soient, qui désirent un enfant mais sont infertiles. Pourtant, il faut préciser que l'aboutissement de tout projet d'adoption est incertain. En 2012, 1 569 adoptions internationales ont abouti, pour 24 000 candidats en attente. Les couples homosexuels auront-ils de réelles possibilités d'adoption ? La question reste posée. L'OAA se doit de respecter le souhait des mères biologiques. Combien d'entre elles souhaiteront confier leur enfant à des couples de même sexe ?

Le désir de fonder une famille est légitime, comme celui d'adopter un enfant jeune et sans handicap. Or, aujourd'hui, ces enfants-là trouvent de plus en plus souvent une famille dans leur pays d'origine, selon un principe de subsidiarité. Les propositions d'adoption internationale porteront sur des fratries de trois enfants et plus, des enfants déjà âgés ou handicapés. Dans la convention de La Haye, le consentement de l'enfant est requis. Il donnera son accord pour être adopté par un couple de personnes de même sexe et avoir une famille mais sans avoir vraiment conceptualisé la situation. Or, aucune mesure n'est prévue pour encadrer ces adoptions à risques. Il est important que chaque adoption se fasse en adéquation avec le projet et les possibilités de la famille adoptante. Un milieu harmonieux est une condition de réussite.

Les organismes autorisés sont en relation permanente avec les pays d'origine. L'Afrique du Sud, certains États du Brésil, les États-Unis et le district fédéral de Mexico acceptent des adoptions par des couples de même sexe. Mais il y a eu 9 adoptions en 2012 en Afrique du sud, 13 au Brésil (des enfants grands ou des fratries) et les États-Unis ont suffisamment de candidats nationaux. Au Mexique, aucune adoption n'a eu lieu depuis deux ans. La ville de Mexico est extrêmement sélective dans l'examen des dossiers et les enfants proposés ont des pathologies lourdes. Les chiffres sont sans ambiguïté : peu de candidatures présentées par des couples de même sexe seront considérées comme recevables.

Certains pays risquent de fermer leur porte aux adoptions par crainte que la monoparentalité ne cache des couples homosexuels. Cela n'est pas à négliger, malgré le contre-exemple de l'Espagne, qui a légalisé le mariage pour tous en 2005 et n'en est pas moins le troisième pays d'accueil d'enfants adoptés. Enfin, la mère biologique confiera difficilement son enfant à un couple qui ne correspond pas au schéma traditionnel qu'elle-même connaît.

Notre réflexion est centrée sur les enfants, qui sont les premiers concernés. Ils ne peuvent être au coeur d'un débat sur l'égalité des couples. L'adoption n'est pas un droit à l'enfant, c'est une mesure de protection de l'enfance. Cela vaut pour toutes les familles.

Dans l'adoption, le travail ne s'arrête pas le jour de l'arrivée de l'enfant. Celui-ci a besoin de s'identifier, pour mieux assumer les différences qu'il a déjà en lui, la rupture, la séparation, la violence. Il veut être un enfant comme les autres, or l'adoption par une famille de personnes de même sexe sera une différence de plus, alors même qu'il sera déjà interpellé sur ses « vrais » et ses « faux » parents. La discrimination ethnique existe dans la cour de récréation. La construction identitaire est souvent difficile à réaliser et des parents homosexuels constituent un obstacle de plus à l'acquisition de repères stables. L'enfant fragilisé par son histoire personnelle exige un accompagnement adéquat. On a bien sûr entendu des témoignages d'enfants élevés par des couples homosexuels et qui ont un bel équilibre : mais ceux-là n'ont pas été, comme des enfants adoptés grands et venant d'un autre pays, blessés par une histoire antérieure et une rupture difficiles. C'est une différence majeure !

Les organismes autorisés, les pays d'origine divergent dans leur approche de la famille idéale. Mais un consensus existe sur le droit de l'enfant de vivre dans une famille adoptée et de bénéficier de l'encadrement nécessaire à son épanouissement.

La réflexion sur l'adoption par des couples de même sexe dépasse l'objet de ce projet de loi et la consultation des acteurs de l'adoption a été trop tardive. Il faut connaître l'adoption pour éviter les amalgames. En outre, l'avancée ne saurait être parcellaire : toutes les relations familiales méritent d'être sécurisées.

Ce projet de loi, aussi polémique soit-il, a le mérite de rappeler qu'une vraie réforme de l'adoption est aujourd'hui nécessaire.

M. Marc Lasserre, président du Mouvement pour l'adoption sans frontières (Masf).  - Le Mouvement pour l'adoption sans frontières regroupe neuf associations de parents adoptifs, mais représente plus de 3 000 familles ayant adopté, principalement à l'international.

La France va adopter sans doute ce projet de loi, donc autoriser l'adoption par des couples de même sexe. Il existe des divergences à l'intérieur du Masf comme au sein de la société française. Notre mouvement ne se positionne pas sur la question du mariage pour tous, son intérêt se concentre sur la partie du texte qui concerne l'adoption, cette institution qui vise à donner une famille à l'enfant qui est privé de la sienne, à la naissance ou plus tard.

Aujourd'hui, l'immense majorité des adoptés ne sont pas des orphelins comme c'était le cas après la Grande guerre. Quant aux familles, elles n'ont aucun droit à l'enfant, mais elles peuvent demander un agrément, en vue de se voir confier un enfant. « Mariage pour tous, adoption pour personne », titrait fort justement L'Express sur son site internet. Car depuis, plusieurs années, l'adoption internationale traverse une grave crise, les Français ont de plus en plus de mal à adopter à l'étranger. Cela ne va pas s'arranger.

Au plan national, en 2011, 61 enfants ont été proposés à l'adoption et ce chiffre est stable d'année en année. Comment seront appréciées demain les qualités des familles homoparentales, monoparentales et hétéroparentales ? Le Masf espère qu'il n'y aura pas de classement, public ou occulte, de ces familles. Dans les pays qui ont autorisé le mariage pour les couples gays et lesbiens, comme la Belgique, il n'y a eu que neuf adoptions. Aussi convient-il de relativiser la portée de la loi en discussion.

On nous dit qu'il n'y a plus d'enfants à adopter à l'international. C'est une contre-vérité : il y en a 104 000 aux États-Unis, afro-américains et hispaniques pour la plupart. Cependant, dans les pays où les Français adoptent en plus grand nombre, l'ouverture d'esprit n'est pas garantie. En Russie, 235 enfants ont été adoptés par des Français en 2012, mais ce pays vient de demander la révision du traité bilatéral qu'il a signé tout récemment avec notre pays. Nul doute que la Russie réduise les possibilités d'adoption par des couples français et britanniques. Ne nous cachons pas la vérité.

Le Masf souhaite néanmoins que les rapports sociaux rédigés en vue de l'agrément décrivent les familles de façon transparente qu'elles soient homosexuelles ou hérérosexuelles, car « l'adoption ne se construit pas sur un mensonge », comme l'a déclaré le plus ancien des membres du Conseil supérieur de l'adoption.

La véritable portée de ce texte concerne l'adoption des enfants par le conjoint du parent, sous la forme simple ou plénière. C'est une réelle avancée pour les 50 000 enfants de familles homoparentales qui vivaient dans un certain vide juridique.

Il sera indispensable, à l'occasion du projet de loi sur la famille, de repenser et professionnaliser entièrement notre modèle d'adoption, y compris internationale. Seuls quatre organismes réalisent plus de cinquante adoptions par an et même pour eux, les moyens manquent.

Nous privilégions l'adoption plénière, dans l'intérêt des enfants, afin d'instaurer une réelle égalité entre les modes de filiation. N'oublions pas la proposition de loi de Michèle Tabarot sur l'enfance délaissée : les enfants doivent plus facilement devenir pupilles de l'État et adoptables.

Contrairement à l'Italie, la France a vu le nombre d'adoptions internationales baisser considérablement, de 4 000 il y a quelques années, à 1 569 en 2012. Certes, les adoptions internationales ont mondialement reculé, de 30 000 à 22 000, mais nous sommes en décroissance plus forte que les autres pays. Cette loi ne va pas changer la donne. Le nombre des enfants venant de Russie continuera à décroître.

L'adoption plénière est la seule en vigueur dans la majorité des pays de l'Union européenne (sauf en Belgique où les deux formes sont possibles). La convention de La Haye exige une adoption plénière dans le pays d'adoption si le jugement rendu dans le pays d'origine entraîne une rupture avec la filiation biologique. L'adoption plénière n'implique pas de secret : aucun secret n'est maintenu, sauf dans l'extrait d'acte de naissance, parce qu'il est communiqué aux tiers, qui n'ont pas à en être informés. Nous avons cosigné avec diverses associations une tribune, le 24 janvier dernier, dans laquelle nous rappelons notre attachement à l'adoption plénière.

Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) pourrait être davantage mis à contribution. Dans la plupart des pays du monde, l'adopté pourra rechercher ses origines. Mais dans certains autres, ils ne trouveront aucun document, aucune trace, comme au Kazakhstan par exemple, où les femmes qui abandonnent leur enfant sont passibles de la peine de mort.

Mme Nathalie Parent, représentante d'Enfance et familles d'adoption.  - Notre mouvement regroupe 93 associations départementales, représentant 9 000 familles adhérentes et 200 000 enfants adoptés, depuis soixante ans. Enfance et familles d'adoption est membre des grandes instances nationales, comme le conseil supérieur de l'adoption (CSA) et le conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP). Nous regroupons tous les types de familles, monoparentales, recomposées, multi-recomposées, hétérosexuelles, homosexuelles, pacsés, entre concubinage, sans religion ou de quelque religion que ce soit. Certains s'inquiètent du bouleversement à venir, d'autres l'attendent, d'autres encore n'ont pas d'opinion, mais tous refusent l'instrumentalisation des enfants. Or ces derniers sont les victimes du débat actuel !

Il faut en revenir à la protection des enfants. Il n'y a pas de droit à l'enfant, seulement le droit de l'enfant à une famille au sein de laquelle il pourra s'épanouir. Nous devons garantir les droits de l'enfant privé de famille.

Ce débat a diabolisé les familles adoptives, qualifiées de fictives, de fausses. Quelques-uns ont proposé de supprimer l'adoption plénière, au motif que l'adoption simple conserve les liens du sang, ajoute une filiation sans effacer la première. L'adoption simple pour les couples de personnes de même sexe serait plus acceptable : un moindre mal. Les enfants n'attendent pas une solution idéologiquement acceptable mais une filiation juridiquement sécurisée. On oublie trop souvent que l'adoption plénière ne fait pas obstacle à la recherche des origines. Lorsque les recherches tournent court, c'est parce que les parents biologiques n'ont pas laissé de trace. L'adoption plénière n'efface rien de ce qui a été écrit, les informations sont conservées dans les dossiers. Elle rompt les liens juridiques, elle ne plonge pas le passé dans l'oubli. Les conditions juridiques de l'adoptabilité, hormis l'âge, sont les mêmes dans les deux types d'adoption. Chacune répond à un objet spécifique. Certains souhaitent aménager l'adoption en fonction de la vraisemblance biologique, en fonction des familles qui font la demande. Mais l'adoption n'est pas une filiation à géométrie variable, inventée pour combler un manque des adultes. Elle se fait, plénière ou simple, dans l'intérêt de l'enfant, au cas par cas.

Les règles d'attribution du nom de famille sont heureusement identiques pour tous les enfants, quel que soit le mode de filiation. Des questions restent à régler pour l'état civil. Toutes les filiations étant égales, et puisqu'il n'est pas question de faire apparaître sur des documents publics mention de l'adoption, tous les enfants, symboliquement, sont sur les actes de naissance « nés de » leurs parents. Pourquoi ne seraient-ils pas tous « fils de » ou « fille de » ? Nous en avons déjà formulé la demande lors de la réforme de l'adoption en 1996. Si, comme l'ont laissé entendre le Conseil d'État et certains magistrats, l'établissement des actes d'état civil dans le cas d'une adoption plénière par un couple homosexuel serait inconstitutionnel, il en résulterait un amenuisement des droits de certains enfants adoptés sous la forme plénière, ce serait une discrimination elle aussi anticonstitutionnelle.

Si le Sénat vote cette loi dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale, les couples hétérosexuels ou homosexuels pourront dans les mêmes conditions faire une demande d'agrément. C'est une bonne chose : aujourd'hui les personnes non mariées cachent une partie de leur vie pour pouvoir adopter. Or la transparence du projet parental est indispensable. Les pouvoirs publics doivent s'assurer que les candidatures de personnes de même sexe seront traitées sans discrimination. Ce risque ne peut être ignoré.

Les propos entendus récemment sont choquants pour les enfants adoptés et pour ceux élevés par un couple de même sexe. Ne pas connaître son patrimoine biologique n'est pas une tare. Et il est parfois difficile de grandir dans une famille hétérosexuelle ou dans sa famille biologique, en témoigne le nombre d'enfants placés. Les familles du XXIe siècle sont multiples, les enfants tous légitimes.

Les familles adoptives ne sont pas des artefacts. Élus de la République, rendez leurs droits à tous les enfants.

Mme Cécile Février, présidente de La Voix des adoptés.  - Merci de m'avoir invitée. La Voix des adoptés, créée en 2005, compte des antennes à Paris, Rouen, Lyon, Toulouse. L'association, apolitique et laïque, regroupe 215 adhérents de toutes origines, nés sous X, pupilles de la nation, adoptés en France ou à l'étranger, sous forme simple ou plénière. Aucun n'a été adopté par une famille homoparentale, je le précise.

La Voix des adoptés ne se prononce pas sur la question du mariage des personnes de même sexe. Sur l'adoption, en revanche, nous avons des choses à dire, car le droit de l'enfant devrait primer, or il n'existe pas. Nous aussi demandons de remplacer, dans les actes d'état civil, les termes « né de » par « fils de », « fille de », puisque s'agissant d'un couple de même sexe, il y a impossibilité physiologique.

La réussite de l'adoption ne dépend pas du sexe des parents. L'adoption par un couple hétérosexuel ne signifie pas toujours stabilité et bonheur, nous le savons tous. D'autant que les parents se séparent, se remarient, de nouveaux enfants apparaissent... Quant à l'adoption pour des parents de même sexe, elle existe déjà mais de façon cachée, l'un des deux adoptant en célibataire.

La Voix des adoptés ne peut approuver totalement ce projet de loi car il faut prendre en compte les conditions de l'adoption. L'adopté n'arrive pas vierge de tout vécu, il n'est pas une page blanche. Il a des attentes spécifiques. Parfois il a déjà appris à dire « maman » et il fait bien la différence entre les sexes. La figure maternelle est importante. C'est la mère que les adoptés veulent retrouver. « La femme qui m'a mise au monde » est placée bien au-delà d'une génitrice, elle est l'objet d'un amour infini ou de haine. Comment l'enfant adopté s'inscrira-t-il dans son passé en cas d'adoption par un couple de même sexe ? Il faudrait prévoir un tuteur de résilience de l'autre sexe.

L'État pourra-t-il accompagner les familles après l'adoption, ou en donnera-t-il les moyens à des organismes ? Rien n'existe aujourd'hui. Les parents adoptants ne sont pas accompagnés sur le long terme.

Pour l'adoption internationale, les institutions telles que l'Aide sociale à l'enfance, les organismes autorisés pour l'adoption (OAA), sont-ils prêts à traiter avec impartialité les dossiers ? Nous n'en sommes pas sûrs.

L'adoption simple est source d'insécurité juridique, surtout en cas d'adoption internationale. Les adoptés ont besoin de sécurité juridique, c'est pourquoi nous préférons l'adoption plénière. En revanche, la forme simple peut être envisagée pour l'adoption par le conjoint du parent.

L'adoption plénière ne change en rien le problème d'accès aux données d'origine qui doit faire l'objet de toute notre attention. L'histoire de l'enfant est importante -plus que l'identité biologique sans doute- il faut la recueillir, la conserver. L'adoption est une transition entre deux histoires. Or, ces renseignements dépendent d'une démarche personnelle du parent biologique. A l'étranger, l'existence de condamnations pour abandon d'enfant dissuadent souvent ces démarches. Il serait donc intéressant que le centre national d'accès aux origines personnelles (CNAOP), centralise ces renseignements pour l'adoption internationale également.

Adopter, c'est pour la vie. Quel accompagnement durant la post-adoption ? Il faut tenir compte de la différence des genres, qui ne préjuge pas de l'orientation sexuelle future de l'enfant. Quels services pourraient en être chargés ? Nous proposons la création d'un service post-adoption réservé aux adoptés. Un espace à eux...

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nul doute qu'une réforme de l'adoption soit absolument nécessaire. Dans le présent texte, je ne pense pas que le Sénat ajoute des dispositions sur ce sujet. Par exemple, à titre personnel, je suis favorable à l'ouverture de l'adoption aux couples pacsés, mais je ne souhaite pas que l'on surcharge ce projet de loi.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales.  - Merci d'avoir parlé de l'adoption en ces termes, loin des contrevérités et idées reçues entendues à l'Assemblée nationale et ailleurs.

Merci de nous redire que l'adoption est une mesure de protection de l'enfance. Les dénigrements de l'adoption ont dû faire réagir nos associations. Je reviens sur l'accès aux origines : est-il indispensable pour la construction de l'enfant et de l'adulte ? Parfois les recherches sont douloureuses, voire impossibles.

Nous avons entendu votre appel, sur la réforme de l'adoption.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Je remarque que vous parlez d'accès de l'enfant à son histoire antérieure, plutôt qu'à ses origines. C'est intéressant, cela semble plus vrai, plus important.

Mme Catherine Génisson.  - Vos témoignages nous obligent à revoir les conditions de l'adoption, globalement et non selon la nature du couple candidat. A juste titre, vous n'avez porté aucun jugement sur le mariage des couples homosexuels. Hormis les difficultés que vous avez soulignées, vous ne jugez pas, et vous insistez sur l'importance de l'environnement affectif. Je vous en remercie.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Merci pour vos interventions particulièrement riches. Nous sommes conscients des difficultés liées à l'adoption, et si nous ne voulons pas alourdir ce projet de loi, cela ne nous empêchera pas d'insister sur la nécessité d'un travail de fond sur l'adoption.

Mme Cécile Février.  - Je suis surprise que l'on parle autant de l'accès aux origines à l'occasion de ce projet de loi. Cela prouve l'importance de l'enjeu. Mais cela me gêne que l'on exploite ce thème pour s'opposer à ce texte. L'accès aux origines est-il nécessaire à la construction de l'adulte ? Oui et non. Il est difficile de se construire en se disant que l'on est né de rien ni de personne. C'est à l'adopté et à personne d'autre de choisir le moment de sa démarche de recherche. Nous n'en effectuons pas pour des mineurs, parce que nous estimons qu'ils ne sont pas prêts.

Mme Nathalie Parent.  - L'accompagnement et la préparation des futurs parents adoptifs comme des enfants sont essentiels. De plus en plus d'enfants ont des besoins spécifiques, des histoires parfois très dures, en France comme à l'étranger. On ne peut laisser les familles se débrouiller seules après l'adoption. Des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), des hôpitaux l'assument, parce qu'ils estiment cet accompagnement indispensable, mais tout repose sur la bonne volonté de chacun. Or les familles ont un droit à être aidées.

Nous avons organisé deux colloques sur le sujet. L'accès aux origines appartient à l'adopté et à lui seul. Il relève de l'intime. Certains en ont besoin tôt, d'autres plus tard. Certains ont besoin d'aller humer leur pays de naissance, sa langue, son climat, sans forcément rechercher leur famille biologique. Nous ne sommes plus il y a cinquante ans : l'adoption est devenue visible. Nos enfants ne nous ressemblent pas, mais ce sont nos enfants et nous sommes leurs parents. Aujourd'hui, l'adoption est dite. Nous, parents, sommes dépositaires des données des enfants. Le CNAOP devrait être étendu à l'ensemble des enfants adoptés, y compris à l'étranger, d'autant que les documents existent, conservés par les services de l'État et les organismes autorisés pour l'adoption (OAA). Un lieu unique d'archivage et de ressources serait bienvenu. Il n'est d'ailleurs pas besoin de l'inscrire dans une réforme de l'adoption.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Merci, Madame. Vous avez raison, cette question relève du domaine réglementaire. La rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales pourrait le demander au Gouvernement ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Certes.

M. Marc Lasserre.  - Au nom d'un prétendu maintien du lien biologique, on aboutit à des situations absurdes, ubuesques : le tribunal de grande instance de Grenoble a prononcé sur ce fondement une adoption simple et non plénière, pour un enfant venu d'Haïti, alors qu'aucune filiation n'était connue dans le pays d'origine ! Quel lien avait-on peur de rompre ? L'idéologie conduit au non sens.

Mme Marie-Claude Riot.  - L'objet de cette audition est l'adoption par les couples de même sexe et non d'autres aspects. Une réforme de l'adoption s'impose. L'adoption ne doit pas être réduite à une cerise sur le gâteau du mariage pour tous.

Nous accompagnons les jeunes dans leurs recherches. Certains ont besoin d'accéder à leurs origines, d'autres non. Les OAA ont là un rôle à tenir.

Mme Maisonneuve-Snyder, membre du conseil d'administration du Masf.  - Plusieurs centaines de familles sont directement concernées par ce jugement de Grenoble : toutes peuvent se voir pareillement imposer une adoption simple par les tribunaux. Or les enfants ont besoin de sécurité juridique. Ils savent qu'ils sont originaires d'Haïti.

Du reste, le séisme de 2010 nous rappelle les aléas de tous ordres qui menacent les documents dans les pays d'origine. Il faut un lieu pour les conserver à l'abri.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Merci. La ministre de la famille sera présente au banc du Gouvernement, nous saurons demander des mesures réglementaires.

Audition de M. Thibaud Collin, philosophe

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Monsieur Collin, vous êtes philosophe et avez publié plusieurs ouvrages sur la question du genre et l'homosexualité. Nous écoutons votre point de vue sur le sujet qui nous occupe.

M. Thibaud Collin, philosophe.  - Le projet de loi est porté par le Gouvernement au nom de l'égalité, valeur essentielle de notre République. Il apparaît donc légitime de l'approuver au nom de la justice. Mme Taubira s'est employée à retracer l'histoire du mariage civil pour souligner à quel point il a évolué, non de façon aléatoire mais selon une logique : il y aurait bien un sens de l'histoire du mariage. En rompant avec les règles du mariage canonique, la République, en 1792, ouvrait le droit au mariage à des personnes qui en étaient auparavant exclues. Le projet de loi est présenté comme l'accomplissement de cette logique d'intégration, le mariage devenant « une institution véritablement universelle », réalisant les promesses d'émancipation contenues dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Est-il possible de critiquer une telle argumentation ? Selon quels critères ? Toute critique sera soupçonnée de transiger sur les principes républicains. Seul celui qui conserverait une vision sacrale du mariage pourrait en interdire l'accès à certains. Le sacré est compris ici comme ce qui est soustrait à la délibération politique. Comme le dit Éric Fassin, « l'enjeu des controverses actuelles, c'est le statut des normes dans les sociétés démocratiques. Sont-elles, aujourd'hui, toujours immanentes à l'histoire, définies par la délibération démocratique ? ». Les normes peuvent-elles appréhendées autrement que comme des normes sociales ?

La loi démocratique objective l'état social et mental à un moment de l'histoire. Ici même Irène Théry vous a exposé cette logique historique de fond. Ce qui était impensable il y a quelques années le devient aujourd'hui. Elle considère donc comme synonymes les normes démocratiques et les normes construites. Mais une norme construite est-elle immédiatement démocratique ? Sur quoi le législateur s'appuie-t-il pour établir une norme ? Si l'on s'en tient au reflet d'un état social, si l'on se fonde sur le degré d'acceptation du corps social, ne réduit-on pas le travail du législateur à celui d'enregistrer des revendications ayant obtenu une audience suffisante ?

Mme Taubira, loin de suivre une voie sociologique et immanentiste, privilégie des principes de justice. Examinons l'usage qui est fait du principe d'égalité. Elle fait une analogie avec l'histoire des protestants ou des juifs face au mariage canonique d'antan. Cette analogie est-elle recevable ? La création du mariage civil a remédié à ces exclusions et donné au mariage une autre dimension que sacramentelle. Le contrat relève de la liberté individuelle. Le mariage civil s'inscrit dans un ordre humain, universel, fondé sur le partage d'une commune nature humaine. C'est ce que rappelle dans son texte liminaire, la Déclaration des droits de l'homme de 1789, qui expose « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme ».

Or, la religion et le métier ne sont pas des critères pertinents au regard de l'essence du mariage. Les homosexuels sont-ils aujourd'hui exclus du mariage civil, de la même manière que les comédiens, les protestants et les juifs avant la Révolution ? L'hétérosexualité est-elle une règle constitutive du mariage ? Si tel est le cas, les révolutionnaires auraient ouvert le mariage « à tous » mais en appliquant le principe d'égalité de manière biaisée. Un impensé, un point aveugle serait demeuré -comme le suffrage « universel », appliqué longtemps seulement pour moitié (masculine).

Sous quel rapport se marie-t-on ? En tant qu'homme, femme, hétérosexuel, homosexuel, demain ? Certains militants LGBT voient une continuité entre la lutte contre le racisme et le combat contre ce qu'ils appellent « l'hétérosexisme ». Le mariage pour tous entre en résonnance avec l'abolition de l'esclavage, la conquête des droits civiques américains ou la libération des femmes. Face à une telle lecture de l'histoire, je repose la question : sous quel rapport se marie-t-on ?

Comme l'a déclaré Irène Théry à propos du Pacs, « le mariage est l'institution qui articule différence des sexes et différence des générations », conjugalité et filiation. Sur quoi le législateur a-t-il étayé le mariage civil ? Le référent choisi a été la transmission de la vie humaine par l'union sexuelle d'un homme et d'une femme, assumant par avance l'éducation de cette personne. Idéal situé historiquement, répondent certains, et discriminant pour les homosexuels. Une telle construction peut-elle être réformée pour accueillir de nouvelles possibilités ? Quelle serait la logique de ce nouvel agencement ? Serait-ce comme hétérosexuel que l'on pourrait prétendre être parent ? Un homosexuel pourrait-il prétendre être parent non pas malgré son homosexualité mais en tant qu'homosexuel ? La réponse évidente, jugée « hétérosexiste » par certains, est que c'est impossible. Mais il y a alors, dénonce la sociologue Virginie Descoutures, « un interdit de paternité pour les gays ou de maternité pour les lesbiennes ».

Faire l'enfant, ce serait en formuler explicitement la volonté et trouver les moyens de le réaliser, éventuellement par la PMA. Qu'est-ce qui remplace le référent naturel ? La volonté contractuelle des individus, quelle que soit leur orientation sexuelle. Si la volonté devient le principe premier de l'articulation entre conjugalité et filiation, pourquoi conserver les autres conditions, par exemple, la monogamie ? Les polygames ont été discriminés. Si la volonté devient à elle-même sa propre boussole, n'est-ce pas le rôle du législateur que de limiter les prétentions des volontés ? Certes, mais selon quels critères ? Si tout référent non construit par les hommes est congédié comme non démocratique, que reste-t-il à la raison pour déterminer ce qui est juste ? Rien. Est juste ce que la volonté du législateur décide de déclarer juste. Dès lors l'idée même de délibération législative devient vaine. Levons la séance !

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Difficile de prendre la parole après votre exposé ! Merci d'avoir élevé le débat. Vous avez cité Éric Fassin...

M. Thibaud Collin.  - Peut-être allez-vous l'auditionner ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Non, mais il était présent dans vos propos. Nous avons le devoir de délibérer sur ce projet de loi puisque des problèmes concrets se posent. Ce qui guide le législateur, c'est le principe de réalité.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Vous ne concluez pas, tout en donnant des arguments contre...

Ce qui est juste, c'est ce que dit la loi. Et celle-ci ne se réfère pas à un ordre naturel, mais à un rapport de force à un moment donné.

M. Thibaud Collin.  - La justice, c'est donc le rapport de force ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - C'est le point de vue marxiste. Je provoque un peu.

M. Thibaud Collin.  - Cela a le mérite de la clarté !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Ce n'est pas mon point de vue. La loi est l'expression de la volonté générale et non pas de quelques-uns ou d'un rapport de force. En France, la PMA et la GPA sont interdites. Puisqu'il y a des demandes et que cela existe ailleurs, il faudrait l'accepter ? Ce n'est pas le rôle du législateur ! Tout n'est pas permis. La discussion est ici compliquée par le fait que des enfants existent, issus de ces pratiques interdites par la loi. Faut-il pour autant accepter le moins disant éthique ?

Je suis frappé par l'invasion de la théorie du genre qui nous vient des États-Unis. Les propos de certains parlementaires en sont remplis. C'est une théorie dangereuse. Vous n'en avez pas parlé. Pouvez-vous nous éclairer sur l'influence de cette théorie sur le projet tel qu'il est ou tel qu'il viendra ?

M. Thibaud Collin.  - La théorie du genre est un sujet très complexe. D'ailleurs, il n'y a pas « la » théorie du genre, mais des approches issues des sciences sociales, sur la manière de vivre sa féminité ou sa masculinité dans l'histoire et dans la géographie humaines. On peut en avoir une lecture radicale, comme certains philosophes, qui se fondent sur Michel Foucault, en considérant qu'il y a un donné biologique -mais Judith Butler le conteste- et que tout le reste serait pure construction sociale.

Je voulais soulever des enjeux plutôt que d'arriver avec une organisation ficelée. Ce qui se trouve derrière mes propos, c'est cette question de constructivisme. Si le législateur doit répondre à certaines souffrances ou demandes sociales, est-il nécessaire pour autant de modifier aussi fondamentalement les règles du jeu ? Ainsi le fait d'être père et mère serait une construction sociale. Certains proposent même de supprimer ces termes du code civil et de les remplacer par parent 1 et parent 2. Ce qui serait important, c'est qu'un enfant soit élevé par deux adultes. Voyez la tribune de François de Singly, dans Le Monde... On considère que le biologique est infrahumain. Or, mon corps n'est pas une valise que je promène. Je suis mon corps. Mon corps est sexué. Il y a là une correspondance profonde entre votre sujet et l'approche radicale du genre, où le fameux « donné naturel » est considéré comme infrahumain et non comme un élément de l'unité de la personne. Mme Taubira a affirmé que l'on était enfin passé au-delà de la nature.

Au nom d'une recherche de sécurisation des liens familiaux, on élabore un tout autre modèle qui va aboutir à d'autres situations précaires. La logique, c'est de parvenir à la PMA pour les femmes seules. L'argument avancé en faveur de ce texte, c'est que si la mère ou le père légal meurt, l'enfant est à la rue -ce qui est faux.

Il y a d'autres façons de prendre en compte ces situations. Le rôle de la justice est de statuer sur l'intérêt de l'enfant et il se prononce au cas par cas.

Le législateur instaure de nouvelles règles du jeu : cela mérite d'en mesurer les prolongements logiques, jusqu'au bout. Soyons lucides sur les conséquences ultimes. « On ne quitte pas la révolution comme on saute d'un tramway ». Là, c'est la même chose : vous pouvez fixer la limite à mi-course, mais vous serez obligés d'aller jusqu'au bout.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Votre présentation est très intéressante. Vous avez exposé des arguments.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Cela méritait d'être entendu !

Mme Catherine Génisson.  - Le législateur doit prendre ses responsabilités, dites-vous. La question est de savoir s'il doit être suiviste ou précurseur. Ou les deux... Voyez la loi Badinter sur la peine de mort ou la loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse. Quels sont les critères limitatifs de la norme ?

M. Thibaud Collin.  - Ce qui se joue, c'est le sens des mots, qui renvoie à un usage courant, mais pas seulement.

Le rôle du législateur, c'est de rechercher la justice, d'anticiper, d'aller éventuellement contre la pensée majoritaire.

Si l'on affirme que tout est construit, que le sacré est nécessairement lié à une vision religieuse, il n'en reste pas moins que l'ordre humain n'est pas totalement réductible à l'artifice humain. J'ai cité tout à l'heure la Déclaration des droits de l'homme qui mentionne bien des « droits sacrés ». Ceux-ci appartiennent à un ordre humain, qui n'est pourtant pas malléable à l'artifice humain.

Une législation qui abolirait la propriété s'attaquerait à un droit primordial, non pas religieux, mais « sacré ». Le législateur doit, à partir de là, inventer des normes concrètes.

La revendication des homosexuels part du présupposé que le mariage a été pensé de façon discriminatoire. Mais on ne se marie pas en tant qu'hétérosexuel mais en tant qu'homme ou en tant que femme. Certes, on procrée en dehors du mariage, certes, le divorce existe, mais est-il juste de priver l'enfant de sa double origine -même s'il est très bien éduqué par les adultes qui s'occupent de lui ? Le problème est celui de l'homofiliation. La filiation devient fondée sur la volonté des adultes et non plus sur le référent naturel. Où met-on les limites alors ? C'est le législateur qui les fixe, de façon arbitraire. Philosophiquement, cela me pose un vrai problème.

Mme Catherine Génisson.  - Quelle différence entre le couple hétérosexuel qui se tourne vers la PMA et le couple homosexuel qui y recourt également ? Pourquoi une telle différence entre ces deux couples, sauf à dire que l'origine ne se pose pas de la même façon pour les deux ? L'amour des parents n'est-il pas l'essentiel ?

M. Thibaud Collin.  - La PMA est prévue comme le traitement d'une stérilité.

La PMA avec donneur anonyme place entraîne une situation dramatique. L'enfant va devoir porter cette origine complexe. Dans le cas de la PMA pour un couple de femmes, nous ne sommes plus dans un modèle analogique, il ne s'agit plus de médecine car on ne peut plus parler de stérilité. Certes, M. Borrillo a inventé le concept de « stérilité sociale »...

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Nous l'entendrons cet après-midi.

M. Thibaud Collin.  - Vous entendrez un autre son de cloche !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Nous en entendons beaucoup !

Mme Catherine Génisson.  - Sur le don anonyme, nous nous sommes interrogés lors de la révision de la loi bioéthique, sans finalement changer les règles. Pour un couple hétérosexuel, il y a stérilité médicale. Pour les couples homosexuels, il s'agit d'une autre forme de stérilité. Je ne comprends pas que l'on dise, « tant qu'il y a l'amour, ce n'est pas un problème ». L'absence d'altérité sexuelle est un vrai problème pour l'enfant.

M. Thibaud Collin.  - Si l'on considère que l'homme et la femme sont interchangeables, c'est la quantité que l'on retient. Il faut être deux. Mais pourquoi garder ce chiffre ? Que fera-t-on quand quatre ou cinq adultes participeront à un projet parental ? L'enfant devient principe d'unité d'une convergence de volontés d'adultes. La conception d'un enfant devient un montage d'ingénierie.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Que dites-vous sur les mots, en tant que philosophe ? Y a-t-il des invariants, comme « père », « mariage », « mère » ?

M. Thibaud Collin.  - Il existe des mots essentiels.

Le sens peut être changé, manipulé, mais certains mots renvoient à ce que notre raison découvre. Cet arrangement de liens humains peut être vécu différemment dans différentes sociétés, mais ces relations humaines renvoient toutes à une réalité antérieure à la raison. Si l'on privilégie le devenir historique, on aura un autre point de vue, mais la résistance interne du réel existe. Quand on veut passer outre, cela engendre de l'injustice.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Que pensez-vous du discours anthropologique ? Mme Héritier nous a dit que les sociétés passent des compromis, les uns après les autres, et c'est ce que nous allons faire.

M. Thibaud Collin.  - Je m'en remets à sa science mais je pose à nouveau la question : tous les compromis sont-ils justes ? Certains sont déterminés par les rapports de force et ne sont pas justes. L'histoire l'a montré.

présidence de M. Jean-Pierre Sueur,président

Audition de Mme Sylviane Agacinski, philosophe

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Je remercie M. Michel d'avoir présidé nos auditions ce matin, tout en étant rapporteur. Je participais à la conférence du consensus présidée par Mme Taubira, garde des sceaux, et qui procède d'une méthodologie toute nouvelle et intéressante.

Nous avons le grand honneur de recevoir Mme Sylviane Agacinski, philosophe, qui a écrit beaucoup de livres et qui a beaucoup pensé ces questions et d'autres.

Mme Sylviane Agacinski, philosophe.  - Merci d'avoir souhaité m'entendre. C'est moi qui en suis honorée.

Je n'ai pas voulu me dérober à cette invitation, même si les dés sont jetés. Il est trop tard pour remettre en cause ce projet gouvernemental. Je vais m'en tenir à quelques aspects de ce texte. L'humilité est de mise sur un tel sujet.

La fonction traditionnelle du mariage est de construire la filiation sur la procréation ; cette institution n'est donc pas adaptée aux couples de même sexe. Le principe du mariage de personnes de même sexe s'est pourtant imposé, sans doute pour de bonnes raisons. En particulier, c'est une pleine reconnaissance par la société de l'homosexualité, une réponse à l'exigence d'engagement affectif et institutionnel entre deux personnes, y compris de même sexe. Cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux règles d'établissement de la filiation et à l'homoparentalité.

L'ancienne institution va être profondément transformée. Le mariage débouchait jusqu'à présent sur une présomption de paternité. Le principe, qui n'a pas d'équivalent pour la mère, n'aurait pas de sens dans le cadre d'un mariage de personnes de même sexe. Il paraît difficile de le supprimer, il faudra donc préciser qu'elle ne s'applique qu'aux couples de sexes différents. Dès lors que les effets varieront, il y aura deux types de mariage.

Ou alors, on applique l'idée peu sensée d'une présomption de parenté à l'épouse d'une femme et à l'époux d'un homme -comme si le lien matrimonial fondait la filiation, alors que celle-ci ne dépend plus du mariage, dans la pratique. La moitié des jeunes couples ont des enfants sans être mariés et l'on n'opère plus de distinction entre des enfants « légitimes » et « naturels ».

Les droits d'un enfant tiennent donc à l'établissement d'une filiation civile -que les parents aient conçu, reconnu ou adopté cet enfant. La valeur fondatrice véritable de la famille est donc la filiation, le mariage est accessoire. Le couple peut toujours se défaire, mais les relations filiales sont irrévocables. La sécurité des enfants ne dépend heureusement pas de l'amour ou de la sexualité des parents, mais de la filiation établie.

Un beau-parent peut apparaître au sein des familles recomposées. Il y a la délégation partielle de l'autorité parentale. Faut-il aller au-delà ? Les couples aujourd'hui ne sont pas forcément stables, chacun le constate autour de lui. Est-il de l'intérêt des enfants que l'on assimile par l'adoption les beaux-parents aux parents ? Il n'est pas certain qu'un beau-parent, en cas de séparation, garde avec l'enfant le même lien que le parent.

Sur quoi repose la filiation ? Celle-ci n'est pas une forme vide. Elle se réfère à la réalité du rapport entre générations, qui repose sur la procréation bisexuée, laquelle représente l'interdépendance des sexes. Établir la filiation, c'est aussi poser la responsabilité des auteurs -sauf, jadis, pour les enfants dits illégitimes. La filiation s'établit, pour les mères par l'accouchement, pour les pères par le mariage ou par la reconnaissance. La paternité n'est pas l'équivalent masculin de la maternité.

Cette dissymétrie est conservée dans l'adoption, sauf dans le cas des célibataires. Jusqu'à présent, ce modèle est resté en vigueur. L'acte de naissance en témoigne. L'enfant est né de ses parents. La filiation civile prend appui sur la procréation réelle. Le principe de responsabilité des parents est reconnu. Le philosophe Hans Jonas, dans Le principe responsabilité, voit en la responsabilité des parents l'archétype de la responsabilité.

Or, avec la PMA, on a créé de toutes pièces une irresponsabilité du géniteur, donneur anonyme non d'une substance comme le sang, mais de la vie même : quel paradoxe dans nos sociétés modernes !

L'adoption est une procédure seconde, qui dépend d'un jugement ; et les parents adoptifs suppléent les parents manquants, s'ajoutent à eux. La distinction entre adoption plénière et adoption simple est très importante.

L'adoption conjointe ou l'adoption des enfants du conjoint reproduit la structure traditionnelle de la parenté, asymétrique et sexuée. Ce modèle n'est ni logique, ni mathématique : ce n'est pas 1+1. C'est un modèle biologique et donc qualitatif : un homme et une femme, qui ne sont pas interchangeables. C'est pourquoi les parents sont deux et forment un couple, non pas hétérosexuel, mais mixte. Ce schéma serait remis en cause par l'adoption par des conjoints de même sexe.

Il n'est en rien question ici, est-il besoin de le préciser, de compétence ou de capacité des parents à aimer et élever les enfants : cela serait déplacé et injurieux. Je ne parle pas non plus de la psychologie de l'enfant, uniquement de structures de filiation.

Pour revenir à l'adoption de l'enfant du conjoint, elle vise à donner un père à un enfant qui n'en a pas -ou une mère, mais cela est beaucoup plus rare. Mais jamais le père et la mère ne se remplacent l'un l'autre. Or, dans l'adoption par un couple homosexuel, la structure change : un père est ajouté à un père, une mère à une mère. Autrement dit, un père remplace une mère, une mère remplace un père.

Les homosexuels sont loin de vouloir tous instituer un nouveau modèle. Le livre d'Éric Dubreuil, Deux parents du même sexe, en témoigne : plus de la moitié des personnes qui témoignent ne défendent pas cette logique. Marc déclare : « Je n'ai pas pensé une seconde que j'aurais pu avoir un enfant sans mère », Camille refuse de « faire l'impasse sur le père », etc.

Le cas d'adoption par les célibataires, qui a été admis après la guerre de 14-18 en raison du grand nombre d'orphelins, ne modifie en rien ce schéma. Le parent célibataire est père ou mère, pas neutre ni indifférent. La monoparentalité adoptive résulte d'une situation de fait, orphelins, père inconnu... Soit dit en passant, on n'ignore jamais qui est la mère, ce qui est une dissymétrie de plus.

Il n'y a pas là abandon du schéma classique père-mère. L'adoption plénière par un conjoint de même sexe, en revanche, institue un schéma complètement nouveau et crée un double régime de filiation, l'un reposant sur la procréation, l'autre sur la volonté de deux personnes de même sexe de construire un couple parental et qui ne comprenne pas le parent de l'autre sexe -même s'il faut de ce fait recourir à des suppléants anonymes, via la PMA. Un tel projet d'homoparentalité posera la question du rôle de la médecine procréative : jusqu'à présent, elle traitait les cas d'infertilité ; elle aurait désormais un nouveau statut.

Sur ce nouveau principe de filiation, Mme Bertinotti parle de filiation homosexuelle et hétérosexuelle -et non de filiation maternelle ou paternelle. On parle aussi de parents lesbiens et de parents gays. Le couple père-mère disparaît. Ce n'est plus le sexe qui fait le parent, mais la sexualité. Cette conception conduit à définir le couple parental comme homosexuel ou hétérosexuel (et non pas mixte). Ce ne seraient plus les hommes et les femmes, mais des hétérosexuels ou des homosexuels, qui seraient parents. Or bien des pères ou mères homosexuels ne se sont jamais vécus comme des « homoparents » ! Il me semble que l'orientation sexuelle n'abolit pas la distinction des sexes, sauf à épouser la théorie queer du genre.

La construction de la parenté sur la volonté s'inspire de deux modèles : la paternité traditionnelle, volontaire (la « reconnaissance ») et la notion de « parent d'intention » construite par une cour de Californie à l'occasion d'un conflit dans un cas de maternité pour autrui. La Cour a qualifié de « parents intentionnels » les parents qui ont eu recours à une mère porteuse. Ce nouveau concept juridique est une conséquence de la GPA : nous voilà déjà pris dans une construction biotechnologique...

La paternité est un titre, la maternité renvoie à un état. Une femme ne peut pas reconnaître en droit l'enfant porté et mis au monde par une autre, mais seulement l'adopter.

L'adoption plénière par une femme de l'enfant de sa conjointe, telle que le projet de loi l'autorise, ferait coexister deux maternités, en détachant la maternité de l'accouchement, ce qui aurait des conséquences importantes par rapport au droit actuel. C'est du reste une demande explicite et ancienne des partisans de l'homoparentalité. L'inquiétant dans ce détachement, c'est qu'il mène tout droit aux mères porteuses, pour les couples mixtes ou gays.

Il me paraît qu'il faut conserver pour la filiation de tous les enfants un père et une mère, qui ne sont pas interchangeables, auxquels s'ajoutent des parents (adoptifs) et beaux-parents, avec une délégation de l'autorité parentale, en limitant l'adoption par le conjoint à une adoption simple.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Merci pour votre exposé qui est d'une grande clarté. Il est très agréable de suivre votre pensée.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - En effet. Laquelle pensée a évolué, depuis une quinzaine d'années.

La maternité est aujourd'hui déjà détachée de l'accouchement, puisque la GPA existe, même si elle est interdite en France. Elle est autorisée dans des pays non exotiques, comme la Belgique ou la Grande-Bretagne...

Les grossesses ex utero ne seront plus demain une fiction...

Mme Sylviane Agacinski.  - Que voulez-vous dire ? Dans un utérus artificiel ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Oui, dans une poche, une couveuse...

Mme Esther Benbassa.  - Ce n'est pas possible.

Mme Sylviane Agacinski.  - Peut-être le souhaitez-vous, mais c'est impossible, selon les scientifiques eux-mêmes. L'utérus artificiel n'existe pas, et n'existera pas avant longtemps. L'échange entre l'embryon et tous les organes de la mère, à commencer par le cerveau, est infiniment complexe. Un embryon de mammifère ne survit pas au-delà de quelques jours en milieu artificiel.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Cela nous éloigne d'un monde inquiétant à la Huxley.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Il n'y en a pas moins des réalités qui existent aujourd'hui. Si le législateur ne fait rien, elles seront encore plus extravagantes et illégales. Une mère portera un enfant pour sa fille qui n'a pas d'utérus, par exemple...

Mme Sylviane Agacinski.  - Un très bon documentaire a été réalisé dans les années quatre-vingt sur le cas de deux soeurs, dont l'une avait porté et « donné » un enfant à sa soeur, d'un commun accord. Certes, il y a là une garantie absolue de non marchandisation. La loi devrait-elle cadrer cela ? Qu'une soeur puisse faire un enfant pour sa soeur placerait celle qui peut procréer en situation d'autoriser sa soeur à être mère ou de le lui interdire. C'est énorme. C'est une sorte d'inceste du second type, dirait Françoise Héritier. Que cela arrive est une chose, que cela soit légitimé par la loi en est une autre !

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - On entend beaucoup l'argument selon lequel une réalité et une législation existent ailleurs, ce qui nous imposerait de suivre. On ne peut recevoir cet argument, sauf à envisager de fermer cette maison ! Il nous revient de faire la loi française selon nos principes.

M. Dominique de Legge.  - Sages paroles, Monsieur le président.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Il y a tant de familles recomposées, monoparentales, adoptives, homoparentales. Nous connaissons des enfants qui grandissent et vivent avec deux hommes ou deux femmes.

Mme Sylviane Agacinski.  - C'est de la recomposition et pas de l'homoparentalité.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Des enfants ont deux parents de même sexe et qui s'aiment. Pour que ces enfants soient juridiquement à l'abri, à égalité avec les autres, quel cadre législatif établir, si ce n'est par le mariage et l'adoption ?

M. Dominique de Legge.  - Argument qui revient souvent : « ils s'aiment ». Je célèbre des mariages dans ma commune, je n'ai vu nulle part dans le code civil une référence à l'amour. Si l'argument est l'amour, déposons un amendement pour prévoir que l'officier d'état civil devra vérifier la matérialité de l'amour.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Il faudrait, pour respecter l'objectif constitutionnel d'intelligibilité de la loi, que vous proposiez une définition de l'amour...

Mme Sophie Agacinski.  - La question de la GPA est la plus grave. Qu'elle soit ou non pratiquée ailleurs, elle me paraît intolérable et incompatible avec le droit français et ses principes.

Ces familles que vous évoquez existent, mais on ne peut les assimiler à des familles homoparentales, comme si elles étaient instituées comme telles. Des familles de fait font vivre ensemble des parents et des enfants nés hors de cette union. Le conjoint a un rôle important auprès de l'enfant de l'autre. Il serait bon de créer un statut pour lui, comparable à celui de beau-parent, afin qu'il puisse accomplir des actes : la délégation d'autorité parentale existe, elle pourrait être renforcée, sans aller trop loin.

Dans les générations actuelles, l'instabilité des couples est flagrante. Peut-on supposer qu'un couple de même sexe serait moins instable qu'un autre ? Je ne le pense pas. N'allons pas créer un système d'empilement de beaux-parents successifs, tous dotés des mêmes droits !

Effectivement, l'amour n'a jamais eu de conséquence juridique. On appelait autrefois « enfants de l'amour » ceux nés hors mariage. Malgré tout, la réalité des couples repose aussi sur l'amour. Le mariage dit pour tous implique la reconnaissance de cet amour, en cela j'y étais favorable.

Je m'étonne que la PMA revienne toujours dans le débat, comme un serpent de mer, depuis les années quatre-vingt, alors qu'ont été votées les lois bioéthique successives. La réflexion a été ouverte plusieurs fois, chaque fois elle a trouvé une même conclusion, sous quelque majorité politique que ce soit. Au sein du parti socialiste, 99 % des personnalités ont signé des textes contre la marchandisation du corps, considérant que le ventre d'une femme, la vie d'une femme, ne sont pas à louer -car, qu'on le veuille ou non, il y a salaire, qu'il se nomme « indemnité raisonnable » ou « dédommagement ». Le parti socialiste, y compris MM. Hollande et Ayrault, a voté une motion contre, le comité directeur s'est prononcé sans ambiguïté. Il y a eu des rapports du Comité consultatif national d'éthique, des prises de position par les académies. Et à chaque fois, on a conclu au refus de porter atteinte à la dignité des personnes et de leur corps. Comment se fait-il alors que cette question ressurgisse toujours ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Si on ouvre la PMA aux couples de femmes, que fera-t-on pour les couples d'hommes ?

Mme Sylviane Agacinski.  - On est dans une confusion intellectuelle entre l'égalité et l'identité ou la similitude. Il y a des cas où la distinction est pertinente : pour la procréation, mais aussi pour le sport, par exemple. Le traitement en droit diffère aussi selon l'âge, je pense aux droits à la retraite, qu'un jeune ne peut libérer. Je suis très réservée sur l'accès à l'insémination pour les couples de femmes, comme sur l'anonymat des dons de gamètes. Aujourd'hui, on peut acheter du sperme sur Internet. On n'empêchera probablement pas des femmes célibataires, qui prendraient de grands risques d'ailleurs, de recourir à du sperme anonyme. Qu'une femme ait un enfant sans compagnon n'est cependant pas identique à l'usage d'une mère porteuse par un couple masculin ! On invoquera l'égalité, bien sûr, mais ce sera un argument infondé. Je fais la distinction entre le don de sperme (indépendamment des conséquences psychologiques pour l'enfant) et le recours à la mère porteuse qui implique de se servir de la personne humaine comme d'un moyen. On ne peut pas, au nom d'une égalité fictive qui ne repose sur rien, abolir des principes fondamentaux du droit.

Mme Gisèle Printz.  - Je suis entièrement d'accord avec ce que Mme Agacinski vient de dire.

M. Dominique de Legge.  - Vous n'êtes pas la seule !

Mme Dominique Gillot.  - Il est très important d'aller plus loin dans la définition de la PMA, qui recouvre une gradation complexe de situations très différentes.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Il me reste à vous remercier très sincèrement au nom de notre commission des lois.

Audition de Mme Claire Neirinck, professeur à l'Université de Toulouse I Capitole

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi quatre professeurs de droit : il était indispensable d'aborder le mariage pour tous sous l'angle juridique.

Toulouse 1 Capitole est une très belle université...

Mme Claire Neirinck, professeur à l'Université de Toulouse I Capitole.  -  La plus grande de province et la plus ancienne !

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - ...où ont étudié d'innombrables gens célèbres, comme Etienne Dolet...

Mme Claire Neirinck.  - Et Cujas !

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - ...brûlé place Maubert avec tous ses livres.

Mme Neirinck est spécialiste du droit de la famille ; elle a écrit de nombreux livres, dont « La famille que je veux, quand je veux ? ». Le point d'interrogation n'est pas neutre !

Vous avez également participé aux États généraux du mariage organisé à l'Université de Toulouse en 2007.

Mme Claire Neirinck.  - Merci de votre invitation. J'ai beaucoup hésité à venir ; j'ai été auditionnée par l'Assemblée nationale, mais je n'ai pas eu le sentiment d'être écoutée ! Mais je suis venue, car le sujet est grave : de tous les liens du droit, les liens familiaux sont les plus importants. Il faut que la famille soit forte !

Le droit de la famille est fondé sur l'alliance et la filiation. Le mariage, étymologiquement, c'est l'accord de la femme d'être la mère des enfants de l'époux. On sait toujours qui est la mère, y compris avec la gestation pour autrui (GPA), mais jamais qui est le père parce que la mère peut entretenir des relations sexuelles avec plusieurs hommes : filiation et mariage sont indétachables. Aujourd'hui, encore, pour le père, on se contente du vraisemblable : c'est la présomption de paternité. Le mariage a beaucoup évolué, il est même en déclin : il naît plus d'enfants hors du mariage que dans le mariage. Aujourd'hui, tous les enfants sont traités de la même manière ; si l'amant reconnaît l'enfant avant le mari, ce sera lui le père.

En 2009, vous aviez donné la primauté à la filiation sur le mariage ; en 2013, vous faites l'inverse. Il faut être cohérent. Dans la famille biologique, l'enfant a deux lignes d'ascendants ; là, vous aurez une seule ligne d'ascendants. Si on ouvre uniquement le mariage aux homosexuels, il n'y a pas grand-chose à changer, puisque la présomption de paternité ne concerne pas les homosexuels. En accordant le mariage et la filiation, vous changez la donne ; ce faisant, vous bouleversez toutes les règles de la filiation, de la procréation médicalement assistée (PMA), de l'état civil et de la parenté, bref tout le droit de la famille. Une telle réforme ne peut être votée dans la précipitation !

D'abord, vous changez la règle de la filiation. Premier problème : il n'y a plus d'enfants à adopter : en octobre 2012, Le Monde indiquait que le nombre d'adoptions internationales avait chuté de 4 000 en 2005 à 1 500 en 2012 ; de plus, de nombreux pays refuseront de donner des enfants à des couples homosexuels. Deuxième problème : dans l'adoption plénière, l'acte de naissance d'origine de l'enfant est annulé ; le jugement d'adoption est retranscrit et devient l'état civil ; dès lors, à terme, vous devrez repenser l'adoption, car vous supprimez la différence entre adoptions plénière et simple. L'adoption de l'enfant du conjoint semble plus facile mais elle pose de nombreux problèmes. D'abord, aux termes de l'article 345-1 du code civil, l'adoption est interdite si l'enfant a déjà deux parents. Si l'enfant n'a qu'un parent, l'adoption de l'enfant du conjoint est possible, mais vous créez une discrimination... Vous accordez l'adoption de l'enfant du conjoint, mais comment le premier parent l'est-il devenu ? Par la fraude à la loi...

La PMA est un palliatif à l'infertilité ; elle est donc réservée aux couples hétérosexuels. Si vous admettez qu'une femme accède à un don de sperme anonyme, vous changez le fondement de la PMA : soit c'est de convenance pour tout le monde, soit pour personne ! Et quid des donneurs ? Actuellement, ce sont des militants : c'est une solidarité entre hommes. Croyez-vous que beaucoup de donneurs vont donner à des couples de femmes ? Allez-vous faire payer le sperme ? Voulez-vous créer deux filières ? C'est pour cela que les CECOS sont contre la réforme...

La filiation, dans la PMA actuelle, résulte de la présomption mais laisse jouer l'apparence de la procréation. Comment allez-vous gérer la conséquence de la réforme ? Désormais, toutes les femmes seules vont pouvoir y avoir accès... La GPA est la plus inacceptable : si vous accordez le don de sperme aux femmes seules, vous serez obligés d'accepter la GPA ! L'Espagne était opposée à la GPA ; elle a accepté le don de sperme aux femmes seules, puis le mariage homosexuel : les homosexuels demandent maintenant, au nom de l'égalité, l'accès à la GPA... L'Espagne n'est pas hypocrite : elle ne sait pas sortir d'un guêpier dans lequel nous ne devrions pas nous fourrer. La GPA n'est pas de la générosité, mais la pire exploitation, un nouvel esclavage ! Sylviane Agacinski a raison, c'est la mainmise de l'homme sur le ventre de la femme. La GPA ne peut être un don, lequel implique le détachement. Là, vous ne pouvez détacher la gestation de la mère ; il n'y a que l'enfant qui est donné. Juridiquement, c'est un contrat d'entreprise : deux personnes s'engagent, l'une à fournir un service, l'autre à le payer. La GPA, c'est l'exploitation des plus pauvres ; voilà pourquoi les tribunaux ont toujours condamné des paternités frauduleuses. C'est d'ailleurs sur ce fondement que le ministère public a refusé des reconnaissances qui correspondaient à la vérité biologique d'hommes qui étaient allés à l'étranger payer une mère porteuse en leur disant : « Vous avez acheté l'enfant, c'est donc une paternité frauduleuse, bien que vous en soyez le géniteur. »

Vous bouleversez le droit de la famille au profit d'une minorité. C'est extrêmement grave ; si vous le faites, prenez au moins le temps de la réflexion !

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Vous êtes parfaitement claire. Le Sénat n'a pas encore examiné ce projet qui ne deviendra loi qu'au terme du processus prévu par la Constitution... Le vote du Sénat ne sera sans doute pas conforme à celui de l'Assemblée nationale ; il y aura donc une nouvelle lecture, puis une commission mixte paritaire : il est donc utile de venir s'exprimer devant nous.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Merci pour la clarté de votre exposé. La question du mariage homosexuel me paraît politiquement réglée. Vous posez le problème différemment : faut-il faire autre chose ? A l'évidence, une réforme de l'adoption est nécessaire. Selon le Gouvernement, le texte est justifié par l'égalité ; or celle-ci, semble-t-il, implique la GPA.

Que faire pour répondre à la demande des homosexuels d'être mariés ? Que faire pour les filiations qui existent déjà ?

On peut être hostiles à l'extension de la PMA, mais faut-il laisser la fraude s'installer ?

Mme Claire Neirinck.  - La circulaire de Mme Taubira, qui fait toujours référence à l'article 47 du code civil, ne règle aucun problème... Si vous faites droit à la GPA en disant que la mère porteuse n'est pas la mère, sur quoi allez-vous fonder la maternité ?

Le seul point d'ancrage de la filiation, c'est la maternité. Le père, c'est celui qui a eu des relations sexuelles avec la mère ; la mère, c'est celle qui accouche. Si la femme qui accouche n'est rien, sur quoi sera fondée la maternité ? Sur la présomption, sur une fiction. Ou bien sur un désir qui va et vient ? On ne peut pas dire que la filiation devient de l'autorité parentale. Ou alors, et c'est ce qu'a dénoncé Mme Mirkovic, tout est possible, comme aux États-Unis, où un enfant peut avoir quatre parents... Pour l'enfant, la filiation doit faire sens, même si elle n'est pas vraie biologiquement.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Nous en avons beaucoup parlé avec les psychiatres.

Mme Claire Neirinck.  - La GPA n'est admise que dans les pays « marchands », dans lesquels les contrats dominent la vie. Mais peut-on établir une filiation par contrat ? Moi, cela me choque ; si la filiation résulte du contrat, vous faites entrer l'enfant dans la société marchande. C'est peut être la modernité de faire de l'enfant un bien de consommation comme un autre, mais ça me révulse en tant que mère et grand-mère !

Que faire des enfants qui sont déjà là ? L'adoption simple est possible lorsqu'un enfant est devenu majeur, puisqu'elle n'est subordonnée qu'à son consentement. Un enfant élevé par sa mère et une autre femme, à sa majorité, aura plaisir à être adopté par cette femme : ce sera la reconnaissance de l'affection qu'il lui porte. Mais c'est lui qui le demandera, cela ne lui sera pas imposé.

Tous les instruments existent pour gérer les situations existantes : délégation d'autorité parentale, tutelle testamentaire par exemple... Mais on ne veut pas les utiliser car on demande autre chose.

M. Jean-René Lecerf.  - 'étais favorable au remplacement du mariage par l'union civile, mais il est trop tard... Demain, le mariage sera ouvert à tous. Où s'arrêter, pour éviter des bouleversements catastrophiques ? La jurisprudence donne une certaine souplesse : les homosexuels pourraient en bénéficier.

Les parlementaires connaissent mal les instruments permettant de gérer les enfants de couples de parents de même sexe. Ces enfants existent déjà, et il y en aura toujours !

Comment protéger le conjoint ?

M. Philippe Darniche.  - Vous avez dit ce que vous pensiez sur la GPA et la PMA. Les représentants des associations d'homosexuels ne doutent pas que le mariage pour tous soit voté, mais affirment qu'il s'agit d'une étape et qu'il faut aller au-delà : le mariage homosexuel devient-il alors acceptable ? Mme Agacinski nous a dit ce matin qu'il y a des limites à l'application systématique du principe d'égalité ; où est l'égalité ?

Mme Catherine Tasca.  - Vous avez souligné que le recours à la GPA est autorisé dans des pays où le contrat domine. Les GPA actuelles entreront dans la logique de tels contrats. Jusqu'où le contrat peut aller quand il s'agit du vivant ? Je ne suis favorable ni à la PMA hors nécessité médicale, ni à la GPA. Mais comme le train est parti, jusqu'où peut aller le contrat ?

Mme Claire Neirinck.  - Monsieur Lecerf, les couples qui ont déjà des enfants ont fraudé ; ils l'ont fait en connaissance de cause. Il est malhonnête de leur part de dire que comme ces enfants sont là, il faut les aider. Ils ont pris le risque en connaissance de cause ; pourquoi légaliser la fraude ? J'y suis totalement opposée.

Le droit ne doit pas suivre le désir des gens mais en limiter la folie. Il pose des limites.

Si vous autorisez la GPA, il devient inutile de réformer l'adoption car plus personne n'adoptera. Pourquoi s'embêter à demander un agrément et à attendre cinq ans pour avoir un enfant avec six doigts ou un bec de lièvre, alors qu'avec la GPA, vous avez l'enfant qui vous convient ? Et s'il a une anomalie, il suffira de faire avorter la mère porteuse...Est-ce le monde que vous voulez ?

Le problème, c'est la limite.

Il y a le piège de l'égalité. Lors de la loi bioéthique, on a parlé du don de sperme et très vite du don de gamètes. Or, ce n'est pas la même chose : il n'y a pas égalité entre le sperme et les ovocytes : ainsi, que je sache, la récolte des ovocytes est faite de façon chirurgicale, pas celui de sperme. Maintenant, Mme André écrit dans son rapport que la GPA, c'est un peu plus que le don d'ovocyte...Non : l'égalité, c'est de traiter de façon identique des choses identiques.

Un couple qui se reproduit n'est pas identique à un couple qui ne peut pas se reproduire. L'égalité consiste à traiter également des situations identiques. Ce n'est pas le cas ici.

Le code civil, dans son article 1128, dit que seules les choses qui sont dans le commerce peuvent faire l'objet de conventions. Que je sache, en France, la maternité ne peut ni se vendre ni s'acheter. Mais si vous autorisez la GPA, la filiation peut rentrer dans le contrat. Dans les pays où cela est pratiqué, comme c'est l'accouchement qui fait la mère, la mère figure sur l'acte de naissance, mais elle renonce à ses droits parentaux par contrat et le juge qui a validé ce contrat ordonne à l'officier d'état civil d'inscrire le nom du bénéficiaire.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Ce matin, nous avons entendu les représentants des familles adoptantes. Quasiment toutes ont connu un passage médical, souvent douloureusement vécu, ce qui ne les a pas empêchées d'adopter. Cela relativise vos prédictions sur l'avenir de l'adoption.

Mme Claire Neirinck.  - Oui, mais dans la législation actuelle. Le jour où la GPA sera permise, la question se posera dans des termes différents. Je connais la situation actuelle pour avoir été longtemps membre du conseil de famille des pupilles de la Haute-Garonne ; le premier choix des couples n'est pas d'adopter ; mais quand tous les couples pourront faire leurs propres enfants, il n'y aura plus d'adoption : on achètera l'enfant.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Merci pour votre contribution très claire et très engagée.

Mme Claire Neirinck.  - Quand on est citoyen, il faut s'engager.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Ce n'était pas un reproche.

Audition de M. Daniel Borrillo, maître de conférences en droit privé à l'Université Paris Ouest et membre du centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Nous recevons M. Borrillo, maître de conférences en droit privé à l'Université de Paris Ouest. M. Borrillo est engagé depuis longtemps dans la lutte contre l'homophobie. Avec Didier Eribon, il a été à l'initiative du Manifeste pour l'égalité des droits et publié de nombreux ouvrages sur l'homosexualité, dont Homosexualité et discrimination en droit privé et Le droit des sexualités.

M. Daniel Borrillo, maître de conférences en droit privé à l'Université Paris Ouest et membre du centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux.  - Merci de m'accueillir. Je suis également chercheur associé au CNRS et j'ai travaillé en Espagne où le mariage a été ouvert aux couples de même sexe en 2005 ainsi qu'en Argentine, mon pays d'origine, où il a été adopté en 2010.

Après l'abolition de l'esclavage, l'ouverture du droit de vote aux femmes, l'égalité des droits des enfants nés hors mariage, l'abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l'homosexualité, on assiste à une nouvelle étape pour une société plus juste et plus égalitaire.

En 1791, le crime de sodomie fut supprimé. La France devient terre d'accueil de nombreux homosexuels illustres : Oscar Wilde, Klaus Mann, Romaine Brooks... Ce projet de loi permettra de se réconcilier avec le droit révolutionnaire, notamment avec l'article 7 de la Constitution de 1791 selon lequel la loi ne considère le mariage que comme un contrat civil.

Je suis favorable à cette future loi, qui améliore la liberté et l'égalité des conjoints tout en renforçant la protection des enfants.

D'abord, une mise en perspective historique : cette loi apparaît dans le contexte de l'épidémie de VIH. Contrairement à d'autres pays, les hautes instances judiciaires françaises ont été réticentes à élargir les droits familiaux aux couples de même sexe. Le Pacs avait réglé en partie la question. Après le mariage de Bègles, la Cour de cassation a jugé le 13 mars 2007 que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, et le Conseil constitutionnel a estimé le 28 janvier 2011 dans une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que le refus de mariage pour un couple de même sexe n'était pas discriminatoire.

Contrairement au Pacs, issu d'une proposition de loi, le « mariage pour tous » résulte d'un projet de loi qui montre l'intérêt que le président de la République porte à la question. Ce texte modifie essentiellement le code civil mais aussi des lois relatives au conjoint et à la filiation.

Le procureur général Baudoin, dans un arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 1903, fait du mariage « l'union des âmes et des volontés » : cette conception asexuée du mariage est enfin entérinée.

Faut-il maintenir la notion de père et mère ? Je n'y suis pas favorable. Ce qui est intéressant juridiquement, c'est la fonction parentale, et non la dimension sexuée des sujets de droit : je ne vois pas de différence juridique entre les hommes et les femmes vis-à-vis des engagements familiaux ; le combat des femmes a permis de montrer que la parenté est une fonction. Le mariage est une égalité de droits, mais aussi d'obligations : devoir de fidélité, devoir de communauté de vie, contribution de charge, éducation des enfants...

Ce projet de loi va régler des problèmes de droit international privé : les mariages conclus à l'étranger seront considérés comme valables.

Sur le plan vertical, l'égalité suppose l'accès à toutes les formes de filiation pour tous les couples, ce qui comporte l'accès à la PMA, à la filiation adoptive.

Si la logique égalitaire s'impose pour le couple, le projet de loi ne prévoit l'accès à la parenté qu'à travers l'adoption. Ainsi, deux lesbiennes mariées ne pourront pas bénéficier de la PMA. Cette limitation est problématique, car elle instaure une discrimination entre les couples mariés. La France est le seul pays à considérer la PMA non comme un droit subjectif, mais comme un acte médical, palliatif à la stérilité du couple ou moyen d'éviter la transmission d'une maladie grave. Il s'agit d'une fiction juridique car un couple est rarement stérile : la plupart du temps, seul l'un des deux conjoints l'est.

La PMA constitue une démission du politique en faveur de ce que Dominique Memmi appelle le magistère biomédical. La loi bioéthique de 1994 promeut un agencement familial particulier : le couple parental hétérosexuel en âge de procréer, l'intérêt du futur enfant étant d'avoir un père et une mère et des liens biologiques avec les personnes remplissant ces tâches sociales. Ces valeurs décrites comme naturelles sont à l'origine de l'inclusion de la PMA parmi les services fournis par le système de santé publique ; elles sont à la base de la règle selon laquelle seuls un homme et une femme stériles en âge de procréer peuvent recourir à ces méthodes, contrairement à l'adoption dont peut bénéficier une seule personne.

La PMA relève d'une question de santé publique : elle permet en effet de pallier la stérilité mais aussi d'éviter la transmission d'une grave maladie à l'enfant ou au conjoint ; cette réforme aurait pu être l'occasion de mettre un terme aux procréations artificielles artisanales pratiquées par les personnes qui ne peuvent accéder légalement à cette technique.

Mais au-delà de l'égalité, sur le plan horizontal, cette réforme aurait pu être l'occasion de revenir sur la conception du mariage comme alliance entre deux familles et non pas entre deux personnes. Pourquoi ne pas réfléchir, comme en Espagne à une réforme globale du mariage, en repensant la présomption de paternité ou l'obligation de fidélité, contrepartie de la présomption de paternité ? Le droit canonique prône la fidélité, pas le droit civil...Pourquoi ne pas déjudiciariser les divorces, comme cela avait été proposé par Mme Guigou ou Mme Taubira ?

La séparation de corps aurait également mérité qu'on y revienne. Sur le plan vertical, on aurait pu donner une assise juridique aux liens unissant l'enfant au tiers qui l'élève en créant par exemple un statut du co-parent ayant des effets juridiques, comme par exemple un droit de visite en cas de séparation.

Il aurait aussi fallu ouvrir l'adoption aux couples pacsés, assumer une conception de la filiation fondée sur la volonté, faciliter les démarches administratives en matière d'adoption, mettre fin à la présomption de paternité ; depuis la réforme de 1972, l'appréciation de paternité a été affaiblie. Pourquoi la ressusciter aujourd'hui ?

En cas de décès du conjoint, la femme peut donner l'embryon à la science, le donner à un autre couple ou le faire détruire, mais en aucun cas se le faire implanter. Là encore, il aurait fallu revenir sur ces problématiques.

Je suis également favorable à l'accès à la GPA pour tous les couples, comme l'avait proposé un rapport du Sénat en 2008 pour les couples hétérosexuels... Une réflexion doit être engagée sur la liberté de procréer, pour sortir de l'idéologie qui prétend que toute GPA constitue une marchandisation du corps de la femme. Voyez l'exemple anglais.

Pour les couples binationaux, il faut aussi améliorer la situation en mettant fin à l'inquisition juridique visant à vérifier la communauté de vie effective des époux.

Beaucoup de ces questions devraient être abordées dans la loi famille, à moins que vous n'en décidiez autrement.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Merci de votre exposé, qui était, comme le précédent, engagé.

M. Daniel Borrillo.  - Je le prends comme un compliment.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Comme l'a dit M. Darniche à Mme Neirinck, je vous remercie de votre exposé, qui correspond à ce que je pense.

Ce matin, nous avons entendu les associations concernées par l'adoption qui nous ont fait part de leur expérience, n'ont porté aucun jugement de valeur et qui ont souligné les difficultés pratiques qui peuvent se poser. Nous en avons conclu que le Parlement devra réviser très rapidement sa législation relative à l'adoption nationale et internationale.

Comme vous êtes parfaitement bilingue et spécialiste des droits français et hispanique, pouvez-vous nous dire comment cela se passe en Espagne et en Argentine ? Ces pays sont-ils entraînés dans une spirale mortifère ? Comment ont-ils réglé la question de la filiation ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - J'avais le même type de questions. J'ai apprécié votre jugement sur la PMA différent de ce que l'on a pu entendre jusqu'à présent.

La PMA n'a jamais guéri la stérilité des couples : elle règle simplement les problèmes d'infertilité. Doit-elle faire partie d'un projet de loi sur la famille ou sur la santé publique? Vous avez ouvert de nombreuses portes ; le chantier parait immense : mieux vaut régler les questions une par une.

Je travaille sur la question de la trans-identité et la loi argentine est montrée comme un modèle. Où sont les clivages ?

M. Daniel Borrillo.  -  L'Espagne et l'Argentine n'ont pas dissocié mariage et filiation. En Espagne, une loi de 1987 a permis la PMA pour les femmes seules. La situation est donc moins crispée. En Argentine, il n'existait pas d'interdiction des contrats de mère porteuse. La tolérance était la règle et une loi libérale a ensuite été votée.

Les deux pays ont traité de la filiation à partir du projet parental et du droit des parents. Comme il y a un droit à la non-procréation, avec la contraception et l'IVG, il y a un droit à la procréation, avec la PMA dans un projet parental responsable. Il s'agit d'encadrer des pratiques existantes, sans faire intervenir les médecins : le choix du type de famille relève de choix privés. Ne sont restés que les arguments moraux et religieux et les débats ont été vifs entre l'Etat et les religions.

M. Jean-René Lecerf.  - Vous semblez appréhender le mariage comme un acte contractuel quasi banal.

Mais le mariage est aussi une institution : les contrats se passent chez le notaire portes fermées, mais le mariage en mairie à portes ouvertes, car il entraîne des conséquences sur la famille des uns et des autres, sur les enfants nés et à naître, sur la société. La banalisation contractuelle du mariage entraîne une banalisation des PMA, que vous semblez souhaiter. Le droit français interdit le saucissonnage des marchés publics mais pas de la loi. Un futur texte sur la famille paraîtra sans doute sur la PMA. Sa banalisation entraînera-t-elle inéluctablement la banalisation de la GPA ?

Mme Catherine Tasca.  - Vous estimez que la filiation fondée sur la volonté doit se substituer à la filiation biologique.

D'après vous, la présomption de paternité n'a plus grand sens. Quid du droit des femmes ? Beaucoup de femmes cherchent à faire reconnaître la paternité de leurs enfants quand le géniteur se dérobe à ses responsabilités. Qu'en pensez-vous ?

M. Daniel Borrillo.  -  La question de la volonté est très compliquée. J'écris en ce moment un ouvrage sur ce sujet. J'ai le sentiment que prévaut aujourd'hui une conception plus biologiste que volontariste de la filiation. Selon moi, il n'y a pas de liens plus forts, plus stables, plus sûrs, que les liens qui résultent de la volonté.

En matière de procréation, la femme peut imposer une paternité mais la mère a droit à l'interruption volontaire de grossesse, à l'abandon d'enfant par l'accouchement sous X. Il y a donc une dissymétrie des droits entre hommes et femmes. Il faudrait donc revenir sur ces questions. Il ne faut pas nous engager dans le biologique pour créer un lien de filiation : on peut complètement dissocier procréation et filiation. Si l'enfant n'est pas souhaité, il n'aura pas des parents aimants.

En 1972, la notion de présomption de paternité a été affaiblie. Mon directeur de thèse, Daniel Huet-Weiller a d'ailleurs écrit un article remarquable à ce propos : Requiem pour une présomption moribonde. Banalisation du mariage, dites-vous ? Il faut en revenir à la conception contractuelle et civiliste du mariage, comme sous la Révolution. C'est le consentement qui fait le mariage mais pas la consommation, la copula carnalis du droit canonique. Ce n'est pas le corps qui importe mais la dimension spirituelle et psychologique. Pour moi, le mariage est un contrat intuitu personae par excellence, ce qui implique une responsabilité plus grande.

Le projet de loi ne va pas banaliser le mariage. En 1975, le divorce par consentement mutuel a été voté. La possibilité de rompre le lien matrimonial du seul fait de sa volonté existe donc depuis bien longtemps : on peut dire aujourd'hui que le mariage est plus un acte du droit civil commun qu'une institution.

Une partie de l'opposition semble remettre en cause la PMA ; elle existe depuis 1994, et la seule question est de savoir si on peut l'ouvrir aux couples de femmes. On ne peut revenir sur des lois, que ce soit la PMA ou le divorce, ni rendre le mariage pour tous responsable de problèmes qui n'ont pas été réglés il y a vingt, trente ou quarante ans.

M. Jean-René Lecerf.  - Sur ce dernier point, si on ouvre la PMA aux femmes, cette ouverture sera globale et ne sera pas liée à des problèmes médicaux. Il faudra donc l'ouvrir aussi aux couples hétérosexuels. Cette généralisation de la PMA conduira-t-elle inéluctablement à la GPA ?

M. Daniel Borrillo.  -  La discrimination actuelle est fondée sur l'argent : les femmes seules ou les couples homosexuels qui ont de l'argent peuvent aller en Belgique ou aux États-Unis : en Californie, une GPA revient à 40 000 dollars. Ceux qui ne les ont pas restent dans le cadre strict de la loi française. A mon sens, le seul moyen de limiter les abus, la marchandisation et l'exploitation, c'est d'édicter des règles claires.

Nous sommes là dans l'intimité des corps : l'État doit donc se montrer très vigilant pour protéger les plus faibles. La procédure contractuelle permet de garantir les droits des adultes comme des futurs enfants.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Quelle que soit l'opinion que l'on a sur la PMA ou la GPA, je n'accepte pas l'argument de fait. Ce n'est pas parce qu'il existe telle chose ou parce qu'une loi étrangère a légalisé telle autre, que le législateur français doit s'aligner. Nous devons légiférer en toute indépendance, sinon notre travail perd de son sens.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Nous ne sommes pas tous d'accord sur la filiation médicale, mais la loi est là pour protéger. Aujourd'hui, la mondialisation s'étend, la marchandisation se généralise, l'argent règne.

L'autorisation de l'IVG a protégé les femmes. Rappelez-vous ce qui se passait avant ! Combien de jeunes femmes sont mortes dans des conditions déplorables ! Si nous sommes favorables à l'extension de la filiation, c'est pour protéger.

Selon vous, le mariage civil est fondé sur le consentement, sur la volonté, et le mariage religieux sur la consommation. Que pensez-vous alors des lois de la République qui font rentrer la consommation dans le mariage, avec le mariage blanc et le mariage gris ? Le droit républicain s'est introduit ainsi au sein du couple pour présumer que certains mariages ne seraient pas consommés.

M. Daniel Borrillo.  - Excusez-moi si j'ai donné l'impression de recourir à l'argument de la justification factuelle : le droit, c'est l'art du bon et du juste. Il me paraît juste et bon de donner les mêmes droits à tous les couples et de mettre à leur disposition toutes les techniques de PMA lorsqu'il s'agit d'un projet parental responsable.

En ce qui concerne le résidu canonique du droit civil, un homme a été condamné à payer 10 000 euros de dommages et intérêts pour n'avoir pas eu suffisamment de relations sexuelles avec sa femme : cela semble contraire au principe de volonté et de respect de la vie privée.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Merci pour ces réponses très intéressantes et très utiles pour notre débat.

Audition de M. Jean Hauser, professeur émérite de droit privé à l'Université Montesquieu Bordeaux IV

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Vous êtes spécialiste du droit de la famille et vous avez écrit de nombreux ouvrages notamment sur la filiation qui est au coeur de notre débat sur ce projet de loi.

M. Jean Hauser, professeur émérite de droit privé à l'Université Montesquieu Bordeaux IV.  - Je n'ai aucune vocation à intervenir sur le principe qui commande le projet de loi dont vous êtes saisis et qui fait l'objet de tant d'interventions, que j'en viens à me demander s'il s'agit de faire une loi, ou de mettre en scène un psychodrame. On ne peut insérer des choses étrangères au système de droit. On s'apercevra très rapidement qu'il y a des contradictions qu'on ne pourra assumer. Ce projet de loi porte un titre réducteur : il ne s'agit pas vraiment de mariage pour tous, mais bien de filiation.

Cette réforme porte sur l'une des plus vieilles institutions de l'humanité, mais juridiquement, le problème n'est pas celui du mariage pour tous. Au cours du temps, à travers le cheval de Troie de la parité, on a rayé progressivement du code civil les mots homme et femme pour des raisons que les sociologues étudieront...Paradoxalement, la parité homme-femme conduit à rendre un code asexué !

L'argument qui consisterait à dire que le mariage pour tous est un début et qu'on continuera après permet de faire passer par étapes les choses. Les lois par étapes sont légions, surtout dans le droit de la famille : on pourrait faire référence au Pacs, modifié presque tous les ans pour être finalement intégralement refait en 2006. Ce n'est pas un reproche ; ce peut être utile de procéder ainsi pour certains sujets très passionnels.

Ici il en va autrement. Les Pacsés n'étaient jamais que deux personnes majeures choisissant un nouveau statut, et la nouveauté juridique ne garantit pas toujours la sécurité... Mais ici, il y a des enfants, ce qui me rend particulièrement inquiet. Le projet de loi vise clairement l'adoption, conséquence du mariage pour tous. Les enfants ont droit à la sécurité, à la cohérence juridique. En légiférant par tranche, il y aura des enfants transitoires, voire des enfants oubliés. J'ai peur, non de la réforme, j'en ai vu d'autres, mais de ses conséquences, auxquelles on aurait pu réfléchir un peu plus profondément.

Le renvoi à l'adoption pour les couples de même sexe est léger et à peu près sans conséquence. L'adoption à la française mériterait une réforme très profonde avant qu'on lui amène de nouveaux clients. L'adoption plénière à la française est contradictoire avec le droit de l'enfant à connaître ses origines. Je ne crois pas que la CEDH supportera longtemps ce type de dispositif qui demande la rupture complète des liens des enfants avec leurs origines.

Les travaux parlementaires sont étonnants : on a l'air d'ignorer que l'adoption moderne n'est plus l'adoption plénière. Il y a deux fois plus d'adoptions simples, selon les statistiques de la Chancellerie, d'une part, parce qu'elle ne rompt pas les liens avec la famille d'origine, d'autre part, parce que sa souplesse permet de répondre à toutes sortes de demandes de filiations volontaires. Il y a trente ans, les couples homosexuels s'adoptaient entre eux ; la jurisprudence a fini par s'y opposer. Cela montre bien que l'adoption simple servait à tout ! J'avais d'ailleurs commis un article intitulé L'adoption à tout faire.

Aujourd'hui, l'adoption simple sert essentiellement à rattacher l'enfant du conjoint, pour des raisons successorales et fiscales : c'est l'article 786 du code général des impôts. Avant de se précipiter en offrant l'adoption, on aurait pu réfléchir à l'état du droit de l'adoption.

Fallait-il ensuite statuer ainsi sur le nom ? Le texte va beaucoup trop loin sur cette question.

Cela dit, le marché de l'adoption est à peu près asséché. Ça ne changera pas grand-chose de permettre aux couples de même sexe d'adopter ; il y a très peu d'enfants adoptables en France, car les Français font juste les enfants qui leur conviennent et que les enfants naturels sont presque tous reconnus. De surcroit, le vivier de l'adoption internationale est en train de se vider peu à peu : les pays d'Amérique du Sud sont aussi concernés par les progrès de la contraception. On se replie alors, ce qui est triste, sur les enfants haïtiens et de certains pays d'Afrique. Ajoutez à cela que le projet est très léger en matière de droit international privé. Il faudra y remédier tout de suite après. Cela risque de compliquer un peu plus les questions de l'adoption.

Où en est-on ? Si ces couples nouveaux qui veulent adopter veulent obtenir des enfants, inévitablement ils vont chercher à les faire eux-mêmes en recourant à la procréation médicalement assistée. Je ne suis pas un fanatique de la modification de la loi sur la PMA, mais elle sera inéluctable, sinon on aboutira à des contradictions extrêmement difficiles à assumer. On l'a vu avec le débat à l'Assemblée nationale concernant la circulaire sur les enfants conçus à l'étranger par la gestation pour autrui, si l'on admet, ce qui n'est pas sûr, que c'est une forme de PMA. Il me semble qu'on aurait dû avant de légiférer, mesurer toutes les conséquences de ce projet de loi sur l'adoption et la PMA.

Plusieurs couples, quarante paraît-il, hétérosexuels, ont fait fabriquer un enfant en Californie. On va leur dire qu'ils pourront avoir la nationalité pour leur enfant : c'est l'objet de la fameuse circulaire. Ces enfants seront français mais n'obtiendront pas la filiation avec leurs parents. Les couples homosexuels, eux, pourront adopter les enfants qu'ils auront trouvé sur le marché de l'adoption. Il sera très difficile d'expliquer aux couples hétérosexuels qu'ils ne peuvent pas faire établir la filiation de leur enfant et que le couple homosexuel le pourra en vertu du mariage pour tous. Cette position ne sera pas tenable très longtemps...

Autre exemple : l'insémination artificielle avec donneur serait autorisée dans les couples de femmes. Soit, mais on sort alors du cadre de la stérilité pathologique. On entre pour ce type de couples dans la PMA de convenance. Comment la refuser aux autres ? « Passé les bornes, il n'y a plus de limites », disait Chamfort, sinon Alphonse Allais. Comment expliquer que nous sortons de la PMA pour raison médicale pour les uns et pas pour les autres ? Comment rédiger l'article du code de la santé publique qui fait référence à la stérilité pathologique ? Pourquoi ne pas ouvrir, comme dans certains États américains, la PMA de convenance pour tout le monde ?

Avec une légèreté regrettable, on s'est précipité dans un projet de loi sans considération de ses conséquences ni de son insertion dans un système global qui a sa logique. Je ne dis pas que l'on ne peut pas modifier cette logique, mais je reste très inquiet.

La Cour de cassation a essayé, il y a quelques mois, de diviser les difficultés de ces couples qui ramènent un enfant conçu par mère porteuse à l'étranger : elle a décidé que même si le couple n'est pas marié, il pourra partager l'autorité parentale ; en revanche, on ne pourra pas inscrire les deux filiations de l'enfant à l'état civil, car il est impossible pour un enfant d'avoir deux pères ou deux mères. Le raisonnement qu'a retenu la Cour de cassation pour couper la poire en deux va tomber de lui-même. Va-t-on tenir longtemps ?

Pour conclure, je suis étonné qu'on parte d'un système de filiation qui a sa logique, biologique ou imitée de la biologie, pour en sortir par de tous petits morceaux, en pensant que tous les autres vont tenir, au mépris de la logique globale.

On eût pu créer, à côté du système biologique traditionnel, un nouveau système de filiation uniquement volontaire, conçu de façon autonome par rapport à l'adoption ou en réformant profondément celle-ci : l'adoption devenait un système instrumentalisé de créations de filiations par la seule volonté de l'individu... conformément aux évolutions de la jurisprudence depuis une quinzaine d'années. Jusque là, il n'était pas inconcevable de faire cohabiter deux systèmes, celui des enfants d'alcôve et des enfants d'éprouvette, selon l'expression de Jean Carbonnier. Il faudra désormais aller plus loin. Il eût été préférable d'y réfléchir avant. Mais beaucoup de lois sont faites ainsi, ce que je regrette ici publiquement : certains articles sont abrogés avant même que la loi s'applique !

Je n'ai pas l'illusion qu'on va tout recommencer. Ce que je souhaiterais, dans le domaine du possible, c'est que la loi soit agrémentée d'une date d'application qui laisse le temps de réfléchir à ses conséquences. Il n'y a là rien d'extraordinaire : toutes les lois relatives à la famille ont une date d'application décalée. La loi sur les tutelles et les curatelles, à laquelle j'ai participé, promulguée le 5 mars 2007, a été appliquée à partir du 1er janvier 2009.

J'ai reçu un avant-projet de loi sur le droit de la famille, qui reprend l'histoire du droit des tiers qu'on a connue sous un précédent gouvernement avec une secrétaire d'État à la famille. Pourquoi procéder ainsi par confettis ? Pourquoi ne pas dire : la loi s'appliquera dans un an ? D'ailleurs, pour la loi PMA, c'est ce qu'on a fait avec l'argument -j'allais dire le prétexte- du Conseil national d'éthique, qu'on aurait d'ailleurs pu consulter plus tôt. Avec cet avis, on pourrait voir comment cette réforme prendra place dans un système qui, quoi qu'on en dise, subit une véritable révolution copernicienne. On peut peut-être en raccommoder les morceaux.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Merci pour cet exposé brillant et clair.

M. Jean-Pierre Michel, président.  - Ce projet de loi n'est pas le mariage pour tous mais ouvre le mariage aux personnes de même sexe.

L'article premier et le chapitre premier concernent le mariage. Que pensez-vous de ce qui a été voté à l'Assemblée nationale sur le conflit de lois qui peut exister ? Et que pensez-vous des deux articles balais votés par l'Assemblée nationale, l'un pour le code civil et l'autre pour tous les autres codes ? Ce dernier pose des problèmes de rédaction juridique mais répond à une nécessité : sans lui, il aurait fallu revoir tous les textes mentionnant les couples hétérosexuels. Si vous ne pouvez pas nous répondre aujourd'hui, nous avons du temps, puisque le débat ne s'ouvre que le 2 avril et que la commission des lois dispose d'un grand mois pour rédiger son rapport.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Je dispose de peu d'espace pour vous interroger : le mariage, pour vous, ce n'est pas grand-chose ; l'essentiel, c'est la filiation biologique. Un seul système vaut à vos yeux, le lien biologique, le lien du sang. Mais comme moi, vous connaissez d'autres formes de familles, monoparentales, recomposées... Que proposez-vous pour sécuriser les enfants et assurer l'égalité des droits aux adultes qui les élèvent ?

M. Jean Hauser.  - Très franchement, je ne suis pas spécialiste de droit international privé, mais la disposition me semble extrêmement mauvaise et peu réfléchie.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Amicalement à l'Assemblée nationale. (Sourires)

M. Jean Hauser.  - Dans la loi de 1972, Jean Carbonnier avait très bien fait les choses. Cela mérite beaucoup d'attention. Je demanderai son avis à mon excellent collègue Hugues Fulchiron.

Quand on touche au couple, qui est une structure de référence, on vise tous les codes, y compris le code rural ! On a essayé de s'en tirer avec des articles balais. Il eût fallu peigner les différents codes avant. On découvrira très rapidement que les articles balais sont insuffisants, et certains citoyens ne comprendront pas qu'on les ait oubliés. Il y a un manque réel de préparation auquel nous ne pouvons rien.

Je n'ai pas dit que je me fichais du mariage, Madame Meunier ! C'est une question de suffrage universel. La loi votée, mon opinion ne comptera pas. Ma position est claire : il faut créer une deuxième page du droit de la filiation, en dehors de la filiation biologique. On a cru pouvoir utiliser l'adoption, mais elle n'est pas faite pour ça. On ne court pas une course automobile avec une 4 L !

Le droit de l'adoption en France a été modifié tous les deux ans. Les relations entre adoptions simple et plénière sont désastreuses. Ce n'est pas l'adoption qu'il fallait utiliser, sauf à la reprendre entièrement au préalable. Il faut dire : nous sommes dans une autre logique de filiation fondée sur la volonté. Ne singeons pas la filiation biologique ou adoptive. Mettons l'imagination au pouvoir, comme on disait en 68 !

Il faut cinq ou six ans pour obtenir un arrêt de la Cour de cassation ; il arrive que cette Cour revienne sur sa jurisprudence, ce qui est naturel. Mais peut-on s'en remettre à la jurisprudence pour une législation de cette importance ? J'en doute... Bref, il faut avoir le courage de ses opinions.

Le droit vit sur beaucoup de fictions. La présomption de paternité, c'est un pourcentage de fiction probable. Jean Giraudoux a écrit dans La guerre de Troie n'aura pas lieu : « Jamais poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité ». Ayons le courage d'inventer un nouveau système de filiation !

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Voilà une réponse argumentée.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Et ouverte.

M. Christian Cointat.  - Je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt et je partage beaucoup de vos arguments mais pas vos conclusions. Vous englobez dans votre raisonnement le texte sur la famille qui n'est pas celui dont nous débattons aujourd'hui.

L'adoption est plus un symbole en la matière qu'un résultat. En Belgique, les adoptions par les couples homosexuels sont quasiment inexistantes. La France n'est pas seule dans le monde. Je représente les Français établis hors de France ; je sais qu'on ne peut légiférer comme si nous étions seuls. J'ai salué la circulaire Taubira qui corrige une injustice et une aberration, bien que membre du groupe UMP.

Vous n'avez pas parlé suffisamment du point de vue pragmatique. Si on veut légiférer de façon globale, on ne fera jamais rien. Il faut procéder par étapes. Rien ne dit qu'il faille autoriser un couple homosexuel à recourir à la GPA. Si on ne fait rien, tout se fera dans notre dos, sans contrôle ni précaution.

Ne peut-on avancer pas à pas de manière cohérente et raisonnable ? Un haut magistrat avait dit ici : « les meilleures lois sont celles qui entérinent l'évolution des moeurs ». Il est bon que la loi prenne cette évolution en compte de manière pragmatique et sans attendre. Pensez à tous ceux qui attendent la loi ! Quand on vote la loi, on doit savoir ce que l'on fait. Attendre 2017 -j'ai pris la date au hasard- pour l'appliquer, ne serait pas convenable.

M. Jean-René Lecerf.  - Comme vous, Monsieur le professeur, je pense que ce projet de loi est un corps étranger introduit dans notre corpus juridique, au risque de provoquer une réaction de rejet.

Vous nous fournissez des ébauches de solutions, comme le fait de différer l'application de la loi. Cela ne me choque pas : combien de lois attendent encore leurs décrets d'application ?

M. Christian Cointat.  - Ce n'est pas bien !

M. Jean-René Lecerf.  - Une autre solution, peu brillante et pas très courageuse, consiste à laisser les juges se débrouiller. Nous transférons alors la charge aux juges...ce qui nous prive du droit de nous plaindre de leur interprétation !

M. Jean Hauser.  - Je ne suis pas convaincu qu'il faille tout bouleverser dans la loi PMA. Faire cela par morceaux ? Soit. Mais que se passera-t-il entre deux morceaux ? Le droit peut-il se soucier seulement de certains enfants ?

Je suis très rétif envers l'argument selon lequel si cela se fait ailleurs, c'est forcément bien !

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Très bien !

M. Jean Hauser.  - A quoi servent alors l'Assemblée nationale et le Sénat ? Je ne dis pas qu'il faille ignorer ce qui se fait ailleurs...

La GPA, en Californie, revient à 41 000 euros, ce qui n'est pas rien ; en Russie ou en Inde, c'est moins cher. Refuser toute conséquence en France, c'est suicidaire : on laisse proliférer n'importe quoi. En droit international, il y a belle lurette qu'on trouve des solutions intermédiaires, qui consiste à dire que le droit français ne recevra les conséquences de ce type de contrat qu'après une vérification soigneuse des conditions des contrats qui sont très différentes selon les pays : aux États-Unis, les contrats de surrogate mothers varient selon les États. Ce n'est pas oui-oui ou non-non. Les mariages polygamiques ont toujours posé des problèmes. On n'a jamais dit qu'on ne recevait pas certaines conséquences. Pour autant, l'enfant n'est pas le cheval de Troie des fraudes à la loi.

Je pense comme vous : en assouplissant la réglementation, on peut effectuer un certain contrôle. Si vous faites votre contrat de mère porteuse n'importe comment, c'est non ! Quant à la gratuité, c'est une plaisanterie. Il y aura bien quelques grands-mères, quelques soeurs, puis très vite, il y aura une rémunération ; mais on peut contrôler le montant, les clauses...

Il n'est pas acceptable dans notre société de parler « droit à l'enfant ». Or nous discutons bien d'une certaine forme de droit à l'enfant. Ne fermons pas les yeux sur cette réalité. Certains couples estiment qu'ils ont droit à un enfant ; il est beaucoup plus rentable d'admettre ce type de raisonnement en principe, mais pas à n'importe quel prix.

Il y a une infraction pénale pour le contrat de mère porteuse : elle n'est jamais appliquée ! N'agitons pas de sabre de bois dans le code pénal. Et ne faites pas semblant de voter des dispositions qui ne sont pas applicables.

La voie moyenne, c'est de reconnaître que les moeurs ayant évolué, la loi doit changer, mais pas à n'importe quel prix ; le prix, il faut le calculer avant. Cela n'a pas été le cas.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Je suis assez d'accord avec M. Cointat : il ne s'agit pas de reconnaître le fait accompli, de copier l'étranger, mais de montrer que la loi est là pour protéger. Combien de femmes sont mortes avant que la loi sur l'IVG soit adoptée ? La loi a été votée grâce au courage du président de la République, du Gouvernement, des parlementaires de l'époque, mais tout n'est pas permis pour autant.

M. Jean Hauser.  - C'est exact. L'ordre public de direction a beaucoup reculé en matière familiale car la société n'est pas capable de dire ce qu'elle souhaite véritablement. Mais ce n'est pas parce que l'ordre public de direction a reculé que l'ordre public de protection doit reculer, bien au contraire ! Quand on ne pouvait choisir, la loi abstraite protégeait. Maintenant qu'on peut choisir, il faut protéger les individus ; ce n'est plus un débat d'idée, mais un débat concret. En 1993, on a modifié l'accouchement sous X qui vivotait dans le code de la santé publique : on ne pouvait pas rechercher la mère. Les ennuis ont commencé ! Comme on ne peut pas rechercher la mère, on ne peut pas rechercher le père, ni les grands-parents... On a fini par garder l'anonymat et on a supprimé l'interdiction de la fin de non-recevoir, solution parfaitement hypocrite : elle consiste à dire que juridiquement, il est possible de chercher la mère, mais qu'il est quasiment impossible de la retrouver. En cas de fuite, il n'y aura plus d'obstacle civil pour chercher la mère... Depuis 1993, on est allé de Charybde en Scylla ! C'est la théorie des dominos, chère à mon maître Pierre Raynaud, ou de la clé de voûte : quand on la retire, la voûte s'effondre. C'est bien ce qui explique mes craintes.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Merci pour votre exposé très intéressant.

Audition de Mme Florence Millet, maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Nous entamons la dernière audition d'une semaine très riche. Nous recevons Mme Florence Millet, maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise. Elle a soutenu une brillante thèse sur la notion de risque. Nous pourrions vous écouter là-dessus, tant le principe de précaution inscrit dans notre Constitution crée d'innombrables conséquences pour le législateur que nous sommes. Elle a également beaucoup travaillé sur le droit de la famille et tout particulièrement sur l'homoparentalité.

Mme Florence Millet, maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise.  - Merci de m'avoir invitée. Je travaille en effet depuis dix ans sur l'homoparentalité, sujet complexe, passionnant et important.

L'ouverture du mariage aux personnes de même sexe emporte une consécration juridique de l'homoparentalité. L'adoption de l'enfant du conjoint autorisera un lien de filiation entre l'enfant et celui ou celle qui ne sera pas son parent biologique à la seule condition que l'enfant ne soit doté que d'un lien de filiation à l'égard du conjoint de l'adoptant. L'adoption pourra être plénière, produisant les effets d'une adoption par les deux époux car, dans cette hypothèse, elle laisse subsister le lien de filiation d'origine. Sera donc susceptible de faire l'objet d'une adoption plénière l'enfant de deux femmes, issu d'une PMA, conçu par insémination artificielle à l'étranger ou naturelle. Pourra également faire l'objet d'une adoption plénière, l'enfant né avant la formation du couple. La mère biologique épousera sa compagne laquelle deviendra dans un premier temps la belle-mère et, le cas échéant, la mère adoptive.

Mais quid de l'autre branche parentale ? L'inscription des deux liens de parenté n'est pas tranchée et la même question se posera pour la GPA si elle est légalisée. L'indifférenciation du sexe des époux implique-t-elle la désexualisation des branches de la filiation, la disparition de la notion des filiations paternelle ou maternelle ? Faut-il limiter les liens de filiation à deux par enfant, par analogie avec les contraintes de la reproduction biologique ? On ignore les intentions des auteurs du projet ou de ceux qui les ont inspirés sur ce point.

Le régime de la filiation, inchangé par ce texte, laisse place à l'interprétation. Le code civil, dans son article 320, fait obstacle à l'établissement d'une filiation qui contredirait une filiation légalement établie. Le seul critère prévu par le texte : un lien qui contredit un lien préalable. Le projet de loi ne fait pas référence aux branches de filiation. On ne sait s'il sera possible d'inscrire une troisième filiation dans la branche parentale opposée à celle du couple des personnes de même sexe. En ne s'emparant pas de la question, le législateur place les familles et les personnes dans une situation d'insécurité juridique. Le juge devra se prononcer au cas par cas, jusqu'à ce que la Cour de cassation tranche. A moins qu'une loi sur la famille soit votée très vite... Cette question est pourtant loin d'être théorique.

Dans le cas où l'enfant serait issu d'un donneur anonyme par le biais d'une insémination artificielle à l'étranger, les liens pourraient être limités aux deux femmes pour des raisons concrètes plutôt que juridiques puisque le donneur est inconnu. Cependant, rien n'interdirait à un homme de faire une reconnaissance de complaisance. Si celle-ci n'est pas contestée, l'enfant pourrait avoir deux mères et un père en droit.

En cas de donneur identifié, il arrive qu'un homme apporte son concours au projet de deux femmes sans vouloir faire partie de la vie de cet enfant. Mais le projet peut comprendre trois personnes, voire deux couples. Dans la première hypothèse, le donneur qui s'était engagé à ne pas reconnaître l'enfant pourrait changer d'avis en vertu du principe d'indisponibilité de l'état des personnes ; le lien serait alors incontestable parce que conforme à la vérité biologique. L'enfant pourrait également diriger, contre le donneur qui ne l'a pas reconnu, une action aux fins d'établissement de la filiation. Enfin, l'homme ayant prêté son concours à ce projet pourrait faire une reconnaissance prénatale de cet enfant et le projet des deux mères serait déjoué. L'enfant ne pourrait plus faire l'objet d'une adoption plénière, mais seulement d'une adoption simple, avec l'accord des deux titulaires du lien de filiation.

Dans la deuxième hypothèse, les protagonistes pourraient convenir de doter l'enfant d'un lien dans la branche maternelle et d'un lien dans la branche paternelle. L'enfant ne pourrait alors faire l'objet que d'une adoption simple au profit de l'un des conjoints, avec le consentement du père et de la mère, et une possible attribution de l'autorité parentale. Il y aurait alors trois titulaires de l'autorité parentale. On se retrouverait confrontés à des inégalités : quel conjoint choisir pour l'adoption simple, le mari du père ou l'épouse de la mère ? En admettant qu'un enfant puisse avoir trois, voire quatre parents, il risque de se retrouver au coeur de conflits en cas de séparation -ce n'est déjà pas simple à deux. Enfin, cette situation multiplierait les cas d'inégalité entre les enfants susceptibles d'avoir un, deux, trois ou quatre parents et autant de vocations successorales.

L'enjeu fondamental de ce projet de loi est d'opérer ce choix entre la possibilité d'avoir trois ou quatre parents ou d'en limiter le nombre à deux, au prix de l'abolition des notions de branche paternelle et maternelle de la filiation. Alors, la réforme du seul mariage aurait accouché de la réforme la plus fondamentale du droit de la famille, en privant légalement un enfant de père ou de mère.

En laissant de telles évolutions se produire par voie de conséquence, l'on manque la formidable occasion de concevoir une réforme d'ensemble découlant d'une réflexion sur l'établissement de liens de filiation délibérément détachés du critère biologique.

Un tel projet aurait permis de traiter toutes les hypothèses en présence, qu'elles concernent les couples homosexuels ou hétérosexuels, en offrant une plus grande sécurité juridique à leurs projets parentaux et un cadre cohérent aux enfants qui en sont issus. Une voix médiane existe : repenser la filiation et concevoir, à côté du lien classique, deux autres sortes de lien. Le premier reposerait sur le seul élément sociologique et produirait tous les effets attachés à la filiation. Le deuxième ne reposerait que sur l'élément biologique. Il faudrait en admettre, d'une manière ou d'une autre, la traduction juridique, de façon à permettre l'accès de l'enfant à ses origines et la garantie de l'interdit de l'inceste. Il serait préférable de ne pas établir le lien de type sociologique par la voie de l'adoption qui est incontestable. Ce qui n'est le cas d'aucun autre mode d'établissement de la filiation.

Enfin, il n'est pas souhaitable de traiter juridiquement de la même façon les projets parentaux communs et les recompositions familiales, les deux situations n'étant comparables ni pour les couples homosexuels ni pour les hétérosexuels.

Si l'élaboration de la loi doit demeurer séquentielle, il faudrait au minimum restreindre l'adoption de l'enfant du conjoint à la forme simple. Autrement, ce texte pourrait, sans le dire, enclencher la première étape de la chronique de la mort annoncée de la paternité et, peut-être, de la maternité.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Merci pour cet exposé extrêmement clair et démontrant les problèmes qui subsistent à la suite de l'adoption du texte par l'Assemblée nationale. Ils sont devant nous.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Vous nous dites, un peu comme M. Hauser, « le mariage des personnes de même sexe étant pratiquement voté, ayez le courage de mettre dans la loi la réforme de la filiation qui en découle ». Si nous faisions cela, il faudrait limiter aux couples de même sexe l'adoption simple. Ensuite, un autre texte devrait examiner les autres types de filiation pour tous les couples. Ai-je bien compris ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - Merci pour cette analyse. Les recompositions familiales existent déjà : je pensais à ces enfants qui aux fêtes des pères ou des mères n'auront pas à offrir de cadeaux, et à ceux qui devront en faire deux... L'adoption est-elle simple ou plénière pour les familles hétérosexuelles recomposées ?

Mme Florence Millet.  - Pourquoi limiter l'adoption à la forme simple ? Il n'est pas envisageable de réserver cette limite aux seuls couples homosexuels, mais c'est le seul moyen de ne pas être acculé trop vite. Il faudrait réformer l'adoption de l'enfant du conjoint dans tous les cas. L'idée est de garder un peu de temps pour réfléchir et régler tous les cas. Loin de définir un régime spécial, cette loi aurait été l'occasion de remettre à plat ce qui ne convient pas aujourd'hui, pour parvenir à un régime commun à tous les couples. La distinction entre adoptions simple et plénière n'a plus véritablement de justification. On limiterait ainsi les conséquences possibles de cette loi en se donnant le temps de réfléchir à une réforme de la filiation. Il faut aller aussi au bout de la logique et revenir sur la PMA -on jette un voile pudique sur les conditions de conception des enfants. La difficulté, c'est aussi de passer de la PMA à la GPA, dont les enjeux sont différents.

Pour les recompositions familiales, si une femme élève seule un enfant et que le père avait reconnu l'enfant, l'adoption plénière par le conjoint est impossible. En revanche, si le père n'est pas connu, l'adoption par le conjoint est possible, dans la forme simple ou plénière. L'adoption simple laisse ouverte l'autre branche de la filiation. Il faudrait concevoir un régime commun à tous les couples et ne pas passer par l'adoption. Dans un couple hétérosexuel, en cas d'insémination artificielle, le conjoint reconnaît l'enfant, il ne l'adopte pas, mais le lien reste contestable : l'enfant est issu d'un donneur. Cela ne tient pas debout.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis.  - C'est un « mensonge d'État » !

Mme Florence Millet.  - Sans aller jusqu'à employer des grands mots, le caractère irrévocable de l'adoption plénière, lorsque la filiation est sociologique, n'est pas souhaitable, car lorsque tout ne se passe pas bien, faut-il laisser perdurer ce lien à tout jamais quand tous les autres sont contestables ? Ne dénaturons pas une institution, l'adoption, qui conserve un intérêt dans d'autres hypothèses. 

M. Christian Cointat.  - J'ai beaucoup apprécié votre exposé liminaire. Il m'a impressionné. Dans les couples hétérosexuels, les difficultés sont nombreuses, complexes. Le projet de loi nous éclaire sur les difficultés du mariage hétérosexuel ! Ne pensez-vous pas que votre raisonnement est biaisé dans la mesure où il faut que le père ne soit pas connu et qu'il y ait eu une insémination artificielle, interdite chez nous ? N'allez-vous pas trop loin en affirmant que les conséquences de tout cela risquent de remettre en cause la paternité et la maternité ? Que pensez-vous de ce qui se passe en Belgique, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Espagne, pour ne citer que des pays de l'Union européenne, où nous avons une libre circulation et la liberté d'établissement ? Les familles y sont-elles remises en cause ? Ce n'est pas mon sentiment.

Mme Florence Millet.  - Mon cri d'alarme n'est pas exagéré. Il vise à protéger les projets parentaux. Il y a des cas de reconnaissance prénatale, c'est très concret. Parfois, je propose des sujets à mes étudiants et j'ai l'impression d'y aller un peu fort... sauf quand j'entends mes amis avocats évoquer des affaires : la réalité dépasse la fiction.

La portée symbolique du texte n'est pas négligeable. La question de l'accès aux origines débouche sur la prohibition de l'inceste. Certes, les cas évoqués sont marginaux mais la loi doit maintenir la trace de l'origine et pas seulement sur le plan des symboles. Des difficultés concrètes peuvent se poser. En cas de recomposition familiale, établir un lien de filiation entre l'enfant et le nouveau compagnon ou la nouvelle compagne est un sacré pari sur l'avenir. C'est faire dépendre la filiation de l'enfant de rapports de couples que l'on sait précaires.

M. Christian Cointat.  - Pour qu'il y ait disparition de lien biologique, il faut que le père soit inconnu. Comment la loi peut-elle protéger contre l'inceste dans pareil cas ? Le problème est à tel point complexe que j'estime que le législateur ne doit pas y toucher... sauf d'une main tremblante, comme le préconisait Montesquieu. L'on ne verra pas tous les aspects en ce domaine. L'adoption simple, oui, mais pour le reste, prudence ! Un enfant est le fruit d'un homme et d'une femme, c'est la loi immuable de la nature.

N'oublions pas cet aspect. « Il faut être rigoureux quand on établit la loi et bienveillant quand on l'applique », dit un sage proverbe que je fais mien. Faisons confiance au juge pour s'en inspirer.

Mme Florence Millet.  - Les projets parentaux concernés ne sont pas limités. Pour l'heure, les donneurs sont anonymes et la prohibition de l'inceste ne peut être garantie. La PMA doit aller de pair avec la connaissance du géniteur, pour établir un lien que l'on peut appeler autrement que de filiation. L'enfant doit savoir de qui il est issu. Mais le consentement de ce père biologique ne serait alors pas requis pour permettre l'adoption de l'enfant par le conjoint.

M. Christian Cointat.  - Vous êtes déjà dans la prochaine loi dont nous ne sommes pas encore saisis !

Mme Florence Millet.  - Vous n'avez pas le choix : les juges de première instance vont être saisis très vite, et ils apporteront des réponses différentes. Qu'un enfant soit privé légalement de la possibilité d'avoir un père ou une mère, ce n'est pas rien ! C'est pourquoi je suggère de bien y réfléchir pour protéger les projets parentaux et offrir un cadre cohérent à l'enfant afin qu'il sache de qui il est issu, sans que tous les effets classique de la filiation soient attachés à ce démembrement de la filiation. La filiation sociologique produirait tous les effets de la filiation classique ; le lien biologique ne servirait qu'à savoir de qui on est issu et à garantir la prohibition de l'inceste. Offrons au moins ce cadre-là à ceux qui veulent bien faire les choses.

M. Jean-Pierre Sueur, président.  - Il nous reste à vous remercier : vous nous avez apporté beaucoup. Vous avez souligné des questions dont nous n'avions peut-être pas encore mesuré toute l'ampleur.