Droits sanitaires et sociaux des détenus (Question orale avec débat)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle une question orale avec débat sur les droits sanitaires et sociaux des détenus.
Mme Aline Archimbaud, auteur de la question . - Il y a un peu plus d'un an, le Sénat examinait le projet de loi sur l'exécution des peines. Préparé à la hâte, à la suite d'un fait divers, il était guidé par l'idéologie du tout-répressif. En dépit de la politique du précédent gouvernement, la récidive a augmenté de 3 % en 2006 à 6 % en 2010 pour les crimes, de 7 % à 11 % pour les délits.
La réponse réside dans l'accompagnement, l'aménagement des peines, les alternatives à l'incarcération. Une réinsertion efficace doit se préparer tout au long de la peine. Ce n'est pas le cas.
L'exercice d'un travail rémunéré est indispensable pour les détenus, pour subvenir à leurs besoins et préparer leur sortie.
Or seuls 39 % des détenus y ont accès, en incluant la formation professionnelle et les emplois à l'extérieur pour les peines aménagées. Le travail en prison est souvent peu qualifié, à temps partiel, mal rémunéré. Les personnes détenues ne bénéficient pas de contrat de travail, les droits sociaux ne s'appliquent pas aux travailleurs privés de liberté.
Une question prioritaire de constitutionnalité est à l'étude et les Prud'hommes ont accordé une indemnité de licenciement à une détenue... Exclu du droit commun, le travail en prison n'ouvre aucun droit à l'assurance chômage. La réforme des retraites de 2010 prévoyait un rapport au Parlement -que nous n'avons jamais reçu- sur le calcul des pensions, qui s'élèvent souvent à quelques dizaines d'euros seulement.
L'article R. 381-105 n'est pas systématiquement appliqué par la Cnav ; une réflexion est urgente sur ce sujet. La formation professionnelle est en crise structurelle et budgétaire, malgré les besoins. Plus d'un quart des détenus sont illettrés, la moitié n'ont aucun diplôme. En 2010, à peine 8 % des détenus ont bénéficié d'une formation, seuls 24 % étaient scolarisés. Au motif d'économie budgétaire, les créations de poste d'enseignement ont toutes été refusées entre 2005 et 2010 tandis que les fonds de fonctionnement des services dédiés baissaient de 3,5 %.
M. Roland Courteau. - C'est bien triste !
Mme Aline Archimbaud, auteur de la question. - Les services d'enseignement sont contraints de donner la priorité aux formations de bas niveau. L'offre de formation professionnelle est passée de 191 heures par an en 2000 à 144 heures en 2010. La rémunération des détenus stagiaires n'est plus un droit, les détenus sont détournés des cursus professionnalisants.
Les détenus bénéficiant d'un aménagement de peine, contrairement à ceux en libération conditionnelle, n'ont pas le droit de récupérer à leur sortie les sommes qu'ils ont gagnées en prison. En avril, une personne a ainsi quitté la prison d'Amiens avec 30 euros en poche alors qu'elle disposait de 1 300 euros sur son compte nominatif. Il faut que les personnes puissent disposer de ce pécule, car l'absence de ressources empêche de reprendre pied à la sortie. La précarité est souvent due aussi au manque de préparation de la sortie. Des détenus sortent ainsi sans papiers d'identité, leur renouvellement n'étant pas systématique. Impossible dès lors d'ouvrir un compte ou de prendre un abonnement de transport...
J'en viens à la deuxième partie de ma question : les conditions sanitaires en détention ; elles sont préoccupantes et vont à l'encontre de l'objectif de réinsertion.
Depuis la loi du 18 janvier 1994, les personnes détenues sont affiliées au régime général de la sécurité sociale et leurs dépenses de soins intégralement prises en charge mais les obstacles sont encore nombreux : les délais d'affiliation peuvent prendre plusieurs mois ; la CMU complémentaire n'est pas systématique, faute d'information ; la communication entre la sécurité sociale et les services pénitentiaires est mauvaise, ce qui entraîne des ruptures de soins. Au-delà de ces difficultés administratives, la faible présence de soignants dans les prisons pose problème, ainsi que la culture pénitentiaire fondée sur le contrôle qui entre en contradiction avec la déontologie médicale. Le secret médical est mis à mal. Les médicaments sont parfois distribués par les personnels de surveillance, ce qui pose un problème d'anonymat, notamment pour le traitement du VIH ou des addictions. Le déni est de mise en matière de sexualité et de consommation de drogue. La prévalence du VIH est 4,5 fois plus élevée en prison qu'à l'extérieur...
Les extractions en cas d'urgence médicale posent beaucoup de problèmes. Les personnes détenues sont systématiquement menottées lors de leur transfert vers l'hôpital, sans considération de leur dangerosité ou état de santé. Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l?Europe a dénoncé cette situation et le comité de prévention contre la torture du même conseil évoque une pratique contestable sur le plan éthique et clinique. En 2010, un détenu de 28 ans a demandé réparation suite à un infarctus du myocarde : les soins lui ont été prodigués alors qu'il était menotté, malgré les protestations du médecin. Ces pratiques conduisent des détenus à refuser de se soigner, ce qui peut poser un grave problème de santé publique.
Comme l'a relevé le contrôleur général, l'offre de soins est très inégale selon les prisons. Les effectifs de soignants ont été déterminés en 1996 en fonction du nombre théorique de places dans les établissements ; on compte, depuis, 10 000 détenus de plus. L'offre de prévention est insuffisante, faute de moyens humains, ce que met en lumière la contamination en prison par le bacille de Koch. A quoi s'ajoute l'insalubrité.
Enfin, les conditions de détention sont mal adaptées à certains types de détenus, comme les détenus âgés ou dépendants qui ont besoin de personnel. Les troubles psychiques sont fréquents : 16 % des détenus ont été hospitalisés pour raisons psychiatriques avant leur incarcération. La loi de 2002 a créé les UHSA, structures hospitalières spécialement aménagées qu'il convient d'expertiser. Il faudrait réfléchir à l'atténuation de la responsabilité pénale des auteurs d'infraction dont le discernement était altéré au moment des faits ; notre collègue Lecerf fait des propositions précises sur le sujet.
Le groupe écologiste partage l'objectif du Gouvernement : les efforts doivent porter sur la réinsertion plutôt que sur la répression. Quelles sont les actions que le Gouvernement envisage pour améliorer les conditions de détention en France ? Depuis la Révolution, la prison est définie comme un lieu de sanction, mais aussi d'amendement possible par le travail ou la formation. Quels sont les moyens prévus pour parvenir à cet amendement ? (Applaudissements)
Mme Isabelle Pasquet . - Les détenus ne sont pas seulement privés de liberté mais aussi de la pleine application de leurs droits sanitaires et sociaux, notamment du droit à la santé. La situation est grave, nous le savons, et de nombreux rapports en témoignent ; elle est inhérente aux conditions de détention, à la surpopulation carcérale, à l'état des établissements. En décembre dernier, Le Monde a publié un article effrayant sur la prison des Baumettes. La situation s'est détériorée en matière de santé mentale ; en 2011, 80 % des détenus souffraient de troubles psychiatriques. Cette sur-représentation de la maladie mentale impose un accompagnement renforcé et une révision de notre législation pénale de sorte de réduire la sanction des personnes reconnues pénalement responsables mais dont le discernement était altéré. Ce qui implique aussi une réforme de l'offre de soins psychiatriques de ville, fondée sur une approche bienveillante et non sécuritaire.
Nombre de détenus souffrent d'addictions ; les politiques de prévention en la matière sont indigentes. En prison, les risques infectieux sont multipliés par quatre, voire par dix. Il faut faire preuve d'imagination et donner la parole aux principaux acteurs pour parvenir à élaborer des solutions originales.
La loi pénitentiaire de 2009 prévoit que toute personne condamnée doit pouvoir travailler, mais seuls 39 % des détenus exercent une activité professionnelle, sans bénéficier des droits afférents ni des protections du code du travail. Saisi par une détenue, le conseil des prud'hommes de Paris s'est récemment déclaré, pour la première fois, compétent. Il faudra que nous en tirions les conséquences. Nous ne pouvons accepter que le respect du droit dépende de décisions au cas par cas.
Quelle est la position du Gouvernement ? A-t-il l'intention de renforcer les droits des détenus en prison comme après leur sortie, à commencer par les droits à la retraite ? (Applaudissements à gauche)
M. Vincent Capo-Canellas . - La question des droits sociaux et sanitaires des détenus est fondamentale sur le point de vue éthique et pratique. Quelle est la société que nous voulons ? Montrez-moi vos prisons, je vous dirai qui vous êtes...
Les prisons n'ont pas vocation à être des oubliettes. Pourtant, elles le sont devenues depuis de nombreuses années. C'est toute la question de l'efficacité de la peine. Sauf exception, l'incarcération doit préparer à la réinsertion, ce qui n'est hélas pas le cas aujourd'hui. La France a semblé le redécouvrir en 2000, avec le rapport de MM. Hyest et Cabanel. Neuf ans plus tard, la loi pénitentiaire de 2009 a marqué un progrès. Elle a consacré le droit à un minimum de revenu, à l'insertion par l'activité, à la formation et à la famille. Pourtant, sur le terrain, les choses n'ont guère changé, si on en croit le rapport de M. Lecerf et de Mme Borvo Cohen-Seat.
Les droits sanitaires et sociaux des détenus couvrent un champ très vaste -droit à la santé, à la culture, à la formation, à l'exercice professionnel. Nous parlons ici du respect des droits fondamentaux en prison.
Si les détenus ne peuvent avoir accès à une formation ou à un travail en prison, leur réinsertion à la sortie devient difficile. Et l'accès à la formation passe d'abord par la lutte contre l'illettrisme -la loi de 2009 n'a pas abordé la question... Où en sommes-nous, monsieur le ministre ? L'emploi et la formation ne concernent aujourd'hui qu'une minorité de détenus : le taux d'activité se montre à 39 %, encore s'agit-il d'un chiffre en trompe-l'oeil. La moitié de ces détenus ne bénéficient pas d'une formation suffisamment qualifiante. Les limites juridiques et financières du système ont été bien décrites par le rapport Borvo-Lecerf. Une véritable formation professionnelle des détenus est essentielle. Est-ce une priorité du Gouvernement ? (Applaudissements à droite et sur les bancs écologistes)
M. François Fortassin . - Ce débat intervient alors que la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur le droit du travail applicable aux détenus. L'absence de contrat de travail porte-t-elle atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Constitution ?
En 2000, la question avait déjà été posée par la commission d'enquête présidée par M. Mermaz. En 2009, la précédente majorité n'avait pas été jusqu'à instituer un contrat de travail, craignant la réaction des entreprises ; l'acte d'engagement qu'elle avait prévu entre le détenu et l'administration est encore inappliqué, l'accès au travail demeure soumis à l'arbitraire de l'administration pénitentiaire. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a souvent dénoncé cette situation : salaires dérisoires, règles d'hygiène et de sécurité insuffisantes, machines vétustes... L'inspection du travail ne peut accéder aux locaux, sauf sur invitation de l'administration...
Après la décision prud'homale de février dernier, nous attendons la réponse du Conseil constitutionnel à la question prioritaire de constitutionalité qui lui a été posée ; elle risque d'avoir des conséquences lourdes. Quelle est la position du Gouvernement ?
Le rapport 2012 du Contrôleur général rappelle le devoir d'information des détenus sur leurs droits. Je salue la décision du Gouvernement de faciliter la diffusion dans les établissements de la dernière édition du Guide du prisonnier de l'Observatoire international des prisons. S'agissant des droits sanitaires, il note les difficultés d'accès aux soins, indignes de notre pays. Les urgences sont plus ou moins mal traitées, selon les prisons. En 2009, M. Lecerf et Mme Borvo Cohen-Seat rappelaient les inégalités territoriales en matière de soins, qu'il s'agisse des soins psychiatriques ou des personnes âgées.
Privation de liberté ne signifie pas privation des droits. Les détenus restent des citoyens, des personnes humaines. Le groupe du RDSE est très attentif au respect des droits et de la dignité des détenus, comme en témoigne l'implication de Guy Cabanel ou de Jacques Pelletier. Mme le garde des sceaux prépare une grande loi pénitentiaire. En attendant, le 25 avril, le Sénat aura, à notre demande, un débat sur la politique pénitentiaire en France. (Applaudissements)
Mme Corinne Bouchoux . - Cette question est majeure pour les personnes détenues, leurs familles, la démocratie même. L'excellent rapport Borvo-Lecerf posait un diagnostic implacable et lucide : en démocratie, les droits de l'homme ne s'arrêtent pas à la porte des prisons.
Ces droits, ce sont le droit à l'intimité que la surpopulation des établissements met à mal ; le droit à l'hygiène la plus élémentaire -j'invite mes collègues parlementaires à se rendre dans une prison deux jours de suite, à Angers par exemple ; le droit à un accès aux soins adapté et proportionné -dans beaucoup de prisons, 50 % des détenus sont assommés par des camisoles chimiques. Je pense aussi à l'accès à l'exercice physique et au sport, à l'accès aux soins et à l'hospitalisation, qui se heurte à des difficultés récurrentes ; en outre, on fume beaucoup dans les cellules, ce qui pose un problème de santé publique... Officiellement, il n'y a pas de sexualité en prison -mais d'autres pays ont fait d'autres choix... Un libre accès aux préservatifs permettrait de limiter la diffusion du sida. L'accès des détenus à leurs droits est insuffisant, ils doivent être mieux informés ; un règlement intérieur clair doit leur être remis -nous attendons la publication du décret en Conseil d'État qui doit définir des règlements type par catégorie d'établissements.
Les femmes détenues connaissent des difficultés spécifiques. Vingt-cinq établissements sont équipés pour recevoir des mères de jeunes enfants, cinq seulement accueillent des femmes condamnées à des peines de moyenne ou longue durée -ce qui conduit à éloigner les femmes de leur famille. La chaîne de solidarité est pour elles rompue plus rapidement.
La privation de liberté est la peine, rien que la peine. Dans un pays qui se veut une référence, les conditions actuelles de détention sont une honte pour toute démocratie qui se respecte. Comment le Gouvernement compte-t-il y remédier ? (Applaudissements)
M. Jean-René Lecerf . - Plusieurs points pourraient faire consensus entre nous. Le diagnostic est unanime, depuis le rapport de la commission d'enquête de 2000 intitulé « Prison, une humiliation pour la République » jusqu'au président de la République qui disait, devant le Congrès, en juin 2009 : comment accepter une situation aussi contraire aux valeurs de respect de la personne humaine ? L'état de nos prisons est une honte pour la République, quel que soit le dévouement des personnels pénitentiaires.
La loi du 24 novembre 2009 est mal appliquée, trop de décrets d'application manquent à l'appel et nombre de dispositions n'ont connu qu'une mise en oeuvre évanescente. Je suis convaincu qu'il faut sanctuariser l'univers carcéral pour éviter toute récupération politique. Certes, la prison est une nécessité pour la République mais une société, comme l'a écrit Camus, se juge à l'état de ses prisons.
J'en viens aux droits sanitaires des détenus. Nos prisons sont envahies par la maladie mentale. Le régime d'exécution des peines sanctionne le condamné, protège la société et les intérêts de la victime et prépare la réinsertion de la personne détenue, dit la loi de 2009. Mais le rapport d'information sénatorial conduit par M. Barbier, Mme Demontès, M. Michel et moi-même a estimé à 10 % la proportion de détenus atteints des troubles mentaux les plus graves -pour lesquels la peine n'a aucun sens. Ils sont pourtant considérés comme responsables, leur discernement ayant été altéré et non aboli. Le mouvement de désinstitutionalisation de la psychiatrie et la baisse des capacités hospitalières sont passées par là... Les personnes dont le discernement est dit altéré ont des peines plus élevées que celles ayant pleinement conscience de leurs actes... Comment s'étonner des drames qui se déroulent dans les prisons surpeuplées et de la détresse des personnels pénitentiaires ? J'ai déposé, avec Mme Demontès et M. Barbier, une proposition de loi relative à l'atténuation de la responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits ; elle réduisait notamment du tiers la peine encourue tout en renforçant les obligations de soins. Rapportée par M. Michel, elle a été adoptée par le Sénat à la quasi-unanimité, malgré l'opposition du gouvernement d'alors... Elle attend toujours d'être inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Comment protéger la société des malades mentaux qui ne sont pas pris en charge suffisamment tôt ? En Belgique, les hôpitaux en milieu fermé sont un exemple intéressant et positif. Les UHSA ? Ne risque-t-on pas de laisser incarcérées des personnes pour qui la peine n'a aucun sens ? Beaucoup a été fait en matière de soins somatiques mais en matière de soins psychiatriques, beaucoup reste à faire ; il est bien difficile de trouver des psychiatres dans les déserts médicaux où les établissements sont construits...
La loi pénitentiaire a mis en place une obligation d'activité, qui permet de faire du temps en prison un temps utile et de mieux préparer la réinsertion. Mais le bilan est en demi-teinte. Où en est la priorité en matière de marchés publics, promise par Mmes Dati et Alliot-Marie ? Ne peut-on cesser de compartimenter les compétences ? Les nouveaux établissements doivent comprendre des locaux dédiés au travail, ce qui n'est pas toujours le cas. L'administration pénitentiaire gagnerait à mieux tirer profit des initiatives qui voient le jour ici ou là. Dans mon département du Nord, une plate-forme de formation au tri sélectif des déchets a été reconstruite à la maison d'arrêt de Douai après son transfert de Loos ; les personnes détenues bénéficiaient à leur sortie d'un contrat de travail avec une société d'économie mixte partenaire de Lille Métropole, avec des résultats encourageants. La formation professionnelle gagnerait enfin à être confiée aux régions, que les établissements soient en gestion publique ou non.
Quelques craintes, enfin. L'article 32 de la loi pénitentiaire prévoit le passage à la rémunération horaire ; il ne faudrait pas que cela aboutisse à évincer les détenus les plus fragiles pour répondre aux objectifs de rentabilité des entreprises concessionnaires. Le Conseil constitutionnel va se prononcer sur la constitutionnalité de l'absence de contrat de travail. Or, l'urgence est de fournir du travail aux détenus, ce qui est loin d'être le cas. Les entreprises qui interviennent sont des entreprises citoyennes, non les exploiteurs que l'on dit. L'enfer peut être pavé de bonnes intentions. L'instauration du contrat de travail en prison entraînerait l'effondrement de l'offre de travail, et donc compromettrait la réinsertion.
Le 24 novembre 2014 marquera la fin du moratoire instauré par la loi pénitentiaire sur l'encellulement individuel. Pour nous, un taux de 30 % de cellules doubles ne serait pas choquant.
La surpopulation est le premier facteur de dégradation des conditions de détention. Elle nourrit la violence et les suicides dans les prisons et pèse sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
La priorité n'est plus, aujourd'hui, à la construction de prison mais à la réussite des aménagements de peine et des alternatives à l'incarcération, ce qui ne saurait se résumer à la multiplication des mises sous bracelet électronique. Selon l'étude d'impact de la loi de 2009, le recrutement de 1 000 conseillers d'insertion et de probation était un préalable à sa réussite. Nous en sommes loin...
Nous devons tout faire pour le retour des prisons de la République dans l'État de droit et faire progresser, pour la sécurité de tous, la lutte contre la récidive. (Applaudissements)
présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président
M. Alain Anziani . - Nous sommes quelques-uns ici à avoir soutenu la loi pénitentiaire, sur tous les bancs. Elle avait suscité beaucoup d'attentes car elle s'appuyait sur les règles pénitentiaires européennes. Plus de trois ans après, à voir les divers rapports, les travaux de la Chancellerie elle-même, les circulaires de la garde des sceaux, le retour à la réalité carcérale n'est pas joyeux. Tous disent cette évidence qu'il ne faut pas oublier le sens de la peine, lequel n'est pas de priver les détenus de leurs droits. La peine a un sens pour la société, un sens pour le détenu et elle doit prévenir la récidive.
Tous les rapports montrent combien la question matérielle est essentielle. La surpopulation pénale interdit l'exercice réel des droits accordés aux détenus. Les matelas sont parfois à même le sol de la cellule. Un arrêté réglemente la superficie des chenils mais rien ne réglemente la superficie à laquelle a droit un détenu ! Un chien a droit à cinq mètres carrés, pas un détenu.
Voilà le résultat d'une décennie d'inflation carcérale : depuis 2002, le nombre des mises sous écrous a augmenté de 52 %, celui des détenus de 34 %. A la clé, promiscuité, violence, suicides.
Sur le droit au travail, je serai bref. L'article 24 de la loi pénitentiaire, qui instaure un droit à l'activité, visait, dans notre esprit, le droit à la formation. L'interprétation réglementaire a été plus large, je le regrette. Quand seulement 39 % des détenus travaillent, c'est un drame pour la réinsertion, et aussi à l'intérieur même de la prison car l'indigent devient l'esclave des autres prisonniers. Pourtant, un tiers des détenus ne disposent que de que 50 euros par mois. Sans activité, comment cantiner ? Il faut revoir le volume de travail, le montant des rémunérations. Une question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Conseil constitutionnel pour déterminer si le droit au travail s'applique en prison. Si la réponse est oui, il faudra en tirer les conséquences, qui pourraient être des effets pervers aboutissant à la disparition du travail en prison.
Deuxième point : le droit au maintien des liens familiaux. La Cour européenne des droits de l'homme a, en 2010, considéré que l'administration pénitentiaire devait aider au maintien des liens familiaux. C'est loin d'être le cas aujourd'hui, dit le contrôleur général. Dans les premiers mois, les visites sont assez régulières, surtout pour les hommes. De manière générale, soit dit en passant, la situation des femmes en prison est pire que celle des hommes. Puis, plus les peines sont longues, moins les visites sont fréquentes. En cause, l'éloignement géographique, la faible durée des visites, le fait qu'un retard de la famille est puni. Comment faire quand 16 % seulement des détenus sont incarcérés dans leur département et que ce chiffre tombe à 6 % pour ceux qui sont en maison centrale ?
Dernier point, le droit à l'intégrité. C'est le droit à ne pas subir de violences, le droit de ne pas se suicider. Je veux évoquer le problème spécifique des transsexuel(le)s : dans quelle prison va-t-on les incarcérer ? Comment faire ne sorte que ces personnes puissent suivre leur traitement hormonal ? S'est-on, d'autre part, préoccupé des handicapés ? Et des malades mentaux ? La Cour des comptes considère qu'un tiers des prisonniers auraient besoin d'assistance psychiatrique. Il y a surpopulation carcérale et tant de gens qui n'ont rien à faire en prison !
La justice est souvent le moteur des droits des détenus. Un juge des référés a ainsi accordé une provision à un jeune schizophrène qui n'avait pas reçu les soins adaptés... Nous verrons quelle suite sera donnée à cette décision.
Au-delà de la question des droits, il faut remettre en chantier une loi pénitentiaire qui tienne compte des exigences de la société et de la dignité des détenus. Il faut moderniser nos prisons, plus encore qu'en construire de nouvelles. Surtout, il faut une politique pénale qui rompe avec la précédente. (Applaudissements)
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Veuillez excuser la garde des sceaux, retenue à Matignon. Je salue la grande qualité de ce débat et j'en remercie les intervenants.
Mme la garde des sceaux partage votre souci de défendre les droits des détenus ; c'est l'axe fort de sa politique. Vous débattrez avec elle le 25 avril de la politique pénitentiaire.
La loi pénitentiaire, votée en 2009 par la précédente majorité avec l'accord de l'opposition d'alors, a été en partie vidée de son sens par les incarcérations automatiques ou la non-prise en charge des personnes sous main de justice. Et l'on en attend toujours les trois derniers décrets d'application, sur des sujets, il faut le reconnaître, particulièrement complexes. Nous y travaillons.
La formation est un droit et une nécessité pour une prison digne de la République. Quoi de plus gratifiant pour une personne condamnée que d'obtenir un diplôme ? On a ouvert 700 actions de formation professionnelle aux personnes détenues, qui ont été 25 000 à en bénéficier en 2012, soit une augmentation de 9,6 % par rapport à 2011. Les expérimentations menées en Aquitaine et Pays de Loire semblent positives, nous en tirerons un bilan précis. Une inspection commune sera bientôt organisée. Il s'agit d'inciter les détenus à s'inscrire à un programme de formation professionnelle dès leur incarcération.
Le travail, avec le revenu qu'il procure, est un droit essentiel pour se réinsérer comme citoyen et ne pas récidiver. En 2012, plus de 25 000 détenus avaient une activité. La question du travail en détention est complexe, comme en témoignent les décisions parfois contradictoires rendues par les différentes juridictions. La loi pénitentiaire a modifié les choses, en prévoyant notamment la formalisation de la relation de travail. Sa mise en oeuvre est toutefois délicate car elle risque, en augmentant le coût du travail en prison, de détourner les entreprises... La garde des sceaux a demandé à l'administration pénitentiaire d'engager une réflexion approfondie sur ce sujet. L'intervention des structures pour l'insertion économique sera favorisée. De nouveaux partenaires seront recherchés dans le monde de l'entreprise, notamment dans le secteur tertiaire.
Vous le voyez, le Gouvernement a pris des initiatives et demande aux parlementaires de faire preuve d'imagination et de faire des propositions. Sur la question des retraites, la réflexion est en cours et sera poursuivie, notamment en relation avec la Cnav.
Les services de probation et d'insertion doivent pouvoir remplir au mieux leurs missions. En 2012, ils comptaient 3 820 personnes en exercice et 63 postes ont été créés en loi de finances pour 2013 afin d'assurer un meilleur accompagnement aux personnes détenues ; il convient d'ajouter à ce chiffre le recrutement, en 2013, de 88 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation placés, de 20 psychologues et de 18 assistantes sociales de secteur.
Depuis la loi de 1994, le ministère de la santé a compétence pour l'affectation de personnel soignant au sein des établissements pénitentiaires. L'inégalité territoriale demeure toutefois une réalité.
L'administration pénitentiaire et la direction générale de l'offre de soins travaillent conjointement à une meilleure prise en charge sanitaire : établissements hospitaliers de rattachement, unités hospitalières sécurisées interrégionales, soins psychiatriques dispensés dans les centres hospitaliers spécialisés et dans des unités hospitalières spécialement aménagées dont le déploiement se poursuit.
Le plan de lutte contre les exclusions vise aussi les détenus, avec des permanences en addictologie et la désignation de référent justice dans les structures de soins ou médico-sociales. Les détenus handicapés font l'objet d'une attention particulière, avec des cellules plus grandes et adaptées. Mme Taubira souhaite également améliorer l'accompagnement humain des détenus malades ou handicapés, qui doivent avoir accès à des activités adaptés -ergothérapie ou musicothérapie.
Une quarantaine d'entreprises d'aide à domicile interviennent dans les établissements pénitentiaires ; la garde des sceaux a demandé un état des lieux de la situation dans les 191 établissements pénitentiaires, ce qui n'avait jamais été fait.
Quand le maintien en détention n'est plus possible, le détenu doit pouvoir se soigner ou finir ses jours de manière digne, auprès de ses proches. Mme Taubira et Mme Touraine ont mis en place un groupe de travail sur les suspensions et aménagements de peine pour raisons médicales, dont les premières orientations seront prochainement annoncées.
Le Gouvernement est donc pleinement mobilisé. A la société de clivage et d'exclusion promue pendant dix ans, nous voulons répondre par une société de l'inclusion, qui punit quand il le faut mais accompagne avant tout la réinsertion. (Applaudissements)