Lutte contre l'obsolescence programmée des produits (Question orale avec débat)
M. le président. - L'ordre du jour appelle une question orale avec débat de M. Jean-Vincent Placé à M. le ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation sur la lutte contre l'obsolescence programmée et l'augmentation de la durée de vie des produits.
M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question . - L'écologie est notre préoccupation principale. Aussi, je me réjouis que nous disposions d'un groupe qui a porté à l'ordre du jour le sujet essentiel de l'obsolescence programmée, stratégie industrielle aux graves répercussions écologiques et sociales. La question est restée trop longtemps taboue.
Les ressources de notre planète sont finies ; il faut les préserver, d'autant que la population mondiale ne cesse de s'accroître. Or notre système de production repose sur une exploitation des ressources qui atteint ses limites, provoquant conflits géopolitiques et misère.
Nous sommes dans un monde de la rareté ; la course à l'abondance des Trente glorieuses est désormais chimérique. La consommation, une fois saturée, n'a pas diminué depuis. Les achats de produits électriques et électroniques ont été multipliés par six depuis 1990. D'où une multiplication des fameux D3E : 2 à 3 % de déchets supplémentaires sont chaque année produits en France, qui finissent incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles. Les appareils électroniques requièrent des terres rares. Les téléphones portables peuvent contenir jusqu'à douze métaux différents, pour 25 % de leur poids. L'OCDE affirme qu'avec ce taux de croissance, les ressources de cuivre, plomb, nickel, argent, zinc, ne dépasseraient pas 30 ans. Ce problème, dramatique pour l'environnement, pose aussi une question de santé publique. Les toxiques s'accumulent dans le sol, et passent dans l'alimentation.
L'empreinte écologique des pays à hauts revenus est cinq fois supérieure aux autres. Les pays du sud se retrouvent avec nos déchets, qui y sont envoyés par conteneurs entiers. Le modèle ne peut plus fonctionner. Il faut assumer nos responsabilités. Les hommes et femmes politiques vivent dans le temps court de l'élection, mais les projets de société requièrent une vision de long terme. Le Sénat est la chambre de la réflexion. Ses recommandations méritent de se transformer en actions et je me réjouis de l'intérêt dont témoigne le ministre car sous la Ve République c'est le gouvernement qui a l'initiative.
Il est urgent d'agir. L'obsolescence programmée, c'est l'ensemble des techniques visant à raccourcir la durée de vie d'un produit, pour augmenter son taux de remplacement. À l'obsolescence technologique, due à l'innovation, s'ajoute une obsolescence esthétique qui fait primer les phénomènes de mode, et techniques : les fabricants rendent les produits irréparables, faute de pièces détachées. C'est l'exemple même d'un modèle économique insoutenable. Ces procédés malhonnêtes maintiennent un système en déclin sous perfusion artificielle. L'idée a émergé en 1924. Les ampoules électriques sont conçues pour tenir 2 500 heures : les fabricants, organisés dans le fameux cartel joliment dit de Phoebus, les ont limitées à 1 000 heures. Je pourrais aussi parler des bas en nylon...
Mmes Laurence Rossignol et Marie-Christine Blandin. - Les collants !
M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question. - ... conçus pour filer ; des chargeurs de téléphone qui ne sont jamais standard ; des cartouches d'imprimantes, à 70 euros l'unité, pour l'encre noire, qu'il faut renouveler tous les deux mois. Mais il y a aussi les appareils électroménagers comme les chauffe-eau ou les machines à laver : tous les ménages l'ont constaté.
Dans son Livre vert sur les stratégies européennes sur les déchets plastiques, la Commission européenne dénonce ces pratiques, appelant à concevoir des produits les plus durables possible. D'autant que ces pratiques ont un impact sur le pouvoir d'achat des ménages, tant malmené en temps de crise. L'obsolescence programmée technique est donc aussi une question cruciale.
De nombreux experts ont été alertés. Le Sénat belge s'est emparé de la question en octobre 2011. Le Conseil européen de la consommation a récemment publié une étude, qualifiant l'obsolescence programmée de « dérive de la société de consommation ». L'Ademe a observé la dimension du problème pour les produits électriques et électroniques. Terra Nova, think tank bien-pensant, en parle aussi dans une contribution, tandis que les Amis de la Terre et le Centre national d'information indépendante sur les déchets (Cniid), avec lesquels nous avons travaillé, ont sorti des rapports très fournis. Le Conseil économique et social européen rendra aussi bientôt un rapport. Les médias ont pris le relais ; voir le fameux documentaire « Prêt à jeter » sur Arte. Les politiques commencent à se mobiliser, puisque les membres du groupe radical et divers gauche avaient, naguère, demandé un rapport, tandis que M. Labbé proposait en 2011 un amendement pour l'extension des garanties, et que François Hollande déclarait au Cniid vouloir lutter contre ces pratiques « en instaurant progressivement, via une garantie longue de cinq ans, portée à dix ans - je ne vois pas aussi loin ! - pour les biens de consommation durables et la modulation de l'écotaxe en fonction de la durée de vie garantie des produits ». Je le cite intégralement car je sais que M. Hamon est son soutien loyal... (Sourires)
Avec les collègues de mon groupe, nous ne pouvions rester muets. D'où le dépôt de notre proposition de loi. J'ai voulu une démarche positive, qui ne diabolise pas les entreprises. Il faut définir un cadre juridique contre les pratiques malhonnêtes des fabricants. Je propose donc, dans le texte, une définition de l'obsolescence programmée, ainsi qu'une extension de la garantie, qui incitera le fabricant à produire des biens plus durables - conformément à la directive de 1999, qui autorise les États à adopter des réglementations plus strictes, comme l'on fait le Royaume-Uni, l'Irlande et la Finlande. Autre levier, la réparation, source d'emplois non délocalisables. Il faut l'encourager par la mise à disposition des pièces détachées sous un mois durant dix ans. Je propose également de réfléchir à un bonus-malus sur l'écocontribution. Le Gouvernement devrait, enfin, présenter un rapport sur l'économie de fonctionnalité, complément de l'économie circulaire.
On remplace la vente du bien par celle de son usage .Voyez le succès du Vélib' à Paris : les gens n'ont plus besoin d'être propriétaires des biens pour être satisfaits.
Des solutions alternatives existent. On m'objectera que l'extension de garantie augmentera les prix. Quand bien même ce ne serait que de quelques dizaines d'euros, tous les consommateurs ont à y gagner. Les emplois, objet de toutes les menaces des lobbies dès que l'on s'attaque à eux ? Il y faut une étude d'impact du ministère, qui a les moyens de la mener. Je souhaite que cette proposition ait une portée européenne mais, pour que l'Union européenne se mobilise, notre initiative peut être utile.
Patagonia, Miele, Ikea font la promotion de produits durables. La France a tout intérêt à jouer elle aussi sur la qualité. Voyez comme les voitures allemandes se vendent bien - même si je préfère le vélo et les transports en commun. L'économie circulaire est notre avenir. J'appelle à l'audace. Il faut réagir dès à présent avec des propositions concrètes. Je souhaite un avis clair du Gouvernement sur les propositions qui lui sont présentées et serai très attentif aux contributions des groupes, de la majorité comme de l'opposition. (Applaudissements sur les bancs écologistes, CRC et du centre ; M. Jean-Jacques Filleul applaudit aussi)
Mme Hélène Masson-Maret . - Il est difficile de prendre la parole après un orateur plein d'autant d'enthousiasme. Il faut introduire des distinctions. L'obsolescence, c'est quand un produit est dépassé, remplacé par un autre, plus récent, parce que le consommateur le juge désuet ou démodé. Cette obsolescence subjective est le fait du consommateur. On peut y voir une dérive de la société de consommation, mais il est difficile au législateur de légiférer sur un état d'esprit.
Autre chose est l'obsolescence programmée, le fabricant réduisant volontairement la durée de vie d'un produit - par défaut fonctionnel, incompatibilité, péremption. Ces pratiques frauduleuses doivent être dénoncées. Économiquement, l'initiative du sénateur Placé est honorable... (Marques de satisfaction sur plusieurs bancs écologistes et socialistes )
M. Jean-Vincent Placé. - Mais...
Mme Hélène Masson-Maret. - ... puisqu'elle vise à lutter contre des pratiques qui pénalisent les ménages. Mais attention à ne pas réduire le pouvoir d'achat des consommateurs, en suscitant, par les règles qu'édicte la loi, des augmentations de prix.
Écologiquement, pourtant, l'obsolescence programmée provoque une surconsommation des ressources et augmente les déchets. Sont principalement visés les produits manufacturés, les appareils électriques et électroniques, mais ce phénomène peut toucher toute sorte d'objets. Il faut donc prendre en compte deux considérations majeures. Modifier les comportements des entreprises privées, mais sans pénaliser celles qui ont créé des filières de recyclage. Pour ceux qui vivent de ces filières, il ne faudrait pas que la loi soit source de manque à gagner. Faute de quoi, l'initiative est vouée à l'échec, sauf à prévoir des contraintes fortes, qui pèseraient sur la compétitivité des entreprises concernées.
Notre pays joue dans un marché réglementé. Notre droit interne découle pour beaucoup du droit de l'Union européenne. La France a transposé les deux directives relatives aux D3E et la directive-cadre déchets. La proposition de loi de M. Placé, qui traite de l'obsolescence programmée, dont aucun texte de notre droit intérieur ne traite à ce jour, s'inscrit dans la ligne de ce qu'ont fait les Belges et les Finlandais. Mais quelle inflexion veut-on donner à cette proposition. Les intentions des auteurs de ce texte sont bonnes...
M. Jean-Jacques Mirassou. - Ça va se gâter... (Exclamation sur les bancs écologistes)
Mme Hélène Masson-Maret. - ... mais ne risque-t-il pas de provoquer une levée de boucliers des lobbies ?
M. Jean-Jacques Mirassou. - Voilà !
Mme Hélène Masson-Maret. - Il existe des filières de recyclage qui permettent de réutiliser les ressources, fonctionnent bien et ont créé des emplois. Soyons vigilants, faute de quoi, on pourrait assister à un transfert d'emplois d'un secteur à un autre. Il faudra alors réfléchir sur notre mode de production et nos modes de consommation.
Un exemple : pour l'Ademe, en 2010, 334 000 tonnes de D3E ont été collectées, 320 000 tonnes ont été traitées et recyclées, soit environ 75 %. La proposition de M. Placé est bienvenue ...
M. Ronan Dantec. - L'UMP avec nous !
Mme Masson-Maret. - ... mais ce texte présente des risques. Et que dire des effets sur notre système économique, qui repose de plus en plus sur le recyclable. Quand les entreprises font des sacs recyclables, n'est-ce pas l'obsolescence programmée intelligente ?
M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question. - Ce n'est pas le sujet !
M. Ronan Dantec. - Et les centrales nucléaires ?
Mme Hélène Masson-Maret. - Il faudrait donc distinguer dans l'obsolescence programmée, selon qu'elle est à but mercantile ou environnemental. Or, ce texte ne fait pas de distinction, au risque d'ouvrir la voie à des effets pervers pour les fabricants qui oeuvrent honnêtement pour la défense de l'environnement. Une loi trop stricte pourrait avoir de graves conséquences économiques et sociales. (Applaudissements sur quelques bancs UMP)
Mme Laurence Rossignol . - Bien que certaines ONG se soient très longtemps préoccupées de l'obsolescence programmée, on a beaucoup dénoncé un fantasme de décroissance ou une vision complotiste de l'industrie.
Or, ces pratiques, bien que masquées, sont de grande ampleur. Ce sujet mérite débat. Il faut apporter des réponses transversales à la crise : l'obsolescence programmée, face cachée de notre société de consommation, en est une. Bernard London, l'inventeur de l'expression dans les années 1970, disait que l'enjeu n'était plus de stimuler la production mais d'organiser les comportements des consommateurs. Mais en les flouant sur le véritable rapport qualité-prix, l'obsolescence programmée aliène leur pouvoir d'achat, et aggrave la crise écologique et économique.
Il s'agit donc ici d'agir sur la durée de vie des objets. La gratuité des ressources naturelles a favorisé leur surexploitation, dont les analyses économiques ne prennent pas en compte les conséquences.
Le législateur doit savoir que ce coût se répercute toujours sur la collectivité publique. Nous ne savons pas traiter la masse des déchets produits, qui finissent pour l'essentiel dans les filières informelles ; et le coût, in fine, est supporté par les collectivités locales.
Il faut mettre au centre de notre action la fiscalité environnementale, en particulier sur les déchets. C'est un outil majeur pour modifier les comportements et préserver l'environnement.
Mais cela ne suffira pas à construire une économie verte. Il ne suffit pas de se demander comment produire mais pourquoi produire, afin de rompre avec une logique consumériste, qui a failli à ses promesses en faisant croire à une généralisation, impossible, de l'abondance, restée le privilège de 20 % à 30% de la population mondiale.
Péril écologique et injustice sociale se renforcent ainsi. Il faut passer d'une sobriété subie à une sobriété voulue. Du temps où l'ouvrier, qui avait un savoir-faire, savait réparer sa voiture, il avait un statut social qui a disparu dans notre société désindustrialisée. Quand on achète aujourd'hui des objets que l'on est incapable de réparer, on n'a plus prise sur rien. Il est des solutions, parmi lesquelles l'économie circulaire. Je sais, monsieur le ministre, que vous travaillez à un projet de loi sur la consommation pour juin, que nous travaillerons à enrichir. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
Mme Évelyne Didier . - Je remercie le groupe écologiste de son initiative. L'obsolescence programmée signe les dérives du système capitaliste. Qu'une innovation technologique rende des produits obsolètes, c'est le fait du travail de l'intelligence et du génie humain, facteur d'émancipation. Mais l'obsolescence programmée, faite pour une mise au rebut plus rapide des produits, n'est pas admissible. Le consommateur est abusé.
L'obsolescence programmée est diverse. Il y a l'obsolescence technique, avec des pièces défectueuses. On parle moins de l'obsolescence réglementaire, liée à la multiplication des normes pas toujours nécessaires. Comme de l'obsolescence symbolique : les nouveaux modèles de smartphones justifient-ils que l'on jette les anciens, qui ont un an, au panier ? Non.
Il y a quelques décennies encore, l'ouvrier qui achetait une voiture la gardait longtemps, parce qu'il savait réparer les pannes ordinaires. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Les gens modestes n'ont plus prise sur ce qu'ils achètent. Même les garagistes ont du mal à intervenir sur certaines voitures. L'obsolescence programmée, stratagème fondé sur la tromperie orchestrée par les « fils de pub », a été développée dès les années 30 par General Motors, obligeant Ford, qui misait sur la longévité, à changer de stratégie. Elle est le fruit d'une réflexion concertée des tenants du système capitaliste, où surconsommation et surendettement vont de pair.
L'externalisation des coûts en est une autre conséquence : augmentation des déchets, abaissement du coût du travail, enchérissement du crédit et surendettement en sont les corollaires. Quand on nourrit des addictions, jusqu'à organiser des ventes à minuit, orchestrées comme une ruée vers l'or, à quoi vise-t-on ? À fausser la compétition et à mettre les peuples en concurrence !
Des citoyens se libèrent de cette emprise. Les structures associatives ne sont pas en reste. Les pratiques alternatives ne sortent pas toutes du système, mais promeuvent l'échange et le partage. Notre rôle est de comprendre ce phénomène et de protéger nos concitoyens. L'obsolescence programmée est un pilier du système capitaliste. On ne sait plus produire sans se préoccuper de ce que deviendra le produit au terme de sa vie. Oui, la fiscalité, madame Rossignol, est un levier puissant.
C'est à une révolution des valeurs, qui remet l'homme au coeur de notre action, que nous appelons. (Vifs applaudissements à gauche)
Plusieurs voix socialistes. - Très bien !
Mme Laurence Rossignol. - C'est la gauche unie.
M. Yves Détraigne . - La systématisation de la production en série a, au temps de la prospérité, profité aux consommateurs. Mais les temps ont changé. Les industriels disposent de trois armes pour accélérer la rotation des produits : la publicité, le crédit, l'obsolescence programmée. On est passé d'une logique de croissance à une autre, en contradiction avec notre objectif d'économiser nos ressources et réduire notre production de déchets, mais aussi préserver le pouvoir d'achat. L'étude de l'Ademe est instructive. L'outil juridique nous amène à travailler sur la garantie, dont la durée doit être égale à la durée de vie minimale du produit.
M. Alain Chatillon. - Très bien !
M. Yves Détraigne. - Beaucoup de biens ont été dégradés : exemple les ampoules électriques. Nous, gestionnaires d'installations de traitement de déchets, devons subir beaucoup de normes en plus de l'accumulation des déchets, lesquels seraient réduits par des produits mieux conçus. Pourquoi nous interdire d'imposer des normes aux constructeurs ? Les téléphones dits intelligents sont limités par la durée de vie de leurs batteries. Quand la batterie ne marche plus, c'est le téléphone qu'il faut changer. Va-t-on nous faire changer de voiture à la première crevaison ? (Sourires)
Nous devons travailler sur l'éco-contribution : c'est l'outil financier. Pourquoi ne pas la moduler en fonction de la qualité de la durabilité et du caractère recyclable des produits ? À ceux qui objectent que nous fragiliserions la croissance, je réponds : à l'économie du jetable, substituons l'économie du durable selon la logique de l'éco-circulation chère à Mme Jouanno. Quel industriel préfère être un fabricant de déchets plutôt qu'un fournisseur de nouveaux services ? Misons sur l'innovation en valorisant toutes nos ressources, y compris humaines. (Applaudissements)
Mme Laurence Rossignol. - Très bien !
M. Raymond Vall . - Merci à M. Placé d'avoir proposé cette question à l'ordre du jour.
Les enjeux environnementaux, sociaux et économiques sont considérables, à l'échelle planétaire... Comment avons-nous pu passer de productions de qualité, via une forme de marketing créant des besoins, à l'obsolescence liée à la concentration du système de distribution ? Il n'y a pas de hasard, mais une volonté de créer des conditions toujours plus ardues pour le consommateur. Toujours plus de chiffre d'affaires, de bénéfices... La grande distribution est l'une des grands responsables. Bien sûr qu'il fallait faire baisser le coût des produits, mais jusqu'à un certain niveau. Si vous y mettez le prix, votre téléviseur est garanti cinq ans et non deux ans. J'y vois une forme de...
Mme Évelyne Didier. - D'arnaque !
M. Raymond Vall. - Je vous ai laissé dire le mot auquel je pensais. (Sourires) On ne pourra pas continuer à produire plus. L'économie circulaire ne règle pas le problème de fond ; nous devons légiférer pour relier le coût d'un produit à celui de l'énergie, du recyclage, qui incombe au consommateur.
La concentration de la distribution multiplie les tromperies. Il y va aussi de l'avenir de la planète. Nous soutenons cette initiative. (Applaudissements)
M. Alain Bertrand. - Un véritable écologiste !
M. Joël Labbé . - Les faits sont avérés. Ils pèsent lourdement sur le budget des familles, l'environnement. Il ne s'agit pas d'une fatalité, que l'on ne pourrait qu'accepter au nom de la performance, mais d'une stratégie délibérée pour faire croître la demande, symbolique de la société capitaliste : produits indémontables, irréparables, car la réparation devient un non-sens économique. La vérité, c'est qu'un tel système est un non-sens social.
Le rapport européen sur la consommation plaide pour une extension progressive de la durée de la garantie légale de conformité, idée reprise par la proposition de loi de Jean-Vincent Placé. Je l'ai portée par amendement lors de l'examen du projet de loi de Frédéric Lefebvre. Ouvrons la voie à un changement de mode de production, pour des produits durables et réparables. Incitons les éco-organismes à prélever des pièces détachées pour réparer les produits. La réparation offre une réponse sociale concrète, riche en emplois non délocalisables.
Cette proposition de loi insère le concept d'obsolescence programmée dans le code de la consommation en en faisant un délit. Il faut faire cesser ces pratiques, contraires au sens de l'histoire, et mettre le progrès au service du développement durable, comme le disait Jean-Vincent Placé. Ayons ce courage collectivement. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jean-Jacques Filleul . - Les systèmes de production évoluent. Beaucoup, avec Jeremy Rifkin, en appellent à un changement de paradigme. Ce débat sur l'obsolescence programmée interroge notre société. J'espère que nous retrouverons les mesures ici préconisées dans un prochain projet de loi.
L'obsolescence programmée augmente les déchets et la surexploitation des ressources naturelles. L'OCDE alerte dans son rapport publié en novembre dernier sur la gravité de la situation. Le recyclage ne suffira pas à résorber les tensions sur les matières premières. Légiférer pour lutter contre la faible qualité des produits est urgent. L'Allemagne l'a fait en 1994 et le Japon en 2000.
La filière de traitement des D3E a été mise en place chez nous en 2006. Le modèle de production des produits électroménagers est justement contesté, car il pousse à la surconsommation. La durée de vie des équipements raccourcit.
La réparation conserve des emplois locaux, en particulier dans le secteur de l'économie sociale et solidaire auquel vous êtes attentif, monsieur le ministre ; Le matériel doit être pensé pour être réparé et réutilisé. Passons du « tout jetable » au « tout utile ».
Mme Laurence Rossignol. - Très bien !
M. Jean-Jacques Filleul. - Arrêtons d'imposer des produits à bas prix et de faible qualité ; un autre modèle doit émerger, intégrant la fonctionnalité, privilégiant l'usage à la possession, valorisant le recyclage : c'est tout un mode de vie à repenser. Remplaçons les bouteilles en plastique par des bouteilles en verre. Luttons contre le gaspillage, alors que 30 % des produits sont jetés dans certains restaurants scolaires. Favorisons la fabrication d'un chargeur universel pour les téléphones portables. Montrons aux enfants et aux adultes les bonnes pratiques. Ces évolutions doivent être acceptées par nos concitoyens. Notre pays ne peut pas être en reste. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
Mme Delphine Bataille . - Cette question renvoie à l'avenir de notre modèle économique. M. Placé la situe dans le sillage de l'Ademe. L'obsolescence programmée réduit artificiellement la durée de vie des produits. Il est logique de penser que les fabricants arbitrent en fonction des coûts ou de la concurrence. Les producteurs cherchent à offrir, dans la plupart des cas, le meilleur rapport qualité-prix. Pour continuer à vendre sur nos marchés concurrentiels et suréquipés, ils incitent les consommateurs à renouveler leurs achats. L'arrêt de la production de pièces détachées est un levier puissant. Il est certain que notre mode de consommation produit de plus en plus de déchets. Il est nécessaire d'allonger la durée de vie des produits. Le président de la République s'est saisi de la question. Mais des mesures trop brutales auraient un impact négatif sur l'économie. La priorité actuelle est de préserver l'emploi de notre modèle productif. Les critiques contre la société de consommation qui fleurissaient à la fin des Trente Glorieuse apparaissent désormais comme un luxe réservé aux sociétés de plein emploi. L'emploi est devenu notre bien le plus précieux. Aucune de nos initiatives ne doit lui nuire. Cette lutte doit donc être menée à l'échelle européenne, voire internationale.
La proposition de loi s'inscrit dans une perspective de transition entre une économie de consommation et une économie d'usage. Il est indispensable de faire preuve de beaucoup de vigilance en ces matières plus complexes qu'il n'y paraît. Comment garantir la durée de vie d'un produit incorporant des intrants fabriqués à l'étranger ? Quelles seront les réponses ? Le coût social réel ? Attention à ne pas nous retrouver dans l'impasse. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous proposerez des réponses justes. (Applaudissements sur certains bancs socialistes et sur les bancs CRC)
M. Jean-Jacques Mirassou . - Qui, venant d'acheter un article électroménager, ne s'est demandé quelle était sa durée de vie ? Chacun se trouve confronté à l'obsolescence programmée, comme M. Jourdain faisait de la prose... Nous avons franchi un palier depuis les Trente Glorieuses, quand nous parlions de société de consommation. Ce débat est donc bienvenu.
Une suspicion règne, qui nous pousse à nous interroger, avec UFC-Que choisir qui nous incite à une lecture critique de notre économe. Les tests menés en laboratoire ont été peu probants, ce qui incline l'association à parler plutôt d'obsolescence organisée. Notre débat ne doit être interprété de manière simpliste comme une remise en cause indifférenciée de tous les secteurs industriels. Pour les experts, il y a au moins quatre types d'obsolescence.
Politiques, penchons-nous sur la nature de notre société, pour redéfinir notre rapport à la consommation et à la croissance. Est-il impossible de concilier l'écoconception des produits et la dynamique industrielle ? Je ne le crois pas. Soyons inventifs ! La course à l'innovation, les phénomènes de mode jouent leur rôle dans ce phénomène. Monsieur le ministre, il se dit que vous pourriez inclure des mesures dans le cadre de la grande loi sur la consommation. Il ne s'agit pas que d'un problème environnemental. Les filières de production et de distribution doivent être repensées.
Le secteur de la réparation compte quelque 70 000 entreprises, il pourrait être créateur d'emplois. En cette période de crise, redéfinissons notre modèle économique, avant tout au service des consommateurs. Telle est votre ambition, monsieur le ministre, nous la partageons. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation . - Merci d'avoir mis ce débat à l'ordre du jour. Il nous donne l'occasion de réfléchir ensemble à l'écart, pour un temps, du tumulte de l'actualité politique, parce qu'il concerne notre système de valeurs.
Gilles Lipovetsky, philosophe de l'hyperconsommation, trace, dans son essai, Le bonheur paradoxal, la figure de ce consommateur plus libre, plus informé, mais dont le plaisir est de plus en plus lié à la possession, aux modèles répandus par la publicité. Or le sentiment de frustration reste intact en dépit de la logique d'accumulation. Comme le dit l'économiste Daniel Cohen, la course-poursuite est vaine car les autres aussi veulent vous dépasser. Les externalités environnementales négatives doivent être prises en compte. Le paradoxe de l'économie low cost atteint vite ses limites : à toujours vouloir des prix plus bas, on achète le droit d'être au chômage. C'est ainsi que le consommateur arbitre contre ses propres intérêts.
On ne peut proposer à nos concitoyens de consommer toujours plus. La transition écologique nous incite à repenser nos modes de production et de consommation. Sans consommation, pas d'investissement, ni de croissance, ni d'emplois.
Mme Laurence Rossignol. - On n'en est pas là !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - La consommation n'a progressé que de 0,2 % par an depuis 2008. Quand les dépenses contraintes, comme l'énergie, augmentent, d'autres secteurs voient leurs ventes baisser, notamment celui des produits électroniques. Nous ne pouvons nous résigner à voir ce moteur de la croissance s'éteindre à son tour, d'où les mesures que nous avons prises en faveur du pouvoir d'achat. Nous devons atteindre un juste équilibre. Car il est juste de dire, aussi, qu'allonger les durées d'usage des produits crée des emplois non délocalisables, en favorisant l'économie circulaire et en nous rendant moins dépendants.
C'est dans ce contexte que je place ce débat. La surconsommation de certains produits n'a aucun effet positif sur l'emploi en France.
L'obsolescence programmée n'est pas un concept paranoïde ou complotiste, mais une pratique établie de longue date. Le juge américain a, dès avant la Seconde Guerre mondiale, sanctionné le cartel Phoebus, qui jouait sur la durée des ampoules électriques. Plus les marchés sont concentrés entre le moins grand nombre d'opérateurs, plus de telles pratiques sont rendues possibles. Il y a aussi l'obsolescence technique, voire l'obsolescence ressentie, subjective, promue par le marketing.
Vos proposez de définir un délit d'obsolescence programmée. Le projet de loi consommation, que je présenterai la semaine prochaine, propose un alourdissement des sanctions, en portant l'amende à 300 000 euros pour une personne physique, voire 10 % du chiffre d'affaires pour les personnes morales, au regard des gains induits par l'obsolescence programmée. Si de telles sanctions avaient été prises avant l'affaire de la viande de cheval, les parties impliquées dans cette tromperie auraient réfléchi à deux fois : il ne faut pas que l'éventuelle sanction soit moindre que le gain attendu de la tromperie.
D'autre part, nous instaurerons en droit français l'action de groupe grâce à laquelle les consommateurs pourront mieux faire valoir leurs droits. Ce sont deux voies concrètes d'action. Je n'ignore pas pour autant l'importance symbolique et politique de votre proposition. Nous en débattrons donc lors du débat sur le projet de loi.
M. Jean-Vincent Placé. - Très bien !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Lutter contre l'obsolescence programmée, c'est aussi favoriser l'émergence d'autres pratiques. Porter la garantie de deux à cinq ans n'aurait pas de sens pour tous les produits. Je pondère toutefois moi-même cette réserve : on peut imaginer que, demain, il paraisse normal de renouveler plus lentement un bien que l'on veut aujourd'hui renouveler très vite.
Augmenter la garantie de deux à cinq ans, c'est un renchérissement de 20 % du prix, ce qui serait malvenu en ces temps de crise. J'ajoute que les fabricants proposent des extensions payantes de garantie, sources de valeurs importantes pour des acteurs fragilisés par la concurrence des pure players. Il faut donc songer aux conséquences.
J'entends votre proposition de moduler l'éco-contribution selon la durée de vie du bien. Les textes le permettent ; j'ai engagé des discussions.
Le consommateur doit être parfaitement informé de l'existence de la garantie légale de conformité et de la garantie légale de vice caché. Le projet de loi sur la consommation prévoit une information claire et lisible sur le lieu de vente comme dans les conditions générales de vente.
Le développement de modes de consommation plus responsables est une nécessité, en même temps qu'une demande du consommateur, qui devient un acteur éclairé et responsable. Encore faut-il qu'il puisse exercer ses droits et sa liberté d'arbitrage en toute connaissance de cause. Ainsi de l'existence et de la disponibilité des pièces détachées nécessaires à une réparation, que les producteurs seront tenus de fournir pendant un laps de temps qui devra être précisé.
Mieux informé, le consommateur pourra faire le choix du produit le plus durable. Cela profitera aussi au secteur du réemploi. Nous devons développer une telle filière qui contribuera à relocaliser une partie des emplois. Les entreprises de l'économie sociale et solidaire en bénéficieront, qui sont très présentes dans ce secteur. L'une d'elles est très innovante et leader dans le recyclage des écrans plasma.
Voilà les propositions que je porterai bientôt. Je vous remercie de la qualité de nos échanges, qui présagent d'un débat riche sur le projet de loi relatif à la consommation. Il nous faut passer d'une économie du gaspillage à une économie du sens et de la tempérance, fondée sur d'autres valeurs que la rentabilité à court terme et la surconsommation. (Applaudissements à gauche et au centre)