Cumul des mandats (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - Nous reprenons la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.
Discussion générale commune (Suite)
Mme Éliane Assassi . - Le cumul des mandats est un sujet essentiel pour l'avenir de nos institutions. Le groupe CRC soutiendra ce texte qui, bien qu'incomplet, répond à une exigence démocratique que nous avons toujours affirmée - nous avions ainsi proposé en 2008 d'inscrire le non-cumul dans la Constitution.
On oppose à ce texte la nécessité d'un ancrage local des élus nationaux. Je crois plutôt qu'il faut inventer de nouvelles formes d'immersion dans la vie locale, d'association de la population aux choix qui la concerne ; il n'y a pas de limitation de cumul des mandats sans démocratie participative. Pourquoi les parlementaires n'iraient-ils pas exposer les projets de loi dans leurs circonscriptions ? Pourquoi pas des conseils de circonscription ? Pourquoi pas un vrai droit de pétition ?
La souveraineté populaire ne doit plus être confisquée, sous peine de prolonger la crise actuelle de la représentation. Limiter le cumul des mandats, c'est donner aux parlementaires le temps et les moyens de remplir leur mission et de résister aux lobbies. Certains agitent le chiffon rouge de la montée du Front national ; mais celui-ci se combat d'abord sur le terrain des idées.
M. Éric Doligé. - Comme l'extrême gauche !
Mme Éliane Assassi. - Pour claquer le porte au nez d'une idéologie aux relents nauséabonds, il faut savoir rassurer, échanger avec la population, atténuer ses craintes devant la dégradation de la situation économique. Le Front national ne doit pas servir de prétexte pour fermer la porte à l'évolution de nos institutions.
Au-delà du cumul, il faut s'attaquer à la professionnalisation de la politique, au dessaisissement du peuple. Tout ce qui entrave l'expression démocratique de la souveraineté populaire doit être déconstruit. Le scrutin proportionnel doit devenir la règle.
M. Philippe Dallier. - Bien sûr !
Mme Éliane Assassi. - Il ne vous convient pas !
M. Éric Doligé. - Il fait le jeu du Front national ! Mélenchon, Le Pen, même combat !
Mme Éliane Assassi. - Et vous donc ? Le mode de scrutin majoritaire favorise l'entre soi et la professionnalisation de la politique. Ce sont les hommes qui cumulent le plus, faisant ainsi obstacle aux femmes, mais aussi aux jeunes et à la diversité sociale ou d'origine. Le Parlement ne représente plus la société. Combien d'ouvriers ici ? La moyenne d'âge des députés n'a cessé de croître depuis la Libération.
M. Gérard Larcher. - On vit plus longtemps !
Mme Éliane Assassi. - Et la reproduction des élites... Trop nombreux sont ceux qui sortent des mêmes écoles et ont suivi les mêmes cursus.
Le cumul des fonctions locales existe aussi, alors que les lois de décentralisation ont confié des pouvoirs importants aux exécutifs locaux. Leur renouvellement n'est pas limité. Cela crée des féodalités face au pouvoir central, garant de l'égalité.
Allons plus loin. Le Sénat n'a-t-il pas un grand rôle à jouer pour assurer, outre la représentation des territoires, celle de la société dans sa diversité ? Nous sommes pour un bicamérisme utile, qui améliore la qualité de la loi et renforce la participation des citoyens.
Autre point crucial : pour que la politique cesse d'être une profession, il faut un statut de l'élu, protecteur, qui autorise à retrouver l'emploi antérieur ou à accéder à une formation. L'urgence, c'est aussi de revenir sur le quinquennat et l'inversion du calendrier des élections présidentielles et législatives.
Mon propre parti n'échappe pas au cumul.
M. Bruno Sido. - Et comment !
Mme Éliane Assassi. - Je me passerai de vos petites remarques. Je vois que cela vous gêne que l'on parle de démocratie et de valeurs. (Marques d'indignation à droite) Peu importe que la proportionnelle ne nous renforce pas, que le non-cumul ne nous soit pas profitable : nous avons des valeurs et nous nous battons pour elles.
Si nous soutenons ce projet de loi, c'est parce que nous sommes convaincus de l'urgence qu'il y a à démocratiser notre vie politique dans tous ses aspects. (Applaudissements sur les bancs CRC, écologistes et la plupart des bancs socialistes ; M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, applaudit aussi)
M. François Zocchetto . - Concorde, confiance, prudence, tels devraient être les maîtres mots d'un débat institutionnel. Il nous faut malheureusement déplorer les conditions dans lesquelles le Gouvernement nous fait travailler. Pourquoi la procédure accélérée sur un texte qui n'entrera en vigueur qu'en 2017 ? Nous n'avons cessé de la dénoncer. Les Français n'ont-ils pas d'autres préoccupations dont le Gouvernement devrait se soucier ? (Marques d'approbation à droite) Brider le Parlement, brimer le Sénat, voilà le seul objectif. Sans doute a-t-il compris que le Sénat serait rétif... Dès juillet, certains députés parlaient comme si la réforme était déjà adoptée. Et vous êtes allé dans leur sens, monsieur le ministre. « Circulez, il n'y a rien à voir ! ». (Applaudissements au centre et à droite)
L'examen en commission, je dois le dire, n'a pas été moins expéditif : le rapporteur n'a été nommé que le dernier jour de la session extraordinaire de juillet et le rapport déposé le lendemain des auditons... C'est véritablement un exploit qu'a accompli le rapporteur... (Applaudissements au centre et à droite)
L'article 46 de la Constitution dispose que les lois organiques relatives au Sénat doivent être adoptées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Je ne m'étendrai pas sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière...
M. Simon Sutour, rapporteur. - Et pour cause !
M. François Zocchetto. - Nous verrons s'il ne considérera pas qu'il y a là, en réalité, non pas une mais deux lois organiques ! Tout cela n'est pas sérieux et dégrade l'image du Parlement et du Sénat.
Il eût fallu aborder aussi la question du cumul horizontal, cher à Mme Aubry... Votre principal argument, monsieur le ministre, est la « modernité ». Il est bien faible...
M. Henri de Raincourt. - Ridicule !
M. François Zocchetto. - Certains semblent ne pas avoir compris la spécificité de la Ve République. Avec un État omnipotent et tous les leviers entre les mains de l'exécutif, il n'est pas étonnant que pour les parlementaires l'ancrage local soit la seule manière de s'affranchir de la mainmise du Gouvernement ! Vous-mêmes aviez compris cette nécessité, monsieur le ministre, quand vous cumuliez fonctions locales, mairie d'Évry et présidence de la communauté d'agglomération, et députation... (Exclamations à droite ; M. le ministre le confirme) Il est vrai que depuis vous êtes passé du côté de l'omnipotence...
Le choix du Gouvernement aura des conséquences institutionnelles importantes. Demain, les parlementaires seront des élus hors-sol. Rien ne montre qu'un « cumulard » soit un moins bon parlementaire ! Qui nous garantit que les moyens du Parlement seront renforcés ?
M. Bruno Sido. - Ils ne le seront nullement !
M. François Zocchetto. - Il n'y aurait pas de cumul dans les autres pays occidentaux ? Mais il n'est généralement pas interdit.
M. Manuel Valls, ministre. - En effet !
M. François Zocchetto. - Seulement, le centralisme y est bien moindre qu'en France.
Le débat qui s'ouvre est aussi un débat sur la décentralisation. La France n'est pas réellement décentralisée. Parce que les décisions politiques se prennent à Paris, les élus locaux ont compris la nécessité d'un mandat parlementaire qui les rapproche des vrais lieux de pouvoir. La présence de grands élus locaux au Parlement fait contrepoids au pouvoir de l'exécutif.
M. Philippe Bas. - Excellent !
M. François Zocchetto. - Comme le disait un éminent universitaire, il ne faut donc pas interdire le cumul des mandats sans rééquilibrer nos institutions. On ne ferait, sinon, que renforcer la toute-puissance présidentielle. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Éric Doligé. - C'est ce qu'ils veulent !
M. François Zocchetto. - L'avenir du Parlement et du Sénat est en jeu. Quel Sénat voulons-nous ? Un Sénat composé de retraités efficaces, de fonctionnaires et d'apparatchiks des partis ? Avec cette réforme, nous y allons... La moitié des nouveaux députés sont des permanents de partis ou d'anciens membres de cabinets... (Applaudissements au centre et à droite)
Le Sénat de demain saura-t-il s'opposer au président de la République, comme celui de Gaston Monnerville à de Gaulle ? Saura-t-il dire non aux tests ADN, à la déchéance de nationalité, à l'incurie budgétaire avalisée par l'Assemblée nationale ?
Mme Jacqueline Gourault. - Comme avant !
M. François Zocchetto. - Nous voulons un Sénat indépendant qui continue de représenter les collectivités territoriales de la République, non une assemblée qui soit sous la tutelle des partis. C'est pourquoi nous ferons des propositions. Nous ne disons pas non à la réforme, mais nous ne voulons pas de la vôtre. Et nous voulons que la voix du Sénat soit entendue. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jacques Mézard . - (Applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite) C'est avec émotion que je m'adresse à vous, président d'un groupe héritier de celui de la gauche démocratique et qui se confond avec l'histoire du Sénat et celle de la République. Ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est la République.
Je pense à ceux qui nous ont précédés, à ceux qui ont fait la République, à ceux qui se sont tant battus pour que le Sénat apporte à la République l'équilibre et la réflexion. Comment ne pas évoquer Gaston Monnerville, qui a su restaurer l'image du Sénat, préserver son indépendance et même son existence, qui a eu le courage de démissionner de sa présidence, lorsque l'essentiel était en jeu ? Il nous manque, lui le premier président de gauche du Sénat de la Ve République.
C'est avec l'humilité d'un sénateur sans notoriété nationale ni relai médiatique que je vous parle ; je le fais avec mes convictions et ma fidélité. Je sais où je suis et j'y resterai : oui, je crois encore qu'on peut siéger à gauche et rester libre.
M. Bruno Sido. - Voire.
M. Jacques Mézard. - Votre texte est une atteinte grave à nos institutions, monsieur le ministre. Il faut le combattre et le rejeter. (Applaudissements des bancs du RDSE à la droite) Vous parlez vous-même de révolution et vous voulez la faire à la sauvette, comme un braconnier... Vous savez l'estime que nous avons pour vous, monsieur le ministre, pour vos propos souvent à la marge de votre appartenance partisane. Dans un livre intitulé Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche, paru en 2008, (M. le ministre de l'intérieur sourit) l'interdiction du cumul est décrite comme une idée « somptueusement fausse », d'une « histoire que l'on raconte pour s'étourdir quand on a perdu son identité ». (« Très bien ! » à droite) Son auteur ? Il siège en face de moi au banc du Gouvernement ! (Rires et applaudissements nourris des bancs du RDSE à la droite)
M. Manuel Valls, ministre. - Merci, monsieur Mézard !
M. Jacques Mézard. - Je pourrais poursuivre... (À droite, on invite bruyamment l'orateur à le faire) Je dis depuis des mois que ce projet de loi est une imposture ; il suffit de vous lire pour le prouver.
Qui est enfin de gauche aujourd'hui ? Vous ou nous ? Vous voulez une majorité rose verte, vous récolterez une majorité bleu sombre...
Vous admirez Clemenceau, monsieur le ministre. Il n'a jamais été socialiste. Parce que c'est lui qui disait qu'au premier souffle de la réalité, le palais de féerie s'envole. Parce que c'est à lui qu'en novembre 1917, au coeur de la tourmente, une grande majorité de socialistes a refusé la confiance. Il ne serait guère convenable de capter son héritage, alors que vous allez mettre à mort les formations minoritaires auxquelles il adhère. Il avait en outre un profond respect pour le Parlement.
Beaucoup de socialistes sont fidèles à l'action de François Mitterrand. Nous aussi. Il a marqué notre pays par sa stature d'homme d'État, souvent contre l'opinion publique. Imaginez-vous un de ses ministres proposer le binôme départemental ou le non-cumul des mandats ? (Applaudissements des bancs du RDSE à la droite) Pour le président Mitterrand, « la disparition de tout cumul serait un moyen détourné pour le pouvoir central de renforcer son autorité ».
Les Français ont bien d'autres préoccupations. Pourquoi cet acharnement, cette obsession du non-cumul ? Parce que c'était le moyen pour Mme Aubry de prendre le contrôle du parti socialiste... J'ai mal quand je lis M. Delebarre, pour qui j'ai un profond respect, décrit comme le « premier cumulard de France ». (Applaudissements sur les bancs du RDSE et à droite)
Un homme politique doit avoir le courage de braver l'opinion. Je suis indigné des méthodes utilisées pour caricaturer nos propositions. Le Gouvernement est complice d'une campagne médiatique antiparlementariste, en particulier dans la presse bobo parisienne. (Applaudissements sur les mêmes bancs) Nous n'avons pas à nous repentir à votre place des errements de M. Cahuzac...
Autre procédé déplorable : la procédure accélérée, à laquelle l'exécutif du Sénat n'a pas réagi. Le but est clair : faire trancher l'Assemblée nationale, faire taire le Sénat - au mépris des articles 24 et 46 de la Constitution. Ce qui est en jeu, c'est l'équilibre des institutions de la République et le principe même du bicamérisme. Au vu d'un tel enjeu, la procédure accélérée et la désignation si tardive du rapporteur relèvent de la provocation.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - M. Zocchetto l'a déjà dit.
M. Jacques Mézard. - Je sais que cela ne vous fait pas plaisir... Je ne doute pas que M. Sutour ait mis à profit la nuit du 10 au 11 septembre pour méditer nos propositions. Monsieur le président Sueur, vous ne méritez pas notre absolution, car ce ne sont pas là des méthodes acceptables ! (Marques d'approbation à droite)
Il n'y a pas d'un côté les modernes et de l'autre les ringards. La modernisation des institutions, nous la réclamons depuis longtemps. Limitation du cumul horizontal, interdiction du cumul des indemnités, encadrement des incompatibilités, est-ce ringard, est-ce archaïque ? (Applaudissements sur les mêmes bancs) Mme Aubry pourra continuer à cumuler la mairie de Lille et la présidence de la communauté d'agglomération comme de multiples SEM... Il ne convient pas à des nouveaux convertis de nous donner des leçons de liturgie ! J'ai consulté les curriculum vitae des promoteurs du non-cumul : voyez ceux du président de la République, du Premier ministre : c'est accablant... Rancoeur de ceux qui n'ont pas été élus ? (Rires à droite) Monsieur le rapporteur, vous avez été directeur général des services du Gard et sénateur suppléant, avant d'être DGS de Nîmes et élu sénateur... On comprend mieux votre position contre les amendements interdisant pareils exploits... (Mouvements divers) Nos collègues écologistes sont-ils exemplaires ? Trois présidents et présidentes de groupe parlementaire ont eu pour seule activité avant leur mandat d'être assistant parlementaire. Sont-ils à l'image de la société ? Est-ce là le progrès ? Je note aussi qu'ils ont un conjoint élu... C'est un autre cumul...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Respectez la vie privée !
M. Manuel Valls, ministre. - Allez-vous parler de ma femme, de mon père ?
M. Jacques Mézard. - Respectez-nous aussi, monsieur le ministre ! M. Désir et Mme Joly, qui ne cumulent pas, sont, parmi les 30 députés européens, parmi les plus absentéistes sur plus de 700 ! (Rires et approbations à droite) Vos arguments ne tiennent pas !
Ce matin, la presse parlait du Sénat comme un cénacle d'hommes blancs. (Tollé à droite)
Mme Esther Benbassa. - De plus de 50 ans !
M. Jacques Mézard. - Quand je lis ça, je frémis ! D'éminents constitutionnalistes, Pierre Avril, Dominique Rousseau, Didier Maus, ont condamné cette réforme, qui accentuera la concentration des pouvoirs et favorisera les apparatchiks, ne vous en déplaise, monsieur le ministre. Cette perversion de la République aurait mérité un autre débat.
Le non-cumul, avec le Haut Conseil des territoires, c'est la fin du Sénat. Vous avez décidé de l'éteindre comme une flamme qui finirait de se consumer. Pourquoi n'assumez-vous pas votre objectif, comme le général de Gaulle en 1969 ?
Le Sénat représente les collectivités territoriales de la République. Vous avez-vous-même reconnu qu'un traitement différencié des sénateurs supposerait un vote conforme des deux assemblées, monsieur le ministre. M. Pierre Joxe, comme le Premier ministre Pierre Mauroy, reconnaissaient naguère qu'il était bon que le Sénat comprît des élus locaux. Guy Carcassonne l'admettait en 2005.
Notre débat transcende les sensibilités politiques. Dix-sept des dix-huit membres du RDSE ont fait élire le président Bel, le président Sueur et le président Hollande. Je salue le courage de tous ceux qui disent non à cette imposture, comme M. Rebsamen. C'est la marque des vrais hommes d'État. (Applaudissements à droite, que M. François Rebsamen repousse du geste)
Nous, gaullistes, libéraux, radicaux, républicains, nous avons une conception commune de la République, ne la laissons pas défigurer au nom d'intérêts partisans. Sénatrices et sénateurs de la République, au nom de tout ce qui nous unit, au nom de notre histoire et de l'avenir d'une République que nous voulons forte et rassemblée, je vous demande de rejeter ce texte et d'adresser à l'exécutif le message de liberté d'une Haute Assemblée au service de la République. Vive le Sénat de la République, vive la République ! (Mmes et MM. les sénateurs des groupes RDSE, UDI-UC et UMP se lèvent et applaudissent longuement)