Lutte contre le dopage (Débat)
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.
M. Jean-François Humbert, président de la commission d'enquête . - (Applaudissements) En février dernier, j'ai eu la chance d'être nommé président de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage. Avec M. Lozach, notre rapporteur, nous nous sommes rapidement attelés à la tâche : en moins de six mois, nous devions établir un bilan objectif et faire des propositions.
Nous avons rempli notre mission puisque nous avons adopté, le 24 juillet dernier, cinq mois après le début de nos travaux, nos conclusions. Notre rapport de 700 pages retrace une enquête approfondie : 63 auditions, 86 personnes entendues, 69 heures et 47 minutes de réunion. Les huis clos, lorsqu'ils ont été demandés, ont été acceptés. Nous avons organisé cinq déplacements, dont trois à l'étranger -en Suisse, en Espagne et aux États-Unis. Ces exemples nous ont éclairés.
Nos travaux, nous avons été heureux de le constater, ont trouvé un écho international. Le directeur de l'agence américaine contre le dopage, que nous avons interrogé au Sénat, a suivi nos auditions.
L'objectif était d'élargir le panorama au-delà du cyclisme. Il fallait, comme je l'ai dit en conférence de presse, lever le nez du guidon. (Sourires) Et ce, par souci d'équité. Nous ne voulions pas discriminer tel ou tel sport. Par respect pour les sportifs, nous avons ainsi reporté la publication du rapport après l'arrivée du Tour de France.
Le succès a été au rendez-vous puisque le tome I de notre rapport a été consulté 9 000 fois, les annexes 3 500 fois.
Durant les trois jours qui ont encadré la conférence de presse, le site à elle dédié a reçu la visite de 2 000 internautes, ce qui reflète fidèlement l'affluence des journalistes lors de cet événement public.
C'est que le sujet rassemble au-delà des sensibilités politiques. Dans un climat apaisé et coopératif, nous avons cherché à améliorer les lois de 2006 et de 2010 contre le dopage en formulant 60 propositions applicables -j'y insiste- à budget constant.
La tentation est grande de déposer une proposition de loi afin de traduire concrètement nos propositions. Pour autant, on annonce une loi cadre sur le sport pour 2014. Madame la ministre, pouvez-vous préciser le calendrier ? Pouvez-vous aussi vous engager à la faire examiner en premier lieu par le Sénat ?
MM. René Garrec et Jean-Claude Carle et Mme Danielle Michel. - Très bien !
M. Jean-François Humbert, président de la commission d'enquête. - Si vous répondez par l'affirmative, nous pourrions renoncer à pousser notre proposition de loi.
Surtout, madame la ministre, êtes-vous prête à faire vôtres nos propositions ? Je pense au renforcement du rôle de l'Agence française de lutte contre le dopage, ou à l'instauration du passeport biologique, ou encore au contrôle des salles de musculation, où commence souvent le trafic des produits dopants. Je pense aussi à la possibilité de prendre des sanctions sur des preuves non analytiques, comme on le fait aux États-Unis -voyez le cas Lance Armstrong- ou encore à l'instauration d'un système pour les repentis. Vous le savez, si notre commission ne préconise pas une pénalisation des sanctions, elle se prononce pour l'élargissement du dispositif aux salles de sport. Enfin, la coopération, fondamentale dans la lutte contre le dopage, doit se traduire dans notre code du sport. Quelles sont vos préconisations en la matière ?
L'Europe doit jouer un rôle moteur, c'est ma conviction. Les institutions européennes comme les acteurs privés organisateurs de compétitions, voyez l'UEFA, jouent un rôle majeur. Ne faut-il pas une directive d'harmonisation pour la lutte contre le trafic de produits dopants? Quand pourrait-elle aboutir ?
Enfin, les jeux en ligne sont certes contrôlés par l'Autorité de régulation des jeux en ligne mais n'a pas compétence sur les matches truqués. Nous n'avons pas proposé sa fusion avec l'Agence française de lutte contre le dopage mais si l'Agence mondiale antidopage recevait des compétences en la matière, quelles seraient les conséquences dans notre pays ?
J'aurais encore bien d'autres choses à dire mais je vais laisser la parole à notre excellent rapporteur, en remerciant d'avance la ministre pour les réponses qu'elle apportera à mes questions. (Applaudissements)
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la commission d'enquête . - Ce débat fait suite à cinq mois de travaux au Sénat, représentant des collectivités territoriales, qui sont le premier financeur du sport. Il a permis d'éveiller les consciences, de faire parler sans tabou d'un sujet souvent frappé d'omerta. Nos révélations sur le Tour de France 1998 et 1999 ou le tennis ont porté des fruits : l'Union cycliste internationale a, enfin, annoncé la création d'une commission Réconciliation et Vérité.
Nous nous étions donné pour objectif de faire un état des lieux du dopage, de dresser un bilan de la lutte antidopage, de donner un éclairage international et de faire des propositions. Le bilan est consensuel. La prévalence du dopage est bien plus élevée que les 1 à 2 % de sportifs contrôlés positifs ; le dopage traverse toutes les disciplines, les sports professionnels comme amateurs. En parler contribuera à rehausser l'image du sport, un sport dont nous avons une vision humaniste, pour l'égalité des chances.
Notre politique de prévention, cela fait également consensus, est mal ciblée. Le passeport biologique, qui devrait déjà être mis en place, ferait progresser les contrôles. Quant aux sanctions, elles devraient être mieux utilisées. Une seule sanction sur des preuves non analytiques a été prise par l'Agence française de lutte contre le dopage depuis sa création, contre 20 % par son homologue américaine. De même, une seule sanction pécuniaire a été prononcée. La possibilité de moduler la sanction selon le comportement du sportif n'a jamais été utilisée. Notre dispositif de lutte contre les trafics serait plus efficace si nous renforcions la coopération entre ses acteurs : les douanes, la gendarmerie et le monde sportif.
Nous avons formulé 60 propositions valant pour tous les sports, autour de sept piliers -des propositions concrètes, réalistes, à moyens constants, rassembleuses. La connaissance, d'abord, car on ne combat bien que ce que l'on connaît. L'Agence française de lutte contre le dopage et le ministère des sports doivent financer des études sur la réalité du dopage. La prévention, ensuite, qui fait l'objet de dix-sept propositions. J'insiste sur les actions en direction du sport amateur et, surtout, dans les salles de musculation qui sont, d'après nos informations, de véritables plaques tournantes du trafic de produits dopants. Pour le sport professionnel, le ministère devrait pouvoir s'opposer aux calendriers abusifs des fédérations, soit ceux prévoyant des compétitions sportives manifestement trop proches.
Troisième pilier, la politique des contrôles. Toutes les manifestations doivent être réputées nationales, à moins d'une déclaration contraire par la fédération internationale concernée. Ainsi l'Agence française de lutte contre le dopage aurait-elle la mainmise sur l'organisation des contrôles ? Nous préconisons la nomination de huit délégués interrégionaux aux contrôles au sein de l'Agence française de lutte contre le dopage, qui travailleraient à temps plein.
Pour les analyses, l'EPO et l'hormone de croissance devraient être systématiquement recherchées, ce qui aurait un effet dissuasif et mettrait fin au sentiment d'impunité. Rattachons le laboratoire de Châtenay-Malabry à une université pour encourager la recherche.
Les sanctions disciplinaires doivent être transférées des fédérations nationales à l'Agence française de lutte contre le dopage. Il sera ainsi mis fin aux conflits d'intérêt. Ce point, qui appelle une modification législative, est, pour nous, la base d'une réforme globale de la politique de sanctions, avec un système de repentis, pour combattre l'omerta.
Pour ce qui est de la politique pénale en matière de dopage, nous avons décidé de ne pas pénaliser l'usage, sachant qu'il existe déjà une incrimination pour détention de produits dopants mais cette incrimination ne visant que les seuls sportifs au sens du code du sport devra être étendue aux pratiquants des salles de sport et de musculation.
Enfin, dernier pilier, et non des moindres, la coopération entre les acteurs de la lutte contre le dopage, à commencer par l'Agence française de lutte contre le dopage et l'Oclaesp. Avez-vous pris l'attache du ministère de la Justice ?
Nous proposons enfin d'élargir la taxe Buffet pour en affecter une partie à l'Agence française contre le dopage : est-ce envisageable dans la loi de finances pour 2014 ?
Voilà ce que nous proposons, madame la ministre, pour que la lutte antidopage garde une longueur d'avance ! (Applaudissements)
M. Michel Le Scouarnec . - L'argent a terni l'image du sport, alors que Pierre de Coubertin disait que « le sportif va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre ». De fait, le dopage sévit. La France peut s'enorgueillir d'avoir été pionnière en adoptant la grande loi Buffet de 1998, qui a débouché sur la création de l'Agence mondiale antidopage en février 1999.
Nous ne pouvons pas nous contenter de ce passé glorieux. Pour rester à la pointe de la politique de lutte contre le dopage, la France doit y consacrer des moyens à la hauteur de son ambition. C'est là l'essentiel de ce qui nous distingue du rapporteur. Oui, renforçons l'Agence française de lutte contre le dopage, les contrôles inopinés, des contrôles qui doivent porter sur toutes les substances. S'il faut plus de sanctions, celles-ci ne doivent pas concerner le seul sportif. Et la coopération entre tous les services concernés par la lutte contre le dopage doit être renforcée.
Pour conclure, je veux saluer la très grande qualité des travaux de notre commission, l'engagement du président Humbert et du rapporteur Lozach. Nos préconisations ne devront pas rester lettre morte pour que la morale triomphe et que le sport reste synonyme de réussite pour tous ! (Applaudissements)
M. Stéphane Mazars . - Je tiens d'abord à féliciter le groupe socialiste pour la création de cette commission d'enquête, le rapporteur Lozach, dont le travail témoigne d'une réelle connaissance du sport, et le président Humbert, qui a su rassurer nos interlocuteurs sur nos intentions afin d'établir avec eux un dialogue de confiance et de vérité.
Alors que le sport rime avec éthique et dépassement de soi, il devient trop souvent un pur spectacle, recherche effrénée de l'exploit.
En juillet 2013, Lance Armstrong déclarait qu'il était impossible de gagner le Tour de France sans se doper. Tricheur ou victime ? La question est posée.
Il faudrait, en premier lieu, mieux connaître le phénomène du dopage pour le prévenir. Cela ne suffira pas : même informés des risques pour leur santé, les sportifs continuent de se doper. Non pour l'argent, comme nous l'a expliqué le professeur Mondenard, mais pour leur ego, par esprit de compétition. Voyez Lance Armstrong, déclarant dans un célèbre documentaire que perdre équivaut, pour lui, à mourir.
Avant de participer aux travaux de la commission, j'étais partisan de pénaliser l'usage mais les sanctions pénales sont parfois difficiles à articuler avec les sanctions disciplinaires pour les sportifs, de même que l'intention est difficile à prouver, si elles sont indispensables pour frapper les trafiquants. D'une manière générale, nous sommes favorables au renforcement des sanctions, qu'elles soient disciplinaires -avec quatre ans de suspension, et non deux pour des produits lourds- ou pécuniaires. Cela suppose de meilleurs contrôles qui seront rendus possibles par le passeport biologique. Madame la ministre, connaissant votre engagement absolu pour le sport, nous ne doutons pas que vous aurez à coeur d'inscrire nos propositions dans votre future loi cadre et de porter la voix de la France au sein de l'Agence mondiale antidopage (AMA). La lutte contre le dopage est difficile mais elle est question d'équité, d'égalité, pour ne pas dire plus. Écoutez Roland Barthes, il disait que « doper le coureur est aussi criminel, aussi sacrilège que de vouloir imiter Dieu ; c'est voler à Dieu le privilège de l'étincelle » (Applaudissements)
M. Jean-Vincent Placé . - Nous aimons tous le sport, vecteur de dynamisme collectif, de santé, de diffusion de valeurs positives. Mais il faut aussi lui reconnaître un côté sombre, il a même pu être utilisé par les dictateurs. La puissance publique doit être intransigeante sur le dopage, lié au caractère inhumain des compétitions. Sortons d'une logique de sport business, mis en lumière par l'exemple de Lance Armstrong.
L'excellent rapport Humbert-Lozach montre que le dopage touche les professionnels, mais aussi les sportifs amateurs. Le trafic de produits dopants, vrais stupéfiants, prend une ampleur sans précédent. Les conséquences peuvent en être dramatiques pour la santé.
Les trafiquants ont souvent une longueur d'avance sur le contrôle. Les agences nationales rencontrent des difficultés dans la lutte tandis que les fédérations peinent à organiser les contrôles. La réforme de l'Agence française de lutte contre le dopage, préconisée par le rapport, est donc hautement souhaitable. Mais il faut aussi plaider au niveau international, pour harmoniser les sanctions, alléger les calendriers dans une optique moins mercantile, encadrer les financements et la gestion des fédérations nationales. La haute compétition n'est pas contradictoire avec une vision humaniste et coopérative du sport -c'est un amoureux du PSG qui le dit. (On s'amuse sur divers bancs)
Nous nous inscrivons dans les recommandations formulées dans le rapport. La pratique du dopage doit être combattue transversalement, dans toutes les disciplines, au niveau national comme international. La France est un des premiers pays à avoir adopté une réglementation dès 1965. Elle ne doit pas relâcher le combat afin que le sport reste un moteur pour la jeunesse. Je fais confiance à la ministre pour porter cette préoccupation forte et l'inscrire dans la continuité du travail remarquable qu'avait accompli Mme Buffet en son temps. (Applaudissements)
Mme Chantal Jouanno . - J'interviens au nom du groupe UDI-UC mais aussi comme membre de la commission d'enquête et ancienne ministre des sports. Je me souviens, madame la ministre, lorsque j'étais à votre place, d'un certain sentiment d'impuissance après le scandale Festina. La France a souvent été à la pointe de la lutte contre le dopage mais, hélas, nous échouons souvent...
Le monde du sport est de plus en plus traversé par des enjeux financiers et médiatiques, mais est aussi confronté à une demande croissante de transparence et d'éthique de la part de la société. Tel est le paradoxe, souligné par notre utile commission d'enquête. Ne laissons pas le sport devenir pur sport spectacle. C'est une question de société.
A en croire les représentants des fédérations entendus par notre commission d'enquête, leur sport serait épargné -l'escrime ou le judo parce que trop techniques, le tennis ou le football à cause de l'intelligence du jeu... Le dopage ne concernerait que le cyclisme. C'est l'omerta. Que l'on peut comprendre, car les fédérations craignent de faire fuir de potentiels licenciés. Mais la question est politique et éthique. Les travaux de la commission l'ont montré, tous les sports sont concernés. Si les outils sont insuffisants pour mesurer l'ampleur du phénomène, on sait que tous les sportifs sont concernés, y compris les non-professionnels et les jeunes. Le représentant de l'Agence française de lutte contre le dopage, Jean-Pierre Verdy, a décrit une situation épouvantable : les amateurs utilisent les mêmes produits que les professionnels, mais de façon anarchique. On a vu un père injecter à son fils deux à trois fois la dose d'EPO injectée aux professionnels. Le trafic est intense, qui passe aisément par internet et les salles de sport.
Cette situation mine la société car les sportifs sont des exemples pour les jeunes. Ribéry, Anelka, Armstrong le sont. Le danger est donc lourd, le dopage est un fléau à la fois social et sanitaire. Amphétamines, anabolisants, les risques sont connus. Et l'avenir est sombre, avec l'arrivée du dopage génétique ou des biotechnologies, beaucoup plus difficiles à contrôler. Preuve que l'intelligence peut, hélas, être vénale.
Le groupe UDI-UC soutient l'ensemble des préconisations de la commission d'enquête qui sont, de surcroît, à budget constant.
La création des comités Vérité et Réconciliation relève de la régulation. S'il faut tendre la main aux sportifs repentis pour lever l'omerta, il faut s'intéresser aux fédérations qui n'ont pas toujours de politique de prévention, aussi au système et à l'entourage du sportif qui l'obligent à se doper.
La généralisation du passeport biologique permettra de passer de la preuve au faisceau d'indices. Oui à la coopération entre l'Oclaest et l'Agence française de lutte contre le dopage mais il faudrait surtout un organisme indépendant des fédérations, seul moyen de lever la suspicion permanente et de lutter efficacement contre le dopage -qui est une affaire régalienne au sens propre.
Une seule réserve : nous aurions aimé que ce débat ait lieu autour d'un texte. S'il doit y en avoir un, puisse-t-il être déposé en premier lieu sur le Bureau du Sénat. Je prends date. (Applaudissements)
Mme Danielle Michel . - Je veux saluer d'abord le travail de la commission d'enquête, l'investissement et l'engagement du président et du rapporteur, dont on connaît l'expertise sur ces questions. De nombreuses auditions ont été organisées, ainsi que cinq déplacements, dont un au laboratoire de Châtenay-Malabry. Notre démarche : ne pas stigmatiser, ne pas pointer du doigt.
Quand on enferme la vérité sous terre, elle s'y amasse jusqu'au jour où elle éclate et fait tout sauter avec elle, disait Zola, que cite notre rapporteur. On ne parle jamais assez du dopage, et peut-être jamais assez bien...
Le dopage est un phénomène complexe. Le culte de la performance et la médicalisation de notre société et du sport rendent le dopage mouvant, difficile à cerner. Il n'épargne pourtant aucun pays, aucune discipline, aucun âge. Rompre le silence est nécessaire car l'omerta nuit au sport comme au travail de prévention et de pédagogie : neuf Français sur dix pratiquent une activité sportive, seize millions de Français étaient licenciés dans une fédération en 2012, et nos sportifs sont des modèles pour des milliers d'enfants. L'impact du sport sur les loisirs, sur l'économie exige que nous agissions sans fatalisme.
Le rapporteur de la commission d'enquête se veut volontariste. Je me pencherai sur la question de la prévention, dont il fait un axe majeur. Il s'agit d'anticiper, pour des résultats à moyen et long termes. La prévention tout au long de la vie doit s'adresser à tous et débuter précocement. Elle suppose de s'adresser à tous, professionnels, licenciés et amateurs, de renforcer et de mieux coordonner les structures compétentes. M. Rieux a fait une étude sur le sport scolaire selon laquelle 10 % des jeunes ont été confrontés au dopage. Une action de prévention à l'école s'impose. Elle pourrait se situer dans le second degré, pour s'adresser aux jeunes les plus intéressés par le sport. Il faut, au-delà, s'adresser à tous les publics, en particulier les amateurs, dont l'usage des produits dopants est anarchique.
Les amateurs étant les plus exposés, le rapporteur préconise un programme de contrôle à visée éducative dans les salles de sport qui rassemble cinq à six millions de pratiquants et sont les lieux privilégiés de vente et de consommation. La mise en place d'une charte antidopage serait bienvenue, de même qu'un dispositif d'alerte sur les ventes de produits dopants sur internet.
Fédérations, services déconcentrés, éducateurs, médecins, enseignants doivent être mobilisés. Marie-George Buffet plaidait en son temps pour que l'on agisse sur les personnels encadrants. Depuis les lois de 1999 et 2006, des actions sont ainsi menées et je salue le travail remarquable de la fédération d'athlétisme ; je souhaite qu'elle fasse école.
Les médecins ont également un rôle central à jouer. Ils doivent être sensibilisés lors de leur formation, initiale ou continue. Il serait utile d'interdire aux sportifs de collaborer avec les médecins qui ont participé à des pratiques dopantes.
Les structures existantes doivent être mieux coordonnées afin de redynamiser la prévention. Ainsi de l'Agence française de lutte contre le dopage, pour favoriser plus de cohérence dans les contrôles, donner plus de visibilité à l'action et développer les partenariats avec les fédérations. Le rapport propose de lui confier la compétence en matière de prévention et de coordination des politiques régionales. Les antennes médicales de prévention méritent d'être réactivées et dotées des moyens adéquats. Les campagnes du ministère y trouveront des relais territoriaux précieux. L'animation de ces antennes pourrait être confiée à l'Agence française de lutte contre le dopage et leur carte d'implantation rationalisée. Pourquoi, dès lors, ne pas renommer l'Agence française de lutte contre le dopage Agence française de prévention et de lutte contre le dopage ? Le ministère conserverait l'action internationale et la prévention en direction des fédérations.
A cause du modèle économique du sport spectacle, les calendriers sont devenus démentiels. Le ministère pourrait avoir son mot à dire en la matière. Les fédérations sont les premiers auxiliaires de l'État en matière de prévention, mais l'omerta règne car elles craignent pour l'attractivité de leur sport.
Le dopage met à mal l'intégrité du sport et des sportifs : la prévention a tout son rôle à jouer. Il serait judicieux de promouvoir des messages positifs plutôt que punitifs sur la santé par le sport, via les réseaux sociaux pour qu'ils soient audibles par les jeunes.
Nous croyons à l'éducation et au slogan « Le sport, c'est la santé ». Il y faut aussi des contrôles et des sanctions. C'est ce que préconise le rapport. Madame la ministre, je vous fais confiance. Sportez-vous bien ! (Applaudissements)
M. Alain Dufaut . - A mon tour de féliciter MM. Humbert et Lozach pour la qualité de leur travail. Je crois que nous avons bien travaillé.
La lutte contre le dopage est une priorité, c'est une question de responsabilité vis-à-vis des sportifs qui mettent en danger leur santé, et parfois leur vie. La triche bafoue les principes du sport et de l'olympisme. Grâce à l'action de Marie-George Buffet et celle de ses successeurs, la France s'est dotée d'un arsenal juridique pour mieux contrôler les pratiques et combattre le dopage. J'ai été rapporteur de plusieurs textes sur le sport, dont la loi de 2005 présentée par Jean-François Lamour qui a créé une agence de lutte contre le dopage indépendante, la loi de ratification de 2007 et la loi de 2008 relative à la lutte contre les trafics de produits dopants.
Ces textes, couplés à l'autorité reconnue à l'Agence et à l'efficacité de notre laboratoire de Châtenay-Malabry, ont permis de renforcer la lutte contre certaines pratiques qui gangrènent le sport. Hommage soit rendu à l'ancien président de l'Agence française de lutte contre le dopage, Jean-Pierre Bordry, pour son inlassable action. Le dopage touche y compris le monde amateur : le sport de masse doit faire l'objet de contrôles approfondis davantage médiatisés.
Le rapporteur de notre commission d'enquête propose de confier un rôle accru à l'Agence française de lutte contre le dopage, y compris pour la prévention, clé du succès, qui devrait figurer dans son intitulé. Le contrôle n'est pas seulement un moyen de sanctionner la triche mais de lutter contre des risques graves pour la santé. La prévention dès le plus jeune âge est nécessaire parce que jeune, on se croit invulnérable et on cherche à briller...
Donner la faculté à l'Agence française de lutte contre le dopage de sanctionner les sportifs mais aussi d'interdire de collaborer avec certains médecins mettra fin à certains marchés de niches -je pense au docteur Ferrari et à d'autres. Autoriser le ministère à contester des calendriers de plus en plus chargés, qui mettent en danger les sportifs, sera utile. L'intérêt d'un « droit au repos » mérite d'être étudié.
Je salue la proposition du rapport de favoriser le contrôle par l'Agence, et non plus par les fédérations, des manifestations sportives ayant lieu en France. Mais les fédérations doivent prendre leur part de responsabilité. Je pense à la prochaine coupe d'Europe de football en 2016 et des coupes du monde à venir -souvenons-nous de ce qui s'est passé autour des échantillons de 1998. Nous devrons être vigilants. Il serait bon aussi que la compétence des fédérations internationales soit limitée aux seules manifestations dans lesquelles elles sont réellement impliquées, de sorte que les contrôles soient réalisés au plus proche du terrain.
Le sport doit rester le moyen de valoriser l'effort et la santé. Tout ce qui nuit à cet objectif doit être combattu. Nous attendons donc, madame la ministre, votre texte avec impatience. (Applaudissements)
Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative . - Merci pour le travail approfondi que vous avez effectué. Ce rapport facilitera la tâche de la ministre que je suis.
Quand on parle d'intransigeance en matière de lutte contre le dopage, on voit, avec ce rapport, que c'est une priorité partagée.
M. René Garrec. - Tout à fait !
Mme Valérie Fourneyron, ministre. - L'agence américaine de lutte contre le dopage, l'Usada, a montré que celui qui se prétendait le plus grand des champions était le plus grand des tricheurs ; l'affaire Lance Armstrong ne pouvait être une affaire de plus, il devait y avoir un avant et un après.
Le Sénat s'est saisi du problème. J'ai, par mon parcours, quelque expérience de la question. J'ai étudié vos propositions avec soin. La première partie de votre rapport, qui fait du dopage un enjeu éthique et sanitaire, mérite tout mon intérêt. Pour arrêter la liste des substances dopantes, il a fallu batailler afin que le critère de la santé soit pris en compte. De fait, nous entendons préserver non seulement l'éthique du sport mais aussi la santé des sportifs, de tous les sportifs, y compris les amateurs. Alors qu'on a tendance, dans notre société, à croire que le médicament peut tout, le dopage devient un risque majeur pour la santé. C'est aussi une question éthique. Comment peut-on faire des sportifs des cobayes, en les laissant absorber des doses supérieures à la posologie prévue par l'autorisation de mise sur le marché, ou des produits qu'on n'a pas pu tester avant celle-ci ?
Votre commission d'enquête nous livre quelques solutions. Au ministère de faire respecter l'arsenal législatif et de l'améliorer sans cesse. Depuis la loi Herzog de 1965 jusqu'à l'ordonnance du 14 avril 2010, en passant par les lois Buffet et Lamour, la lutte contre le dopage s'est dotée d'outils qui répondent aussi à nos engagements internationaux devant le Conseil de l'Europe en 1989 ou l'Unesco en 2005 avec l'adoption d'un code mondial du sport.
Comme vous, je suis opposée à la pénalisation de l'usage des produits dopants : l'enjeu est de santé publique avant d'être pénal, parce que le sportif se met en danger. Une condamnation pénale serait se mettre en position de défiance vis-à-vis du mouvement sportif. Or nous voulons protéger le sport et les sportifs. Cela n'enlève rien à la force de ma détermination à lutter contre le dopage. M. Mazars a dit combien la question de l'intentionnalité de la faute était difficile à prouver. Grâce à la loi du 12 mars 2012, qui doit beaucoup au Sénat, le profil biologique et la géolocalisation des sportifs de haut niveau sont devenus des outils efficaces de lutte et placent la France à la pointe du combat contre le dopage. Les décrets seront publiés dans quelques semaines.
Les propositions de votre commission d'enquête pourront prendre place dans la loi de modernisation du sport, que je prépare pour 2014. La Direction du sport doit aussi s'engager massivement dans la prévention. Elle travaillera, c'est une première, avec le CSA. Seront parallèlement engagés un travail de sensibilisation auprès des clubs de remise en forme et de leurs usagers et un autre en partenariat avec le Mildt. Le numéro vert recueille 1 000 appels par mois.
La prévention doit aussi être un maître mot dans les fédérations, dans le cadre des conventions d'objectifs et des appels à projets. Les crédits ont été préservés en 2013, ils le seront aussi en 2014. Les clubs qui agissent pour la prévention au plus près du terrain seront soutenus et, depuis 2012, une norme Afnor relative aux compléments alimentaires -qui peuvent contenir des anabolisants- est en vigueur. L'effort de prévention doit être sans cesse approfondi, par un rapprochement entre ministère, Agence française de lutte contre le dopage -qui accomplit un travail considérable que je veux saluer- et le CNOSF.
M. Le Scouarnec a posé la question des moyens : ils ne sont pas diminués. Affecter une part de la taxe Buffet à l'Agence française de lutte contre le dopage ? Ou une partie des amendes versées par les tricheurs, comme le propose le rapporteur ? Toutes les pistes méritent d'être étudiées, mais sachez que le rendement de la taxe Buffet, du fait de la baisse des droits audiovisuels, est en diminution et que le Centre national de développement du sport a dû faire l'objet d'un plan de redressement qui court jusqu'en 2016 ; lui retirer des moyens, c'est affaiblir les actions de développement du sport.
J'insiste sur l'importance de l'international. Le Conseil de l'Europe a été précurseur en 1989. La Convention de l'Unesco de 2005 a été adoptée par 170 pays. L'Agence mondiale antidopage joue un rôle essentiel dans la rédaction du code mondial antidopage. J'ai la chance et l'honneur de représenter l'Europe en son sein depuis le 1er janvier 2013. L'AMA est le moteur de l'action contre le dopage parce qu'elle édicte le code mondial et anime la recherche. La dernière étude qu'elle a publiée concerne le profil stéroïdien que nous attendions pour créer le passeport biologique. Cette agence est une institution centrale parce qu'elle met les moyens là où ils manquent -il reste un seul laboratoire en Afrique- et accrédite d'ailleurs les laboratoires.
Une partie de vos préconisations trouvera concrétisation dans la révision du code mondial qui fera l'objet d'une conférence internationale en novembre prochain à Johannesburg. Porter la sanction en cas de dopage avec une substance lourde de deux à quatre ans, comme le propose le rapport, est une bonne idée. Les agences nationales ont désormais la possibilité de procéder à des contrôles additionnels lors des compétitions qui ont lieu sur leur territoire. En novembre 2012, l'AMA, en collaboration avec l'Unesco, le Conseil de l'Europe et, bien sûr, la France, avait organisé un symposium avec l'industrie pharmaceutique pour étudier les coopérations possibles. Alors qu'à l'occasion de son changement de président, certains veulent en faire un prestataire de services, nous devons réaffirmer haut et fort notre ambition : l'AMA doit devenir un véritable outil de régulation.
Le premier pilier de votre rapport porte sur la connaissance du dopage. Je regrette que les médias se soient focalisés sur vos révélations. On ne combattra le dopage que si l'on en parle. Réunissons les commissions Vérité et Réconciliation car l'omerta est d'abord un poids pour les sportifs. Visiblement, les instances internationales ne s'opposeraient pas à la création de ces commissions et c'est tant mieux car nous serons solidaires.
Oui, il faut financer des études épidémiologiques. Depuis 2001, l'AMA a consacré 56 millions de dollars à la recherche et lance chaque année des appels à projets. La France devrait davantage y répondre.
Deuxième pilier, la prévention. Nous avons arrêté un plan pour 2013-2016 dans lequel le ministère jouera son rôle pivot aux côtés de l'Oclaeps.
J'ai diligenté une enquête de la direction générale de la jeunesse et des sports sur nos antennes régionales et notre numéro vert en vue d'améliorer leur fonctionnement.
Un droit de regard du ministère sur les calendriers des fédérations ? Ce serait instaurer une tutelle de l'État. Je préfère la responsabilisation du mouvement sportif, son autorégulation, mais le sport ne peut pas rester le seul secteur d'où est absent le dialogue social : il faut que les syndicats de joueurs se fassent entendre.
Concernant le volet du contrôle, nous reprendrons l'article L. 230-2 du code du sport afin de mieux définir les manifestations internationales. Nous avons publié un décret le 26 juin dernier pour élargir la coopération entre douanes, gendarmes et ministère. C'est une vraie réponse que nous apportons là au Sénat.
Huit correspondants interrégionaux au lieu de vingt-quatre ? N'oublions pas que ces correspondants ont non seulement pour tâche de combattre la triche mais aussi de protéger la santé publique.
Concernant le volet analyse, la France a été précurseur en matière de recherche des produits dopants, comme l'EPO. Je soutiens votre proposition : nous devons parvenir à une seule liste de produits dopants. Car comment accepter des produits pour l'entraînement qui sont interdits pour la compétition ? La deuxième liste est une aberration.
Le volet sanctions appelle quelques observations. Peut-être les fédérations doivent-elles rester des institutions de première instance en laissant l'appel à l'Agence française de lutte contre le dopage. N'excluons pas le monde du sport de la politique de lutte contre le dopage.
S'agissant du volet « pénaliser », mon ministère travaille activement à l'élargissement des sanctions au trafic dans les salles de sport.
Sur le volet « coopérer », nous devons effectivement mieux utiliser les preuves non analytiques.
Le décret du 26 juin 2013 associe pour la première fois le directeur des sports et le directeur des affaires criminelles et des grâces.
Pour conclure, toutes vos propositions ne relèvent pas de mon ministère ; toutes ne sont pas de nature législative ; certaines relèvent du décret, d'autres d'une simple réorganisation des institutions. En revanche, votre proposition n°9 sur la révision du code du sport pour pénaliser les trafics dans les salles de sport, la question des correspondants interrégionaux ou encore le renforcement du rôle de l'Agence française de lutte contre le dopage relèvent bien de mon ministère. De même que la future loi cadre devra reprendre le code mondial révisé.
Je reviens sur un point qui me tient à coeur : il ne fait pas de doute que les sanctions, qui sont l'apanage des fédérations depuis la loi Buffet, doivent être partagées avec l'Agence française de lutte contre le dopage. Pour ce faire, celle-ci devra créer une commission disciplinaire bien distincte. Toute la question est de savoir, je l'ai dit, si l'agence doit intervenir en première instance ou en appel.
Comme vous l'aurez compris, l'avenir de la lutte contre le dopage se joue à la fois lors de la conférence de l'AMA à Johannesburg et au Sénat, que j'aurai plaisir à saisir en premier lieu de mon projet de loi, qui vise à rééquilibrer la place des collectivités dans la gouvernance du sport. (Applaudissements)
La séance est suspendue à 19 h 25.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 21 heures 30.