Projet de loi de finances pour 2015 (Suite)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, adopté par l'Assemblée nationale.
Discussion générale (Suite)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Ce projet de loi de finances peut être résumé par les petites phrases prononcées par quelques personnalités. Pour Didier Migaud, la prévision de croissance est « optimiste », l'effort de réduction de dépenses « relativement modéré ». Pour Pierre Moscovici, les circonstances économiques exceptionnelles n'ont pas été prises en compte. Pour Jean-Marc Ayrault, la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu n'est pas une erreur pour ceux qui en bénéficient, mais « par petits bouts on ne fait pas une politique globale, cohérente » et d'ajouter, « il faut faire attention, l'impôt sur le revenu est payé par de moins en moins de Français, 48 % des contribuables ». Pour François Rebsamen, nous sommes en échec sur le chômage. Pour le président de la République lui-même, la classe moyenne supérieure ne peut plus supporter de hausse d'impôt. Je ne saurais mieux dire, car ainsi tout est dit !
Nous battons des records d'endettement, de dépense publique, de faillite de PME et TPE, de chômage, d'expatriation - d'impopularité du chef de l'État aussi.
Les mesures proposées ne vont réduire le déficit que de 0,1 point. François Hollande avait pourtant promis un retour à l'équilibre en 2015. On en sera à un déficit de 4,15 % du PIB - grâce aux 3 milliards d'euros sortis du chapeau in extremis pour répondre aux objections de Bruxelles. Ces 3 milliards, ce ne sont que des effets d'aubaine, des hausses d'impôt sur les entreprises. En tout cas, aucune baisse des dépenses.
Pour Pierre Moscovici, les circonstances exceptionnelles doivent être appréciées pour l'ensemble de la zone euro : il réfute donc votre argument.
Le CICE ne compensera guère le matraquage fiscal des entreprises depuis 2012. Leurs marges n'ont jamais été aussi faibles, les recettes de TVA et d'impôt sur les sociétés n'ont jamais été aussi mauvaises.
On voit bien que ça ne fait pas une politique globale, une politique cohérente, dit Jean-Marc Ayrault, quand l'impôt sur le revenu n'est payé que par 48 % de Français. 10 % des foyers fiscaux paient 70 % de l'impôt sur le revenu. Le projet de loi de finances fait peser l'effort encore davantage sur les classes moyennes supérieures, les grandes sacrifiées de ce quinquennat, avec les familles. Notre rapporteur général propose de leur redonner du pouvoir d'achat à travers le relèvement du plafonnement du quotient familial. Si vous baissez les impôts pour quelques-uns en 2015, vous alourdissez dans le même temps la fiscalité pour de très nombreux Français : renchérissement du gazole, de l'électricité, taxe sur les résidences secondaires, sans parler de la fiscalité locale, la baisse des dotations de l'État aux collectivités locales étant estimée à 5 milliards d'euros par le Gouvernement lui-même. Quant aux entreprises, parce qu'elles seront impactées en 2015 par nombre de mesures prises antérieurement, alors que le CICE ne sera pas entré pleinement en vigueur, il est faux de prétendre qu'elles ne subiront pas de hausse d'impôt en 2015. Là encore, le groupe UMP soutiendra la mesure proposée par le rapporteur général en faveur de l'investissement productif des entreprises ; nous proposerons de défalquer pour les collectivités territoriales le coût de la réforme des rythmes scolaires. Nous dénoncerons l'insincérité du budget de la défense ou des transports, nous voterons les propositions de la commission des finances sur les dépenses.
Bruxelles, les marchés financiers et surtout les Français attendent de vous des réformes structurelles ! (Applaudissements au centre et sur les bancs UMP)
M. Jean Germain . - Dans un contexte de sortie de crise difficile dans toute l'Union européenne, avec une croissance faible et un endettement élevé, notre pays, qui n'est pas en récession, doit à la fois soutenir l'activité, assurer un haut niveau de service public, limiter la dépense publique pour limiter l'endettement. Je salue, au nom du groupe socialiste, le travail du Gouvernement qui propose un rythme adapté de baisse de la dépense. C'est un juste milieu, certes peu spectaculaire. Sortir de l'euro, de l'Europe, de la mondialisation, prônent certains. Et pourquoi pas du système solaire ? (Sourires)
Le projet de loi de finances n'est guère sexy, c'est vrai. Il fait des propositions fiscales, sur l'impôt sur le revenu; il fait des propositions en matière de logement, de transition énergétique. Enfin, il tient bon sur le CICE, qui a besoin de durer pour atteindre ses résultats. Notre position est guidée par le souci d'une répartition équitable de l'effort, avec toutefois des priorités : éducation nationale, sécurité, justice, investissements, au plus près du terrain.
Les appels des élus locaux doivent être entendus. Il en va de la crédibilité du pacte républicain. Entre 2002 et 2012, la dette a doublé. Aujourd'hui, un effort historique est demandé à l'ensemble des administrations. Les collectivités locales ne souhaitent pas s'en exonérer. Mais leur rôle est important pour la reprise économique, encore trop modérée. Dans cette optique, le groupe socialiste espère vous convaincre d'atténuer la contribution demandée aux collectivités territoriales pour 2015, en lissant leur contribution de 11 milliards d'euros sur quatre ans, soit 2,75 milliards d'euros par an, de 2015 à 2018, et non sur trois ans, soit 3,64 milliards d'euros par an de 2015 à 2017, comme actuellement prévu. Cette souplesse sera gagée, bien sûr, et n'entraînera ni suppression de dépenses, ni hausse de la fiscalité. C'est un ballon d'oxygène : plus de péréquation, moins d'inégalités territoriales, pour plus d'investissements. Nous plaidons pour une juste répartition entre l'État et les collectivités locales, avec pour maître-mot la subsidiarité. Mais la spécificité des collectivités locales doit être prise en compte ; les rigidités qui les caractérisent imposent de laisser du temps au temps. Globalement bien gérées et peu endettées, elles méritent qu'on les aide. Certains réclament, dans leurs meetings, une réduction des dépenses non de 50 milliards mais de 100 milliards - voire plus. On imagine l'effet sur la croissance... Le Sénat d'opposition constructive avance masqué : la majorité sénatoriale fait si peu de propositions concrètes qu'on se demande si elle ne partage pas, au fond la position du Gouvernement.
M. Philippe Dallier. - Comme vous y allez !
M. Jean Germain. - Les mesures proposées par le rapporteur général dégageront au total 2 milliards à 3 milliards d'euros, maximum !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cela vous fait déjà hurler...
M. Jean Germain. - Nous ferons les comptes. En tout cas, nous sommes loin des 100 milliards annoncés... Le problème n'est pas qu'il y a trop d'Europe, mais pas assez d'Europe. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; protestations sur les bancs CRC) L'harmonisation fiscale doit être poursuivie. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. André Gattolin applaudit aussi)
M. Vincent Capo-Canellas . - M. le ministre nous a dit que le projet de loi de finances s'adaptait à la conjoncture - à l'inflation et à la croissance. Fixer le bon dosage entre réduction des déficits, soutien à l'activité et réformes structurelles n'est pas aisé. Votre gouvernement pêche par excès d'optimisme. Ce budget comporte trop de non-choix, de mauvais réglages, qui donneront demain de mauvais résultats. Les dépenses baissent, mais le déficit augmente. La dette poursuivra son inexorable progression : à 90 %, elle met en péril notre souveraineté. Plus de marge fiscale, comme le président de la République l'a reconnu lui-même, surveillance de Bruxelles, tutelle des marchés financiers, absence de croissance : un scénario de stagnation, celui d'une décennie perdue se dessine.
La France se distingue du reste de l'Europe, non par sa croissance mais par son déficit et sa dette. « En France, le rythme des réformes est insuffisant, pourtant il y a tant de choses à faire », dit, justement, le gouverneur de la Banque de France. On peut polémiquer sur le mot de « rabot » - bel hommage au travail du menuisier - mais vous ne faites pas assez. Avec 1 % de la population mondiale, nous concentrons 15 % des transferts sociaux. La vérité est simple : la France dépense trop. Le poids du secteur public est excessif. Il faut aller plus vite et plus loin, repenser le périmètre de l'État. Il ne suffit pas de supprimer 1 200 ETP pour réformer l'État ; il faut une politique plus offensive en matière de ressources humaines, savoir attirer les talents pour penser la réforme.
Notre groupe prône la TVA compétitivité sur les produits importés, vous le savez. Vous avez augmenté la TVA - après avoir juré le contraire ; le gouvernement précédent, il est vrai, avait escamoté la TVA sociale. Nos coûts salariaux augmentent plus que la productivité : nos produits deviennent plus chers, ce qui handicape nos entreprises. Plus largement, nous devons réformer le marché du travail, l'assurance chômage, la protection sociale. Nos voisins l'ont fait.
La majorité du Sénat n'a pas voulu réécrire entièrement votre budget ; nous avons préféré le dialogue avec le Gouvernement et l'Assemblée nationale et proposerons donc des améliorations à ce projet de loi de finances. Le Sénat joue pleinement son rôle. La commission des finances a adopté une série d'amendements réalistes : l'amélioration du solde budgétaire ; l'effort de justice en matière de fiscalité avec le relèvement du plafond du quotient familial et la réforme de la décote du barème de l'impôt sur le revenu ; l'effort d'équité avec le rétablissement de la journée de carence ; l'effort de compétitivité en favorisant l'investissement dans les PME ; un effort plus réaliste demandé aux collectivités locales, avec une meilleure prise en compte des charges collectives. Sur le budget de la défense, manifestement insincère, nous disons : toute la loi de programmation militaire (LPM), rien que la LPM. Or il semble que la LPM ait vécu, ce qui ne laisse de nous préoccuper. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Philippe Dallier . - Le moins que nous pourrions attendre de ce budget, c'est qu'il soit sincère et que ses recettes ne soient pas surestimées. Il sera regardé à la loupe par les instances européennes.
Deux exemples : la défense, et les dépenses d'aide personnalisée au logement.
Alors que le Gouvernement et le Parlement s'étaient engagés à respecter la loi de programmation, vous inscrivez 2 milliards d'euros de recettes qui ne reposent sur rien de sérieux. Et on nous explique, sans rire, que ces crédits fantômes seront remplacés au cours de l'année par d'autres. Nous n'y croyons pas - c'est pourquoi nous avons décidé de repousser les crédits de la mission défense. Nous n'avions jamais voté contre, tout au plus nous étions nous abstenus, ce n'est pas possible cette fois car vous ne respectez pas les engagements pris. Les crédits de la défense ne peuvent servir de variable d'ajustement.
Notre sécurité collective a un coût, il faut l'assumer. Avec la crise, les dépenses liées à la politique du logement et de l'hébergement d'urgence ne diminueront pas en 2015, on le sait. Or votre budget anticipe une stagnation de ces dépenses de guichet. En 2014, il a fallu ouvrir des crédits ; en 2015, il manquera encore plusieurs dizaines de millions d'euros. Que dire des recettes de l'Anah ? Les crédits n'y sont pas. Au total, ce sont plusieurs milliards qui manqueront. (M. Christian Eckert, ministre, maugrée) On trouve certes des recettes - prélèvements sur les opérateurs de l'État, CCI, etc - mais à un coup seulement. Comment fera-t-on l'année prochaine ?
Le Sénat porte une attention particulière aux collectivités territoriales. Nous sommes d'accord ici pour demander aux collectivités territoriales un effort pour contribuer au redressement de nos comptes publics. La question est celle de l'ampleur de l'effort et du calendrier. Cet effort serait de 11 milliards d'euros entre 2015 et 2017 comme annoncé par le Gouvernement - au lendemain des municipales, comme par hasard... Le Gouvernement estime qu'il suffirait que les collectivités limitent l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à l'inflation pour faire face et continuer à investir, sans majorer leurs impôts.
Notre délégation aux collectivités territoriales...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - A fait du très bon travail !
M. Philippe Dallier. - ... a commandé une étude qui montre que la situation des collectivités territoriales se dégrade déjà depuis des années, à cause de l'effet ciseau - hausse des dépenses, notamment sociales, et baisse des recettes. Si l'on ajoute la baisse de 11 milliards d'euros, dans trois ans, les deux tiers des collectivités territoriales - communes et départements - seront dans le rouge, contre 10 à 15 % actuellement. Même en réduisant les investissements de 45 %, 30 % des communes de plus de 10 000 habitants et la majorité des départements seront encore dans le rouge : il faudra donc augmenter la fiscalité ou réduire encore les investissements, avec un effet récessif majeur. Voilà pourquoi il faut lisser l'effort demandé aux collectivités locales. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est le bon sens !
M. Jacques Chiron . - Même si l'éducation est redevenue le premier poste de dépenses devant la dette, nous devons poursuivre l'effort d'économies, car la croissance sera faible, comme l'inflation. Il n'est pas toujours possible de faire autant avec moins. Un coup de rabot généralisé risquerait de menacer la cohésion sociale. Il faut analyser tous nos dispositifs, avec pragmatisme, favoriser ceux qui ont un effet levier, avec comme mot d'ordre la solidarité et l'efficacité comme fins, le sérieux et la rigueur comme moyens.
La lutte contre la fraude est un impératif de justice sociale - et je salue votre engagement, monsieur le ministre, et celui de vos prédécesseurs. Les plus vulnérables ne devront pas payer le prix de la crise. L'an prochain 9 millions de ménages verront leurs impôts baisser - preuve qu'en prenant aux fraudeurs, on peut redistribuer aux plus pauvres.
Les situations grecque est espagnole nous invitent à investir dans la modernisation du pays et à refuser l'austérité. Le diagnostic de notre manque de compétitivité est implacable. Loin de la caricature d'une politique dogmatique de l'offre, opposée à une valorisation keynésienne de la demande, c'est une politique équilibrée qui est mise en oeuvre depuis deux ans par un État redevenu stratège.
L'équilibre des comptes publics est un objectif commun ; l'effort sera partagé ; les CCI voient leur plafond de ressources baisser, au profit des entreprises. Leur réseau doit être rationalisé.
Le CICE est une formidable opportunité pour nos entreprises. Allons plus loin, complétons-le par des mesures plus ciblées sur les PME et PMI. Leur appareil de production souffre d'un retard important : l'âge moyen des machines est de 19 ans. L'amortissement exceptionnel que nous proposons avec mon collègue Laland serait réservé aux seules entreprises qui n'ont pas reversé plus de 30 % de leurs résultats en dividendes.
L'investissement dans la fibre optique de 20 milliards pour le plan France très haut débit traduit un engagement fort et ciblé. Le rapport Lemoine nous permettra de ne pas prendre de retard sur nos voisins européens. Ces investissements ce sont nos atouts de demain, et pas uniquement dans les villes ! Il en va de l'accès aux services publics, à la santé, à la culture. Ce plan sera un frein au mouvement d'urbanisation et un moteur pour le développement durable de nos territoires. Nous soutiendrons ce texte qui prépare l'avenir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Marie-France Beaufils . - Cela fait un certain temps que l'État joue à cache-tampon avec les collectivités territoriales, opposant péréquation et individualisation des concours, rognant une recette fiscale par-ci, accordant une dotation par-là, supprimant un impôt sans compensation. Quand j'ai été élue maire pour la première fois, la DGF se composait de recettes de TVA et de taxe professionnelle ; le concept d'enveloppe normée n'existait pas. Au début de la décentralisation, personne n'imaginait l'ampleur du désengagement de l'État qui allait suivre. Les collectivités locales ont démontré leur efficacité pour répondre aux besoins. Aujourd'hui, la taxe professionnelle s'est dissoute dans la DGF et la contribution économique territoriale, libérant 8 milliards d'euros pour les entreprises - sans traduction notable pour l'économie. La DGF, qui avait presque doublé en 2004 en compensation, baisse aujourd'hui. Une réforme territoriale s'engage en revenant sur l'acquis de la décentralisation, tout en voulant mettre les collectivités à la diète financière.
On leur reproche des effectifs en trop grand nombre. De 1998 à 2012, le nombre de fonctionnaires territoriaux a augmenté de 529 200 postes - c'est autant de chômeurs en moins. Mais nombre de nouveaux agents régionaux sont d'anciens agents de l'État ; de même dans les départements. Près de 300 000 emplois ont été créés par les communes et intercommunalités depuis 1998. L'intercommunalité de projet a apporté une réelle valeur ajoutée pour la population.
Les administrations locales ont créé des emplois mais pour apporter une réponse aux populations. La réforme des rythmes scolaires les contraint à recruter encore. Notons que la fonction publique territoriale est largement féminisée, et composée majoritairement d'agents d'exécution - les catégories les plus touchées par le chômage.
Les collectivités territoriales ont permis aux familles modestes d'accéder à des services publics facteurs de cohésion sociale et de pouvoir d'achat. L'effet du cycle électoral pèse sur notre économie, reste que l'investissement des collectivités locales s'est fait au prix d'un endettement qui ne cesse de croître. Ne faudrait-il pas décider un moratoire sur les intérêts des dettes des collectivités plutôt que de réduire leurs moyens ? La faillite de Dexia les a laissées aux prises avec leurs créanciers, leurs avocats et leurs difficultés.
L'orientation du projet de loi de finances 2015 en matière de collectivités est malheureuse et contre-productive. Qui écouter ? Pierre Gattaz ou les patrons du BTP, qui soulignent le caractère vital pour l'économie des investissements des collectivités locales.
Selon le Gouvernement, la DGF était globale et libre d'emploi, les conséquences de sa réduction de 3,67 milliards en 2015 dépendent des choix individuels des collectivités territoriales. Aux élus, donc, de s'en accommoder comme ils le désirent ! Une réforme plus profonde de la DGF devait être engagée en 2015, qui d'après les échos, comprendrait une démarche qualité, sanctionnant les « mauvais élèves » trop dépensiers. En vérité, et le rapporteur spécial Jean Germain le dit, la diminution des concours de l'État aux collectivités territoriales a un effet potentiellement récessif d'autant qu'elle se poursuivra en 2016 et 2017.
Les choix du Gouvernement pour les collectivités ne sont pas plus pertinents que ses choix économiques et sociaux généraux.
Ou les collectivités territoriales constituent des interlocuteurs majeurs de l'État et l'on fait confiance aux élus locaux ou on les enrôle de force dans une recentralisation destinée à réduire une dette et des déficits dont ils sont bien peu responsables. N'est-ce pas le plus sûr moyen de dévitaliser l'attachement de nos concitoyens à la démocratie locale ? Ce terreau démocratique fait de l'engagement de chaque élu, il faut le nourrir et non le laisser mourir. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Claude Requier . - Monsieur le ministre, nous connaissons la complexité de la tâche qui vous échoit, dans un contexte international bien incertain. On le voit d'abord avec les prévisions de croissance, ainsi qu'au regard du marasme de l'économie mondiale, qui n'épargne personne, pas même l'Allemagne. Cette atonie de la croissance mondiale était au coeur des travaux du G20 de Brisbane.
Vous citez Paul Krugmann, qui parle de « japonification » de l'Europe. Nous ne voulons pas traverser nous aussi une décennie perdue, comme le Japon.
La lutte contre le déficit est indispensable, pour tenir nos engagements européens et réduire nos déficits. Mais veillons à ce que le remède ne soit pire que le mal, en tout cas faisons en sorte qu'il ne tue pas le patient... (Sourires)
« Le pessimiste se plaint du vent, l'optimiste espère qu'il change, le réaliste ajuste ses voiles » disait le fameux poète américain William Arthur Ward.
Vous procédez monsieur le ministre, à des coups de rabot et prélèvements exceptionnels qui touchent les opérateurs d'État. Nous déposerons des amendements sur ce point. Vous gardez le cap du CICE. Sur la fiscalité, le RDSE aurait préféré plus d'ambition, un an après l'annonce, par le gouvernement de l'époque, d'une grande réforme. Depuis, ce serpent de mer a regagné les abysses.
Les parlementaires radicaux, héritiers de Joseph Caillaux, sont attachés à la progressivité de l'impôt et à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Notre groupe proposera donc un amendement, à contre-courant de la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu. C'est courageux.
MM. Michel Sapin, ministre des finances et Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est vrai !
M. Jean-Claude Requier. - Les finances locales sont un enjeu sensible. Le temps me manque pour évoquer les inquiétudes des élus des villes et des campagnes face aux baisses de dotations que vous proposez. Nous ne nions pas que les collectivités territoriales doivent participer à la maîtrise des dépenses publiques, mais l'atonie de l'investissement nous conduit à nous interroger sur l'ampleur des efforts qui leur sont proposés.
La quasi-totalité des membres du RDSE s'accordent sur l'économie générale de ce projet de loi, que nous proposons d'améliorer. Sur les modifications qui seront apportées par le Sénat, nous nous prononcerons en responsabilité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Michel Bouvard . - Ce budget s'inscrit dans un environnement économique difficile, qui doit conduire chacun à une attitude responsable et humble. J'espère, monsieur le ministre, que l'exercice 2014 confirmera la tendance à l'assainissement de nos finances publiques ; nous ne pouvons plus différer les réformes structurelles sans lesquelles la dette ne saurait stopper son essor inexorable. Malgré la réduction des déficits, l'État détient 79,1 % de la dette en comptabilité nationale. Depuis 1999, l'encours des emprunts de l'État a été multiplié par 2,5. Si la structure des taux n'avait pas évolué depuis quinze ans, le montant de la dette serait insupportable. La faiblesse des taux en 2013 a entraîné une économie de 2 milliards qui devrait se reproduire cette année mais n'a pas vocation à être définitive. La part de la dette détenue par les non-résidents est des deux tiers, ce qui rend encore plus sensible notre signature. Les années 2015 à 2017 risquent de constituer des années record en termes de besoins, malgré les anticipations de l'Agence France Trésor. La solidarité européenne nous conduit à soumettre notre budget au jugement des autres. Philippe Séguin avait averti justement en son temps que « la persistance des déficits n'est pas compatible avec la souveraineté nationale ».
Comme la CMP sur ce projet de loi n'aboutira probablement pas à un accord, notre responsabilité de parlementaires d'opposition est d'affirmer nos orientations budgétaires sur les recettes, la fiscalité et les dépenses. Je suis solidaire des amendements portés par notre rapporteur général.
Après les législatures passées à scruter les budgets de la Nation, j'appelle l'attention du Gouvernement sur les limites de la technique du rabot, voire de la varlope (sourires) et sur la nécessité de réformes structurelles que le Premier président de la Cour des comptes vous invite, monsieur le ministre, à mettre sur l'établi.
Il est urgent de remettre le Parlement au coeur des arbitrages, d'autant que le produit de la fiscalité s'est accru de près de 27 % entre 2007 et 2011. Ces recettes sont plus dynamiques que les autres. Aussi devons-nous tenir bon, faire preuve de discernement face aux sollicitations dont nous sommes l'objet.
M. Michel Sapin, ministre. - Tout à fait.
M. Michel Bouvard. - Revisitons, à l'occasion de la loi NOTRe, le périmètre de l'intervention de l'État.
M. Vincent Capo-Canellas. - Oui.
M. Michel Bouvard. - Doit-il conserver des kilomètres de routes dans les départements, des survivances de certaines administrations locales comme celles de la jeunesse et des sports, produire des normes qui sont coûteuses pour les collectivités territoriales et bloquent les projets des entreprises ? Oui, nous attendons le choc de simplification promis par le président de la République.
Des marges de progrès, en raison de l'évolution technologique, sont considérables. A-t-on pris le temps de nous interroger sur le rôle des trente chancelleries des universités quand ces dernières ont accédé à l'autonomie ? Nous sommes-nous interrogés sur le budget de l'enseignement scolaire, sur le niveau du Scérén, d'un budget de plus de 130 millions d'euros alors qu'il existe un CNDP dont les publications sont accessibles en ligne ? Aucun ministère ne peut ignorer le besoin de réformes structurelles. Quid du régime de retraites des marins, par exemple ?
En l'absence de mutualisation, de clarification des compétences, c'est l'investissement public qui sert de variable d'ajustement, alors qu'il est pourtant nécessaire à la croissance. C'est le capital durable de la collectivité. Nous ne pouvons pas ne pas investir, au moment où la dette laissée aux générations futures s'accroît. Qu'en adviendra-t-il, au moment de la loi de règlement, alors que 8 % des crédits sont mis en réserve ?
Et quid du contrat de plan État-région ? Accepterez-vous des expérimentations des collectivités territoriales, alors que le financement de certaines infrastructures n'est pas assuré à la suite de la disparition de l'écotaxe, énième avatar d'une longue suite de renoncements des gouvernements Jospin, Raffarin, Villepin et d'autres. Notre réseau autoroutier en a fait les frais depuis vingt ans. Il y aurait aussi beaucoup à dire des dépenses fiscales. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Claude Raynal . - Ce débat mérite, sur tous les bancs, une certaine modestie et une grande prudence. La loi de programmation des finances publiques de MM. Fillon et Woerth prévoyait un déficit de 0,5 % du PIB.
MM. Jacques Chiron et Richard Yung. - Eh oui !
M. Philippe Dallier. - Avant la crise !
M. Claude Raynal. - Oui, voyez les résultats obtenus, alors que vous réclamez des baisses de dépenses que vous n'avez jamais réalisées lorsque vous étiez aux responsabilités.
Nous soutenons la stratégie du Gouvernement de redressement des comptes publics. Nous adhérons à la répartition équitable des économies à réaliser entre l'État, la sécurité sociale et les collectivités locales. Celles-ci doivent aussi continuer à jouer leur rôle central dans la cohésion territoriale et l'investissement public.
Le groupe socialiste a déposé un amendement, évoqué par Jean Germain, visant à lisser l'effet global de 11 milliards d'euros demandé par le Gouvernement aux collectivités locales sur quatre ans, afin non de le réduire mais de le rendre supportable. La rigidité des dépenses de gestion des collectivités locales, comme les réformes en cours, exigent de leur laisser du temps, afin que les élus locaux disposent d'une marge de manoeuvre pour adapter au mieux leur collectivité locale à cette période. (M. Philippe Dallier s'esclaffe)
Le redressement dans la justice, voulu par le président de la République, justifie que le système bancaire soit mis à contribution pour financer le fonds de résolution européen, lequel n'a pas vocation à être assumé par le contribuable. Or les contributions des banques françaises sont déductibles de l'impôt sur les sociétés, ce qui représente une perte de recettes de 5 milliards d'euros pour huit ans sur l'État, à l'heure où une banque soumise à 9 milliards d'amende indique que cela sera sans conséquence sur elle. Comment les grands groupes bancaires s'autoréguleront-ils si la puissance publique les finance en permanence ? Certes, le système bancaire a fait part de son mécontentement. Mais vous avez obtenu, monsieur le ministre, une participation équitable des banques allemandes au mécanisme européen de résolution et obtenu un rabais de 2 milliards d'euros pour les banques françaises. Évitons que nos concitoyens contribuent à une restructuration qui relève des seuls actionnaires des banques, qui en seront désormais les seuls bénéficiaires. Donnons de la consistance à cette idée de redressement dans la justice.
Le groupe socialiste est sensible à l'équilibre que vous avez su trouver, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Daniel Raoul. - Et vous, à droite, combien de milliards d'économies allez-vous proposer ?
M. Serge Dassault . - Ce projet de loi de finances pour 2015 est trop optimiste. Une croissance de seulement 0,4 % entraînerait une réduction des recettes de 4 milliards pour l'État. Adossé à des économies hypothétiques, le déficit pour 2015 sera certainement plus élevé que prévu. Il serait catastrophique qu'il franchisse le seuil de 5 % du PIB. Le déficit dépend de la croissance ; il serait plus judicieux de la prévoir faible quitte à avoir une bonne surprise. Pour la stimuler, il faut agir sur plusieurs leviers à la fois.
Vous avez imposé des dépenses importantes supplémentaires aux collectivités locales, avec la réforme des rythmes scolaires. La réduction espérée des dépenses des hôpitaux ou de médicaments est loin d'être solidement documentée. Il y a 41 ans que les gouvernements de gauche comme de droite n'ont pas présenté un budget en équilibre. La France vit donc au-dessus de ses moyens pour avoir considéré l'emprunt comme une ressource illimitée de financement. Vous n'êtes pas le premier, monsieur le ministre ! Avec 2 000 milliards en 2015, contre 110 milliards en 1980, nous entrons dans un cercle infernal de la dette, due à l'accumulation de ces déficits, ceux de vos prédécesseurs et les vôtres. Que ferons-nous si les taux d'intérêt remontent ?
Le Gouvernement fait croire que cela s'arrangera. Vous dites voir des frémissements avec le pacte de responsabilité et de solidarité, le CICE et les emplois d'avenir, qui coûtent très cher. Cessez de bercer l'opinion d'illusions, montrez-lui la réalité telle qu'elle est, comme l'ont fait les Canadiens qui étaient dans la même situation que nous il y a quinze ans.
Le chômage continuera d'augmenter tant que les carnets de commandes, surtout à l'étranger, resteront vides ou incertains. Il n'y a que les fonctionnaires qui jouissent d'emplois à vie. Il n'y aura bientôt plus en France que des fonctionnaires, des chômeurs et des retraités...
M. Richard Yung. - Et des sénateurs ! (Sourires)
M. Serge Dassault. - Une réforme fiscale s'impose pour transformer un impôt progressif en impôt égalitaire, cela devrait vous plaire, monsieur le ministre. C'est la flat tax, qui augmentera le pouvoir d'achat, stoppera l'hémorragie des entrepreneurs et fera repartir la croissance.
Pour les artisans, les commerçants à la retraite, j'ai déposé un amendement, afin de rétablir une indemnité que vous avez supprimée. Je voterai aussi les amendements supprimant les prélèvements irresponsables sur les CCI et sur les chambres d'agriculture. Le gain est minime pour les finances publiques.
Il vaudrait mieux supprimer l'AME ou le RSA accordés aux étrangers, ou au moins les conditionner au fait que ces étrangers travaillent en France.
Les Allemands ont voté cette année un budget en équilibre. Ils ont fait des réformes courageuses, inspirez-vous de celles de M. Schröder, social-démocrate.
M. Michel Sapin, ministre. - Ils ont mis dix ans. Donnez-nous du temps !
M. Serge Dassault. - Il faut réinvestir les dividendes dans l'entreprise, accorder aux salariés une participation comme je le fais depuis des dizaines d'années dans mon entreprise, cela arrêtera la lutte des classes dans l'entreprise. Arrêtez de croire au Père Noël ! Puissiez-vous suivre mes conseils ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Michel Sapin, ministre. - En tout cas, je les ai écoutés.
M. Michel Berson . - Je ne crois pas utile de rappeler une fois encore la situation économique particulièrement difficile et les mesures budgétaires particulièrement contraignantes prises par le Gouvernement pour y faire face.
Ce budget n'appelle pas un seul examen comptable. La France doit surmonter dix ans de laxisme en matière d'endettement public et d'immobilisme en matière industrielle. Le projet de loi de finances pour 2015 est volontariste, rigoureux, courageux, propre à générer la croissance, tout en maintenant le cap de la réduction des déficits publics.
Le pacte de responsabilité aidera les entreprises à embaucher. Le budget donne le cap sur l'innovation et la recherche, clés des emplois de demain. Je salue la décision du Gouvernement de préserver le budget de la recherche, qui a augmenté de 5 % depuis 2012 pour se stabiliser à 10 milliards d'euros, même après le dernier coup de rabot donné par l'Assemblée nationale.
M. Michel Sapin, ministre. - C'est Christian Eckert ! (M. le secrétaire d'État au budget sourit)
M. Michel Berson. - Il a été sanctuarisé.
M. Michel Sapin, ministre. - Il y a beaucoup de sanctuaires.
M. Michel Berson. - Le CIR aussi, même s'il peut apparaître coûteux, plus de 5 milliards d'euros en 2015, même s'il est perfectible, constitue un levier puissant et collectif au service des PME et des ETI. Un euro de CIR génère 1,5 euro de dépenses de recherche et développement supplémentaires.
Malgré les critiques, ce dispositif bénéficie plus aux PME et ETI indépendantes qu'aux grands groupes, si bien que le taux de financement public de leurs dépenses de recherche est l'un des plus élevés des pays industrialisés : 46 %. L'augmentation des dépenses de recherche s'accompagne d'un accroissement de l'emploi des chercheurs dans les entreprises. En 2012, celles-ci ont salarié 155 000 chercheurs.
La pérennisation et l'amplification des investissements d'avenir méritent d'être saluées. À hauteur de 22 milliards d'euros, ils financent des politiques de développement et de transfert de technologies dans les secteurs prioritaires de la NTIC, de la santé, des biotechnologies, des centres de recherche comme ceux du plateau de Saclay.
Je salue la volonté du Gouvernement de renforcer la part de nos établissements d'enseignement supérieur et de recherche dans les technologies de pointe, ainsi que son action en faveur de la transition énergétique. Les mesures en faveur de la croissance verte et de lutte contre le dérèglement climatique, contenus dans le récent projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, prolongent les efforts fournis depuis 2012 dans ces domaines. Je salue le nouveau crédit d'impôt pour la transition énergétique, à hauteur de 30 %, qui représente un effort important de 700 millions.
La France est l'un des État membres de l'Union européenne les plus engagés dans la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique. L'enjeu est économique, bien sûr, mais aussi et surtout de société.
M. Michel Sapin, ministre. - Très bien !
M. Michel Berson. - Ce projet de loi de finances fait le choix de soutenir clairement les dépenses d'investissements qui préparent l'avenir. Je soutiens ce budget qui préserve nos comptes publics, les intérêts de notre pays et prépare la croissance de demain.
M. le président. - Nos collègues Georges Patient et François Marc ayant subi un retard d'avion, je vais donner tout de suite la parole au ministre.
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics . - Je vous prie d'excuser mon absence ce matin, le conseil des ministres ayant eu lieu exceptionnellement aujourd'hui jeudi, au retour du président de la République.
Ce débat est utile, aujourd'hui comme hier ; quelle que soit la majorité, le Sénat fait preuve d'un sens critique, comme il sied en démocratie, mais aussi d'un sens des propositions raisonnables, dans un contexte tout sauf simple. En effet, la question de la réduction des déficits, des prélèvements obligatoires, ne date pas de mai 2012, même si elle s'est posée avec une acuité particulière depuis la crise de 2008. M. Bouvard qui a suivi ces questions à l'Assemblée nationale, l'a évoqué.
Les emprunts contractés en 2008-2009 arrivent à échéance en 2015-2016, vous le savez. Nous devons éviter qu'ils ne pèsent trop sur la croissance.
Ce budget est d'abord un budget de vérité. Nous avons mené une opération vérité au coeur de l'été, en révisant dès le mois d'août la prévision de déficit plutôt que courir après, décimale après décimale. Le chiffre de 4,4 % est encore élevé mais il n'est pas contesté. Dans ce chiffre, il y a l'État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Oui, cette année, nous tiendrons notre déficit et la croissance, comme je l'ai dit en août, sera de 0,4 %. Nous faisons d'ailleurs plutôt mieux que l'Allemagne, cela fait plaisir : 0,3 %, contre 0,1 % au troisième trimestre. Un budget de vérité, donc.
Au-delà du financement de telle ou telle action, un budget est aussi une arme économique au service de l'économie, d'une meilleure croissance. En quoi, me direz-vous ? Pour parler de la France, il faut évoquer l'Europe. Notre pays se situe exactement dans la moyenne européenne : une trop faible croissance, une inflation très basse et un chômage trop fort. Après la crise financière et bancaire de 2008, qui a d'ailleurs davantage frappé l'Europe que les États-Unis, nous avons dû faire face à la crise de la dette publique dans certains États de la zone euro. Allions-nous accepter que celle-ci régresse ? En 2011, 2012 et 2013, la réaction a été de serrer partout les boulons pour éviter la catastrophe : le dévissage de l'Islande, de la Grèce et de l'Espagne auraient emporté la zone euro. Nous vivons aujourd'hui une situation qu'on qualifie, peut-être un peu vite, de japonaise : faible croissance, inflation basse et chômage fort qui s'installent dans la durée. Nous ne pouvons pas nous y enliser d'autant que le tissu économique et le tissu social sont déjà meurtris.
C'est à cela que nous devons nous attaquer. Comment le faisons-nous ? Les 41 milliards de diminution de cotisations des entreprises en l'espace de quatre ans n'ont pas été calculés au doigt mouillé, ce sont les marges qu'elles ont perdues entre 2007 et 2013. Cette politique, nous la menons dans la continuité : 12 milliards de baisse en 2015, nous continuerons. Ce n'est pas si simple que cela à financer... J'aimerais que cela soit plus souligné, plus commenté, plus remarqué, j'aimerais des contreparties plus visibles de la part des entreprises, qui ont désormais la visibilité, la sécurité politique nécessaires.
Autre continuité, le pacte de responsabilité et de solidarité, avec une baisse de l'impôt sur le revenu de plus de 3 milliards pour 9 millions de ménages modestes et moyens.
Après le principe de la continuité, autre principe conducteur, tout aussi essentiel : ne pas financer les priorités - la défense, par exemple, car la LPM est respectée - ni réduire les déficits en augmentant les prélèvements obligatoires. Vous allez me dire « Enfin ! »...
M. Philippe Dallier. - Plutôt « heureusement ! ».
M. Michel Sapin, ministre. - Les responsabilités sont partagées : 30 milliards pour les uns, 30 pour les autres... Il fallait s'arrêter là. Si la conjugaison de prélèvements obligatoires élevés et de dépenses publiques élevées produisait une croissance élevée, cela se saurait... Pour la première fois, des réductions de dépenses en vrais euros, ceux de ma grand-mère, ceux qui tintent dans la poche. Des économies sont possibles partout, y compris dans les collectivités territoriales - nous le savons, en tant qu'élus locaux - pourvu que le rythme soit adapté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Et que l'on n'en demande pas tous les jours !
M. Michel Sapin, ministre. - Donc 50 milliards d'euros d'économies en trois ans, dont 21 milliards d'euros dès l'année prochaine. La majorité sénatoriale propose moins de faire des économies que de dépenser autrement... (Exclamations sur les bancs UMP)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Rétablissement du jour de carence, GVT, AME...
M. Philippe Dallier. - Regardez le solde !
M. Michel Sapin, ministre. - J'attends toujours le détail des 100 à 120 milliards d'économies que vous proposez tout en épargnant les collectivités locales... Chacun doit prendre ses responsabilités : réaliser des économies adaptées pour ne pas casser la croissance mais aussi porter des réformes de structure.
Sur l'Europe aussi, nous devons prendre nos responsabilités. Face au risque de déflation, il faut une politique économique coordonnée. On ne peut faire sans quand notre monnaie est commune. Nous sommes la première zone économique au monde. Je reviens de Brisbane - c'est loin, ça fait chic... Tous les pays du G20 parlent de la croissance faible de la zone euro ; ils nous demandent d'agir.
Quel rythme de consolidation budgétaire adopter ? Toute la question est là. Le logiciel d'hier qui consistait à resserrer les budgets doit être adapté, il ne s'agit pas d'en changer. Il faut défendre l'investissement, public mais pas seulement. Nous le faisons avec le CICE - n'entrons pas dans une guerre entre investissement public et investissement privé. Aujourd'hui, tous les pays font un peu du premier pour provoquer beaucoup du second. La transition énergétique est un des domaines où l'investissement est le plus décisif. La transition énergétique, c'est favoriser le transport local, améliorer l'efficacité énergétique des logements - c'est une stimulation immédiate de l'activité. D'où le crédit d'impôt pour la transition énergétique. Bref, de l'investissement, encore et toujours.
On ne peut plus dire, comme en 2007 : « on ne savait pas ». Nous connaissons la situation, nous mesurons le risque - faible croissance, faible inflation et trop longtemps. Il n'y a plus qu'une chose à faire : passer à la décision avec ce budget et comme au niveau européen. À vous, à nous d'agir ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Lors de l'examen au Sénat de la loi de programmation des finances publiques, le rapporteur général avait curieusement supprimé les tableaux de trajectoire en me donnant rendez-vous en loi de finances. Je dois dire que je reste sur ma faim... Je ne vois toujours ni trajectoire ni solde... peut-être les verrons-nous avant Noël... J'ai davantage lu dans la presse ou entendu ici un réquisitoire sur le passé qu'un projet pour l'avenir. La suspension de l'écotaxe est une catastrophe, dites-vous ? Proposez donc d'y revenir sous la forme qui vous conviendra ! Je n'ai pas vu beaucoup de sénateurs UMP se dresser devant les manifestants ; les députés UMP étaient plutôt en tête des cortèges...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous sommes au Sénat !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Il faut être cohérent. Pourquoi ne pas inscrire dans la loi vos propositions ?
Les dotations des collectivités territoriales seront sans doute au coeur de nos échanges. J'ai déjà souligné les disparités de situation entre le Nord et les Alpes-Maritimes...
M. Michel Bouvard. - C'est indéniable...
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Il en existe également entre les strates de collectivités territoriales. Les régions, disposant de peu d'autonomie fiscale, sont plus dépendantes des dotations d'État. Ces dotations représentent 28 % des recettes des collectivités territoriales, la fiscalité en représente 60 %. À taux constant, elle progresse tous les ans. L'assiette des impôts locaux s'élargit, et les bases sont réévaluées...
M. Philippe Dallier. - Ce n'est pas ce que nous voulons !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce que nous voulons, c'est moins de contraintes !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Ces bases vont augmenter de 0,9 %.
M. Michel Bouvard. - Les charges aussi !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Donc, la réduction de 3,67 milliards des concours - moindre puisque le FCTVA a été sorti de l'enveloppe par l'Assemblée nationale, 166 millions, ce n'est pas peu par les temps qui courent - se traduira par une relative stabilité des recettes des collectivités.
M. Philippe Dallier. - Mais non !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Avec des disparités importantes, je vous le concède... Le Premier ministre s'est engagé dans le dialogue avec les régions pour trouver des recettes dynamiques, la loi NOTRe sera l'occasion d'en débattre. Pour les départements, nous pérennisons les transferts de recettes de l'an dernier : 1,5 milliard d'euros, tout de même...
M. Michel Bouvard. - Repris avec la péréquation !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je retrouve vos interventions avec plaisir, monsieur Bouvard... Le Premier ministre s'est engagé devant l'ADF à Pau à créer un groupe de travail pour réfléchir à la recentralisation des allocations individuelles - le rêve sans doute des présidents de conseil généraux. Pour le bloc communal, des mesures ont été prises à l'Assemblée nationale.
Certains orateurs ont parlé de « rabot », voire de « varlope »... Bercy ne s'est pas contenté d'appliquer uniformément un coefficient inférieur à 1 à toutes les cellules d'un tableau Excel, loin de là. Nous avons regardé les crédits ministère par ministère, mission par mission, en examinant dépenses de personnel, prestations, dépenses d'intervention, effectifs, environnement économico-social... Croyez-moi, ce fut un travail de fond.
Ces économies seraient de fausses économies parce qu'elles seraient réalisées par rapport au tendanciel... C'est ainsi qu'elles sont évaluées dans le monde entier - le tout est de mesurer le tendanciel... Je donne souvent cet exemple : quand on est de plus en plus nombreux, qu'on vit plus longtemps, que les soins sont de plus en plus coûteux, n'est-il pas logique que les dépenses de santé augmentent naturellement de 3,9 % ? Nous avons fixé un Ondam de 2,2 %, ce sont des économies réelles - et tous les gouvernements avant nous ont adopté la même démarche.
Personne n'a souligné nos efforts pour le logement, la transition énergétique...
Des réformes structurelles ? Nous avons rétabli l'impôt sur la fortune, nous avons réformé la fiscalité du capital, celle des plus-values mobilières, qui n'a jamais été aussi favorable, créé une tranche de 45 % sur l'impôt sur le revenu, supprimé la tranche à 5 % pour les ménages modestes. On peut toujours dire que ce ne sont que des réformettes, mais peu ont fait autant en deux ans dans notre histoire fiscale.
Mme Des Esgaulx a déploré une trop forte concentration de l'impôt sur le revenu sur les hauts revenus. Excellent débat... La concentration de l'impôt sur le revenu en France est forte, certes, mais les inégalités de revenus sont aussi fortes. Cette concentration est à peine plus forte que celle des revenus.
Un mot sur les crédits de la défense. Tous les ans, toutes majorités confondues, nous devons régulariser les dépenses liées aux Opex.
M. Michel Bouvard. - Ce n'est pas glorieux, mais c'est un fait.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce n'est pas le sujet ; le sujet, c'est le compte d'affectation spéciale « Fréquences ».
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - La LPM est respectée, les crédits s'élèveront bien à 31,4 milliards d'euros. Regardez la façon dont ont été respectées toutes les lois de programmation militaire depuis vingt ans... Nos statisticiens de Bercy parlent de courbes « en Iroquois », parce que l'exécution est toujours, à chaque LPM, très inférieure à la prévision...
On s'interroge sur les ressources exceptionnelles. Vos commissaires de défense sont venus à Bercy, la chose est normale. Je suis prêt à la coopération. Personne ne peut dire quand les fréquences seront vendues...
M. Philippe Dallier. - C'est bien le problème !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - ... ni vous, ni nous. Mais vous ne pouvez pas affirmer qu'elles ne le seront pas en 2015. Nous avons réalisé des études fines, elles sont couvertes par le secret des affaires. Nous mettrons les fréquences en vente au moment que nous estimerons opportun. Si ces recettes n'étaient pas réalisées, nous recourrions au programme des investissements d'avenir.
Voilà les précisions que je voulais apporter avant le débat qui nous occupera pendant les jours et les nuits à venir. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
La discussion générale est close.
Question préalable
Mme la présidente. - Motion n°I-414, présentée par M. Favier et les membres du groupe CRC.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2015 (n° 107, 2014-2015).
M. Christian Favier . - Ce texte a été adopté par une majorité particulièrement étriquée à l'Assemblée nationale : 266 députés seulement sur 577. Tout laisse penser que les choix politiques du Gouvernement ne permettront pas de sortir le pays de la situation préoccupante qu'il connaît. Que la date où sera atteint l'équilibre budgétaire soit repoussée résulte du principe de réalité : la politique menée depuis 2012 ne fonctionne pas. Henri Guaino, qui n'est pas de mes amis, l'a bien dit : « la réduction des déficits ne se décrète pas ».
Cette loi de finances ressasse des recettes éculées, recycle de vieilles lunes libérales imposées par l'Europe. Elle n'est pas l'outil de transformation radicale que nous appelons de nos voeux. Pendant ce temps, les entreprises captent l'essentiel des 82 milliards de dépenses fiscales, des 100 milliards des remboursements et dégrèvements, des 62 milliards des dépenses fiscales, des 33 milliards d'allégements de cotisations, sans parler de la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés. Avec le CICE, la France est devenue une sorte de paradis fiscal pour M. Gattaz et ses amis. Dans le Val-de-Marne, 65 millions d'euros ont été distribués à plus de 2 000 entreprises, le chômage a crû de 10 % : beau résultat de ces cadeaux sans contrepartie... Il est indispensable d'installer dans chaque département un observatoire chargé d'évaluer l'utilisation de ces sommes.
Pour remercier les collectivités territoriales d'avoir pris à leur charge le réseau routier et le transport des voyageurs, de rénover les établissements scolaires, d'assumer des missions sociales décisives pour lutter contre l'exclusion sociale, l'État réduit ses concours de 20 %. Il faut qu'elles participent à l'effort ? Cela fait des années qu'elles le font. Les départements financent les 48 milliards d'euros du RSA bien au-delà des maigres compensations de l'État. La norme zéro valeur s'impose aux collectivités territoriales depuis longtemps.
L'effort demandé en 2015 ne serait pas si considérable puisque les 11 milliards ne représentent que 2 % des ressources des collectivités territoriales... Cette affirmation ne résiste même pas une minute à la réalité. Le rapport sénatorial déposé le 12 novembre par MM. Dallier et Guené prouve le contraire : les collectivités territoriales seront victimes d'un effet ciseau entre hausses contraintes des dépenses et baisses des recettes. Les élus locaux, malheureusement, rogneront sur l'emploi et la commande publics, ce qui pèsera sur l'emploi local, ou encore augmenteront les impôts locaux. Au bout du compte, les ménages paieront la facture.
Certes, la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu est supprimée mais cela ne préservera pas les Français d'une hausse de la TVA, de la CSG et des impôts locaux. En réalité, avec la baisse des dotations, vous créez en 2015 une forme d'impôt supplémentaire de 100 euros par an et par foyer fiscal, pour moins de services publics, moins de proximité, moins de réponse aux besoins ; en 2016, ce seront 200 euros et en 2017, 300...
Il est plus que temps de mettre en oeuvre la grande réforme fiscale attendue depuis si longtemps : en sus des 69 milliards de l'impôt sur le revenu - on sait que CSG et RDS pour 100 milliards, la TICPE pour 27 milliards et la TVA pour 143 milliards sont acquittées par tous les ménages, sur tous leurs revenus - mais l'impôt sur les sociétés ne rapporte que 33 milliards. On sait que les impositions indirectes frappent plus lourdement les plus modestes. Ce projet de loi de finances aggrave les inégalités de traitement fiscal entre les revenus et les patrimoines.
Sur l'ensemble des politiques sociales, il faut changer de logiciel : on ne peut se contenter de 171 millions pour le logement quand on accorde 1,8 milliard pour assurer la rentabilité financière des investissements immobiliers privés. L'État compense à la sécurité sociale 20 milliards d'exonération de cotisations sociales générales, génératrices de bas salaires.
Je pourrais continuer longtemps, mission après mission. Nous sommes pris dans un étau. La politique du logement, c'est d'abord le soutien à la spéculation immobilière. La politique de l'emploi, ce sont les exonérations de cotisations sociales et la prise en charge publique des licenciements de masse. La politique industrielle, ce sont les réductions d'impôts qui confortent la position dominante des grands groupes. Que sont les 200 ou 300 euros d'exonérations accordés aux patrons de PME par rapport aux millions que récupèrent les grands groupes pour faire des placements financiers juteux ? Les chefs d'entreprises ne demandent pas des exonérations de charges, mais des commandes publiques !
Il est temps que l'intérêt général prime sur toute autre considération. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général . - Nous avons un désaccord fondamental. C'est dommage : nous étions d'accord avec vous pour dire que l'effort demandé aux collectivités locales est indu... L'adoption de cette motion aurait pour conséquence de mettre fin au débat. Après deux années de frustration...
M. Daniel Raoul. - C'est vous qui bloquiez !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous aviez la majorité, en théorie ! La majorité actuelle souhaite aller au bout du débat, sur la première comme sur la deuxième partie. Nous souhaitons faire des propositions. Le groupe CRC aussi, sans doute ! C'est pourquoi nous proposons le rejet de cette motion.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Le Gouvernement est impatient d'entendre quelles sont les réformes structurelles et les économies substantielles que proposera la nouvelle majorité. Avis défavorable.
M. Richard Yung . - « Les libéraux dogmatiques » ? Qui était visé ? Un autre groupe que le nôtre sans doute. Vous avez critiqué le CICE, mais que proposez-vous ? La réforme fiscale, c'est bien, mais ce n'est pas cela qui créera de la croissance. Nous voulons poursuivre le débat, et voterons contre cette motion.
M. André Gattolin . - Le groupe écologiste, par tradition, n'a jamais essayé de raccourcir le débat. Nous voulons entamer le débat de fond, politique, sur les recettes et les dépenses autour du projet du Gouvernement. Nous ne voterons pas cette motion.
M. Jean-Claude Requier . - Notre groupe non plus. Nous avons été frustrés du débat sur le budget ces dernières années. Il faut que le Sénat cesse de rendre copie blanche. Et quel plaisir de passer le week-end à Paris pour travailler sur le budget ! (Sourires)
M. Vincent Capo-Canellas . - Si nous ne partageons pas la vision du groupe communiste, nous partageons certaines de ses critiques... Le débat doit avoir lieu, il sera exigeant, et permettra de confronter les positions. Nous y sommes prêts et nous le souhaitons.
M. Dominique de Legge . - Nous voulons débattre, et surtout ne pas décevoir le ministre, qui a hâte de nous entendre. Nous avons hâte, nous, de montrer combien ce budget doit être amendé. Nous voterons contre la motion.
La motion n°I-414 est mise aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n° 31 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 18 |
Contre | 325 |
Le Sénat n'a pas adopté.