Adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne (Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne.
Discussion générale
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale . - Veuillez excuser l'absence de Mme Taubira, en déplacement officiel aux Antilles.
Je remercie le Sénat de ses efforts pour faire aboutir la CMP. Plusieurs mesures nouvelles ont été introduites au cours de vos travaux. Le texte transpose plusieurs directives-cadres européennes et améliore la protection des victimes, conformément aux recommandations du Conseil d'État, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, ainsi qu'aux orientations de la loi du 25 novembre 2009 sur l'encellulement individuel.
Onze décisions-cadres ont été prises en matière pénale depuis 2002. Ce texte en transpose trois qui aurait dû être transposées en 2011-2012. La première vise à éviter les doubles poursuites lorsque deux procédures parallèles sont engagées dans deux États membres. La deuxième concerne le placement sous contrôle judiciaire et facilite le suivi des obligations des personnes soumises à une peine de probation dans leur pays de résidence. Il s'agit aussi de protéger les victimes, en interdisant tout contact avec son agresseur.
Les citoyens ne peuvent bénéficier de leurs libertés que si notre espace de justice est unifié, c'est-à-dire que les jugements sont appliqués dans toute l'Union européenne. C'est pourquoi ce texte prévoit la reconnaissance mutuelle des jugements.
Le Gouvernement a profité de ce texte pour transposer les mesures de la directive du 25 octobre 2012 sur les droits des victimes. Celles-ci pourront bénéficier d'un huis clos lors de leur témoignage et d'une protection.
La loi pénitentiaire de 2009 a posé le principe de l'encellulement individuel. Cela doit s'accompagner d'un cadre concernant les peines de probation. D'autres articles concernent les délais de détention provisoire en cas d'appel, les délais impartis à la Cour de Cassation pour statuer dans certains cas.
Votre rapporteur en commission paritaire a soulevé le caractère général des dispositions relatives à la transmission des informations relevant du domaine pénal par l'autorité judiciaire aux administrations, l'atteinte portée à la présomption d'innocence et le transfert de la responsabilité des mesures préventives de l'autorité judiciaire aux autorités administratives.
Prévoir une dérogation uniquement pour certaines infractions commises par des professionnels travaillant en contact avec les mineurs aurait, a contrario, interdit tout autre signalement. Est-il concevable qu'une personne condamnée pour abus de faiblesse sur une personne vulnérable à raison de son âge ou d'une maladie et qui travaille au sein d'un hôpital ou d'une maison de retraite, ne soit pas signalée ?
Le Gouvernement est conscient de la nécessité de conjuguer la meilleure protection possible des plus vulnérables et crucialement des mineurs, et le respect de la présomption d'innocence des personnes mises en cause par la justice.
Le travail intense qui a eu lieu depuis la première lecture à l'Assemblée nationale entre les parlementaires de toutes tendances et les ministères concernés a permis de parvenir à un bon compromis.
L'obligation de signalement concernant les professionnels travaillant au contact de mineurs est limitée aux situations où l'intéressé est condamné ou est placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction d'exercer. Par ailleurs, elle ne peut être relative qu'aux infractions sexuelles ou violentes. Pour ces mêmes professionnels, la possibilité d'informer les autorités hiérarchiques pour des infractions sexuelles et violentes est prévue, dès le stade de la garde à vue, sous le contrôle du procureur, s'il existe des raisons sérieuses de soupçonner l'intéressé et moyennant une garantie forte, après le recueil des observations de la personne concernée.
Pour les agents qui ne travaillent pas de façon habituelle avec des mineurs ou qui, travaillant avec des mineurs, commettent d'autres infractions que sexuelles ou violentes, la possibilité de signalement est limitée aux hypothèses dans lesquelles l'intéressé est mis en examen, renvoyé devant une juridiction de jugement ou condamné et prévoit l'information systématique de ce dernier.
J'espère vous avoir convaincus que si la procédure d'examen des amendements au projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui a été fort contrainte, j'en conviens, leurs dispositions sont de nature à améliorer la protection des victimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Veuillez excuser l'absence de Mme Najat Vallaud-Belkcacem. La ministre souhaite mettre un terme à une situation intolérable décrite par les rapports de l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et de l'Inspection générale des services judiciaires, commandés pour faire la lumière sur une affaire très grave découverte fin mars : les 61 accusations d'agressions sexuelles à l'encontre d'un enseignant de Villefontaine, préalablement condamné pour la détention de matériel pédopornographique.
Quelques jours plus tard, à Orgères, un professeur, déjà condamné par la justice lui aussi, et sous le coup d'une autre procédure pour une corruption de mineur de moins de quinze ans, continuait à exercer sans que l'Éducation nationale ait été alertée de sa condamnation.
Notre dispositif sécurise la chaine de transmission des informations, et doit aider les administrations concernées à prendre les décisions appropriées, tout en garantissant la présomption d'innocence.
En cas de délit grave ou à caractère sexuel, la justice devra informer les administrations de tutelle de tout condamné travaillant au contact des mineurs. Le juge pourra aussi, dans certains cas, interdire à toute personne dont la garde à vue révèle des raisons sérieuses de considérer qu'une infraction à caractère sexuel a été commise, d'exercer au contact des mineurs.
Une liberté d'appréciation est laissée au procureur à toutes les étapes de la procédure. Lorsque les victimes ne sont pas mineures, l'information est facultative. L'administration sera libre de prendre des mesures conservatoires. L'information respectera le secret de l'instruction.
Ce texte était attendu mais on en peut se contenter de dispositions législatives. Nous avons déjà mis en place des référents-justice et des référents-éducation nationale auprès des rectorats.
Nous visons à concilier l'exigence de protection des mineurs et la présomption d'innocence. L'école ne saurait être un terrain de chasse pour des prédateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois . - L'échec de la CMP, sur un texte technique de transposition, pourrait surprendre. Les modifications du Sénat ont d'ailleurs été adoptées et l'on était parti pour un accord. Quelle ne fut notre surprise de constater que l'Assemblée nationale avait ajouté 28 nouveaux articles, dont un seul concerne l'adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne. Puisque nous étions en procédure accélérée, le Sénat n'a pu en débattre.
Certaines de ces mesures sont pertinentes, comme la correction de la malfaçon du texte sur le financement des partis politiques - pour quoi on aurait pu utiliser la voie offerte par la proposition de loi déposée par M. Sueur. D'autres dispositions ainsi introduites appellent pour le moins un débat - duquel nous sommes privés. Cette accumulation d'articles additionnels pose une question de principe : les limites du droit d'amendement ont été dépassées, portant atteinte aux droits du Parlement et du Sénat.
Tout admirative qu'elle ait pu être de son éclat, la commission des lois n'a pas été convaincue par le brillant exercice d'équilibrisme - pour ne pas dire de trapézisme - auquel s'est livré le président Sueur pour tenter de justifier ces articles. La notion de transposition du droit européen a tout de même un sens précis !
Au-delà, ces articles posent des problèmes d'opportunité, comme le sursis avec mise à l'épreuve prononcé contre un récidiviste, ou de l'obligation de prendre en compte les conditions d'incarcération du condamné pour prononcer des remises de peine complémentaires. Les dispositions relatives aux sur-amendes pénales - sujet sur lequel j'ai déposé une proposition de loi qui ne demande qu'à être examinée - sont également sujettes à caution.
Ce texte pose également des problèmes de constitutionnalité : le texte prévoit l'information obligatoire des administrateurs de tutelle en cas de condamnation pénale. Le procureur peut aussi informer l'administration avant même toute condamnation, dès la mise en examen ou le renvoi devant la formation de jugement. Il doit obligatoirement le faire en cas de condamnation ou de contrôle judiciaire.
Une circulaire du 11 mars, antérieure donc à la découverte de l'affaire de Villefontaine, prévoyait déjà l'information par le Parquet de l'Éducation nationale. D'ailleurs les affaires récentes ont montré une bonne transmission au sein de l'Éducation nationale mais un dysfonctionnement de l'échange d'information entre la Chancellerie et l'Éducation nationale.
Ce texte ouvre la voie à certaines dérives, voire à des procédures engagées pour diffamation : parents d'élèves et élus locaux, nous avons tous eu connaissance de rumeurs propagées sur des enseignants. Pensez aussi aux effets que peut avoir en la matière la pénalisation croissante des procédures de divorce.
Ce texte souffre de trois défauts. En premier lieu, sa généralité : loin de se limiter aux atteintes contre les mineurs, il s'étend à toute infraction et à toute administration. Son deuxième défaut majeur est qu'il est gravement attentatoire à la présomption d'innocence, puisqu'il intervient avant toute condamnation pénale et hors du contrôle d'un juge. Enfin, il transfère la responsabilité de l'autorité judiciaire vers l'administration pour prendre des mesures préventives contre la personne mise en cause. Outre qu'elle prive la personne en cause de tout recours, cette sous-traitance aux administrations laisse celles-ci démunies face à un problème qui les dépasse. Toute mesure conservatoire qu'elles prendraient pourrait être analysée comme une sanction, alors même qu'elles n'ont pas accès au dossier de l'enquête et qu'elles ne pourront la motiver. Verra-t-on le juge administratif saisi de la mesure administrative se prononcer avant le juge pénal sur la culpabilité de l'intéressé ? Il aurait pourtant suffi que le procureur de la République demande au juge de la détention et des libertés de prononcer à l'encontre de l'intéressé une mesure de contrôle judiciaire limitant son exercice professionnel.
Un mécanisme fondé sur les obligations de contrôle judiciaire et la transmission obligatoire des condamnations aurait été plus pertinent et aurait répondu à la situation dénoncée à Villefontaine et à Orgères.
Le Conseil constitutionnel sera saisi. Nous déposons une motion opposant l'exception d'irrecevabilité. Je sais bien que ces dispositions sont urgentes ; il suffit pour cela d'inscrire à l'ordre du jour une des propositions de loi qui ont déjà été déposées ! (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Catherine di Folco . - Même si M. Lecerf, alors rapporteur, en avait regretté la précipitation, ce texte de transposition n'avait soulevé aucune difficulté en première lecture et la CMP aurait dû aboutir. Hélas, la procédure parlementaire a été dévoyée quand l'Assemblée nationale a ajouté 28 articles que le Sénat n'a pu examiner en raison de la procédure accélérée.
Ces articles n'ont pas de lien avec l'objet de ce texte. La démonstration d'équilibrisme de M. Sueur en commission n'a convaincu personne. Mieux vaudrait examiner ces articles dans le cadre de textes ad hoc. Certaines mesures ne sont pas opportunes comme le sous-amendement à l'article 4 quater, ou l'information des administrations de tutelle sur les procédures en cours.
Souhaitant que le Sénat joue son rôle constitutionnel, nous voterons la motion déposée par M. Zocchetto.
M. Jean-Pierre Sueur . - Il arrive souvent que le Sénat améliore les textes qui lui sont soumis ; ce fut le cas pour la loi NOTRe. Il arrive ainsi parfois que le Sénat renonce à jouer son rôle. L'adoption d'une motion d'irrecevabilité permettrait à l'Assemblée nationale de reprendre son texte et pourtant ce sera le Conseil constitutionnel qui statuera.
À l'initiative de Dominique Raimbourg, l'Assemblée nationale a introduit 28 articles dans ce texte. Il s'agit de savoir s'ils sont bien à leur place dans ce projet de loi. M Zocchetto a été très clair et il répond par la négative. Je suis d'accord pour 13 d'entre eux.
M. Jean-Jacques Hyest. - Cela fait déjà pas mal ! (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est pourquoi j'ai déposé des amendements tendant à les supprimer. Je considère en revanche que d'autres dispositions sont bien dans le droit fil de directives européennes.
Ainsi de l'article 4 quater A, sur la possibilité pour les victimes de saisir le fonds de garantie des victimes, ou de l'article 5 bis A, qui concerne la protection des témoins aux audiences relatives à la criminalité organisée et la compétence de la Cour d'appel de Paris dans les affaires. Ces articles transposent directement la directive Victimes. L'article 5 septdecies est lié à la directive du 20 novembre 2013, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Il est facile d'argumenter que les articles 5 septies B et C et 7 decies sont une application directe de la directive du 20 novembre 2013.
Voilà donc des articles que nous pouvons adopter sans le moindre risque constitutionnel.
D'autre part, l'article 7 decies, sur l'échange transfrontalier d'informations en matière de sécurité routière, transpose la directive sur le code de la route. L'article 5 quaterdecies, sur la remise de peine en cas de surpopulation carcérale, tire les conséquences d'un arrêt du 20 janvier 2015 de la Cour européenne des droits de l'homme, touchant notre violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Hommes ; en outre, il s'inspire d'une recommandation du Conseil de l'Europe.
Avec d'autres articles, nous nous trouvons dans un autre cas de figure. C'est ainsi que l'article 4 quater sur l'individualisation des peines prend en compte une décision du Conseil constitutionnel sur une disposition que nous avions introduite dans la loi du 15 août 2014. Le Conseil constitutionnel ne saurait censurer une disposition destinée à appliquer une de ses décisions ! De même, l'article 5 decies s'inspire de la décision du Conseil constitutionnel du 29 janvier 2015, rendue à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité. Comment le Conseil pourrait-il, là-aussi, censurer une telle disposition ?
En matière de financement des partis politiques, comment nous reprocher de réparer une lacune ? Aucun parlementaire n'avait vu que nous n'avions pas prévu de sanction dans le cas du financement d'un parti par une personne morale.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est bien dommage.
M. Jean-Pierre Sueur. - Oui, et l'avocat de la famille Le Pen s'est engouffré dans cette brèche.
Ainsi plusieurs articles ont un lien direct avec le droit européen, d'autres tirent les leçons de décisions du Conseil constitutionnel, ou sont dictées par l'urgence.
Un mot sur la transmission d'informations en cas d'infractions à caractère sexuel sur mineurs. Cette mesure est liée à l'article 39 de la directive du 20 novembre 2013 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Il est donc légitime de traiter cette question dans ce texte.
Sur le fond toutefois, nous n'avons souscrit ni à la première version du texte en CMP, suivant les arguments de M. Zocchetto, ni à sa deuxième version. Cependant la version adoptée par la commission des lois de l'Assemblée nationale respecte les principes de protection des mineurs, du respect de la présomption d'innocence et le secret de l'enquête. Toutefois nous sommes opposés à l'échange d'informations systématique au stade de la garde à vue ou de l'enquête. Notre amendement va dans ce sens et répond aux inquiétudes du rapporteur.
C'est pourquoi nous ne voterons pas la motion d'irrecevabilité.
Mme Esther Benbassa . - Le texte avait initialement pour objet de transposer trois décisions-cadres issues du « programme de Tampere » de 1999 : celles du 27 novembre 2008, du 23 octobre 2009 et du 30 novembre 2009. Ces décisions-cadres poursuivent le même objectif : faciliter l'exécution dans un État membre de décisions prises dans d'autres.
A l'initiative de M. Dominique Raimbourg, le texte a été enrichi, pour tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ou du Conseil constitutionnel. Les écologistes y sont favorables. Rendons-nous à l'évidence : l'enthousiasme n'est guère partagé sur nos bancs ; la motion qui a été adoptée mardi en commission en témoigne.
Notre rapporteur considère en effet que l'insertion de vingt-huit articles additionnels dont vingt-sept sans lien avec le texte est contraire à l'article 45 de la Constitution relatif au droit d'amendement. L'article 5 septdecies A, en particulier, pose en outre un délicat problème d'équilibre entre l'impératif de protection des mineurs et l'indispensable respect de la présomption d'innocence.
Les députés décideront dès cet après-midi du sort de ce texte, que nous n'aurons pas discuté sur le fond ; il comportait pourtant de réelles avancées pour les victimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Cécile Cukierman . - Ce texte transpose des directives cadres qui auraient dû l'être dès 2011 et 2012... Ses dispositions visent à assurer l'égalité entre citoyens européens en assurant la bonne exécution des décisions de justice et à renforcer la protection des victimes.
Sur le fond, nous soutenons les dispositions ajoutées en cours de navette, la mise en oeuvre de l'encellulement individuel, le renforcement des droits des victimes, les sur-amendes pénales. Mais nous regrettons que le périmètre du texte ait été à ce point étendu : en procédure accélérée, c'est une atteinte aux prérogatives du Sénat, contraire à l'article 45 de la Constitution...
L'article 5 septdecies A relatif à la transmission d'information de faits délictueux visant des mineurs entre la Chancellerie et l'administration de tutelle, obligatoire en cas de mise en examen ou de renvoi devant une formation de jugement, pose la question de l'équilibre entre présomption d'innocence, secret de l'enquête et protection des victimes. Il convient de prendre toutes les garanties et précautions nécessaires...
Renforcer le contrôle des antécédents judiciaires des personnes en contact avec des mineurs est impératif, mais les droits de la défense ne sauraient y être sacrifiés. En l'état, le dispositif menace la présomption d'innocence, principe à valeur constitutionnelle et conventionnelle.
Nous sommes ainsi sensibles aux arguments avancés à l'appui de la motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Jacques Mézard . - Je veux d'abord dire notre étonnement. Un simple texte de transposition de directives cadres tendant à renforcer la coopération judiciaire et la protection des droits des personnes est devenu un catalogue de quarante et un articles, au mépris des règles élémentaires du débat parlementaire et du bicamérisme... C'est inacceptable, sur le fond et sur la forme.
Le retard de transposition est un classique ; y remédier un impératif. Des avancées figurent dans ce texte comme le renforcement du principe non bis in idem ou la reconnaissance mutuelle des décisions de probation et de contrôle judiciaire ; elles ont été pour l'essentiel adoptées conformes.
D'autres mesures, parmi celles introduites à l'Assemblée nationale, sont très contestables. Le bicamérisme et le débat démocratique - je sais que vous y êtes personnellement attaché, monsieur le ministre Vallini - sont essentiels en ces matières sensibles.
L'article 5 septdecies A, qui fait suite à l'affaire de Villefontaine, me remet en mémoire les propos que nous tenions ensemble, il y a quelques années, à l'occasion de la discussion de la loi sur les morsures de chien, et de tout autre texte à usage médiatique... Ce qui n'était pas jugé bon hier ne saurait le devenir aujourd'hui. Notre édifice pénal doit conserver sa stabilité, être défendu contre les assauts de l'actualité. Le dispositif proposé n'est pas bon et pose de graves problèmes de constitutionnalité et de conventionalité.
Un mot sur les sur-amendes pour financer l'aide aux victimes... Leur calcul serait fondé sur le montant des amendes pénales et des sanctions pécuniaires prononcées par certaines autorités administratives indépendantes ; je sors d'une réunion de la commission d'enquête du Sénat sur celles-ci, dont je rapporte les travaux... Considérer que les amendes prononcées par l'Autorité de régulation des jeux en ligne ou l'Autorité de la concurrence peuvent financer l'aide aux victimes, c'est vraiment une drôle d'idée...
M. Pierre-Yves Collombat. - Ingénieux !
M. Jacques Mézard. - Je suis surpris, monsieur le ministre, que vous défendiez pareille disposition. Il faut que le Gouvernement renonce.
Le RDSE ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Yves Détraigne . - Ce texte renforce l'intégration européenne. Nous regrettons donc que l'Assemblée nationale en fasse un texte politique en y insérant 28 articles dépourvus de lien avec son objet. Le rapporteur de l'Assemblée nationale a reconnu le procédé ; nous dénonçons une méthode, dont le Gouvernement s'est fait le complice, qui fait obstacle aux prérogatives du Sénat.
La transmission d'informations pénales aux administrations, les sur-amendes, tout cela n'a rien à faire dans ce texte qui poursuit l'objectif essentiel de renforcer l'égalité entre citoyens européens. Le principe de reconnaissance mutuelle est étendu au contrôle judiciaire et aux mesures de probation. Autant de clés pour un espace judiciaire européen qui fonctionne bien et accorde les mêmes droits à tous. Quoi de plus essentiel que la procédure pénale, domaine d'exercice des libertés fondamentales ?
Nous apprécierions que la majorité socialiste de l'Assemblée nationale respecte le processus législatif, le travail du Sénat, tout simplement la Constitution... Un certain nombre d'articles sont certes en lien avec l'objet du texte.
M. Jean-Pierre Sueur. - La moitié !
M. Yves Détraigne. - Il en reste 14 ! C'est toujours plus que le nombre d'articles initial du texte ! Si vous étiez encore président de la commission des lois, vous ne vous en satisferiez pas...
Le groupe UDI-UC soutiendra la motion. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs du RDSE)
M. André Vallini, secrétaire d'État. - La Chancellerie m'a fourni des exemples de faits avérés, qui vous prouveront l'utilité des mesures proposées. Un enseignant arrêté alors qu'il transportait un kilogramme de cannabis, placé en garde à vue puis remis en liberté sous contrôle judiciaire, a été jugé longtemps après les faits ; pendant ce temps, son administration en ignorait tout. Tel policier de la BAC placé en garde en vue pour violences conjugales, n'a pu être écarté du service de recueil des plaintes, faute d'information de sa hiérarchie, avant sa condamnation. Tel surveillant pénitentiaire condamné pour agressions sexuelles dans un cadre non professionnel est resté en poste, en contact avec de jeunes majeurs. L'administration d'un agent des impôts condamné pour escroquerie dans un cadre privé n'est informée qu'au jour du jugement ; celle d'un enseignant remis en liberté après une garde à vue pour caresses inappropriées sur son fils, ne l'est pas le temps de l'expertise psychiatrique...
L'équilibre est très difficile à trouver. Le Gouvernement estime que la transmission des informations dont nous parlons est utile ; elle est placée sous le contrôle du procureur ; c'est une mesure préventive très encadrée. J'en souhaite l'adoption par le Sénat.
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Zocchetto, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne (n° 643, 2014-2015).
M. François Zocchetto, rapporteur . - Ce projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat le 23 avril 2014, a été examiné ici en première lecture en novembre - entretemps le Gouvernement s'était réveillé et avait déclaré la procédure accélérée...
Deuxième motif de mécontentement : les 28 articles cavaliers législatifs, dont certains ne sont pas opportuns au fond. Les arguments de la Chancellerie sont bien tardifs... La directive de novembre 2013 n'a pas la procédure pénale pour objet ; surtout, elle concerne les administrations des États membres entre elles et non la transmission d'information entre autorités judiciaires et autorités administratives. On ne peut raisonnablement affirmer que l'article en cause est lié à la transposition.
Nous sommes conscients de la gravité de certains faits et de la nécessité de fournir des bases légales à certaines dispositions réglementaires. Raison de plus pour engager, à la rentrée parlementaire, un débat serein susceptible de donner naissance à un texte de loi plus efficace et moins médiatique.
M. Jean-Pierre Sueur . - Les sénateurs disposent du droit d'amendement... J'ai démontré que de nombreuses dispositions nouvelles se justifiaient dans le présent texte ; il était possible au Sénat de les maintenir tout en votant les amendements de suppression que j'ai déposés...
La directive du 20 novembre 2013, en son article 39, vise expressément les infractions pénales ; pour qu'il y ait transmission d'informations entre États, il faut un processus en amont au sein de chacun d'eux. L'amendement que j'ai déposé, s'inspirant de la rédaction de la commission des lois de l'Assemblée nationale, s'inscrit parfaitement dans ce cadre et propose un équilibre satisfaisant entre droits des victimes, présomption d'innocence et secret de l'enquête et de l'instruction.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Avis défavorable à la motion.
Mme Cécile Cukierman . - Loi Macron, loi Santé, au fil des procédures les monstres juridiques se multiplient... Jean-Jacques Urvoas a lui-même dénoncé le dépôt par le Gouvernement d'amendements de dernière minute, générateur de dysfonctionnements pour le Parlement. Sans parler du recours à l'article 49-3 et des lois d'affichage ou médiatique. Le Parlement, chambre d'enregistrement... Le déséquilibre institutionnel de la Ve République devient caricatural...
Les exemples cités par le ministre nous interpellent, bien sûr - aussi sur la lenteur de la justice... Des dispositions introduites par l'Assemblée nationale sont pertinentes, c'est leur accumulation qui pose problème... Que deviennent les prérogatives du Sénat ?
Nous disons enfin notre opposition à l'article 5 septdecies A, qui sous-traite les questions judiciaires à l'administration et méconnait la présomption d'innocence. Nous voterons cette motion.
M. Pierre-Yves Collombat . - Pour paraphraser le mot de Bonaparte et contrairement aux baïonnettes, on peut tout faire avec la Constitution, même s'assoir dessus ! (Rires) Voilà une première raison de voter cette motion. Tout fait divers donne naissance à une loi... Ce n'est pas de bonne méthode - deuxième bonne raison de voter cette motion. Troisième et dernière raison : on ne s'attaque pas à des matières aussi délicates au détour d'un amendement. Le RDSE votera la motion.
A la demande du groupe UDI-UC, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°238 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 219 |
Contre | 121 |
Le Sénat a adopté.
Le projet de loi n'est pas adopté.