Modernisation du système de santé (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la modernisation du système de santé.
Explications de vote
Mme Laurence Cohen . - (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) Durant deux semaines, nous avons examiné un projet de loi ayant pour ambition de moderniser notre système de santé. L'enjeu est considérable au regard des besoins de la population. Or la logique qui nous a été imposée, trop partagée dans cet hémicycle, a été celle du redéploiement, de l'aménagement de l'offre de soins dans une enveloppe contrainte, partant du postulat qu'il faut réduire les dépenses de santé. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont un leurre, ils n'enrayeront pas les disparitions d'établissements. Nous passerons en quelques années de 1 300 hôpitaux à 150 groupements. C'est la mort de la psychiatrie de secteur, pourtant la première à travailler en réseau. C'est pourquoi nous avons voté contre l'article 13. Pourquoi ces regroupements à marche forcée - car les ARS les mettent déjà en place, avant même le vote de la loi ? Parce que cela entraînerait 400 millions d'euros d'économie... Comment, dans ces conditions, répondre aux besoins de la population ?
Opposer l'ambulatoire à l'hospitalisation sous prétexte de réduire les inégalités d'accès aux soins est illusoire, car elle suppose la disponibilité des proches. (Protestations à droite ; Mme Éliane Assassi demande le silence) Et cela revient à privatiser une partie de l'activité hospitalière tout en multipliant soins infirmiers et de kinésithérapie. Et pour lutter contre la désertification médicale, on permet aux hospitaliers d'exercer jusqu'à 72 ans... Tout cela dans un déni de démocratie et l'absence de contrepouvoirs aux directeurs des ARS. (Brouhaha)
Quelques dispositions sont positives, les salles à moindre risque, la suppression du délai de sept jours pour les IVG, la reconnaissance des centres de santé, une plus grande transparence des liens d'intérêt. Mais la majorité de droite a refusé des mesures qui allaient dans le bon sens, comme la généralisation du tiers payant et l'inscription de plans régionaux d'accès à l'IVG dans chaque région. Si nous sommes opposés à ce texte, nous n'oublions pas la responsabilité de la droite dans la casse de l'hôpital public (Protestations à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen). Il faudrait partir des besoins...
Délai de réflexion supprimé, salles de shoot, transparence des données... Tout cela ne suffit pas pour faire de ce texte une vraie loi-cadre de santé. Nous demandons de renoncer aux GHT, de supprimer les franchises, forfaits et dépassements d'honoraires, d'affecter des moyens aux centres de santé, de créer un pôle public du médicament, de relancer la médecine préventive, scolaire et du travail ; une loi de santé mentale digne de ce nom, le passage progressif aux remboursements à 100 %. Cela suppose des moyens. Des moyens, il y en a : 87 milliards d'euros sont à récupérer avec la taxation des profits financiers au taux actuel des cotisations employeur. De manière plus pérenne, nous proposons de supprimer la CSG pour la remplacer par un système de modulation des cotisations employeurs en fonction de la politique des entreprises en termes d'emploi et de salaires. (Exclamations à droite)
Dans ce texte, je ne retrouve pas les marqueurs de la gauche. Le groupe communiste républicain et citoyen ne le votera pas ; et même dans un hémicycle qui s'apparente à un hall de gare voire à une cour de récréation... (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen)
Mme Catherine Génisson . - Merci à la ministre pour son écoute durant ces quinze jours. Merci aussi à certains sénateurs de la majorité sénatoriale de nous avoir suivis, par exemple sur les salles de consommation de drogue à moindre risque. Le groupe socialiste salue la réécriture de l'article premier avec l'introduction de la notion d'exposome, l'objectif de l'égalité hommes-femmes, les enjeux de santé environnementale, la consécration de la notion de prévention partagée. En revanche, il déplore la suppression de l'article 2 sur le rôle de l'école en matière de prévention.
Le paquet neutre doit être lié à une harmonisation des tarifs du tabac au sein de l'Union européenne et à des mesures de soutien aux buralistes. Nous regarderons avec attention les propositions du député Frédéric Barbier.
Il a été mis fin aux discriminations pour motif d'orientation sexuelle en matière de don du sang : nous nous en réjouissons. Si nous nous félicitons du maintien du pacte territoire santé, de la suppression du délai de réflexion de sept jours pour accéder à l'IVG, de la possibilité ouverte aux sages-femmes de pratiquer une IVG médicamenteuse, de la solution apportée par le Gouvernement pour le parcours de soins des personnes handicapées ou de la reconnaissance du droit à l'oubli après guérison d'une pathologie cancéreuse, nous regrettons le conservatisme du président-rapporteur (« Pas vous » ! à droite) sur les GHT. Nous déplorons de même le non-rétablissement du service public hospitalier, ainsi que le refus de la majorité sénatoriale des amendements sur le don d'organe.
C'est surtout sur la généralisation du tiers payant, mesure technique et de justice sociale, que l'opposition a été frontale.
M. le président. - Veuillez conclure...
Mme Catherine Génisson. - L'enjeu est essentiel, c'est en amont du cabinet du médecin que se joue le renoncement aux soins. Un rapport sera remis le 31 octobre qui devrait contribuer à lever les craintes d'une surcharge administrative qu'expriment les généralistes. Enfin, la médecine ambulatoire reste un exercice libéral dans un cadre socialisé. J'aurais pu aborder bien d'autres sujets. Au regard de tout ce que n'a pas accepté la majorité sénatoriale, le groupe socialiste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Aline Archimbaud . - Les écologistes tirent de l'examen de ce texte un bilan en demi-teinte. D'un côté, nous nous réjouissons d'un débat très constructif : la version de la commission des affaires sociales a été nettement améliorée ; 25 de nos amendements ont été adoptés, à commencer par nos propositions sur la santé environnementale - la notion d'exposome fait son entrée dans la loi à l'article premier et le plan environnement santé sera au coeur de la stratégie nationale de santé. Même satisfaction sur l'amiante et le bisphénol A.
Ensuite, l'accès aux droits. Sur notre proposition, les bénéficiaires du RSA socle auront automatiquement accès à la CMU-C. C'était très attendu, 36 % des bénéficiaires potentiels n'ayant pas recours à celle-ci.
Le travail intergroupe sur le droit à l'oubli a porté ses fruits : la convention Aeras a désormais valeur législative ; au-delà de dix ans et de cinq ans pour les mineurs, l'assureur ne pourra plus demander d'informations aux anciens malades. Les programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins, la suppression du délai de réflexion de sept jours pour l'accès à l'IVG, la non-discrimination des personnes homosexuelles pour le don de sang, la reconnaissance des risques psychosociaux pour les aidants sont d'autres avancées notables.
Le don d'organe, sujet crucial quand 20 000 personnes sont en attente d'une greffe, sera, nous l'espérons, repris par les députés.
En revanche, nous regrettons le coup de canif porté à la loi Évin avec la promotion des terroirs. L'alcool fait 50 000 morts par an. (Huées à droite) Chacun doit prendre ses responsabilités. Idem sur le paquet neutre, alors que le tabac fait des ravages chez les jeunes. Le refus de la généralisation du tiers payant est enfin une erreur en temps de crise. Le groupe écologiste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs des groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain)
M. Robert Navarro . - C'est avec plaisir que je voterai ce projet de loi santé tel qu'il sort des travaux du Sénat. Une fois de plus, nous faisons la démonstration de notre utilité. Nous ne sommes pas soumis à un Gouvernement pas plus qu'à je ne sais quel parti.
La prohibition n'est en rien efficace ; il faut distinguer, en matière d'alcool, entre publicité et informations touristiques ou de promotion des paysages. Le flou actuel n'était plus possible. Partout, dans le monde, la France est connue pour être le pays de la vigne et du vin. Je demande aux députés de ne pas revenir sur ce que nous avons voté. Ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes assis ! (On approuve à droite)
Pourquoi cet excès de zèle sur le paquet neutre ? Il faut, comme le Sénat l'a choisi, une transposition stricte de la directive européenne. Nos concitoyens en ont assez des sur-transpositions.
Entre le tout et le rien, il y a, sur l'alcool comme sur le tabac, la prévention des comportements alimentaires ou toute activité, y compris celle de législateur, un point d'équilibre : la modération. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Gilbert Barbier . - Sous couvert d'un texte à l'intitulé ambitieux, le Gouvernement mène une attaque en règle contre le corps médical et le système libéral en particulier (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et républicain, marques d'approbation au centre et à droite) Que veut-il ? Une médecine étatisée ? (« Oui » à droite) Le retour aux officiers de santé d'antan ? Les médecins en ont assez (marques d'approbations au centre et à droite), s'ils se rebellent c'est qu'ils craignent qu'à coups de contraintes disparaisse le dialogue singulier entre le médecin et son patient. Les jeunes médecins sont de plus en plus nombreux à se détourner de l'exercice libéral. Rien ne sert de se lamenter sur les déserts médicaux sans revaloriser cet exercice. Le Gouvernement a voulu faire de la généralisation du tiers payant l'alpha et l'omega de la modernisation de notre système, au point de rendre inaudible le reste du texte. Rien sur le numerus clausus, rien sur la réorganisation de l'hôpital public, rien sur les inégalités territoriales... Nous sommes dans une idéologie dévastatrice...
Ce texte aux titres ronflants contient bien des contradictions : on veut lutter contre la drogue mais on autorise les salles de shoot. (« Très bien » sur plusieurs bancs à droite) On pourrait multiplier les exemples avec le cannabis, les fontaines à soda...
La commission des affaires sociales a profondément modifié le texte de l'Assemblée nationale. Je regrette toutefois que son texte soit un peu trop celui des rapporteurs ; un calendrier plus adapté aurait évité le dépôt de plusieurs centaines d'amendements en séance publique. Pourquoi s'en prendre aux experts médicaux ? Des sujets auraient mérité un débat approfondi, la bioéthique, l'IVG. À gauche, on a invoqué paradoxalement Simone Veil... oubliant qu'elle avait eu le soutien d'un président de la République et de deux de ses premiers Ministres. Pour le moins, il aurait fallu un texte examiné selon la procédure normale, et non la procédure accélérée.
Chacun au sein du groupe RDSE se déterminera selon sa conviction. Contrairement aux prédictions de Michel de l'Hospital, l'esprit de tolérance n'a pas fait beaucoup de progrès dans la société moderne... (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales . - Merci à nos rapporteurs, Mmes Doineau et Deroche, M. Reichardt, trop peu cités. Le groupe Les Républicains a clairement marqué sa position en faveur du texte de la commission des affaires sociales.
Face à un texte comportant en réalité diverses dispositions d'ordre sanitaire, nous avons fait le choix de nous concentrer sur l'organisation des soins. Les sujets de bioéthique ne doivent pas être discutés au milieu de mesures techniques. Nous avons également refusé les dispositions déclaratoires, les demandes de rapport - 53 ! -, ou encore les articles répétant la loi existante au motif qu'elle n'est pas appliquée. Ce serait décrédibiliser la loi. Faisons plutôt usage de notre pouvoir de contrôle.
Le groupe Les Républicains entend construire notre système de soins avec les professionnels de santé, et non contre eux - on sait la réaction des médecins au tiers payant généralisé. Pourquoi défaire les pôles de santé au profit des communautés hospitalières de soins ? Ils viennent juste de se mettre en place. Nous ne sommes pas contre le service public hospitalier mais il est nécessaire que les cliniques privées puissent exercer des missions de service public. Le groupe Les Républicains s'est inscrit dans la lignée de la loi HPST de 2009. Vous contestiez autrefois les ARS, vous renforcez leurs pouvoirs aujourd'hui...
De même, le droit à l'oubli ne date pas de 2015, mais de la convention Aeras de 1991...
Le groupe Les Républicains se satisfait du texte sorti de nos travaux, en nette amélioration par rapport à celui du Gouvernement qui avait fait l'unanimité des professionnels de santé contre lui. Mais on ne peut parler santé publique sans réformer dans le même temps le financement de l'accès aux soins pour tous, sans s'interroger sur l'architecture de la sécurité sociale. La discussion se poursuivra lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements au centre et à droite).
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Le groupe UDI-UC salue l'esprit de coconstruction qui a présidé à nos travaux - avec une mention spéciale à Mme Doineau dont c'était le premier rapport. (Applaudissements au centre)
La recherche de tempérance a conduit à mettre fin à la discrimination envers les homosexuels sur le don du sang, à consolider le droit à l'oubli pour les anciens malades du cancer. Autres exemples, le délai ménagé pour la fin des fontaines à soda dans les fast-foods et du bisphénol A dans les jouets ou le refus du paquet neutre qui n'aurait fait qu'encourager les trafics ; le tabac est certes un fléau mais la sur-transposition des directives n'est pas la solution, d'autant qu'il faut penser aux trafics transfrontaliers.
Demeurent des divergences de fond avec le Gouvernement. En particulier, la généralisation du tiers payant - ce qui pose la question de la place de plus en plus grande des complémentaires - à l'heure où nous allons fêter les 70 ans de la Sécurité sociale. Deux questions se posent : une fausse et une vraie. La fausse est d'ordre technique : les délais de remboursement aux médecins. La vraie : va-t-on insidieusement vers un salariat qui ne dit pas son nom ? Le doute est permis... Les médecins n'ont pas été rassurés. Comme le disait Michel Crozier, « on ne réforme pas la société par décret ». Cette remarque vaut aussi pour la lutte contre les déserts médicaux.
La question de la place de la famille dans le don d'organe doit être rapidement réglée. Des milliers de patients attendent, des milliers de vie sont en jeu.
Rapporteur général du PLFSS, je souhaite que les orientations les plus prometteuses de ce texte améliorent l'accès aux soins mais aussi nos comptes sociaux.
Le groupe UDI-UC votera ce texte imparfait mais équilibré. (Applaudissements au centre et à droite)
Scrutin public solennel
M. le président. - Il va être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi dont l'intitulé a été ainsi modifié : « projet de loi relatif à la santé ».
Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants. Je vous rappelle qu'il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du Chapitre XV bis de l'Instruction générale du Bureau.
La séance, suspendue à 16 h 10, reprend à 16 h 30.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°3 sur l'ensemble du projet de loi relatif à la santé, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 216 |
Pour l'adoption | 185 |
Contre | 31 |
Le Sénat a adopté le projet de loi.
(Applaudissements à droite et au centre)
Merci, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, pour le travail accompli pendant ces semaines.
Intervention du Gouvernement
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes . - Veuillez excuser l'absence de Mme Touraine, qui participe aux célébrations des 70 ans de la Sécurité sociale.
Les débats ont été respectueux et de grande qualité et je vous en remercie. Ce projet de loi, voulu par le Gouvernement, modernise notre système de santé pour répondre aux grands enjeux que sont le vieillissement, le développement des maladies chroniques et les inégalités face à la santé - enjeux reconnus de tous, même si les moyens d'y faire face le sont moins.
Mme Touraine demandera à l'Assemblée nationale de réintroduire le tiers payant généralisé et le paquet neutre, mesures phares, que le Gouvernement entend mettre en oeuvre. Le débat se poursuit donc.
Je me réjouis, en tant que secrétaire d'État chargée du droit des femmes, que votre Assemblée ait adopté plusieurs mesures issues du plan IVG. Nous aurons bientôt l'occasion de renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs bancs au centre)
M. le président. - Souhaitons un bon anniversaire à la Sécurité sociale ! J'ai participé ce matin à la Mutualité à un colloque à ce sujet.
La séance est suspendue à 16 h 35.
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : MM. Serge Larcher, Philippe Nachbar
La séance reprend à 16 h 45.