Rôle du bicamérisme
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Bilan et perspectives du rôle du bicamérisme dans nos institutions après la publication du rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions intitulé Refaire la démocratie », à la demande du groupe RDSE.
M. Jacques Mézard, au nom du groupe RDSE . - (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UDI-UC et écologiste)
Le RDSE, héritier du groupe de la Gauche démocratique, et le Sénat sont consubstantiellement liés. Il était donc normal que notre groupe, ulcéré par les provocations du président de l'Assemblée nationale à l'encontre du Sénat, prenne l'initiative de ce débat sur l'avenir du bicamérisme...
M. Philippe Bas. - Il était temps !
M. Jacques Mézard. - ...à la suite de la publication du rapport scandaleux du groupe du travail Bartolone-Winock, qui veut faire du Sénat, émasculé, une chambre de contrôle sans pouvoir réel. Je ne doute pas que cette proposition rencontre ici le même succès que le projet de révision présenté ici même en 1968 par le ministre d'État Jean-Marcel Jeanneney, combattu par le président Gaston Monnerville, qui aboutît au départ du président De Gaulle en 1969...
Comment maquiller la destruction du Sénat ? En affirmant que « la fusion du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Sénat (...) offrirait une tribune plus efficace aux forces vives ». « La Ve République établit déjà un bicamérisme inégalitaire, il est temps d'en tirer les conséquences ». Tout est dit !
Comme le fit le président Monnerville sur le référendum de 1969, il nous revient, alors que la Ve République a dérivé vers l'hyper-présidentialisation, d'éclairer nos concitoyens sur le rôle du législateur, donc du Sénat.
Nous n'embaucherons pas, comme le président de l'Assemblée nationale, un journaliste du Monde pour écrire notre apologie. En revanche, nous combattrons cette stratégie populiste qui affaiblit la représentation nationale. Je regrette que l'exécutif s'y prête, même par intermédiaire. Je regrette que le président Hollande ait déclaré à Tulle le 18 janvier 2014: « Je n'ai jamais été candidat comme sénateur, c'est le seul regret que je peux nourrir - enfin, je ne suis pas sûr que ce soit un regret. »
Le président de la République a déclaré à Tulle qu'il n'avait pas été contredit au Sénat et qu'il ne le regrettait sans doute pas. Toute opinion est respectable, mais pas le double langage dont voici un bel exemple, cette phrase prononcée dans les murs du Sénat en avril 2014 lors d'un débat sur le bicamérisme : « Le bicamérisme est l'alliance de la puissance quasi sacrée du suffrage universel direct et de la richesse de nos territoires ; il est la traduction institutionnelle de ce qui caractérise notre pays : l'unité dans la diversité. » Qui a prononcé cette phrase? Monsieur Claude Bartolone ! Et le président Bel parlait dans le même sens.
En ces heures graves, les Français attendent-ils une réforme de nos institutions ? Peut-on à la fois vouloir ériger nos institutions en rempart et vouloir les mettre en cause ? (Non ? sur les bancs des groupes RDSE et UDI-UC)
Comme en toute période de crise, on cherche des boucs émissaires. Pourtant chacun le reconnaît, la qualité du travail législatif du Sénat est excellente. Si on le supprime, l'Assemblée nationale sera-t-elle plus efficace ? Qui représentera les territoires ? Le Sénat s'est rénové, a revu son règlement. L'Assemblée nationale a-t-elle fait mieux ? (Non ! sur les bancs du groupe RDSE) L'attitude du président de l'Assemblée nationale en matière de cumul des mandats revient à dire « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! ».
Le 19 novembre 1968, le président Monnerville disait à propos de Clemenceau : « C'est peut-être du jour où il est devenu sénateur qu'il a commencé à être un véritable homme d'État parce qu'il était plus réfléchi, plus calme, plus posé, sans abandonner aucune de ses idées. » Le président Monnerville dénonçait déjà la recette qui consiste à lancer une réforme du Sénat en cas de crise, comme fit de Gaulle après sa mise en cause en mai 1968.
Georges Clemenceau, Michel Debré, François Mitterrand ont siégé au Sénat dans le groupe que j'ai l'honneur de présider. François Mitterrand a toujours défendu le Sénat et Michel Debré a écrit : «S'il y a la chambre unique, le Gouvernement perd son premier appui : il devient simplement la réunion des commissaires de la majorité. La seconde chambre doit être une assemblée politique ».
Le Sénat est-il moins sensible aux évolutions sociétales ? Bien sûr que non ! Il me suffit d'évoquer le souvenir d'Henri Caillavet, de Robert Badinter et de textes comme l'avortement, le divorce, l'abolition de la peine de mort, le mariage pour tous et, à l'initiative du RDSE la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Et le Sénat a voté le droit de vote des étrangers !
Mme Éliane Assassi. - Eh oui !
M. Jacques Mézard. - Voilà, les apparatchiks n'aiment pas cette chambre libre de son vote. C'est bien ce qui fait sa fierté. Le Sénat défend les territoires, nos institutions et les libertés publiques. Cette mission est plus nécessaire que jamais ! (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Joël Labbé . - Difficile de s'exprimer après un tel plaidoyer !
Je condamne aussi la manoeuvre populiste du président de l'Assemblée nationale. Refaire le droit ? Tout un programme alors que nous devons refaire le monde... Déjà de le faire fonctionner. Nous avons tous les outils pour cela. Notre modèle est copié partout dans le monde, comme en témoigne la visite récente de sénateurs cambodgiens.
Pour cela il faut reconnecter l'action politique avec le pays, défendre l'intérêt général et celui des générations futures, remis en cause. Pourquoi ne pas utiliser les outils numériques ? Ainsi ma proposition de loi sur les pesticides a recueilli 3 000 contributions sur la plateforme « Parlement et citoyens ».
Pourquoi ne pas soumettre à un avis citoyen la loi sur la biodiversité ?
Le rapport Winoch-Bartolone comporte de bonnes propositions : le référendum d'initiative populaire, l'inversion du calendrier électoral, l'amélioration des droits de l'opposition, la limitation dans le temps du cumul des mandats.
Toutefois, la fusion du Sénat et du CESE ne nous convient pas. Conservons cette lenteur dans l'écriture de la loi qui permet à tous de participer au processus législatif. (Applaudissements au centre)
M. Pierre-Yves Collombat . - Après nombre de rapports, arrive en toute modestie ce nouveau rapport. Gageons qu'il ne sera pas le dernier...
Au départ, un constat lucide sur la présidentialisation de nos institutions, le sentiment de défiance envers les politiques. Il est vrai que le président de la République, irresponsable, concentre tous les pouvoirs. Le Premier ministre est responsable devant le Parlement mais tout se passe comme si c'était le Parlement qui était responsable devant le chef de l'État et non l'inverse.
Comme le disait Sieyès du Consulat : « le pouvoir vient d'en haut ». Toutefois, ce rapport, finalement, au lieu de traiter le problème de fond contourne l'obstacle : se refusant à choisir entre un régime présidentiel qui instituerait une véritable séparation des pouvoirs et un régime parlementaire réel, il opte pour le statu quo qu'il prétend améliorer sans mettre en cause les pouvoirs essentiels du président de la République. Effectivement ! Comme les précédentes réformes constitutionnelles - session unique, quinquennat - celle-ci, faute de traiter le problème de fond, n'aura aucun effet.
La fusion avec le CESE du Sénat est inutile. Comment croire qu'une seule lecture d'un texte serait la panacée ? Peut-on croire sérieusement que tout le malheur viendrait de la « surreprésentation des communes rurales » au Sénat ?
Dans les faits, le Sénat, qui ne peut être dissous par le président de la République, où la parole est libre, est le seul contre-pouvoir à l'exécutif dans cette Ve République crépusculaire. On comprend mieux dès lors l'aversion du Gouvernement pour le cumul des mandats, gage d'indépendance des élus, pour les élus issus des territoires ruraux car ils échappent au contrôle de ces organisations claniques que sont les partis politiques.
On fait passer cela pour une réforme pour plus de démocratie. Plus c'est gros, plus ça passe. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Mathieu Darnaud . - Ce rapport Winoch-Bartolone menace directement l'existence du Sénat et réduit ses pouvoirs. Rien de moins qu'un bouleversement institutionnel. Une fois encore le Sénat est au banc des accusés, une fois encore on entend l'injonction de Victor Hugo : « Sénateurs, montrez que vous êtes nécessaires ».
Nous sommes tous fiers d'être membre de la chambre du dialogue réfléchi, de contre-pouvoir et des territoires. Une fois encore, le principal défaut du Sénat est de ne pas être de gauche, comme en 1930, lorsqu'il renversait un peu trop de gouvernements de gauche au goût du président du Conseil, le radical Édouard Herriot, comme en 1875, lorsque la gauche républicaine bataillait pour que les communes ne puissent être représentées par une assemblée spécifique.
Nous reproche-t-on notre lenteur présumée. Le président de la République a affirmé que six mois, un an pour voter une loi, c'était trop. Pourtant le délai moyen d'examen d'une loi est de 149 jours en France, contre 156 en Allemagne, 164 au Royaume-Uni, 400 aux Pays-Bas.
De plus, l'exécutif dispose de nombreux moyens pour accélérer la procédure : procédure accélérée, ordonnances, vote bloqué... Mieux, nous n'avons pas attendu le rapport Widoch-Bartolone avec la procédure d'examen en commission, la procédure d'examen simplifié, ou le rejet d'amendements de nature réglementaire.
Il n'a fallu que trois jours pour abroger le CPE en 2006. L'offensive masque mal le problème de fond : le Gouvernement multiplie les lois, à tout propos. Résultat : 54 % des lois ne sont pas appliquées. Voilà qui est précisément contraire à l'attachement au temps long du Sénat, mais soumis aux copieurs du temps médiatique. La loi sur les associations de 1901 avait été déposée dès 1878 ! Les lois les plus solides de notre République ont été celles dont la gestation a été la plus longue. Un an d'examen, ce n'est pas trop long. En revanche, un an pour les appliquer, c'est trop !
À ceux qui citent Victor Hugo, je rappelle sa maxime : « La France gouvernée par une chambre, c'est l'océan gouverné par l'ouragan ». Le Sénat ne serait-il qu'un doublon législatif de l'Assemblée nationale, sans aucune complémentarité ? La Constitution est claire : le Sénat représente les territoires. Ce rôle ne peut que s'accentuer avec la décentralisation.
À l'écoute des territoires, le Sénat s'est opposé à la vision du Gouvernement, qui voyait dans les communes et les départements des échelons d'un autre âge.
Le Sénat doit être respecté. Émanation des élus locaux, il ne saurait devenir un club de discussion. Exerçons notre mandat, participons à la souveraineté nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, au centre et à droite)
M. François Zocchetto . - Les errements qui frappent notre pays nous rappellent combien nos institutions sont précieuses.
M. Jacques Mézard. - Et oui !
M. François Zocchetto. - Il ne suffit pas de modifier la Constitution pour résoudre les problèmes de notre pays. Remettre en cause le bicamérisme n'a pas de sens si nous ne revoyons pas tout le reste des institutions.
M. Gérard Longuet. - C'est vrai !
M. François Zocchetto. - Il faudrait pour cela bousculer un totem. Incongruité française, nous élisons en France un monarque républicain depuis 1962, prolongement du mythe de l'homme providentiel, qui assèche le débat et nous infantilise.
On ne peut avoir deux chefs : le président de la République et le Premier ministre. Revenons à l'esprit de la Ve République : le président est arbitre, le Premier ministre gouverne. Le chef du Gouvernement doit être l'émanation du pays et du Parlement.
Il faut combiner le scrutin uninominal, qui permet aux citoyens de désigner directement leur député tout en représentant le pays, avec une dose de proportionnelle. L'exemple allemand est un succès.
Une chambre unique ne résoudrait rien et accentuerait les risques d'emballement de la majorité. Le Sénat a su trouver sa place. Il s'est imposé comme le défenseur des libertés. N'oublions pas qu'à son initiative, la Déclaration des droits de l'homme a été reconnue sur le plan constitutionnel.
Enfin, le Sénat, à la différence de l'Assemblée nationale, a su se réformer. Rogner ses pouvoirs serait inopportun. Toutefois, nous gagnerions à jouer davantage notre rôle de contrôle et d'évaluation des politiques publiques.
Revenir à l'esprit de 1958 toutefois n'implique pas d'exclure les formes de consultations populaires. La Grèce a su organiser une consultation en dix jours ! Pourquoi ne pas imaginer des référendums « minute » à l'issue de débats parlementaires ? Cela modifierait probablement le jeu des acteurs.
Moderniser les institutions, ce n'est pas refonder le Sénat, mais nous dégager du mythe présidentiel. Toute réforme isolée ne ferait que rendre notre Constitution bancale. (Applaudissements)
Mme Éliane Assassi . - Je remercie M. Mézard d'avoir pris l'initiative de ce débat, après la publication de ce rapport intitulé, ni plus ni moins, Refaire la démocratie. Dommage que la composition de ce groupe n'ait pas été pluraliste.
Le rapport ne se contente pas de remettre en cause le Sénat mais part d'un constat pertinent ; toutefois face à la crise profonde que nous vivons, un rafistolage de la Ve ne suffit pas. Une VIe République, sociale, est nécessaire. Les Français sont las des promesses non tenues et de l'éloignement des politiques.
N'ayons pas peur de la démocratie, garantissons une plus juste représentation avec la proportionnelle, que nous souhaitons intégrale. Pourquoi avoir peur de la démocratie ? La France du FN vient en grande partie de la défiance à l'égard de notre système politique. De nombreux pays européens ont adopté la proportionnelle. Le système actuel est dépassé ! Autre problème, la présidentialisation depuis 1958. Le Parlement est diminué face à un président de la République intouchable. Le quinquennat soumet les députés à l'effet de souffle de l'élection présidentielle. La réforme de 2008 a affaibli le pouvoir d'amendement des parlementaires, alors que l'examen des lois n'occupe que deux semaines par mois, alors que nous examinons plus de 4 000 pages de textes de loi, contre 2 000 dans les années 1990.
Nous proposons de revenir sur l'élection du président de la République au suffrage universel direct, de renforcer les pouvoirs du Parlement, de revenir sur l'inversion du calendrier électoral.
Le groupe communiste républicain et citoyen n'est pas partisan du statu quo. Le Sénat contribue à la qualité de la loi, représente les territoires et offre une représentation pluraliste de la société. Nous plaidons pour un Sénat qui deviendrait la chambre des territoires, tout en conservant son pouvoir législatif. Il y a urgence à réformer nos institutions, à sortir de la sclérose sous peine de voir le peuple se détourner tout à fait de la démocratie. (Applaudissements)
M. Jean-Pierre Sueur . - Merci à Jacques Mézard d'avoir suscité ce débat. Nous ne sommes pas là pour défendre le Sénat parce que nous sommes sénateurs, mais pour défendre une certaine idée de la République et de la loi.
Fusionner le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental, ce serait accepter que la loi ne fût plus élaborée, discutée, votée par des élus de la Nation. Ce serait une entorse inacceptable aux principes de notre démocratie.
L'enjeu est aussi l'écriture de la loi. La loi est une norme qui a la particularité de naître du débat : la loi, c'est du discussif qui devient du normatif. Le présent y prend valeur d'impératif. Pas de première ni de deuxième personne mais que des troisièmes personnes. Pas de déictiques ni de passé simple dans cette écriture particulière.
La loi naît du débat. Nous passons des heures, des nuits, à rédiger ensemble chaque phrase, en écoutant tous les points de vue. Chacun a le droit imprescriptible de déposer des amendements.
En première lecture, nous écoutons tous les avis, tous les arguments et contre-arguments. Le résultat n'est pas toujours limpide. La rédaction est râpeuse, c'est normal : on n'écrit pas bien la loi du premier coup ! Songez à cette omission dans une loi de 2013 que nous avons rectifiée récemment. (M. Jacques Mézard approuve)
C'est pourquoi la navette entre les deux chambres est indispensable. Ce n'est pas un processus fastidieux car tous les Français, in fine, sont concernés, de Dunkerque à la Nouvelle-Calédonie et de Saint-Pierre et Miquelon à la Polynésie. Chaque mot compte, avec des conséquences concrètes immédiates, desquelles chacun s'inquiète.
Là, il faut du temps. Si la loi est vite faite, alors elle sera mal faite. Nous examinerons vendredi la loi sur l'état d'urgence en procédure accélérée, me dira-t-on. Dans un tel cas, cette procédure est parfaitement justifiée. Mais, à l'inverse, je regrette l'abus de la procédure accélérée. L'exception est devenue la norme. (M. Jacques Mézard approuve) Il faut du temps pour écrire la loi comme au temps de Portalis et de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, avec la même concision et la même densité. Il y a trop de lois technocratiques, auxquelles personne ne comprend rien, des lois qui empiètent sur le règlement, des lois bavardes qui enfilent les perles.
Nous ne sommes pas là pour défendre l'intérêt d'une maison mais parce que nous nous souvenons que le regretté Guy Carcassonne pourfendait les lois du 20 heures. Les lois de circonstances ne sont pas toujours de bonnes lois. A l'inverse, si la loi Maptam a trouvé ici une majorité, c'est qu'elle est issue d'un long débat, avec toutes les lectures requises. Et si le texte de la loi NOTRe est différent de ce qu'il aurait été après une seule lecture à l'Assemblée nationale, c'est que nous y avons passé beaucoup de temps, que nous avons su ensemble défendre les communes et une certaine idée de la décentralisation.
Nous sommes pour le bicamérisme, car il permet de polir la loi, qui est le bien commun du peuple français, comme la mer polit les galets, de faire une belle oeuvre, utile, républicaine. Nous sommes les artisans de la loi et nous pouvons en être fiers. Pour cette raison fondamentale, le bicamérisme est une absolue nécessité. (Applaudissements sur les bancs des groupe socialiste et républicain, écologiste et RDSE)
M. Bernard Fournier . - Le débat sur le bicamérisme est un serpent de mer depuis le Directoire. Mais pose-t-il la bonne question dans un régime semi-présidentiel ? Pourquoi remettre sans cesse en cause le Sénat qui a contribué à la stabilité institutionnelle ? Il y a un certain populisme, une certaine fainéantise intellectuelle à taper toujours sur la Haute assemblée. Depuis quand la multiplication des contre-pouvoirs est-elle néfaste à la démocratie ? L'exemple italien est cité en modèle, alors qu'il est critiqué en Italie même ; le bicamérisme égalitaire y était très particulier. C'est la même chose pour les communes : nous comparons les choses qui ne sont pas comparables. Pourquoi toujours citer Lionel Jospin - « le Sénat est une anomalie démocratique » - alors que les pays qui ont choisi le bicamérisme sont aujourd'hui 80 alors qu'ils n'étaient que 45 au début des années 1970 ? Alors que les pays les plus puissants économiquement ont deux chambres, et que beaucoup de pays ont fait ce choix en sortant du totalitarisme, la République tchèque, la Pologne, la Roumanie ?
Dans le rapport « Refaire la démocratie », trois pages seulement sur le bicamérisme - pour proposer la réforme de 1969... C'est maigre... Je regrette qu'un seul sénateur ait pu participer à son élaboration. (M. Jacques Mézard renchérit) Malgré quelques précautions de langage, on voit que ses auteurs voudraient voir les compétences du Sénat réduites à peau de chagrin ; tout juste concèdent-ils qu'il « pourrait » conserver ses compétences législatives....
En avril 2014, le président Bartolone, lors d'un colloque, disait que le bicamérisme faisait partie de notre ADN démocratique ; en janvier de cette année, il voulait faire disparaître le Sénat ; et en novembre... Comment faire, si le quatrième personnage de l'État change d'avis en moins d'un an et demi ?
Depuis 2008, le président Larcher a engagé de nombreuses réformes, votées à l'unanimité par le Bureau, pour renforcer la participation aux travaux, légiférer plus efficacement, garantir la transparence financière et rendre la gestion du Sénat plus exigeante ; elles ne s'arrêteront pas là.
La campagne de 2017 approche. Il ne faut pas que les états-majors envisagent de supprimer le Sénat mais examinent comment améliorer encore son travail législatif, son efficacité, la publicité de ses travaux, en complémentarité avec l'Assemblée nationale. (Applaudissements)
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Le bicamérisme est la pierre angulaire de la Ve République telle que le général de Gaulle l'avait conçue dès le discours de Bayeux. (Exclamations satisfaites sur les bancs du groupe RDSE)
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Nous voilà rassurés !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. - Ce débat, voulu par le groupe RDSE, est bienvenu. C'est un moment utile d'introspection l'occasion de parler de l'histoire du bicamérisme à la française. Si la Haute assemblée tempère les excès de la chambre élue par un plus grand nombre de citoyens, pour reprendre les mots de Pascal Jean, elle incarne la permanence et la force de la République, s'est construit un rôle de défenseur des libertés publiques et des équilibres institutionnels. Le bicamérisme porte en lui l'idée de contrepouvoir chère à Montesquieu. Jean Garrigues parle du Sénat comme d'un conservatoire de la délibération parlementaire, parfois aux dépens des partis. Par sa permanence et la singularité de son mode de scrutin, le Sénat contribue à la diversité des points de vue représentés au Parlement ; il est une richesse pour la vie démocratique.
Pour Robert Badinter, les meilleures lois sont celles coproduites par les deux assemblées, comme l'abolition de la peine de mort, approuvée par le Sénat après trois jours de débat. Le dialogue entre les deux chambres et avec le Gouvernement participe à la qualité de la loi ; il donne à celle-ci force et cohérence. La navette peut apporter beaucoup à la maturation de textes sociétaux ou touchant à l'éthique. Parler du caractère « chronophage » de la procédure législative, en reprenant les propos de certains parlementaires de la IIIe République, n'est pas lui rendre justice car notre Constitution permet d'aller vite lorsqu'il le faut - par exemple pour la prolongation de l'état d'urgence cette semaine.
Quand des terroristes l'attaquent, la République sait répondre avec courage et dignité. L'attitude de chacun lors des questions d'actualité au Gouvernement au Sénat hier a été remarquable, ce qui n'a pas été le cas dans l'autre chambre... (M. Jacques Mézard le confirme) La récente réunion du Congrès a marqué notre attachement commun à la liberté et à la démocratie, la force de nos institutions.
Le Gouvernement a le devoir de répondre aux attentes des citoyens en réformant. Il est donc indispensable qu'il puisse remédier à un échec de la navette en demandant au Parlement de trancher le désaccord - procédure qui n'a concerné qu'une loi sur dix depuis 1959, 35 sur 163 depuis 2012. Mais nous devons nous adapter au temps de la société, au rythme de la technologie. La révision de 2008 n'a pas tenu toutes ses promesses en matière d'allègement du temps de séance, et les parlementaires eux-mêmes se plaignent parfois que le débat en séance répète ce qui s'est dit en commission. Réfléchissons ensemble au moyen d'éliminer ce que la procédure législative a de répétitif, pour mettre en valeur ce qu'elle a de constructif.
Le président du Sénat a ainsi choisi, je m'en félicite, d'appliquer rigoureusement l'article 41 de la Constitution, en déclarant irrecevables les amendements relevant du domaine réglementaire. Le Règlement du Sénat a été heureusement réformé. Sur 61 propositions de loi adoptées depuis juin 2012, 28 ont été à l'initiative du Sénat. Le regard des deux assemblées sur les projets de textes européens, les réunions du Conseil ou les textes de transposition est un atout précieux pour la démocratie.
Enfin, à titre personnel, je crois que le contrôle et l'évaluation, que la Constitution place sur un pied d'égalité avec le travail législatif et qui sont complémentaires de ce dernier, doivent être encore renforcés. Une plus grande valorisation de ces travaux est un atout pour le bicamérisme, fondement de l'équilibre des pouvoirs. (Applaudissements)
Mme la présidente. - J'ai été heureuse de présider ce débat institutionnel sur la place du bicamérisme dans l'équilibre de nos institutions et le bon fonctionnement de la démocratie.