Lutte contre le gaspillage alimentaire
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Discussion générale
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Ségolène Royal, engagée depuis des années contre le gaspillage alimentaire, a demandé à M. Garot un rapport à ce sujet au 1er janvier 2015, dont les conclusions sont préoccupantes : 1,3 milliard de tonnes d'aliments sont gâchés chaque année dans le monde, 20 kilogrammes par personne en France dont 7 de produits encore emballés. La loi pour la transition énergétique a fixé un objectif ambitieux, nécessaire car le gaspillage pénalise avant tout les familles les plus fragiles.
Guillaume Garot a proposé d'interdire la javellisation des produits par les grandes surfaces, de rendre obligatoire le don des invendus aux associations qui en feraient la demande, d'élargir la défiscalisation aux produits transformés...
La loi sur la transition énergétique comprenait nombre de dispositions concernant la lutte contre le gaspillage, notamment un plan de lutte applicable à la restauration collective publique - un guide a été publié l'an dernier. D'autres mesures étaient issues du rapport Garot, notamment pour supprimer les obstacles aux dons de sociétés agroalimentaires aux associations.
Les dispositions relatives au gaspillage alimentaire n'ont pu être promulguées pour des raisons de procédure. Ségolène Royal a alors conclu une convention avec le secteur de la grande distribution, début août. De nombreux parlementaires ont néanmoins appelé de leurs voeux une nouvelle loi, notamment pour rendre applicables des mesures qui ne le seraient pas à défaut. En décembre, Ségolène Royal a adressé aux associations un questionnaire portant sur leurs besoins prioritaires.
Avec cette loi, la France se placera en pointe dans ce domaine, auquel l'Union européenne commence enfin à s'intéresser. Dans un monde où l'on exploite sans vergogne les ressources naturelles, le gaspillage n'est plus tolérable. À une semaine de l'examen du projet de loi sur la biodiversité, vous vous engagerez en adoptant ce texte pour la préservation de notre planète. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Chantal Jouanno, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Cette proposition de loi cosignée par plus de 300 députés a été adoptée à l'unanimité moins une abstention à l'Assemblée nationale. Qu'est-ce, cependant, que le gaspillage alimentaire ? Commence-t-il dans le champ, quand on laisse pourrir un fruit mal calibré ?
Le rapport Garot le définit comme le fait que tout produit alimentaire, à toute étape de la chaîne, soit perdu, jeté ou dégradé. L'Ademe l'évalue à 20 kilos par Français et par an. La FAO estime qu'un tiers des aliments destinés à la consommation humaine sont gaspillés. Le gaspillage alimentaire produit 3,3 gigatonnes de CO2 par an. S'il était un pays, ce serait le troisième émetteur de gaz à effet de serre ! Nous avons amplement les moyens de nourrir la planète.
Le principal maillon est constitué par les ménages, puis la restauration, et ensuite la distribution. Le gaspillage est le signe d'une société qui considère la surconsommation comme une fin en soi. Nous sommes abreuvés de messages tendant à tirer les prix des aliments vers le bas. Comment dans ces conditions rémunérer les producteurs et ne pas faire du gaspillage un acte anodin ?
La hiérarchie des mesures de lutte contre le gaspillage alimentaire prévue à l'article premier s'inspire de celles qui valent pour la gestion des déchets. L'article sanctionne lourdement la javellisation des aliments, il lève les obstacles au don des produits vendus sous marque distributeur, et formalise les pratiques de don existantes en imposant une convention entre distributeur et association caritative.
L'article 2 transfère la responsabilité de fait des produits défectueux au fournisseur en cas de don par celui-ci de produits vendus sous marque distributeur, lorsque le distributeur ne souhaite pas les commercialiser, en cas de problème d'étiquetage par exemple.
L'article 3 vise à compléter dans le même sens l'information et la sensibilisation à l'école à la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Enfin, l'article 4 précise le contenu du rapport sur la responsabilité sociale et environnementale que les entreprises cotées publient chaque année.
Il conviendrait aussi d'étendre la réduction d'impôt dont bénéficient les agriculteurs qui donnent des denrées - des discussions sont en cours.
Les collectivités ne voudraient pas que des invendus donnés en trop grand nombre aux associations se retrouvent parmi les déchets dont les collectivités territoriales ont la charge.
Nous attendons des précisions sur l'évaluation de cette loi et les clauses de revoyure. Elle a cependant reçu un soutien unanime de notre commission. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du groupe UDI-UC)
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - J'exprimerai moi aussi le point de vue consensuel de la commission. Nathalie Goulet, dès le mois d'août, avait déposé une proposition de loi semblable.
Le gaspillage alimentaire est un phénomène de grande ampleur, qui coûte de 12 à 20 milliards d'euros à notre pays. Ailleurs pourtant, il y a des famines et, ici même, de la précarité alimentaire.
La loi de transition énergétique a fait de la lutte contre le gaspillage alimentaire un pilier de l'économie circulaire. Reste à mettre en oeuvre ce principe, en mobilisant tous les acteurs de la chaîne alimentaire et les élus, à qui toutes les responsabilités ne doivent pas incomber une fois de plus. Rien ne sera possible sans changement des comportements. Il est loin le temps où l'on enseignait aux enfants à ne pas gaspiller le moindre quignon de pain.
M. Roland Courteau. - Hélas oui !
M. Hervé Maurey, président de la commission. - Des indicateurs précis sont nécessaires. Le Gouvernement devra aussi accompagner les initiatives des élus et des citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
Mme Mireille Jouve . - Qu'il a fallu l'attendre, cette loi de bon sens ! Le gaspillage alimentaire est un fléau. Les chiffres donnent le tournis : 20 kilos par personne en France chaque année ! Le troisième émetteur de gaz à effet de serre après la Chine et les États-Unis ! Comment l'admettre, quand tant de gens souffrent de la faim ?
Cette proposition de loi, en inscrivant dans le code de l'environnement une hiérarchie de la lutte contre le gaspillage alimentaire - de la prévention à la méthanisation - responsabilisera tous les acteurs.
L'article premier sanctionne aussi la « javellisation », sur laquelle le film Discount a jeté une lumière crue, non sans humour. Si les mesures prévues par le texte sont indispensables, ce sont les usages qu'il faut changer. Je salue donc l'inscription d'une sensibilisation à la lutte contre le gaspillage alimentaire dans le parcours scolaire.
Inspirons-nous des Allemands : des réfrigérateurs ont été installés dans les rues de Berlin par des associations, où l'on peut déposer des produits non consommés ; chacun peut ensuite se servir. La pratique du doggy-bag pourrait en outre être encouragée ; la restauration gaspille à elle seule 15 tonnes de nourriture par an...
La lutte contre le gaspillage alimentaire est un combat contre l'absurde. La France, pays de la gastronomie, est en pointe ; c'est significatif.
L'ensemble du groupe RDSE soutiendra ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Alain Fouché . - Ce texte, aboutissement d'un travail important des associations comme de plusieurs parlementaires, doit nous rassembler. En mars 2015, j'avais alerté le Gouvernement afin que les invendus puissent être distribués à ceux qui en ont besoin. De même, j'avais déposé un amendement à la loi de transition énergétique permettant aux distributeurs de donner leurs invendus aux associations. Après la censure du Conseil constitutionnel, je me suis associé aux initiatives parlementaires.
Nous tous rencontrons des gens qui vivent dans la misère, ne prennent qu'un repas par jour. Il y a urgence. Les mesures prévues par cette proposition de loi sont utiles : don ou transformation des invendus, transformation ou compost ou méthanisation, interdiction de la javellisation, véritable scandale, sensibilisation à l'école, conventions entre distributeurs et associations...
La prochaine étape sera européenne. Le Parlement européen a déjà voté en juillet dernier un texte allant dans le même sens. Ce serait un beau symbole que celui-ci soit voté à l'unanimité. Nous serons l'un des premiers pays à légiférer sur ce sujet, et le Sénat, une nouvelle fois, sera à l'avant-garde. (Applaudissements)
Mme la présidente. - Le temps imparti au groupe socialiste et républicain étant écoulé, je dois lever la séance. Il appartiendra à la Conférence des présidents d'inscrire la suite de l'examen de cette proposition de loi à l'ordre du jour d'une prochaine séance.
Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 14 janvier, à 11 heures.
La séance est levée à 1 heure.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus analytiques