Situation financière des départements
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la situation financière des départements à la demande du groupe Les Républicains.
M. Benoît Huré, au nom du groupe Les Républicains . - La situation financière des départements met en péril leur survie même. Ils comptent parmi les premiers investisseurs publics de France, avec 11,3 milliards d'investissement en 2014, pour 33 milliards de dette cumulée. Mais leurs 59 milliards d'euros de dépenses de fonctionnement sont désormais pour moitié des allocations de solidarité. S'y ajoute, depuis les lois de décentralisation, le transfert par l'État de l'entretien des routes, des collèges, puis, depuis 2002, d'un nombre croissant de politiques sociales, comme la dépendance, le handicap et le RSA. Les conseils départementaux, dont une quarantaine sont dans une situation intenable, ont été contraints de recruter et de former des équipes de terrain qui représentent 40 à 50 % de leurs 294 000 agents.
Année après année, l'État a oublié de rembourser une part croissante des allocations de solidarité prescrites par lui et versées par les départements. Or le vieillissement de la population, l'amélioration de la prise en charge, mais surtout l'explosion du nombre de bénéficiaires du RSA - plus 25,5 % dans les Ardennes - rend aujourd'hui la situation intenable. Le reste à charge des départements atteint 8,1 milliards en 2015, contre 7,2 milliards en 2014. Parallèlement, la baisse de leurs dotations entre 2014 et 2017 atteint 4 milliards d'euros, soit 30 %...
La logique de remboursement par l'État des allocations individuelles de solidarité est de plus ubuesque : plus un département compte de bénéficiaires du RSA et de l'allocation personnalisée d'Autonomie (APA), moins il est compensé. Le reste à charge par habitant varie de 77 euros à 217 euros, voire plus en outre-mer.
L'Assemblée des départements de France (ADF) a alerté le président de la République et le Gouvernement. Dix départements étaient annoncés en déséquilibre fin 2015, 30 à 40 de plus le seront en 2016 et tous finiront par l'être en 2018.
Dans le cadre d'un dialogue âpre mais constructif, le Gouvernement a enfin annoncé des solutions pérennes. C'est la solidarité nationale à l'égard des plus fragiles, principe issu du programme du CNR, qui est ici en cause, l'État doit donc assumer son rôle. Le Premier ministre a annoncé une prise en charge par l'État du financement du RSA dès 2017, dans le cadre d'une réforme globale des allocations de solidarité. La prise en charge du RSA ne sera pas financée par les recettes dynamiques des départements, DMTO ou CVAE, mais par un prélèvement sur la DGF établi en fonction de la situation de chaque département et de l'efficacité de la politique d'insertion. Le principe du retour à meilleure fortune est entériné, ainsi que celui d'un fonds d'urgence de 250 millions d'euros pour les départements les plus en difficulté.
Reste à préciser le calendrier de la réforme. C'est l'année 2014 qu'il faut prendre comme référence, la dernière où les départements ont pu faire face.
Bref, un rayon de soleil dans un ciel encore sombre.
Les Ardennes, avec 280 000 habitants, 450 millions d'euros de budget, 242 millions d'euros en quinze ans d'investissements conjoints avec l'État - par exemple dans la ligne ferroviaire Rotterdam-Marseille - aura vu en trois ans ses dotations baisser de 9 millions soit l'équivalent de 18 % de ses recettes fiscales - dans le même temps l'État aura oublié de rembourser 106 millions au titre des allocations de solidarité. Plusieurs départements rencontrent les plus grandes difficultés pour verser les allocations relatives à la dépendance. Qui à leur place, pourtant, peut mieux qu'eux mettre en oeuvre les politiques de solidarité sociale et territoriale ? Les départements ont besoin de bien plus que d'une béquille pour exercer leurs missions d'intérêt local et national. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs du groupe RDSE)
M. Jean-Claude Luche . - Il faut, comme trop souvent, que les choses aillent mal pour qu'on en parle... On s'intéresse aujourd'hui aux départements, parce qu'ils disent ne pouvoir plus payer le RSA. La paralysie des départements menace les plus fragiles de nos concitoyens. Dix départements étaient en difficulté fin 2015, ils seront une quarantaine cette année ; tous seront à terme en impasse financière.
Ce n'est pas faute d'avoir lancé l'alerte. Baisse des dotations, des DMTO, du produit de la CFE d'un côté, de l'autre hausse vertigineuse du poids des allocations de solidarité, besoins grandissants pour l'entretien des routes, des collèges, sans parler de l'augmentation du nombre de mineurs étrangers isolés, du fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), des mesures statutaires consenties par Marylise Lebranchu, ou de l'équipement informatique des collèges... L'État s'est trop longtemps défaussé de ses responsabilités sur les départements.
Ceux-ci, longtemps, ont tenu bon : ainsi l'Aveyron, qui a perdu 62 millions d'euros de dotations en six ans, soit une année d'investissement. Mais la charge est devenue pour tous insupportable. Beaucoup ont dû s'endetter, réduire leurs investissements, avec des conséquences dramatiques sur l'économie et l'emploi dans les territoires, et une dynamique brisée dans de nombreux cantons.
Les départements ont besoin de réponses de court et de long terme. Où en est la réflexion sur le reste à charge de l'APA ? La réforme de la dépendance se fait attendre...
L'ADF a fait d'une seule voix des propositions, les annonces du Gouvernement sont bienvenues mais arrivent bien tard. La solidarité ne peut plus être à sens unique ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Christian Favier . - Le groupe CRC se félicite de ce débat. Si toutes les collectivités territoriales subissent les effets désastreux de l'austérité pour financer un soi-disant pacte de responsabilité, les départements, par leurs compétences sociales, sont confrontés à une situation particulièrement alarmante. La crise économique et sociale provoque la flambée de leurs dépenses sociales : 35 milliards d'euros par an, dont plus de la moitié pour le versement du RSA, de l'APA et de la prestation de compensation du handicap (PCH), qui bénéficient à 3 millions de Français. Ces dépenses ont crû de 5 %, voire de 10 % par an, bien au-delà de l'inflation. De l'autre côté, une insuffisante compensation par l'État des dépenses obligatoires et des recettes atones. Et enfin le coup de grâce : la baisse des dotations, soit un manque à gagner, entre 2013 et 2017, de 10 milliards d'euros.
Le CICE, censé créer un million d'emplois, s'est évaporé dans les poches des actionnaires, (M. Bruno Sido le conteste) tandis que l'investissement public local a baissé de 6 % en 2014, puis d'autant en 2015, avec à la clé la destruction de milliers d'emplois : en Île-de-France en 2015, l'emploi a chuté de 2 % dans le BTP, et même de 13 % pour ce qui est des intérimaires du secteur...
Il y a urgence à inverser cette logique suicidaire. Pour les départements, un moratoire sur les baisses de dotations s'impose, jusqu'à ce que l'effet des politiques d'austérité ait été évalué. Les dépenses de solidarité nationale doivent être intégralement compensées, et la gestion du RSA reprise par l'État, car ici, la plus-value d'une gestion locale est nulle - d'autant que certains voudraient remettre en cause le caractère universel de l'allocation...
Après des mois de discussion et de mobilisation des élus et de la population - une pétition a été signée dans le Val-de-Marne par 27 000 personnes - le Premier ministre a enfin annoncé des mesures. Mais le compte n'y est toujours pas. Nous attendons un transfert rapide à l'État des dépenses du RSA, dès avant 2017, et le choix de 2014 comme année de référence. L'enjeu est de 40 millions pour le Val-de-Marne en 2016.
Il y a urgence. Notre pays va mal, nos concitoyens ont besoin de collectivités territoriales et de services publics à l'écoute et réactifs. Pour cela, il faut donner aux départements les moyens d'exercer leurs missions. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; M. Benoît Huré applaudit aussi)
M. Thierry Carcenac . - Les difficultés financières des départements ne datent pas d'aujourd'hui mais elles se sont aggravées depuis le transfert en 2004 des dépenses de solidarité, et la réforme de la taxe professionnelle en 2010 - assortie de mesures ponctuelles de péréquation. L'effet de ciseau est de plus en plus net entre dépenses en hausse et recettes en baisse. Les rapports Carrez-Thenaut sur la maîtrise des dépenses locales, de la Cour des comptes, de la Délégation aux collectivités territoriales, du Comité des finances locales, de l'Observatoire de l'action sociale décentralisée et de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) ont alerté depuis longtemps ...
Les gouvernements Fillon, Ayrault et Valls ont successivement essayé d'apporter des réponses ; ainsi, en 2014, les départements ont été autorisés à augmenter les taux des DMTO, en même temps qu'était mis en place un fonds de compensation péréqué. Rien n'y fait...
L'annonce par le Premier ministre de la prise en charge par l'État du RSA est bienvenue, mais de nombreuses questions demeurent.
Il ne s'agit nullement de recentralisation : les départements resteront chargés du suivi des bénéficiaires et de l'insertion. L'année de référence doit être 2014, et la participation des départements ne doit pas reposer sur des recettes dynamiques telles que les DMTO. Il faut retenir des critères objectifs, le revenu par habitant ou le reste à charge des trois allocations de solidarité. Le Premier ministre a annoncé des incitations financières au renforcement des dispositifs d'insertion.
Il faut aller vite. Dans le Tarn, le reste à charge est passé de 8,5 millions en 2011 à 24,5 millions aujourd'hui - un point de pression fiscale représente 1 million d'euros... Le temps presse, les départements veulent vivre ! Je fais appel à vos talents de négociateur, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)
M. Joël Labbé . - Les dotations de l'État aux collectivités territoriales baisseront encore de 3,5 milliards d'euros en 2016, avec des conséquences préoccupantes sur la qualité des services rendus à la population. Les écologistes ne l'acceptent pas. La baisse des dépenses de fonctionnement ne suffira pas à équilibrer les budgets locaux ; or réduire leurs investissements est très périlleux en temps de crise. Lisibilité, prédictibilité, solidarité territoriale et péréquation doivent être au coeur de la réforme de la DGF.
Les départements font face à la hausse des dépenses liées aux allocations de solidarité, RSA, APA, PCH, dont les sigles sont de moins en moins compris de nos concitoyens. Des dépenses, souligne la Cour des comptes, qu'ils ne maîtrisent pas... Et ils ne peuvent plus engager de plan d'économie ; et 80 départements risquent de ne pas pouvoir boucler leur budget en 2017 malgré des efforts drastiques.
Fin février, le Premier ministre a accepté que l'État prenne en charge le financement du RSA sans ponctionner les recettes des départements tirées des DMTO et de la CVAE. Un prélèvement sera néanmoins opéré sur la DGF des départements en tenant compte de la situation de chacun et de l'efficacité de sa politique d'insertion. C'est un compromis équilibré, qui ne nous dispense pas d'une réflexion sur l'avenir des aides sociales. Nous discuterons bientôt, à l'initiative de Jean Desessard, de l'opportunité d'un revenu universel, à l'image de ce qui se met en place dans plusieurs pays.
Il faut aussi soutenir les investissements innovants des départements pour la transition énergétique, résorption de la précarité énergétique, rénovation thermique du parc immobilier, dont les collèges, routes productrices d'énergie... Ces investissements ne pourraient-ils pas faire l'objet d'une prise en compte différenciée dans l'évaluation du taux d'endettement des départements ? Le chantier est vaste mais l'enjeu essentiel : remettre la solidarité et l'équilibre du territoire au coeur de l'action publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe RDSE)
M. Philippe Adnot . - Ce débat doit être abordé avec humilité. Je me présente : Philippe Adnot, sénateur de l'Aude depuis 27 ans, président du conseil départemental depuis 26 ans... Élu alors d'un des départements les plus endettés, il est devenu l'un des dix les moins endettés. Je pensais avoir tout maîtrisé... Pas du tout !
Les gouvernements successifs ont en permanence cherché à remplacer nos ressources propres, notre autonomie, par des dotations - taxe d'habitation, taxe professionnelle, vignette automobile. Ont été mis à la charge des départements des dépenses relevant d'une logique de solidarité nationale, des dépenses qui pèsent le plus fortement sur les départements les plus en difficulté... Si l'on y ajoute la baisse des dotations, la situation est devenue insupportable. Les plans d'économie que j'ai lancés n'ont pas suffi. Si rien n'est fait, nous n'y arriverons pas.
Pour sortir de l'ornière, il faut cesser de créer de nouvelles dépenses publiques et d'accumuler les contradictions. La loi vieillissement nous demande, par exemple, de passer en revue l'ensemble des bénéficiaires de l'APA. Avec quel personnel ? Faute de moyens, nous ne la respecterons pas...
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Philippe Adnot. - Nous devons aussi embaucher pour la maintenance informatique dans les collèges et doter tous les collégiens de tablettes. C'est impossible !
Soit des solutions sont trouvées, soit nous ne pourrons plus payer les allocations de solidarité. La solution est entre vos mains, monsieur le ministre. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Hermeline Malherbe . - Débattre de la situation financière des départements, c'est débattre de l'effectivité des principes de liberté, d'égalité, de fraternité, auxquels on ajoute, dans les Pyrénées-Orientales, la laïcité et la solidarité. Qui mieux que le département les fait vivre ?
Nous ne quémandons pas. Les départements sont dans une situation financière extrêmement tendue. Tous se demandent comment ils boucleront leur budget en 2016. Il faut faire oeuvre de pédagogie. J'entendais une chercheuse dire sur France Info que toutes les dépenses de solidarité étaient prises en charge par l'État, c'est faux !
Dans les Pyrénées-Orientales, département de 470 000 habitants, les trois allocations de solidarité ont coûté 182 millions d'euros en 2015 sur 620 millions de budget, dont 85 millions à la charge du département. Face à de telles dépenses, certains départements augmentent les impôts, diminuent drastiquement leurs investissement ou de fonctionnement - ou les trois à la fois...
Entre 2004 et 2015, la quasi-totalité de l'effort fiscal demandé aux habitants a financé la part des allocations de solidarité à la charge du département, soit un total de 580 millions d'euros. (M. Bruno Sido s'exclame) Autant d'argent qui n'a pas été injecté dans l'économie locale et l'emploi...
Il y a double peine quand un département concentre les difficultés sociales et doit, pour financer les dépenses de solidarité, augmenter les impôts. Beaucoup de départements sont confrontés au risque d'insolvabilité.
Jeudi dernier, enfin, le Premier ministre a donné des gages sur la recentralisation du RSA. C'est une avancée à saluer, même si tous les doutes ne sont pas levés. Si vous pensez que le département doit vivre, il faut plaider notre cause auprès du président de la République et du Premier ministre, monsieur le ministre.
M. Roger Karoutchi. - Et de Bercy !
Mme Hermeline Malherbe. - Les dépenses d'APA et de PCH sont une autre grenade dégoupillée. Au-delà des mesures d'urgence, il faut répondre à cette question : le département a-t-il un avenir dans la république décentralisée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Bruno Sido . - Hier se tenait l'assemblée générale de l'ADF, dont j'ai l'honneur d'être l'un des vice-présidents. Sur un tel sujet, il n'y a pas de gauche ni de droite, mais un rapport de confiance à préserver entre les départements et l'État. En cinq ans, les dépenses de solidarité des départements ont augmenté de 3,4 milliards d'euros, soit de 13,2 % par an. Le reste à charge pour le seul RSA se monte à 4 milliards d'euros en 2015.
Parallèlement, l'État baisse les dotations de 4 milliards... Il est temps de tirer la sonnette d'alarme ! Que l'État assume le financement du RSA, dont le montant est voté par le Parlement et qui relève de la solidarité nationale, est une bonne chose ; que le département conserve ses capacités d'insertion, c'est cohérent. Voilà pour le devant de la scène...
Mais attention aux transferts masqués. Le département doit par exemple financer non seulement les routes, mais aussi, on le sait moins, les deux tiers des travaux sur les voies navigables et en assumer la maîtrise d'ouvrage... Quand le pont est vétuste et la circulation dangereuse.... Il y a quinze jours les travaux réalisés par le conseil général de Haute-Marne sur le pont tournant de Humes-Jorquenay a coûté, à lui seul, 1,5 million d'euros...
De même, les casernes de gendarmerie et de sapeurs-pompiers, compétences régaliennes pourtant s'il en est, sont largement financées par les départements : la contribution des communes au budget des Sdis étant stabilisée, toute dépense nouvelle est à la charge des conseils départementaux.
Depuis la loi Peillon, les départements assument la maintenance des systèmes informatiques des collèges : deux marchés publics de 150 000 euros chacun dans mon département ! Et l'on nous demande à présent d'acheter des tablettes pour les collégiens, comme en Corrèze... La Haute-Marne a dû recruter quatre agents en raison du désengagement de l'État dans l'assistance aux communes... Si je devais aller au terme de cette odyssée des transferts masqués, Pénélope aurait sans doute le temps de terminer sa tapisserie... (Sourires)
Les départements attendent une répartition claire des responsabilités, que cessent les transferts qui ne disent pas leur nom. Ils veulent être traités en partenaires responsables. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Jacques Lasserre . - Je salue l'initiative du groupe Les Républicains. En toile de fond, l'idée d'un affaiblissement permanent des départements, de la simplification du millefeuille... C'est l'honneur du Sénat d'avoir combattu la pensée unique et rappelé que la vie, la vraie, c'est autre chose...
C'est surtout, monsieur le ministre, que vous avez une vraie expérience : vous savez, vous, que la vraie vie est au-delà du périphérique.
La vie des départements, c'est avant tout la construction des solidarités territoriales. Des régions gigantesques sur le plan géographique et démographique seront dépourvues de marges de manoeuvre. La solidarité humaine, voilà la plus noble des compétences. On ne construit pas des dispositifs sociaux du jour au lendemain : cela exige de l'expérience, du savoir-faire, du temps.
Or les départements ont vu leurs moyens fondre : les dotations de l'État ont baissé de 10 % par an, tandis que les dépenses sociales ont augmenté de 10 % par an, notamment le RSA puisque le chômage ne cesse d'augmenter. La protection de l'enfance est devenue un autre poste majeur, avec la dépendance et le handicap, en raison de la hausse du nombre de mineurs étrangers isolés. Les départements ruraux, qui ont le plus de bénéficiaires de l'APA, ont aussi les capacités contributives les plus faibles.
L'État doit prendre en charge ce qui relève de sa responsabilité ; rétablissons l'autonomie fiscale des départements et mettons un terme au siphonage de leurs ressources. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Pierre Camani . - Les missions des départements ont été recentrées autour des solidarités locales, à quoi s'ajoutent des compétences de voirie, culture, etc. Les départements, dont le mien, sont dans une impasse financière, en raison de la hausse des dépenses de solidarité. Dans le Lot-et-Garonne, le reste à charge pour le seul RSA est passé de 2 à 22 millions entre 2008 et 2015, pour représenter 13 % du budget de fonctionnement du département - sans parler de la charge représentée par les mineurs étrangers isolés. Au total, sur toutes les allocations versées par le département, 42 millions ne sont pas compensés par l'État.
Les annonces du Premier ministre vont dans le bon sens ; la recentralisation du RSA sera financée par un prélèvement sur la DGF des départements, tenant compte de l'efficacité de leur politique d'insertion. Des précisions, sur le calendrier de la réforme et l'année de référence retenue, sont encore attendues ; il faudra de toute façon aller plus loin que cette recentralisation du RSA, car c'est du principe républicain d'universalité des droits sociaux qu'il est au fond question. La véritable péréquation devra prendre en compte la structure de financement de chaque département.
Notre pays rencontre de grandes difficultés. Restons imaginatifs et innovants pour faire vivre nos territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. René-Paul Savary . - Quel joli métier est le vôtre, monsieur le ministre ! Vous savez bien, en tant qu'élu local, dans quelles difficultés sont les départements. Au sentiment d'abandon qu'ils éprouvent, on a répondu par de grandes régions et des dotations en baisse. Mais qui s'est précipité pour assumer les compétences de solidarité, sinon les départements ? C'est en effet leur métier. Les départements sont aussi une collectivité de proximité qui aide les communes, aménage le territoire, soutient l'investissement local. Voilà pourquoi nous défendons les départements. Et voilà qu'un gouvernement de gauche s'en prend, à travers les départements, à la solidarité envers les personnes les plus en difficulté ! (Protestations à gauche)
M. Roger Karoutchi. - C'est vrai. (Applaudissements à droite)
M. René-Paul Savary. - Cette situation devient insupportable. Recentraliser le RSA d'accord, mais avec quel argent ? Celui des départements ! C'est un véritable hold-up. Les impôts locaux serviront donc à l'exercice par l'État de ses propres missions... Et je n'évoque pas la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Dans mon département, 17 millions d'euros seront perdus pour le transport scolaire, et l'on va m'en retirer 16 millions supplémentaires.
M. Roger Karoutchi. - 17 égale 33, enfin !
M. René-Paul Savary. - Les départements sont asphyxiés, vous voulez maintenant les dépecer.
Je me permets de rappeler que nous avons été élus jusqu'en 2021 : constitutionnellement, vous serez tenus de nous permettre de vivre jusqu'à cette date. Aidons les départements, acteurs de la cohésion sociale, à vivre plutôt que de les étouffer ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Vincent Eblé . - En 2004, le ministre Copé, mon voisin de Seine-et-Marne, déclarait que les transferts de charges seraient compensés à l'euro près. La réforme de 2004 a asphyxié les départements. (Protestations à droite)
M. François Grosdidier. - C'est vous qui baissez les dotations !
M. Vincent Eblé. - Les conseils départementaux sont les seules collectivités territoriales européennes élues au suffrage universel qui doivent assurer des missions de solidarité nationale sans pouvoir en fixer le montant.
Les annonces du Premier ministre vont dans le bon sens, mais il faudra aller plus loin. En réformant la dotation globale de fonctionnement d'abord.
Ses écarts sont préjudiciables au bon fonctionnement des départements : en 2014, alors que le potentiel fiscal de la Seine et Marne est inférieur à la moyenne nationale, elle a reçu 113 euros par habitant, contre 152 euros par habitant pour les Hauts-de-Seine, dont le potentiel fiscal est bien supérieur.
M. Roger Karoutchi. - Et la péréquation ?
M. Vincent Eblé. - Elle fonctionne à l'envers, du pauvre vers le riche.
La dotation globale de fonctionnement a cristallisé des situations territoriales devenues obsolètes. Aucune actualisation depuis 1999, date de la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle. La réforme de la DGF-bloc communal, a été reportée, dont acte ; attaquons nous à celle des départements.
La CVAE doit également être réformée, pour tenir compte du lieu de domiciliation des personnes plutôt que du siège social de l'entreprise. Les salariés d'entreprises dont le siège est dans les Hauts-de-Seine habitent en Seine-et-Marne - qui doit donc en assumer la charge.
Entrons enfin dans une nouvelle ère pour les départements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que du RDSE)
M. Philippe Bas . - Les départements sont là et bien là.
M. Jacques Mézard. - Las, aussi...
M. Philippe Bas. - Ils sont un point fixe, un pôle de stabilité dans notre organisation territoriale. Condamnés à mort par le Premier ministre dans son discours d'investiture.
M. Jean-Louis Carrère. - Et par Sarkozy !
M. Philippe Bas. - Ils sont toujours vivants ! Que l'État cesse de vouloir rendre sa copie propre au détriment des collectivités territoriales ! Monsieur le ministre, soyez notre avocat auprès de Bercy : je sais que vous partagez notre inquiétude.
Les dépenses de solidarité ont augmenté avec le chômage ; nos départements n'en ont pas moins répondu présents pour remplir leurs missions. Je veux rappeler un principe simple : ni les dotations, ni les compensations de transfert de charges ne sont des libéralités, ce sont des obligations constitutionnelles et législatives ! On ne doit pas jouer avec, au péril de la cohésion sociale. Le remplacement de l'impôt local par des transferts de l'État est un jeu à somme nulle pour nos finances publiques, mais relève d'une pratique condescendante envers les collectivités territoriales.
Ne croyez pas que vous apporterez un remède au problème des finances des départements en vous contentant de recentraliser le RSA. Allez-vous contrôler enfin l'attribution du RSA ? Les décisions prises ne doivent pas l'être à la va-vite, nous ne sommes pas dans une partie de ping-pong : l'État et les départements doivent partager les charges et non polémiquer inutilement. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales . - Ce débat fourni, passionné, me donne l'occasion de revenir, à mon tour, sur un échelon que je connais un peu, et pour lequel, j'ai toujours milité. J'ai souvenir du rapport Krattinger-Raffarin, qui suggérait la diminution du nombre de régions et réaffirmait la place centrale du département, échelon de la proximité et de la solidarité. J'y souscris totalement.
Les départements sont tous globalement dans la même situation : en dépit d'une bonne gestion, ils pâtissent d'un effet de ciseaux, lié à la conjoncture, qui a pour conséquence une baisse du taux d'épargne brute jusqu'à 6,5 % voire 5 %.
La loi NOTRe ne remet pas en cause l'avenir du département ; elle le renforce au contraire dans son rôle d'ingénierie pour les collectivités territoriales les plus petites et les moins bien dotées, et de prise en charge des personnes isolées fragiles ou en perte d'autonomie. Les départements doivent avoir les moyens de s'acquitter de ces missions. Je ne peux toutefois éviter d'évoquer la participation demandée aux départements dans le plan de réduction des déficits, lancé en 2014, qui concerne tous les échelons.
Sur 50 milliards d'économies sur trois ans, 11 sont portés par les collectivités territoriales. En 2016, 1,14 milliard d'euros d'effort leur sera demandé, ainsi qu'en 2017. Mais ces efforts seront différenciés selon la situation de chacun.
Les difficultés qu'ils rencontrent sont sérieuses et anciennes, car ils sont en première ligne des enjeux de solidarité.
En 2015, 60 milliards d'euros sont dépensés pour le fonctionnement - 10 milliards pour le seul RSA, dont le poids a doublé en dix ans et s'accroît à un rythme exponentiel. Cette évolution est liée aux mesures du plan de lutte contre la pauvreté, mais aussi aux effets de la crise économique. Au-delà du RSA, les départements sont confrontés à l'accueil des mineurs étrangers isolés ; c'est particulièrement le cas à Paris, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne.
Le dispositif d'orientation a permis de répartir plus équitablement un tiers des mineurs et les services de l'État ont été mobilisés pour accompagner les départements. La loi sur la protection de l'enfant, votée hier définitivement à l'Assemblée nationale, et ses décrets d'application achèveront de fluidifier le mécanisme. Le Gouvernement a ouvert le chantier de la répartition des recettes.
La DGF sera réformée. Pour le bloc communal d'abord, la loi de finances pour 2016 a défini ses grands principes, qui seront déclinés l'an prochain. Je rencontrerai prochainement les membres du groupe de travail mis en place par votre commission des finances.
Il faudra aussi nous pencher sur la DGF des départements dont les écarts résultent de la sédimentation de dispositifs anciens et la péréquation. Des dispositions existent déjà, dans le cadre du pacte de confiance et de responsabilité. L'évolution de la population sera mieux prise en compte. La péréquation horizontale et verticale a été renforcée. Nous irons plus loin, en associant les départements eux-mêmes. Dès juillet 2013, le pacte, fruit d'une concertation de six mois avec les collectivités territoriales, prévoyait une hausse de 1,6 milliard d'euros de leurs ressources et une baisse de 18 % de leur reste à charge sur les allocations individuelles de solidarité. Tous les départements ont modifié leur taux de DMTO dans le sens proposé, utilisant la faculté de passer le taux de 3,8 % à 4,5 %. Un fonds d'urgence a été alimenté sur la base de ces nouvelles ressources pour aider les plus en difficulté.
Dès la loi de finances rectificative pour 2015, une aide de 50 millions a bénéficié, par exemple, au département du Nord, à celui du Val-d'Oise, et à tout autre subissant une brutale baisse de CVAE. Ces mesures ont répondu à l'urgence de la situation, ont donné de l'air aux collectivités territoriales, mais n'en rendaient pas moins indispensable une réforme plus profonde.
Conditionner le RSA à la réalisation d'heures de bénévolat ? J'y vois une contradiction dans les termes, et surtout une entorse à nos principes juridiques. De plus, le RSA doit encourager la réinsertion sur le marché de l'emploi. Nous souhaitions que la dimension d'insertion soit portée par les départements : c'était déjà l'objectif original du RMI.
Nous avons proposé une recentralisation du RSA ; l'ADF le suggérait également. Je me réjouis que son assemblée générale ait voté à l'unanimité moins une voix pour une négociation sur ce point. L'accord devra intervenir rapidement, dès la fin de ce mois. Il devra préciser trois modalités : d'abord, l'année de référence : ce sera sans doute 2016. Déjà en 2003, c'est l'année n-1 qui avait été prise en référence lors de la création du RSA. Ensuite, le périmètre de la recentralisation : écoutant l'ADF, le Gouvernement a exclu du champ les ressources dynamiques des départements : la CVAE et les DMTO. Enfin, l'accord devra porter sur les contreparties des départements : clause de retour à meilleure fortune et réforme de la DGF, contre un plus grand effort d'insertion. Le temps est compté, nous souhaitons que les concertations aboutissent rapidement.
Un mot sur l'APA, évoquée par Mme Malherbe, dont le département comporte une part importante de population âgée.
Un décret pris en application de la loi Vieillissement prévoit sa revalorisation, intégralement compensée par l'État. Le taux de compensation, initialement de 43 %, tombé à 31 %, atteindra 36 %, grâce à ces nouvelles mesures.
Vous le voyez : le Gouvernement prend ses responsabilités et propose des solutions pérennes.
Je réponds aux points plus précis que vous avez évoqués : une mission d'inspection a été diligentée sur la CVAE, et la compensation des transferts de charge.
Monsieur Labbé, un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations flèche un million d'euros vers les travaux innovants sur le plan énergétique.
Monsieur Adnot, il est vrai que les départements traversent une situation difficile, mais nous avons rénové le dialogue, et pris nos responsabilités. Vous pouvez compter sur mon engagement personnel total sur ce dossier. Recentraliser 700 millions d'euros, ce n'est pas rien. Continuons à avancer pour l'intérêt de nos départements et de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)