Ratification de l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015.
Discussion générale
Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat . - Cette ratification est un évènement important, six mois presque jour pour jour après la signature de l'accord de Paris le 12 décembre 2015. Il a été qualifié d'historique, à juste titre : il fonde une alliance nouvelle pour l'avenir, donne le signal d'un changement économique, social, environnemental ; chaque nation y contribue, mais en association avec de nombreux acteurs non étatiques, régions, villes, ONG, entreprises et citoyens.
L'accord n'est pas figé dans le marbre, il est évolutif. Il marque l'émergence d'une nouvelle civilisation de réconciliation entre les activités humaines et la nature, pour construire un développement sobre et résilient.
Il vise à limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés, si possible à 1,5 degré ; il appelle à diminuer les émissions de gaz à effet de serre le plus tôt possible, pour une neutralité des émissions dans la seconde partie du siècle. Cent quatre-vingt pays sur les cent quatre-vingt-seize parties à l'accord ont déposé leur contribution nationale. Un premier bilan aura lieu en 2023, après une rencontre en 2018 pour évaluer les progrès. Ce bilan aura ensuite lieu tous les cinq ans. La somme des contributions nationales ne permet pas d'atteindre 2 % ; il faudra revoir à la hausse les ambitions nationales. C'est possible, grâce en particulier aux progrès technologiques ou la baisse de prix des énergies renouvelables. L'accord comporte des mécanismes de coopération financière, de transferts de technologies.
La France s'honore d'avoir la première transcrit, dans la loi Transition énergétique, son engagement pour le climat, avant même la Conférence de Paris - et je vous remercie de votre formidable engagement sur ce texte.
Les petits pays insulaires et du Sud sont les premiers exposés aux dramatiques conséquences du changement climatique. Il est impératif de mobiliser des financements, à hauteur de 100 milliards de dollars par an, public et privé confondus - d'autant que ces investissements produisent de la croissance et de l'emploi. C'est une base utile avant la définition d'une cible plus ambitieuse. Un cadre de transparence est construit, s'appliquant à tous selon la capacité de chacun des pays. Ces procédures devront être mises en oeuvre avant l'entrée en vigueur du texte.
Le 22 avril 2016, cent soixante-quinze pays sont venus signer l'accord à New York. L'Union européenne se met en marche pour sa ratification. Les commissaires ont décidé hier la ratification, préalable au vote du Parlement européen. Le Conseil européen du 20 juin en sera également saisi.
Hier, aux États-Unis, Barack Obama et le Premier ministre indien ont à leur tour déclaré vouloir ratifier très vite le texte. Notre ratification est attendue de tous. Elle doit intervenir rapidement ; l'accord entrera en vigueur dès que cinquante-cinq pays représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre l'auront ratifié.
Il faut rendre l'évolution irréversible en engageant les États, les entreprises et les investisseurs, les citoyens, les territoires et les grandes villes à agir dès à présent. Les collectivités se mobilisent : vingt des plus grandes mégalopoles sont menacées directement par la montée des eaux.
C'est dans l'articulation entre villes, territoires, entreprises et citoyens que le plus grand nombre d'actions efficaces est engagé. La COP21 a associé, à côté des États, tous les acteurs qui peuvent contribuer à l'impulsion. Dans l'agenda des solutions, plus de 10 000 villes, régions, investisseurs, associations, se sont regroupés dans 70 coalitions - géothermie, forêts, eau, résilience, prévision des risques, etc. - pour mener des actions concrètes. Je viens d'inaugurer en Alsace une installation de géothermie profonde qui a reçu un écho très favorable dans des pays qui découvrent cette production d'énergie, comme l'Éthiopie. Prix du carbone, efficacité énergétique des bâtiments, économie circulaire, eau, mer... tous les sujets sont concernés.
La finance verte connaît un développement remarquable. Plus de 40 milliards d'obligations vertes ont été émises l'an dernier. La France est en tête des émissions et la prochaine loi de finances traitera du prix du carbone. S'agissant de la finance privée, une grande coalition pour la décarbonation des portefeuilles a été lancée. Elle concerne 600 milliards de dollars d'actifs, bien plus qu'escompté initialement. Nous travaillons à mobiliser ceux des gros investisseurs qui demeurent insensibles à cette question. Nous développons des incitations : dans la loi de transition énergétique, l'article 173 voté à l'unanimité par le Sénat sert désormais de modèle pour la finance mondiale.
Une grande coalition des États et des entreprises est en cours de constitution sur la tarification du carbone. Il faut mettre en place un prix stable, suffisamment élevé pour changer les comportements, coordonné pour éviter la concurrence. Un forum se tient à Paris sur ce sujet. La France proposera au prochain Conseil européen un corridor des prix du carbone, pour tenir compte des différents modèles de développement.
Je vous remercie très chaleureusement des débats législatifs : les parlementaires ont contribué aux avancées qui ont permis à la France de parler avec force lors de la COP21. Celle-ci a été un moment de rassemblement de la communauté internationale, quand tant de violences se déchaînent dans le monde. Elle a marqué une réconciliation de la communauté internationale, face à des enjeux de paix et de stabilité. Il y a là une chance à saisir pour les activités économiques, et pour la lutte contre la pauvreté, via l'accès à l'énergie et à l'eau potable en particulier.
Ces enjeux, qui paraissent extraordinaires, sont à portée de main. Certes, il y faut du courage, de l'imagination, de l'action. Vous n'en manquez pas : vous l'avez montré par les solutions que vous mettez en avant dans vos territoires. Merci de permettre à la France de continuer à entraîner les pays du monde entier : votre vote est un signal qui incitera d'autres États de s'engager à leur tour, pour redonner un espoir à tous ceux qui sont les premiers menacés par la montée des mers ou la désertification. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, au centre et sur quelques bancs à droite)
M. Christian Cambon, rapporteur de la commission des affaires étrangères . - Si l'on pouvait encore en douter, les crues dramatiques qu'a connues notre pays en plein mois de juin viennent démontrer l'urgence de battre en brèche le réchauffement climatique. C'est ce que fait l'accord signé le 12 décembre 2015. Le consensus scientifique est sans ambiguïté ; nous venons de vivre les trente années les plus chaudes de l'hémisphère nord depuis 1 400 ans.
D'ici 2100, la température pourrait augmenter de 5 degrés et le niveau de la mer augmenter d'un mètre. Le coût de l'inaction serait de 5 % du PIB mondial chaque année, selon le rapport Stern de 2006. Le coût pourrait atteindre 1 000 milliards de dollars par an d'ici 2050.
En Arctique, le réchauffement ouvrira des routes maritimes nouvelles et donnera accès à des ressources géologiques, agricoles qui seront disputées entre États riverains. Les tensions s'aviveront entre l'Otan et la Russie. Quant à l'arrivée de 1 million de réfugiés en Europe aujourd'hui, elle n'est rien à côté des 72 millions de déplacements que provoquera le changement climatique...
Je salue le succès de la COP21 et rends hommage à tous ceux qui y ont travaillé d'arrache-pied, à notre diplomatie, à Laurent Fabius, à Laurence Tubiana, ainsi qu'à vous, madame la ministre. Le Sénat lui aussi s'est mobilisé pour préparer la Conférence.
L'accord de Paris est un beau succès ; mais tout reste à faire ! L'accord est juridiquement peu contraignant, il préfère les obligations de moyens aux obligations de résultats, ne comporte pas de sanctions en cas de non-respect des engagements. Ceux-ci sont hétérogènes, l'Union européenne annonce un effort de réduction des émissions de 40 %, les États-Unis de 28 % au mieux. La Chine et l'Inde se fixent seulement de réduire la croissance des émissions...
Si elles sont respectées, les contributions nationales limiteront l'augmentation de la température à 3,5 degrés. Bien en deçà de l'objectif inscrit dans l'accord. Pis, certaines questions ont été éludées. Quid, madame la ministre, de la protection des océans et de ces zones fragiles que sont les pôles ? Où en est la feuille de route sur l'Arctique ?
La question des émissions de gaz à effet de serre du transport aérien et maritime n'a pas non plus été résolue. Les dysfonctionnements actuels du dispositif d'échanges de quotas carbone montrent que la solution n'est pas évidente.
L'Union européenne a un rôle moteur à jouer, or la ratification de l'accord est ralentie par les négociations sur le paquet climat. Les États-Unis et la Chine ayant promis de le ratifier avant l'automne, l'accord pourrait entrer en vigueur sans l'Union européenne, un comble !
La ministre de l'environnement du Maroc, Mme Hakima El Haite, l'a dit au Sénat, la COP22 sera plus difficile à réussir que la COP21 : il s'agira en effet de concrétiser les engagements de Paris, autrement dit de réunir les 100 milliards de dollars. La tâche est immense. Elle exigera la mobilisation de tous, dont celle du Parlement français : ratifions l'accord, comme la commission des affaires étrangères y invite le Sénat. Cela fera de la France l'un des premiers grands pays à le ratifier. (Applaudissements)
M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - C'est un accord historique que nous devons ratifier aujourd'hui. Universel, ambitieux et historique. Pour autant, beaucoup reste à faire. L'opinion publique n'a pas compris que son entrée en vigueur n'est que pour 2020 - en attendant, nous restons sous le régime du protocole de Kyoto.
Votre détermination, madame la ministre, traduit un optimisme que nous connaissons. Aujourd'hui, 17 parties ont ratifié l'accord. Mais certaines évolutions sont inquiétantes : la possibilité du Brexit, les positions de la Pologne, de la Slovaquie et de la Tchéquie, le problème de répartition des efforts au sein de l'Union européenne, sans parler des positions de Donald Trump ou des débats sur les pouvoirs respectifs des États fédérés et de l'État fédéral américain.
Quant aux mesures d'adaptation au changement climatique, il faudra préciser l'emploi des 100 milliards de dollars. Certaines problématiques ont été laissées de côté, le prix mondial du carbone ou la participation du trafic aérien et maritime. En cette Journée mondiale des océans, il faut s'intéresser aussi à la contribution des océans pour capter le carbone ; le rapport du GIEC sur les océans ne sera publié qu'en 2024.
Demain matin, le président Maurey organise un colloque dont vous serez, madame la ministre, une hôte de marque comme Mme El Haite.
Notre commission du développement durable a émis un avis très favorable à l'accord de Paris, même s'il ne s'agit que d'un premier pas. (Applaudissements)
M. Hervé Maurey, rapporteur de l'Union interparlementaire pour la Conférence sur le climat . - Nous pouvons tous être fiers que plus de 150 chefs d'État et de gouvernement se soient réunis à Paris - dans une situation pourtant difficile - pour construire cet accord. Au Bourget comme à New York, nous avons pu sentir une prise de conscience partagée.
Certes, tout n'est pas réglé. Mais la mobilisation est à elle seule un point très positif. Les entreprises ont compris leur rôle pour construire une nouvelle croissance. Les collectivités territoriales sont en première ligne, pour gérer les conséquences du changement climatique, pour prendre les mesures d'adaptation : recyclage, circuits courts, lutte contre les inondations.
Nous devons encore sensibiliser les collectivités qui n'ont pas encore pris toute la mesure du problème. Il faut changer nos modes de vie : économiser l'eau et l'énergie, changer les modes de production. C'est là que les Parlements doivent agir. L'Union interparlementaire a adopté le 6 décembre, pendant la COP21, une position sur cette grande question.
Ce sont les Parlements qui autorisent la ratification d'un tel accord. Ce calendrier ne s'appliquera que si cinquante-cinq pays représentant 55 % des émissions le ratifient. Ce sont les Parlements qui votent les budgets, les lois et contrôlent l'action des gouvernements. Reste que les parlementaires sont insuffisamment associés à la lutte contre le changement climatique.
L'Union interparlementaire a adopté à Osaka un plan d'action pour le changement climatique. Les parlementaires veulent être au premier rang pour relever le défi du changement climatique, l'un des principaux du XXIe siècle. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC, Les Républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Éliane Giraud . - Adopté le 17 mai dernier à l'Assemblée nationale à l'unanimité, ce projet de loi a reçu un avis favorable de notre commission des affaires étrangères. Si le Sénat le suit, la France sera le premier pays de l'Union européenne à ratifier cet accord.
L'accord de Paris est historique ; il signe la prise de conscience de la communauté internationale, qui doit se mobiliser contre le changement climatique. C'est une victoire diplomatique, une victoire de l'équipe « France ».
Saluons votre travail, notamment avec la loi sur la transition énergétique, l'engagement de Laurent Fabius, mais aussi du président de la République. (Marques d'ironie à droite)
La principale force de cet accord est qu'il repose sur tous les acteurs non étatiques, entreprise, société civile, collectivités territoriales aussi - mobilisées lors du sommet mondial Climat et territoires tenu à Lyon les 1er et 2 juillet 2015. Il y va de la sécurité alimentaire, de la maîtrise des migrations et de la paix. La ratification de cet accord doit marquer la poursuite de cet engagement.
Il passera par la COP22, mais aussi par l'engagement des Français, meurtris cette année, mais si bien entourés par leurs amis du monde entier. J'ai travaillé avec Cédric Perrin et Leila Aïchi sur les conséquences du réchauffement climatique pour l'Arctique. Le monde se redessine : lutter contre le changement climatique, c'est lutter contre les inégalités. Les réfugiés climatiques pourraient être deux cents millions d'ici 2050.
L'accord de Paris ne règle pas tout. Mais il donne confiance, s'il ne reste pas une simple déclaration d'intention. Agissons ensemble, élus et citoyens. Restons mobilisés ici, au Sénat, mais aussi dans nos territoires.
Quel lien entre ces images qui font le tour du monde, le zouave du pont de l'Alma les pieds dans l'eau, l'ours épuisé qui peine à atteindre la rive, et les migrants jetés sur les routes ? La réponse est complexe. Mais je crois que le désordre du monde a à voir avec le désordre de la planète. Il a à voir avec moi, avec vous, avec nous tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Ronan Dantec . - L'accord de Paris a suscité un grand enthousiasme : il semble plus ambitieux que prévu, comme en témoigne le réchauffement de 1,5 degré seulement comme objectif de long terme. Il y a bien une prise de conscience mondiale.
Lutter contre le changement climatique, c'est prévenir des guerres civiles, c'est penser l'intérêt à long terme contre les intérêts à court terme. Tout le monde, la main sur le coeur, veut lutter contre le changement climatique. Mais le lobby aérien refusent la taxation carbone, les élus cherchent à ouvrir de nouveaux aéroports, les routiers menacent de bloquer les routes si l'on favorise le transport des marchandises par le rail, les agriculteurs refusent qu'on comptabilise le méthane entérique...
De même, je l'ai appris à Bratislava, des États membres de l'Union européenne tels que la Slovaquie ne veulent pas entendre parler de sacrifier leur charbon ou leur sidérurgie : les Slovaques n'entendent ratifier l'accord de Paris qu'à la fin 2017, après les négociations sur la répartition des efforts entre pays européens ! La France devra poursuivre son action pour éviter que l'Europe, minée par ses lobbies, ne perde son leadership climatique.
Hervé Maurey et Jérôme Bignon se sont beaucoup impliqués. L'UIP peut être un outil intéressant. Sans l'action concrète des acteurs non étatiques, on ne pourra rien. Des engagements ont été pris au sommet Climat territoires de juillet dernier à Lyon ou à la Mairie de Paris en décembre.
Le futur sommet de Nantes des acteurs non étatiques permettra de préparer l'avenir. Les contributions volontaires nous conduisent à un réchauffement de plus de 3 degrés ; d'ici 2018, il faudra les réviser.
La route est encore longue pour offrir à nos enfants un XXIe siècle vivable. La ratification est une étape nécessaire. Le groupe écologiste votera le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)
présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président
M. David Rachline . - Nous sommes réunis aujourd'hui pour donner au Gouvernement l'autorisation de ratifier l'accord de Paris. Voilà des années que nous organisons de grands raouts ultra-médiatisés, mais rien ne change ! Tandis que les décisions sont prises dans l'opacité... Je pense au Tafta, qui aura des conséquences désastreuses sur notre planète... L'impact des décisions internationales est inversement proportionnel à leur médiatisation ; je crois plus aux mesures concrètes sur le terrain, comme l'initiative de M. Borloo pour l'électrification de l'Afrique.
Voilà un accord signé par 195 États, qui ne remet pas en cause le modèle de développement dominant, la mondialisation sans limite, la logique des intérêts financiers, en un mot les mauvaises habitudes ; qui, de plus, laisse de côté des sujets transnationaux, le transport, la protection des océans. Et que dire de l'absence des énergies fossiles ?
L'accord sera peu efficace parce que limité par des questions idéologiques. Quand comprendrez-vous que les frontières, que la souveraineté sont des outils indispensables à l'écologie ?
La solution est simple : produire local ; mais la finance mondiale ne nous le permet pas. Alors il faut légiférer en ce sens sans demander leur avis aux technocrates de Bruxelles. À quand une loi pour acheter français, la priorité nationale pour les marchés publics, les droits de douane pour les pays pollueurs ?
Nous ne voterons pas contre mais puisque le modèle n'est pas remis en cause, nous ne voterons pas pour non plus.
Mme Mireille Jouve . - Depuis vingt ans de négociations climatiques multilatérales, les avancées n'ont pas été nombreuses. Aussi, ne boudons pas notre plaisir... Il y avait urgence à s'accorder sur un plan d'action partagé et ambitieux. Il faut savoir gré à notre diplomatie d'avoir su dépasser l'échec de Copenhague et d'avoir obtenu à Paris un nombre de signatures sans précédent.
Point clé de l'accord : maintenir le réchauffement en-deçà de 2 degrés et, si possible, à 1,5 degré. Il s'accompagne d'un système de différenciation des efforts demandés aux États selon leur responsabilité historique et leur niveau de richesse, et d'un cadre transparent qui devrait, même en l'absence de mécanisme contraignant, empêcher les parties de se soustraire à leurs engagements. Les objectifs d'émissions de gaz à effet de serre seront revus tous les cinq ans à partir de 2020 ; les Parlements nationaux, et à travers eux les peuples, pourront rappeler les dirigeants à leurs engagements. La possibilité de retrait d'un pays fait cependant peser le risque d'un effet boule de neige. Et plusieurs points ont été laissés de côté, dont le transport aérien et maritime ; il faudra un jour s'y colleter.
Restera aussi à transformer cette feuille de route en plan d'action crédible, car les contributions nationales ne permettent pas en l'état de rester sous les 2 degrés. 55 pays représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre devront ratifier cet accord pour qu'il entre en vigueur ; 16 seulement ont franchi le pas... Beaucoup reste à faire pour être au rendez-vous de l'histoire. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et du groupe socialiste et républicain)
Mme Chantal Jouanno . - Notre groupe votera le texte avec enthousiasme.
Il est devenu difficile, dans un monde régionalisé, de conclure des accords multilatéraux. Reconnaissons donc en l'accord de Paris un grand succès de notre diplomatie et un signe encourageant pour l'avenir du multilatéralisme, alors que beaucoup d'enjeux sont aujourd'hui globaux, dépassant les États, les générations et le temps politique.
Ce formidable succès, nous le devons aussi à un engagement politique unanime et à une méthode nouvelle, bottom-up - méthode qui pourrait être aussi une fragilité. L'accord de Paris n'est qu'un socle. Tous les pays devront tenir leurs engagements ; il faudra éviter les effets boule de neige. Je forme le voeu qu'il soit rapidement dépassé.
Autre fragilité : l'accord n'est pas encore opposable. Il est important que la France soit l'un des premiers pays européens à le ratifier - la Hongrie nous a devancés, mais elle n'a pas la chance d'avoir deux chambres... (Sourires)
Il faut aussi que l'Europe ratifie sans attendre les discussions sur la répartition du fardeau, sinon d'autres régions du monde attendront aussi... J'ai plutôt confiance en la Chine, mais aux États-Unis, l'affaire est plus épineuse puisque l'un des candidats à la présidence y estime que le réchauffement climatique est une invention chinoise...
Le temps est à l'action, le succès de la COP21 dépend de la COP22, qui doit aborder les aspects opérationnels... Tout reste à faire aussi pour tarifer efficacement le carbone et en finir avec les subventions aux énergies fossiles.
Je réserverai mes critiques pour le débat budgétaire et vos collègues de Bercy, madame la ministre... J'insiste en revanche sur la nécessité de revoir profondément notre fiscalité écologique ; il est dommage que le chantier ait été enterré. Enfin, donnez les clés aux territoires, non sur le mode symbolique via des appels à projets mais grâce à un droit à l'expérimentation - et tenez à l'écart les préfets, qui n'ont qu'une ambition, bétonner...
Le groupe UDI-UC votera le projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
Mme Évelyne Didier . - L'accord de Paris est un succès pour la France et le multilatéralisme onusien. C'est aussi le fruit d'un processus innovant fondé sur la mobilisation des territoires et de la société civile.
La réussite de la COP21 était vitale ; 600 millions de personnes aujourd'hui, plus d'un milliard en 2060, sont menacées par la hausse du niveau des mers. Nous sommes au pied de la montagne et tenus de la gravir ensemble.
Premier objectif : concrétiser l'objectif central des 2 degrés. Le travail est engagé pour aboutir à une feuille de route précise à Marrakech. Un équilibre est recherché entre émissions et absorption par les puits de carbone - mais cela ne signifie pas la fin des énergies fossiles. Il faut pourtant aller vers le 100 % renouvelable... D'où la nécessité de réorienter rapidement les politiques nationales. En France, la loi de transition énergétique a cette ambition ; nous verrons ce qu'il en sera. D'autres pays ont fait d'autres choix. Donald Trump promet de retirer la signature des États-Unis, de relancer l'oléoduc Keystone XL, de renforcer la production de gaz de schiste... Aujourd'hui, les contributions nationales sont insuffisantes, il faut les revoir, cesser de mener des politiques contradictoires. L'exercice ne sera pas simple au sein de l'Union européenne...
Il faudra en deuxième lieu préciser un certain nombre de stipulations de l'accord, notamment la nature et le fléchage des transferts financiers. L'aide publique au développement (APD) doit être revalorisée ; il y a pour l'heure plus de prêts que de dons. L'industrie du charbon reste fortement soutenue : il faudra réorienter les financements.
Les mouvements de capitaux font la loi, dit un ancien directeur du FMI... Le marché actuel du carbone est inefficace, fonctionne sur le principe du pollueur-payé... Le cimentier Lafarge aurait engrangé 485 millions d'euros entre 2008 et 2014 grâce au mécanisme d'échange de quotas - pour des usines à l'arrêt.
La politique commerciale internationale minimise les enjeux sociaux et environnementaux - je pense en particulier au Tisa. Le modèle mondialisé d'exploitation des hommes et des ressources va à l'encontre de la lutte contre le réchauffement climatique. Raison pour laquelle les États et les citoyens doivent prendre leurs responsabilités et reprendre le pouvoir.
L'accord de Paris a redonné espoir. La célérité de sa ratification concrétiserait notre engagement. Nous n'avons pas de temps à perdre. Le groupe CRC votera pour. (Applaudissements à gauche)
Mme Fabienne Keller . - L'accord de Paris est un succès diplomatique. Je veux y associer Mme Tubiana, M. Fabius, les services des ministères. Une étape importante, une belle étape, a été franchie dans le multilatéralisme. Reste à le traduire en trajectoires concrètes, opérationnelles, financières. La COP22 sera celle de l'action, a dit la présidence marocaine.
Je veux saluer le travail du Sénat, de toutes ses commissions, qui ont apporté au débat une contribution riche et transversale.
La négociation se situe d'abord au niveau européen. L'Union européenne a été l'une des premières parties à déposer sa contribution. Son marché du carbone fonctionne depuis 2009 ; vous proposez un prix plancher, madame la ministre, mais je ne vois pas la compatibilité d'un tel mécanisme avec le principe même d'un marché...
S'agissant du partage de l'effort en Europe, la commission s'apprêterait à faire des propositions. Pouvez-vous nous en décrire l'économie générale ? Quelles initiatives avez-vous prises pour faire émerger des avancées concrètes au Conseil des 28 et 29 juin prochains ?
Quand la programmation pluriannuelle de l'énergie tant attendue sera-t-elle publiée ? Le travail progresse paraît-il sur les énergies renouvelables, mais au service de quelle vision globale, articulée avec nos engagements internationaux ? Nous devons être exemplaires...
M. Roland Courteau. - Nous le sommes !
Mme Chantal Jouanno. - Non !
Mme Fabienne Keller. - Dans notre mix énergétique, elles devront représenter 23 % en 2020 selon le paquet énergie climat ; on n'atteindrait que 17 ou 18 %... Qu'en est-il ?
Au niveau mondial, je veux saluer l'initiative de Bill Gates qui a favorisé la création d'un fonds de recherche sur la transition énergétique. Qu'en sera-t-il des 100 milliards de dollars par an pour aider les pays en développement ?
Le financement des mesures d'adaptation ne représente que 12 % de notre APD - les pays les moins avancés n'en reçoivent que 9 %. Il y a de nouveaux besoins, il faut de nouveaux financements, et pas seulement du recyclage... Des réponses concrètes à toutes ces questions montreraient votre volonté d'agir réellement... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Odette Herviaux . - Alors que l'année 2015 a battu tous les records de chaleur et que les épisodes climatiques anormaux se multiplient, il était temps d'agir - l'avenir de la planète et de l'humanité est en jeu !
Avec l'accord de Paris, les États reconnaissent enfin le danger irréversible qui nous menace. La prise de conscience est désormais universelle. Saluons le succès de la diplomatie française et l'unanimité de la représentation nationale sur ces sujets.
En rompant avec le multilatéralisme contraignant et sélectif, l'approche différenciée retenue au Bourget donne à l'accord de Paris un impact fort. Il reste à passer des discours aux actes : ce sera l'objet de la COP22, d'autant que les engagements de Copenhague en direction des pays en voie de développement n'ont pas été tenus.
En cette Journée mondiale des océans, je veux revenir sur le rôle des mers et océans, premiers puits de carbone. Aucune stipulation de l'accord n'en traite, non plus que du transport maritime. Les liens entre mers et climat sont pourtant avérés : régulation des températures, séquestration du carbone, acidification des eaux. Je salue l'engagement de nos territoires ultramarins, la manière dont ils protègent et valorisent leurs ressources naturelles, dont ils gèrent leurs espaces maritimes est exemplaire.
Cela m'amène à la place des collectivités territoriales. Elles conduisent 50 à 80 % des actions concrètes de réduction des émissions et près de 100 % des actions d'adaptation. Il serait dommage que la nouvelle méthode ascendante s'arrête aux frontières des États. Qu'il s'agisse des articles 11 ou 12, les collectivités territoriales ne sauraient être reléguées au rang de supplétifs des États ; leurs responsabilités opérationnelles sont lourdes.
Nous avons fait des progrès significatifs avec la loi de transition énergétique, mais il faut encore amplifier le mouvement.
Nous approuvons la ratification de l'accord de Paris. Il faut nous mobiliser pour le doter des moyens juridiques et financiers adéquats et en faire le point de départ d'une véritable révolution climatique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs autres bancs)
M. François Grosdidier . - Nous nous sommes tous réjouis de l'issue heureuse de la COP21. Je salue le travail fourni en amont au Sénat, à l'initiative du président Larcher. L'accord de Paris n'est qu'une étape, et les avancées qu'il rend possibles restent à confirmer.
Avec les sommets de Stockholm, Genève, Nairobi, Rio, Johannesburg - et le célèbre « notre maison brûle et nous regardons ailleurs » du président Chirac - la prise de conscience a progressé avant d'être contrariée par la crise financière et la prévalence des enjeux de court terme. Les climatosceptiques rencontrent encore un écho dans les pays industrialisés et certaines puissances refusent de renoncer à leur modèle de développement, mais la vérité scientifique s'est imposée, le diagnostic est de plus en plus partagé.
Cent pays étaient à Rio, ils étaient presque deux cents à Paris. Il fallait avancer malgré les blocages - le Congrès américain s'oppose à tout accord contraignant - et le ralentissement de la croissance chinoise. La Chine ne s'engage à réduire ses émissions qu'après 2030. D'ici là beaucoup d'eau aura passé sous les ponts du Mékong...
Pour avoir une chance de tenir l'objectif de Paris, l'homme ne doit pas avoir émis plus de 2 100 gigatonnes de CO2 depuis 1870 - il en a déjà émis les deux tiers... L'accord de Paris propose l'actualisation des contributions nationales tous les cinq ans, des financements pour l'atténuation, la transition énergétique et l'adaptation aux conséquences du dérèglement climatique, la création d'un fonds de 100 milliards de dollars par an jusqu'en 2025, enfin un mécanisme de contrôle. En l'absence d'un système contraignant, des dispositifs sont mis en place pour aider la transition énergétique des États.
Je reconnais au Gouvernement le talent de la préservation des apparences ; il a entraîné la communauté internationale par le verbe alors que nous sommes nous-mêmes bien peu exemplaires - je pense au recul piteux sur l'écotaxe. J'espère que le Gouvernement, coutumier des zigzags, empruntera la bonne direction au cours des mois qui lui restent et que le débat pour l'alternance nous épargnera toute trumpisation.
Quarante ans après le premier sommet mondial sur le climat, aucun mécanisme global n'a encore enrayé la machine infernale. C'est au niveau local que des initiatives sont prises par les collectivités et les citoyens, et elles sont confortées, c'est vrai, par les sommets. C'est pourquoi, nous ratifierons cet accord avec un certain enthousiasme. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Ségolène Royal, ministre . - Merci à tous pour la qualité de vos interventions. Les territoires sont manifestement en mouvement, villes comme territoires ruraux : cela permettra à la France d'être exemplaire et de peser dans les négociations à venir. Grâce aux initiatives du président du Sénat, le Parlement français est force d'entraînement.
Nous reviendrons lors de l'examen du projet de loi de finances sur un certain nombre de sujets, dont le prix du carbone. Nos entreprises ont commencé à se montrer exemplaires. Cent entreprises présentes mondialement se sont d'ores et déjà engagées dans la grande coalition que j'évoquais tout à l'heure.
Restons mobilisés pour traduire en actes cet accord, qui apportera du bien-être à toutes les populations de la planète. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Joël Guerriau . - Nous voterons la ratification de cet accord bien qu'il soit a minima, que sa ratification ne soit pas acquise partout et que les cent milliards de dollars aux pays en développement ne soient pas garantis. Les parlements nationaux devront être vigilants.
M. Jean Bizet . - Je m'associe d'abord aux compliments adressés à notre diplomatie et au travail fourni depuis plus d'un an, après l'échec de Copenhague. Le passage d'une méthode ex cathedra à un processus bâti sur des contributions volontaires a porté ses fruits et l'affrontement nord/sud a été heureusement dépassé.
Je regrette l'absence d'un mécanisme d'évaluation, à défaut de sanctions, et de la mention d'un prix du carbone au niveau mondial. Pire, madame la ministre, je déplore votre incohérence : vous ne respectez pas au plan national ni la directive sur la circulation des poissons, ni celle relative à la qualité des eaux. Ce n'est pas admissible. Ne l'est pas davantage la baisse des crédits de recherche, si importants pour notre avenir.
Ne partageant pas cette béatitude environnementale, je suis contraint de m'abstenir.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères . - Je comprends les réserves des uns ou des autres mais il faut reconnaître que, dans un monde si dangereux, où il y a tant de tensions et de querelles, le seul fait qu'un aussi grand nombre de pays s'accordent sur un diagnostic est un motif de satisfaction. (Applaudissements à gauche, au centre et sur de nombreux bancs à droite) Autre lueur d'espoir : le succès du multilatéralisme. Songez que la Chine participe désormais au financement de l'ONU... J'y vois un facteur de paix.
Troisième motif d'espoir : pour une fois, la société civile, les collectivités territoriales, l'État, la représentation nationale se sont associés pour défendre la même cause. Tout ce qui sépare l'élu de l'électeur est un danger pour la République.
Il ne faut pas, enfin, bouder notre plaisir... Quand de grands journaux de pays amis listent les raisons de ne pas venir en France, le succès de l'accord de Paris donne une image positive de notre pays, une image d'espoir et de rassemblement. L'image de la France est importante pour tous les Français, pour l'activité, pour l'emploi. Voilà qui me suffit pour voter la ratification... (Applaudissements)
L'article unique constituant le projet de loi est définitivement adopté.
(Applaudissements)
La séance, suspendue à 16 h 25, reprend à 16 h 30.