Accord avec l'Italie : Lyon-Turin (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l'engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - La liaison ferroviaire Lyon-Turin, projet né il y a trente ans, connaîtra avec cet accord une étape décisive. Cet accord, signé le 24 février 2015, complète ceux de 2011 et 2012. Il valide les derniers travaux et précise le financement et les règles de passation de marchés pour éviter toute infiltration mafieuse.
Ce projet répond à un risque de transfert de flux de la Grande-Bretagne et du Benelux vers l'Italie via la Suisse et l'Autriche, après la mise en service du tunnel du Saint-Gothard et dans la perspective de celle du Brenner, en construction.
Ce tunnel confortera la place de la France au coeur de l'Europe et sera bon pour la compétitivité de notre économie. Il ne s'agit pas seulement de relier Lyon et Turin ou Paris et Milan, mais de rapprocher deux grandes régions européennes. C'est aussi une grande infrastructure européenne entre péninsule ibérique et Slovénie vers l'Europe centrale, mettant la France au coeur des flux. Chaque année, 2,7 millions de poids lourds traversent les Alpes, occasionnant une pollution grave. Nous croyons à l'avenir du transport ferroviaire, y compris par le fret, en accord avec nos engagements à la Convention alpine de 1991 et à la COP21.
Le report modal, pour les voyageurs comme pour le fret, renforce également la sécurité - nous nous souvenons des catastrophes récentes sur les infrastructures routières. Le tunnel du Mont-Cenis, datant de 1871, ne peut pas suffire.
Le budget de ce projet est arrêté à 8,3 milliards d'euros. L'Europe y contribuera à hauteur de 40 %, soit le maximum autorisé, débloquant 813 millions d'euros sur la période 2014-2019 ; l'Italie à hauteur de 35 % ; la France 25 %. Au total notre contribution s'élèvera à 2,21 milliards d'euros, en valeur 2012.
La partie française du tunnel de base sera financée par le Fonds de développement d'une politique intermodale des transports dans le massif alpin et par l'Afitf. Nous ne pouvions pas laisser passer ce financement européen : nous nous sommes battus pour que le Lyon-Turin soit reconnu prioritaire ; il fallait ensuite montrer que la France était prête à le réaliser. Le règlement des contrats, d'une extrême rigueur, permet d'écarter toute entreprise suspectée de liens avec une organisation mafieuse.
En Italie, le Sénat et l'Assemblée nationale ont adopté cette convention, respectivement le 16 novembre et le 20 décembre. M. Sergio Mattarella, le président de la République italienne l'a promulguée. La France doit faire de même.
Cet accord est un acte de foi dans le rapprochement entre la France et l'Italie et dans le projet européen lui-même. Nous ne pouvons pas laisser passer cette opportunité. La ratification de cet accord s'impose. (Applaudissements)
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Je remercie le président Carrère de m'avoir confié ce dossier.
Le projet phare de la coopération franco-italienne qui nous rassemble aujourd'hui ajoutera à la Maurienne et au Fréjus une ligne de plaine plus compétitive. Ce tunnel de quelque 57,7 kilomètres dont 45 en France et 12 en Italie sera réalisé d'ici 2029.
Des galeries de reconnaissance ont été creusées. Le protocole de mars 2016 fixe le coût à un peu plus de 8 milliards d'euros. La commission a accordé une subvention de 813 millions d'euros pour 2014-2019 ; espérons qu'elle continuera après cette date. Il est prévu qu'elle assure 40 % du financement, l'Italie 35 %, la France 25 %.
La France doit garantir un financement de 200 millions d'euros par an sur douze ans, chiffre à rapporter aux 15 milliards qu'elle consacre chaque année aux transports.
Quid des conclusions de la mission Destot-Bouvard à propos d'un surpéage autoroutier dont bénéficierait l'Afitf ? Le financement français n'est pas sécurisé à long terme.
L'accord comporte des dispositions anti-mafia avec une liste blanche d'entreprises. Les Italiens ont la possibilité d'inscrire les entreprises sur des listes blanches ou noires. En France, nous ne pouvons écarter que les entreprises déjà condamnées. Espérons que cela n'occasionnera pas de QPC. Le préfet français pourra-t-il remplir sa mission ? Tracfin ne peut pas l'informer directement !
Les flux routiers représentent 90 % des flux avec 2,5 millions de poids lourds. Il faut une politique globale en faveur du fret ferroviaire si nous voulons que cette ligne soit utilisée de manière intermodale. Sans mobilisation de l'État, la ligne pourrait être vide.
Le train, quatre à cinq fois moins polluant que le transport routier, permettra d'éviter les pics de pollution qui se multiplient dans les Alpes. Cette ligne renforcera les échanges entre péninsule ibérique et Italie et Slovénie. Ce sera le seul grand tunnel alpin est-ouest.
Les aménagements suisses ou autrichiens ont déjà fait basculer hors de France les flux Benelux-Italie. Il faut veiller à éviter la finistérisation de la France - sans offense à nos collègues bretons.
Le Lyon-Turin devra être accompagné d'aménagements, à la charge de l'État, mais aussi de la région. (Applaudissements)
M. Bernard Vera . - Près de trois millions de poids lourds par an soit 7 500 par jour saturent les vallées alpines et occasionnent des accidents comme dans les tunnels du Mont-Blanc en 1999 ou du Fréjus en 2005. La Savoie est le département le plus pollué de France. Depuis 1970, la part modale est passée de 70 à 10 % pour le train. Le goulet d'étranglement de Saint-Jean-de-Maurienne sature la ligne classique.
L'Union européenne ne s'y est pas trompée en 1994, quand elle a mis cette ligne dans sa liste des infrastructures prioritaires. Il s'agit d'une dynamique européenne, un investissement économiquement, socialement et écologiquement utile. Cette ligne diminuera le temps de transport pour les voyageurs, diminuera les pollutions locales, améliorera la desserte locale et créera de l'emploi.
Le groupe communiste républicain et citoyen est en faveur des transports rapides et moins polluants. (Applaudissements)
M. Jean-Noël Guérini . - La France et l'Italie ont des relations bilatérales fortes. Le Lyon-Turin est le signe d'une Europe unie capable d'améliorer la vie de ses citoyens. Après des débuts laborieux, ce projet fait l'objet d'un troisième accord qui fixe, grâce à une certification indépendante, le coût final du projet à 8,3 milliards en valeur 2012. La part de la France s'élève à 25 %. La participation de l'Union européenne à 40 % a été confirmée. Les enjeux sont de taille : ce projet assurera une desserte plus efficace des zones alpines, tant pour les voyageurs que pour le fret ; il facilitera les échanges commerciaux, y compris locaux, en déchargeant les autres infrastructures dans des conditions de sécurité accrues ; il permettra un report modal qui aidera la France à tenir ses engagements de réduction des gaz à effet de serre.
Le groupe RDSE le soutient à l'unanimité. (Applaudissements)
Mme Leila Aïchi . - Nous sommes en faveur du renforcement des infrastructures ferroviaires et au report modal. Mais le Lyon-Turin est-il utile ? Les prévisions initiales de report ont été surévaluées : les prévisions sont passées de 19 à 4,5 millions de passagers et de 35 millions de tonnes à 22 millions de tonnes dans les dernières années. Bref, si ce projet avait un sens au début des années 1990, c'est son utilité dans les années à venir, que nous contestons.
La voie ferroviaire existante est utilisée à moins de 20 % de sa capacité. Alors que de nombreuses lignes sont encore en voie unique, le doublement des voies et leur sécurisation pourraient suffire pour absorber une grande partie du trafic routier dans la région.
La direction du Trésor évalue le projet global à 26 milliards d'euros contre les 2,1 milliards initialement prévus. Pour la seule section transfrontalière, le coût est estimé à 8,3 milliards d'euros contre 4,5 initialement. Dès 1998 le Conseil général des ponts et chaussées mettait en garde contre la faible rentabilité socio-économique de ce projet et l'absence de financement. Le Commissariat à l'investissement devrait mener une contre-expertise indépendante de l'évaluation socio-économique pour tout projet supérieur à 100 millions d'euros et donc pour le Lyon-Turin.
Le contribuable est-il en capacité de soutenir une telle charge ? Le président de la SNCF l'a dit : ces milliards seront en moins pour le reste du réseau.
La quasi-totalité des membres du groupe écologiste voteront contre ce texte.
Mme Corinne Bouchoux. - Très bien !
Mme Éliane Giraud . - Quand la France tousse à cause de la pollution, en particulier dans les vallées alpines, ce projet serait-il inutile ? Une infrastructure du XIXe siècle serait-elle capable de transporter les tonnages d'aujourd'hui ? Les Suisses ont largement subventionné les infrastructures ferroviaires.
Une offre de transport ferroviaire réduit la consommation d'énergie et incite au report modal. Le Lyon-Turin est indispensable pour concurrencer le Saint-Gothard. Il améliorera la sécurité. Les longs tunnels routiers alpins sont fragiles, les accidents qu'ils ont connus en attestent. Le Lyon-Turin permet pour l'Union européenne un rééquilibrage entre l'Europe du Sud et l'Europe du Nord, entre l'Europe latine et l'Europe anglo-saxonne.
Les trafics voyageurs seront nettement améliorés entre Paris et Milan. Les gouvernements successifs ont fait en sorte que l'Europe finance ce projet à 40 %. Il ne représente que 200 millions par an pour la France, chiffre à comparer avec les 15 à 20 milliards par an d'investissements ferroviaires.
Il est étonnant d'entendre ceux qui réclament des grands travaux pour améliorer l'emploi dénigrer ce projet.
Il faut aujourd'hui travailler en parallèle pour améliorer l'ensemble des infrastructures. (Applaudissements sur tous les bancs à l'exception du groupe écologiste)
M. Jean-Pierre Vial . - Cet accord vient autoriser les derniers travaux d'une des plus grandes infrastructures du monde, soutenue avec passion par le rapporteur et la quasi-unanimité du Sénat ; je regrette que les écologistes posent toujours les mêmes questions, auxquelles nous avons répondu depuis longtemps. Le corridor européen concerne 18 % de la population et 17 % du PIB de l'Europe. La France et l'Italie ont 70 milliards d'euros d'échanges. Les flux alpins s'élevaient à 60 millions de tonnes en 1985, ils représentent 160 millions de tonnes aujourd'hui. Le trafic des poids lourds est en hausse constante, encore plus 6 % en 2015-2016.
L'Italie finance 35 % alors que les deux tiers du tunnel sont sur le territoire français. L'enjeu est énorme : il s'agit de faire passer de 9 à 40 % la part du rail dans le transit transalpin - soit 1,5 million de tonnes de CO2.
La semaine dernière, un grand quotidien présentait la « nouvelle route de la soie », qui relie l'Allemagne et la Chine. La France ne doit pas se disqualifier sur son flanc sud comme elle l'a fait sur sa façade atlantique. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception du groupe écologiste)
M. Vincent Capo-Canellas . - Ce dossier a connu bien des difficultés jusqu'ici. Nos deux pays peuvent espérer de nombreuses retombées de ce projet.
Son objectif est de réduire le temps de transport, d'encourager le report modal et de stimuler les échanges à travers les vallées alpines, sachant que 85 % des échanges entre France et Italie sont aujourd'hui routiers.
Ce projet s'inscrit dans une politique de développement durable des Alpes ; il réduira les émissions polluantes liées au trafic routier et les nuisances sonores. Il s'inscrit dans le corridor transeuropéen, reliant l'Europe du sud à l'Europe centrale ; il contribuera à la croissance européenne et l'Union européenne assure son financement à hauteur de 40 %.
Si le coût est certifié à 8,3 milliards en valeur 2012, la Cour des comptes a émis des doutes sur la rentabilité du projet et sur son coût. Je salue les réflexions de Michel Destot et Michel Bouvard pour trouver des sources de financement alternatives. (Applaudissements)
M. Michel Bouvard . - Ce projet fait l'objet d'un beau consensus républicain ayant rassemblé quatre chefs d'État depuis François Mitterrand, consensus que Manuel Valls a fait vivre en nous confiant à Michel Destot et moi-même, une mission sur ce sujet.
À nos collègues écologistes, seuls à partager l'opposition du Front national à ce projet, je redis qu'il n'y a pas d'alternative à ce projet, sauf si l'on considère que les échanges entre la France et l'Italie sont marginaux, sauf si l'on accepte le déclin de nos ports, au profit des ports de l'Europe du Nord. (M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur, renchérit) La ligne historique existante, réalisée par Cavour au nom du petit royaume de Piémont-Sardaigne financièrement affaibli au lendemain de la défaite de 1848, ne permet pas de laisser passer des convois de plus 1 600 tonnes, et encore, avec trois locomotives et à 30 km/heure. C'est un non-sens écologique, alors que le trafic routier est en forte hausse dans tous les tunnels.
Pourquoi refuser un projet où l'effet de levier, grâce au financement européen, est de un pour quatre, alors que le tunnel est à 80 % en France ?
L'abandon de l'écotaxe a été un mauvais signal. Il faudrait une Eurovignette, comme pour le Brenner. J'espère que nous trouverons des solutions pérennes. (Applaudissements sur tous les bancs sauf ceux du groupe écologiste)
La discussion générale est close.
L'article unique est adopté ; en conséquence, le projet de loi est adopté.
La séance, suspendue à 11 h 35, reprend à 11 h 45.