Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains) Nous achevons l'élaboration d'un texte posant un grand nombre de difficultés.
Il nous revient après accord en CMP. Puisque c'est la fin de ce débat, je veux revenir sur une question fondamentale, qui est presque un préalable : faut-il lever l'état d'urgence ?
M. Charles Revet. - Question importante !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Si l'état d'urgence donne une efficacité maximale à la lutte contre le terrorisme, c'est parce que ses mesures sont temporaires, soumises au contrôle du Parlement et du juge administratif. Faut-il aujourd'hui le lever ?
À l'aune des libertés fondamentales, la loi permanente ne peut donner à l'État les mêmes pouvoirs que la loi d'exception.
Le Gouvernement a-t-il réellement des raisons de penser que la menace terroriste s'est suffisamment atténuée pour privilégier un état d'urgence dégradé ? Cette loi présente deux caractéristiques : elle donne moins d'armes que l'état d'urgence pour lutter contre le terrorisme, tout en étant plus contestable au point de vue des libertés.
Nous ne sommes nullement hostiles par principe à un durcissement de la loi ni à un renforcement de l'autorité administrative. Nous l'avons fait récemment, avec la loi sur le renseignement. Nous l'avons fait dès février 2015, après les terribles attentats de janvier...
M. Jacques Grosperrin. - C'était une très bonne mesure !
M. Philippe Bas, rapporteur. - ...alors que le Gouvernement de l'époque annonçait une loi contre le terrorisme, notre texte était prêt. Nos propositions ont finalement été reprises intégralement, quoiqu'avec retard, dans les lois du 3 juin 2016 et celle du 21 juillet 2016 prorogeant l'état d'urgence. Il y a ensuite eu les attentats de Nice.
L'arsenal législatif actuel résulte des travaux du Sénat. C'est dire combien il a à coeur de renforcer cette lutte.
Nous ne pouvions donc par principe récuser l'idée d'un nouveau renforcement des moyens de l'État que propose ce texte, bien au contraire. Ce que nous récusons, c'est l'idée qu'une telle législation puisse rendre désormais caduc l'état d'urgence. Il appartient au Gouvernement de prendre ses responsabilités.
Rapporteur du projet de loi en première lecture, notre éminent collègue, grand juriste et ancien garde des sceaux, Michel Mercier, s'était évertué à sauver ce texte sécuritaire en contenant strictement les restrictions aux libertés qui eussent pu encourir une censure du Conseil constitutionnel. Aller plus loin dans notre arsenal sécuritaire sans franchir la ligne rouge de l'atteinte durable à l'État de droit est une gageure.
Nous nous sommes donné du mal. En juillet, nous avons inventé une clause d'autodestruction : les mesures les plus restrictives tomberont d'elles-mêmes au bout d'un délai de trois ans. Si le Gouvernement veut les reconduire, il devra revenir devant le Parlement.
Quel que soit le nom que leur donne le Gouvernement, les assignations à résidence, les perquisitions administratives, les fermetures de lieux de culte ou la mise en place de périmètres de sécurité autour de manifestations publiques, où l'on ne peut entrer qu'en montrant patte blanche et en subissant des fouilles, ces mesures de restriction des libertés ne dureront donc, si vous me suivez, que trois ans. Leur éventuelle reconduction nécessiterait un débat au Parlement et auparavant, à l'initiative de l'Assemblée nationale, la transmission des informations factuelles sur leur application, ainsi que sur leur appréciation par le juge et leur utilité dans la lutte contre le terrorisme.
Je ne peux pas assurer que nous aurons un dispositif à la hauteur de celui de l'état d'urgence, mais je peux du moins assurer que si le Gouvernement ne nous demandait pas la prorogation de l'état d'urgence, nous pourrons par le dispositif que nous allons adopter renforcer la lutte contre le terrorisme sans pour autant mettre en péril nos libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur de nombreux bancs du groupe UC)
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur . - La CMP est parvenue à un accord dont le Gouvernement se réjouit. Je me félicite que les deux assemblées soient parvenues à un texte commun sur un sujet aussi important. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous ne sachions pas nous rassembler. Je remercie le Sénat pour le sens de la responsabilité dont il a fait preuve.
Le texte avait largement rassemblé : 229 voix pour au Sénat, 415 voix à l'Assemblée nationale.
Je remercie l'ensemble des sénateurs qui ont enrichi le texte. M. Bas tout d'abord qui a repris au pied levé, avec son talent habituel, (Sourires sur quelques bancs du groupe SOCR) la place de M. Mercier...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce n'est pas une bonne place !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je salue le travail effectué par M. Mercier pour sa contribution déterminante aux travaux sur la sécurité. Son expertise et sa créativité manqueront. Je remercie aussi la commission des affaires étrangères et de la défense et son rapporteur pour avis, M. Boutant.
Des centaines d'amendements ont été étudiés. Ce texte a été fortement discuté et débattu. Il n'allait pas de soi, tant la sortie de l'état d'urgence était difficile à envisager alors que la menace terroriste est toujours présente. Souvenons-nous de Maurane, 20 ans, et Laura, 22 ans, victimes à Marseille, le 1er octobre, d'un acte lâche et barbare, parce qu'elles se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment.
Les bonbonnes de gaz découvertes dans le hall d'un immeuble du XVIème arrondissement de Paris, ou le projet d'attentat fomenté dans un établissement pénitentiaire de la région parisienne nous rappellent l'acuité de cette menace.
Je salue le dévouement, le professionnalisme et l'efficacité de nos forces de sécurité intérieure et des services de renseignement qui ont tout fait pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Depuis le début de l'année, cinq attaques ont coûté la vie à trois personnes ; cinq projets d'attentats ont échoué et treize ont été déjoués par l'action de nos services. La menace terroriste évolue, change de nature. Hier orchestrée par le prétendu État islamique depuis les territoires qu'il contrôlait, elle est aujourd'hui endogène et durable.
Qu'était-il possible de faire dans un tel contexte ? Prolonger pour une septième fois l'état d'urgence ? Cette option a été vigoureusement défendue par le groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale qui a accusé le Gouvernement de désarmer l'État. C'est infondé.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il va falloir le démontrer !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Le Gouvernement fait sienne la formule du Conseil d'État : « l'état d'urgence est un régime de pouvoirs exceptionnels ayant des effets qui, dans un État de droit, sont par nature limités dans le temps et l'espace. »
Le Gouvernement estime qu'il convient, après deux années d'application de ce régime juridique exceptionnel, de sortir de l'état d'urgence tout en réfléchissant aux outils pouvant faire défaut à nos services pour lutter contre la menace terroriste.
Ce texte est exclusivement destiné à lutter contre le terrorisme pour ce qui concerne ses quatre premiers articles, qui ont été les plus débattus. Contrairement aux mesures de police administrative de l'état d'urgence, ces nouveaux outils ne permettent pas de lutter contre des menaces à la sécurité et à l'ordre publics mais sont prévus « aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme ».
Certes, nous ne pouvons prétendre éviter ainsi tout nouvel attentat ; mais nous avons vu que l'état d'urgence ne constitue pas, lui non plus, un bouclier suffisant contre le terrorisme. Avec ce texte, nous mettons de notre côté toutes les chances de prévenir en amont la commission d'actes de terrorisme.
Prévention de la radicalisation par des fermetures de lieux de culte où des idées de haine et de violence seraient propagées, surveillance d'individus, voire visite domiciliaire, sont autant de mesures qui y contribuent.
Je me réjouis de la rédaction consensuelle de l'article premier. Les terroristes ne nous feront pas renoncer à notre mode de vie.
La formulation de l'article 2 issu de la CMP est particulièrement satisfaisante. Le Gouvernement a agi avec discernement : dix-huit lieux de culte fermés depuis le 14 novembre 2015 ; seuls dix le sont encore.
À l'article 3, relatif au contrôle administratif et à la surveillance, la CMP est parvenue à un texte équilibré. Merci au Sénat de s'être rallié à l'opinion du Gouvernement.
La navette a renforcé les garanties des libertés, le contrôle ne pouvant s'appliquer plus d'un an, avec des possibilités de recours garanties pour ceux qui en sont l'objet.
À l'article 4, qui organise les visites et saisies, le Gouvernement salue l'équilibre de la rédaction retenue et s'y rallie.
Avant le 31 décembre 2020, les quatre premiers articles du texte seront évalués.
À l'article 10, un amendement réduisant le périmètre de contrôle autour des points d'entrée du territoire à dix kilomètres a été adopté à l'initiative du rapporteur du Sénat. Cela renforce le caractère proportionné de ces mesures.
Nous touchons au but de ce processus législatif. Le Gouvernement vous invite à approuver les conclusions de la CMP.
Si le 1er novembre nous sortons de l'état d'urgence grâce à cette loi, nous maintiendrons un haut niveau de protection contre le terrorisme. Il n'est pas question de nous désarmer contre l'ennemi, au contraire : ce texte parachève l'édifice législatif patiemment construit par le Parlement, et en particulier par le Sénat, depuis trois ans, pour garantir le meilleur niveau de sécurité à nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UC ainsi que sur certains bancs du groupe Les Républicains)
Le scrutin pour l'élection des juges titulaires et suppléants à la Cour de justice de la République est clos.
M. Philippe Bonnecarrère . - Ce projet de loi aura montré la pertinence du bicamérisme. La CMP est parvenue à un accord satisfaisant. Le groupe UC, fidèle aux enjeux d'unité nationale et d'efficacité, soutient ce texte pour deux raisons : la nécessaire sortie de l'état d'urgence et la pertinence d'intégrer les mesures utiles de l'état d'urgence dans notre droit commun.
Au 1er novembre 2017, notre pays aura vécu deux ans sous l'état d'urgence. Cela ne pouvait durer davantage : il fallait en sortir sans désarmer l'État de droit. Ce projet de loi nous fait revenir à un cadre juridique classique et hiérarchisé.
La CMP a validé les avancées de notre Haute Assemblée sur plusieurs points. La clause d'autodestruction élargie, un des principaux apports du Sénat, a été préservée. Le dispositif pourra être prorogé, pérennisé et réécrit en fonction de l'évolution des menaces.
Nous sommes parvenus au bout du processus législatif avec un véritable arsenal juridique puisque huit lois ont été adoptées en quatre ans. Nous sommes arrivés aux limites de la créativité juridique acceptable, de l'équilibre entre sécurité et libertés publiques. Le droit administratif a évolué vers la sanction, le droit pénal intervient très en amont du passage à l'acte, au point de friser la notion de prévention.
Tout est maintenant une question de mise en oeuvre. Comment assurer l'efficacité de la chaîne pénale pour les personnes de retour de la zone irako-syrienne, et comment traiter la future libération de djihadistes qui pourraient avoir pour seul désir de se transformer en bombes humaines ? Des réponses à ces questions dépend notre sécurité à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RTLI, RDSE et LaREM)
M. Jacques Bigot . - Merci au président Bas, qui a repris le flambeau des mains de Michel Mercier.
Candidat, le désormais président de la République s'était engagé à sortir de l'état d'urgence. Il continue à l'affirmer : le vote de ce texte répond à cette promesse. Mais si l'on sort de l'état d'urgence, on ne sort pas pour autant du terrorisme. Son prédécesseur annonçait, le 14 juillet 2016, la fin de l'état d'urgence ; le soir même avait lieu l'attentat de Nice, qui allait conduire à sa prorogation. Jusqu'alors, on pensait que la loi adoptée le 3 juin 2016 nous dotait des outils nécessaires...
En novembre 2016, dans son livre Révolution, Emmanuel Macron affirmait qu'il n'y avait plus besoin de l'état d'urgence puisque tout était dans le droit commun. En réalité, ici, on verse l'état d'urgence dans ce dernier. Le drame de Marseille n'a pas été évité par l'état d'urgence, il ne l'aurait pas été davantage sous ce texte. Inutile également de chercher querelle à la préfecture du Rhône. Essayons tous d'être constructifs.
Je partage le point de vue exprimé par le président de la République dans son livre, après l'adoption des lois du 21 décembre 2012, du 18 décembre 2013, du 24 juillet et du 30 novembre 2015, du 3 juin 2016...
Il est politiquement difficile de sortir de l'état d'urgence, donc en réalité on y reste, avec des mesures qui cesseront au 31 décembre 2020 - à la nuance près que l'automaticité de leur reconduction pourra se déduire d'un simple article dans un texte de loi, quel qu'il soit.
Nous devrons rester attentifs. En première lecture, le groupe socialiste était favorable à l'article 2 sur la fermeture de lieux de culte, la rédaction retenue permettant un contrôle du juge administratif a priori et une saisie en référé. En revanche nous nous étions opposés aux deux articles d'exception. L'assignation à résidence, même rebaptisée, reste fondamentalement une mesure administrative ; elle est attentatoire aux libertés même si sa durée est limitée et que l'obligation de donner ses identifiants électroniques a heureusement été supprimée en CMP. Nous nous interrogeons sur sa constitutionnalité. Idem sur les visites domiciliaires, ni administratives ni judiciaires. Elles seront autorisées par un juge mais mises en oeuvre par l'administration. Faut-il se satisfaire que l'Assemblée nationale ait introduit un contrôle parlementaire dans les mêmes conditions que pour l'état d'urgence ? La notion de visite domiciliaire reste floue, mais les améliorations sont incontestables.
Nous étions contre le texte mais avons pris acte des avancées de la CMP. Reste la question de constitutionnalité, notamment sur l'article 10 relatif au périmètre de contrôle. Pourquoi le président de la République ne saisirait-il pas le Conseil constitutionnel au préalable, pour lever les doutes ? Nous serions alors heureux de contribuer à l'unité nationale en votant ce texte. Pour l'heure, prenant acte des évolutions constatées, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Alain Marc . - Je commencerai par une pensée pour les victimes du terrorisme et leurs proches et par un hommage à nos forces de sécurité dont je connais l'abnégation.
Par définition, l'état d'urgence doit rester temporaire. Le contexte pose la question de son maintien. En deux ans, nos capacités d'enquête se sont améliorées, nos forces de sécurité se sont renforcées. Il convient maintenant d'adapter notre droit commun à cette menace durable, en garantissant les libertés, comme le Sénat a eu à coeur de le faire.
Quatre mesures inspirées de l'état d'urgence - périmètre de protection, fermeture administrative des lieux de culte, surveillance administrative individuelle, visite domiciliaire - ont été introduites dans les quatre premiers articles. La CMP a élargi la clause d'autodestruction introduite par le Sénat à ces quatre mesures, qui seront en vigueur jusqu'au 31 décembre 2020 et soumises à un contrôle renforcé du Parlement.
Autre avancée, la suppression de l'obligation pour les personnes surveillées de transmettre leurs identifiants d'accès aux moyens de communication électronique, contraire aux droits fondamentaux.
Ce sont des progrès notables, qui concilient impératifs de sécurité et préservation des libertés individuelles. La France est une cible privilégiée car c'est le pays de la liberté et des Lumières.
M. Pierre-Yves Collombat. - De moins en moins !
M. Alain Marc. - Ce texte équilibré et responsable répond aux inquiétudes légitimes des citoyens et à ceux qui menacent nos valeurs républicaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe RTLI et sur plusieurs bancs des groupes RDSE et UC)
Mme Josiane Costes . - Faut-il intégrer l'état d'urgence au droit commun ou le laisser subsister au gré de reconductions illimitées ? Le Gouvernement ne prendra pas la responsabilité de lever l'état d'urgence sans introduire des mesures efficaces dans le droit commun ; le Parlement ne votera pas contre sa prorogation tant que la menace durera. Or le Gouvernement est seul capable d'évaluer la réalité de celle-ci.
Dans ces conditions, la majorité du groupe RDSE considère que la seule voie est de donner au Gouvernement la capacité d'agir, avec la responsabilité néanmoins des mesures qu'il devra assumer pleinement.
Notre soutien n'est pas sans réserve. Le groupe RDSE est attaché à la protection des libertés et au contrôle par l'autorité judiciaire.
M. Jean-Claude Requier. - Tout à fait.
Mme Josiane Costes. - Or les articles 1 à 4 introduisent des restrictions importantes à celles-ci, malgré les efforts pour préserver les garde-fous introduits par le Sénat.
Ces mesures doivent donc demeurer exceptionnelles et surtout ciblées sur le terrorisme.
Autre danger, le rôle réduit du juge judiciaire au profit du juge administratif qui se bornera à constater l'existence d'une note blanche. En l'absence de garanties procédurales, la garantie des droits reposera avant tout sur l'éthique des fonctionnaires.
Ces nouvelles dispositions s'ajoutent à celles adoptées depuis 2015. Nous sommes allés au bout de ce qu'autorise la Constitution. N'allons pas plus loin en permettant par exemple la constitution de forces de sécurité ad hoc ou l'incarcération préventive des fichés S.
Attention aux amalgames : nous regrettons le maintien de l'article 10 qui aurait davantage sa place dans un projet de loi relatif à l'immigration irrégulière.
Avec ces réserves, notre groupe votera en majorité ce texte, afin de donner au nouveau Gouvernement la possibilité d'assumer sa politique. Mais réfléchissons à l'effet cliquet des lois temporaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. Alain Richard . - Notre assemblée est devant une interrogation politique douloureuse : comment adapter notre législation face à un péril resté intense et que nous sommes obligés de juger durable ?
Le président de la République a annoncé son choix de mettre fin à l'état d'urgence, choix que nous sommes beaucoup à pouvoir partager car l'état d'urgence se détermine par son caractère exceptionnel. Avant d'y venir, il était normal de dresser un bilan et d'en tirer les leçons.
Dans ce projet de loi, deux mesures sont, en réalité, des mesures de police administrative bien établies : la fermeture de lieux de culte et les périmètres de protection. Elles n'attentent pas aux libertés et peuvent être prises sur le fondement du droit commun ; le projet de loi les encadre mieux, c'est un progrès.
Il en est autrement de deux autres mesures que l'on pourrait qualifier de « mesures actives de prévention » : la limitation de mouvements de personnes sous le contrôle du juge administratif et les visites et saisies domiciliaires sous le contrôle du juge des libertés et de la détention. Ceux qui ont participé au comité de suivi de l'état d'urgence le savent bien, il faut garder, même si nous en avons un besoin épisodique, ces outils d'interruption de préparatifs terroristes, étant entendu qu'ils sont maniés sous le contrôle des juges administratifs dont on ne peut contester ni l'indépendance ni la vigilance - ils l'ont démontré, par leurs décisions, durant l'état d'urgence. Qu'on se rassure sur leurs capacités techniques, le Conseil d'État a créé depuis peu une section spécifique. Ces mesures sont accompagnées d'un retour devant les assemblées à l'expiration d'une période de trois ans.
De là nous pouvons conclure à l'équilibre et à la pertinence de ces mesures nouvelles pour prévenir des attentats alors que les mouvements transfrontaliers vont aller s'intensifiant, comme les retours de zones de combat. J'ajoute qu'elles constituent une réponse à la surcharge des services de renseignement : la surveillance active d'un individu réclame dix à quinze agents. La limitation de mouvements, ce sont des capacités mieux utilisées face à une menace désormais mieux connue.
À chaque groupe, chaque sénateur de faire un choix face à un péril qui menace quotidiennement la République. Le groupe LaREM approuvera ce texte comme, je le crois, la plupart d'entre nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Éliane Assassi . - Il y a trois mois, je présentais une motion opposant la question préalable à ce projet de loi. Notre position, sans surprise, n'a pas varié. En aucun cas, la motion d'Éric Ciotti lors de la CMP ne doit servir d'argument au Gouvernement pour démontrer que son texte est équilibré entre sécurité et liberté.
Le Gouvernement s'est montré hermétique aux critiques des associations et des syndicats, mais aussi à celles du Défenseur des droits, des experts de l'ONU et encore à celles des parlementaires opposés à ce déferlement de mesures sécuritaires.
Les maigres améliorations proposées par notre commission des lois ont été acceptées in extremis. L'obligation pour une personne soumise à une mesure individuelle de surveillance de déclarer les numéros d'abonnement et les identifiants techniques de ses moyens de communication électronique, supprimée en CMP, était la mesure la plus inconstitutionnelle. En revanche, l'accord du juge des libertés et de la détention pour la retenue sur place des personnes dont le domicile est perquisitionné a été rejeté. L'économie générale du texte n'a pas été remise en cause.
En juillet, nous demandions un débat public. Quand comprendrons-nous que la prévention doit prévaloir sur la répression ? Le terrorisme n'est pas de ces menaces que le droit peut définitivement éradiquer. Et pour cause, il échappe aux règles de l'État de droit. Pour la énième fois, je le dis : le terrorisme se nourrit de la guerre du pétrole et du trafic d'armes. Il faut dénoncer le rôle trouble joué par les puissances régionales que sont la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar ainsi que les pratiques scandaleuses de certaines entreprises françaises, au premier rang desquelles Lafarge.
Nous l'affirmions dès le Congrès de Versailles de novembre 2015, la situation réclame une large coalition mondiale sous l'égide de l'ONU qui ait pour tâche de reconstruire ces régions et d'y installer une paix durable afin de permettre le retour de milliers de réfugiés. Au plan national, elle réclame de refonder le vivre ensemble par l'éducation, la culture, le renforcement du tissu associatif, et, parce que nous ne sommes pas dans l'angélisme...
M. François Grosdidier. - À peine !
Mme Éliane Assassi. - ...en soutenant nos forces de l'ordre épuisées par une politique du chiffre exacerbée...
M. François Grosdidier. - Ce n'est pas ça qui a engendré le terrorisme !
Mme Éliane Assassi. - Leur rôle est aussi d'être au plus près de la population, pour prévenir et lutter contre les délits et les crimes mais aussi toute forme de radicalisation en recueillant les renseignements à la source. Notre groupe soumettra à notre assemblée une proposition de loi visant à réhabiliter la police de proximité avant la fin de l'année.
L'heure est grave. Une fois ce projet de loi adopté, périmètre de sécurité, fermeture de lieux de culte et perquisitions administratives seront gravées dans le marbre de notre droit commun. Le groupe CRCE refuse de répondre à la terreur par la peur, aux atteintes aux libertés par moins de liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. François-Noël Buffet . - Il y a trois mois, jour pour jour, nous parlions de la pilule empoisonnée du terrorisme. Le principe de réalité nous oblige à constater que la menace perdure : le 9 août à Levallois-Perret, le 15 septembre dans une station de métro parisien, le 1er octobre à la gare Saint-Charles à Marseille. Dans le même temps, nous apprenons que plusieurs projets d'attentats ont été déjoués grâce à nos forces de renseignement - que je salue.
L'état d'urgence a vocation à rester exceptionnel et temporaire. Le Gouvernement considère qu'il n'y a pas lieu de le proroger ; notre groupe s'interroge profondément sur ce choix qui relève, il est vrai, de la responsabilité de l'exécutif.
La majorité sénatoriale accepte ce texte avec les convictions qui sont les siennes : le droit commun ne doit pas être dérogatoire aux libertés publiques. C'est dans ce sens qu'a travaillé notre rapporteur ; c'est ainsi que notre commission des lois avait examiné la loi du 3 juin 2016 qui reprenait les propositions que faisait le président Philippe Bas dès février 2016. Nous avons apporté des outils juridiques et techniques pour répondre au manque manifeste de moyens et de procédures, constatés après les attentats de novembre 2015. Pour ne citer que quelques exemples : la création de deux délits terroristes - le délit d'entrave au blocage des sites incitant à la commission d'actes de terrorisme et le délit de consultation habituelle de tels sites, l'allongement de la période de sûreté de 22 à 30 ans, l'obligation de suivi socio-judiciaire pour assurer une prise en charge de la radicalisation ou encore l'élargissement des facultés de recours aux perquisitions nocturnes dès le stade de l'enquête préliminaire ou en cas de flagrance.
Le groupe Les Républicains continuera de soutenir les textes contre le terrorisme et la grande délinquance, notamment ce projet de loi qui, nous l'espérons, contribuera à élever notre niveau de protection contre le terrorisme.
Le Sénat a joué son rôle de gardien des libertés fondamentales. En limitant le champ d'application de cette loi « aux fins de prévenir des actes de terrorisme », notre législation de droit commun diffère de l'état d'urgence qui peut être mis en oeuvre pour tout motif sécurité public. En introduisant la fameuse « clause d'autodestruction » imposant une limite de validité au 31 décembre 2020 des quatre mesures emblématiques du texte, le Sénat a programmé l'obsolescence d'un droit nécessaire à un moment donné de l'histoire. En accroissant le contrôle parlementaire au moyen d'une information sans délai du Parlement ainsi que la remise annuelle d'un rapport détaillé au Parlement sur l'application des dispositions les plus attentatoires aux libertés, cette loi renforce notre démocratie.
Cet après-midi, le président de la République s'exprime sur les moyens qu'il entend donner aux forces de sécurité de notre pays. Gageons qu'ils seront à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs des groupes UC et RTLI)
Mme Nathalie Goulet . - J'ai été la première à demander, en juin 2014, une commission d'enquête sur les réseaux djihadistes. Ses travaux ont été malheureusement fort utiles.
Ce texte suffira-t-il à lutter contre la menace ? Je n'en suis pas certaine. C'est la guerre de l'obus et du blindage, nous sommes dans la réaction systématique. On multiplie les contrôles, les textes sur le renseignement - au passage, les décrets de la loi sur le renseignement de 2016 n'ont pas tous été pris, les ingérences dans la vie privée mais on prive les communes des éléments essentiels de contrôle : la délivrance des cartes nationales d'identité et les autorisations de sortie. Pourquoi refuser d'étendre le système alsacien des déclarations domiciliaires ? Vous voulez fermer des mosquées mais ce n'est pas là qu'a lieu la radicalisation. Qu'avez-vous fait pour la formation des imams et des aumôniers ? L'islam du Maroc serait celui du juste milieu mais on sait le rôle qu'a joué un imam marocain dans les attentats de Barcelone. Qu'allons-nous faire des 12 000 personnes radicalisées ? Des officines de prévention de la radicalisation ? Il faut de l'argent pour Europol, pour Frontex, pour nos services de lutte antiterroriste et un PNR efficace.
Pour finir, une proposition iconoclaste : Mme Parly a dit tout haut ce que beaucoup pensent, nous ne pouvons pas ramener sur notre territoire les djihadistes français de Rakka. En revanche, nous ne pouvons pas ne pas les juger. Eh bien, créons pour eux un tribunal pénal international ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs des groupes RTLI et Les Républicains)
La discussion générale est close.
Mme la présidente. - Conformément à l'article 42, alinéa 12, du Règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
À la demande du groupe CRCE, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°1 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 266 |
Pour l'adoption | 244 |
Contre | 22 |
Le projet de loi est définitivement adopté.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur la plupart des bancs des groupes UC et RDSE et sur quelques bancs du groupe SOCR)