Recherche et exploitation d'hydrocarbures (Nouvelle lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement.
Discussion générale
M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - À l'issue du One Planet Summit, la Banque mondiale a annoncé qu'elle ne financerait plus la production d'hydrocarbures dès 2019 : cela n'aurait pas été envisageable il y a quelques mois encore, sans l'accord de Paris et sans notre détermination commune à mettre en oeuvre les actions indispensables à la protection du climat - et de tout ce qui est essentiel à la vie.
Lors de nos débats en première lecture, vous vous interrogiez sur la capacité de la France à entraîner d'autres États. À quoi bon faire les choses seul en ce domaine, demandiez-vous ? Vous avez la réponse. La France a également été en pointe sur la fin de la vente de voitures thermiques d'ici 2040, puisque d'autres pays ont fait, depuis, des annonces analogues, avec des délais souvent plus courts. Preuve que la cohérence paye, qu'une immense majorité s'engage sur le chemin inexorable de la sortie des énergies fossiles.
Lors de ce sommet, 16 pays et 32 villes se sont engagés dans la coalition pour la neutralité carbone d'ici 2050 : le bilan de leurs émissions sera, à cette date, au pire neutre, au mieux négatif.
Je sais qu'ici personne ne conteste l'objectif des 2 degrés fixé à Paris : impossible de l'atteindre sans sortir des énergies fossiles. Non seulement nous ne sommes pas seuls dans notre détermination, mais nous avons lancé une dynamique. De plus en plus d'acteurs s'engagent à réduire leur consommation.
À la COP23, la France a rejoint la coalition pour la sortie du charbon, qui rassemble à présent cinquante acteurs, États, villes, entreprises, dont EDF et Engie. De nombreuses villes, dont Paris, Los Angeles, Mexico, Londres ou Quito se sont engagées à développer des zones zéro émission, et à n'acheter que des bus zéro émission en 2025. Qu'on le veuille ou non, la fin des énergies fossiles s'écrit sous nos yeux.
Ce projet de loi vous revient car il n'a malheureusement pas été possible de trouver un accord avec l'Assemblée nationale. Une motion tendant à opposer la question préalable a été votée en commission le 13 décembre. Deux visions s'opposent : celle qui assume le choix du Gouvernement d'engager la transition énergétique pour retrouver notre souveraineté, et celle qui réclame de nombreuses dérogations - pour l'outre-mer, la recherche, les usages non énergétiques, les permis déjà déposés... Ce serait renoncer à introduire dans notre droit les principales conséquences de l'accord de Paris.
Le président de la République l'a dit le 12 décembre dernier : en l'étant, nous sommes en train de perdre la bataille climatique. Allons-nous céder à la tentation du fatalisme, ou mettre fin aux tergiversations ?
Je vous invite à poursuivre sereinement nos échanges, à débattre des ultimes améliorations à apporter à ce texte. Je sais cette chambre capable de magnifiques consensus. C'est ici qu'a été adoptée la loi Jacob sur le gaz de schiste, qu'ont été enrichies des lois sur la transition énergétique et sur la biodiversité. Je vous invite à faire entrer l'accord de Paris dans notre droit et ainsi écrire une nouvelle page de l'histoire de la lutte contre le changement climatique. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants, SOCR et RDSE)
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission des affaires économiques . - La position du Sénat a été injustement caricaturée. Dès lors que nous ne partageons pas l'approche du Gouvernement, qui préfère interdire une production nationale résiduelle plutôt qu'agir sur la consommation, nous aurions pu nous opposer frontalement. La commission a plutôt cherché à améliorer le texte.
Au lieu de cela, notre commission a cherché à améliorer le texte. Nous avons pris au mot le Gouvernement qui prétendait ne s'occuper que d'énergie, en confrontant ses propositions au terrain.
Nous avons visé l'équilibre avec les nécessités sociales et politiques.
Trop d'exonérations affaibliraient le message politique ? Au contraire, l'approche dogmatique du Gouvernement manquera sa cible, la réduction des gaz à effet de serre ; j'en profite pour vous dire, Monsieur le Ministre, que le Gouvernement n'a pas le monopole de la lutte contre le changement climatique.
Le Sénat est plus que jamais déterminé à lutter contre le réchauffement climatique : en luttant pour la place du nucléaire, la taxation du carbone, le développement de l'autoconsommation et le soutien aux énergies renouvelables.
Non, il n'y a pas d'un côté les vertueux et de l'autre les rétrogrades - et nous n'avons pas au Sénat, comme le prétend le rapporteur de l'Assemblée nationale, « une vision défensive et passéiste » de la transition énergétique et nos amendements n'ont pas « manifesté une incompréhension préoccupante des objectifs comme de la portée du texte ».
En fait, ce projet de loi n'aura d'autre effet que de mettre fin au produire en France, en dégradant la balance commerciale et le bilan carbone au prétexte d'envoyer un improbable signal au monde.
Nous avions, au contraire, défendu une vision pragmatique et ambitieuse, qui développe nos filières industrielles tout en accompagnant leurs mutations pour réduire nos émissions. C'était le sens, en particulier, des dérogations que nous avions créées ou étendues en faveur des hydrocarbures à usage non énergétique, des productions connexes ou de la recherche. C'est ce même pragmatisme qui nous avait conduits à autoriser les régions d'outre-mer à exercer la compétence qui leur est théoriquement dévolue pour exploiter les ressources présentes au large de leurs côtes, et contribuer ainsi à leur développement économique et social. C'est enfin pour faire respecter la parole de l'État que nous avions souhaité un traitement moins brutal des demandes en cours d'instruction, et pour assurer un profit minimal aux exploitants que nous avions amendé l'encadrement du droit de suite. L'Assemblée nationale a rétabli son texte...
M. Ronan Dantec. - Elle a bien fait !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. - Seul changement notable par rapport à cette version, l'adoption d'une définition nouvelle des techniques dites « non conventionnelles » posera sans doute des difficultés d'interprétation qui pourraient remettre en cause des méthodes autorisées jusqu'à présent.
Au-delà des hydrocarbures, ce texte comportait des dispositions plus techniques sur lesquelles les députés nous ont suivis, notamment pour réformer le stockage souterrain de gaz naturel ; conforter le régime d'indemnisation des producteurs d'énergies marines renouvelables en cas d'indisponibilité du raccordement ; mieux encadrer la notion nouvelle de réseaux intérieurs ; protéger les filières française et européenne de biocarburants contre la concurrence déloyale de produits importés ; permettre aux communes de déployer des stations de recharge en gaz ou en hydrogène ; réformer les sanctions applicables en cas de non-respect de l'obligation de pavillon français ; ou assouplir les obligations d'économies d'énergie des distributeurs de fioul domestique.
Sur cet autre volet, je regrette le rétablissement de l'obligation de double distribution dans chaque station-service, obligation que n'exige pas le droit européen et qui fragilisera encore un secteur de la distribution de carburants déjà sinistré.
Le bilan est donc contrasté : sur les hydrocarbures, les députés n'ont fait droit à nos propositions. Sur les aspects techniques, nos amendements ont été respectés. Rien n'indique cependant qu'un nouvel examen des articles puisse arriver à un improbable compromis. Cela justifie donc la question préalable.
Certains regrettent une fermeture des débats, mais nous avons largement débattu en première lecture. Certains regrettent qu'il soit impossible d'arriver à un consensus. C'est aussi mon cas. J'étais prête à des concessions, mais aucun espace de discussion n'a été ouvert. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Fabien Gay . - La fin de l'exploitation des hydrocarbures sur notre sol national : le symbole était important, ce qui a justifié notre engagement. Hélas, nos travaux de première lecture ont accentué les failles déjà présentes dans le texte de l'Assemblée nationale, au profit des intérêts privés industriels pétroliers et gaziers, qui vont à l'encontre de l'intérêt général et environnemental.
Les députés ont rétabli leur texte, avec quelques évolutions notables et favorables, notamment la définition de la fracturation qui permet concrètement que soit interdite l'exploitation des gaz et hydrocarbures de roche.
Nous n'approuvons ni le principe de la question préalable, ni ses attendus de fond.
Nous aurons des regrets : 2040, c'est bien lointain au regard de l'urgence climatique. L'équilibre économique est une épine dans le principe même de l'arrêt de l'exploitation et de la recherche. Aucune règle sur le financement y compris public des activités de production d'hydrocarbures à l'étranger.
Comment ne pas parler du CETA, alors que 75 % des firmes du secteur résident au Canada ? Cet accord autorisera l'importation de sables bitumeux, il entraînera une hausse des échanges entraînant à son tour une hausse des émissions de gaz à effet de serre, et mettra à mal le principe de précaution.
Malgré tous les garde-fous et le plan d'action, le CETA n'est pas climato-compatible ; quelle est votre position sur le sujet, Monsieur le Ministre ? Pour notre part, nous demandons un référendum, pour que le peuple s'exprime sur cet accord qui contredit l'objectif que vous visez avec le texte que nous examinons aujourd'hui.
Le rapport d'Attac a dénoncé l'apport des banques nationales au financement de la production d'hydrocarbures : 844 millions d'euros investis depuis 2015, alors que le financement des énergies renouvelables a baissé dans le monde de 23 % depuis 2015.
Nous ne pouvons plus mener un double discours. Après deux années de stagnation, les émissions ont repris à la hausse en 2017, comme nous en ont alertés dans une tribune 15 000 scientifiques de 184 pays.
Plus un euro ne doit financer les énergies fossiles. Investir dans les énergies renouvelables permettrait de créer un million d'emplois, selon la plateforme Emplois-Climat.
Il faut garantir un droit à l'énergie ; aucune énergie renouvelable n'est capable de le garantir actuellement. Il faut un pôle public, avec un investissement massif des pouvoirs publics et un fléchage des bénéfices des industriels dans ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Françoise Férat . - La COP21 ayant eu lieu en France, il est légitime que notre pays se montre exemplaire. Le groupe UC partage vos objectifs environnementaux et de lutte contre le réchauffement climatique. Nous saluons les efforts du Gouvernement. L'augmentation d'un gigawattheure des appels d'offres en solaire de l'État et surtout le plan dévoilé par EDF de développer 30 gigawatts de solaire photovoltaïque entre 2020 et 2035, sont de bon augure.
Cependant, il faudra être beaucoup plus offensif dans la réduction de la consommation énergétique.
J'espère que l'État sera ambitieux pour l'éolien, la géothermie, la méthanisation et dans le contenu de ses futurs contrats de transition écologique et solidaire à destination des territoires. Je connais des communes dans mon département qui seraient intéressées pour déployer toute cette énergie
Vous voyez que nous pouvons avoir les mêmes ambitions bien que nous n'ayons pas le même diagnostic et surtout les mêmes méthodes.
J'ai connu des CMP rudes, mais elles permettaient à chacun d'exprimer son point de vue. Ce n'est pas ce que nous avons vécu pour ce texte, le 21 novembre. Les nouveaux députés avaient oublié leur manuel de management par la bienveillance et de démocratie participative au palais Bourbon... (Mme Élisabeth Lamure le confirme.)
Si les alternatives existent pour les automobiles, nous ne serons pas sortis en 2040 de l'ère des hydrocarbures. En aviation, par exemple, nulle alternative n'existe au kérosène. La France ne peut agir seule.
Pourquoi importer des hydrocarbures - car nous y serons contraints - alors que ces hydrocarbures importés auront un impact carbone bien plus fort que ceux que nous produisons ? Avec votre texte, nous consommerons toujours des hydrocarbures, sans doute moins, mais seulement importés...
Dans la Marne, nous avons des idées, mais aussi un peu de pétrole qui rapporte 1,8 million d'euros aux collectivités territoriales. Il faut étudier la création d'un fonds qui traite les conséquences de la fin de la production des hydrocarbures. Ce fonds pourrait être financé par une taxe sur les importations d'hydrocarbures. Je ne peux le faire par amendement. Je vous proposerai donc ici un rapport sur le sujet, il faut rassurer les professionnels.
Le groupe UC considère la transition énergétique comme un besoin vital. Mais personne ne connaît la vérité à soi seul, les députés de la majorité présidentielle devraient s'en souvenir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Roland Courteau . - Voici un texte qui aurait mérité de ne pas passer en procédure accélérée ; qui aurait mérité une union sacrée, vu la grande urgence à agir, car le temps joue contre nous.
Plutôt que de tergiverser, il faudrait unir nos forces. Faut-il encore disserter sur la vulnérabilité des sociétés humaines devant les forces de la nature, surtout si elles se construisent sur le déni de l'environnement ? Faut-il rappeler que nous risquons de perdre cette bataille contre le changement climatique ?
Ce texte envoie un signal fort dans le monde entier, comme souvent dans l'Histoire, en faisant de la France le premier pays à laisser les hydrocarbures dans le sous-sol.
Le verdissement de l'économie française est certain, mais encore trop lent. Avec ce texte, la France apporte une brique de plus contre le chamboulement climatique.
Quatre corollaires doivent en découler : l'indispensable modification de notre comportement, la baisse de la consommation des hydrocarbures, le développement des énergies renouvelables, l'investissement massif dans l'innovation. Tout cela pour atteindre la neutralité carbone en 2040.
Certaines modifications du Sénat mettaient en cause l'irréversibilité de la transition en vidant le texte de sa force.
Certes, le Sénat avait fait des ajouts utiles à l'article 5 ter, 5 bis A, à l'article 4 sur le stockage souterrain, ou à l'article 11 sur les certificats d'énergie, chers à M. Martial Bourquin. Mais la dérogation était devenue le maître mot du texte ! (M. Ronan Dantec confirme.) Le signal donné par le Sénat n'était pas bon. J'avais espéré un consensus national.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. - Nous aussi...
M. Roland Courteau. - Naïvement, après la Charte de l'environnement sous Chirac, le Grenelle sous Sarkozy, après la COP sous Hollande, je croyais possible, sous Macron, la fin de la production d'hydrocarbures sur notre sol.
Eh bien non ! Mais le temps joue contre nous. Je croyais que seul Donald Trump ne l'avait pas compris... (Mmes Élisabeth Lamure, Françoise Férat et Sophie Primas protestent.) Ce texte doit être le symbole d'une France à l'avant-garde, qui tient ses engagements. Nous soutenons ce texte et votre action, Monsieur le Ministre. Dommage que la commission des affaires économiques ait choisi la question préalable, nous privant d'une chance de consensus.
Après le One Planet Summit, un vote conforme au Sénat aurait eu du panache ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, LaREM et RDSE)
M. Jérôme Bignon . - L'échec de la CMP nous donne une malheureuse occasion de réexaminer ce texte. Le Gouvernement recueille tous nos encouragements face à l'urgence à agir, qui fait consensus parmi les 15 000 chercheurs qui nous ont récemment alertés sur l'urgence d'agir, sur le fait qu'il sera bientôt trop tard. Notre planète se meurt. Les réductions d'émissions sont insuffisantes.
L'annonce du président Trump résonne comme un coup de semonce terrible. Mais cet isolationnisme américain - qui n'est pas si absolu, Dieu merci - ne doit pas empêcher la France de devenir un chef de file, comme le proposait le président Macron, en proposant de « Make Our Planet Great Again ». Nous devons avoir une approche transversale, globale, pour que l'environnement soit présent dans toutes les politiques publiques - Monsieur le Ministre, je sais que vous partagez cette vision. Vous devez insister pour que les objectifs du développement durable intègrent les bleus budgétaires. Il ne doit pas y avoir d'un côté le budget et de l'autre celui du développement durable. L'approche doit être transversale.
Les députés ont montré du doigt les dérogations introduites par le Sénat, qui annihilaient sa portée, et que nous avions combattues.
Notre groupe veut cesser d'opposer écologie et économie. Monsieur le Ministre, vous l'avez rappelé au One Planet Summit, ces deux mots ont la même origine : Oikos, en grec, le foyer.
Il ne s'agissait pas de réaliser tous les objectifs des Accords de Paris mais de lancer un message que refuse la majorité sénatoriale, hélas.
Conseil d'ami : mettez-vous en tête que le monde change. Ne passons pas à côté ; notre pays a souvent été à l'avant-garde, il peut l'être ici encore ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, LaREM et RDSE)
M. Joël Labbé . - Oui, le monde change et le changement va s'accélérer encore : prenons-le positivement !
Avec ce texte, la loi, - enfin ! -, se préoccupe du long terme rompant avec le court-termisme qui règne trop souvent.
Cette loi n'est qu'un début : il faut décarboner l'économie, opérer la transition écologique, et mettre en oeuvre le 4 pour 1 000.
Nous devons laisser 80 % des réserves d'hydrocarbures dans le sous-sol si nous voulons avoir une chance d'éviter une catastrophe climatique.
La France doit montrer l'exemple. Ne laissons pas passer cette opportunité d'être leader dans la lutte contre les bouleversements climatiques.
Si le Sénat a consolidé des mécanismes essentiels, la majorité a ajouté des exceptions si larges avec le droit de suite ou la possibilité d'exceptions après 2040 - que le texte était dénaturé !
La question préalable adoptée par la commission des affaires économiques nous privera du débat. C'est dommage.
Ce texte donne sa vraie place au politique contre les intérêts économiques : les grandes firmes pétrolières ont salué les modifications du Sénat. (Mme Élisabeth Lamure, rapporteur, le nie.) J'espère que la majorité de la Haute Assemblée fera aussi sa transition, pour que le Sénat puisse enfin jouer son rôle d'assemblée des sages.
Selon le climatologue Jean Jouzel, il nous reste trois ans pour inverser la courbe d'émissions des gaz à effet de serre si l'on veut limiter le réchauffement climatique sous la barre des deux degrés.
Jean Jouzel et Pierre Larrouturou ont appelé à diminuer par quatre les émissions, à dégonfler la bulle financière et à créer 5 millions d'emplois.
Monsieur le Ministre, vous l'avez dit, on a trouvé 1 000 milliards d'euros pour sauver les banques, nous devons avoir plus d'audace encore pour sauver le climat. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR, Les Indépendants et RDSE)
M. Frédéric Marchand . - Les gouvernements doivent jouer le rôle de garant des objectifs de l'Accord de Paris. Si la mobilisation de tous est nécessaire pour atteindre nos objectifs, les politiques publiques doivent accompagner et envoyer des signaux forts pour que l'ensemble des acteurs transforment leurs modes de production et consommation vers des solutions bas carbone.
À la lumière des impacts déjà ressentis du dérèglement climatique, il est indispensable de renforcer la résilience et l'adaptation pour protéger encore davantage les citoyens des évènements climatiques extrêmes.
Les politiques publiques doivent intégrer l'horizon de long terme en fixant par exemple des objectifs de neutralité carbone. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, leur donner un prix est indispensable.
Le Gouvernement s'est pleinement saisi du sujet.
Oui, le changement climatique nous impose de nous rassembler : il ne connaît ni frontières, ni clivages politiques.
C'est dans cette optique que nous avons examiné ce texte, mettant au jour des fractures - qui n'ont rien d'hydrauliques - qui rappelaient parfois la révolution industrielle... (Sourires)
Il est regrettable que la commission des affaires économiques ait déshonoré le Sénat en présentant une vision rétrograde contrastant avec le rassemblement des progressistes du monde entier au One Planet Summit. (Mme Sophie Primas proteste.)
Je rejoins nos collègues députés, estimant que « les sénateurs ont manifesté une incompréhension préoccupante des objectifs comme de la portée du texte ».
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. - C'est excessif !
M. Frédéric Marchand. - Vous fermez les yeux face à la maison qui brûle...
Mme Sophie Primas. - Ça va !
M. Frédéric Marchand. - Votre discours en faveur du développement pragmatique de nos filières industrielles est une aberration politique !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. - Les bons et les méchants... Si c'est votre seul argument !
M. Frédéric Marchand. - « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », disait Lénine... (Marques de surprise et d'amusement sur tous les bancs)
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. - Il ne manquait plus que cela !
M. Frédéric Marchand. - Monsieur le Ministre, nous voterons contre la question préalable et voterons pour le texte.
M. Jean-Marc Boyer . - Après l'échec de la CMP, l'Assemblée nationale a rétabli son texte sur le volet hydrocarbures. Nous regrettons que les députés soient notamment revenus sur la sanctuarisation de la recherche publique sur les hydrocarbures. Continuer à investir dans la connaissance de notre sous-sol est essentiel.
Sur les autres parties du texte, les députés ont conservé les apports du Sénat ; mais cela ne suffit pas à rendre possible l'adoption du texte, dont les lacunes demeurent : il ne réduira en rien notre consommation d'hydrocarbures ni les émissions de CO2.
Nous attendions mieux pour un premier texte dans cette matière. Nous regrettons des débats atomisés sans vision globale sur la transition énergétique.
Mme Sophie Primas. - Très bien !
M. Jean-Marc Boyer. - Nous attendons donc que le Gouvernement publie une programmation pluriannuelle, en particulier en faveur des parcs solaires, qui sont trop lentement déployés. Dommage que rien ne soit prévu pour différencier les hydrocarbures importés en fonction de leur bilan carbone.
Avant de mettre fin aux hydrocarbures, il fallait préparer des énergies qui les remplacent. Mais ce texte a été voté dans la précipitation, sans concertation avec les acteurs. Nous le savons, le monde change. Mais assez de procès d'intention, assez de leçons ! Nous partageons tous les mêmes objectifs à cet égard. Il n'y a pas les gentils et les méchants.
Notre vision réaliste aurait pu rejoindre votre vision symbolique. Mais cela n'a pas pu avoir lieu à cause de l'intransigeance des députés prétendument du nouveau monde...
Je voterai donc la motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Pierre Cuypers . - Chacun s'accorde sur l'abandon nécessaire des énergies fossiles.
L'objectif du Gouvernement est la neutralité carbone en 2040. Si tous le partagent, les opinions divergent sur les moyens d'y parvenir.
Je regrette l'échec de la CMP, mais je me réjouis de la conservation d'une disposition issue d'un amendement du groupe Les Républicains, sur le contrôle de la qualité environnementale des biocarburants. Le Sénat a en effet alerté sur la piètre qualité de biocarburants importés d'Argentine ou d'Indonésie.
Cette disposition anti-dumping protège la filière française de biocarburants. Dont acte !
J'avais déposé sur le projet de loi de finances pour 2018 et le projet de loi de finances rectificative pour 2017 un amendement pour inciter les entreprises à remplacer une flotte de véhicules propres. Il exonérerait de taxe sur les véhicules de société pendant douze trimestres les véhicules roulant au bioéthanol émettant moins de 75 grammes de CO2 par heure.
Il est en effet urgent d'appliquer au superéthanol les mêmes avantages fiscaux qu'aux GPL et GNL, puisque ce sont trois carburants alternatifs. Il est urgent d'appliquer l'exonération de taxe sur les véhicules des sociétés (TVS) à tous les véhicules hybrides.
On ne tient pas compte de la situation actuelle, dans ce texte qui n'est pas à la hauteur des engagements de la France, en faveur de la baisse des émissions de CO2 et de particules. Pourquoi le Gouvernement souhaite-t-il développer des carburants vertueux sans s'en donner les moyens ? N'est-ce pas un voeu pieux ?
Le coût budgétaire de cette mesure était pourtant très limité, au vu des avantages économiques et des emplois créés, notamment. Nous attendons vos réponses, Monsieur le Ministre d'État. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur ceux de la commission et du groupe UC)
M. Nicolas Hulot, ministre d'État . - La cohérence n'est pas parfaite, certes ! J'en prends acte, j'essaie de l'améliorer dans toutes les politiques publiques depuis que je suis en poste. À mon niveau, j'essaie d'agir sur tous les fronts, alors que 320 milliards de dollars sont consacrés aux hydrocarbures chaque année, lesquels entraînent 8 000 milliards de dollars d'externalités négatives.
C'est pourquoi je salue l'initiative de la Banque mondiale qui vient d'annoncer, à Paris, qu'elle cessera d'investir dans les énergies fossiles d'ici 2019, de même que celle d'un certain nombre de fonds souverains, et d'autres opérateurs, tels que la BPI, l'Agence française de développement (AFD), qui orienteront leurs investissements vers les projets décarbonés. La cohérence progresse, petit à petit, et nous n'y sommes pas complètement étrangers.
Je ne fais pas de procès d'intention. Il y a une volonté commune. Alors, oui, j'aurais aimé l'union sacrée, mais j'ai vite compris que nos points de vue ne sont pas conciliables. Vous avez considéré que ce chemin n'est pas le bon. Ce texte n'est pas l'alpha et l'omega de la transition climatique et énergétique, il faudra aller plus loin, mais il n'est pas que symbolique. Il fallait envoyer un signal de cohérence, en même temps nous devons réduire notre consommation d'hydrocarbures, nos importations, développer les énergies renouvelables.
Je ne suis pas sûr que l'objectif de se passer d'énergies fossiles sera atteint en 2040, voire avant - soyons prudents ! - mais l'important est de se mettre en marche (Sourires) de manière irréversible. Oui, j'ai une certaine tristesse, mais la volonté était là. J'espère que nous continuerons quand même à travailler ensemble.
De même, je constate comme vous des incohérences avec certains traités, mais j'espère une directive européenne qui traitera également tous les carburants à l'importation et j'y travaille d'arrache-pied. Ce n'est pas gagné, le CETA n'est pas encore ratifié. Je m'y efforcerai.
La discussion générale est close.
Question préalable
Mme la présidente. - Motion n°1, présentée par Mme Lamure, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement (n° 124).
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur . - Je l'ai défendue lors de mon intervention initiale. Je ne répéterai pas les mêmes arguments.
M. Roland Courteau . - Ce texte mérite mieux qu'une question préalable. La France a le devoir d'être exemplaire après le sommet de Paris. Le groupe socialiste ne la votera pas. Il est dommage, pour le Sénat, de mettre en avant une telle motion sur un tel sujet. Je déplore que la commission des affaires économiques ait maintenu cette question préalable alors que les sirènes de l'urgence climatique sont de plus en plus stridentes et que le temps joue contre nous. Oui, l'urgence d'agir se fait de plus en plus pressante.
Le groupe socialiste regrette l'échec en CMP ; ce texte méritait un débat, une volonté commune des députés et des sénateurs. Dommage qu'il n'y ait pas eu plus d'effort de consensus de part et d'autre !
Je reconnais que le Sénat a apporté en première lecture des précisions utiles sur des points techniques mais avec ses dérogations, ses exceptions, il a détricoté le texte, le vidant de son sens, en envoyant un mauvais signal pour la crédibilité internationale de la France, aux acteurs économiques, qui ont besoin de clarté et à la société tout entière.
Le Sénat aurait pu faire oeuvre utile en nouvelle lecture pour rapprocher les points de vue. Était-ce impossible ?
Mme Sophie Primas. - Oui !
M. Roland Courteau. - Cela ne coûtait rien d'essayer ! Le groupe socialiste souhaite que la France s'engage dans la sortie irréversible des énergies fossiles.
Nous soutenons le Gouvernement dans son action pour lutter contre le réchauffement climatique. La seule solution est la rupture avec le modèle ancien, qui n'est plus soutenable. Ce texte doit être à la fois ambitieux et responsable, en accompagnant les territoires et les filières en transition. Le Gouvernement devra être vigilant à cet égard.
Nous plaidons pour un nouveau modèle, plus juste, plus durable, créateur d'emplois. Le choix qui est devant nous est clair. Soit nous continuons de subir, soit nous anticipons. Nous avons choisi d'anticiper. À chacun de prendre ses responsabilités ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM)
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - La motion opposant la question préalable résume bien les états d'esprit de la commission et de la majorité sénatoriale, qui adhèrent peut-être aux objectifs mais sûrement pas aux moyens proposés par le Gouvernement. Je ne peux que le regretter car la lutte contre le changement climatique doit nous rassembler. Oui, la démarche devrait être partagée, au-delà des clivages habituels. Le changement sera sans doute progressif - de nouvelles méthodes technologiques interviendront.
Quoi qu'il en soit, nous gagnerons ou perdrons cette bataille ensemble ; aucun camp ne tirera seul son épingle du jeu en matière environnementale. Je ne reviens pas sur les amendements adoptés au Sénat, qui ont vidé le texte d'une grande partie de sa force, en dépit de certaines avancées, comme sur le stockage du gaz. Mais, pour le reste, sur l'objet même du texte, nos positions restent trop éloignées.
Il ne s'agit nullement de pénaliser notre économie, mais de la libérer de son addiction aux énergies fossiles.
J'aurais aimé vous convaincre que le Gouvernement n'est en rien opposé à la recherche et à la connaissance de notre sous-sol, comme nous le verrons en principe l'an prochain à propos du Code minier, mais ne poursuivons pas des chimères : les entreprises qui le font ont des buts économiques.
Le Sénat connaît parfaitement les questions écologiques et minières. L'Assemblée nationale s'est inspirée de vos rapports sur le stockage du gaz, la qualité des biocarburants, les stations de gaz et d'hydrogène. Je regrette donc de n'avoir pu vous convaincre davantage, mais nous devons d'ores et déjà construire ensemble la prochaine étape, car nous ne sommes qu'au début d'un long processus.
Le Gouvernement ne tourne pas le dos au dialogue car nous devons faire la route ensemble, pour que la France prenne la main en matière de transition énergétique, tout en créant de nombreux emplois.
M. Ronan Dantec. - Le RDSE votera contre cette motion. Par principe d'abord, puisqu'elle empêcherait d'apposer notre marque au texte. Le débat en première lecture a été malheureux, ponctué de quelques interventions climatosceptiques, et de certaines assez climato-fatalistes, voire climato-égoïstes.
Le Sénat n'a pas joué son rôle. La France a toujours été en pointe avec la Charte de Chirac, le Grenelle de Sarkozy, le Sommet de la COP21 de Hollande, puis celui d'Emmanuel Macron, lequel a d'ailleurs salué le travail de l'Assemblée nationale, non celui du Sénat. (Mme Sophie Primas s'exclame.)
Face au réchauffement climatique, tous les territoires doivent agir ensemble. J'ai toutefois quelques craintes, Monsieur le Ministre, sur la solidarité envers les territoires. Il faudra rouvrir le débat notamment sur la dotation additionnelle climat. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Jérôme Bignon. - Nous sommes tous très profondément sincères. Comme M. le ministre, je ne comprends pas que nous ne parvenions pas à surmonter nos divergences. Je ressens aussi une certaine tristesse, une certaine inquiétude, devant cette incompréhension. Je n'arrive pas à comprendre que l'on n'arrive pas à imaginer qu'il n'y a pourtant pas de planète B, comme l'a dit le président de la République. J'espère que nous pourrons vite nous retrouver. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, RDSE et LaREM)
Mme Sophie Primas - Le climat est une affaire sérieuse. Elle mérite plus d'efficacité et moins de grandiloquence - je dis cela, non pas pour vous, Monsieur le Ministre, dont l'engagement est connu et nous vous en remercions, que pour nos collègues.
Je voterai cette motion. Le Sénat a cherché à améliorer le texte en votant des dispositions pragmatiques et immédiatement efficaces, preuve que le Sénat est soucieux du réchauffement climatique.
Oui Monsieur Labbé, nous avons su trouver des milliards pour sauver les banques. Heureusement car la transition énergétique réclame de l'argent. La Banque mondiale ne financera plus les hydrocarbures. C'est une bonne nouvelle, preuve que ce texte n'est pas nécessaire, puisque le monde de la finance et les acteurs économiques ont déjà anticipé ! (Sourires)
Je regrette le manque d'écoute, de considération des arguments.
En tout cas, le Sénat vous aidera, Monsieur le Ministre, dans votre lutte. (Applaudissements à droite ; M. Jean-Louis Lagourgue applaudit aussi.)
M. Fabien Gay. - Le groupe CRCE votera contre cette motion. Ce débat montre qu'il y a toujours une gauche et une droite en France !
Nous avons échangé nos arguments. La rapporteure nous a écoutés mais avait une autre position.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste considère que 2040 est déjà trop tard. Nous devons mobiliser les capitaux et les énergies pour anticiper.
Enfin, nouveau sénateur, je trouve étrange que le Sénat puisse adopter une motion grâce au scrutin public alors que la droite est minoritaire dans l'hémicycle.
Il est dommage de se priver du débat qu'exige la prise en considération du temps long.
M. Frédéric Marchand. - Le groupe La République en marche votera contre. Comme le disait Édouard Herriot, la persévérance dans une idée juste en amène le succès tôt ou tard.
Mme Angèle Préville. - Pour assurer le succès de la transition énergétique, il faudra améliorer la formation de tous. Professeure de physique chimie, je crois en la diffusion de la culture scientifique afin que tous les citoyens puissent se prononcer de manière éclairée. Or elle est en berne dans notre pays. Il y va non de l'avenir de la planète qui sera toujours là, mais de notre avenir.
À la demande du groupe Les Républicains, la question préalable est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°47 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l'adoption | 192 |
Contre | 146 |
Le Sénat a adopté.
La séance, suspendue à 17 h 35, reprend à 18 heures.