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Table des matières
Interdictions d'habitation et recul du trait de côte
Mme Françoise Cartron, auteure de la proposition de loi
Discussion de l'article unique
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État
M. Hervé Maurey, président de la commission
Mme Nelly Tocqueville, rapporteure
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, auteure de la proposition de loi
M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État
Revalorisation des pensions agricoles (Suite)
ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier
Revalorisation des pensions agricoles (Suite)
Discussion des articles (Suite)
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
M. Dominique Watrin, rapporteur
Évolution des droits du Parlement face au pouvoir exécutif
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
Ordre du jour du jeudi 17 mai 2018
Conclusions de la Conférence des présidents
SÉANCE
du mercredi 16 mai 2018
83e séance de la session ordinaire 2017-2018
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président
Secrétaires : M. Éric Bocquet, M. Yves Daudigny.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Rappel au Règlement
Mme Éliane Assassi . - Chacun a en mémoire la séance du 7 mars dernier au cours de laquelle le Sénat, à la quasi-unanimité, s'est élevé contre la décision du Gouvernement d'imposer le vote bloqué sur notre proposition de loi revalorisant les retraites agricoles. Ce texte est attendu par des dizaines de milliers d'anciens agriculteurs et d'anciennes agricultrices. L'unanimité du Sénat, fait rare, n'est pas le fruit du hasard : à ces hommes et femmes qui ont travaillé dur, la Nation doit reconnaissance. Le Gouvernement a agi avec violence en utilisant une procédure rarissime à l'égard d'une initiative parlementaire. Le vote bloqué sur l'amendement gouvernemental nous obligeait soit à repousser aux calendes grecques la revalorisation des retraites agricoles, soit à voter contre notre propre texte défiguré. Comment ne pas faire un lien entre cet acte et la mise en cause des droits des parlementaires par la révision constitutionnelle à venir ?
Dans quelques heures, nous reprendrons le débat sur notre proposition de loi. Le Gouvernement compte-t-il revenir sur son coup de force sans le conditionner à un compromis piégeux ? Le Sénat ne peut pas délibérer sous la contrainte. (Applaudissements sur tous les bancs, sinon sur ceux du groupe LaREM)
M. le président. - Le Gouvernement souhaite-t-il répondre ? (Mme Brune Poirson, secrétaire d'État, signifie, d'un mouvement de tête, qu'elle ne le souhaite pas ; Mme Éliane Assassi souligne son silence.) Acte est donné de ce rappel au Règlement.
Interdictions d'habitation et recul du trait de côte
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à instaurer un régime transitoire d'indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant d'un risque de recul du trait de côte, présentée par Mmes Françoise Carton, Laurence Harribey et M. Philippe Madrelle.
Discussion générale
Mme Françoise Cartron, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Déposée il y a quelques semaines, cette proposition de loi prévoit une indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant du recul du trait de côte. Il répond à une situation particulière, celle des propriétaires de l'immeuble « Le Signal » à Soulac-sur-Mer en Gironde, dont je suis élue.
Le Parlement ne connaît que trop bien cette affaire. La situation des copropriétaires du « Signal » est inédite, exceptionnelle et injuste ; elle est devenue inextricable. D'où cet article unique pour apporter une réponse rapide et efficace à des propriétaires qui n'ont plus accès à leur logement, dont ils ont été expulsés il y a plus de quatre ans ; et ce, sans aucune indemnisation. L'immeuble « Le Signal » abandonné face à la mer est un terrible symbole environnemental, n'en faisons pas un symbole d'indifférence et d'abandon. Construit en 1967 à plus de 200 mètres du front de mer, il est désormais à moins de 10 mètres de l'eau. II est interdit d'accès par un arrêté municipal du 7 janvier 2014 du fait de l'imminence du danger. La situation est ubuesque : l'interdiction d'habitation ne vaut pas expropriation, si bien que les propriétaires ne peuvent pas être indemnisés par le fonds Barnier.
Le Conseil constitutionnel a conclu, dans sa décision du 6 avril dernier, qu'il n'y avait pas d'inégalité de traitement des propriétaires du « Signal » au regard de la législation actuelle. Après quatre années de tergiversations, il est temps de résoudre cette situation intenable : les propriétaires continuent à payer des charges alors même qu'ils n'ont pas accès à leur logement - qui est parfois leur résidence principale.
Le cas du « Signal » est unique, la réponse législative qui est la mienne et celle du groupe SOCR est bien plus large puisqu'elle s'inscrit dans la continuité de l'action de la députée Pascale Got et de nos collègues Vaspart, Retailleau et Bas. Le président de la commission de l'aménagement du territoire l'a rappelé le 16 avril dernier, ce texte « reprend à l'identique un article de la proposition de loi de notre collègue Michel Vaspart, que le Sénat a adopté en janvier dernier, et que nous avons peu d'espoir de voir inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ». La commission soutient à l'unanimité cette démarche pragmatique qui, à mon sens, est dans l'esprit de la révision constitutionnelle que veut le président de la République : un article unique pour une adoption rapide, les deux véhicules législatifs dans lesquels il figure ont peu de chance d'aboutir.
Le texte n'est ni de gauche, ni de droite, ni de LaREM. Il n'est pas ici question de coup d'État médiatique ni de manoeuvre politicienne, comme j'ai pu le lire dans la presse. Si nous renvoyons ce problème à un texte plus large, les propriétaires devront encore attendre un an.
Le Gouvernement a une solution, entend-on dire. Qu'il dépose un amendement à ce texte, tout le monde retiendra que la réponse aura été collective - il eût été d'ailleurs intéressant d'y associer les groupes politiques. Il ne faudrait pas laisser s'installer l'impression que seuls les plus riches se voient apporter des solutions rapides.
Les propriétaires en ont assez, assez du manque d'information , assez d'entendre parler d'équité alors que leur responsabilité reste engagée en cas de chute de l'immeuble qu'il leur est interdit d'habiter ; assez qu'on les fasse passer pour des nantis. Dans une lettre qui m'est adressée, l'un de ces propriétaires me raconte son « calvaire » : entre ses 656 euros de loyer hors charges, un crédit de 550 euros pour l'appartement de Soulac-sur-Mer hors charges, il lui reste, une fois ses impôts, ses frais d'énergie et de transport payés, 100 à 200 euros pour faire vivre sa famille. Ces gens simples sont à bout physiquement et nerveusement. Ils sont engagés à contrecoeur dans une procédure judiciaire et observent qu'une zone pavillonnaire de Soulac a, pendant ce temps, été protégée à grands frais. « Une famille au bord du gouffre » signent-ils leur courrier. Puisse le Gouvernement les entendre ! (Applaudissements)
Mme Nelly Tocqueville, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Je vous prie d'excuser l'absence du président Maurey, qui mène une audition sur le projet de loi ferroviaire ; il nous rejoindra dans quelques instants.
Le sujet est connu, nous en débattions encore à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de M. Vaspart en janvier dernier. Le Parlement est constant, il est plus que temps que le Gouvernement reconnaisse l'urgence.
La commission a été frappée par le caractère ubuesque et kafkaïen du dossier du « Signal ». L'État y a une grande part de responsabilité puisque, dans le cadre du développement de la côte Aquitaine, il était prévu de construire entre 1960 et 1980 un grand ensemble touristique avec un hôtel de luxe, une thalassothérapie, un boulevard 2 x 3 voies. Seul « Le Signal » a été construit à 200 mètres de la mer, il en est séparé à présent par une bande de 10 mètres.
Ce dossier est ubuesque car c'est l'État qui a décidé de lancer une opération d'aménagement et qui a accordé le permis de construire en dépit des informations dont il disposait - il ne pouvait pas ignorer que plusieurs immeubles du front de mer étaient tombés de la falaise dunaire dans les années trente. Il est kafkaïen car la situation judiciaire des propriétaires est absurde. On leur a refusé l'enrochement autour de l'immeuble ainsi que toute indemnisation.
En 2014, le ministre de l'écologie, Philippe Martin, avait promis de résoudre rapidement la crise. Quatre ans plus tard, rien n'a été fait. Quant à l'indemnisation par le fonds Barnier, elle est pendante devant le Conseil d'État après que le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a écarté les griefs tirés de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et du droit de propriété.
Pour l'instant, l'indemnisation est refusée au motif que l'érosion dunaire n'entre pas dans le champ d'intervention du fonds Barnier et ne remplit pas la condition de mise en danger vitale. Je vous laisse apprécier...
On fait aux propriétaires le mauvais procès d'être des nantis qui rêveraient de ne rien faire, les pieds au bord de l'eau. Ce n'est absolument pas le cas. Ce sont, en majorité, des gens modestes. Certains ont engagé toutes leurs économies dans l'achat de leur appartement. Ils doivent désormais s'acquitter des frais d'avocat tout en continuant à payer les charges de copropriété. Certains sont morts - onze d'entre eux, ce qui soulève la difficile question des successions.
Le cas du « Signal », exceptionnel, appelle un traitement exceptionnel. Bien sûr, le recul du trait de côte nécessite une réflexion globale. Cependant, le cas de cet immeuble doit être traité spécifiquement.
Le trait de côte recule de 2,5 mètres par an en Gironde, mais de 5 à 7 mètres par an à Soulac - et le phénomène est accentué par une digue qui protège le quartier de l'Amélie.
Ce texte vise à rendre éligibles les propriétaires du « Signal » à une indemnisation rétroactive par le fonds Barnier. Certes, il faut éviter que la situation ne se reproduise ; elle passe par l'obligation d'information des acquéreurs de biens proches du rivage. Si ce texte ouvre la possibilité de l'indemnisation, il ne règle pas, en revanche, celui de la propriété et, donc, de la prise en charge des frais de déconstruction et de désamiantage de l'immeuble. L'article 40 nous en empêche, seul le Gouvernement peut le faire. Une solution rapide est indispensable, je vous invite à adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Les conséquences de l'érosion sur les territoires littoraux sont aussi stratégiques que complexes. Il est impératif de repenser l'élaboration de nos politiques publiques en anticipant les effets du réchauffement climatique pour construire le littoral de demain. Nous en débattions déjà en janvier dernier lors de l'examen de la proposition de loi de M. Vaspart.
Parce que le recul du trait de côte ne peut pas être anticipé, sa gestion doit être particulière et spécifique. Nous devons aménager nos territoires littoraux de manière durable en préservant leur attractivité économique. Considérer que l'érosion côtière se distingue des catastrophes aléatoires n'est pas une simple vue de l'esprit, le Conseil constitutionnel a conforté cette analyse dans sa décision du 6 avril dernier.
Selon moi, la solution doit être globale, complète et équitable. Nous y parviendrons en offrant aux collectivités territoriales concernées des outils adaptés d'aménagement du territoire et en faisant évoluer le cadre juridique existant pour mieux prendre en compte le recul du trait de côte dans les documents d'urbanisme.
Le Gouvernement n'en oublie pas pour autant les situations urgentes, qui appellent des solutions équilibrées.
Mme Françoise Cartron. - Ah !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - L'État prendra ses responsabilités.... avant la fin de l'année. (Murmures réprobateurs) Nous avons demandé au préfet de région de procéder au désamiantage du bâtiment. La question de l'indemnisation doit être replacée dans le cadre d'une réponse globale, raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à ce texte. (On se récrie sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains.) Toutefois, l'État ne reculera pas. (On ironise sur les mêmes bancs.) Nous voulons un texte ambitieux...
Mme Françoise Cartron. - Cela s'appelle « noyer le poisson » !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Nous ne pouvons pas avoir plusieurs « Signal » en France...
Mme Françoise Cartron. - Il n'y en a qu'un !
M. Daniel Laurent. - Réglez le cas du « Signal », on verra pour les autres ensuite !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Le Gouvernement a le courage d'une approche globale...
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - C'est de la lâcheté !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Je me réjouis de nos discussions futures.
M. Michel Dennemont . - En début d'année, nous avons discuté d'une proposition de loi plus globale sur l'aménagement du littoral. Beaucoup avaient peur d'ouvrir la boîte de Pandore en autorisant des assouplissements à la loi Littoral. En revanche, l'article 3 sur l'indemnisation des propriétaires du « Signal » faisait consensus.
Le recul du trait de côte ne fait pas la une des journaux. Et pourtant, un Français sur dix vit sur le littoral. L'érosion côtière connaît des phases d'accélération sous l'effet du réchauffement climatique ; elle se révèle moins prévisible que ce que l'on pensait. Cela, nous l'ignorions à l'époque de la loi Littoral. Si la loi n'a pas à traiter des cas particuliers, nous ne pouvons pas refuser de voir en face les souffrances des victimes de l'érosion.
Considérant que le recul du trait de côte n'était pas un phénomène connu lors de l'élaboration de la loi Littoral, considérant que la dimension de catastrophe naturelle liée à l'accélération de l'érosion justifie la mobilisation du fonds Barnier, considérant que l'affaire du « Signal » n'a que trop duré, les membres du groupe LaREM - et je vais étonner certains d'entre vous - voteront ce texte. (Applaudissements sur tous les bancs, sinon sur ceux des groupes RDSE et CRCE)
M. Guillaume Gontard . - Merci au groupe socialiste de cette initiative : il s'agit de la troisième tentative, après la proposition de loi du 30 janvier dernier sur le développement durable des territoires littoraux. Il y a urgence, Madame la Ministre ! Réglons ce problème et, chiche, travaillons sur un texte plus large. L'État est responsable de la situation et doit protéger les citoyens - qui se sentent, dans le cas du « Signal », abandonnés par les pouvoirs publics.
Nous ne pouvons plus renvoyer la question de l'impact du trait de côte aux générations futures. Imaginons un système d'indemnisation plus large. Les moyens du fonds Barnier se réduisent alors que ses missions augmentent. La loi de finances pour 2018 a prévu le plafonnement de sa taxe affectée à hauteur de 137 millions d'euros. Ce montant est très inférieur aux dépenses constatées ces dernières années ; en moyenne, 178 millions d'euros
Il faudra reprendre la discussion que nous avions entamée lors de l'examen de la proposition de loi sur le développement des territoires littoraux. Il y a urgence : le territoire français a perdu 2 600 hectares ces dernières années, soit l'équivalent de 3 600 terrains de football. Le réchauffement climatique n'est pas un problème de demain mais d'aujourd'hui. Le groupe CRCE votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR ; M. Jérôme Bignon applaudit également.)
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) C'est la troisième fois que nous examinons un texte pour réparer l'injustice faite aux habitants du « Signal ». Je salue le travail de Nelly Tocqueville et de Françoise Cartron.
En 1967, cet immeuble était à 200 mètres de la mer, distance réduite de tempête en tempête à 10 mètres. Aucun mécanisme d'indemnisation n'a jamais pu être mis en place. Un consensus s'est dégagé au Sénat pour un régime transitoire qui, grâce à notre commission des lois, ne menace pas l'équilibre financier du fonds Barnier. Malgré cet accord, la majorité bloque le texte à l'Assemblée nationale. La mer monte mais le texte s'ensable.
De plus en plus d'habitations seront touchées, le changement climatique est d'ores et déjà une réalité visible. La montée du niveau des océans et la fréquence accrue des tempêtes auront un impact sur nos côtes : anticipons !
Le groupe UC espère que nos collègues du Palais-Bourbon seront sensibles à la détresse des propriétaires du « Signal » et à l'importance des sujets littoraux. Nos concitoyens, nos paysages et notre économie le méritent. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, LaREM, UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Jérôme Bignon . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) Je ne surprendrai personne : Les Indépendants voteront ce texte dont les précédents orateurs ont bien rappelé les enjeux. Issu moi-même d'un département littoral, la Somme, souffrant de l'érosion, je sais que l'État ne prend pas toujours la mesure du problème. J'ai, en outre, suivi les travaux du groupe de travail Got-Berthelot qui s'est penché sur des stations balnéaires fortement touchées par le phénomène de l'érosion, dont Ault.
Je veux croire que le Gouvernement prendra le problème à bras-le-corps, Madame la Ministre, mais j'ai trop entendu d'autres ministres dans d'autres circonstances prendre les mêmes engagements. Comme on disait dans nos campagnes autrefois, chat échaudé craint l'eau...
M. Jean-François Rapin. - Froide !
M. Jérôme Bignon. - ... et salée. On ne peut laisser sans réponse des gens qui ont construit leur vie à partir d'un élément de patrimoine dans l'immeuble « Le Signal ». Il ne s'agit pas de riches personnes qui perdent quelques mètres carrés de terrain. Certains font des dépressions, d'autres meurent. La situation est quasiment inhumaine. Que la mer monte, on ne le sait pas depuis 48 heures seulement !
Espérons que le Gouvernement, cette fois-ci, tiendra ses engagements. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, SOCR et CRCE)
M. Ronan Dantec . - Alors que des textes généraux sont dans les tuyaux de la machinerie législative mais risquent de ne pas en sortir pour cause d'ouverture de la boîte de Pandore qu'est la loi Littoral, cette proposition de loi, la troisième en deux ans, a le mérite de porter sur le seul problème du « Signal ». La détresse des propriétaires est réelle. L'État n'aurait pas dû délivrer les permis de construire mais ce n'est pas l'angle retenu par nos débats...
Le dispositif proposé ici est juridiquement fragile, on ne peut le nier. Méfions-nous de plus des dispositifs temporaires, tels ceux votés en janvier dernier. Une majorité du groupe RDSE votera ce texte ; l'autre partie s'abstiendra, considérant que ce texte présente un risque de rupture d'égalité.
M. Michel Vaspart . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous voici sollicités pour la troisième fois sur le problème du « Signal », construit à Soulac en 1967, devenu inhabitable depuis de nombreuses années sans qu'aucune expropriation n'ait été prononcée.
Je ne reviens ni sur le contexte ni sur la proposition de loi que j'avais cosignée naguère. Merci, Madame la Ministre, pour avoir reconnu qu'il y avait urgence à définir une stratégie de développement du littoral ; le Sénat le soutient depuis plusieurs années.
Les mois passent, les propriétaires du « Signal » attendent toujours modestement une indemnisation.
Il est pris acte de l'impossibilité de mobiliser le fonds Barnier et de la décision du Conseil constitutionnel suivant une question prioritaire de constitutionnalité. L'affaire se prolonge au Conseil d'État qui se prononcera en juin. On nous dira d'attendre cette décision, puis les conclusions du groupe de travail à venir mais il n'est plus possible d'attendre.
Je voterai ce texte qui transcende les clivages politiques - comme tous les sujets qui touchent au littoral, sur lesquels on ne saurait opposer sans mauvaise foi les protecteurs de l'environnement aux autres.
Depuis mon élection au Sénat en 2014, je le dis : les élus du littoral placés, devant les fluctuations de la jurisprudence sur la loi Littoral, sont pragmatiques ; ils cherchent des solutions sans dogmatisme. Les ministres, secrétaires d'État et hauts fonctionnaires feraient bien de s'en inspirer... Vendredi dernier, j'étais à Plestin les Grèves, dans mon département des Côtes-d'Armor, aux côtés d'une famille sommée de détruire sa maison. Elle possédait pourtant un permis de construire en bonne et due forme, une maison écologique à énergie positive construite dans une dent creuse. J'ajoute que la mairie s'est vue refuser l'extension de sa zone d'activités alors qu'elle est en continuité de celle qui existe. Excès de zèle ou parapluie inutile ? Ce n'est plus supportable. Encore un groupe de travail ? Mais le Sénat a déjà travaillé.
Pour en revenir à la proposition de loi, je la voterai sans réserve comme l'ensemble du groupe Les Républicains. J'espère que le Gouvernement clarifiera le droit du littoral au regard du droit de l'urbanisme dans le futur projet de loi Évolution du logement et aménagement numérique. Madame la Ministre, je le souhaite, l'espère et vous en conjure. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe CRCE)
Mme Laurence Harribey . - Je clos un concert unanime contre ce mauvais génie français : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Cette situation ubuesque, kafkaïenne, serait risible s'il n'y avait pas 75 familles en cause - non pas des marchands de nuitées touristiques, mais des familles modestes endettées sur vingt-cinq ou trente ans. Elles ont fait confiance au plan d'aménagement du littoral aquitain supervisé par l'État - qui n'avait pas prévu le recul du trait de côte.
Depuis quatre ans, les propriétaires n'ont plus accès à leur logement, sans avoir été expropriés, au motif que l'article 561-1 du code de l'environnement ne fait pas le lien entre érosion côtière et menace grave pour la vie humaine.... Ils ne peuvent donc être indemnisés par le fonds Barnier.
Cette situation pose une question de responsabilité : celle de l'État qui a délivré le permis de construire, celle des collectivités qui prennent les arrêtés de péril sans exproprier. Une question d'égalité aussi, quand, quelques kilomètres plus loin, on a fait de l'enrochement. L'érosion sableuse, enfin, n'est pas prise en compte.
Il y a un vide juridique à combler. C'est l'objectif de cette proposition de loi limpide. On ne peut pas faire plus simple et plus efficace, avec un encadrement dans le temps pour éviter toute dérive. Il ne s'agit pas de noyer ce cas dans un cadre plus global. Le courage, c'est parfois d'admettre que l'on ne détient pas la vérité : l'humilité est une forme de courage !
Ce matin, Jacques Toubon disait : « J'ai la conviction que le droit est le ciment d'une commune humanité sans cesse à construire. ». Je vous invite à plus d'humanité et moins de calcul politicien ! (Applaudissements)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Nous devrions y être habitués : c'est la cinquième fois en peu de temps qu'une proposition de loi sénatoriale reçoit un avis négatif du Gouvernement, quel que soit le sujet ou le groupe qui la dépose. Pourtant, nous sommes tous choqués par la position du Gouvernement, face à des drames humains épouvantables. Certains propriétaires sont acculés à des situations dramatiques. Il est inadmissible de repousser la solution à plus tard, alors que l'État est totalement responsable, à tous les niveaux. On ne peut plus attendre. Il y a déjà quatre ans, un de vos prédécesseurs, M. Martin, avait promis des mesures rapides. La position du Gouvernement n'est ni tenable, ni tolérable. (Applaudissements)
M. Charles Revet . - Cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans les compétences de la commission de l'aménagement du territoire qui s'est exprimée à l'unanimité.
La situation est catastrophique pour nombre de familles. La position du Gouvernement est incompréhensible. La loi Barnier, que j'ai votée, a été conçue pour répondre précisément à ce type de situation, que nous avons connu en Seine-Maritime.
C'est l'État qui a pris les décisions et procédé aux aménagements. Le Gouvernement invoque le code de l'environnement pour empêcher les indemnisations par le fonds Barnier et propose de reporter la décision...
Il y a quelques jours, le Premier ministre a emmené le Gouvernement sur le terrain, dans le Cher. Je suggère que la commission de l'aménagement du territoire en fasse autant, à Soulac-sur-Mer, pour montrer l'importance qu'il y a à traiter cette situation intolérable. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et SOCR)
M. Didier Mandelli . - J'étais rapporteur de la proposition de loi de M. Vaspart dont l'article 3 concernait le « Signal ». Depuis, rien n'a avancé. Il est désolant et exaspérant que ces propositions de loi, la précédente comme celle-ci, soient jetées aux orties. J'ose espérer que des solutions seront trouvées rapidement.
Le gouvernement précédent a ponctionné le fonds Barnier de 55 millions d'euros, et le vôtre de 71 millions d'euros, en le plafonnant à 137 millions d'euros.
M. Charles Revet. - Pour le budget de l'État !
M. Didier Mandelli. - Je souhaite que cette proposition de loi ne subisse pas le même sort que les précédentes. Le problème du « Signal » est unique. À situation exceptionnelle, il faut une réponse exceptionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; Mme Nelly Tocqueville, rapporteure, applaudit également.)
Explications de vote
M. Jean-Michel Houllegatte . - Il y a beaucoup d'anxiété dans les départements côtiers comme la Manche devant le recul du trait de côte. Les riverains sont des victimes potentielles ! La représentation nationale doit s'approprier le sujet et réfléchir à des moyens nouveaux pour indemniser les populations.
Certes, il faut une approche globale, mais le mieux est l'ennemi du bien. Cette proposition de loi répond à un problème exceptionnel, immédiatement. C'est une manifestation de courage, alors qu'un report supplémentaire ne témoigne que du mépris. Je voterai pour. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Patrick Kanner. - Très bien.
Mme Françoise Cartron . - Cette proposition de loi est une illustration de ce que peut être le travail parlementaire. Le Sénat est composé d'élus des territoires qu'il représente et dont il porte la voix. Si le pouvoir central fait aujourd'hui l'objet d'une telle défiance, c'est que les gouvernements, quels qu'ils soient, se montrent impuissants à résoudre les problèmes les plus simples.
J'entends qu'il est compliqué de trouver une solution, d'un point de vue technocratique, mais cela fait cinq ans que les habitants ont été expulsés sans indemnisation. Quelle violence !
Nous faisons entendre la voix des plus faibles, ceux qui subissent une machine administrative inhumaine. Ne nous lançons pas dans de longues tables rondes qui ne feront que montrer l'impuissance des politiques. Soyons efficaces et pragmatiques, comme nous y invite le président de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, UC et Les Républicains)
M. Philippe Bas . - C'est une immense déception que de débattre à nouveau de ce sujet alors que le Sénat a déjà tranché, à plusieurs reprises. Nous y sommes contraints car ni ce Gouvernement, ni le précédent n'ont pris leurs responsabilités pour traiter le problème du « Signal ». Nous avons récemment adopté à la quasi-unanimité une proposition de loi, cosignée par MM. Vaspart et Retailleau, pour une approche globale des conséquences à tirer pour l'action publique du recul du trait de côte, y compris le redéploiement des installations ou la construction dans les dents creuses.
Il n'est pas admissible que le Gouvernement détourne chaque année une partie du produit du fonds Barnier, qui émane des assurances, au profit du budget de l'État. Mieux vaut élargir les possibilités de financement par le fonds et traiter des constructions qui n'altèrent pas le paysage.
Je le dis au Gouvernement : prenez vos responsabilités, inscrivez nos propositions de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et SOCR)
Mme Annick Billon . - La ministre souhaite un texte global ? Qu'elle inscrive donc la proposition de loi de M. Vaspart à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Le Sénat est tout sauf immobiliste, mais au contraire efficace et persévérant, lorsqu'il s'agit de défendre les territoires et les gens qui sont en grande difficulté. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains ; Mme Nelly Tocqueville, rapporteure, applaudit également.)
M. Antoine Lefèvre. - Très bien.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État . - Efficace et pragmatique : c'est ainsi que ce Gouvernement entend travailler, contrairement au gouvernement précédent. (Huées sur les bancs du groupe SOCR)
M. Patrick Kanner. - Résistez à votre administration ! Soyez à la hauteur de votre tâche !
M. Marc Daunis. - Argument massue...
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Contrairement au gouvernement précédent, nous voulons une approche à la fois globale et spécifique : c'est le fameux « en même temps ». Il faut traiter le problème du trait de côte globalement puisque tout le littoral y est confronté.
Mais nous entendons aussi les personnes modestes qui sont concernées. (M. Daniel Laurent s'exclame.) C'est pour cela que nous allons traiter ce sujet spécifiquement.
M. Philippe Bas - Vous avez dit la même chose il y a trois mois et n'avez rien fait ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et SOCR)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Les députés travaillent sur une proposition de loi globale.
M. Philippe Bas. - Et la nôtre ?
M. Charles Revet. - Inscrivez la proposition de loi Vaspart à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - En janvier, nous avons essentiellement parlé de la loi Littoral.
Nous allons trouver une solution pragmatique sur le « Signal » dans les mois à venir.
M. François Bonhomme. - Quand vous serez ministre !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Mais pour éviter qu'il n'y ait d'autres « Signal » dans les années à venir, nous voulons travailler, en même temps, sur le changement climatique, car la réalité du changement climatique, c'est maintenant. (On se gausse sur les bancs du groupe SOCR)
M. Marc Daunis. - Ce n'est pas parce qu'on parle de la côte qu'il faut ramer comme cela !
M. Ronan Dantec . - J'ai été touché par l'intervention de Mme Cartron, qui est très juste. La situation est inextricable, la responsabilité de l'État est engagée. Ne mélangeons pas la situation du « Signal » et l'évolution du trait de côte liée au réchauffement climatique : apportez donc une réponse rapide en faisant un chèque aux habitants du « Signal », et qu'on sorte enfin d'une situation qui empêche un vrai débat sur la loi Littoral. Il n'y a pas de consensus sur le trait de côte et une partie de la proposition de loi Vaspart comporte des risques.
Que l'État trouve les quelques millions d'euros et montre qu'il est capable de régler les injustices.
M. Hervé Maurey, président de la commission . - Mme la ministre dit souhaiter une approche globale. Très bien. Pourquoi alors ne pas avoir inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi de M. Vaspart ? Si vous n'êtes pas d'accord sur le fond, il sera loisible aux députés de l'amender ! Pourquoi ne pas non plus avoir inscrit à l'ordre du jour du Sénat la proposition de loi de la députée Pascale Got, qui a déjà connu deux lectures à l'Assemblée ?
Monsieur Revet, je suis prêt à aller avec la commission à Soulac, mais c'est surtout la ministre qu'il faudrait convaincre d'y aller !
M. Daniel Laurent. - Et le président de la République !
M. Hervé Maurey, président de la commission. - Pour la troisième fois, ce vote ne servira à rien, sinon à donner l'image d'un Parlement impuissant... (Applaudissements)
M. Daniel Laurent. - C'est le but !
M. Gilbert Bouchet. - C'est ce que recherche le président de la République !
À la demande du groupe SOCR, l'article unique de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°99 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l'adoption | 334 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté.
(Vifs applaudissements)
M. Ladislas Poniatowski. - On veut le nom de celui qui a voté contre ! (Rires)
Mme Nelly Tocqueville, rapporteure . - Madame la Ministre, ce vote sans appel est l'expression de la volonté des parlementaires de se faire l'écho des préoccupations de nos concitoyens et de nos territoires. Il doit être pris en compte. Vous vous devez de reprendre ce texte à l'Assemblée nationale. Le Sénat a voulu se montrer honnête à l'égard des propriétaires du « Signal ». Vous avez fait des propositions, Madame la ministre, de désamiantage notamment, mais cela ne peut nous satisfaire : la situation reste kafkaïenne.
Nous continuerons à oeuvrer pour que les copropriétaires du « Signal » aient gain de cause. C'est une question d'honnêteté, c'est une question d'assistance à personnes en danger. (Applaudissements)
Efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières et suppression du verrou de Bercy
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi renforçant l'efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières et supprimant le verrou de Bercy, présentée par Mme Marie-Pierre de la Gontrie et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le 2 avril 2013, celui-là même qui siégeait au banc du gouvernement, qui avait menti devant la représentation nationale, les yeux dans les yeux, Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, reconnaissait détenir des comptes non déclarés en Suisse et à Singapour.
Cet électrochoc, ébranlant l'opinion, a ouvert la voie à des avancées majeures : création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, du Parquet national financier et de l'Office central de lutte contre la fraude et la corruption.
Si le bilan du quinquennat Hollande en matière de lutte contre la fraude fiscale est jugé positivement par des ONG comme Transparency International, nous devons aller plus loin.
L'obstacle à abattre a un nom : le verrou de Bercy, prévu à l'article L.228 du Livre des procédures fiscales, en vertu duquel l'auteur d'une infraction fiscale ne peut être poursuivi que sur plainte de l'administration. Le Sénat en a déjà voté sa suppression ou son assouplissement, en mars 2016 par un amendement d'Éric Bocquet puis en 2017 à l'initiative de Mme Assassi. L'Assemblée nationale a pour sa part créé une mission d'information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, dont les travaux sont en cours.
Suppression prématurée, nécessité d'une réflexion plus approfondie : les arguments contre sont faibles. Comment accepter que la justice ne puisse se saisir d'office des infractions fiscales, même majeures ? Comment accepter ce nihil obstat sur la répression fiscale ? Cette situation heurte le principe de transparence cher à nos concitoyens et l'indépendance de la justice.
Selon Éliane Houlette, procureure de la République financier, le verrou bloque toute la chaîne pénale : c'est un obstacle théorique, constitutionnel, républicain. François Molins considère que la situation n'est plus tenable et freine les procureurs de la République sans raison objective. La Cour des comptes, dans un référé d'août 2013, estimait que le verrou de Bercy est préjudiciable à l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale. Les ONG comme Transparency international, Oxfam, Sherpa ou Anticor ne disent pas autre chose.
Il est plus que temps de mettre fin à ce système et nous regrettons que le Gouvernement ait fait le choix de l'immobilisme en continuant à soutenir son maintien pour des motifs d'efficacité, de compétence fiscale ou de haute technicité.
Pourtant, l'affaire Cahuzac a montré que la justice française ne fait pas défaut dès lors qu'on lui donne des moyens.
Wikileaks, Panama papers, Paradise papers... : les Français ne supportent plus qu'on bafoue le principe du consentement à l'impôt. Le dispositif du verrou de Bercy permet à l'administration fiscale de traiter certains dossiers sans en référer à la justice, et sans divulguer les critères qui président à ce choix : comment l'expliquer à nos concitoyens ?
M. Darmanin n'est pas là ; je le regrette. Je suis néanmoins heureuse de voir sur ces bancs M. Olivier Dussopt dont je connais la position favorable à un assouplissement au moins du verrou de Bercy.
Pas moins de 75 % des dossiers échappent à la justice de manière obscure, et l'on ne recouvre que 18 % des fonds soustraits à l'impôt. Or la fraude fiscale coûte chaque année 60 à 80 milliards d'euros. L'argument du risque d'engorgement, avancé par la garde des Sceaux ? François Molins le réfute. L'autorité judiciaire n'a évidemment pas vocation à se saisir des 16 000 dossiers de fraude fiscale mais à évaluer l'opportunité des poursuites.
La mission de l'Assemblée nationale va rendre son rapport. Les affaires se succèdent. La démocratie est mise à mal. Il est temps d'agir. Les affaires dévoilées par la presse et les lanceurs d'alerte ébranlent l'opinion.
Continuerons-nous à justifier le statu quo ou supprimerons-nous cette anomalie française qu'est le verrou de Bercy ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances . - Cette proposition de loi porte sur un mécanisme qui revient régulièrement dans le débat depuis 2013, depuis qu'un ministre chargé du budget a été reconnu comme fraudeur fiscal. Un autre secrétaire d'État socialiste, fut, à la même époque, pris de phobie administrative...
Cette proposition de loi du groupe socialiste a le mérite d'ouvrir le débat qui nous occupera en juillet : le Sénat fera alors des propositions ambitieuses pour plus de transparence, sans pour autant supprimer le verrou.
Le sujet n'est pas médiocre, il touche aux principes de l'efficacité, de l'égalité et de réalité.
L'objectif du contrôle fiscal est triple : recouvrer, sanctionner, dissuader. Le Conseil constitutionnel a limité aux cas les plus graves la possibilité de cumuler sanction administrative et sanction pénale. Sur 50 000 contrôles fiscaux externes, 4 000 sont qualifiés de répressifs. Ils relèvent à ce stade des directions départementales. La direction centrale ne reçoit que 1 100 dossiers par an environ, qu'elle transmet presque tous à la Commission des infractions fiscales (CIF). Le verrou, c'est le fait qu'une plainte pénale pour fraude fiscale est irrecevable si elle n'est pas déposée par l'administration fiscale ; c'est aussi que l'administration fiscale ne peut pas déposer plainte sans l'autorisation de la CIF.
Tant les membres de la CIF que de l'administration fiscale sont indépendants, et le soupçon sur le verrou est insultant pour eux. Ce climat de défiance généralisée n'est pas sain. Il ne faut pas céder aux modes. Cependant, plus de transparence ne ferait pas de mal, et l'on pourrait au moins rendre tout cela « translucide », laisser passer la lumière sans forcément identifier les personnes.
Les critères suivis par l'administration pour transmettre un dossier à la CIF - montant des droits fraudés, manoeuvres du contribuable ou circonstances liées à la personne même du fraudeur, selon le Conseil constitutionnel - pourraient être inscrits dans la loi. Je suis toutefois opposé à l'inscription d'un montant dans la loi.
Un contrôle plus diversifié serait bienvenu : des audits internes de l'Inspection générale des finances (IGF) dans les directions départementales des finances publiques, par la Cour des comptes de manière consolidée.
Autre proposition : des parlementaires habilités pourraient examiner les 50 dossiers rejetés chaque année par la CIF et une partie de ceux qui ne lui sont pas transmis. Je suis défavorable en revanche à introduire, comme le propose M. Darmanin, des parlementaires dans la composition de la CIF : ce n'est pas notre place.
Enfin, les membres de la CIF pourraient être nommés par le président et rapporteur général des deux commissions des finances pour assurer la pluralité.
L'intervention du ministre dans les situations individuelles, qui nourrit les critiques, est pur fantasme : son cabinet n'a plus de cellule fiscale depuis 2010. S'agissant des 4 000 dossiers les plus importants, les transactions n'ont porté que sur 294 d'entre eux, essentiellement des entreprises, pour un montant de 12,5 millions d'euros. Ces transactions sont justifiées par le principe d'efficacité.
L'action judiciaire doit être privilégiée dans un objectif d'exemplarité et de dissuasion, notamment lorsque la fraude est répétée. Cependant, lorsque le dossier n'est pas absolument certain, est-il pertinent de mettre l'affaire sur la place publique ?
L'État porte plainte parce que c'est lui la victime. Comme le Sénat l'a déjà voté, pourquoi ne pas permettre à l'autorité judiciaire d'étendre une enquête existante à des faits de fraude fiscale connexes ? Peut-être faudra-t-il que la CIF puisse être saisie cette fois-ci par la justice.
Enfin, il faudrait aussi clarifier l'articulation entre l'article L. 228 du Livre des procédures fiscales et l'article 40 du code de procédure pénale.
Ce texte a le mérite de débattre d'un sujet essentiel. Nous y reviendrons en juillet. D'ici là, je vous propose de ne pas l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - Ce sujet a fait l'objet de travaux approfondis au Sénat et à l'Assemblée nationale, cette dernière ayant mis en place une mission d'information qui rendra ses conclusions la semaine prochaine.
Le sujet continue à faire l'objet de critiques parfois infondées. Je veux dissiper les malentendus. C'est l'administration et non le ministre du budget lui-même qui dispose du monopole de l'ouverture des poursuites pénales en matière de fraude fiscale.
Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude ne comporte pas de dispositions sur le verrou de Bercy. Non que le Gouvernement ne veuille agir, mais il laisse l'initiative aux parlementaires. La présente proposition de loi ne prend pas en compte, et pour cause, les conclusions de la mission d'information de l'Assemblée nationale qui seront bientôt rendues. Son rejet par votre commission des finances suffit à démontrer que la démarche d'ouverture du Gouvernement a été entendue. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie rit.)
Le Gouvernement n'est pas favorable à une suppression pure et simple du verrou de Bercy, mais il souhaite en remettre les clés aux parlementaires. Il rejoint la préoccupation du rapporteur sur le secret fiscal, qui ne saurait être levé.
Démythifions le sujet. Le verrou de Bercy n'est pas un verrou. Il prévoit que l'administration fiscale seule a le pouvoir de porter plainte. L'on n'imagine pas de poursuites dans d'autres domaines de l'action pénale sans plainte de la victime...
Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude généralise la publication des sanctions en matière pénale et permet celle des sanctions administratives. L'objectif reste de sanctionner les fraudeurs et de cumuler sanctions fiscale et administrative dans les cas les plus graves.
Deuxième mythe : la CIF n'est ni un OVNI administratif ni un parquet. Elle se borne à vérifier la solidité des dossiers avant de mobiliser l'autorité judiciaire. La CIF valide d'ailleurs 85 % à 95 % des plaintes - selon les années. La loi Sapin de 2013 l'oblige à publier un rapport annuel qui comporte des informations utiles et alimente le débat parlementaire.
Des évolutions sont toutefois nécessaires. La transparence des critères peut être améliorée pour dissiper les fantasmes. Les décisions peuvent toutes être tracées ; aucune main invisible ne protège certains contribuables. Gérald Darmanin a fait des propositions pour mieux associer les parlementaires à ce travail. Le stade de la CIF n'est d'ailleurs pas toujours nécessaire.
Le Gouvernement considère en revanche que le principe de plainte préalable de l'administration est une ligne rouge à ne pas dépasser ; en cas de connexité, par exemple ; c'est essentiel. Des contentieux parallèles devant le juge pénal et le juge administratif formés sur un même dossier pourraient à défaut aboutir à des situations ubuesques.
La procureure du Parquet national financier ne disait pas autre chose en mai 2016 en reconnaissant à la CIF un rôle pragmatique de filtre essentiel, la justice ne pouvant examiner l'ensemble des plaintes.
À vouloir tout judiciariser, nous affaiblirions notre système répressif. Nous proposons plutôt, pour améliorer notre système, de maintenir le verrou, mais de rendre son fonctionnement plus transparent et de vous en donner les clés, en renforçant vos moyens de contrôle, conformément au principe de la séparation des pouvoirs.
Ma position, Madame la Sénatrice, n'est pas tout à fait favorable à la suppression du verrou de Bercy.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous l'avez dit le 25 juillet 2017 !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Votre tweet tout récent me conduit à faire une rectification : j'ai salué l'assouplissement du dispositif par le Sénat. Ce que vous proposez aujourd'hui est une suppression totale. À aucun moment, le groupe socialiste ne l'a proposée.
Le 25 juillet 2017, je me suis félicité que le groupe socialiste ait proposé un aménagement.
Le 5 juillet 2016, l'intégralité du groupe socialiste du Sénat a voté contre la proposition de loi de M. Bocquet supprimant le verrou de Bercy. Le groupe socialiste de l'Assemblée nationale lors de la précédente législature a toujours suivi le Gouvernement sur ce point. Ma position n'a pas changé. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Éric Bocquet . - Nous saluons l'initiative socialiste de débattre du verrou de Bercy, dont nous avons plusieurs fois débattu en commission des finances et dont nous avons adopté la suppression en séance par amendement à trois reprises, dans la grande diversité de nos formations politiques. C'est en effet un sujet républicain, et non partisan.
Ce débat prend un tour particulier au lendemain de la condamnation de M. Cahuzac par la cour d'appel. Ce dernier avait le pouvoir d'ester en justice contre lui-même ! Cela oscille entre l'hallucinant et l'ubuesque. (Sourires)
Sur les 50 000 contrôles fiscaux annuel, environ 15 000 mettent en évidence des fraudes caractérisées. Près de 4 000 dossiers sur ces 15 000 concernent des fraudes supérieures à 100 000 euros chaque année.
L'administration fiscale fait un premier tri de ces 4 000 dossiers, transmis à la CIF, composée de magistrats du Conseil d'État, de la Cour des Comptes et de la Cour de cassation. Ladite commission choisit ensuite d'en transmettre 95 % à la justice, soit entre 900 et 1 000 dossiers. Moins du quart des gros fraudeurs finissent devant le juge. Dans notre pays, on peut en revanche être condamné à deux mois de prison ferme pour avoir volé un paquet de pâtes alimentaires...
L'existence d'une présomption caractérisée doit être prouvée, dit-on ; or cela nécessite les moyens de la justice et la police ! - À plus forte raison dans le cas de fraudes complexes.
La confusion entre l'exécutif et le judiciaire n'est pas acceptable en démocratie. Les magistrats disposent de techniques spéciales, seules capables de confronter les grands groupes manipulant les prix de transfert.
Le verrou de Bercy n'a plus aucune légitimité depuis la création en 2013 du Parquet national financier. Mme Éliane Houlette, procureure du Parquet national financier, l'a dit à l'Assemblée nationale : « Le verrou de Bercy bloque toute la chaîne pénale. Il empêche la variété des poursuites, constitue un obstacle sur le plan juridique et un handicap sur le plan pratique ».
La liberté d'action du Parquet national financier est mise à mal par le verrou de Bercy. Ce Parquet a transmis l'an dernier 77 signalements mais n'a aucun moyen de savoir comment ces dossiers sont traités.
Lutter contre l'évasion fiscale passe par la suppression du verrou de Bercy et par une politique infaillible en faveur de l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOCR)
Mme Nathalie Goulet . - Impression de déjà-vu... Le Sénat a déjà voté la suppression du verrou de Bercy trois fois ! Le timing n'est guère favorable dans une niche parlementaire.
Nous n'avons pas attendu l'affaire Cahuzac pour en parler ; une commission d'enquête nous a déjà fourni des éléments de réflexion. Dommage que le gouvernement précédent ne s'en soit pas saisi en son temps.
Un scandale, une annonce : les choses fonctionnent toujours ainsi... (Sourires) Mais devons-nous vous croire sur parole, Monsieur le Ministre ? Le verrou de Bercy serait plus efficace, sa suppression engorgerait les tribunaux, soit...
Le sénateur Anziani, tombé au champ d'honneur du non-cumul des mandats, avait naguère fait des propositions d'amélioration, notamment en matière de transparence. Que ne l'a-t-on écouté ! Ce n'est pas le rôle des parlementaires de siéger à la CIF, c'est à elle et à l'administration d'être plus transparentes. Pour l'heure, c'est l'opacité totale.
Le rapport de la CIF, parlons-en ! (L'oratrice montre ce document.) Il est totalement abscons et compte plus de camemberts que n'en produit le fameux village éponyme de l'Orne, et l'on n'y comprend strictement rien ! (Sourires et applaudissements)
Transiger, certes, mais selon quels critères ? Qu'est-ce qu'une bonne transaction ? Quelle est, au juste, la marge de manoeuvre ?
Les magistrats veulent plus de pouvoir, c'est normal. Bercy veut garder le sien, ce ne serait qu'une affaire de corporatisme, dit-on parfois. Je ne sais. Mais il faut bien récupérer un peu des 60 milliards à 80 milliards d'euros perdus par la fraude fiscale pour alimenter la hausse des retraites agricoles de 26 euros par personne. L'argent non récupéré par l'administration fiscale nous manque pour agir.
Puisque c'est la saison des réformes, et constitutionnelle, notamment, inscrivons la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales dans le domaine de la loi à l'article 34 de la Constitution. Cela empêchera le Conseil constitutionnel de nous renvoyer dans notre camp en arguant de son caractère réglementaire.
Le groupe UC n'est pas favorable à la suppression pure et simple du verrou - que je voterai cependant, à titre personnel. Nous déposerons un amendement d'assouplissement que, Monsieur le Ministre, vous seriez inspiré de soutenir. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UC et SOCR ; M. Éric Bocquet applaudit aussi.)
Mme Sophie Taillé-Polian . - Chaque année, la fraude fiscale représente une perte de 60 milliards à 80 milliards d'euros par an. Soit 15 % du budget de l'État ! Grâce aux lanceurs d'alerte, aux médias, aux ONG, des avancées incontestables ont été rendues possibles ces dernières années.
Cette proposition de loi est une fin en soi car elle revient sur un mécanisme inacceptable, mais ce n'est pas un aboutissement. Le verrou de Bercy donne une impression de collusion des élites qui s'assemblent pour reporter la charge fiscale sur les citoyens.
Le ministre des comptes publics, détenteur du monopole du déclenchement des poursuites en matière fiscale ? Nous sommes les seuls à trouver cela normal en France. L'efficacité ? C'est à la mode chez ceux qui détestent les contre-pouvoirs...
La sanction pénale a une connotation morale ; elle est aussi plus adaptée aux montages financiers exotiques et sert la lutte contre la concurrence déloyale, dans laquelle s'est engagée la Commission européenne.
Ce verrou est en quelque sorte la pierre angulaire d'un système qui ne fonctionne pas. On parle de mutualisation et de rationalisation, c'est l'empilement de dispositifs disparates qui prévaut. La CIF analyse un quart des dossiers les plus graves, en vertu d'un filtre totalement opaque ; 10 % des dossiers sont suivis par la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF). On envisage une nouvelle police fiscale, dont l'articulation avec la BNRDF est floue, sans parler de la police des douanes. Bref, pour l'efficacité, on repassera. D'autant que les effets pervers sont nombreux.
Et rien ne prouve que le système soit dissuasif : les chiffres rappelés - 50 000 contrôles, 16 000 manquements délibérés, 4 000 dossiers graves - sont stables !
Pire, ce système comporte des effets pervers : sous-dimensionnement de la CIF, opacité totale. Les dossiers transmis sont toujours au nombre de 1 000, qu'il pleuve, vente ou neige, mais ce sont toujours les mêmes ! Mystère... Les autres, ceux que révèlent les journaux, ne donnent lieu à aucune poursuite !
Les juges ne seraient pas formés ou n'auraient pas le temps de se pencher sur les matières nouvelles, dit-on. Mais c'est la conséquence du système que nous dénonçons !
L'année 2013 a marqué un tournant. Il faut franchir une nouvelle étape. Le système est à bout de souffle. Il faut renforcer le Parquet national financier et la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, augmenter les moyens mis à la disposition de la justice et de la DGFiP, et améliorer leur coordination. La transmission des cas graves peut être automatisée. Les contrôles doivent être plus nombreux, et chaque entreprise, chaque citoyen, doit savoir que le contrôle fiscal est possible, et qu'il y a plus d'un contrôle tous les 120 ans en moyenne par société ! À cette fin, les moyens de la DGFiP, je le redis, doivent être augmentés ! Le rapport d'information sur la fraude fiscale de Mme Mazetier et M. Warsmann insistait justement sur ce point. Certains experts parlent d'un effectif de 400 agents affectés à la police judiciaire, sans ponction sur ceux qui sont chargés des contrôles. On est loin des 40 en redéploiement, évoqués dans le projet de loi Darmanin, tout à fait insuffisants.
En Italie, des peines de prison ferme sont souvent prononcées, comme des peines de travaux d'intérêt général. Ce serait intéressant ! Rendons aussi opérante l'interdiction de gérer une entreprise en créant un fichier national qui, n'existant pas, ôte toute portée à cette mesure. L'inscription au casier judiciaire, rarement retenue, devrait être quasi systématique ! On n'a pas cette pudeur avec la petite délinquance...
Il faudrait aussi clarifier la distance entre fraude et optimisation fiscales. Dès qu'il y a montage douteux, il faudrait inverser la charge de la preuve : au contribuable de montrer sa bonne foi, et non pas au contrôleur de démontrer qu'il y a eu volonté de fraude !
Montrons que le Sénat se mobilise contre la fraude fiscale. Soyons à la fois dans la justice et dans l'efficacité en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Emmanuel Capus . - La question qui nous est soumise est délicate. Elle demande sérieux et recul.
Une suppression sèche du verrou de Bercy, sans dispositif de substitution ni amélioration serait précipitée et contre-productive. On ne légifère pas pour répondre à un cas particulier. Or j'ai beaucoup entendu parler de Jérôme Cahuzac...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie et M. Patrick Kanner. - Rien à voir !
M. Emmanuel Capus. - C'est l'apanage du Sénat de ne pas subir la pression médiatique ni les effets de mode. (MM. Antoine Lefèvre et Gérard Longuet approuvent vivement.)
Le verrou de Bercy permet un tri efficace des affaires, avec le souci prioritaire de recouvrer les sommes dues. Les sanctions morales sont ailleurs. Ce n'est pas le sujet. Il faut plutôt lutter contre la fraude et récupérer efficacement les sommes soustraites à la collectivité.
Ceux qui dénoncent l'engorgement des tribunaux sont les mêmes que ceux qui poussent à une sur-pénalisation. Je le sais car je suis avocat : si vous voulez enterrer un dossier fiscal, envoyez-le directement au tribunal correctionnel ! (M. Gérard Longuet approuve.)
La médiation est la première proposition qu'on formule en justice. C'est un non-sens absolu que de vouloir supprimer la transaction. Pourquoi envoyer ces dossiers ultra-précis et techniques pour qu'ils soient traités, en suivant la litanie des audiences correctionnelles, après ceux de conduites alcooliques ou de violences conjugales, qui, hélas, encombrent nos tribunaux, devant un juge, absolument pas formé, lequel, n'y connaissant rien, s'en remettra immanquablement aux sachants, les fonctionnaires de l'administration fiscale ?
Le verrou de Bercy s'est amélioré depuis 1977. Les travaux actuels à l'Assemblée nationale et auprès du ministère l'amélioreront sans le supprimer.
Le groupe Les Indépendants partage la volonté de changement des auteurs de la proposition de loi mais la trouve prématurée. Il ne votera pas la proposition de loi.
M. Yvon Collin . - Le verrou de Bercy pose la question de la séparation des pouvoirs et de la transparence dans les relations entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire. Il constitue une exception à la procédure judiciaire.
L'auteur d'une infraction fiscale ne peut être poursuivi qu'après une plainte de l'administration, laquelle doit être déposée par celle-là après avis de la CIF, sous peine d'irrecevabilité. L'administration fiscale possède donc un monopole, un privilège légal remontant aux années 1920, époque à laquelle l'État se préoccupait surtout de recouvrer l'argent. L'État, « le plus froid des monstres froids », écrivait Nietzsche.
Le Sénat a déjà voté l'assouplissement du verrou de Bercy, comme l'an dernier ou en 2016. Un amendement de M. Bocquet en ce sens avait été adopté. Le groupe RDSE avait suggéré de donner le pouvoir au Parquet national financier. M. Sapin avait émis un avis défavorable en avançant l'efficacité du dispositif.
Les arguments contre une suppression sèche du verrou de Bercy ne manquent pas : expertise de l'administration fiscale, existence d'une réponse pénale dans les cas les plus graves, risque d'engorgement des tribunaux, etc. Toutefois, le souhait d'une plus grande transparence a toute sa pertinence : les critères de la transmission des dossiers par la CIF au juge pénal devraient être mieux connus ; on manque de données sur les dossiers ; les affaires prennent de plus en plus d'ampleur. Les positions sur ce sujet sont crispées, ce qui n'est pas sain.
La loi Sapin 2 a introduit de nouveaux outils de lutte contre la fraude fiscale, tels que la HATVP. Quelque 32 milliards d'euros d'avoirs ont été récupérés.
Les membres du groupe RDSE sont en grande majorité favorables à l'adoption de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et SOCR)
M. Julien Bargeton . - Écartons d'emblée deux idées reçues sur le verrou de Bercy : premièrement, ce verrou serait une anomalie juridique ; or, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité de juillet 2016, le Conseil constitutionnel n'a pas censuré son existence. Deuxièmement, le verrou de Bercy entraînerait un laxisme en matière de fraude fiscale. Ce n'est pas vrai. Les affaires évoquées précédemment sont arrivées devant les tribunaux, lesquels ont prononcé 68 peines de prison, ferme, et 131 amendes d'un montant moyen de 10 000 euros. Je rappelle qu'un contrôle fiscal demande huit mois tandis qu'au pénal, on compte trois ans entre le dépôt de la plainte et le jugement.
La judiciarisation est-elle la meilleure solution ? On ne nous démontre pas que la suppression du verrou de Bercy serait plus efficace. Sans verrou de Bercy, on ne recouvrerait pas 60 milliards à 80 milliards d'euros par an !
Si j'étais taquin, je relèverais que parmi les signataires de la proposition de loi, pas moins de sept étaient en responsabilité sous le quinquennat précédent et n'ont pas agi.
Reconnaissons toutefois que l'efficacité du verrou de Bercy n'est pas entièrement démontrée. Comme Mme Goulet, je plaide donc pour l'évaluation de ce mécanisme. Des évolutions sont possibles, par exemple en améliorant l'encadrement des transactions. Plutôt que de considérer que la suppression du verrou de Bercy serait l'alpha et l'oméga, continuons à avancer. Ainsi, Stanislas Guerini a proposé à l'Assemblée nationale de déchoir de leurs droits civiques les auteurs d'infractions fiscales caractérisées.
La lutte contre la fraude fiscale, atteinte à l'esprit civique, mérite mieux qu'un débat précipité, une réflexion approfondie. C'est pourquoi, en voulant participer à cette lutte, le groupe LaREM votera contre la proposition de loi. (MM. Emmanuel Capus et Gérard Longuet applaudissent.)
M. Antoine Lefèvre . - (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le verrou de Bercy est un dispositif dérogatoire du droit commun. D'aucuns pensent que les affaires de fraude fiscale sont étouffées. En réalité, ce mécanisme, parfaitement conforme à la Constitution, est efficace. Le Conseil constitutionnel juge que l'administration fiscale est la mieux placée pour évaluer le préjudice subi.
La CIF est une autorité administrative indépendante composée de membres du Conseil d'État et de la Cour des comptes, de magistrats de la Cour de Cassation et de personnalités qualifiées nommées par les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale. Elle décide du dépôt de plainte - dans les faits, 90 % des dossiers sont transmis.
Un million de contrôles sont effectués chaque année par l'administration sur les pièces transmises pour la déclaration fiscale et on recense 50 000 contrôles fiscaux. La justice ne le pourrait pas. En outre, le secret fiscal est parfaitement respecté par Bercy, contrairement au secret de l'instruction.
Les tribunaux sont engorgés. Les délais seraient allongés alors que l'État récupère 4 milliards à 5 milliards d'euros chaque année.
Le secret fiscal est parfaitement préservé par Bercy, ce qui n'est hélas pas toujours le cas du secret de l'instruction, comme nous avons pu le constater à plusieurs reprises, des pièces de dossiers en cours d'instruction sont publiées dans la presse...
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Exactement !
M. Antoine Lefèvre. - Le verrou de Bercy est un garde-fou utile qui doit être maintenu, même s'il doit évoluer.
Les tribunaux pénaux sont engorgés et la fin de ce mécanisme leur rajouterait une charge de travail considérable.
Davantage de transparence et de contrôle sont nécessaires, le Parlement devrait y être mieux associé. Des amendements seront déposés lors de l'examen du projet de loi de lutte contre la fraude, que nous examinerons prochainement, le Sénat étant saisi en premier de ce texte.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe UC)
M. Gérard Longuet . - Le Parlement est né du vote de l'impôt. Il est donc normal qu'il consacre tant de débats, parfois répétitifs, à sa collecte et à son efficacité.
Je remercie Mme de la Gontrie dont la proposition de loi a le mérite d'ouvrir le débat. Nombre de parlementaires socialistes auraient pu le faire lorsqu'ils étaient ministres, mais à tout pêcheur miséricorde... Le verrou de Bercy n'est pas un verrou mais un point de passage obligé.
Faut-il accepter ce pilori en place de Grève avant qu'il y ait eu instruction et condamnation ? Les interventions de nos collègues avocats ont été utiles en ce sens.
Instauration du verrou de Bercy dans les années vingt, création de la Commission des infractions fiscales en 1977 - par volonté du président de la République d'alors de maintenir le secret fiscal au regard de l'égalité des citoyens après qu'il avait eu vent d'indiscrétions fiscales sur l'un de ses compétiteurs par voie de presse tout en faisant en sorte que l'information ne se perde pas, création du Parquet national financier en 2013... Et aujourd'hui ? Nous sommes dans une société du numérique qui, que nous l'aimions ou ne l'aimions pas, est une société de la transparence, une société du big data dans laquelle les contrôles fiscaux changeront progressivement de nature et gagneront en exhaustivité, ce que n'autorise pas actuellement le système de contrôles aléatoires en termes d'égalité.
Voilà pourquoi nous ne pourrons pas aller au terme du débat à ce point de notre réflexion. La mission de l'Assemblée nationale rendra ses conclusions la semaine prochaine : son rapport dégonflera sans doute l'illusion d'une caverne magique, d'un antre d'Ali Baba de 80 milliards de fraude fiscale, dont la définition reste à préciser, que l'on pourrait recouvrer.
Nous attendons avec impatience le projet de loi de Gérald Darmanin, il nous invitera à réfléchir sur ce que l'on entend par « fraude fiscale » : optimisation fiscale et délinquance pure et simple. Je compte sur ce texte pour approfondir la réflexion ouverte par notre rapporteur qui reconnaît lui-même qu'il serait malheureux d'abandonner une procédure qui rend hommage à l'efficacité, au professionnalisme et au sérieux de l'administration fiscale mais aussi à sa discrétion qui est assurément un facteur de cohésion et de respect de l'État. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; MM. Pierre Louault et Emmanuel Capus applaudissent également.)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État . - En 2017, il y a eu environ 50 000 contrôles fiscaux externes ; 14 200 dossiers ont donné lieu à une pénalité exclusive de bonne foi, pour un total de 6,4 milliards d'euros, soit une moyenne de plus de 453 000 euros ; 4 200 d'entre eux concernent des droits et pénalités supérieurs à 100 000 euros, soit un total supérieur à 4 milliards d'euros.
En 2016, l'année est différente mais les chiffres sont stables, l'action pénale a donné lieu à 770 décisions de justice, 430 condamnations définitives, dont 360 peines de prison mais 68 seulement de prison ferme, dont l'essentiel fait l'objet d'aménagements de peine, et 131 peines d'amende, dont 121 peines fermes, pour un montant de 14 000 euros en moyenne - nous sommes loin de la moyenne de 453 000 euros de l'action administrative.
Des questions ont été posées sur la future police fiscale. Rappelons que la procédure d'enquête fiscale a été créée pour permettre d'asseoir l'impôt. Les officiers fiscaux judiciaires auront les prérogatives d'officiers de police judiciaire. Pas moins de 83 % des plaintes déposées par la DGFiP concernent la fraude sophistiquée, et non le crime organisé ; ces dossiers nécessitent une expertise d'abord fiscale. Les résultats de la Brigade nationale de répression des fraudes sont contrastés : 496 plaintes depuis 2010, 124 dossiers fiscalisés, 62 décisions de justice, dont 12 classements sans suite, 260 plaintes en cours sans compter les 69 dossiers dans le cadre des Panama papers. Au vu de la capacité de travail de la brigade, il faudrait six ans pour apurer ce stock. D'où la nécessité de créer une police fiscale à Bercy. Les moyens de la DGFiP ? Nous mettons à profit la dématérialisation croissante voire totale des déclarations.
Madame Goulet, le rapport de la Commission des infractions fiscales est dense, voire rébarbatif. Il contiendrait plus de camemberts qu'un village qu'elle connaît bien. Certes, mais les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat peuvent organiser depuis 2013 un débat sur ce rapport, ce qu'elles n'ont jamais fait. Leurs présidents peuvent aussi auditionner le président de la CIF et mener des contrôles sur pièces et sur place... Ce qu'a fait la députée, rapporteure de la mission d'information.
Nous sommes un certain nombre, depuis longtemps, à défendre le principe d'un aménagement du verrou de Bercy ou, pour reprendre une expression en vogue, à vouloir donner les clés du verrou de Bercy au Parlement. Le projet de loi qui vous sera bientôt soumis le permettra sans en passer par une suppression du verrou de Bercy qui nuirait à l'efficacité que nous recherchons tous dans la lutte contre la fraude fiscale.
M. Jérôme Bascher, rapporteur . - Nous avons mené ce débat avec le plus de transparence et d'ouverture possible. Les imprécisions, les fantasmes, les mythes sur le verrou de Bercy : voilà ce qui mine notre démocratie. On parle de 60 à 80 milliards d'euros de fraude, mais cela concerne les fraudes fiscale et sociale (Mme Sophie Taillé-Polian le réfute.) et la fraude sociale ne relève pas de Bercy !
Le rapporteur général en mission aux États-Unis me disait tout à l'heure que la commission des finances souhaitait trouver un point d'équilibre. Ce serait un beau travail sénatorial. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
M. le président. - La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
ARTICLE PREMIER
Mme Sophie Taillé-Polian . - La fraude sociale représente 500 millions d'euros. Le chiffre de 60 à 80 milliards d'euros de fraude fiscale repose sur une extrapolation des syndicats de l'administration de Bercy à partir des contrôles effectués. Monsieur le Ministre, on ne peut pas, comme vous le faites, comparer le faible montant des sanctions prononcées par les tribunaux à celui des peines prononcées par l'administration. Les deux types de sanctions ne s'opposent pas, le Conseil constitutionnel l'a dit.
Les derniers mots de M. Longuet ne peuvent que choquer : la discrétion de l'administration fiscale, c'est cela qui mine la démocratie ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Je préfère le secret fiscal au secret de l'instruction : il est beaucoup moins bafoué.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°100 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 116 |
Contre | 227 |
Le Sénat n'a pas adopté.
ARTICLE ADDITIONNEL
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et les membres du groupe Union Centriste.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Le dernier alinéa de l'article 1741 du code général des impôts est complété par une phrase et trois alinéas ainsi rédigés :
« Toutefois, les poursuites sont engagées dans les conditions prévues par le code de procédure pénale :
« - lorsque les faits ont été portés à la connaissance de l'autorité judiciaire dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction ouverte pour d'autres faits ;
« - lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou lorsqu'il existe des présomptions caractérisées qu'ils résultent d'un des comportements mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales.
« L'administration est informée sans délai des poursuites engagées dans ces conditions. ».
II. - Après l'article L. 227 du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 227-... ainsi rédigé :
« Art. L. 227-... - Pour le délit de fraude fiscale prévu à l'article 1741 du code général des impôts, l'administration fiscale a le droit, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, de transiger, après accord du procureur de la République ou du procureur de la République financier, dans les conditions définies aux articles L. 247 à L. 251 A du présent livre, lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou lorsqu'il existe des présomptions caractérisées qu'ils résultent d'un des comportements mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 228.
« L'acte par lequel le procureur de la République ou le procureur de la République financier donne son accord à la proposition de transaction est interruptif de la prescription de l'action publique.
« L'action publique est éteinte lorsque l'auteur de l'infraction a exécuté dans le délai imparti les obligations résultant pour lui de l'acceptation de la transaction. »
Mme Nathalie Goulet. - Cet amendement, que le Sénat a déjà adopté, lève partiellement le verrou de Bercy. On me dira que ce n'est ni le bon jour, ni la bonne heure, ni le bon texte mais ce serait un bon signal. Il préfigure, si j'ai bien compris, la solution que le ministre préconisera dans quelques semaines : un aménagement.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Cet amendement reprend un dispositif adopté par la commission des lois en juillet 2013, mais non par le Sénat, Madame Goulet. Quel serait son impact sur la justice ainsi que sur le dialogue entre les services et le secret fiscal ? Au nom de quoi introduirait-on une procédure spéciale pour certains cas de fraudes graves ? Ce serait contraire au principe d'égalité. Le périmètre de l'amendement pose aussi problème. Il laisse craindre une désorganisation du système actuel. Avis défavorable.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Même avis. Le moment n'est effectivement pas opportun. Nous y reviendrons en examinant le projet de loi à venir sur la fraude fiscale.
M. David Assouline. - Cet amendement, qui va dans le bon sens, fait tomber un certain nombre d'arguments avancés par le Gouvernement. Le blocage vient donc d'ailleurs. Hors de l'hémicycle, et même à droite, certains se plaignent de l'archaïsme du verrou de Bercy. Il n'existe pas ailleurs, c'est vrai, et il est contraire au principe de la séparation des pouvoirs. Certes, ce gouvernement s'assoit parfois sur les principes fondamentaux de notre République mais lui qui fait constamment référence à l'efficacité économique, comment peut-il justifier que l'on ne cherche pas à récupérer, au moins en partie, les 60 à 80 milliards d'euros de fraude ? Et cela alors qu'il n'y a plus d'argent dans les caisses pour assurer l'ensemble des services publics sur le territoire et financer les hôpitaux publics dont la situation est désastreuse.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Nous sommes face à un double discours et, encore une fois, le Parlement fait l'objet d'un traitement peu agréable. Le ministre nous dit qu'avec Gérald Darmanin, ils ont décidé de donner les clés du verrou de Bercy au Parlement. Mais c'est le Parlement qui fait la loi ! Le Sénat ne serait-il plus le Parlement ? On m'oppose tout un tas de nécessités : il y a nécessité d'aménager, de trouver des critères, de ne pas engorger la justice... Je rends hommage à la proposition de Nathalie Goulet ; d'elle, on ne peut pas dire qu'elle travaille sous le coup de l'émotion. Même le modeste aménagement qu'elle propose ne semble pas être acceptable pour le Gouvernement. Le groupe socialiste le soutiendra. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - J'ai entendu deux, trois fois même, le terme de double discours. Mais qu'est-ce qui a empêché le groupe socialiste de voter le texte de M. Bocquet en 2016 ? Qu'est-ce qui l'a poussé à rétablir le dispositif à l'Assemblée nationale ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous êtes responsable aujourd'hui !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Le double discours, l'amnésie, ce sont les vôtres quand vous êtes dans l'opposition. Pour ma part, j'ai toujours été favorable à l'aménagement du verrou, et c'est ce que fera le projet de loi à venir.
Mme Sophie Taillé-Polian. - La lutte contre la fraude fiscale devrait nous rassembler. Je ne sais pas ce qui changera dans les mois à venir et justifierait d'attendre. Ou plutôt si, je le devine : un nouveau scandale.
Nous avons les outils, ils ont été mis en place sous le précédent quinquennat : déployons-les pour créer une logique dissuasive. Nous serons là pour faire des propositions sur le projet de loi Darmanin mais le Parlement peut prendre ses responsabilités dès aujourd'hui, au Sénat !
M. Emmanuel Capus. - Je rejoins Mme Taillé-Polian sur notre profond attachement à la lutte contre la fraude fiscale mais nous divergeons un tantinet sur les moyens d'y parvenir : faire de la voie pénale la voie privilégiée se discute.
Nous aurons un long débat sur le texte à venir ; les travaux de l'Assemblée nationale qui seront rendus publics le 22 mai nous aideront à avancer. Pour l'heure, le groupe Les Indépendants votera contre cette proposition de loi.
Mme Nathalie Goulet. - Je maintiens mon amendement. Il découle de ce que nous avons déjà voté ici au Sénat, à l'occasion des débats sur le financement du terrorisme. Lever le verrou en cas d'infractions connexes, ce n'est tout de même pas la mer à boire.
Les échéances avancées par le ministre ne sont pas une garantie. Un signal serait bienvenu, d'autant que je doute que l'ensemble des mesures d'assouplissement annoncées soient plus expertisées, dans quelques semaines, que mon amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°101 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l'adoption | 164 |
Contre | 180 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'article 2 est adopté, de même que les articles 3, 4, 5, 6, et 7.
M. Jérôme Bascher, rapporteur. - Il était original d'adopter l'article 2 et les suivants quand ils sont de cohérence avec l'article premier que nous avons rejeté... J'invite le Sénat à rejeter l'ensemble du texte.
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°102 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 116 |
Contre | 227 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La séance est suspendue à 18 h 15.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 18 h 35.
Rappels au Règlement
Mme Cécile Cukierman . - Mon rappel au Règlement se fonde sur son article 36. Le 7 mars dernier la discussion au Sénat a été houleuse. Alors que tous les groupes sauf LaREM étaient prêts à voter conforme cette proposition de loi revalorisant les retraites agricoles, le Gouvernement a utilisé le 44-3 pour imposer le vote bloqué ; un véritable coup de force, sans précédent et antidémocratique. Depuis, nous avons suspendu l'examen du texte et plus de 8 000 pétitions nous sont parvenues. Je vous les remets, elles sont entre vos mains, tout comme le devenir des retraités agricoles qui sont en tribune aux côtés d'André Chassaigne.
Le Gouvernement est-il prêt à faire un pas vers la démocratie en acceptant le débat sans vote bloqué ? Est-il prêt à revaloriser les pensions agricoles ? Vous en avez leur destin entre vos mains. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Laurence Cohen . - Mon rappel au Règlement se fonde également sur l'article 36. En commission, chacun a pu exprimer son point de vue. Ce dialogue est nécessaire, utile, sain. En politique, la confrontation est salutaire.
M. Roland Courteau. - Très bien.
Mme Laurence Cohen. - Le coup de force du Gouvernement apparaît d'autant plus antidémocratique. Après le recours au 44-3 le 7 mars dernier, il a choisi de détourner le débat en déposant des amendements portant article additionnel avant l'article premier.
Vous proposez une revalorisation de 27 euros par mois pour les collaborateurs d'exploitants - en 2020. Quelle générosité ! Quel mépris pour le monde agricole ! (Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa renchérissent.)
Et quel mépris pour le consensus du Sénat ! Cruelle ironie, à la veille de la réforme constitutionnelle ! En quoi maltraiter le Parlement serait-il gage d'efficacité ? Vous savez que le dépôt de ces amendements dilatoires entraîne la mort de facto de cette proposition de loi. Ces manoeuvres ne font que renforcer notre détermination. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Éric Bocquet . - Je me fonde à mon tour sur l'article 36 du Règlement du Sénat. Il est urgent d'offrir aux agriculteurs des pensions décentes, par justice sociale mais aussi parce que le niveau des retraites agricoles a un impact sur notre modèle agricole. Alors que l'agriculture se financiarise et que l'accaparement des terres progresse, il faut favoriser l'agriculture à taille humaine, la possibilité de céder les exploitations à un coût acceptable, les départs à la retraite anticipés, l'installation des jeunes. Il faut refuser une agriculture standardisée aux mains des firmes financières. Les élus locaux nous soutiennent.
Vous avez dit, Monsieur le Ministre, qu'on ne saurait trouver 400 millions d'euros un soir, comme ça au Sénat.
La suppression de l'exit tax qui vient d'être annoncée par le président de la République coûte deux fois plus cher ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR, UC et Les Républicains)
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. - Ce n'est que 12 millions d'euros par an !
M. le président. - Acte est donné de ces rappels au Règlement.
Revalorisation des pensions agricoles (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
La discussion de ce texte a commencé le 7 mars dernier. Le Gouvernement avait demandé au Sénat de se prononcer par un seul vote, conformément à l'article 44-3 de la Constitution, sur l'ensemble de la proposition de loi, modifiée par l'amendement n°3 qu'il avait déposé.
Quelques précisions sur la procédure de vote unique : les sénateurs conservent la possibilité de prendre la parole sur les articles du texte et les auteurs des amendements conservent leur droit de présentation. Les orateurs inscrits en prise de parole sur les articles disposeront de 2 minutes 30. À l'issue de ces prises de parole et de la présentation des amendements, nous passerons aux explications de vote et au vote unique sur les articles, les amendements retenus et l'ensemble de la proposition de loi. Je crois utile ce rappel pour que nos débats se déroulent dans une parfaite sérénité ! (Applaudissements)
Discussion des articles
ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier
M. le président. - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Par dérogation à la dernière phrase de l'article L. 732-54-2 du code rural et de la pêche maritime, le montant minimum mentionné au même article au titre des périodes d'assurance accomplies comme collaborateur d'exploitation ou d'entreprise agricole, comme conjoint participant aux travaux et comme aide familial est revalorisé de 5 % au 1er janvier 2020, dans des conditions fixées par décret.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. - La pension majorée de référence s'élève à 687,33 euros par mois pour une carrière complète pour les chefs d'exploitation et les personnes veuves et 546,17 euros par mois seulement pour les conjoints collaborateurs et les aides familiaux.
Cet amendement augmente le montant minimum de 5 % dès le 1er janvier 2020. C'est une mesure de justice qui améliorera la retraite de 160 000 personnes.
M. Dominique Watrin, rapporteur de la commission des affaires sociales. - Cette revalorisation de la pension minimum de référence pour les conjoints collaborateurs et aides familiaux représente une augmentation de 27 euros par mois maximum...
M. Charles Revet. - Et en 2020 seulement ! Incroyable !
M. Dominique Watrin, rapporteur. - ... à comparer à l'écart entre la pension moyenne des exploitants, de 855 euros, et celle des conjoints, de 597 euros. Le Gouvernement évalue le coût à 30 millions d'euros par an, contre 400 millions d'euros pour l'ensemble de la proposition de loi.
La commission des affaires sociales a émis un avis défavorable sur cet amendement comme sur le suivant qui assouplit les conditions d'éligibilité au point gratuit pour les travailleurs inaptes ou handicapés ayant liquidé leur pension depuis 1997. C'est une avancée très limitée, d'autant que l'augmentation est renvoyée à 2020. Surtout, l'adoption de ces amendements empêcherait le vote conforme indispensable pour que ce texte entre en vigueur au plus vite. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR, UC et Les Républicains)
M. le président. - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 2° du II de l'article L. 732-56 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La condition de durée d'assurance ou de périodes reconnues équivalentes mentionnée au présent 2° n'est pas applicable aux assurés reconnus inaptes au travail dans les conditions mentionnées à l'article L. 732-23 et aux personnes justifiant d'une pension de retraite liquidée en application des articles L. 732-18-2 et L. 732-18-3 et du VI de l'article 21 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. »
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Il est défendu...
ARTICLE PREMIER
M. Laurent Duplomb . - Je ne peux qu'approuver le principe de revalorisation des petites retraites agricoles. Qui peut trouver normal de percevoir une si faible pension après une vie de travail ? Cela tient à la faiblesse des cotisations, qui résultent elle-même de très faibles revenus. Cette revalorisation est attendue par les anciens agriculteurs dont le pouvoir d'achat est entamé par la hausse de la CSG et du prix du carburant... (On approuve à droite.)
Ces 400 millions d'euros seraient financés par une hausse de 0,3 % à 0,4 % de la Taxe sur les transactions financières (TTF). Attention toutefois à ce que cela ne se traduise pas par une hausse des cotisations des actifs à la Retraite complémentaire obligatoire (RCO), qui n'ont cessé d'augmenter, à 3 % en 2014, puis à 3,5 %, 4 %... La RCO des actifs pourrait doubler : ce n'est pas acceptable.
Petites pensions car petits revenus, à cause de la pression exercée par les grandes et moyennes surfaces sur les prix. Ne faudrait-il pas augmenter la Taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) plutôt que de compter sur la TTF ? C'est le sens de la proposition de loi que j'ai déposée. La revalorisation des pensions serait le juste retour du fruit du travail du laboureur et de ses enfants. La terre n'est peut-être pas un trésor mais les grandes enseignes s'en sont fait un sur le dos des paysans ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et CRCE)
M. Ladislas Poniatowski. - Excellent !
M. Jean-Marc Boyer . - Fils et petit-fils de paysans, nous avons tous été marqués par leurs retraites de misère. Cette proposition de loi est un appel à la dignité, à la justice, à l'équité et la solidarité envers ces hommes et ces femmes qui ont travaillé toute leur vie et se retrouvent sous le seuil de pauvreté.
Elle a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale et pour cause : un retraité agricole sur trois touche moins de 350 euros par mois. Leur désarroi mérite une action rapide, sans attendre une réforme globale des régimes de retraite. Un montant de 75 % du SMIC est largement insuffisant. Il faut au moins 85 %.
De son enfance paysanne, Pompidou disait : « je n'ai reçu que des leçons de droiture, d'honnêteté et de travail. Il en reste toujours quelque chose ». Rendons au monde paysan ce qu'il mérite. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Ladislas Poniatowski. - Très bon !
M. Roland Courteau . - Pour le Gouvernement, cette proposition de loi est prématurée. Pour nous, il y a urgence sociale. C'est pourquoi nous voulons un vote conforme. Vous parlez équilibre des comptes, nous parlons justice sociale et solidarité. Le Gouvernement réforme l'ISF tout en assurant les retraités agricoles de son attention. Mais comme en amour, seules comptent les preuves !
Vous refusez nos propositions de financement mais n'en proposez pas d'autres. En quoi faire contribuer le monde de la finance à hauteur d'un centime pour une action de 10 euros peut-il gêner ? Que pensez-vous d'une retraite de 967 euros par mois pour un couple de non-salariés agricoles de l'Aude, après des décennies de dur labeur ? Cette mesure concerne les petits paysans de métropole et outre-mer, les travailleurs de la terre qui ont transformé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une agriculture autarcique en agriculture de production. Ils ne demandent que reconnaissance et justice sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR et sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Pierre Cuypers . - Je suis gêné par cette discussion, en cette période difficile que traverse le monde agricole. J'ai honte face à ceux qui ont construit la richesse de notre pays pendant des décennies. J'ai honte qu'on ne reconnaisse pas la qualité de leur travail et de leur production, honte que tout agriculteur ne perçoive pas une retraite juste.
Madame la Ministre, reprenez donc une exploitation, travaillez pendant quarante ans et finissez votre vie avec 687 euros par mois... C'est insupportable. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Maurice Antiste . - La question des retraites est vitale pour nos agriculteurs, surtout en outre-mer. En Martinique, les contraintes insulaires, climatiques, sanitaires, la petite taille des exploitations limitent les économies d'échelles, renchérissent la main-d'oeuvre et le foncier, minent la compétitivité des productions locales. En Martinique, le nombre d'exploitations est passé de 8 000 à 3 300 entre 2001 et 2011. Quelque 66 % des 2 994 exploitations ont une surface agricole utile (SAU) de moins de cinq hectares. La SAU a baissé de 23 % en dix ans et ne couvre plus que 21 % du territoire.
Entre 2013 et 2014, on a constaté une régression de 14 % des cultures légumières, de 6 % des cultures fruitières semi permanentes et de 30 % des cultures fruitières permanentes ! Seuls 9 % des chefs d'exploitation ont moins de 40 ans...
Selon le rapport 2016 du Conseil d'orientation des retraites, une pension complète s'élève à 1 690 euros pour les travailleurs agricoles, et 710 euros pour les non-salariés, moins que le seuil de pauvreté ; outre-mer, un mono-pensionné sur deux perçoit 333 euros par mois !
Nos agriculteurs se tuent à la tâche sans parvenir à vivre décemment du fruit de leur labeur et se retrouvent dans la misère à la retraite. Nous ne pouvons être complices. J'espère que cette proposition de loi prospérera. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Daniel Chasseing . - Les agriculteurs aiment passionnément leur travail, ils ont fait progresser la production de notre pays, ils ont fait face aux crises tout en essayant de dégager un excédent pour faire vivre leur famille et rembourser leurs emprunts. Pourtant, en 2016, ils vendaient en dessous du prix de revient...
J'en connais qui ont travaillé sept jours sur sept toute leur vie pour faire croître leur exploitation. Une retraite équivalente à 85 % du SMIC, ce n'est que justice.
Je comprends qu'il faille se soucier de l'équilibre des comptes sociaux et salue la proposition du Gouvernement, mais elle ne suffit pas. Le montant de 987 euros par mois doit être accepté le plus vite possible. Les conjoints, souvent des femmes, doivent pouvoir bénéficier d'une retraite décente. Le groupe Les Indépendants s'abstiendra.
Mme Françoise Laborde . - Le 7 mars dernier, beaucoup d'entre nous ont été stupéfaits par le recours au vote bloqué. Le Gouvernement a préféré le bras de fer, ce qui ne s'est produit que six fois depuis 1959 sur une proposition de loi, et alors qu'il n'y avait aucune obstruction !
Certes, ce texte avait été adopté sous la précédente législature. Mais il est en cohérence avec les engagements du candidat Macron et il répond, sur le fond, à une situation d'urgence réelle. S'il avait été voté à temps par le Sénat, il aurait pu entrer en application dès le 1er janvier 2018. Je félicite le groupe CRCE d'avoir permis son examen. Les agriculteurs sont en grande détresse et je ne dis rien de leurs collaborateurs, souvent des collaboratrices, sans statut.
J'ai pris note des propositions du Gouvernement, qui ne s'appliqueront qu'en 2020. Une aumône... Mieux que rien, diront certains ; mépris, diront d'autres.
Madame la Ministre, cette proposition de loi, amendée, serait-elle inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Victoire Jasmin applaudit aussi.)
M. Ladislas Poniatowski. - Bien sûr que non !
Mme Nadine Grelet-Certenais . - Quelle déception, Madame la Ministre, de voir que le Gouvernement use à nouveau d'artifices de procédure. Nous ne sommes pas dupes : en déposant deux amendements, favorables en apparence, vous empêchez le vote conforme et nous contraignez à enterrer au plus vite ce texte. Est-ce cela, une démocratie responsable et efficace ? Un système dans lequel le Parlement est hors-jeu ?
Il y a urgence sociale, vous le savez. Vous exercez un marchandage tactique sur le dos des agriculteurs : c'est inacceptable. (M. Roland Courteau renchérit.) Vos amendements postiches visent à nous diviser : nous ne les voterons pas. Les agriculteurs nous regardent et soutiennent l'adoption conforme de ce texte ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; Mme Jacky Deromedi applaudit également.)
Mme Éliane Assassi . - Ainsi donc vous maintenez le recours au vote bloqué, Madame la Ministre. Vous n'avez pas bougé d'un iota, nous le regrettons. Ce coup de force inacceptable illustre votre peu de respect pour le monde agricole et pour le Parlement - tout comme vos projets de loi organique et ordinaire qui tendent à réduire la place du Parlement dans l'architecture institutionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains)
Les principales raisons de la situation catastrophique des retraites agricoles sont connues et défavorisent doublement les ultramarins.
À La Réunion, le montant moyen des pensions agricoles était de 375 euros par mois en 2016 ; 75 % des retraités perçoivent moins que le seul de pauvreté et 25 %, moins de 100 euros par mois ! Supprimons dans un premier temps la condition de durée minimale d'assurance en tant que chef d'exploitation, et permettons de cotiser au RCO. La revalorisation des pensions de tous les retraités agricoles s'impose ; nous aurons l'occasion d'y revenir dans la discussion. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR ; Mme Viviane Malet applaudit également.)
Mme Christine Prunaud . - Le monde agricole a longtemps été considéré, à tort, comme un milieu d'hommes reléguant dans l'ombre les nombreuses femmes qui assument pourtant bien des tâches à la ferme.
Les femmes ont toujours joué, en effet, un rôle crucial, même si elles restent minoritaires parmi les exploitants. Retraitées, leur situation est dramatique, révoltante : 200 à 300 euros par mois, comment l'accepter ? La moyenne versée par la MSA tourne autour de 400 euros. Dans les Côtes d'Armor, cela se rapproche plus souvent de 150 euros.
En réalité, nous ne devrions même pas être là ce soir à en discuter : la revalorisation des pensions est urgente ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur certains bancs du groupe Les Républicains)
Mme Monique Lubin . - En mars, le Gouvernement avait sorti l'artillerie lourde pour empêcher l'adoption de ce texte. Il n'en veut toujours pas : pour preuve, ses amendements qui font mine de traiter la situation mais ne servent qu'à repousser l'échéance. Là, comme sur le trait de côte, quand sortirons-nous des circonvolutions, quand cesserons-nous de remettre à plus tard ce que nous pouvons faire ici et maintenant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Éric Kerrouche . - Madame la Ministre, votre sens de la justice sociale ne cesse d'étonner. Les faits, eux, sont têtus. Les faits, ce sont les 13 483 agriculteurs retraités des Landes, c'est cet exploitant de Saint-Vincent de Tyrosse qui, après avoir travaillé de 14 à 60 ans, va toucher 815 euros par mois, sous le seuil de pauvreté. Les associations, les syndicats qui se sont mobilisés se sentent trahis.
Vous faites bien peu de cas du consensus au Parlement, ce qui augure bien mal de la place que vous lui réservez dans la révision constitutionnelle à venir.
Vous préférez les 330 000 contribuables assujettis à l'ISF aux agriculteurs, qui ne sont pas des sous-citoyens. Leurs 116 euros de revalorisation ne seront pas, eux, placés dans un paradis fiscal ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Mme Laurence Cohen . - Le 20 février dernier, nous débattions du rapport de la Délégation aux droits des femmes sur les agricultrices. Les mots passion, courage, engagement, mais aussi pénibilité, préjugés, invisibilité sont revenus à de nombreuses reprises, et la question du statut juridique des conjointes ou collaboratrices agricoles a été évoquée.
Marlène Schiappa, au banc du Gouvernement, s'est dite concernée. Quoi de plus normal ? Mais ce même Gouvernement, qui se disait pourtant « attentif et sensible » au problème, refuse de revaloriser les pensions de ces femmes ! Ce double langage est insupportable. Le président de la République annonçait pourtant vouloir faire de l'égalité entre les femmes et les hommes une grande cause nationale. « Paroles, paroles, paroles », pourrait-on chanter si la situation n'était pas si dramatique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
Mme Marie-Pierre Monier . - Les retraites agricoles sont à part, de par leur niveau et leur modalité de calcul. Le montant moyen est faible, en deçà du seuil de pauvreté ; la retraite est en outre calculée sur l'ensemble de la carrière et non sur les 25 meilleures années. Dans la Drôme, la pension moyenne d'un non-salarié est de 758 euros par mois pour une carrière complète, mais les carrières sont souvent courtes et hétérogènes : les montants réels sont bien moindres.
La politique volontariste du précédent Gouvernement, qui avait relevé le minimum garanti à 75 % du SMIC net et envisageait 85 % dès 2018, est hélas abandonnée alors que les agriculteurs peinent à recueillir les fruits d'une vie de labeur. C'est injuste. Il y a urgence à soutenir le monde agricole, qui nourrit la France, entretient les paysages et maintient la vie dans nos territoires. On ne peut pas attendre 2020. L'amélioration des recettes fiscales permettrait pourtant de trouver les 350 millions d'euros nécessaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)
Mme Esther Benbassa . - L'article premier de la proposition de loi assure aux salariés agricoles une retraite équivalente à 85 % du SMIC. Le Gouvernement s'y refuse, hélas.
L'enjeu est d'abord social. La pension moyenne est de 766 euros par mois, moins que le seuil de pauvreté ; un tiers des retraités touche moins de 350 euros.
C'est aussi un enjeu de genre, puisque les femmes touchent une retraite moyenne d'environ 560 euros par mois.
C'est enfin un enjeu d'égalité territoriale : outre-mer, certains ne touchent qu'une centaine d'euros par mois. C'est inique, indigne, pour des travailleurs qui ont connu des années de labeur harassant.
Par son refus doctrinal, le Gouvernement manifeste son mépris envers le monde rural et accroît la fracture sociale et territoriale. Nous attendons un geste pour les retraités agricoles, ils le méritent tout autant que les patrons du CAC 40 dont vous avez les intérêts à coeur. Madame la Ministre, écoutez-nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Victoire Jasmin . - Le Gouvernement se livre à un nouvel abus de droit en imposant le vote bloqué. Avec ce passage en force, la démocratie est en danger. Le report en 2020 de toute revalorisation est une marque de mépris pour les travailleurs de la terre. Le Gouvernement est sourd à la souffrance de ceux dont le désarroi les pousse parfois au suicide - je vous renvoie à l'article récent de La Croix.
La souffrance est rude, notamment outre-mer. Ces mesures d'équité et de justice sont indispensables : il y va de la survie d'une profession qui, à force de sacrifices, participe à notre alimentation et à la préservation de nos espaces. Nous pouvons encore sauver des agriculteurs de la misère et du suicide. Soyez à l'écoute ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
La séance est suspendue à 19 h 30.
présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Communication
Conférence des présidents
M. le président. - Les conclusions adoptées par la Conférence des présidents réunie ce jour vous ont été adressées par courriel et sont consultables sur le site du Sénat. Elles seront considérées comme adoptées en l'absence d'observations d'ici la fin de la séance.
Revalorisation des pensions agricoles (Suite)
M. le président. - Nous reprenons la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
Discussion des articles (Suite)
ARTICLE PREMIER (Suite)
M. Fabien Gay . - La situation exige une mesure d'urgence, qui fait une rare unanimité. Le déclassement social de la paysannerie n'est pas une vue de l'esprit. Le régime de retraite agricole est déclassé, les pensions versées sont parmi les plus faibles d'Europe.
Comment dire à ces retraités qu'ils peuvent encore attendre 2020, alors que vous vous êtes empressés de rendre trois milliards d'euros aux ultra-riches ?
M. Roland Courteau. - Eh oui !
M. Fabien Gay. - Vous êtes le Gouvernement des nantis ! Vous refusez la possibilité d'augmenter de 100 euros par mois les retraites agricoles, une avancée modeste pour les 230 000 bénéficiaires - et vos motifs sont des plus obscurs. Comme l'a confirmé Oxfam hier, la France est au premier rang pour les dividendes, et les premiers de cordée français sont les champions de la spéculation financière. Et il ne serait pas possible de prélever le minimum indispensable à une vie digne ?
Tous vos arguments techniques ont été contredits. Cette proposition de loi est le fruit d'un travail de terrain, par les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Votre attitude est la preuve que le pouvoir législatif est bâillonné. Vous creusez le fossé entre pouvoir et citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Victoire Jasmin et M. Roland Courteau applaudissent également.)
Mme Gisèle Jourda . - Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? Voici votre message aux agriculteurs retraités, qui ont assez vu le soleil foudroyer et l'herbe verdoyer. Madame la ministre, entendez leur SOS !
Leurs retraites sont les plus basses du pays. Chers collègues, comme moi dans l'Aude, vous avez tous été alertés par les retraités agricoles, vous avez lu les certificats que la MSA leur envoie : la situation est intolérable, elle n'a que trop duré !
Madame la Ministre, vous savez que le calendrier parlementaire est embouteillé, que tant de textes sont en attente. Comment pouvez-vous invoquer votre future réforme des retraites ? L'expérience m'a confirmé qu'il ne faut pas remettre à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui.
Nous devons voter conforme ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit aussi.) Les agricultrices, les agriculteurs dont nous débattons, après la guerre, parmi d'autres, ont remis le pays sur pied, ils ont fait de la richesse de notre pays ce qu'elle est.
Vous nous expliquiez que nous aurions pu augmenter leurs pensions avant...
Il est rare que l'expression du peuple, des territoires, se retrouve de façon aussi claire sur un point et qu'elle réunisse si largement les bancs de notre hémicycle. En fait, notre pays ne reconnaît pas suffisamment le travail de ses agriculteurs, et vous refusez ce texte qui ne fait pas même passer les pensions agricoles au-dessus du seuil de pauvreté...
Le projet est reporté à 2020 ? Mais vous savez qu'il faudra à cette date faire un effort supplémentaire de solidarité nationale, aller au-delà de ce que nous proposons aujourd'hui.
Je proteste contre une attitude qui bafoue la démocratie. J'espère, Madame la Ministre, que vous reviendrez sur votre demande de vote bloqué. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et CRCE et sur quelques bancs des groupes SOCR et UC)
Mme Élisabeth Doineau . - Ce texte est l'occasion de gommer une honte nationale - le montant de ces retraites - une honte que nous partageons.
La situation des retraités agricoles est très difficile, tout particulièrement pour les femmes, et pour les retraités des outre-mer ; la situation est exceptionnelle - il faut donc une mesure exceptionnelle. C'est alors que notre pays dira sa reconnaissance, redonnera de la dignité à ceux qui, par leur travail, nourrissent notre pays et entretiennent nos territoires.
Le président de la République a annoncé un monde nouveau. Ce texte n'aurait-il pas pu être l'occasion de le concrétiser ? Je comprends que vous annonciez une future réforme. Mais cette mesure n'est qu'une anticipation. La solidarité familiale ne suffit pas, il faut de la solidarité nationale.
Gouverner, c'est renoncer ? C'est aussi choisir.
Le groupe centriste choisit la solidarité. La France entière, à l'image des bancs du Sénat, doit se retrouver dans le soutien aux agriculteurs. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Henri Cabanel . - Je suis un sénateur déçu. Tous les groupes du Sénat, cet après-midi, ont été unanimes sur le trait de côte - même LaREM. Pourtant, côté gouvernemental, ce soir comme cet après-midi, nous constatons le même entêtement.
Quelle est votre vision de la démocratie, Madame la Ministre ? Tout se décide dans le microcosme parisien, loin des territoires. Il faudra bien plus qu'un direct avec Jean-Pierre Pernaut pour vous réconcilier avec la ruralité ! (Rires et applaudissements)
Deux suicides par semaine, et pour cause : après des années de labeur, une retraite de misère, indigne de la République. Il vaut mieux tenir qu'espérer : ne ratons pas cette occasion et repoussons l'amendement du Gouvernement, qui repousse cette proposition de loi aux oubliettes ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Franck Montaugé . - Les enfants, les petits-enfants d'agriculteurs parsèment cet hémicycle, ces agriculteurs qui se sont donné de la peine sans s'enrichir.
Saluons leurs représentants présents ce soir dans nos tribunes. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)
Pourquoi ne pas poursuivre les progrès initiés par Lionel Jospin et François Hollande ?
Ce que vous proposez - si l'on se fie aux propos du président de la République, qu'un euro de cotisation ouvrirait sur un euro de retraite - c'est une régression pour le monde agricole.
Les États généraux et autres Assises se multiplient, notre pays est au chevet de son agriculture et, dans les faits, ce sont des vies vidées de sens, des conditions de vie indignes pour un pays développé... C'est inacceptable.
Le groupe socialiste veut reconnaître la juste valeur du travail de production. Le progrès, c'est maintenant.
En recourant au vote bloqué, vous laissez le temps régler les choses, c'est moralement abject, contre les valeurs mêmes de la République. Il n'y aurait donc pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre ; les retraités agricoles méritent mieux qu'un tel traitement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Claude Bérit-Débat . - Tout a été dit de l'injustice de ces pensions trop faibles. Tout a été dit sur les procédures que vous avez utilisées pour éviter le débat de fond.
Sénateur de Dordogne, je sais que ces hommes et que ces femmes ont un visage. Nous les connaissons. Pour la plupart, nous sommes leurs enfants ou leurs petits-enfants. Dans les tribunes ce soir, il y a le président de l'Association nationale des retraités agricoles de France (Anraf), accompagné d'un vice-président issu de la Dordogne, d'où est né le mouvement en 1973 - la Dordogne, pays de Jacquou le Croquant.
Sous Lionel Jospin, la loi Germinal Peiro - enfant de la Dordogne - est venue faire progresser les pensions. Elles ont ensuite atteint 75 % du SMIC. Nous voulons les porter à 85 % du SMIC avec cette proposition de loi ; pourquoi refusez-vous de le faire ? Les 6 000 retraités agricoles de Dordogne sauront à quoi s'en tenir avec votre Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Claude Tissot . - Madame la Ministre, votre attitude démontre votre mépris pour le monde des travailleurs de la terre. Quelle est votre définition des mots « justice sociale » ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. Marc Laménie . - Quoique je ne sois pas agriculteur, je suis solidaire de ce monde qui travaille très dur, et qui est indispensable aux territoires. Le monde agricole souffre depuis de longues années. Reconnaissons ses efforts.
Le montant des pensions nous oblige à la solidarité. Cette proposition de loi pose les problèmes essentiels pour la défense du monde rural. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, CRCE et SOCR)
M. Daniel Laurent . - Je suis viticulteur ; je connais la retraite que je toucherai : une misère. (Rires sur les bancs du groupe LaREM) Avec le président de la République et le Gouvernement, vous abaissez à 80 km/heure la vitesse sur les routes - ce qui gênera les ruraux. Cela coûtera 400 millions d'euros pour changer les panneaux.
Cette proposition de loi coûtera le même montant. Pour arrêter d'enquiquiner les Français, essayez donc de réfléchir intelligemment : échangez les deux mesures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe SOCR)
Mme Cécile Cukierman . - La séance du 7 mars s'est finie dans le chaos car le Gouvernement a annoncé vouloir utiliser le vote bloqué. Ne parlons pas de la faute d'il y a cinq ans. Cette séance est l'occasion d'y remédier.
Lorsque nous avons annoncé aux retraités agricoles que le Gouvernement utiliserait le vote bloqué, il y a eu des larmes, mais aussi une réelle incompréhension du sort réservé à une mesure aussi fortement soutenue au Parlement. Nous parlons d'hommes et de femmes qui ont des pensions de 350 euros par mois.
Le vote bloqué ne fait que confirmer la piètre opinion des Français envers le monde politique...
Vous devrez expliquer aux Français pourquoi vous laissez mourir de faim ceux qui les ont nourris pendant si longtemps. Vous utilisez ce texte pour montrer que vous ne céderez sur rien. C'est lamentable. (Applaudissements soutenus sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Nicole Bonnefoy . - Madame la Ministre, vous avez exprimé votre opposition au fonds d'indemnisation aux victimes des produits phytosanitaires car vous attendiez des preuves de la nocivité de ces produits, malgré les nombreux rapports qui la démontrait, y compris de votre ministère. Vous refusez aujourd'hui une augmentation légitime de pensions dont tout le monde reconnait qu'elles ne sont pas dignes. Ma conviction, c'est que vous n'aimez pas les agriculteurs et surtout les plus faibles. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
M. le président. - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.
Remplacer l'année :
2018
par l'année :
2020
Mme Agnès Buzyn, ministre. - L'amendement reporte de 2018 à 2020 l'entrée en vigueur de cette disposition pour l'inscrire dans la réforme globale des retraites. C'est une réforme de grande ampleur... (Huées sur les bancs des groupes CRCE et SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains) L'ensemble des assurés sociaux seront concernés.
M. Pierre Laurent. - C'est ce que vous dites !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Il n'est pas opportun d'agir de façon sectorielle, ni de modifier des paramètres majeurs du système de retraite agricole.
Mme Esther Benbassa. - Vivre dignement, ça c'est majeur !
Mme Éliane Assassi. - C'est honteux ce que vous dites !
M. Michel Raison. - Lamentable !
M. Dominique Watrin, rapporteur. - Nous nous sommes exprimés le 7 mars. La commission des affaires sociales s'est prononcée clairement contre cet amendement. Au-delà du changement de date, c'est tout le sens de la proposition de loi qui est remis en cause.
J'ai pris plaisir à travailler avec la commission lors d'échanges très fructueux. Notre conclusion a été qu'il fallait un vote conforme. Votre attitude, Madame la Ministre, était démesurée dans sa brutalité. La mesure est financée : 450 millions d'euros de recettes pour 400 millions d'euros de dépenses. Elle n'est pas prématurée, ou bien allez le dire aux intéressés !
Avis défavorable à cet amendement qui signe l'arrêt de mort de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et SOCR)
ARTICLE 2
M. Pascal Savoldelli . - Pourquoi une taxe additionnelle sur les transactions financières ? Car les produits agricoles sont depuis vingt ans dans le circuit financier infernal : contrats à terme, où l'on échange sur la récolte de pommes de terre avant que les plans aient commencé à fleurir, sans parler des marchés céréaliers, de la viande et des produits laitiers. Soyons réalistes. Ce sont des transactions financières spéculatives. Elles désorganisent les relations en créant une forte incertitude sur les prix et sur les ressources de la MSA. La taxation n'est pas une élucubration de philosophes marxistes ou d'économistes altermondialistes mais une évidence de bon sens. Nous demandons que l'argent du travail aille au travail et non à la spéculation. Pour cela, il est grand temps que la sphère spéculative mette la main au portefeuille.
Madame la Ministre, (M. Pascal Savoldelli brandit une pièce et un billet.), un centime pour dix euros de spéculation : voilà ce que vous demande le Sénat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE) Car comme le dit le poète : quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
ARTICLE 3
Mme Victoire Jasmin . - La plupart des retraités agricoles ultramarins ne remplissent pas les conditions pour prétendre à 75 % du SMIC. En outre-mer, seuls 3 % des monopensionnés agricoles ont une carrière complète. Cet article assure une pension de 75 % du SMIC en justifiant d'une carrière complète pour l'ensemble des régimes.
ARTICLE 4
Mme Victoire Jasmin . - Les salariés agricoles d'outre-mer, hors Guyane et Martinique, ne bénéficiaient pas des accords antérieurs. Cet article donne dix-huit mois aux partenaires sociaux pour conclure un accord, sans quoi l'État reprendra la main. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
M. le président. - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par MM. Panunzi, Grand et Joyandet, Mme Bonfanti-Dossat, M. Grosdidier, Mmes Bruguière, Garriaud-Maylam et Deromedi, MM. Grosperrin, Paccaud et Vogel, Mmes Micouleau, Lanfranchi Dorgal et Lamure, MM. Mandelli, Bonhomme et Babary, Mme A.M. Bertrand, MM. Leleux et Calvet, Mme Bories et MM. Rapin et Bazin.
Remplacer le mot :
continentale
par le mot :
métropolitaine
Mme Anne-Marie Bertrand. - Cet amendement de M. Jean-Jacques Panunzi porte sur l'intitulé du texte, qui garantit un niveau minimum de pensions à 85 % du SMIC et de nouvelles recettes pour le financement du régime des non-salariés agricoles.
L'expression « France continentale » ne recouvre pas l'intégralité de la métropole puisqu'elle exclut la Corse. Il convient de corriger cette erreur.
M. le président. - Madame la Ministre, confirmez-vous votre demande de vote bloqué sur la proposition de loi telle que modifiée par le seul amendement n°3 ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Oui. (Exclamations sur de nombreux bancs)
M. Pierre Ouzoulias. - Quel argumentaire ! Belle défense !
Explications de vote
M. Michel Raison . - Madame la Ministre, nous avons du respect pour vous-même et votre fonction et, contrairement aux apparences, nous ne cherchons nullement à vous mettre en difficulté. Nous voulons, au contraire, vous aider à marquer votre passage : politiquement, au sens noble du terme.
De plus en plus, la haute administration prend le pas sur le politique. Tout ce que vous avez lu a été écrit par votre administration. Nous l'avons déjà entendu dans la bouche de vos prédécesseurs.
Ce que nous demandons n'a rien de faramineux, cette augmentation est d'une justice extrême.
Alors qu'on s'apprête à débattre d'une loi sur le revenu des agriculteurs, n'oublions pas ceux qui se sont sacrifiés. Les exploitations qui s'en sortent sont celles qui ont été cédées à un prix modique.
La part de l'alimentation dans le budget des ménages est aujourd'hui très faible.
Que doit-on réellement aux agriculteurs ? Beaucoup plus que ce qui est écrit ici.
Madame la Ministre, soyez une vraie politique que nous puissions soutenir face à son administration ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC et sur quelques bancs du groupe SOCR)
Mme Cécile Cukierman . - Cette proposition de loi n'est pas l'alpha et l'oméga des retraites agricoles, mais une première marche à franchir pour que les retraités agricoles retrouvent une dignité.
Aucun agriculteur ne pourrait se satisfaire d'une pension à 85 % du SMIC mais c'est une première étape. En utilisant le vote bloqué et en repoussant à 2020 l'échéance, vous vous retrouverez face à un monde agricole qui accroîtra ses exigences.
Apportons une précision : ce n'est pas le Sénat qui empêchera la revalorisation des plus petites pensions, mais le Gouvernement. C'est lui qui sera responsable devant les agriculteurs. Nous ne voterons pas l'amendement n°3. Vous en aurez la responsabilité.
Hier, vous nous avez reproché le gage, aujourd'hui vous n'y revenez pas. (On le confirme sur les bancs du groupe CRCE.) C'était donc bien une fausse excuse pour refuser de revaloriser les retraites agricoles. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
M. Martin Lévrier . - Depuis le 7 mars, Mme la ministre a, comme elle s'y était engagée, rencontré l'ensemble des représentants agricoles.
Mme Éliane Assassi. - Aucune organisation n'accepte la position du Gouvernement !
M. Martin Lévrier. - Des organisations qui ne s'étaient pas exprimées jusque-là estiment que le financement de la mesure est public.
Mme Éliane Assassi. - C'est faux !
M. Martin Lévrier. - La FNSEA a compris l'importance d'attendre jusqu'à 2020. (Vives exclamations et huées, couvrant la voix de l'orateur)
M. Michel Raison. - N'importe quoi !
Mme Éliane Assassi. - C'est faux ! Relisez son communiqué d'hier soir !
M. Martin Lévrier. - En préférant une mesure d'urgence à une réforme plus large, vous prenez le monde agricole en otage ! (Mêmes mouvements) Vous ne laissez d'autre choix que d'utiliser le vote bloqué, que le groupe LaREM soutient.
M. Pascal Savoldelli. - Vous osez parler de prise en otage ? De qui se moque-t-on ? Un peu de décence !
Mme Éliane Assassi. - J'ai rencontré la FNSEA, ce que dit M. Lévrier est un mensonge !
M. Éric Kerrouche . - Nous avons un goût d'amertume et de poussière. Cette proposition de loi ne pose aucune difficulté. Derrière les feuilles de calcul de Bercy, il y a des hommes et des femmes ; 116 euros en plus par mois, c'est très important. Personne dans cette assemblée ne prétend avoir le monopole du coeur, mais vous, Madame la Ministre, avez le monopole de la sécheresse du coeur. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
Mme Michelle Gréaume . - Je suis fière d'être sénatrice et d'entendre les cris de la France du bas.
Je pensais qu'un Gouvernement respectait la démocratie. L'Assemblée nationale en totalité et le Sénat en totalité ont adopté cette proposition de loi.
Jeune sénatrice, je comprends à présent pourquoi le peuple du bas ne croit plus en la politique. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe CRCE)
M. Pierre Laurent . - Nous rejetterons cet amendement, qui enterre littéralement cette proposition de loi.
Je suis choqué, Madame la Ministre, que vous n'ayez pas pris la peine de répondre à un seul des arguments qui vous ont été opposés. Vous avez expédié votre réponse en quinze secondes !
Mépris pour cette proposition de loi, mépris pour le monde agricole auquel cette proposition de loi apportait une bouffée d'oxygène, mépris pour le Parlement. Hier, le Gouvernement a réussi le tour de force de fédérer l'ensemble des groupes - sauf LaREM - contre lui sur l'article 2 du texte sur les violences sexuelles.
Vous renouvelez cet exploit ce soir. C'est extrêmement inquiétant pour la démocratie.
Ce soir, par notre vote, nous envoyons un message d'espoir au monde paysan. Nous continuerons à porter sa voix pour montrer que la politique peut être digne, transparente et à l'écoute du peuple. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains)
M. Patrick Kanner . - Est-ce qu'au moins, ce soir, le doute, s'est-il un peu instillé dans votre esprit, Madame la Ministre ? Est-ce qu'au moins vous accordez aux parlementaires de gauche et de droite que nous sommes, le crédit de percevoir la réalité du terrain, peut-être un peu mieux que vous ?
Vous êtes médecin, vous faites partie des ministres techniques - ce n'est pas péjoratif dans ma bouche. Et vous partagez, j'imagine, notre diagnostic, mais vous refusez de prescrire le remède nécessaire pour guérir une partie de la population de ce pays, vivant dans une situation qui a été qualifiée de misérable.
Le 7 mars était une soirée noire pour la démocratie, le 16 mai le sera également. Je vous demande de réfléchir : l'ancien monde n'est pas opposé au nouveau ; il s'agit seulement de répondre à la détresse agricole. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Élisabeth Doineau . - Certains membres du groupe UC s'abstiendront, d'autres voteront contre. La méthode nous échappe d'abord : pourquoi patienter pour parvenir à un résultat analogue ?
Ensuite, nous, politiques, voyons à quel point la vie est difficile pour les agriculteurs, à qui l'on a déjà fait beaucoup de promesses. La solidarité familiale n'opérant plus dans des familles où l'on n'est plus agriculteurs de père en fils, c'est à la solidarité nationale de s'y substituer. Vous avez fait des promesses de nouveau monde ; faites donc à présent de belles promesses de réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE)
M. Laurent Duplomb . - Cette attitude de mépris de la ruralité est insupportable. Vous avez vidé les communes rurales de leurs compétences, vous avez limité la vitesse à 80 km/heure, vous menacez la fiscalité locale... Votre jacobinisme menace 80 % du territoire national. Or l'origine, l'histoire de la France est dans les campagnes.
Votre mépris provoque chez moi un vrai sentiment de dégoût. Les gens de mon pays ne sont pas assez savants pour raisonner de travers, comme disait Montesquieu. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Catherine Conconne . - Madame la Ministre, que dirai-je à mes compatriotes qui ont été tardivement alignés sur l'égalité, eux qui se lèvent chaque matin, à l'aube, en regardant le ciel, craignant les cyclones, sans cesse plus nombreux, avec le réchauffement climatique et les inondations, sans cesse plus cruelles, eux qui ne réclament que quelques dizaines d'euros pour survivre alors que l'on construit des équipements olympiques à grands frais (M. Patrick Kanner s'exclame.) - ce que j'approuve par ailleurs, mais je comprends leur désarroi ? Leur dirai-je que l'on se bat pour la justice ? Je crains d'avoir honte de les affronter, Madame la Ministre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains ; M. Jean-Pierre Moga et Mme Annick Billon applaudissent également.)
À la demande du président du groupe RDSE, la séance est suspendue pour quelques instants.
M. Dominique Watrin, rapporteur . - Le 7 mars, le secrétaire d'État disait que le poids de cette proposition de loi, non financée, retomberait sur le contribuable. J'ai démontré que c'était faux : elle est gagée par une taxe additionnelle à celle qui existe déjà sur les transactions financières, d'un centime pour dix euros. En tant que rapporteur, je ne peux laisser passer cette insupportable contre-vérité. (Applaudissements nourris et bravos sur la plupart des bancs de la gauche jusqu'à la droite, à l'exception des bancs du groupe LaREM)
Je ne peux laisser dire non plus que les syndicats agricoles s'opposeraient à cette proposition de loi. J'ai ici les communiqués de la coordination rurale, de la confédération paysanne, du Modef, etc. (L'orateur brandit des documents.) qui ont tous demandé le retrait des amendements du Gouvernement et du vote bloqué.
Un représentant de LaREM a insinué que la FNSEA s'opposerait à ce texte... Tenez-vous au courant ! La FNSEA, le 15 mai 2018, a émis un communiqué de presse titré « 85 % du SMIC : les retraités agricoles s'impatientent ! » Point d'exclamation ! (Vifs applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux des groupes LaREM et RDSE)
M. François Patriat. - Lisez la suite !
Mme Agnès Buzyn, ministre . - (« Ah ! » à droite) Je répondrai à vos interventions et interpellations.
Vous avez parlé de mépris. Or j'ai un profond respect pour les agriculteurs et leurs organisations représentatives, que j'ai toutes rencontrées, aux côtés du Haut-Commissaire à la réforme des retraites, et avec lesquelles j'ai longuement échangé. Toutes souhaitent une évolution du régime de base de retraite agricole. Elles m'ont demandé, à cette fin, de la lisibilité et de l'équité, objectifs que nous partageons et qui inspirent la réforme d'ensemble que le Gouvernement prépare. Le régime est en effet incompréhensible, le barème est peu progressif, la constitution des droits à la retraite pose un problème de fond, le calcul des pensions de réversion devient un vrai casse-tête.
Lisibilité et équité, c'est aussi ce que propose le Gouvernement. Le Haut-Commissaire et moi-même avons lancé les concertations préalables à la réforme systémique des retraites le 16 avril dernier.
Une vie de travail pour une pension insuffisante, c'est aussi le constat que nous faisons s'agissant des agriculteurs. Le Gouvernement a donc décidé de faire un geste pour les agriculteurs cessant leur activité pour cause d'inaptitude et les conjoints collaborateurs et aidants familiaux.
La question essentielle des femmes d'agriculteurs a été introduite dans le débat à l'initiative du Gouvernement....
Mme Cécile Cukierman. - C'est scandaleux !
Mme Éliane Assassi. - Oui, 27 euros : c'est méprisant ! (On approuve sur divers bancs à gauche et à droite.)
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Vous avez hélas refusé notre amendement... Je suis sûre que certains le regrettent. (Vives protestations)
Mme Cécile Cukierman. - Vous vous en expliquerez devant les agriculteurs !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Les concertations se tiendront jusqu'à la fin de l'année, pour une réforme soumise au Parlement l'an prochain. En attendant, ne modifions pas les règles applicables aux seuls agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
À la demande du groupe CRCE, la proposition de loi, modifiée par l'amendement n°3 proposé par le Gouvernement, est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°103 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 274 |
Pour l'adoption | 22 |
Contre | 252 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
Évolution des droits du Parlement face au pouvoir exécutif
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur « l'évolution des droits du Parlement face au pouvoir exécutif »
Je devrai lever la séance à minuit quarante-trois.
Mme Éliane Assassi . - Le groupe CRCE a demandé ce débat pour alerter l'opinion sur les graves dérives en cours. Cette question concerne tous les citoyens. Le respect des prérogatives du Parlement est au coeur de l'actualité. Le contexte de cette journée, marqué par une nouvelle utilisation du vote bloqué sur une proposition de loi, met en exergue la pression de plus en plus ferme de l'exécutif sur le législatif.
Avec ce coup de force, vous vous rapprochez d'une ligne rouge au-delà de laquelle la Constitution au sens historique - la République - ne serait plus respectée. Cela nous inquiète sur tous les bancs.
Le discours du président de la République à Versailles en juillet dernier était long, tortueux, pour ne pas dire complexe. Sauf sur un point : la mise sous tutelle du Parlement, comme l'a dit le président du Sénat le 9 mai.
Le futur président de la République ne peut supporter la lenteur de la fabrication de la loi, pourtant chère à Mirabeau...
Je crois que l'objectif de limiter à trois mois le temps législatif reste dans la version actuelle du texte.
L'affaiblissement des droits du Parlement concerne chacun. Son impopularité est celle d'une institution incapable de répondre aux attentes des citoyens : chômage, pouvoir d'achat, école, hôpital entre autres.
Emmanuel Macron a bien perçu cette déception et l'utilise pour se débarrasser du Parlement, symbole de l'ancien monde. Le débat sera mené pendant les vacances, à l'Assemblée nationale, alors qu'il aurait dû se dérouler en pleine lumière - c'est tout dire.
Depuis des années, nous alertons sur la limitation du droit d'amendement, aujourd'hui dans le collimateur du président de la République : règle de l'entonnoir, interprétation extensive de l'article 40, développement des irrecevabilités...
Cette obsession du tri entre « bons » et « mauvais amendements » est un assaut contre le droit d'amendement. Nous n'aurons bientôt que des débats sans saveur et sans enjeu !
Prenons l'exemple de la SNCF ; le choix d'une violence archaïque n'aurait-il pas pu être évité en laissant la parole au Parlement ? Si le Parlement est réduit au silence, le peuple devra trouver d'autres moyens.
Restaurer la plénitude du Parlement passe par l'inversion du calendrier électoral, qui lie les élections législatives à celle du président de la République, la représentativité des parlementaires - ce n'est pas 10 % de proportionnelle verrouillés par le seuil de 5 % qui changeront la donne !
La remise en cause de la navette veut faire basculer ce qui reste du pouvoir législatif vers l'Assemblée nationale, soumise par définition au pouvoir présidentiel. Emmanuel Macron a aussi décidé de limiter l'initiative parlementaire en empiétant sur le temps des assemblées.
Les origines de ce coup de force remontent à loin. Il faut tout remettre à plat, de manière non parcellaire.
Nous aurons l'occasion de présenter nos positions pour tourner le dos à ces orientations, par une Constitution qui redonne au peuple toute sa place. Dans le domaine budgétaire, par excellence celui de la souveraineté, le pouvoir confié aux instances européennes rogne celui du Parlement.
Le Gouvernement méprise le Parlement en considérant tout texte présenté comme adopté et passe à l'étape suivante...
Ce mépris et ces coups de force à répétition exigent une prise de conscience, une réaction démocratique et républicaine forte, c'est pourquoi nous avons lancé ce débat et nous nous opposerons avec force dans le rassemblement le plus large aux réformes profondément antidémocratiques annoncées ces derniers jours. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Françoise Gatel . - Il ne pouvait être de débat plus brûlant et plus pertinent à la suite de l'utilisation du vote bloqué, et dans l'impatience de la révision constitutionnelle.
La Ve République a souhaité rompre avec l'instabilité ministérielle de la IVe en instituant un « parlementarisme rationalisé », privant en partie le Parlement de son rôle de contre-pouvoir.
La révision du 23 juillet 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a marqué une évolution fondamentale. Après plusieurs décennies de subordination, la tutelle du Gouvernement était réduite. Il ne peut plus utiliser de manière abusive et illimitée le 49-3, il n'est plus le seul maître de l'ordre du jour et les commissions réhabilitées voient leur travail servir de base au débat parlementaire. Les droits de l'opposition ont également été renforcés. Cette révision, très importante dans l'histoire de notre démocratie, a rééquilibré les pouvoirs.
Le Gouvernement entend faire une réforme pour une « démocratie plus représentative, plus responsable, plus efficace ».
Le groupe centriste s'interroge sur des orientations qui ressemblent fort à une limitation des droits du Parlement.
Attention à une confiscation de l'ordre du jour par l'exécutif, si l'urgence se transforme en norme et l'ordre du jour des parlementaires se réduit comme peau de chagrin.
Le Gouvernement veut encadrer sévèrement le droit d'amendement, alors qu'il est notre seule arme législative - pacifique - et que l'écrasante majorité des textes adoptés au Parlement sont des projets de loi.
Le contrôle du Parlement sur l'action du Gouvernement est oublié, alors que c'est une mission essentielle dans toutes les grandes démocraties libérales.
Certes le travail parlementaire doit être amélioré. Nous nous sentons certes parfois encombrés par une incontinence d'amendements. Mais la responsabilité de l'exécutif est à interroger, qui propose des textes souvent mal préparés. Le projet de loi Égalité et citoyenneté en est un exemple flagrant...
M. Patrick Kanner. - Un excellent texte !
Mme Françoise Gatel. - De la part d'un excellent ministre !
Les mesures que vous proposez ressemblent fort à une rationalisation aveugle. Le Parlement ne doit pas être une chambre d'enregistrement des volontés d'un exécutif si légitime soit-il.
Notre pays puise son équilibre démocratique dans ses deux chambres. La spécificité du Sénat, cette chambre de la sagesse, de la réflexion et du temps long, qui s'affranchit d'une opinion publique souvent volatile, pourrait être perdue, puisque le Gouvernement veut limiter la navette. C'est un très mauvais coup porté au bicamérisme, dialogue constructif qui donne le temps nécessaire à l'amélioration des textes.
Le bicamérisme est un obstacle à l'omnipotence d'une chambre unique que le quinquennat a soumise de fait à l'exécutif. L'impatience réformatrice du Gouvernement n'est pas bienvenue.
La démocratie a besoin d'un pouvoir exécutif fort et d'un pouvoir législatif fort. N'insultons pas l'avenir ; qui peut parmi nous prévoir qui sera demain au pouvoir ? Notre Constitution doit protéger la démocratie et les atteintes qui pourraient lui être portées. (M. Pierre Charon applaudit.)
M. Éric Kerrouche . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La loi est un substitut aux vertus, disait Montesquieu. L'instabilité gouvernementale de la IIIe et de la IVe Républiques, a amené à construire un exécutif fort. Ce dernier n'est pas indispensable : d'autres démocraties fortes s'en passent. C'est un élément issu de circonstances historiques précises.
Nous avons un régime parlementaire qui s'est hyperprésidentialisé ; même si cela s'est amendé, la réforme constitutionnelle nous propose de revenir en arrière.
La Ve République a donné des pouvoirs marginaux au Parlement et a complètement déplacé le centre du pouvoir du législatif vers l'exécutif, à qui il revient de déterminer les grandes orientations.
L'élection au suffrage universel du président de la République a produit un régime semi-présidentiel et un système de responsabilité durable : le Gouvernement doit avoir la confiance du président de la République et du Parlement.
Le passage au quinquennat rend improbable la cohabitation. Les élections législatives sont désormais des élections « lunes de miel ».
L'article 5 donne au président de la République le « vrai pouvoir d'État ». L'article 19 - avec les pouvoirs du président de la République dispensés de contreseing - et l'article 16 - même si son usage est exceptionnel - ne sont pas en reste.
Les experts sont unanimes pour classer notre Parlement parmi les parlements faibles. Cela reste vrai malgré les corrections successives. Or vous proposez de revenir sur ces dernières.
Ce n'est pas la peine après l'illustration de ce soir de revenir sur les outils du « parlementarisme rationalisé ». De tout temps, on a eu recours aux comités d'experts. Ces atouts de la révision de 2008 sont importants, mais ils ne corrigent pas entièrement la faiblesse du Parlement.
Ce projet de révision a ceci de particulier que, quand notre histoire constitutionnelle va en progressant, on nous propose, en l'espèce, de revenir en arrière, de retourner à une période où le Parlement était infantilisé. Le président de la République a appelé l'Europe à résister aux tentations autoritaires mais son projet de réforme revêt toutes les caractéristiques de l'autoritarisme. C'est, pour reprendre un titre célèbre, un retour vers le futur. Fini le partage de l'ordre du jour, ce qui réduira les droits des groupes minoritaires et d'opposition.
Le Sénat a fait preuve de responsabilité dans l'usage du droit d'amendement. Au lieu d'interroger la qualité initiale de la loi et d'éviter les textes fourre-tout, le Gouvernement encadre au maximum le droit d'amendement. Si le Parlement n'est plus le lieu de l'éloquence, il doit rester l'arène essentielle du débat démocratique. Et que dire de la réforme de la navette qui ravale le Sénat au rang de spectateur ? De l'instauration de nouveaux délais d'examen des textes ? L'Allemagne adopte ses textes en 152 jours, contre 149 en France. Bien sûr, on peut ériger en modèle la Hongrie où c'est 30 jours...
M. Jean-Claude Requier. - Et en Corée du nord ? (Sourires)
M. Éric Kerrouche. - Que dire, enfin, du renouvellement complet du Sénat en 2021 quand le renouvellement partiel de la chambre haute garantit la stabilité des institutions ? Sans doute les résultats des dernières sénatoriales n'ont-ils pas eu l'heur de lui plaire.
En définitive, quel est le sens de cette réforme : améliorer la fabrication de la loi ? Répondre au désenchantement démocratique ? Remettre le citoyen au centre des décisions publiques ? Que nenni. En usant à l'envi de la sémantique managériale, le Gouvernement pose de mauvaises questions auxquelles il apporte de mauvaises réponses. Cette révision est celle de l'exécutif, par l'exécutif et pour l'exécutif. Elle traduit une crainte du débat contradictoire, qui est l'essence même de la démocratie.
Quant à la représentation, ce n'est pas en abaissant le nombre de parlementaires qu'on rendra plus légitime. Bref, cette réforme mène à une impasse démocratique qui atrophie les contre-pouvoirs.
Le groupe socialiste et républicain fera des propositions de fond pour rééquilibrer les pouvoirs entre le président de la République, le Gouvernement et le Parlement.
Revenons à l'esprit initial de la Ve République. Dans son discours de Bayeux en 1946, le général de Gaulle rappelait la réponse que faisait Solon à la question de savoir quelle était la meilleure Constitution : pour quel peuple et à quelle époque ? Que cette parole forte nous inspire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. Claude Malhuret . - La Constitution de 1958 visait à mettre fin à des années d'instabilité gouvernementale. Le Parlement s'est ainsi vu, dès la naissance de la Ve République, limité. La révision de 2008, qui a nécessité de modifier plus de la moitié des articles de notre loi fondamentale, a renforcé le Parlement législateur. Ordre du jour partagé, rôle législatif des commissions partagé, instauration d'un délai d'examen des textes, précision des règles de recevabilité des amendements, encadrement du recours à l'article 49-3 et j'en passe, toutes ces dispositions poursuivaient le même objectif : établir un nouvel équilibre entre pouvoirs exécutif et législatif. Le Parlement contrôleur aussi a été renforcé, admettons collectivement que nous ne nous sommes pas approprié l'ensemble des moyens de contrôle du Gouvernement. Utilisons la réforme constitutionnelle annoncée pour conforter le travail de rééquilibrage commencé en 2008.
La semaine dernière, a été présenté en Conseil des ministres le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Nous partageons ce triple objectif. Le texte concrétise l'annonce faite par le président de la République aux parlementaires réunis en Congrès le 3 juillet 2017.
Il suscite néanmoins quelques interrogations. Le droit d'amendement serait encadré ; c'est pourtant une des libertés fondamentales des parlementaires, constitutionnellement garantie. C'est le sens même de la fonction du législateur, même si l'on peut considérer que certains amendements s'éloignent parfois du coeur du débat.
L'Assemblée nationale n'aurait plus à se prononcer sur le texte sénatorial. Le but est pourtant d'élaborer une loi bien construite, bien travaillée et l'importance du Sénat dans cet exercice n'est plus à démontrer. Enfin, même si l'on peut comprendre le désir de l'exécutif de vouloir modifier le principe d'ordre du jour partagé, cela ne doit pas se faire au détriment des assemblées.
Si répondre à l'attente de nos concitoyens en rationalisant davantage le fonctionnement du Parlement est louable et souhaitable, des discussions seront nécessaires. Le groupe Les Indépendants y prendra toute sa part en cherchant l'efficacité et la célérité du travail parlementaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)
M. Jean-Claude Requier . - Depuis l'installation d'un régime parlementaire sous la IIIe République, les droits des parlementaires ont varié. Ils ne peuvent pas être considérés comme acquis et doivent toujours être défendus, ce qui commence par le fait de les exercer pleinement et entièrement.
Plusieurs projets sous la IIIe République et la IVe République sont à mettre au crédit de parlementaires radicaux, comme les lois scolaires des républicains opportunistes et la loi de 1905 de séparation des Églises et de l'État, dont l'équilibre final fut imposé par la chambre conduite par son rapporteur Aristide Briand. Ironiquement, c'est le nom du ministre, le petit père Combes qui est passé à la postérité.
Les fondateurs de la Ve République, pour éviter l'instabilité gouvernementale, ont considérablement encadré les droits des parlementaires : le droit d'interpellation tant redouté par les présidents du Conseil a été réduit à néant, la règle de l'irrecevabilité financière a fortement limité le droit d'amendement. Parallèlement, la croissance de la production normative européenne constitue un défi grandissant pour notre Parlement qui y est peu associé, à l'inverse des pratiques que l'on observe en Allemagne. Il faut y associer un faible pouvoir de contrôle ; nos commissions d'enquête ont un champ et des moyens réduits si on les compare à ceux de la Chambre des représentants et du Congrès aux États-Unis.
Malgré sa capacité d'action restreinte, notre assemblée a pourtant toujours fait un usage raisonnable de ses droits. Lors de l'examen de la loi Société de confiance en commission, 35 amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 45 et 5 au titre de l'article 40. La procédure de législation en commission montre la capacité du Sénat à s'autoréguler dans un souci d'efficacité législative.
Jean Jaurès décrivait dans La Dépêche du 30 juillet 1887 sa conception du travail parlementaire : « des efforts incessants de conciliation et de transaction » pour dépasser les clivages et soutenir les progrès sociaux et économiques. Cela suppose a minima de laisser les parlementaires exercer leur droit d'amendement dans des conditions symétriques à celles offertes au Gouvernement. La meilleure réponse à apporter à la demande de transparence de nos concitoyens est la publication des amendements qui favorise la traçabilité des positions de chacun, tout comme la publicité des débats.
Il n'est pas anodin que ce débat ait lieu après l'épisode du vote bloqué sur la proposition de loi revalorisant les retraites agricoles et plusieurs réformes amoindrissant les capacités des parlementaires - je pense à l'encadrement du cumul des mandats et à la fin de la réserve parlementaire. En cherchant la vertu à tout prix, on crée des parlementaires hors sol. L'inadéquation entre les moyens juridiques accordés aux parlementaires et la grande responsabilité collective que leur attribuent les citoyens a atteint un point critique. Ce sera le point de départ de la réflexion que mènera le groupe RDSE sur le projet de révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, SOCR et CRCE)
M. François Bonhomme . - Nous avons la chance, en France, de bénéficier d'un régime politique stable. La Ve République a fait preuve de sa robustesse. Ces institutions, que d'aucuns veulent bouleverser, ont évité à notre pays de connaître des crises politiques majeures et la paralysie politique que vivent nos amis italiens.
La recherche d'équilibre entre les légitimités présidentielle et parlementaire est au fondement de nos institutions. Vingt-quatre révisions de la Constitution ont affiné cette mécanique délicate afin de l'adapter aux nouvelles réalités, notamment européennes. Saisine parlementaire du Conseil constitutionnel, session unique depuis 1995, renforcement du pouvoir de contrôle en 2008, le fonctionnement du Parlement a gagné en efficacité et en modernité.
Pour autant, ne soyons pas béats : la Ve République souffre de maux qui lui sont propres. Le passage au quinquennat dans une quasi-unanimité aurait dû faire réfléchir davantage. Le couplage du moment présidentiel et du moment législatif, s'il a écarté le risque de cohabitation, s'est fait au prix de l'affaissement de l'Assemblée nationale. Pour autant, il y a bel et bien eu des améliorations : nous sommes passés du « parlementarisme rationalisé » des origines de la Ve République à un « parlementarisme rationnel ».
Le credo présidentiel est que l'exécutif manque d'outils mais qui peut croire que la Constitution forgée par le général de Gaulle souffrirait d'un excès de parlementarisme ? Ce prurit réformateur est incompatible avec l'essence même du travail parlementaire, qui demande du temps. Nous avons tous en tête des lois express bâclées par une mauvaise impatience et tronquées par la précipitation. La loi de 1881 sur la liberté de la presse a été débattue six mois, celle de 1905 de séparation de l'État et de l'Église, devant laquelle le président Requier a fait sa génuflexion, neuf mois ; la loi Neuwirth, sept mois. Ce n'était pas du temps perdu à voir leur longévité.
Autre motif de préoccupation : le sort réservé au Sénat. Notre « grand conseil des communes de France », d'après Gambetta, est trop souvent présenté comme un poids voire un obstacle à la poursuite de l'intérêt général. Gare à l'hubris présidentielle qui cherche à diminuer les droits du Parlement, celui-ci doit être un lieu solennel et souverain. Les mots savent des choses de nous que nous ne savons pas, dit le poète : c'est aussi vrai pour le débat parlementaire parce que la délibération aboutit à des positions que nous n'aurions pas prises seuls. Le Sénat n'est pas un pouvoir d'opposition systématique, un contre-pouvoir stérile ; s'il peut être un contrepoids, il est surtout un lieu de proposition et d'enrichissement de la loi. Le prurit réformateur n'aboutira qu'à une fausse réponse ; il affaiblira la démocratie parlementaire, un pléonasme précieux auquel nous tenons. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Alain Richard . - Je salue la démarche à tous égards honorable du groupe CRCE. Ignorant qu'il s'agissait d'une sorte de répétition du débat que nous aurons sur la réforme constitutionnelle et dépourvu de capacités divinatoires, je m'en tiendrai à l'examen de nos pratiques institutionnelles actuelles autour du point particulier mais central de la relation entre le pouvoir exécutif et législatif.
Sommes-nous dans une situation inquiétante ou acceptable qui justifierait toutefois des perfectionnements ? Concernant la contribution du législatif et de l'exécutif à la fabrication de la loi, j'observe une prééminence universelle de l'exécutif, y compris dans les régimes facialement les plus parlementaires. Si l'on consacre ne serait-ce que deux minutes à observer la vie politique britannique, rien n'est plus évident. Il y aura toujours un équilibre ou plutôt, soyons francs, un déséquilibre entre l'initiative gouvernementale et l'initiative parlementaire.
Condition de la loyauté et de la transparence du débat parlementaire, l'objet même de la loi ne doit pas se transformer par l'intégration d'objets désordonnés, les convictions des parlementaires en seraient dénaturées. Il est cohérent et éthique qu'un cadre délimite l'objet législatif.
Le droit d'amendement est-il un droit d'expression absolue ? L'amendement ne saurait être un commentaire de la loi, il a pour objet de transformer la loi. Cela ne retire rien au droit de contester, de protester, propre à chaque parlementaire. Du reste, la Constitution écarte depuis soixante ans les amendements sortant du domaine législatif sans que cela n'ait démangé de trop les parlementaires. De fait, mettre de côté les amendements sans portée normative n'entrave pas le droit d'amendement.
Un mot sur la capacité de contrôle du Parlement. Depuis 2008, celle-ci est complète : nous interrogeons les ministres à tout moment, créons des commissions d'enquête et des missions d'information, communes ou à l'intérieur des commissions permanentes... Si le jeu de ce soir semble être de distribuer des mauvais points à l'exécutif, regardons ce qu'il en est de notre côté et pratiquons l'autoévaluation. Nous produisons une littérature luxuriante mais qui signe nos rapports ? Votons-nous pour un rapport ou sa publication ? Dans le flou, nous nous trouvons parfois associés à des conclusions revêtues de l'autorité du Sénat que nous désapprouvons. Les préconisations que nous formulons - elles doivent dépasser la cinquantaine pour franchir le seuil de la crédibilité, c'est le même que pour les conférences de presse ministérielles, ressortent du domaine du souhaitable, laissant le possible au suivant, c'est-à-dire au Gouvernement.
Notre pays est-il ingouvernable ? Les groupes qui siègent dans cet hémicycle ont tous, à un moment donné, participé à l'exécutif. Si nous comparons notre situation à celle qui prévalait avant 1958 et celle qui prévaut ailleurs, nous observons qu'un pays ingouvernable est préjudiciable, et à commencer pour les plus pauvres et les plus fragiles. Faire des réformes est un pouvoir légitimement détenu par l'exécutif. Nous avons atteint un bon équilibre, ne le cassons pas. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. Pascal Savoldelli . - Lorsque mon groupe réfléchit à une modification de la Constitution, il le fait avec une visée, l'émancipation humaine. Quand cette réforme touche aux institutions, il ne peut pas concevoir qu'elle ne se traduise pas par des droits nouveaux, tant pour les citoyens que pour le Parlement.
Une « démocratie plus représentative et plus efficace » ? La future réforme ne sert ni l'un ni l'autre objectif. En vérité, elle est une proclamation, une fable que raconte un système en crise. Et cette crise, c'est celle de la démocratie. La procédure parlementaire sera accélérée ; l'ordre du jour sera cadenassé - alors que tous les parlements européens en disposent. Jamais une révision constitutionnelle n'a réduit les droits du Parlement, jamais !
Comment favoriser l'émancipation citoyenne et renforcer la démocratie en réduisant les droits de l'opposition et les pouvoirs des parlementaires ? Il va falloir l'expliquer, Madame la Ministre.
Pour éviter l'abus de pouvoir, disait Montesquieu, il faut que « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Nous en sommes loin. Un député pour 241 000 habitants ? Un sénateur pour 400 000 habitants ? De nombreux départements y perdraient la moitié de leurs élus nationaux. Le pouvoir glisserait aux mains des technocrates, des experts et managers - certains ont la double casquette. Pour eux, il n'y a qu'une vision du monde, celle des détenteurs du pouvoir. Le président de la République considère le pays comme sa start-up et la somme d'être efficace ne supportant pas que quiconque puisse proposer un autre horizon que la marchandisation du monde. Or le Parlement, s'il doit être une institution de contrôle, doit aussi être une force de propositions. Où est l'audace, Madame la Ministre, la modernité ?
Une réforme institutionnelle ambitieuse serait de proposer de nouveaux droits, de traduire le pluralisme social dans nos institutions, de faire preuve de confiance dans la démocratie en inversant le calendrier des élections présidentielle et législatives par exemple.
M. François Bonhomme. - Ce serait amusant !
M. Pascal Savoldelli. - Une réforme moderne et ambitieuse serait d'inscrire le droit de vote des étrangers et le principe de solidarité, de repenser toutes nos procédures à l'aune de la correction des injustices et de construire de nouveaux critères d'appartenance à la Nation. Bref, elle acterait que le peuple s'exprime au pluriel et que le Parlement doit en conséquence l'être aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; M. Marc Laménie et Mme Françoise Gatel applaudissent également.)
M. Pierre Charon . - En 2008, la majorité à laquelle j'appartenais était consciente de devoir renforcer le Parlement alors qu'on l'accusait de nourrir l'hyperprésidence. C'est elle qui a fait inscrire à l'article 24 la fonction de contrôle du Parlement. La révision de 2008, précédée certes par de riches débats au sein du comité Balladur, avait fait une large place au Parlement, fait le pari de sa maturité ; nous étions loin du climat actuel de défiance. Le fragiliser, c'est fragiliser l'exécutif. Il est préférable que le débat ait lieu dans l'hémicycle plutôt que dans la rue. (Mme Françoise Gatel et M. François Bonhomme approuvent.) Le Sénat avait fait preuve de créativité en 2009. Notre assemblée a su être au rendez-vous quand il le fallait.
La réduction du nombre de parlementaires affaiblira encore leur mission. Abréger le mandat de la moitié des sénateurs, c'est du jamais vu dans les annales de la Ve ! Les élus du futur siégeront protocolairement aux séances de questions d'actualité avant de rejoindre leur circonscription où ils se contenteront de saluer leurs concitoyens avant de remonter en voiture. Leur proximité sera de pure façade. La réduction drastique du nombre de parlementaires est indigne. À ce compte, pourquoi ne pas réduire le mandat du président de la République en cours d'exercice ? Nous refuserons ce couperet inique. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Merci infiniment pour ce débat riche. Je salue à mon tour l'initiative du groupe CRCE, qui nous permet d'aborder avant l'heure des questions qui nous occuperont les prochaines semaines et les prochains mois.
Le projet de révision constitutionnelle dont le premier volet a été présenté le 9 mai en Conseil des ministres, n'est pas le fruit du hasard. L'un d'entre vous a parlé de désenchantement démocratique : abstention, votes extrêmes, on ne peut échapper à ce souhait de rénovation de notre vie politique. J'y insiste pour démentir ceux qui estimeraient que ces débats ne les concerneraient pas.
La méthode du président de la République est simple pour y parvenir : respecter les engagements qu'il a pris en 2017. Les deux textes organique et ordinaire traduisent ces engagements précis : ce n'est donc pas, Monsieur Bonhomme, un prurit réformateur.
Parmi ces engagements : la réduction du nombre de parlementaires, l'introduction d'une dose de proportionnelle, la limitation du cumul des mandats dans le temps. Ces modifications infléchiront la façon de concevoir la fonction de parlementaire. Nous avons une nouvelle conception de la représentation et de la relation avec les Français à inventer. Mais rien de tout cela ne doit nous conduire à revenir à un Parlement infantilisé, ou un retour vers le futur, Monsieur Kerrouche.
Cette révision constitutionnelle n'a pour objet ni de revenir à la IVe ni de s'aventurer vers une VIe République, mais de revenir aux objectifs fixés par le général de Gaulle dans sa célèbre conférence de presse de 1964 : « assurer aux pouvoirs publics l'efficacité, la stabilité, la responsabilité ».
Démocratie plus efficace, avec plus de pluralisme grâce à la proportionnelle, plus de renouvellement grâce à la limitation du cumul dans le temps, plus de participation citoyenne avec un Conseil économique social et environnemental transformé en chambre de la société civile.
Je mesure bien les considérations politiques et la passion que suscitent ces questions mais permettez-moi de revenir aux faits. Cette révision constitutionnelle s'inscrit dans la voie tracée par celle de 2008 (M. Pierre Charon le nie.) en en corrigeant certains aspects. Le rapport de François Pillet, rédigé sous l'autorité du président Larcher, montre que nous avons des préoccupations communes : améliorer la qualité de la loi et le contrôle du Gouvernement. Nous en discuterons le moment venu car je crois en la conjonction des bonnes volontés et à la bonne foi de chacun.
Ce projet ne portera pas plus atteinte au bicamérisme à la française. Obstacle à l'omnipotence et à l'impétuosité de l'Assemblée nationale, disait Mme Gatel - je n'irai pas si loin - mais c'est un pilier, assurément, de notre édifice constitutionnel, assurant la représentation des territoires, que nul ne songe à ébranler.
Il n'est pas davantage question de réduire les droits du Parlement, mais de parfaire et corriger la révision constitutionnelle de 2008. Pour une meilleure qualité de la loi, il est impératif que des amendements parlementaires et gouvernementaux - j'y insiste - qui seraient sans portée normative, ou réglementaires, c'est-à-dire les « cavaliers » soient irrecevables.
Cela conforte un mouvement que le Sénat a déjà engagé depuis 2015 grâce au président Larcher. L'exigence du caractère symétrique, chère à M. Requier, est satisfaite. Il est seulement question de faire respecter les règles constitutionnelles. Écarter des amendements sans lien avec le texte, sans portée normative, cela réduirait le droit d'amendement ? Penser cela serait d'autant plus infondé que le Gouvernement devra lui aussi s'y astreindre.
Le Sénat prévoit dans son Règlement que les débats en séance publique se concentrent sur l'essentiel - c'était un des objectifs de 2008. Nous allons dans le même sens : la célérité et la qualité des travaux parlementaires - aujourd'hui, un texte peut être débattu jusqu'à treize fois, en incluant l'examen en commission.
Après l'échec d'une CMP, le projet de loi constitutionnelle prévoit de fusionner la nouvelle lecture et la lecture définitive à l'Assemblée nationale ; la nouvelle lecture au Sénat sera maintenue et l'Assemblée nationale ne pourra retenir que les amendements déposés devant votre assemblée.
Le temps parlementaire est trop précieux pour que nous n'en prenions pas le plus grand soin. Nous devons le préserver. D'où notre souhait d'une plus grande efficacité et d'une plus grande célérité. Soulager l'ordre du jour de la séance, c'est l'une des ambitions de la réforme.
Pour ce faire, nous proposons de considérer certains textes comme prioritaires. Les règles issues de la réforme de 2008 conduisent à un ordre du jour complexe et à une arythmie préjudiciable, que le Sénat avait relevée - et c'était l'une des motivations de la proposition alternative faite par votre commission des lois.
Dans tous les pays, c'est l'exécutif qui prépare la loi. Le Gouvernement cherche une voie pour résoudre les difficultés, je suis certaine que nous la trouverons ensemble.
« Nous ne nous sommes pas approprié l'ensemble des moyens de contrôle » a dit M. le sénateur Malhuret. C'est exact. C'est pourquoi le projet de loi constitutionnelle prévoit de reconfigurer les liens entre la loi de finances initiale et la loi de règlement. Il ne s'agit nullement de restreindre le pouvoir du Parlement lors du vote du budget, mais d'augmenter le contrôle lors du vote de la loi de règlement : le ministre devra répondre de l'usage des budgets qu'il gère. Qui plus est, le Parlement, et lui seul, pourra, à l'issue d'un contrôle, proposer des mesures législatives correctrices.
Dans la certitude de ce contrôle effectif, il y a sans doute de cette audace, de cette modernité qu'appelait de ses voeux le sénateur Savoldelli...
Ce n'est pas une révolution qui nous attend.
M. Pascal Savoldelli. - On s'en était rendu compte. (Sourires)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Mais ce n'est pas non plus une contre-révolution. C'est une évolution profonde souhaitée par les Français. (M. Jean-Claude Requier et Mme Françoise Gatel applaudissent.)
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Prochaine séance, aujourd'hui, jeudi 17 mai 2018, à 14 h 30.
La séance est levée à minuit quarante.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus
Annexes
Ordre du jour du jeudi 17 mai 2018
Séance publique
De 14 h 30 à 18 h 30
Présidence : M. David Assouline, vice-président
Secrétaire : Mme Mireille Jouve
(Ordre du jour réservé au groupe LaREM)
1. Débat sur le thème : « Comment repenser la politique familiale en France ? ».
2. Débat sur le thème : « La politique de concurrence dans une économie mondialisée ».
Analyse des scrutins publics
Scrutin n°99 sur l'ensemble de la proposition de loi visant à instaurer un régime transitoire d'indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant d'un risque de recul du trait de côte.
Résultat du scrutin :
Nombre de votants :342
Suffrages exprimés :336
Pour :335
Contre :1
Le Sénat a adopté
Analyse par groupes politiques :
Groupe Les Républicains (145)
Pour : 144
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe SOCR (78)
Pour : 78
Groupe UC (50)
Pour : 49
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Vincent Delahaye
Groupe LaREM (21)
Pour : 20
Contre : 1 - M. François Patriat
Groupe RDSE (21)
Pour : 14
Abstentions : 6 - Mme Maryse Carrère, M. Yvon Collin, Mmes Josiane Costes, Françoise Laborde, MM. Olivier Léonhardt, Jean-Claude Requier
N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Nathalie Delattre
Groupe CRCE (15)
Pour : 15
Groupe Les Indépendants (11)
Pour : 11
Sénateurs non inscrits (6)
Pour : 4
N'ont pas pris part au vote : 2 - Mme Claudine Kauffmann, M. Stéphane Ravier
Scrutin n°100 sur l'article premier de la proposition de loi renforçant l'efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières et supprimant le verrou de Bercy
Résultat du scrutin :
Nombre de votants :344
Suffrages exprimés :343
Pour :116
Contre :227
Le Sénat n'a pas adopté
Analyse par groupes politiques :
Groupe Les Républicains (145)
Pour : 1 - M. François Pillet
Contre : 143
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe SOCR (78)
Pour : 78
Groupe UC (50)
Pour : 2 - Mmes Françoise Férat, Nathalie Goulet
Contre : 48
Groupe LaREM (21)
Contre : 21
Groupe RDSE (21)
Pour : 20
Abstention : 1 - M. Joseph Castelli
Groupe CRCE (15)
Pour : 15
Groupe Les Indépendants (11)
Contre : 11
Sénateurs non inscrits (6)
Contre : 4
N'ont pas pris part au vote : 2 - Mme Claudine Kauffmann, M. Stéphane Ravier
Scrutin n°101 sur l'amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Nathalie Goulet et les membres du groupe Union centriste, tendant à insérer un article additionnel après l'article premier de la proposition de loi renforçant l'efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières et supprimant le verrou de Bercy
Résultat du scrutin :
Nombre de votants :344
Suffrages exprimés :344
Pour :164
Contre :180
Le Sénat n'a pas adopté
Analyse par groupes politiques :
Groupe Les Républicains (145)
Contre : 144
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe SOCR (78)
Pour : 78
Groupe UC (50)
Pour : 50
Groupe LaREM (21)
Contre : 21
Groupe RDSE (21)
Pour : 21
Groupe CRCE (15)
Pour : 15
Groupe Les Indépendants (11)
Contre : 11
Sénateurs non inscrits (6)
Contre : 4
N'ont pas pris part au vote : 2 - Mme Claudine Kauffmann, M. Stéphane Ravier
Scrutin n°102 sur l'ensemble de la proposition de loi renforçant l'efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières et supprimant le verrou de Bercy
Résultat du scrutin :
Nombre de votants :344
Suffrages exprimés :343
Pour :116
Contre :227
Le Sénat n'a pas adopté
Analyse par groupes politiques :
Groupe Les Républicains (145)
Pour : 1 - M. François Pillet
Contre : 143
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe SOCR (78)
Pour : 78
Groupe UC (50)
Pour : 2 - Mmes Françoise Férat, Nathalie Goulet
Contre : 48
Groupe LaREM (21)
Contre : 21
Groupe RDSE (21)
Pour : 20
Abstention : 1 - M. Joseph Castelli
Groupe CRCE (15)
Pour : 15
Groupe Les Indépendants (11)
Contre : 11
Sénateurs non inscrits (6)
Contre : 4
N'ont pas pris part au vote : 2 - Mme Claudine Kauffmann, M. Stéphane Ravier
Scrutin n°103 sur l'ensemble de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, modifiée par l'amendement n°3 proposé par le Gouvernement
Résultat du scrutin :
Nombre de votants :342
Suffrages exprimés :274
Pour :22
Contre :252
Le Sénat n'a pas adopté
Analyse par groupes politiques :
Groupe Les Républicains (145)
Contre : 107
Abstentions : 35 - MM. Jérôme Bascher, Bernard Bonne, Mme Céline Boulay-Espéronnier, MM. Christian Cambon, Jean-Noël Cardoux, Jean-Claude Carle, Patrick Chaize, Pierre Charon, Mme Marta de Cidrac, MM. Philippe Dallier, René Danesi, Mmes Laure Darcos, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Michel Forissier, Pierre Frogier, Jacques Grosperrin, Jean-François Husson, Mmes Muriel Jourda, Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Jean-Pierre Leleux, Gérard Longuet, Mme Viviane Malet, MM. Alain Milon, Albéric de Montgolfier, Philippe Nachbar, Stéphane Piednoir, Mmes Sophie Primas, Catherine Procaccia, MM. Bruno Retailleau, René-Paul Savary, Mmes Claudine Thomas, Catherine Troendlé
N'ont pas pris part au vote : 3 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, MM. Bruno Gilles, Antoine Lefèvre
Groupe SOCR (78)
Contre : 78
Groupe UC (50)
Contre : 48
Abstentions : 2 - Mme Françoise Férat, M. Jean-Marie Vanlerenberghe
Groupe LaREM (21)
Pour : 21
Groupe RDSE (21)
Pour : 1 - M. Jean-Marc Gabouty
Abstentions : 20
Groupe CRCE (15)
Contre : 15
Groupe Les Indépendants (11)
Abstentions : 11
Sénateurs non inscrits (6)
Contre : 4
N'ont pas pris part au vote : 2 - Mme Claudine Kauffmann, M. Stéphane Ravier
Conclusions de la Conférence des présidents
Jeudi 17 mai 2018
De 14 h 30 à 18 h 30
- Débat sur le thème : « comment repenser la politique familiale en France ? »
- Débat sur le thème : « la politique de concurrence dans une économie mondialisée »
Mardi 22 mai 2018
À 9 h 30
- 26 questions orales
À 14 h 30 et le soir
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Mercredi 23 mai 2018
À 14 h 30 et le soir
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Jeudi 24 mai 2018
À 10 h 30
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
À 15 heures
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 16 h 15
- Éventuellement, suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Mardi 29 mai 2018
De 15 heures à 16 heures
- Explications de vote des groupes sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
De 16 heures à 16 h 30
- Scrutin public solennel, en salle des Conférences, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
À 16 h 30
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
À 16 h 45
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 17 h 45 et le soir
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire
Mercredi 30 mai 2018
À 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire
Jeudi 31 mai 2018
À 10 h 30, à 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Deux conventions internationales examinées selon la procédure d'examen simplifié
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire
Mardi 5 juin 2018
De 14 h 30 à 15 h 30
- Explications de vote des groupes sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire
De 15 h 30 à 16 heures
- Scrutin public solennel, en salle des Conférences, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire
À 16 heures
- Proclamation du résultat du scrutin public solennel
À 16 h 15
- Débat sur le bilan de l'application des lois (en salle Clemenceau)
À 18 heures
- Débat sur le transport fluvial à la suite de la présentation du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures du 1er février 2018
Le soir
- Débat sur les conclusions du rapport : « Sécurité routière : mieux cibler pour plus d'efficacité »
Mercredi 6 juin 2018
À 14 h 30
- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi relative à l'autorisation d'analyses génétiques sur personnes décédées, présentée par M. Alain Milon
- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d'Évian, du 2 juillet 1962 jusqu'au 1er juillet 1964, présentée par MM. Dominique de Legge et Philippe Mouiller
- Proposition de résolution européenne au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, en faveur de la préservation d'une politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut et Franck Montaugé
Le soir
- Proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d'intérêts des sénateurs, présentée par M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Jeudi 7 juin 2018
À 15 heures
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 16 h 15 et le soir
- Proposition de loi visant à moderniser la transmission d'entreprise, présentée par MM. Claude Nougein, Michel Vaspart et plusieurs de leurs collègues
Éventuellement, vendredi 8 juin 2018
À 9 h 30 et à 14 h 30
- Suite de l'ordre du jour de la veille
Mardi 12 juin 2018
À 14 h 30
- Sous réserve de sa transmission, explications de vote des groupes sur la proposition de loi visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination (procédure accélérée)
- Proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, présentée par MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud
À 16 h 45
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 17 h 45 et le soir
- Suite de l'ordre du jour de l'après-midi
Mercredi 13 juin 2018
De 14 h 30 à 18 h 30
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au défibrillateur cardiaque
- Proposition de loi relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique, présentée par M. Jean Pierre Decool et plusieurs de ses collègues
À 18 h 30
- Suite de la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, présentée par MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud
Le soir
- Éventuellement, suite de la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, présentée par MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud
- Proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, présentée par MM. Rémy Pointereau, Martial Bourquin, Jean-Marie Bockel et Mme Élisabeth Lamure
Jeudi 14 juin 2018
À 10 h 30
- Suite de la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, présentée par MM. Rémy Pointereau, Martial Bourquin, Jean-Marie Bockel et Mme Élisabeth Lamure
De 14 h 30 à 18 h 30
- Proposition de loi tendant à imposer aux ministres des cultes de justifier d'une formation les qualifiant à l'exercice de ce culte, présentée par Mme Nathalie Goulet, M. André Reichardt et plusieurs de leurs collègues
À 18 h 30 et le soir
- Suite de la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, présentée par MM. Rémy Pointereau, Martial Bourquin, Jean-Marie Bockel et Mme Élisabeth Lamure
Éventuellement, vendredi 15 juin 2018
À 9 h 30 et à 14 h 30
- Suite de l'ordre du jour de la veille
Mardi 19 juin 2018
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30 et le soir
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
Mercredi 20 juin 2018
À 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
Jeudi 21 juin 2018
À 10 h 30
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites (procédure accélérée)
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
À 15 heures
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 16 h 15 et, éventuellement, le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
Mardi 26 juin 2018
De 15 heures à 16 heures
- Explications de vote des groupes sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
De 16 heures à 16 h 30
- Scrutin public solennel, en salle des Conférences, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
À 16 h 30
- Proclamation du résultat du scrutin public solennel
À 16 h 45
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 17 h 45
- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin
Le soir
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable (procédure accélérée)
Mercredi 27 juin 2018
À 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable (procédure accélérée)
Jeudi 28 juin 2018
À 10 h 30, à 14 h 30 et le soir
- 1 convention internationale examinée selon la procédure d'examen simplifié
- Suite du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable (procédure accélérée)