Immigration, droit d'asile et intégration (Nouvelle lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.
Discussion générale
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Veuillez excuser le ministre d'État, ministre de l'intérieur, retenu à l'Assemblée nationale par le débat sur les motions de censure.
Après l'échec de la CMP le 4 juillet, l'Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture un texte qui rétablit les grands équilibres de son texte initial, mais reprend un certain nombre d'apports du Sénat.
Il appartient désormais au Sénat de se prononcer, dans des délais que je sais contraints car nous souhaitons une entrée en vigueur rapide.
Votre commission des lois, tirant les conséquences de l'échec en CMP, a décidé ce matin de proposer au Sénat d'adopter une question préalable. Le Gouvernement en prend acte. Il aurait préféré que les assemblées parviennent à un accord. Je sais que vous y avez travaillé, ainsi que la majorité de l'Assemblée nationale, qui a proposé un certain nombre de compromis. Toutefois, les divergences sur certains choix politiques comme les quotas ou le remplacement de l'aide médicale d'État par une aide médicale d'urgence étaient trop fortes.
Le Gouvernement a largement consulté les acteurs et écouté le milieu associatif. Le texte est connu depuis son examen en Conseil des ministres le 21 février. Il a fait l'objet de débats intenses dans les deux chambres, a été largement amendé, précisé, enrichi. Passons au temps de l'action sur un sujet qui est au coeur des préoccupations des Français. Si le nombre de demandeurs d'asile a diminué de moitié en Europe entre 2016 et 2017, passant de 1,2 million à 600 000, il a continué à augmenter de 17 % en France, avec plus de 100 000 demandeurs en 2017. Résultat, le parc d'hébergement est saturé et se développent au coeur de nos villes des campements indignes de notre République.
Pour faire face à une situation intenable, le président de la République et le Gouvernement agissent sur tous les fronts. Au niveau international, pour stabiliser la rive sud de la Méditerranée, via l'aide au développement, pour que la jeunesse africaine trouve un avenir ; en coopérant avec les États africains pour lutter contre les passeurs. Au niveau européen, pour rapprocher les législations, consolider le régime d'asile commun, renforcer les frontières de Schengen, éviter les détournements par les pays qui bénéficient de l'exemption de visas.
Il est aussi indispensable de revoir nos propres politiques, qui ne fonctionnent plus. La France doit être une terre d'accueil pour ceux qui fuient les guerres et les persécutions mais aussi éloigner de son territoire ceux qui n'ont pas de droit au séjour.
La réduction à six mois du délai d'instruction des dossiers permet aux personnes protégées de commencer leur intégration plus vite et de reconduire plus efficacement les autres. Le délai pour obtenir un premier rendez-vous en préfecture est passé de vingt-et-un à quatre jours. Les effectifs en préfecture ont été augmentés de 150 ETP. Quant aux éloignements d'étrangers en situation irrégulière, ils ont augmenté de 21,6 %. Enfin, la loi de finances pour 2018 mobilise des moyens pour héberger dignement les demandeurs d'asile et mieux intégrer ceux qui ont vocation à rester, en renforçant les cours de Français.
Ce projet de loi ne nie pas les problèmes et apporte des solutions équilibrées. Si l'Assemblée nationale a largement rétabli son texte, elle a retenu plusieurs mesures votées par le Sénat : la mention des persécutions liées à l'identité de genre ; l'obligation pour l'Ofpra de mettre fin au statut de réfugié en cas de condamnation pour faits graves dans un autre État ou de statuer en référé en cas de menace grave ; la consécration des opérations de réinstallation organisées dans les pays tiers ; le maintien du délai de recours devant la CNDA à trente jours ; la commission de concertation ad hoc qui émettra un avis sur les schémas régionaux d'accueil et d'intégration ; l'adaptation du droit du sol à Mayotte - issue d'une proposition de loi de M. Mohamed Soilihi ; la constitution d'un traitement de données comprenant les empreintes digitales et la photo des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés.
Sur tous ces points importants, le Sénat a été entendu. Vous vouliez limiter à cinq jours la rétention des mineurs accompagnant leurs parents ; le Gouvernement a fait valoir des difficultés opérationnelles. La rétention des familles est exceptionnelle et strictement encadrée, mais elle est parfois inévitable. Le Gouvernement veillera à ce qu'elle soit la plus brève possible et se déroule dans les locaux adaptés. Nous avons entendu les préoccupations des parlementaires.
L'Assemblée nationale a rétabli l'article 19 ter sur le prétendu délit de solidarité, tirant les leçons de la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet ; les aides au séjour ou à la circulation apportées dans un but humanitaire ne sauraient faire l'objet d'une poursuite pénale. En revanche, la lutte contre l'immigration irrégulière participant de la sauvegarde de l'ordre public, objectif de valeur constitutionnelle, l'aide à l'entrée demeurera pénalement répréhensible.
Malgré les points de convergence, les désaccords entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale ont prévalu. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe UC)
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Aucun accord n'a pu être trouvé à l'issue de la CMP. En première lecture, le Sénat avait largement réécrit ce texte en élaborant, sinon un contre-projet, du moins un nouveau projet, plus cohérent, plus ferme et réaliste, abordant l'ensemble des sujets migratoires - intégration, asile, traitement de l'immigration irrégulière.
Ainsi, nous avions renforcé les peines complémentaires d'interdiction du territoire ; réduit le nombre de visas accordés aux pays refusant de délivrer les laissez-passer consulaires ; réintroduit la visite médicale des étudiants étrangers ; réorganisé la durée de la rétention administrative ; interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré celui des mineurs accompagnant leur famille ; rétabli le délai d'appel de trente jours devant la CNDA ; consenti un effort particulier en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière ; décompté les places d'hébergement des logements sociaux SRU et créé un fichier biométrique des étrangers déclarés majeurs, très attendu par les départements.
Malgré un dialogue constructif avec l'Assemblée nationale, la CMP n'est pas parvenue à un accord. Nous regrettons que le texte adopté par les députés en nouvelle lecture ne prenne que très peu en compte les préoccupations exprimées par le Sénat.
Malgré tout, l'Assemblée nationale a conservé le délai d'appel de trente jours devant la CNDA et l'adaptation du droit du sol à Mayotte - initiative de Thani Mohamed Soilihi - comme la création d'un fichier comportant les empreintes digitales et une photographie des étrangers se présentant comme mineurs non accompagnés.
Mais les désaccords restent nombreux. Concernant la lutte contre l'immigration irrégulière, ce texte est une occasion manquée : aucune stratégie migratoire ni mesure de rigueur, notamment sur l'encadrement de l'immigration familiale ou la procédure de Dublin.
La politique d'intégration est le parent pauvre. Plus de certification du niveau de langue pour les primo-arrivants ni de prise en compte des connaissances en matière de civisme.
Des désaccords majeurs persistent sur les modalités d'organisation de la rétention. Le séquençage adopté par l'Assemblée nationale est à la fois peu protecteur pour les étrangers et très contraignant pour l'autorité administrative et les tribunaux. La possibilité de placer en rétention un mineur accompagnant pendant 90 jours est maintenue, alors que nous avions fixé un plafond de cinq jours.
De même, nous notons un manque de considération pour l'action des collectivités territoriales en faveur de l'accueil des demandeurs d'asile, alors que le Sénat avait adopté plusieurs mesures visant à les soutenir, comme l'inclusion des places d'hébergement dans le quota SRU.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté deux mesures clairement contraires à la règle de l'entonnoir : la suppression du rôle de coordination des centres provisoires d'hébergement en matière d'intégration des réfugiés et, plus exotique, une habilitation à réformer par ordonnance le contentieux des étrangers devant les juridictions administratives et créer des procédures d'urgence devant la CNDA. Ce sujet important échappera donc au Parlement.
La commission des lois a décidé de proposer au Sénat une question préalable, en application de l'article 44-3 de notre Règlement.
Avant de conclure, je tiens à saluer tous les collègues, ainsi que les administrateurs, qui ont travaillé sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et LaREM)
M. Alain Richard . - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Notre groupe redit sa position favorable au texte issu de l'Assemblée nationale, lequel reste cohérent avec le projet de loi initial, qui vise à faciliter l'accueil des réfugiés et le rapatriement effectif des personnes sans droit au séjour.
Nous avons une différence d'approche avec la majorité sénatoriale, qui a voulu élaborer un contre-projet - ou nouveau projet - même si je reconnais ses apports constructifs et bien conçus.
Des apports importants du Sénat ont été conservés : élargissement de l'asile aux victimes de discrimination sexuelle, capacité de l'Ofpra à accueillir à distance les candidats, maintien à trente jours du délai de recours devant la CNDA avec aide juridictionnelle, concertation avec les collectivités territoriales sur le schéma régional d'accueil, encadrement du droit du sol à Mayotte, carte de séjour pour les jeunes au pair.
Le bicamérisme a bien fonctionné. Il est vrai que le texte de l'Assemblée nationale conserve la logique politique du Gouvernement. Les apports emblématiques de l'opposition - la majorité au Sénat - comme la suppression de l'aide médicale d'État ou l'obligation, non normative, pour le Gouvernement de refuser un visa pour motif d'ordre public ont logiquement été rejetés.
Gardons le sens des lignes politiques. La question préalable peut signifier deux choses : un rejet global du projet de loi ou le constat que le projet de loi est arrivé à un équilibre et qu'il n'évoluera plus.
M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument.
M. Alain Richard. - Nous nous abstiendrons pour laisser à la majorité la responsabilité d'adopter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Éliane Assassi . - À l'heure où un courant populiste, voire fasciste, déferle sur l'Europe, le dossier des migrants s'est installé comme une thématique majeure, avec les élections européennes en ligne de mire.
Le Gouvernement En marche a réduit les droits des migrants, au mépris de la dignité humaine. Il referme le pays sur lui-même pour montrer aux migrants qu'il ne faut surtout pas venir en France et rassurer les électeurs de l'extrême droite. Le groupe CRCE s'y opposera très fermement.
La majorité sénatoriale voulait durcir plus encore le texte, ce qui a fait échouer la CMP. Mais il n'y a pas de divergence fondamentale entre la droite et le Gouvernement. J'en veux pour preuve la brèche ouverte à Mayotte dans le droit du sol, introduite au Sénat et adoptée à l'Assemblée nationale. L'amendement de M. Larrivé défendant son extension à tout le territoire en fait que le confirmer.
« L'aile gauche n'est pas représentative de la majorité » a déclaré Gérard Collomb... Nous avons défendu notre position mais la grande majorité de nos amendements ont été rejetés ; pourtant, ils n'avaient rien de révolutionnaire, ne faisant qu'améliorer les conditions de vie et d'accueil et les droits fondamentaux - santé, logement, alimentation - auxquels la France s'est engagée dans des traités internationaux.
Les réfugiés climatiques seront 148 millions en 2050 ; 5 millions pourraient venir en Europe. Qu'en ferons-nous ? Ce projet de loi ne propose aucune issue à ce défi humanitaire.
Une seule bonne nouvelle : la fraternité devra être respectée comme valeur constitutionnelle. Le Sénat s'honorerait à abroger totalement le délit de solidarité. « Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères » disait Voltaire. Face à l'obscurantisme, puisse le siècle des Lumières continuer à nous éclairer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Philippe Bonnecarrère . - Une partie des membres du groupe de l'Union centriste ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable, une autre partie, non négligeable, l'approuvera. Nous aurions souhaité un accord en CMP.
Reconnaissons que ce projet de loi améliore le droit existant. Le groupe centriste ne portait pas de contre-projet. L'échec des formations dites de Gouvernement ne sert que les extrêmes.
Nous sommes insatisfaits car nous n'avons pas pu échapper à une vision en noir et blanc, affective et morale, sans doute à cause de la procédure accélérée qui n'est pas adaptée aux sujets de société.
Il y a aussi une instabilité législative : c'est la vingt-neuvième réforme du droit des étrangers depuis 1980. Maîtriser les migrations est la tâche d'une génération et suppose une vision de long terme. Or ce texte manque de vision globale, tant le problème est complexe et multifactoriel. Il faudrait traiter les migrations en amont par l'aide au développement, la protection des frontières extérieures, les accords entre États, l'hébergement, la réduction des délais d'instruction, la reconduction ou l'intégration, selon les cas. Ce manque de stratégie globale explique l'insatisfaction de notre groupe.
Ce débat a reflété les tensions qui parcourent la société française et européenne. Nous pensons que l'asile et l'immigration sont des sujets européens. Loin de nous l'idée de nous défausser de nos responsabilités ou d'opposer élites et peuples. Notre conviction, c'est la souveraineté partagée, qui sous-tend notre identité nationale et notre souveraineté étatique.
J'identifie deux priorités : la reconnaissance mutuelle entre pays européens du dépôt de la demande d'asile pour éviter les mouvements secondaires, et la révision du règlement Dublin III qui incite à la clandestinité.
Nous proposons une modalité de suivi conjointe entre le Parlement et l'exécutif. En effet, le suivi du texte est au moins aussi important que son adoption. N'ayons pas une vision technique mais globale, dans une logique de long terme. Nul doute qu'une nouvelle évolution législative sera bientôt à l'ordre du jour. J'insiste sur le suivi des discussions européennes, pour être opérationnel dans la durée. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, LaREM et RDSE)
M. Jean-Yves Leconte . - Ce sujet est de ceux qui heurtent notre conception de l'action politique. Les migrations sont aussi vieilles que l'humanité, dont elles sont une part constitutive. Or nous constatons un risque de convergence entre ceux qui exacerbent et manipulent les peurs et ceux qui tentent d'y répondre à court terme, quitte à remettre à plus tard les vraies solutions.
De tout temps, les migrations ont favorisé l'activité économique, le commerce et les échanges. Considérer qu'elles sont intrinsèquement négatives engendre une spirale qui nous emmènera à notre perte.
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien.
M. Jean-Yves Leconte. - Pour répondre à la peur du dumping social, il faut un droit du travail robuste qui garantisse des droits identiques à tous.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Très juste.
M. Jean-Yves Leconte. - Alors que l'Europe est loin d'être la première destination des migrations, elle est prisonnière de peurs qui l'affaiblissent, prête à renoncer à ses principes fondateurs pour se défendre d'une pseudo-invasion.
Faire des laissez-passer consulaires l'alpha et l'omega de nos relations bilatérales est irresponsable. On ne peut résoudre les migrations à long terme sans parler développement, sans accepter les échanges intellectuels, familiaux et commerciaux.
Mme Claudine Lepage. - Tout à fait.
M. Jean-Yves Leconte. - Si l'on empêche les mouvements légaux, on favorise les mouvements illégaux. Pour freiner les départs des jeunes pour l'Europe, il faut casser les mythes, empêcher les migrants de raconter des histoires sur l'eldorado européen !
Il n'y a pas d'opposition entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Celle-ci a aggravé le texte : orientation directive du demandeur sans hébergement garanti, aberrante ; refus de la limitation dans le temps de la rétention des enfants ; non prise en compte des outremers à l'OFII ; refus d'accélérer la délivrance des cartes de séjour en cas de réponse favorable, alors que l'on impose l'accélération de la procédure aux migrants.
Le Sénat, de son côté, a voulu réduire l'attractivité de notre pays pour les étudiants étrangers ; heureusement, l'Assemblée a supprimé ces mesures. Mais c'est peu de chose.
Entre les deux assemblées, les convergences sont nombreuses : pas de prise en compte du principe de fraternité ; acceptation de la compétence liée de l'Ofpra, de la notification par tous les moyens ; lutte contre la reconnaissance frauduleuse de paternité - au risque d'empêcher de vrais pères de reconnaitre leur enfant ; passage de 45 à 90 jours de la rétention alors que le tout-rétention ne favorise pas l'éloignement, l'exemple allemand le prouve.
Je termine par le scandale de Mayotte. On y ouvre trois boîtes de Pandore. Un, le droit du sol ne s'y applique pas. Résultat, vous allez recevoir des demandes de certificats de nationalité française pour des gens nés à Mayotte. Ce sera ingérable durant cent ans, je vous le dis en tant que sénateur représentant les Français de l'étranger ; je suis régulièrement sollicité pour intervenir dans des dossiers provenant de l'Algérie. Deux, concernant la situation de Mayotte en droit international, les résolutions de l'ONU affirment la souveraineté des Comores sur Mayotte. Trois, Mayotte est un centre de rétention à ciel ouvert puisque les étrangers en situation régulière à Mayotte ne peuvent pas venir dans l'Hexagone.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous ne pouvons pas partir en vacances l'esprit tranquille en votant la question préalable, il faut continuer le combat pour éliminer de ce texte ce qui est intolérable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Claude Malhuret . - La question migratoire est devenue un enjeu de souveraineté nationale et de cohésion sociale. En témoignent nos débats longs, difficiles et passionnés.
Le problème est aussi européen, nous en avons débattu la semaine dernière à propos de l'accord de réadmission franco-autrichien. C'est l'avenir du « Vieux continent face à la jeune Afrique » qui est en jeu. En 2100, trois bébés sur quatre naîtront au sud du Sahara. Comment éviter une « ruée vers l'Europe », pour reprendre le titre de l'ouvrage récent de Stephen Smith ?
Dans ces conditions, l'irénisme humanitaire est tout aussi dangereux que l'égoïsme national. Une approche équilibrée s'impose ; évitons l'outrance des parangons de vertu comme les excès de ceux qui, comme dans la fable d'Ésope, crient tant au loup qu'on ne les écoute plus.
Il existe une continuité politique de conciliation entre immigration, intégration et droit d'asile depuis l'ordonnance du général de Gaulle du 2 novembre 1945.
L'asile repose sur une éthique que le texte ne remet pas en cause, mais il fallait clarifier les critères et moderniser les procédures pour ne pas laisser prospérer des attentes infondées ou des situations indignes de notre pays. Les conditions de travail sont critiques à l'Ofpra et à la CNDA, nos dispositifs d'hébergement sont saturés en Île-de-France, dans les Alpes maritimes et dans le Pas-de-Calais.
Concernant l'intégration, l'insertion linguistique, économique et sociale des étrangers est particulièrement insuffisante en comparaison de l'Allemagne. Dans un bel article de 1943 intitulé « Nous autres réfugiés », Hannah Arendt décrivait la situation douloureuse des réfugiés en terre d'accueil : l'exclusion, le rejet, l'anonymat. Faisons en sorte que l'accueil ne soit pas seulement une promesse procédurale. Cela commence, nous l'avons répété, par le droit au travail.
Sur l'immigration, le Sénat a proposé un texte fort différent. En soi, ce n'est pas une erreur car on peut faire mieux que ce qui nous est proposé en matière d'exécution des décisions, de regroupement familial, de traitement des mineurs ou encore d'intégration.
Si ce texte sur l'asile et l'immigration constitue surtout un aménagement technique de notre droit, il contribuera à changer en profondeur le quotidien des migrants et des agents de l'asile dont l'engagement doit être salué.
Face à une crise migratoire qui est encore devant nous, l'équilibre est difficile à trouver entre l'humanisme, hérité des Lumières, et l'indispensable fermeté dont nous devons faire preuve pour rendre effectives les mesures d'éloignement. Pour le groupe Les Indépendants, la seule façon de l'atteindre réside dans une réponse coordonnée à l'échelon national, celui de l'Europe et celui des pays sources. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UC et LaREM)
M. Guillaume Arnell . - La question migratoire est devenue l'une des principales variables des relations internationales ; elle est instrumentalisée par les pays ayant une importante diaspora ou stratégiquement placés sur les routes de l'exil. Pour les chercheurs Henry Laurens et Manon Nour-Tannous, le pacte euro-méditerranéen n'est plus qu'une mise à distance des pays à qui l'on refuse l'adhésion.
Nous sommes contraints de repenser en profondeur nos politiques étrangères de développement et de lutte contre le réchauffement climatique mais, aussi et surtout, notre politique intérieure d'accueil et d'intégration des personnes étrangères, qu'elles sollicitent l'asile ou des titres de séjour de droit commun. Dans les centres de rétention administrative, les déficiences de Dublin sont palpables. Comment expliquer les procédures à des personnes aux regards hagards perdues dans le labyrinthe administratif dublinois ? Personne n'ignore l'impossibilité de rendre effectives toutes les reconduites à la frontière tant que les pays sources filtreront les retours à travers les laissez-passer consulaires.
Madame la Ministre, le RDSE, attaché comme vous aux lois de la République, veut leur application. Ce qu'il critique, c'est la fragilisation de l'État de droit. Il est à craindre que les expériences conduites en droit des étrangers ne fassent l'objet d'une généralisation. La vidéo-audience entraînerait une transformation sans précédent du service public de la justice.
Le Sénat, fidèle à sa tradition, a voulu encadrer la rétention des mineurs accompagnants, il n'a pas été suivi ; l'assignation à résidence aurait été le meilleur compromis. Maigre consolation, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale est finalement revenue au délai actuel de recours devant la CNDA et a affiné l'encadrement du « délit de solidarité » après l'audacieuse décision du Conseil constitutionnel consacrant la valeur constitutionnelle du principe de fraternité.
Si l'atténuation brutale des flux migratoires est impossible, l'amélioration de notre politique d'accueil et d'intégration est incontournable. Un usage plus constructif de l'aide au retour volontaire pourrait être fait : si nous ne l'apportions qu'à moyen terme, nous responsabiliserions davantage les étrangers souhaitant rejoindre la France pour s'y former et y acquérir des compétences d'avenir. Cette relation de confiance, établie sur des règles claires, serait le ciment d'un développement plus équilibré dans le monde et du rayonnement de la France sur la scène internationale.
Ce projet de loi, à notre sens, complique un peu plus le droit des étrangers tout en restant à la surface des enjeux migratoires. Le groupe RDSE votera contre le texte dans sa version modifiée par le Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Franchement, on se bat pour des bouts de chandelle car, dans un an, ce texte aura été balayé par le résultat des élections européennes. Hier, l'inénarrable Premier ministre hongrois a déclaré qu'elles seraient un test autour de la question migratoire. Et le chancelier autrichien et le Premier ministre italien et les gouvernements néerlandais et danois de s'empresser de le suivre... Pour l'essentiel, les règles en matière migratoire ou d'asile relèvent du niveau européen. Or combien d'États sont sur la ligne de la France : respect du droit d'asile et politique d'immigration humaine ? Bientôt, ils ne seront plus que quatre ou cinq.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ce ne sera pas la première fois dans l'Histoire !
M. Roger Karoutchi. - La vérité, et personne ne peut s'en glorifier, c'est que les gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite, n'ont pas mis assez de moyens dans l'intégration et s'est propagé un sentiment confus et désagréable de manque d'intégration des immigrés bien avant que la nouvelle vague migratoire n'arrive.
Ce texte associe asile et immigration, cela me reste dans la gorge. Ce n'est pas du tout la même chose !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Très juste !
M. Roger Karoutchi. - Sur l'asile, il y a un consensus : comment redéfinir un droit d'asile cohérent avec l'histoire de notre pays ? Ceux qui obtiennent l'asile devraient être au coeur de notre effort d'intégration. Or ils ne sont pas bien traités par la République ! La France n'a plus les moyens d'il y a vingt ou trente ans. Et certains nous disent : il faut accueillir plus...
Comment renforcer les moyens de l'Ofpra et de l'OFII pour mener une politique digne de nous mais ajustée à nos moyens ? Un orateur évoquait les camps dans les grandes villes. On déplace les personnes d'un gymnase à l'autre tous les trois mois... Est-ce digne ? Non. Je souhaiterais que le Parlement ait un droit de regard sur ce qui est digne et ce qui ne l'est pas. N'opposons pas les généreux et les égoïstes. La priorité des priorités est d'accueillir correctement ceux qui fuient la guerre, les massacres et les persécutions.
Madame la Ministre, vous reviendrez sans doute après les élections européennes devant nous avec un autre texte parce que nous n'avons pas eu le courage de faire face à nos responsabilités depuis vingt-cinq ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe UC)
La discussion générale est close.