Port du voile intégral dans l'espace public
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à préserver l'ordonnancement juridique relatif au port du voile intégral dans l'espace public, à la demande du groupe Les Républicains.
Discussion générale
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Si nous avons tenu à déposer cette proposition de résolution, c'est parce qu'il faut parfois réagir. On ne peut pas toujours se taire, faire comme si l'on n'avait rien vu, rien su, comme si l'on ne devait opposer que le silence à l'inacceptable.
Après la plainte de deux femmes verbalisées pour port de la burqa sur la voie publique, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a pris, le 22 octobre, une décision stupéfiante : il a demandé à la France d'abroger la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, et d'indemniser les deux plaignantes.
M. Roger Karoutchi. - Bah tiens !
M. Bruno Retailleau. - Nous demandons au Gouvernement d'y opposer son refus, un mur de refus. Et cela pour trois raisons. La première, c'est que cette décision légitime l'islam radical.
La burqa n'est pas une simple mode vestimentaire, un simple voile. Ce grillage en tissu efface l'identité, l'individualité des femmes qui la portent et les retranchent de l'espace public. Elle transforme la femme en image du refus de communiquer - alors que l'islam interdit l'image ! Enfin, elle diminue, en plaçant la femme à un rang inférieur et en envoyant un signal ostensible de cette infériorité aux passants. C'est inacceptable.
Qu'un Comité des droits de l'homme utilise ces derniers pour réduire les droits de la femme : les bras nous en tombent ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et Les Indépendants)
La burqa n'est pas n'importe quel signe d'appartenance religieuse, c'est un signe d'appartenance à une mouvance particulière : un islam radical qui considère la charia supérieure à la loi républicaine, qui voit la burqa comme l'étendard d'une contre-société, et dont l'objectif est de séparer nos compatriotes musulmans du reste des Français. Certes, nous avons un front de haute intensité, le terrorisme, mais il se nourrit de l'idéologie salafiste.
Deuxième raison : cette décision atteint le coeur de notre modèle républicain. Elle s'oppose à nos valeurs d'égalité, de dignité humaine et d'universalité de la loi. Notre fraternité est civique et non religieuse. Aucune communauté, religieuse ou non, ne saurait se retrancher dans un cercle de feu pour se couper de la communauté nationale.
Le temps est venu de dénoncer le cadre idéologique dans lequel s'enferment certaines institutions internationales qui utilisent la rhétorique des droits de l'homme pour développer une conception radicale de l'individualisme et du culturalisme. Au nom de l'exaltation libertaire, on retourne la liberté contre l'individu, et contre la collectivité !
La source de notre droit républicain est l'universalité. Or la conception anglo-saxonne s'oppose à notre tradition républicaine en plaçant les droits de l'individu au-dessus de tout. Elle porte atteinte à notre conception de la laïcité et de la citoyenneté qui n'exige pas que les particularismes soient refoulés, mais simplement qu'ils s'expriment dans l'espace privé.
Il faut ouvrir les yeux et dénoncer les avancées insidieuses de ces comités Théodule et pseudo-juridictions internationales.
Troisième raison, cette décision nourrit la crise démocratique en contrevenant à la volonté du peuple français. La loi de 2010, votée à une très large majorité, a fait l'objet d'un consensus national.
La portée de cette décision n'est pas contraignante, disent certains. Permettez-moi de citer le Premier président de la Cour de cassation, à propos d'une décision comparable sur la crèche Baby Loup : même si cette décision n'a pas de force contraignante, l'autorité qui s'y attache de fait déstabilise la jurisprudence et appelle la culture juridique française à entrer en synthèse avec la culture anglo-saxonne.
Décision emblématique, paroxystique, elle illustre la soft law du droit jurisprudentiel qui s'oppose à la démocratie nationale.
Gilets jaunes en France, résultats électoraux en Europe, au Brésil, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne : ces insurrections s'expliquent aussi par le sentiment que la démocratie s'exerce sans le peuple, comme le dit Jacques Julliard. Ce type de décision nourrit la défiance du peuple envers des dirigeants, des instances insensibles à l'expression de la volonté populaire.
Je regrette à ce titre la signature par la France du pacte de Marrakech. Ces décisions sont filles d'une même idéologie, matrices d'une même crise démocratique. Le moment est venu de faire respecter la souveraineté populaire. On n'a pas le droit de bafouer le peuple lorsqu'il s'exprime. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)
M. Stéphane Ravier . - Le voile intégral rend libre ! Parole de Redoine Faïd, qui a pu ainsi faire ses courses au marché du coin alors qu'il était en cavale.
Le problème du voile intégral est la conséquence directe de la politique d'immigration massive qui continue de faire entrer dans notre pays des millions d'individus dont beaucoup, en opposition avec nos traditions séculaires, combattent sur notre sol nos valeurs et notre attachement aux libertés individuelles, notamment celles des femmes.
S'ajoute quarante ans de couardise et de compromissions de la classe politique avec les islamistes, et voilà la France des clochers et de Marianne transformée en France de la charia et du voile intégral. Ce voile, acte politique d'extrémistes qui utilisent nos libertés pour mieux les combattre ! De la France fille aînée de l'Église à la France petite fille de l'islamisme, il n'y a qu'un voile. (M. Roger Karoutchi s'amuse.) Une étape dans la conquête de l'âme et du corps de la Nation par des fanatiques qui s'engouffrent dans les failles de notre droit pour imposer la loi islamique, aidés en cela par les idéologues d'officines internationales.
Malgré ce constat accablant, l'arrêt immédiat de toute immigration n'est pas à l'ordre du jour : le président de la République a fait ratifier en catimini le pacte mondial sur les migrations de Marrakech, une trahison qui achèvera la submersion de notre pays par des flux de migrants abritant des fanatiques qui ont la liberté des femmes en détestation.
Assez de masochisme, assez de déni ! Non, le fichu de nos grands-mères n'a rien à voir avec le voile intégral qui nie la femme jusqu'à l'enfermer dans un tissu carcéral. Ici nous ne sommes pas à Kaboul mais dans le Paris de la mode où l'on aime les femmes, qu'elles soient en robe, en pantalon ou en maillot de bain : nous aimons voir leurs cheveux, leur sourire. Nous les voulons mères au foyer, chefs d'entreprise, héroïnes de la patrie, parlementaires, ou même présidente de la République ! (Sourires)
M. Christian Manable. - Ségolène !
M. Stéphane Ravier. - Les femmes, nous les voulons libres ! Ce sont elles qui, par leur dévouement, ont porté le pays à bout de bras pendant cette Grande Guerre que nous commémorons : sans elles, la France ne serait plus française !
Pour la France fille ainée de la liberté, ne tergiversons plus, ne reculons pas face à l'obscurantisme islamiste, dévoilons la République !
M. Christian Manable. - Vive les femmes !
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le groupe UC votera évidemment cette proposition de résolution, dans un contexte plein de symboles : quasiment au jour anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme et de la loi de 1905, au lendemain de la signature du pacte de Marrakech.
Il se trouve que j'étais déjà orateur pour le groupe UC lors de la loi de 2010, que nous avions votée.
Cette condamnation de la France par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme n'a certes pas force contraignante, mais elle offre un terreau favorable aux dérives et à la victimisation. Rappeler les principes républicains du vivre ensemble n'est jamais inutile même si la force exécutoire des résolutions des organes de l'ONU est faible, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais la soft diplomacy brouille les esprits, en effet.
Le pacte de Marrakech - dont plusieurs pays, parmi lesquels les États-Unis, se sont retirés - doit être ratifié le 19 décembre lors de l'Assemblée générale des Nations unies. Il agit d'une simple proclamation orale, suivie d'un coup de marteau.
On est loin du débat global et cohérent sur l'asile et l'immigration que Roger Karoutchi appelle de ses voeux !
Ces conventions internationales ne sont pas soumises au Parlement, qui n'arrive dans ces affaires qu'à la fumée des cierges.
Il serait opportun que le Gouvernement consulte le Parlement avant d'engager la France dans des accords aussi importants. Cela vaut aussi pour les conventions fiscales - nous en rediscuterons lors de la révision constitutionnelle. Nous avons bien des débats préalables au Conseil européen...
L'examen de la présente résolution était programmé bien avant l'adoption du pacte de Marrakech. Concours de circonstance, donc. Mektoub, il n'y a pas de hasard ! (Sourires)
J'ai conduit ici une commission d'enquête sur les réseaux djihadistes, six mois avant Charlie, et rapporté une mission d'information sur l'islam.
Le nombre d'États prohibant le port du voile intégral progresse. Aux Émirats arabes unis, on demande, pour des raisons de sécurité, aux femmes qui travaillent dans certaines administrations de ne pas se couvrir le visage. Au Koweït, il est interdit de conduire en portant le niqab. Le Maroc et la Tunisie ont interdit le port mais aussi la fabrication. La Bulgarie, la Belgique, le Danemark ont interdit le voile intégral. Au Royaume-Uni et en Suède, les écoles ont la possibilité de l'interdire.
Cette proposition de résolution répond-elle à une impérieuse nécessité ? Sur le plan de la sécurité, assurément. La tolérance doit être nulle et les sanctions lourdes pour ceux qui encouragent la désobéissance civile en payant les amendes des contrevenantes.
Nos concitoyens musulmans sont des Français à part entière, non des Français à part, avons-nous entendu lors du récent congrès du Conseil français du culte musulman. C'est à la religion de s'adapter à la République, sûrement pas l'inverse. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, CRCE et RDSE)
Mme Françoise Gatel. - Très bien !
M. Alain Marc . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants.) La loi du 11 octobre 2010 concerne non pas quelques milliers de personnes mais l'idée que l'on se fait de la France. Elle est d'autant plus fondée que le port du voile intégral n'est nullement une prescription de l'islam - preuve que c'est le fondamentalisme et non la religion qui est visé.
La dissimulation du visage dans l'espace public s'oppose aux exigences du vivre ensemble et est contraire aux principes de fraternité et de civilité. Elle marque le refus d'entrer en relation avec autrui, d'accepter la réciprocité et l'échange, car on voit sans être vu. Elle porte atteinte à la dignité de la personne, ce qui donne une base constitutionnelle incontestable à son interdiction. Le 27 juin 2008, le Conseil d'État a ainsi rejeté la requête d'une Marocaine qui s'était vu refuser l'accès à la nationalité française en raison de sa pratique religieuse radicale, incluant le port de la burqa.
En 2010, un choix de société a été fait. Il apparaît nécessaire de le réaffirmer avec force, le Comité des droits de l'homme des Nations unies ayant estimé que la loi de 2010 introduisait une discrimination religieuse. Cela aboutit de fait à favoriser la négation des droits des femmes et remet en cause notre conception de leur place dans notre société.
Or la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), dans son arrêt « SAS contre France » le 1er juillet 2014, avait déjà statué que les autorités nationales étaient mieux placées que le juge international pour statuer sur ces affaires.
Le port du voile intégral est une forme de réclusion publique. À l'heure où les Français s'interrogent sur le devenir de la Nation, il est nécessaire de réaffirmer les valeurs que nous avons en partage. Parlementaires, c'est à nous de garantir la pérennité de nos valeurs, qui fondent notre pacte social et qui forgent notre identité. Il nous revient d'être digne du privilège de vivre en France.
Le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, UC, Les Républicains et RDSE)
M. Marc-Philippe Daubresse . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La question du port du voile dans les lieux publics n'est pas nouvelle. En 2003, la commission Stasi écrivait déjà que l'État permettait la consolidation de valeurs communes qui fondent le lien social de la Nation. La République ne peut rester sourde aux cris de détresse des jeunes filles enfermées ainsi sous le voile.
En 2010, les parlementaires ont voté une loi, après que le Premier ministre eut demandé au Conseil d'État une expertise juridique sur la faisabilité de l'interdiction, sans blesser nos compatriotes de confession musulmane.
La menace terroriste n'a jamais été aussi présente sur le territoire, monsieur le ministre, et vous êtes bien placé pour le savoir. Nous avons évité bien des attentats grâce au courage des services que vous avez dirigés. Le voile intégral n'a rien à faire sur la voie publique pour des raisons d'ordre public et de dignité de la femme.
Le Comité Théodule des Nations-Unies, en se prononçant comme il l'a fait, méconnaît le pacte international de 1966, selon lequel la liberté des religions peut être limitée dans un but de protection de l'ordre public.
Le voile intégral revient à considérer que les femmes ne sont pas dignes d'être vues. L'idée qu'il puisse exister un vêtement du visage n'est pas tolérable sur notre sol. Plusieurs représentants de la religion musulmane ont reconnu que c'était le fondamentalisme qu'il s'agissait là de combattre. Revenir sur cette législation, après tous les drames que nous avons vécus, serait une injure aux victimes et à leurs familles. Dans ma commune, un jeune homme a été assassiné au Bataclan. Je connais ses parents : jamais ils ne comprendraient que l'on revienne sur cette législation. Ce serait un message de tolérance face à l'intolérable ; un signal de désespoir envoyé aux femmes qui espèrent leur émancipation partout dans le monde.
Toute la République dit non au voile intégral. J'appelle le Gouvernement à manifester son indignation face à cette décision incohérente. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. Michel Amiel . - Il y a bien longtemps que le port du voile intégral ne s'était invité dans la vie politique. La loi de 2010 l'interdit sur la voie publique. Le Conseil constitutionnel, la CEDH l'ont validé. Voilà maintenant que le Comité des droits de l'homme de l'ONU estime qu'elle porte atteinte au droit de librement manifester sa religion. Constatation ni contraignante, ni obligatoire, rappelons-le.
Dans le passé, ce Comité avait pris une position sur l'affaire de la crèche Baby Loup, position que le Premier président de la Cour de cassation avait dit qu'il prendrait en compte...
La CEDH a réaffirmé que l'acceptation ou non du port du voile intégral dans l'espace public constitue un choix de société.
Limiter cette question d'application de la loi au seul voile islamique, soulève un débat qui n'a pas lieu d'être car la République se vit à visage découvert. Mais puisqu'il est posé, parlons-en : l'islam ne contient aucune contrainte vestimentaire.
Le port du voile intégral couvrant le visage est absolument contraire à l'esprit du Coran : le pèlerinage rituel, le Hajj, doit d'ailleurs être réalisé à visage découvert. Si les femmes sont contraintes de porter le voile, c'est le fait des hommes, pas de la religion.
Le voile intégral est devenu une marque identitaire, voire une provocation face à notre tolérance occidentale issue de la philosophie des Lumières.
M. Bruno Retailleau. - Eh oui !
M. Michel Amiel. - Si c'est là le retour du spirituel annoncé par Malraux, permettez d'y voir plutôt un obscurantisme, rabaissement de la femme et intolérance.
Restons ouverts en lisant le Coran avec le regretté Mohammed Arkoun (Mme Nathalie Goulet s'émerveille à l'évocation de ce nom.), grande figure de l'islamologie contemporaine, ou avec Filali-Ansary, directeur de l'Institut d'études et civilisations islamiques de Londres qui réfutent jusqu'à l'idée même d'un État islamique. Soyons intraitables face aux dérives fanatiques, humiliantes pour les femmes.
Notre pays fait au contraire aux femmes une place éminente, en témoigne la figure de Marianne.
Je voterai cette proposition de résolution, même si son opportunité ne me parait pas évidente, mais une partie du groupe LaREM s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains)
M. Pierre Ouzoulias . - La laïcité française demeure une spécificité de notre République et ses conceptions originales doivent être défendues, sur notre sol et dans les instances internationales. La CJUE et la CEDH n'ont jamais, dans leurs nombreuses décisions, contesté les législations ou les décisions judiciaires fondées sur ses préceptes. En revanche, le Comité du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a parfois manifesté de l'incompréhension à l'égard de la laïcité française. Cette proposition de résolution aurait pu être l'occasion de lui rappeler notre attachement collectif à cet élément fondamental de notre socle républicain. Nous regrettons donc vivement que le mot laïcité ne soit jamais cité dans l'exposé des motifs de cette résolution.
À propos des constatations du Comité des droits de l'homme des Nations unies, il convient de préciser qu'elles n'ont aucune conséquence juridique sur le droit français. Elles ne modifient pas l'ordonnancement juridique national ni n'atténuent la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la CEDH. Les mesures proposées aux alinéas 14 et 15 de la proposition de résolution sont donc sans objet.
Néanmoins, il aurait été utile de reprendre certaines des observations présentées par la majorité des membres de ce Comité. En effet, plusieurs d'entre eux partagent l'idée que le voile dissimulant totalement le visage est discriminatoire. In fine, ce qui est contesté par ce Comité c'est moins la mesure elle-même, l'interdiction du voile intégral, que la disproportion de la restriction de circulation, par rapport à un objectif qu'il estime mal défini par la loi.
Sur ce dernier point, la loi de 2010 aurait pu être plus explicite. Son premier article dispose : « Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». En revanche, l'exposé des motifs est beaucoup plus précis puisqu'il considère que « la dissimulation du visage dans l'espace public est porteuse d'une violence symbolique et déshumanisante, qui heurte le corps social » et que le voile revient « à nier l'appartenance à la société des personnes » qui le porte.
Fondamentalement, l'objet de la loi n'est pas la nature du bout de tissu porté, mais la position politique qui dénie à une femme ses droits de citoyenne, conformément à des traditions religieuses qui s'imposeraient à l'ordre républicain. Il ne s'agit pas de réglementer la dissimulation du visage qui pourrait concerner, de la même façon, la femme intégralement voilée et l'individu qui souhaiterait cacher son identité aux forces de sécurité. Mais de réaffirmer, dans l'exercice de la citoyenneté, la primauté des lois de la République sur les croyances ou les systèmes de pensée qui lui sont extérieurs. Là est bien l'essence de la laïcité.
À ce propos, j'aimerais rendre hommage au courage de M. Yadh Ben Achour, juriste tunisien et membre du Comité aux droits de l'homme qui a souhaité exprimer son opposition à la décision de cette instance. Ces arguments ont été repris en annexe et ils méritent d'être cités : « L'ordre, en France, par l'effet de la Constitution, est un ordre républicain, laïque et démocratique. L'égalité des hommes et des femmes fait partie des principes les plus fondamentaux de cet ordre [...]. Or, en soi, le niqab est un symbole de stigmatisation et d'infériorisation des femmes, par conséquent contraire à l'ordre républicain. [...] Les défenseurs du niqab enferment la femme dans son statut biologique primaire de femelle, objet sexuel, chair sans esprit ni raison, responsable potentiel du désordre cosmique et du désordre moral, et qui doit donc se rendre invisible au regard masculin et être pour cela quasiment interdite de l'espace public. Un État démocratique ne peut permettre une telle stigmatisation ».
Alors que nous allons peut-être débattre prochainement des lois de bioéthique, notre assemblée est-elle prête à reconnaître cette soumission ? Êtes-vous prêts à considérer que la laïcité est la condition première de l'émancipation des femmes et de l'affirmation de leur liberté à disposer librement de leurs corps, y compris lors de la procréation ? (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et RDSE)
M. Jean-Pierre Sueur . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Notre République est laïque. Il faut le dire car ce mot manque dans l'exposé des motifs de la résolution. Les religions doivent être exercées par chacun dans le respect de la loi républicaine qui s'impose à tous et permet à chacun de vivre sa religion et d'exprimer ses convictions. Une fois cela dit, je ne crois pas nécessaire d'en dire davantage.
Ce Comité n'a aucun pouvoir.
M. Roger Karoutchi. - Il sermonne !
M. Jean-Pierre Sueur. - Il est bavard, et il n'est d'ailleurs pas le seul... (Sourires) Il ne prend pas de décisions mais fait des constatations. Il n'a aucun titre pour imposer quoi que ce soit au Gouvernement et au Parlement de la République française. Je partage les vues de MM. Ouzoulias et Amiel.
Le groupe socialiste ne prendra pas part au vote, et je vais vous dire pourquoi. Nous sommes partisans de la loi de 2010 qui est absolument nécessaire. Cependant, est-il utile de revenir sur quantité de sujets - communautarisme, intégrisme, terrorisme, valeurs culturelles ?
Ce qui va être voté semble aller de soi. Je ne crois pas que le Gouvernement de la République française donnera suite aux constatations de ce Comité qui n'a aucun pouvoir. S'il advenait qu'un Gouvernement ait l'idée de changer la loi de 2010, le Parlement s'y opposerait, enfin, je l'espère.
La force de la loi de 2010, c'est de faire reposer l'interdiction de couvrir intégralement le visage sur deux principes : la sécurité et la fraternité.
Le Conseil constitutionnel a particulièrement insisté sur ce dernier principe. Une société où l'on ne peut pas se voir, pas se regarder n'est pas fraternelle. Il suffit de s'en tenir à cela.
M. Roger Karoutchi. - Votez cette résolution !
M. Jean-Pierre Sueur. - Il me paraît inutile de voter que la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la CEDH l'emporte sur ce Comité qui n'a aucun pouvoir.
M. Charles Revet. - Il faut le rappeler.
M. Jean-Pierre Sueur. - Ceux qui ne veulent pas entendre n'entendront pas. La CEDH a dit que la loi de 2010 protégeait les femmes et l'espace public et qu'elle aidait la société française à devenir plus pacifiée et plus respectueuse de chacun. Elle a rappelé que chacun est libre de porter la tenue religieuse qu'il souhaite dans l'espace public mais que la loi peut interdire de dissimuler son visage si cela est contraire aux principes de sécurité et de fraternité.
Elle a aussi rappelé les principes de la fraternité qui font la société démocratique dans laquelle nous vivons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Christine Prunaud applaudit également.)
Mme Françoise Laborde . - Le 25 octobre dernier, j'ai interrogé la garde des Sceaux sur l'avis du Comité des droits de l'homme des Nations unies sur la loi de 2010. Je voulais réagir aux commentaires de la presse qui ne s'était pas documentée sur la portée de cet avis et aux propos du Premier président de la Cour de cassation que Bruno Retailleau a rappelé. Si nous ne nous étonnons guère des constatations hostiles de 18 experts internationaux, il est plus inquiétant que le représentant de la plus haute juridiction française instille des doutes sur ses compétences en prêtant à ce Comité de l'importance. N'oublions pas que les juges français ont l'obligation d'être la bouche de loi.
La fin du légicentrisme fait peser sur la loi une présomption de faillibilité qui n'est pas sécurisante pour les citoyens, surtout quand celle-ci a pour objet de garantir un modèle de vie en société largement partagé de prévenir les atteintes à l'ordre public ou les inégalités entre les sexes, comme c'est le cas s'agissant de la laïcité. Pour autant, le législateur a pris la mesure des risques de conflits de normes, entre les blocs de légalité, de constitutionnalité et de conventionalité. Mais la mission d'intégration des directives croissantes d'origines diverses à l'État de droit est la prérogative du Parlement, qui l'exerce sur ces bancs. À qui revient-il de dire lesquelles de ces influences incarne l'intérêt général, si ce n'est aux membres du Parlement ?
Il arrive que les conflits de normes découlent de conflits politiques ou de l'affrontement de différents modèles de pensée. Ce pourrait être le cas du principe de laïcité, si la CEDH ou une autre instance dotée d'un pouvoir contraignant avait décidé de remettre en cause notre régime de séparation des églises et de l'État.
Sans parler des théocraties, certains modèles concurrents au modèle français cherchent à étendre leur influence dans le monde. Ainsi, le modèle anglo-saxon consacre la liberté absolue d'affirmer son identité religieuse, sans en favoriser aucune, comme il reconnaît un pouvoir important aux « communautés ». Selon cette interprétation, l'espace public peut être le lieu de toutes les manifestations religieuses. C'est ce modèle que semble vouloir imposer le Comité des droits de l'homme à l'ensemble des États nations. En émettant un avis contraire aux jurisprudences de la Cour de cassation et de la CEDH, il nuit à l'unité républicaine et menace notre cohésion sociale. De surcroît ses avis ne trouvant pas à s'appliquer devant nos tribunaux, contribuent à nourrir un sentiment d'injustice sans fondement.
La résolution de M. Retailleau rappelle que le Parlement était souverain lorsqu'il a adopté la loi de 2010 sur l'interdiction de dissimulation du visage dans l'espace public. Aucune juridiction française ne peut éluder cette réalité, a fortiori sous l'effet d'une injonction externe non contraignante.
Partant de ce constat, j'incite le Gouvernement à répondre à l'avis du Comité des droits de l'homme en défendant avec fermeté la pertinence de notre principe de laïcité et l'égalité entre les femmes et les hommes, dans un contexte mondialisé, où les individus sont et seront exposés à une plus grande diversité religieuse. Ce principe de laïcité incarne, dans notre modèle républicain, le principe d'égalité, dont découle celui de neutralité de l'État. Ce dernier doit traiter tous les citoyens à égalité de droits, quelle que soit leur religion, dans le respect de la liberté d'expression, de la liberté religieuse, celle de croire ou de ne pas croire. De plus, la loi de 1905 reste un cadre satisfaisant pour l'évolution du paysage religieux français et elle n'a été un obstacle au développement d'aucun culte.
La loi de 2010 a été adoptée par le Parlement pour des raisons de sécurité publique et non pour des raisons de laïcité. Et si nous appliquions les lois, monsieur le ministre ?
M. Roger Karoutchi. - Tiens donc !
Mme Françoise Laborde. - Le groupe RDSE votera cette résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et RDSE)
M. Pierre Charon . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il y a deux mois, je défendais la nécessité de combattre plus efficacement le port du voile intégral qui heurte nos valeurs les plus fondamentales.
Certains invoquent le Comité des droits de l'homme des Nations unies qui a critiqué l'interdiction de la burqa en France. Je salue l'initiative de M. Retailleau qui remet les choses à leur place.
Non, la communauté internationale n'a pas condamné la France. Le Comité des droits de l'homme est composé de soi-disant experts et ses observations n'ont rien de contraignant. La charte des Nations unies proclame elle-même la souveraineté des États membres. Chaque État peut donc définir les infractions pénales, le droit de sanctionner les comportements qui choquent la vie en société. Or, le voile intégral porte atteinte à la cohésion de notre société et le législateur a principalement le droit de l'interdire même si je souhaite que l'infraction soit transformée en délit, monsieur le ministre.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 prévoit la liberté de manifester sa religion et son article 18 admet des « restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui ». Justement, le législateur avait estimé qu'il y avait une atteinte à l'ordre public, mais également à la dignité de la femme. Le voile intégral est bien une atteinte aux droits fondamentaux. Comme on nous oppose la liberté de religion, autant rappeler l'exégèse des textes invoqués qui n'empêchent nullement l'interdiction de certains comportements choquants. Le droit international n'interdit donc pas la prohibition du voile intégral. Cette interdiction ne met pas en cause la liberté de conscience ou de culte car elle touche à l'ordre public. Ce ne sont pas des convictions que l'on refuse, mais des comportements choquants dans l'espace public. Le port du voile intégral n'est pas seulement une attitude religieuse. Au-delà même d'un acte politique, c'est une pure provocation ! Il s'agit de narguer les forces de l'ordre et les valeurs de notre société. Ceux qui défendent le port du voile intégral ne font pas autre chose que de tomber dans un piège. Nous n'avons pas besoin d'idiots utiles, comme disait Lénine.
Enfin, d'autres juridictions, comme la CEDH, ont constaté qu'il n'y avait aucune atteinte aux droits et libertés. Notre pays est parfois passé sous les fourches caudines des juges de Strasbourg. Or, comme le souligne l'exposé des motifs, la Cour a rappelé la possibilité pour l'État de faire « respecter les exigences minimales de la vie en société ». Cette position rendue en 2014 a d'ailleurs été confirmée l'année dernière. Les juges de Strasbourg et du Palais Royal ont confirmé que les libertés publiques n'étaient pas mises en cause par cette loi. Je peine à comprendre ceux qui refusent l'interdiction du port du voile intégral. En réalité, ils se font les défenseurs non de la liberté de conscience, mais bien du communautarisme qui fragilise notre société. Ils sont les complices de l'islam radical que nous devons combattre.
Cette proposition de résolution doit être adoptée. Il faut résister à toutes les déstabilisations, mêmes médiatiques, à l'encontre de la sagesse du législateur français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Édouard Courtial . - La France a-t-elle encore son avenir entre ses mains ? La loi est-elle encore l'expression d'un destin commun ? Si l'on cède à l'avis du Comité des droits de l'homme des Nations unies, je crains que non.
Mais que nous reproche-t-on ?
D'avoir défini un cadre juridique qui serait discriminatoire et contraire à la liberté religieuse ?
C'est une folie ! Car c'est ignorer que la France est la Patrie des droits de l'homme et qu'elle a donné au monde des valeurs universelles qui ont présidé, notamment, à la création de ce même Comité. Quelle plus belle preuve de liberté et de tolérance qu'un pays comme le nôtre qui reconnaît uniquement des citoyens, sans les distinguer selon leur religion, ni leur couleur de peau, leurs origines ou leur opinion politique. C'est ignorer, aussi, le principe cardinal de laïcité dans notre République qui prône non pas l'indifférence des religions mais la neutralité permettant le vivre ensemble. La loi de1905 donne une définition très claire : la laïcité accepte tous les cultes et n'en favorise aucun. Certains estiment que la République devrait accepter un droit absolu à la différence au nom de la liberté de croyance. C'est la voie du communautarisme et c'est le parti pris des décisions onusiennes qui nous occupent aujourd'hui.
D'autres encore estiment que la République ne reconnaît aucun culte. C'est une laïcité faite de passivité et d'ignorance du fait religieux. On va rapidement vers le mépris et le rejet des religions. De la même manière je m'y oppose.
C'est également ignorer les droits de la femme de ne pas subir quelque pression ou domination que ce soit pour se sentir libre de ce qu'elle est et de ce qu'elle veut accomplir.
C'est ignorer, ensuite, la légitimité du Parlement et des représentants du peuple souverain de prendre les décisions qui s'imposent pour garantir notre coexistence et l'adhésion au pacte national. Mais c'est aussi lancer un message de défiance vis-à-vis de nos institutions nationales garantes des libertés de chacun
Il est d'ailleurs à noter que depuis l'adoption de ce texte, plusieurs voisins européens ont fait le même choix. Seraient-ils, eux aussi, de dangereux obscurantistes ?
C'est ignorer, enfin, le danger de l'islamisme radical et politique qui prône le communautarisme là où nous sommes une Nation. Si l'islam a toute sa place en France, le combat contre toute forme d'intégrisme est une absolue priorité à l'aune des terribles attentats que notre pays a connus.
Mais là où ils veulent diviser la République et affaiblir ce que nous sommes nous leur opposons une unité qui passe par le respect de certaines règles dont celle qui interdit le port du voile intégral dans l'espace public. Ainsi, nous n'avons aucune leçon à recevoir d'un Comité ad hoc composé d'experts qui n'entendent rien ni à nos traditions républicaines ni à notre volonté de combattre toutes les formes de communautarisme. De la même manière, nous n'avons absolument pas à nous justifier pour conserver notre droit à oeuvrer comme nous l'entendons à l'intérêt général au service de tous les Français.
C'est pourquoi je soutiens avec force la proposition de résolution du président Retailleau ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur . - La loi de 2010 a été adoptée dans un très large consensus après un vif débat. Ce consensus montre à quel point cette question est un enjeu de société qui nécessitait l'union des parlementaires avec l'appui du Gouvernement.
C'est dans cet esprit que je me présente aujourd'hui devant vous, au-delà des logiques partisanes, pour débattre de la proposition de résolution portée par le président Retailleau.
Ce texte fait suite aux constatations du Comité des droits de l'homme de l'ONU, qui a estimé que cette loi constituait, pour les femmes qui portent le voile intégral, une discrimination à caractère religieux et qu'elle portait atteinte au droit de manifester leur religion.
Face à ces constatations, vous souhaitez donc réaffirmer votre attachement à la loi de 2010 et appeler le Gouvernement à ne pas donner suite à ces constatations.
Sur ces deux points, la position du Gouvernement est claire. Nous partageons votre attachement à la loi de 2010, que nul ne souhaite remettre en cause, et qui est conforme aux conventions internationales qui nous lient.
Cependant, le Gouvernement est aussi attaché au respect de ses engagements internationaux : en l'espèce, le Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques qui demande que la France réponde aux constatations du Comité des droits de l'homme lorsque celui-ci formule des critiques à notre encontre. Le Gouvernement entendra donc y répondre, fermement, comme il lui revient de le faire.
La loi du 11 octobre 2010 s'inscrivait dans une logique de préservation de l'ordre public, plus exactement, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel, de respect des « exigences minimales de vie en société ».
En effet, qui peut se satisfaire que des personnes se soustraient, par la dissimulation de leur visage, aux interactions sociales qui constituent le liant d'une vie en société ? Peut-on considérer comme conforme à l'égalité entre les femmes et les hommes, une telle attitude, quand bien même elle serait revendiquée comme libre par les personnes concernées ?
Face à ces interrogations, la position du législateur a été sans ambiguïté : il fallait marquer la désapprobation de la Nation à l'égard de telles attitudes, et condamner de telles pratiques, tout en respectant une stricte proportionnalité. Il s'agit bien d'une loi sur la dissimulation du visage et non de stigmatisation d'une religion, car chacun reste libre de porter un vêtement exprimant une conviction religieuse dans l'espace public à la condition-même qu'il laisse apparaitre son visage.
Nos voisins européens ont également légiféré en la matière, notamment la Belgique, l'Italie, l'Autriche et le Danemark.
La loi de 2010 a prévu une sanction adaptée et proportionnée en prévoyant une amende ou l'accomplissement d'un stage de citoyenneté pour toute personne dissimulant son visage dans l'espace public. Ce souci de proportionnalité a été relevé par le Conseil constitutionnel, qui en a conclu que le législateur avait correctement concilié les préoccupations de l'ordre public et de la liberté religieuse.
L'application de cette loi s'est toujours faite avec pédagogie depuis son adoption. Huit ans après, il semble que cette loi a porté ses fruits. Dès l'adoption de cette loi, la pédagogie a présidé à son application. C'est pourquoi un délai de six mois avait été laissé avant l'entrée en vigueur de la mesure d'interdiction générale de la dissimulation du visage, afin que chacun puisse l'anticiper. La circulaire du Premier ministre du 2 mars 2011 appelait à mettre ce délai de six mois à profit pour faire connaître le texte.
J'en viens à la réception de cette loi par les juridictions et organismes internationaux et notamment la CEDH et plus récemment le Comité des droits de l'homme de l'ONU. Contrairement à l'exposé des motifs de la proposition de résolution, il n'est pas concevable de mettre ces deux instances sur le même plan, alors que l'une est une de nos juridictions suprêmes, et l'autre un simple comité d'experts internationaux.
M. Jean-Pierre Sueur et Mme Françoise Laborde. - Tout à fait !
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Il y a un peu plus d'un an, le 1er novembre 2017, le Président de la République rappelait, à Strasbourg, l'attachement profond de la France aux droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950, et à son instrument le plus efficace de mise en oeuvre, qu'est la CEDH. Cet attachement implique notre attachement également à la force obligatoire des arrêts de la Cour. Saisie par une requérante, dans son arrêt SAS contre France de 2014, la CEDH a écarté fermement toute violation de la Convention du fait de l'application de la loi de 2010, dont elle a jugé qu'elle ne revêtait pas de caractère discriminatoire et qu'elle ne portait atteinte ni au respect de la vie privée, ni à la liberté de conscience, ni à la liberté d'expression.
Au contraire, le comité des droits de l'homme de l'ONU, saisi d'une requête individuelle, a rendu le 23 octobre dernier des constatations sur la loi de 2010, dans lesquelles il estime que l'application de cette loi porte atteinte au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion résultant de l'article 18 du Pacte international des droits civils et politiques, et à l'interdiction des discriminations prévue par l'article 26 du même Pacte.
Ce comité est un organe composé d'experts internationaux indépendants, qui est chargé de contrôler la mise en oeuvre des droits consacrés par le pacte international de 1966. Organe non-juridictionnel, le comité ne reconnaît pas de marge nationale d'appréciation sur les questions qui concernent la préservation du vivre-ensemble. Le comité s'était d'ailleurs prononcé contre l'obligation de poser tête nue sur les photos d'identité en 2013 et contre l'interdiction, résultant de la loi de 2004, du port de signes religieux ostensibles par les élèves de l'école publique. Mais ces constatations ne sont ni une condamnation de l'État, ni une injonction au Gouvernement. En somme, elles ne remettent pas en cause notre droit national.
J'entends vos inquiétudes et votre souhait d'adopter la résolution dont nous discutons aujourd'hui. Cependant, elles ne sont pas fondées tant la détermination du Gouvernement à préserver et appliquer cette loi et les jurisprudences de Conseil constitutionnel et de la CEDH est intacte. Elles sont d'autant moins fondées, que les constatations du comité des droits de l'homme sont dépourvues de portée contraignante, et n'ont donc pas vocation à bouleverser notre paradigme législatif et juridique actuel.
En revanche, cette résolution aurait un caractère contre-productif, en ce qu'elle invite le Gouvernement « à ne pas donner suite à ces constatations ». Or, conformément à la Constitution et à nos traditions en pareille situation, la France entend répondre aux constatations du Comité des droits de l'homme de I'ONU. Un dicton populaire veut que « qui ne dit mot, consent ». Et bien la France répondra, car elle ne consent pas : là est notre point d'accord.
Monsieur Retailleau, vous avez raison de souligner que les constatations du Comité des droits de l'homme sur Baby Loup ont été commentées par le Premier président de la Cour de cassation, mais il s'agissait davantage d'une réaction d'une portée plus médiatique que juridique, qui ne s'accompagne pas de revirement de jurisprudence.
Pour tous ces motifs, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur la proposition de résolution, mais il répondra fermement au Comité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
La discussion générale est close.
À la demande du groupe LaREM, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°38 :
Nombre de votants | 253 |
Nombre de suffrages exprimés | 236 |
Pour l'adoption | 236 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC et sur quelques bancs du groupe RDSE)
La séance est suspendue à 19 h 45.
présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.