Lutte contre le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour soutenir la lutte contre le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines.
Discussion générale
Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution . - La proposition de résolution que Mmes Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac et moi-même vous présentons est l'aboutissement des travaux de la délégation aux droits des femmes. Plus de 100 sénateurs de groupes divers l'ont cosignée, signe de l'engagement du Sénat aux côtés du Parlement européen et de l'Association parlementaire du Conseil de l'Europe contre ces fléaux qui touchent les femmes : les mariages forcés, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles.
L'actualité récente conforte notre combat : la dernière lauréate du prix Simone Veil, Aïssa Doumara Ngatansou, lutte contre le mariage forcé et le Gouvernement a lancé un plan pour éradiquer l'excision. Nous nous réjouissons de cette concomitance.
Il faut lutter contre la pratique barbare qu'est l'excision. Elle menace aussi les adolescentes sur le territoire français - qui risquent, à l'occasion de congés passés dans le pays d'origine de leur famille, de se retrouver excisées puis mariées contre leur gré. Et l'on sait que des mineures excisées accouchent dans nos hôpitaux.
Les chiffres sont effrayants : 12 millions de filles mineures mariées contre leur gré dans le monde chaque année, une femme sur cinq donne naissance à son premier enfant avant 18 ans, 70 000 décès sont causés chaque année par les grossesses et les accouchements précoces, soit la deuxième cause de décès des jeunes filles de 15 à 19 ans dans le monde. Le mariage des enfants, quoi qu'en croient les familles qui y ont recours, aggrave la pauvreté. Il faut généraliser la mobilisation contre le mariage des enfants.
Je salue l'engagement de celles et ceux qui oeuvrent contre les violences faites aux femmes - le relativisme culturel ne saurait justifier ces violences. Il faut qu'ils disposent des moyens nécessaires à leurs actions. Nos combats aboutiront s'ils sont aussi portés par des hommes. Je salue donc nos 40 collègues cosignataires.
M. Pierre Ouzoulias. - C'est une fierté.
Mme Annick Billon. - Voter cette proposition de résolution, ce serait un signal fort envoyé par le Sénat. (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Marta de Cidrac, auteure de la proposition de résolution . - (Applaudissements) C'est une grande satisfaction de discuter cette proposition de résolution quelques jours après la Journée internationale du droit des femmes.
Annick Billon a rappelé les chiffres effroyables. L'excision fait une victime toutes les 15 secondes dans le monde. La délégation aux droits des femmes a récemment commis un rapport sur les mutilations sexuelles féminines. Ce fut l'occasion d'entendre des témoignages de victimes et d'actes de la lutte contre l'excision. Celle-ci est souvent une véritable épreuve dans un long parcours allant du mariage forcé aux violences conjugales. Parmi les jeunes femmes accueillies au foyer Une femme, un toit, 80 % de celles ayant subi une excision ont été mariées de force ou menacées de mariage forcé.
Le Gouvernement a annoncé un plan contre l'excision. Nous serons heureux qu'il puisse s'appuyer sur nos recommandations.
Mme Maryvonne Blondin. - Tout à fait !
Mme Marta de Cidrac. - Dans ce cadre, les actions doivent être menées dans les établissements secondaires. Il faut notamment renforcer les moyens de la médecine scolaire ; médecins, infirmiers et psychologues de la communauté éducative sont en première ligne pour repérer et orienter les jeunes filles. Les jeunes mineures excisées ont été victimes d'actes criminels, comme nous le rappelait le docteur Emmanuelle Piet que nous avons auditionnée.
Nous sommes fières que la loi contre les violences sexuelles et sexistes ait repris l'une de nos propositions : le repérage et l'orientation des mineures victimes ou menacées de mutilations sexuelles font désormais partie des missions de l'aide sociale à l'enfance.
La convention d'Istanbul, qui oblige à sanctionner les mutilations et les mariages forcés, est un instrument précieux. Nous souhaitons marquer notre soutien aux associations qui oeuvrent dans ce domaine en proposant une augmentation de leurs moyens. Je vous invite à voter cette proposition de résolution sans hésitation. (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Maryvonne Blondin . - (Applaudissements) Je remercie la présidente et les membres de la délégation aux droits des femmes d'avoir permis ce projet de résolution et toutes les associations qui luttent contre les violences faites aux femmes.
Je me souviens des témoignages poignants des femmes que nous avons rencontrées. J'entends leurs paroles sobres et pudiques mais ô combien chargées de souffrances, nous disant le choc terrible ou le néant complet après le « charcutage » qu'elles ont subi et leur reconnaissance envers tous ceux qui les ont aidées. Certains d'entre vous ont certainement vu le film Fleur du désert... On ne sort pas indemne d'un tel travail...
Dans le monde, 200 millions de femmes sont victimes d'excision, dont 44 millions de jeunes filles de moins de 15 ans. Ni l'Europe ni la France ne sont épargnées par le phénomène : il y aurait 53 000 victimes en France.
Souvent, les victimes vivent tout un parcours traumatique comprenant mariage et grossesse précoces, continuum de violences faites aux femmes.
Aucune tradition culturelle ou religieuse ne peut justifier de telles pratiques ancrées dans la conviction de l'infériorité des femmes et des filles - et qui s'apparentent à une torture ! C'est une pratique sociétale qui s'explique par la crainte qu'une femme non excisée ne trouve pas de mari.
Après une période de « gloire » à la Renaissance, le clitoris a été volontairement rendu invisible et indigne par une grande vague d'obscurantisme sexuel pendant des siècles : première apparition dans un manuel de biologie en 2017 seulement.
L'excision conduit à des complications obstétriques, à l'incontinence, à des rapports sexuels douloureux... Il s'agit bien d'une torture.
La reconstruction peut s'avérer difficile. Dans certains pays, ce sont des professionnels de santé qui pratiquent l'excision. La plupart du temps, des fillettes ou des nourrissons sont concernés lors d'un retour au pays pendant les vacances, parfois contre l'avis des parents, car c'est la grand-mère qui a autorité sur ces questions.
Les professionnels de santé, du social, de la justice et de l'éducation sont en première ligne de ce combat collectif.
La loi de 2013 a aggravé les sanctions. La France a ratifié la convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe en 2014 : c'est un instrument juridique exceptionnel contre les mutilations sexuelles féminines.
Mais la sanction ne suffira pas. Il faut faire évoluer les mentalités par des actions de prévention auprès des communautés concernées.
L'ONU, l'OMS, l'Unicef se sont saisies du sujet. Nous devons nous en réjouir ! Dès 2001, une résolution a été adoptée par l'Association parlementaire du Conseil de l'Europe, dont je fais partie. Ce type d'action contribue à la visibilité de notre combat, mais la pratique de l'excision demeure.
Dès lors, l'objectif de son éradication en 2030 semble bien proche...
Le Sénat a raison de participer à cette cause internationale, qui appelle notre pleine et entière adhésion. (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Françoise Laborde . - (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UC) Les droits des femmes à disposer de leur corps et de s'émanciper du patriarcat ne sont toujours pas acquis, comme le montrent régulièrement les travaux de notre délégation. La convention d'Istanbul a été ratifiée par 33 États, dont la France. En juin 2018, à Charlebois, au Québec, les États du G7 se sont engagés en faveur du droit des femmes, notamment en favorisant leur éducation et la lutte contre les violences. Cet engagement sera repris à Biarritz en août à l'initiative de la France lors du prochain sommet.
Les membres du groupe RDSE ont décidé à l'unanimité de cosigner ce texte. Le premier pas à franchir pour combattre ces actes est de les nommer. Des lanceurs d'alerte consacrent leur vie à la prévention et au soutien des victimes.
Le 11 mars, au Royaume-Uni, une femme a été condamnée pour avoir excisé sa fille, pratique interdite depuis 1985. La honte et la peur doivent changer de camp ; il faut lever le voile sur ce tabou, reconnaître la souffrance physique et psychologique des victimes.
Malheureusement, ce n'est pas seulement en zone de guerre que ces violences ont lieu : c'est le quotidien de 200 000 femmes et filles dans le monde, dont 60 000 en France - statistiques sans doute sous évaluées. Combien encore de victimes de cette pratique, perpétrée par des femmes qui se conforment au diktat du patriarcat ?
En France, la loi punit l'excision de dix ans de prison et de 150 000 euros d'amende. Mais la loi ne suffit pas à changer les mentalités. Depuis 2012, aucune condamnation n'a été prononcée. Il y a toujours des mutilations...
Les équipes éducatives ont un rôle de prévention majeur, du primaire au lycée. Un effort de formation à destination des personnels éducatifs et médico-sociaux s'impose, tout comme le soutien aux associations de terrain, pour inciter les populations à refuser des traditions contraires aux droits humains universels et aux conventions internationales, tout simplement parce qu'elles sont criminelles. C'est par l'éducation que nous gagnerons la bataille des mentalités.
Le législateur doit rester vigilant. Lutter contre les mariages forcés, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines, c'est lutter contre la pédo-criminalité - objet d'une mission d'information du Sénat. Appelons un chat un chat !
Le groupe RDSE invite le Sénat à voter en faveur de cette résolution et à s'inscrire dans une dynamique émancipatrice. (Applaudissements)
Mme Nassimah Dindar . - (Applaudissements sur divers bancs) Cette résolution s'inscrit dans la tradition du Sénat, qui votait dès 2006 l'interdiction du mariage avant 18 ans. Aujourd'hui encore, à travers le monde, une fille sur cinq est mariée de force avant ses 18 ans. Aujourd'hui encore, des mutilations sexuelles menacent les jeunes filles en Afrique ou en Asie du Sud. Aujourd'hui encore, à La Réunion et ailleurs, les grossesses précoces freinent l'épanouissement d'une vie.
La France a pour devoir d'éclairer les consciences. « Tous les êtres humains naissent égaux en dignité et en droits » dit la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du Citoyen, en son article premier. Nous en sommes les garants. Merci aux auteurs de cette proposition de résolution ne nous rappeler à cette responsabilité morale.
Cette résolution, forte de quinze constats et de quinze recommandations, mériterait d'être largement diffusée. Les trois fléaux contre lesquels elle lutte sont liés. Ils émanent de systèmes sociaux qui consacrent l'infériorité de la femme. L'objectif est toujours le même : nier le corps de la femme, refuser l'envol de son esprit en lui refusant l'éducation.
Malala, cette jeune Pakistanaise, nous a rappelé que certains sont prêts à tuer pour laisser les jeunes femmes dans l'ignorance. Nassimah, mariée à 17 ans, en France, peut vous dire que certains parents croient bien faire en perpétuant leurs propres traditions. L'école est la seule voie pour s'extraire de ces chemins tout tracés...
Les conséquences de ces pratiques sont toujours les mêmes : psychologiques et sanitaires, mais aussi sociales et économiques, car ces sociétés se privent d'une partie de leur potentiel de développement.
Il faut dénoncer mais surtout agir par des campagnes de communication, en aidant les associations, en soutenant des projets de coopération avec les pays les moins avancés, car le mariage des enfants reste étroitement associé à la pauvreté. Dans beaucoup de ces pays, les filles sont perçues comme des bouches à nourrir.
Simone Veil aurait été heureuse de savoir que le premier prix qui porte son nom a été remis le 8 mars dernier à Aïssa Doumara.
Souvent se taisent, dans le secret des communautés, des pratiques discriminatoires voire criminelles. Je pense à ces adolescentes des Comores qui me confiaient les abus perpétrés, en toute impunité, par des maîtres d'école coraniques. Je pense à l'Éthiopie où 75 % des petites filles sont excisées. Agissons pour elles. (Applaudissements)
Mme Colette Mélot . - « Tant que les femmes ne vivront pas à l'abri de la peur, de la violence et de l'insécurité quotidienne, il nous sera impossible de prétendre vivre dans un monde juste et égal. » Dans cette phrase d'António Guterres, tout est dit.
La violence à l'égard des femmes et des filles est la violation des droits de l'Homme la plus répandue, la plus persistante. Rien ne saurait justifier ces mutilations barbares dont les chiffres sont pourtant en hausse. Les arguments hygiéniques sont absurdes. Et je ne parle pas des conséquences médicales...
Il faut dénoncer, mais aussi agir. Agir, c'est ce que fait Waris Dirie, cette jeune Somalienne qui a fui, à 13 ans, un mariage forcé avant de devenir mannequin et ambassadrice de bonne volonté de l'ONU après avoir raconté son excision. C'est ce que fait la Camerounaise Aïssa Doumara, au sein de l'Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF). Tous les jours, des milliers d'Aïssa et de Waris bravent les préjugés sexistes, au péril de leur vie.
Agir, c'est le combat mené par Denis Mukwege, ce gynécologue « qui répare les femmes », prix Nobel de la paix.
Agir, c'est l'initiative Spotlight, partenariat entre l'Europe et l'ONU pour améliorer la vie des femmes. C'est, comme le Royaume-Uni, condamner à onze ans de prison une femme ougandaise pour l'excision de sa fille de 3 ans.
Les femmes excisées à l'étranger sont 60 000 à vivre en France. Nous devons convaincre nos concitoyens que ces pratiques sont inacceptables. Je salue la mobilisation de Marlène Schiappa sur ce dossier.
L'éducation des filles est cruciale ; les priver d'instruction les maintient dans la vulnérabilité et la dépendance. Comme l'a dit Kofi Annan, il n'y a pas de meilleur instrument de développement que l'éducation des filles.
Parce que ces actes portent atteinte à la dignité humaine, la France doit se montrer à la hauteur de son histoire et faire entendre sa voix.
À l'heure où l'égalité entre les hommes et les femmes est menacée en Hongrie, l'avortement en Pologne, il nous faut garder une vigilance de tous les instants. C'est l'honneur de la France de mener ce combat qui est celui du XXIe siècle. Je félicite la délégation aux droits des femmes d'avoir porté cette proposition de résolution auquel le groupe Les Indépendants apporte tout son soutien. (Applaudissements)
Mme Chantal Deseyne . - (Applaudissements sur divers bancs) Au lendemain de la Journée internationale des droits des femmes, la délégation aux droits des femmes nous invite à débattre sur une proposition de résolution appelant à lutter contre des pratiques inhumaines qu'aucune tradition ne saurait justifier.
Les statistiques terribles méritent d'être martelées. Toutes les sept secondes dans le monde, une fille de moins de 15 ans est mariée. Une fille sur cinq met au monde son premier enfant avant 18 ans. Plus de 70 000 décès sont causés chaque année par les grossesses précoces.
Le mariage forcé des jeunes filles, c'est le viol conjugal permanent, avec une dimension pédophile aggravante. En traitant les filles comme monnaie d'échange, en les privant de scolarisation, on leur interdit de s'émanciper.
Pour prévenir le mariage des enfants, il faut investir massivement dans l'éducation, meilleur instrument contre ces fléaux.
Il existe un continuum entre mariage forcé des enfants et excision : il est fréquent qu'une très jeune fille subisse une excision pour être ensuite mariée de force. Les statistiques sont dramatiques. Toutes les quinze secondes, une fille est excisée. Les victimes sont 200 millions dans le monde ; 44 millions ont moins de 15 ans.
La proposition de résolution rappelle que l'inscription à l'état civil est un droit fondamental qui conditionne les autres droits. Une personne non déclarée à l'état civil peut être victime de toutes sortes de trafics. L'interdiction du mariage avant 18 ans devrait servir d'exemple.
Elle appelle à sanctuariser dans un cadre pluriannuel les moyens alloués par la France aux associations investies dans ces causes.
Elle appelle à sensibiliser les personnels de l'Éducation nationale sur le problème. Les moyens de la médecine scolaire devraient être revalorisés pour un meilleur repérage des victimes potentielles, susceptibles d'être excisées et mariées de force lors d'un séjour dans leur pays d'origine.
La diplomatie française doit mettre l'accent sur l'accès à l'éducation des filles et être particulièrement attentive au sort des filles dans les régions en crise.
Merci à Mmes Billon, de Cidrac et Blondin pour ce texte qui manifeste l'attachement de notre institution à cette cause. Bien sûr, le groupe Les Républicains le votera. (Applaudissements)
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur divers bancs) Chaque année, douze millions de filles sont mariées avant l'âge de 18 ans, parfois avant 11 ans, avec un partenaire imposé, le plus souvent bien plus âgé. Les grossesses précoces causent 70 000 morts chaque année - c'est la deuxième cause de décès pour les filles de 15 à 19 ans.
Mariage des enfants et mutilations sexuelles sont liés. Là aussi, les chiffres sont effroyables : une excision toutes les quinze secondes, 200 millions de victimes, dont le quart a moins de 15 ans.
Les conséquences physiques et psychologiques de ces mutilations sont graves : 10 à 25 % de mortalité immédiate si elles sont pratiquées avant l'âge de 3 ans.
En France, l'excision est fermement condamnée, mais des adolescentes vivant sur notre territoire sont menacées lors de séjours dans le pays d'origine de leur famille.
Culture et tradition ou illusoire prétexte d'hygiène, il est impératif de lutter contre tout type de croyance cherchant à justifier ces mutilations.
Dans certains pays, ces crimes sont perpétrés dans une situation de conflit ou d'après-conflit, et leurs auteurs ne seront jamais condamnés. Cette impunité est intolérable.
Dans la lutte pour l'égale dignité des femmes et des hommes, l'implication des hommes est décisive.
Cette proposition de résolution rend hommage à celles et ceux qui s'engagent dans ces combats. Je pense en particulier à Denis Mukwege, « l'homme qui répare les femmes », et à Aïssa Doumara Ngatansou. Je salue aussi l'action des ONG telles que l'Unicef.
Avec cette proposition de résolution, le Sénat rejoint la résolution du Parlement européen du 23 mars 2009 et je m'en réjouis. La Chambre Haute et sa délégation démontrent ainsi leur engagement pour défendre les droits fondamentaux des femmes. ?uvrons à une égale dignité des hommes et des femmes dans le monde. (Applaudissements)
Mme Laurence Cohen . - À mon tour de remercier la présidente de la délégation et les deux rapporteures, Mmes Blondin et de Cidrac. Après le travail de la délégation, il était essentiel que le Sénat prenne position en approuvant cette résolution que l'ensemble du groupe CRCE a cosignée.
On compte 160 millions de femmes excisées dans 85 pays, et 3 millions de fillettes chaque année sont menacées. Chaque année, 12 millions de filles sont mariées avant 18 ans, 70 000 décès sont dus à des grossesses précoces. La cause principale de ces violences est la domination masculine, le système patriarcal, partout dans le monde. Il faut dénoncer ces violences de genre qui infériorisent les femmes, leur interdisant tout désir, tout plaisir. Ces mutilations sexuelles sont l'expression de l'appropriation du corps des femmes par les hommes.
Je veux saluer le travail exceptionnel du centre Women Safe de Saint-Germain-en-Laye et de la maison des femmes de Saint-Denis.
Comment ne pas penser aux témoignages bouleversants de jeunes filles à qui on a volé l'enfance, pour reprendre le titre du livre de Diaryatou Bah ?
Je salue l'action des associations, comme la fédération GAMS ou « Excision, parlons-en ! ». Il est indispensable que les subventions soient renforcées et s'inscrivent dans un cadre pluriannuel. Des campagnes d'information doivent être menées, notamment auprès des jeunes. Il faut aussi augmenter les moyens de la Cimade, de l'Office français des réfugiés apatrides ou de l'aide sociale à l'enfance, autant de structures indispensables pour repérer et accompagner les victimes.
Il faut aussi former les professionnels qui travaillent auprès des enfants et des adolescents, comme les médecins scolaires, les infirmières et assistantes sociales. Je regrette que l'obligation de signalement pour les médecins, votée par le Sénat dans la loi sur les violences sexuelles et sexistes, ait disparu en CMP.
Au niveau international, il est indispensable que la convention d'Istanbul soit ratifiée par tous les pays. Pourquoi ne pas profiter de la présidence française du G7 en août pour avancer sur cette question et inciter les État à pénaliser les mutilations sexuelles féminines ? Mme Schiappa a annoncé un plan contre l'excision avant l'été. Pouvez-vous nous en dire plus, ainsi que sur les dix lieux de soins innovants annoncés par le président de la République ?
Je terminerai en citant le Dr Mukwege, qui dédiait son prix Nobel à « vous, les femmes, qui portez l'Humanité ». (Applaudissements)
M. Loïc Hervé . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le 11 octobre 2018, Journée internationale de la fille, António Guterres appelait à aider chaque fille à exploiter tout son potentiel - tout en rappelant le long chemin à parcourir pour faire changer les mentalités.
La délégation aux droits des femmes du Sénat, dont je suis membre, a voulu mettre l'accent sur ces fléaux que sont le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines. Je regrette d'ailleurs d'être le seul orateur homme inscrit...
Mme Laurence Cohen. - D'habitude, c'est l'inverse !
M. Loïc Hervé. - ...mais notez que quarante signataires de la proposition de résolution sont des hommes !
Les chiffres sont terribles : toutes les sept secondes, une jeune fille de moins de 15 ans est mariée ; toutes les quinze secondes, une jeune fille est excisée ; une fille sur cinq a son premier enfant avant 18 ans ; 70 000 décès sont dus chaque année aux grossesses précoces. Il n'est pas tolérable que des professionnels de santé pratiquent dans certains pays des excisions au nom de prétendues raisons hygiéniques ou de traditions culturelles ou religieuses.
Ce texte traite de la place de la femme, de l'enfant, de l'humain dans la société. Je veux saluer les auteures de la proposition de résolution, inspirée des travaux remarquables de la délégation.
Lorsque l'on entend les témoignages sur le terrain, on est effaré. C'est le rôle du législateur de se mobiliser pour faire cesser ces agissements. C'est aussi à la justice de s'en saisir. Nous devons promouvoir partout dans le monde l'éducation des filles, levier de développement. Nous recommandons que la France augmente ses subventions aux associations qui oeuvrent en ce sens. Une prise de conscience est indispensable à l'égard de telles pratiques.
Au nom du groupe UC, je vous invite à voter sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements)
Mme Nicole Duranton . - Je félicite les auteures de cette proposition de résolution que j'ai cosignée.
Les grandes vacances en famille au pays de leurs grands-parents devraient être un moment de joie et d'insouciance pour les jeunes filles. Hélas, cela tourne parfois au cauchemar... Nous ne pouvons pas accepter l'inacceptable. Les excisions, les mariages forcés n'ont pas leur place dans une société civilisée. Derrière les chiffres, que de vies brisées, de potentiels gaspillés ! Le mariage précoce, c'est l'abandon de la scolarité, l'enfance volée, l'esclavage domestique, le viol conjugal, les grossesses dangereuses... Imaginez avoir été mariée de force à 15 ans ! Dans des camps de réfugiés, on marie des filles dès 11 ans, afin d'obtenir des rations alimentaires et une protection.
Dans certains pays, les parents voient dans le mariage une solution pour des enfants qu'ils n'ont pas les moyens d'éduquer. Parfois, lorsque des témoins osent parler, la jeune fille peut échapper au mariage forcé, mais les campagnes de sensibilisation se heurtent souvent à des résistances. Les mutilations sexuelles féminines sont défendues par les femmes elles-mêmes dans des sociétés qui considèrent le corps de la femme comme la propriété des hommes. Le non-respect de ces pratiques entraine rejet social et marginalisation. Les jeunes filles intériorisent cette injonction, nous indiquait le Dr Ghada Hatem.
Je me réjouis que le Sénat se mobilise, comme l'a fait le Conseil de l'Europe avec ses résolutions de 2018 sur les mariages forcés et de 2016 sur les mutilations génitales féminines en Europe.
Le Conseil de l'Europe, en 2001 puis en 2013, avait déjà condamné les mutilations génitales et appelé à mener des campagnes de prévention.
Mettons toutes nos forces dans ce combat pour faire cesser ces pratiques barbares et contraires à la dignité humaine. Je voterai pour ma part cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE)
Mme Brigitte Lherbier . - (Applaudissements sur divers bancs) À l'université de Lille, dans le cadre d'un master où j'enseignais le droit de la famille, des étudiants avaient choisi comme thème d'études les mariages forcés et les grossesses précoces dans le Nord. Voulant rencontrer des jeunes filles concernées, ils eurent la surprise d'être orientés non vers les lycées mais vers les collèges !
Conseillère générale du département du Nord, j'ai souvent visité les foyers mère-enfant de Douai. J'y ai vu la précarité de ces très jeunes mères, avec parfois non pas un mais deux enfants, elles-mêmes protégées au titre de mineures en danger, leurs enfants faisant aussi l'objet d'une protection judiciaire...
Quel sort sera réservé aux petites Françaises nées ce jour ? En théorie, elles devraient avoir les mêmes droits que leurs concitoyens masculins. L'excision est interdite en France, me direz-vous... Mais la réalité est plus sombre : on compte 60 000 victimes d'excision en France, 500 000 dans l'Union européenne. En France, 70 000 jeunes filles vivent dans la crainte d'un mariage forcé.
Cette proposition de résolution est donc nécessaire. Notre législation n'a cessé d'évoluer - et je pense avec émotion à Simone Veil - mais il reste encore beaucoup à faire pour faire évoluer les mentalités. Une campagne télévisuelle martèle qu'il n'y a rien de viril à frapper une fille. Espérons qu'elle sera entendue !
Alors que de nombreuses étudiantes font de brillantes études et sortent major de promotion, leur place dans le monde professionnel n'est toujours pas à la hauteur.
Profitons de cette proposition de résolution pour réaffirmer nos valeurs. C'est quand nous aurons vaincu nos démons que nous pourrons clamer la voix de la France, celle d'une Nation unie dans l'égalité, qui donne les mêmes opportunités à tous ses enfants, filles et garçons. Pour toutes les filles et femmes du monde, je voterai cette résolution. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé . - Comme l'a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l'homme en 2013, « nul droit à la différence, nul respect d'une identité culturelle ne saurait légitimer des atteintes à l'intégrité de la personne, qui sont des traitements criminels ». Pourtant, les mutilations sexuelles féminines perdurent.
Vous avez rappelé les chiffres. En 2019, toutes les sept secondes, une jeune fille est mariée de force ; toutes les quinze secondes, une fille est excisée. En 2019, les grossesses précoces constituent la deuxième cause de décès des jeunes filles de 15 à 19 ans. Aucune tradition ne saurait être invoquée pour justifier l'excision ou les mariages précoces qui ne sont rien d'autre que des mariages forcés.
Ce sujet nous concerne tous. Je me félicite de cette proposition de résolution qui dépasse les clivages partisans.
La lutte contre les mutilations sexuelles féminines est au coeur de l'action de Mme Schiappa, qui, en ce moment même, est à l'ONU pour rappeler le combat de la France en la matière. L'égalité femmes-hommes est notre grande cause nationale. Vous pouvez compter sur notre détermination. Merci d'avoir rappelé que la loi prévoit désormais la formation des personnels des établissements sociaux et médico-sociaux à la détection et à la prévention des violences sexuelles - j'en étais à l'initiative, quand j'étais député.
Le Gouvernement a annoncé la création de dix centres de prise en charge des psycho-traumatismes des victimes de mutilations. Je salue l'engagement des soignants et des associations.
Le plan d'action de Mme Schiappa contre l'excision est en cours d'élaboration et sera rendu public dans les prochains mois. Il aura un effet levier sur la lutte contre les mariages forcés. Lutter contre les violences sexistes et sexuelles suppose de rappeler dès la crèche le principe d'égalité fille-garçon. L'éducation est la clé de la prévention, et la médecine scolaire concourt au repérage.
Le ministère de la Santé, au travers de nombreux projets comme « On sex-prime » mène des actions d'information sur la sexualité à destination des plus jeunes. Des unités de prise en charge des mutilations sexuelles féminines ont été mises en place ; outre la chirurgie réparatrice, prise en charge à 100 % par l'assurance maladie, elles associent une équipe pluridisciplinaire afin de soutenir les victimes. Prévenir, parler, accompagner, c'est le sens de l'action de Denis Mukwege, qui, avec Nadia Murad, fera partie du conseil consultatif pour l'égalité entre les femmes et les hommes du G7.
La France est signataire depuis 2011 de la convention d'Istanbul et a lancé une campagne pour son universalisation, appelant tous les État à la ratifier. La présidence française du G7 a mis au coeur de ses priorités la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et l'accès des filles à l'école.
Combien de temps encore ces pratiques dureront-elles ? Je tiens à saluer l'action de toutes les associations : Aurore, GAMS, Excisions Parlons-en, Une femme un toit, Women Safe, le collectif féministe contre le viol, Enfants présents ou encore la Maison des femmes. Les droits des femmes sont des droits universels qui ne s'arrêtent à aucune frontière, culture ou tradition. Ce combat est éducatif, sanitaire, social et culturel. C'est ensemble, hommes et femmes, Parlement et Gouvernement, politiques et société civile, en France et dans le monde, que nous le gagnerons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants, SOCR, UC et Les Républicains)
Explications de vote
Mme Annick Billon . - Faisons en sorte que cette proposition, par notre vote unanime, devienne une résolution du Sénat ! Ce sera un message fort envers les victimes et ceux qui s'engagent pour la lutte contre les mariages forcés, les grossesses précoces et les mutilations génitales.
Le travail de Mmes Blondin et de Cidrac a largement précédé les annonces de Mme Schiappa, souhaitons que le Gouvernement s'en inspire. L'actualité sénatoriale l'a démontré cette semaine, nous sommes souvent en avance.
Monsieur le ministre, déclarer une grande cause ne suffit pas, il faut se donner les moyens de la porter. (Applaudissements)
M. Marc Laménie . - Je remercie sincèrement la délégation aux droits des femmes, à commencer par sa présidente. Le groupe Les Républicains s'associe évidemment au vote de cette résolution. Il est, en effet, essentiel de se mobiliser pour lutter contre ce fléau de l'asservissement des fillettes à des règles ancestrales toujours édictées par des hommes. Aucune raison culturelle ou religieuse ne justifie la violence faite aux victimes ! Notre société doit la rejeter fermement.
Les chiffres cités montrent l'ampleur du désastre. Cette proposition de résolution n'est pas une simple déclaration de principes, elle appelle le Gouvernement à approfondir son action. L'accueil de populations immigrées appelle une vigilance accrue et un effort financier pluriannuel pour soutenir les associations, former le personnel de l'Éducation nationale dont on sait le rôle central.
Nous comptons également sur l'influence française et sa présidence à la tête du G7, pour que soit encore amplifiée la lutte internationale en faveur de la cause féminine. Faisons cesser ces violences d'un autre âge ! (Applaudissements)
Mme Hélène Conway-Mouret . - À mon tour de féliciter la présidente de notre délégation aux droits des femmes et mes collègues pour leur engagement. Notre travail parlementaire renforce et accompagne l'action des associations. C'est un signal fort comme l'était la loi portée par Najat Vallaud-Belkacem qui a rendu ces pratiques punissables. Je soutiens de tout coeur cette proposition de résolution. (Applaudissements)
À la demande du groupe UC, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°66 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 343 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
(Vifs applaudissements)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Bravo !
Prochaine séance mardi 19 mars 2019, à 9 h 30.
La séance est levée à 17 h 40.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus