SÉANCE
du jeudi 21 novembre 2019
23e séance de la session ordinaire 2019-2020
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président
Secrétaires : Mme Jacky Deromedi, Mme Patricia Schillinger.
La séance est ouverte à 9 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Sites naturels et culturels patrimoniaux
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper?fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux, à la demande du groupe Les Indépendants.
Discussion générale
M. Jérôme Bignon, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Jusqu'à 7 000 tonnes par jour sur la petite île de Porquerolles - 7 km de long pour 3 km de large, 800 000 visiteurs par an dans les gorges du Verdon, 300 personnes par jour pour l'ascension du Mont-Blanc, 30 000 visiteurs quotidiens sur le Mont-Saint-Michel au mois d'août, 16 000 sur la dune du Pilat.
Ces chiffes hyperboliques décrivent une réalité, l'hyper-fréquentation, dans les cas les plus extrêmes et la saturation touristique de certains sites, qui laissent les élus démunis face aux dommages.
Avec cette proposition de loi, j'ai tenté de trouver des solutions. Ce texte a été cosigné sur toutes les travées du Sénat. Des marais salants au Mont-Blanc, en passant par Étretat, sur la dune du Pilat évoquée par Hervé Gillé, il est difficile de concilier tourisme durable et protection des sites.
De nouvelles compétences se font jour. Le maire de Saint-Gervais-les-Bains, dans le massif du Mont-Blanc, évoquait « l'unique venue » de touristes qui prennent un selfie pour les réseaux sociaux, sur un site où ils ne reviendront pas. Les conséquences sont la destruction de la faune et de la flore, les déchets, la destruction du « caractère » des sites.
Cette proposition de loi apporte des outils supplémentaires pour prévenir de tels dommages. La France donne un accès libre et gratuit aux espaces naturels, à la différence de nombreux pays du monde.
Certains régimes de protection existent, mais à différents niveaux. Dans les parcs naturels nationaux, le président exerce certains pouvoirs de police. Et la charte du parc, validée par décret en Conseil d'État après consultation de l'ensemble des acteurs du territoire, peut également contribuer à la régulation de la fréquentation. Dans le cas des réserves naturelles nationales, l'acte de classement en réserve peut fermer et réglementer l'accès ou définir un zonage plus restrictif. Il peut également réglementer les activités, les manifestations sportives, etc. En revanche, dans les sites classés, le classement du site ne permet pas de gérer les usages ou les comportements inadaptés.
Au-delà de ces outils juridiques, la plupart des acteurs mettent en avant l'importance des solutions pragmatiques passant par l'aménagement du territoire dans le cadre de « projets de territoire » ; ces démarches rassemblent tous les acteurs, comme à Étretat, pour mettre en oeuvre le recul des parkings, une déviation.
Mais ces outils ne suffisent pas. Le Mont-Blanc n'est pas un parc naturel national, ni un site Unesco, mais un site classé avec possibilité de réglementation très limitée pour les maires.
À ce stade, je quitte ma casquette d'auteur du texte pour celle de rapporteur. C'est inhabituel et je remercie le président Maurey de me l'avoir autorisé. La commission de l'aménagement du territoire a modifié ce texte. J'ai cherché à travailler avec impartialité lors de la dizaine d'auditions. Si tous s'accordaient sur le constat, beaucoup ont alerté sur les difficultés du dispositif initial, dès lors que son périmètre était très large.
Ambitieux, je voulais élargir les pouvoirs de police générale du maire à la protection de l'environnement. C'est trop tôt, même si cela reviendrait à tirer les conséquences des dispositions constitutionnelles de la Charte de l'environnement.
Cet élargissement de ses pouvoirs aurait pu être risqué juridiquement pour le maire. La plupart des pouvoirs de police de la nature sont exercés par l'État. La délimitation des nouveaux pouvoirs de police aurait été difficile.
Pour toutes ces raisons, la commission a recentré la proposition de loi sur une extension du pouvoir de police spéciale du maire qui existe déjà en matière de circulation des véhicules motorisés à l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales. Aujourd'hui le maire ne peut qu'interdire les 4x4. Avec cette proposition de loi, il pourra aussi réglementer la circulation des personnes sur les sites hyper-fréquentés les plus fragiles par avis motivé.
Cette solution a été étudiée avec la commission des lois du Sénat. Je remercie le président Bas qui a donné son accord pour ce recentrage. Ce sera un nouvel outil pour les maires. Une concertation devra être menée avec les acteurs des sites protégés.
C'est donc une proposition transpartisane, attendue par les élus locaux, que je vous propose d'adopter aujourd'hui. (Applaudissements sur toutes les travées)
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire . - Ce texte propose un nouvel outil juridique face aux problèmes posés par la sur-fréquentation de certains espaces naturels.
Le développement de l'attrait et de l'intérêt de nos concitoyens pour les espaces naturels préservés et les paysages remarquables est grandissant, on ne peut que s'en féliciter. Il correspond à une attente et même un besoin de la part du public de pouvoir accéder à ces espaces et ces sites. Il y a eu 8,5 millions de visiteurs dans les dix Parcs naturels nationaux (PNN) en 2018, soit 42 % de plus qu'en 2011. Les réserves naturelles reçoivent 10 millions de visiteurs annuels, dont 1,5 million pour celle des gorges de l'Ardèche.
Sur les sites du Conservatoire du littoral, il y a eu 40 millions de visites ; les territoires « Grands sites de France » ont accueilli 42 millions de visiteurs l'an dernier, dont plus de 2 millions à Bonifacio et dans le massif de l'Esterel.
Cette fréquentation massive pose de nouveaux problèmes, liés à la difficulté de canaliser le public dans des espaces ouverts, par exemple des nuisances liées aux déchets, au bruit, au piétinement, aux dégradations des végétaux ou des équipements, aux difficultés de cohabitation de différents modes de loisirs - et l'ensemble de ces impacts peuvent entrainer des problèmes de sécurité.
Porquerolles voit chaque année augmenter le nombre de passagers, alors que la réglementation du Parc naturel national ne permet pas d'agir car l'île se trouve dans la zone d'adhésion et non au coeur du parc.
Le Mont-Blanc, site classé, ne peut être réglementé, hormis pour des problèmes de sécurité. Un arrêté préfectoral du 31 mai dernier régule l'accès au sommet sur la voie normale, mais il ne couvre pas toutes les difficultés. Nous manquons d'outils.
Cette proposition de loi, qui vise un pouvoir de police spéciale du maire, est intéressante. Le Gouvernement est favorable à ce texte qui devra être affiné durant la navette parlementaire.
Je suis attentive à certains points. Les espaces naturels protégés sont gérés par une gouvernance particulière, qu'il convient de respecter, donc de consulter en tant que de besoin. Le maire doit demander l'avis de ces instances.
La gestion de la sur-fréquentation dépasse la simple gestion du site. Nouvelle compétence signifie aussi nouvelle responsabilité du maire, notamment en cas d'inaction. Le Gouvernement est attaché à la protection de ces sites. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE)
M. Hervé Gillé . - L'hyper-fréquentation des sites naturels, culturels et patrimoniaux est préoccupante, conséquences de modes éphémères d'un tourisme de masse en augmentation, et elle va en s'aggravant. Interrogeons-nous sur les nécessaires régulations de ces milieux préservés, difficiles à mettre en oeuvre faute d'une régulation adaptée.
Il existe plus d'une vingtaine de polices de l'environnement, sans compter les pouvoirs du préfet en la matière. Mais un maire ne peut réglementer l'accès à certains sites au motif de protection de l'environnement. D'après l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, l'ordre public général repose sur la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques. Les maires sont démunis, et en sont à prendre des arrêtés parfois sous de faux prétextes - et ils peuvent en être inquiétés.
Je vous félicite, monsieur Bignon, d'avoir revu en profondeur votre projet. Vous souhaitiez accroître les pouvoirs de police générale du maire dans tous les sites protégés. L'Association des maires de France (AMF) a émis des réserves. Les maires de Gavarnie, de Cauterets et ceux des communes autour de la dune du Pilat ont demandé un encadrement des pouvoirs de police et une meilleure définition.
Vous avez donc réécrit votre proposition de loi, en visant les pouvoirs de police spéciale du maire sur la circulation. Cela permettra d'encadrer la fréquentation des sites. Cette voie, validée par l'AMF, limitera la responsabilité des maires. Il faut la conforter.
Le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi, en espérant que les parties prenantes pourront bien être consultées.
Ce sujet interroge la mise en oeuvre de la compétence Tourisme, en organisant les coopérations qui devraient être leur préalable à toute contractualisation avec l'État. Cette proposition de loi ouvre une réflexion pour améliorer la réglementation environnementale, en limitant les impacts et en contrôlant les usages. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM ; Mme Évelyne Perrot et M. Jérôme Bignon, rapporteur, applaudissent également.)
M. Éric Gold . - Alors que certains pays nordiques revendiquent un droit d'accès à la nature, cette proposition de loi rappelle que la France est le premier pays visité au monde, avec 90 millions de touristes internationaux par an.
C'est un défi immense que de concilier la croissance exponentielle du tourisme, la recherche d'authenticité, et notre tradition d'accès libre et gratuit à la nature que nous voulons préserver. Le constat fait par Jérôme Bignon est sans appel : les espaces protégés sont menacés, saturés, et l'impact sur les écosystèmes pose des questions sur leur gestion. Comment les protéger ?
J'avais cosigné cette proposition de loi, signal fort envoyé aux élus. Au-delà de la consécration de l'ordre public écologique, c'était un nouvel espoir pour les sites patrimoniaux. Mais il serait dommage de voir la responsabilité de la commune engagée en cas d'inaction.
Le groupe RDSE souscrit à la solution de police spéciale. Nous proposons deux amendements : le premier pour que tous les partenaires soient consultés, car un site patrimonial s'étend rarement sur une seule commune ; le second pour rappeler que nous attendons depuis trois ans un décret donnant aux agents assermentés des parcs naturels régionaux le pouvoir de rechercher, de constater et de sanctionner les infractions en matière de protection du patrimoine naturel. Les gardes-nature sont nos alliés en matière de protection de l'environnement : ils connaissent le territoire comme leur poche et sont au plus près du terrain pour sanctionner les infractions. Nous devons pouvoir nous appuyer sur leur présence et leur expertise au quotidien.
Cette proposition de loi rappelle l'importance de ces sites et que les collectivités territoriales font des efforts considérables pour canaliser les flux. Il faut une politique globale. Plus le site est remarquable, plus il est fréquenté. Dans le Puy-de-Dôme, la Chaîne des Puys est inscrite à l'Unesco. Nous cherchons à transmettre la connaissance de ces sites, développer le pastoralisme tout en protégeant du 1,5 million de visiteurs.
Venise, le Machu Picchu, la baie de Maya en Thaïlande pourraient à terme être interdits aux touristes. Ce n'est pas ce que nous souhaitons, c'est pourquoi des solutions comme celle-ci doivent être trouvées. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR et CRCE)
M. Frédéric Marchand . - Inventé au XIXe siècle, le tourisme est passé d'une pratique culturelle à un phénomène de masse, essentiel pour l'économie. Il y a eu 1,4 milliard de touristes internationaux en 2018, plus 5 % en un an - on prévoit qu'ils seront deux milliards en 2030. Les recettes ont augmenté de 4 % en 2018, avec 4 milliards d'euros dépensés chaque jour, 1 448 milliards de dollars au total.
La France a 90 millions de visiteurs en 2018, et s'approche du cap des 100 millions qui pourrait être franchi en 2020.
Le tourisme est un secteur vital pour notre pays, avec 55,5 milliards d'euros de recettes en 2018, mais l'hyper-fréquentation menace les sites.
Nous avons en tête les images du paquebot de treize étages heurtant un quai de Venise en juin 2019, abimant ses fondations. Le pire a été évité pour les touristes et les habitants, mais le danger existe. Le gouvernement italien a réagi en interdisant l'accès de ces gros paquebots de croisière au centre historique de la ville : entre l'intérêt économique et la survie de la ville, il semble que la raison l'ait emporté.
En France, les dégâts sont légion. Parmi les nombreux chiffres cités par M. Bignon, j'en retiendrai un : le Mont-Blanc attire 20 000 ascensionnistes par an ; les déchets s'amoncellent, des avalanches meurtrières sont provoquées. La préfecture a pris des mesures régulant l'accès au sommet.
Certaines communes françaises souffrent aussi du tourisme excessif, avec ses conséquences déplorables : bars, multiplication des locations saisonnières, éviction progressive des gens du lieu. Aux Baux-de-Provence, il y a 380 habitants mais 1,5 million de touristes à l'année : les villageois ne trouvent plus à se loger et doivent aller habiter à Arles, à 20 kilomètres.
Le tourisme exerce aussi des pressions sur l'environnement : destruction des écosystèmes, disparition de la biodiversité. Des lieux inconnus il y a quelques années ont été popularisés par les réseaux sociaux, les choses vont de plus en plus vite.
Face à cela, il existe des outils : police environnementale, taxe sur les passagers du transport public pour financer la protection des espaces naturels protégés, police maritime instaurée par la loi du 18 janvier 1995 renforçant la protection de l'environnement.
S'il existe plusieurs solutions d'aménagement du territoire concertées au niveau local, il n'y a cependant pas de régime général d'accès aux sites naturels.
Cette proposition de loi permet aux maires de réglementer, et non plus seulement d'interdire, l'accès des personnes et non plus des seuls véhicules. C'est un premier pas, utile, mais il faudra aller plus loin. Les modalités de consultation des parties prenantes du territoire doivent être précisées, comme l'a souligné la ministre.
Ce texte devrait permettre de stopper les conséquences mortifères du tourisme de masse et favoriser un tourisme écoresponsable, en donnant aux maires la possibilité de réguler l'activité touristique pour que celle-ci soit raisonnable et encadrée. Le groupe LaREM s'associera à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur le banc de la commission)
M. Guillaume Gontard . - Cette proposition de loi utile, dont je remercie Jérôme Bignon, protège mieux les sites de tourisme de masse ; 95 % des touristes mondiaux se concentrent sur moins de 5 % des terres émergées selon l'organisation internationale du tourisme.
La version initiale du texte, qui créait un ordre public écologique, nous convenait. Les maires n'ont pas les moyens de réguler la fréquentation des sites les plus menacés ; et la notion d'ordre public est par nature mouvante. La bousculer était légitime pour l'adapter aux nouveaux besoins, d'autant que la Charte de l'environnement a été intégrée au bloc de constitutionnalité. Cependant, nous sommes sensibles à l'argument que la définition de l'ordre public ne saurait être trop floue, car ce serait une source de contentieux contre les maires. Il convient également d'éviter les incohérences avec les autres pouvoirs de police de l'environnement.
La commission a préféré en passer par la police de l'environnement, plus précisément par l'article L. 2213-4 du code de l'environnement : le maire pourra désormais restreindre non seulement la circulation des véhicules mais aussi des personnes, quand les conditions environnementales le justifieront. Cela nous convient.
Comment, cependant, la régulation sera-t-elle organisée ? Dans bien des pays, l'accès aux sites naturels devient payant. Le Bhoutan, par exemple, a adopté la solution de droits d'entrée exorbitants. Nous n'y sommes pas favorables car c'est une source d'inégalités : la gratuité d'accès aux espaces naturels doit être maintenue; mais on peut restreindre l'accès par des inscriptions à l'avance, ou organiser des interdictions intermittentes, pour limiter le nombre de présents.
Il faut aussi donner les moyens financiers aux élus pour la remise en état et la préservation des sites et assurer leur préservation sur le long terme. Or la loi finances prévoit plus de 1 000 suppressions de postes pour 2020 au ministère de la Transition écologique. L'État doit prendre sa part.
Il conviendra d'engager une réflexion sur le tourisme de masse, pour changer le modèle de développement : limitons les mobilités les plus polluantes, l'artificialisation des sols, protégeons les sites les plus fréquentés.
Le groupe CRCE votera cette proposition de loi, en espérant qu'elle entre en vigueur au plus vite. (Applaudissements)
Mme Évelyne Perrot . - L'homme, cueilleur et chasseur, évoluait dans la nature et préservait son territoire car il en allait de sa survie. Il n'en va pas de même pour l'homme consommateur qui a oublié le respect et laisse une trace de son passage.
L'hyper-fréquentation est un enjeu majeur de la préservation de la biodiversité. Réglementer l'accès des sites les plus fragiles est devenu indispensable. Les aménagements ludiques permettent de sensibiliser le visiteur à la préservation de ces espaces : connaissant mieux les enjeux, il respecte davantage les sites.
Mais il faut aussi un arsenal juridique pour canaliser les flux. Dans les communes des parcs nationaux, le dispositif de régulation de fréquentation est insuffisant, comme l'a montré Jérôme Bignon. Je le remercie donc d'avoir proposé ce texte qui, dans sa version initiale, donnait cependant des pouvoirs de police générale trop étendus au maire, source de risque contentieux. Je le remercie également d'avoir accepté de recentrer son texte sur les pouvoirs de police spéciale, ce qui est plus efficace.
Il convient de mieux coordonner les pouvoirs de police, de mieux associer les usagers, de faire de l'administration des parcs naturels un véritable service pour l'élu. (Applaudissements)
M. Christophe Priou . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci à M. Bignon pour son investissement, depuis des décennies, au service de l'environnement.
D'après le Conservatoire du littoral, outil remarquable créé par Olivier Guichard il y a quarante ans - et que Jérôme Bignon a excellemment dirigé - la moitié des zones humides a disparu en trente ans, ce qui montre bien que nos outils ne suffisent plus.
Jérôme Bignon avait 19 ans en mai 68. Depuis, il a blanchi sous le harnais. Ses cheveux ont tourné au poivre et sel, puis surtout au sel, de Guérande bien sûr ! (Sourires) Quoi qu'il en soit, à l'époque et quel que soit le côté des barricades où l'on s'est trouvé, il était interdit d'interdire. Sur nos bancs, nous avions des opinions différentes, alors, de l'Occident au Grand Orient...
Conséquence de l'absence d'interdiction, sur laquelle le texte se propose de revenir, le maire doit faire face à trois réactions, qui sont autant de totems : « j'ai le droit », « je ne fais rien de mal », et « je paie des impôts » - et chacun a toute licence de dégrader les sites en bonne conscience.
Triste anniversaire, le 12 décembre marquera les vingt ans du naufrage de l'Erika - événement qui avait, pour la première fois, entraîné la mise en oeuvre du principe du pollueur-payeur, ceci après douze années de procédure. Les maires avaient monté des dossiers d'indemnisation, et nous avions alors découvert l'importance du tourisme pour la Loire-Atlantique, ce secteur devançant même nos deux piliers industriels que sont les Chantiers navals et Airbus.
Dans le monde, il y a désormais plus d'urbains que de ruraux ; c'est un changement majeur. Des milliers de sites ont besoin d'aménagements, de financements, de régulation. Il y a quelques années était mis en place l'atelier littoral : les services du ministère se rendaient sur les sites pour discuter avec les élus. Grâce à ce travail de longue haleine, nous avons vaincu ce que nous appelions le CPF - pour « Ce n'est pas facile » - et le CPP - pour « Ce n'est pas possible », deux leitmotivs que les maires connaissent bien.
Dans la région de Guérande, où 300 paludiers sont installés, nous avons su attirer les touristes tout en régulant l'accès et en mettant en place un lieu pédagogique. Le modèle d'économie mixte est fructueux pour tous !
Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons le texte de Jérôme Bignon : pour revenir à mai 68, continuons le combat ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Claude Malhuret . - Le tourisme représente 10 % du PIB mondial. La France accueille 89 millions de touristes chaque année, nous pouvons nous en réjouir mais cela pose la question des conséquences du tourisme de masse.
Je salue le travail pertinent et neutre du rapporteur et la justesse du calendrier. Nous faisons face à l'inévitable confrontation entre fréquentation et préservation des sites.
Un tourisme qui peut être un vecteur d'éducation et de sensibilisation se développe ; mais aussi un tourisme de consommation, fondé sur le selfie et le partage sur les réseaux sociaux avec les Friends et Followers. Si une célébrité y est passée, c'est encore mieux.
L'impact est majoritairement environnemental, avec des conséquences sur la biodiversité et la sécurité. La question des pollutions diverses - déchets, bruits - doit être traitée, via une responsabilisation des touristes.
À titre d'exemple, l'Indonésie envisage de restreindre l'accès à l'île de Komodo, où vivent les fameux dragons, envahie chaque semaine par des milliers de touristes. En France, les responsables locaux ont la possibilité de mieux aménager les sites les plus fréquentés comme le Mont-Blanc et le Mont-Saint-Michel, par exemple pour mettre en place des parkings à l'extérieur, recruter des écogardes.
Les maires ont des pouvoirs de police environnementale. Les outils sont efficaces, et ce texte donne au maire la capacité de réguler l'accès des personnes ; c'est une corde de plus à son arc ; la flèche pourra être retenue avec l'arrêté motivé après concertation des acteurs locaux.
La France a des atouts formidables ; nos concitoyens et les citoyens du monde doivent se sentir concernés par ce bien commun qu'est notre patrimoine. L'organisation mondiale du tourisme l'exprime avec justesse : le tourisme, c'est bien plus que ce que vous imaginez, mais il y a bien plus que le tourisme. (Applaudissements)
Mme Catherine Morin-Desailly . - L'hyper-fréquentation des sites culturels et naturels n'est pas un problème d'aujourd'hui : la grotte de Lascaux a dû être fermée en 1963 pour cette raison.
En octobre 2016, notre commission des affaires culturelles a constaté, lors d'un déplacement, la menace qui planait sur Venise du fait des immenses bateaux de croisière - le 2 octobre, l'Unesco envisageait d'inscrire la ville sur la liste du patrimoine en péril.
Or le tourisme est en augmentation : nous en serons à 1,8 milliard de visiteurs en 2030 dans le monde. Venise, mais aussi Amsterdam qui a interdit les hôtels flottants, Santorin, l'île de Pâques, le Mont-Blanc - troisième site naturel le plus visité - ont pris des mesures pour restreindre l'accès.
Cette proposition de loi est dans la droite ligne de cette prise de conscience.
Lier sites naturels et culturels, dans cette proposition de loi, est en adéquation avec l'initiative de notre commission dans la loi Liberté de création, architecture et patrimoine de créer les « sites patrimoniaux remarquables ».
C'est ce que réclament les maires de Seine-Maritime : le maire de Veules-les-Roses, classé plus beau village, et d'Étretat sont concernés par la problématique. Mais il fallait une réflexion globale : l'opération Grand Site des Falaises d'Étretat-Côte d'Albâtre, associant treize communes, est une démarche vertueuse associant accueil des visiteurs et conservation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Vivette Lopez . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je félicite Jérôme Bignon pour son initiative et son engagement pour la protection de notre cadre de vie et l'enrichissement des moyens mis à disposition des maires dans l'exercice de leurs fonctions.
Cette proposition de loi répond à trois défis : répondre à l'explosion mondiale du tourisme, préserver l'environnement et prendre en compte les nouveaux comportements des visiteurs. Le sujet est vaste et ce texte répond aux enjeux.
L'Organisation mondiale du tourisme estime qu'en 2030, le nombre de touristes atteindra 1,8 milliard, soit 4 millions de plus qu'aujourd'hui. Il ne faut pas faire n'importe quoi ni n'importe comment ! La sur-fréquentation menace déjà l'existence même de certains sites ; c'est le cas de Venise. L'Islande, quant à elle, restreint le nombre de touristes sur son territoire.
Les moyens légaux mis à la disposition des élus pour encadrer l'afflux de touristes ne sont pas adaptés. Parfois même, des actions menées en faveur de l'environnement vont à l'encontre des objectifs poursuivis ; je pense au tournage par drone du film de Nicolas Vanier sur la protection de la faune et de la flore : le drone a effrayé les flamants roses en période de couvaison dans les salins du Midi, qui ont abandonné leurs oeufs.
La proposition de loi vise l'efficacité en élargissant les pouvoirs de police spéciale du maire à la réglementation de l'accès, au lieu d'une simple interdiction, et de la circulation des personnes sur les sites, au lieu uniquement des véhicules motorisés.
Par rapport au texte initial, trop général, la mesure est mieux ciblée, plus adaptée et moins porteuse de risques de poursuites pour le maire. Il ne faut pas non plus laisser croire que les maires seraient désormais compétents de façon générale en matière de protection de l'environnement.
Notre gestion du tourisme doit évoluer à la mesure des enjeux climatiques. La qualité paysagère reste un critère d'attractivité essentiel des territoires : voyez le million de visiteurs au pont du Gard... La réponse doit être globale, avec une complémentarité des outils. Cette proposition de loi y contribue, nous la soutiendrons. (M. Jérôme Bignon, rapporteur, applaudit.)
M. Jérôme Durain . - Christophe Priou évoquait mai 1968. Pour ma part, il y a trente ans, étudiant, je pratiquais l'escalade sur les blocs de grès, en forêt de Fontainebleau, parmi quelques habitués. Le site attire désormais de nombreux touristes, y compris venus de loin - Australie, Amérique, Japon... - provoquant l'altération des blocs et la détérioration des chemins. Certes, ce n'est pas pour faire des selfies mais pour exercer une activité particulière.
M. Retailleau avait déposé une proposition de loi sur les meilleurs moyens d'assurer un accès libre aux sites naturels tout en assurant leur sécurité. Cette proposition de loi constitue « l'autre bout de l'omelette », comme dirait le Premier ministre.
Comment assurer un accès libre aux sites naturels, tout en préservant leur pérennité ? La baie de Somme avec ses embouteillages, Port-Cros et ses nombreux allers-retours de bateaux ou encore le Mont-Blanc et ses faux guides. Les dérives en matière d'accès aux sites naturels sont nombreuses.
Votre texte évite les pièges dénoncés lors de l'examen du projet de loi Engagement et proximité, grâce à une solution pragmatique : les maires ne doivent pas être en première ligne avec de nouveaux pouvoirs de police sans avoir les moyens d'exercer leurs compétences.
Avec mes collègues socialistes, j'ai déposé un amendement qui vise à apporter une réponse ferme aux inconscients, égoïstes, tentés de renouveler l'atterrissage sauvage accompli il y a quelques mois au sommet du Mont-Blanc pour une dépose peu compatible avec les usages et le respect de la montagne. J'avais déposé une proposition de loi sur le sujet et j'ai retravaillé le texte en échangeant avec le Gouvernement pour éviter que les pilotes de bonne foi ne pâtissent de mes suggestions.
Le président de la République s'y est montré sensible, comme il doit l'être concernant la baie de Somme. Nous espérons que le Gouvernement sera, lui aussi, sensible à nos débats. D'ici là, j'espère que vous me pardonnerez de contribuer à l'hyper-fréquentation de l'hémicycle ce matin avec un amendement qui ne concerne même pas mon département. Les Français, quelle que soit leur place dans la cordée, soutiennent, j'en suis sûr, ce texte. (Applaudissements sur toutes les travées)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Gold, Arnell et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mmes N. Delattre et Guillotin, MM. Jeansannetas et Labbé, Mme Laborde et MM. Requier et Roux.
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
ainsi que les modalités de consultation des parties prenantes locales
M. Éric Gold. - Cet amendement prévoit que le pouvoir de police spéciale du maire réglementant l'accès aux espaces protégés s'exerce dans le cadre d'un projet de territoire en précisant que le décret en Conseil d'État prévoit les modalités de consultation des parties prenantes locales. Celle-ci est d'autant plus nécessaire que les prescriptions du maire peuvent avoir une incidence territoriale beaucoup plus large.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - L'objet du décret est déjà de prévoir les modalités de consultation des parties prenantes, mais je ne suis pas opposé à cette précision. Avis favorable.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. - Avis favorable également. Il est important de préciser ces modalités de consultation dans le décret.
L'amendement n°2 rectifié est adopté.
L'article premier, modifié, est adopté.
ARTICLES ADDITIONNELS
M. le président. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre III du titre VI du livre III du code de l'environnement est ainsi rédigé :
« Chapitre III
« Accès par aéronefs
« Section 1
« Interdiction des atterrissages à des fins de loisirs
« Art. L. 363-1. - Dans les zones de montagne, l'atterrissage d'aéronefs motorisés à des fins de loisirs, à l'exception des aéronefs sans personne à bord, et la dépose de passagers par aéronefs motorisés à des fins de loisirs, sont interdites, sauf sur un aérodrome au sens de l'article L. 6300-1 du code des transports, ainsi que sur les emplacements autorisés par l'autorité administrative.
« Art. L. 363-2. - La publicité, directe ou indirecte, de services faisant usage des pratiques mentionnées à l'article L. 363-1 est interdite.
« Art. L. 363-3. - Dans les zones de montagne, les déposes de passagers à des fins de loisirs par aéronefs non motorisés sont interdites, sauf sur les aérodromes au sens de l'article L. 6300-1 du code des transports, ainsi que sur les emplacements autorisés par l'autorité administrative.
« Section 2
« Dispositions pénales
« Art. L. 363-4. - Est puni d'un an d'emprisonnement et 150 000 € d'amende le fait de ne pas respecter l'interdiction mentionnée à l'article L. 363-1.
« Art. L. 363-5. - Est puni de six mois d'emprisonnement et 75 000 € d'amende le fait de ne pas respecter l'interdiction mentionnée à l'article L. 363-2. »
M. Jérôme Durain. - L'atterrissage d'un avion de tourisme au sommet du Mont-Blanc, le 18 juin 2019, a mis en lumière le caractère lacunaire de notre arsenal législatif pour lutter contre de tels comportements qui contreviennent aux usages en vigueur en montagne et transgressent les lois en matière de protection de l'environnement.
En Haute-Savoie, et au-delà, ce comportement déplorable a choqué celles et ceux qui aiment la montagne. Certes le code de l'environnement, dans son article L. 363-1, prévoit déjà que « dans les zones de montagne, les déposes de passagers à des fins de loisirs par aéronefs sont interdites, sauf sur les aérodromes dont la liste est fixée par l'autorité administrative. » Mais, à défaut de sanction, cette interdiction ne peut être mise en oeuvre. En juin, le pilote n'a écopé que d'une amende de 38 euros.
Cet amendement vise à dissuader toute récidive en durcissant les peines encourues. Ma proposition de loi avait été largement encouragée, mais certains pilotes de montagne m'ont fait part de leurs inquiétudes. En accord avec le cabinet de Mme la ministre, j'ai donc modifié mon amendement afin d'éviter toute conséquence néfaste pour les pilotes qui respectent les règles. J'espère que cet amendement aidera les élus à préserver notre patrimoine naturel national.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Cet amendement rejoint les préoccupations auxquelles répond la proposition de loi. Il faut répondre aux nouveaux comportements d'un tourisme de consommation, parfois peu respectueux de l'environnement. Avis favorable aux sanctions pénales prévues : un an d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.
Cet amendement interdit aussi les déposes de personnes par aéronef non motorisé mais les sanctions pénales prévues sont plus légères. Avis favorable.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. - Avis très favorable. Le fait générateur du 18 juin est emblématique ; je m'en suis encore entretenue hier avec le maire de Saint-Gervais. Je vous remercie pour votre travail constructif qui a permis d'atteindre un point d'équilibre : les acteurs de bonne foi ne seront pas pénalisés.
M. Loïc Hervé. - (Essouflé) Sénateur de la Haute-Savoie, je suis très attentif à cette question. Je voterai cet amendement.
M. le président. - Il faut reprendre de l'oxygène, monsieur Hervé ! (On s'amuse sur toutes les travées.)
L'amendement n°3 rectifié bis est adopté et devient un article additionnel.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Gold, Arnell et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mmes Costes et N. Delattre, M. Gabouty, Mme Guillotin, MM. Jeansannetas et Labbé, Mme Laborde et MM. Requier et Roux.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 415-1 du code de l'environnement est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Le présent article entre en vigueur au plus tard le 1er janvier 2020. Ses conditions d'application sont fixées par décret en Conseil d'État. »
M. Éric Gold. - Cet amendement attire l'attention du Gouvernement sur la nécessaire publication d'un décret promis depuis plusieurs années et qui traite de l'assermentation des gardes-nature au sein des parcs naturels régionaux. En juin 2018, le ministre de la Transition énergétique avait promis la parution du décret dans les six mois. Lors de l'examen du projet de loi portant création de l'Office français de la biodiversité, le Gouvernement l'avait annoncé pour l'automne 2019. Or le décret d'application n'est toujours pas paru, laissant les gardes-nature démunis dans leurs possibilités de constater lesdites infractions au détriment de la protection de notre patrimoine naturel.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Je comprends votre intention, mais je ne vois pas en quoi votre amendement pourrait accélérer la publication du décret. Il faut interpeller fortement le Gouvernement. Retrait au profit d'un engagement de Mme la ministre ?
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. - Le décret a été examiné par la section Travaux publics du Conseil d'État le 19 novembre 2019. Nous venons de recevoir son avis favorable. (Marques d'approbation sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Il pourra donc paraître avant la fin de l'année, comme je m'y étais engagée. Je tiendrai parole ! Retrait car satisfait.
L'amendement n°1 rectifié est retiré.
L'article 2 demeure supprimé, de même que les articles 3 et 4.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
(Applaudissements sur toutes les travées)
La séance est suspendue à 10 h 20.
présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente
La séance reprend à 14 h 30.