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Table des matières
Situation et rôle de l'OTAN et place de la France en son sein
M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale
Mme Françoise Laborde, auteure de la proposition de résolution
M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Prévenir le suicide des agriculteurs
M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi
Mme Françoise Férat, rapporteur de la commission des affaires économiques
M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Mme Françoise Férat, rapporteur
Ordre du jour du mardi 17 décembre 2019
SÉANCE
du jeudi 12 décembre 2019
40eséance de la session ordinaire 2019-2020
présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président
Secrétaires : M. Daniel Dubois, M. Guy-Dominique Kennel.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Conférence des présidents
M. le président. - Les conclusions adoptées par la Conférence des présidents, réunie le mercredi 11 décembre 2019, sont consultables sur le site du Sénat. Elles seront considérées comme adoptées en l'absence d'observation d'ici à la fin de la séance.
Situation et rôle de l'OTAN et place de la France en son sein
M. le président. - L'ordre du appelle un débat sur la situation et le rôle de l'OTAN et sur la place de la France en son sein.
M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste . - Le groupe CRCE a demandé ce débat au lendemain de l'offensive turque en Syrie avec l'aval des Américains - une trahison de deux alliés de l'OTAN occasionnant le lâche abandon des Kurdes.
Avec les déclarations du président de la République sur la « mort cérébrale de l'OTAN » et la déclaration finale, plus belliqueuse que jamais, du sommet de Londres de la semaine dernière, le Sénat ne peut se contenter d'être spectateur : notre débat est nécessaire, urgent, j'espère qu'il encouragera un débat politique de toute la société française sur des choix stratégiques déterminants pour la Nation. Les actions de la Russie sont une menace et la Chine un sujet stratégique, a-t-on entendu à Londres.
En 2020, d'après M. Stoltenberg, son secrétaire général, l'OTAN pourrait aligner en moins de cinq jours 25 000 soldats, 300 avions et 30 navires de combat. Pour quelles visées ?
L'OTAN est unilatérale et anachronique : il faut viser sa dissolution. Je sais que beaucoup au Sénat ne le pensent pas mais le débat est nécessaire.
Au lendemain de la chute du mur du Berlin, l'occasion de repenser le système a été gâchée. On a annoncé la fin de l'histoire. Rien n'a été vu du multilatéralisme et de la pluralité actuelle.
Les attentats terroristes servent l'idéologie de la peur, qui plaide pour une vision belliqueuse de l'OTAN.
Quelques pays dominent la gouvernance de la mondialisation. Il faut aller vers le partage commun pour tous les peuples. L'OTAN est profondément inadaptée pour le rôle de gendarme du monde.
La construction de la paix mondiale est une question sociale. La voie multilatérale est la seule qui vaille, comme la COP nous le montre en matière environnementale.
Les enjeux de la sécurité sont humains. Ce n'est plus la puissance qui assure la paix, c'est l'inclusion sociale. Le terreau des entrepreneurs de violences - terroristes, mafieux ou prédateurs des richesses - est la misère. On le voit au Sahel. Il faut désormais parler de relations intersociales, et non plus de relations internationales selon l'expression de Bertrand Badie. Nous sommes au bout des logiques de puissances ; les camps, les alliances, les blocs sont derrière nous, nous devons penser les relations internationales et de sécurité à partir du multilatéralisme.
Il faut renforcer l'ONU et les partenariats régionaux. L'OTAN nous entrave et nous assigne à la confrontation. Quel est le bilan de ses interventions militaires ? Afghanistan, Kosovo, Syrie : partout des pays ravagés, une violence disséminée, une instabilité accrue : où est la sécurité promise ?
Au Sahel, notre intervention est menacée du même enlisement pour les mêmes raisons.
L'aide au développement piétine alors que les dépenses militaires s'envolent. L'OTAN en est le premier accélérateur. L'objectif d'y consacrer 2 % du PIB est insensé.
Alors que l'accord États-Unis-Russie sur les armes nucléaires intermédiaires est au point mort, que fait la France ? L'OTAN nous tire vers l'escalade. À quand des initiatives françaises pour la désescalade ? Le président de la République veut dialoguer avec le président russe. Mais alors à quoi rime notre soutien sans faille à l'ouverture du front est de l'OTAN ? Qu'est-ce que cela veut dire, alors, que les grandes manoeuvres comme Defender 2020, ce débarquement en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne de troupes américaines qui traverseront l'Europe vers les frontières russes - et auxquelles des milliers de soldats français participent ?
Le président de la République a justifié sa sortie sur l'OTAN par la nécessité de réveiller la défense européenne, mais quelle peut-être celle-ci alors que les Turcs - qui occupent la moitié d'un pays membre de l'Union européenne, Chypre - sont membres de l'OTAN ?
De deux choses l'une : ou bien la France reste embarquée sous leadership américain, ou bien nous ouvrons le chantier d'une Europe de la défense.
La France devra s'interroger sur sa sortie du commandement intégré de l'OTAN. Voilà les questions à se poser si nous ne voulons pas que les propositions du président de la République soient un simple punchline. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Bernard Fournier . - Qu'est-ce que l'OTAN aujourd'hui ? Un facteur de paix et de régulation. Si on peut regretter que le débat ait été hystérisé, il était nécessaire.
Les États-Unis se désengagent. L'Europe et les États-Unis sont de moins en moins perçus par le président américain comme un seul bloc.
Après 70 ans de stabilité de part et d'autre de l'Atlantique, il faut une redéfinition. Le partage du fardeau de l'Alliance est légitime. Le secrétaire général exécutif de l'OTAN nous reproche de ne pas recevoir les financements prévus.
La clause F35 remplace la clause de l'article 5 dont la force est devenue moins évidente. En octobre dernier, les États-Unis ont cautionné sans concertation l'offensive turque contre nos alliés Kurdes. Cela a été condamné par la quasi-totalité des Alliés.
Les diversités de lecture stratégique ne doivent plus être tues. L'OTAN peine à s'adapter aux nouvelles menaces. Qui est l'ennemi de l'OTAN ? D'après le secrétaire général de l'OTAN, après le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne, 80 % de la défense de l'Europe sera assurée par des pays non-membres de l'Union européenne. Mais contre qui ? Si certains ne voient que le flanc Est, la France plaide pour une vision à 360 degrés.
Peut-on accepter que des marchandages tiennent lieu de politique stratégique au sein de l'Alliance, comme lorsque la Turquie exige qu'elle adhère à sa propre définition du terrorisme ? Elle doit se réformer pour éviter de tels errements et garantir notre sécurité. La France est force de proposition. Elle a un rôle essentiel à jouer pour faire de l'Alliance une structure plus adaptable. Le secrétaire général ne doit plus donner l'impression d'adopter systématiquement le point de vue du président américain. La position du président de la République à Londres va dans le bon sens mais souffler sur les braises plutôt que sur les bougies d'anniversaire n'était peut-être pas opportun (Sourires). Nous devons renforcer notre place dans l'Alliance par conviction.
Je veux rendre hommage à nos soldats morts au Sahel. Ils nous obligent. Il s'agit de garantir la paix et la sécurité 70 ans de plus. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Excellent !
M. André Vallini . - Née en 1949, l'OTAN a bien joué son rôle de défense de l'Europe occidentale jusqu'en 1989. Depuis la dissolution du Pacte de Varsovie en 1991, sa redéfinition n'avait jamais été faite. L'arrivée de Vladimir Poutine a permis de redéfinir un adversaire, la Russie, sorte de la nouvelle URSS qu'il faudrait contenir.
Certes la Russie a une attitude agressive avec ses tentatives de déstabilisation de l'intérieur des pays européens. Mais la Russie reste une puissance économique dont le PIB est celui de l'Espagne et le budget militaire de 61 milliards de dollars, contre 282 milliards de dollars pour l'OTAN. Nous ne saurions montrer la moindre faiblesse face à la Russie, mais celle-ci n'est pas une menace globale.
Les États-Unis se sont lassés du rôle de gendarme du monde. L'investissement militaire américain sur notre continent n'a jamais été réduit et les liens entre Europe et États-Unis sont plus étroits qu'entre ces derniers et l'Asie : c'est parce qu'ils y ont intérêt. Mais leur grand ennemi est aujourd'hui la Chine.
L'attitude d'Erdogan en Syrie a provoqué une crise au sein de l'Alliance mais la solidarité politique n'y a jamais été évidente. La question syrienne s'inscrit dans une longue tradition. La vérité est que les Européens ne peuvent pas rester indéfiniment spectateurs dans un contexte instable. Ce contexte instable est une chance pour les Européens, qui pourraient faire avancer l'idée d'une Europe de la défense. Un jour, il le faudra, pour la crédibiliser face aux menaces, rationaliser les achats militaires et promouvoir l'identité européenne.
En 1992, le traité de Maastricht a jeté les bases d'une politique étrangère commune. En 2013, un premier conseil européen consacré à la défense a eu lieu. En 2017, une coopération structurée permanente a été lancée. Elle est balbutiante. La France est isolée quand elle voit l'Europe de la défense comme une alternative à l'OTAN.
Avant l'armée européenne, il y a une solution plus réaliste : européaniser l'OTAN.
Le secrétaire général Stoltenberg soutient cette idée. Le sevrage des addicts au parapluie américain doit être préparé. Pour y parvenir, mieux vaut éviter tout raidissement de nos partenaires.
La France se doit d'être à la hauteur de son rôle historique. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM)
M. Jean-Claude Requier . - La formule choc du président de la République sur l'OTAN a le mérite de relancer le débat sur une organisation qui vient de fêter ses 70 ans - gage de solidité - mais qui est fragilisée par la multiplication des désaccords entre ses membres, dans un contexte géopolitique multipolaire.
L'« empire du mal » n'est plus seulement à l'Est, il est multiforme et diffus : conflits asymétriques, terrorisme, cybercriminalité.
L'Alliance a su évoluer en ajoutant des missions de coopération et de gestion de crise. Mais cela n'a de sens que si tous les membres ont les mêmes attentes. Un meilleur équilibre est nécessaire.
Notre groupe soutient un dialogue entre la Russie et l'Occident. Pour cela, il ne faut pas que l'élargissement ne soit pas sans limite à l'Est. La Russie a un rôle très important dans le désarmement en Syrie.
Face à la Chine, privilégions un partenariat. La France peut être une puissance d'équilibre, avec ses territoires ultramarins dans la zone Indo-Pacifique.
La Turquie a acheté un système de défense russe et intervient en Syrie. Mais n'oublions pas qu'elle a retenu 3,5 millions de réfugiés.
L'abandon de souveraineté en matière de défense est une réalité pour de nombreux pays européens. La France a su conserver son autonomie stratégique - c'est l'essentiel - comme en témoigne notre intervention au Sahel, qu'elle effectue quasiment seule et ce, grâce à son effort sur le budget militaire.
Union européenne et OTAN sont complémentaires. Nous devons relever le défi de la défense européenne.
Mais l'Union européenne est loin de fournir une coopération opérationnelle, à défaut d'interopérabilité.
À force d'être focalisés sur leur voisin russe, les pays de l'Est considèrent que la stabilité en Méditerranée ne relève que de ses riverains.
L'affirmation d'intérêts divergents fragilise le multilatéralisme. N'oublions pas que l'OTAN nous a sans doute sauvés du pire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Richard Yung . - Le président de la République avait souhaité que le sommet de Londres soit l'occasion d'une discussion stratégique profonde sur les objectifs de l'Alliance atlantique. Nous ne craignons plus les missiles ni les chars soviétiques - les menaces sont différentes : cyberattaques, menaces dans l'espace, et j'en passe.
Le président américain s'éloigne de l'Alliance, non seulement budgétairement, mais aussi politiquement. La Turquie est aussi un problème.
Cette situation a suscité une prise de conscience chez les Européens. Ils consacrent plus d'argent à la défense, mais ils doivent encore développer la coopération au niveau de l'Union européenne - ce qui n'est pas contradictoire avec l'OTAN.
Les Européens doivent travailler à développer la défense européenne.
« De l'audace, de l'audace, de l'audace », disait le président de la République aux ambassadeurs à propos de la Russie. Mais nous ne sommes pas des enfants de Marie : le rapt de la Crimée, des homicides par les services russes dans nos pays... sans oublier l'attaque de notre doyenne Jeanne Calment, qui n'aurait pas été la véritable doyenne de l'humanité ! (Sourires) Il faut dire les choses...
Le Sahel est un élément crucial de notre sécurité collective. Le sommet qui se prépare à Pau avec le G5 Sahel est une bonne nouvelle.
Les chefs d'État africains doivent nous confirmer qu'ils demandent notre intervention. C'est bien le président malien qui a téléphoné dans la nuit pour demander de l'aide, parce que les terroristes étaient à 150 kilomètres de la capitale Bamako ! (M. Christian Cambon, président de la commission, le confirme.)
Il faut clarifier la situation, car il se développe un sentiment anti-français qui ne convient pas. Le Mali et le Burkina Faso doivent faire des efforts pour structurer leurs forces armées. Au Burkina Faso, la construction de l'armée ne fonctionne pas. Politiquement, le Mali, par exemple, doit progresser dans ses négociations avec l'Azawad. (Quelques applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE)
Mme Christine Prunaud . - L'extension de l'OTAN a conduit à une diversité d'intérêts, parfois contradictoires, comme en témoigne l'invasion du Rojava par la Turquie, qui veut y résoudre la question des Kurdes « terroristes ». Erdogan veut mettre en place une administration dans cette zone annexée avec la bénédiction de l'OTAN. La Turquie invite les islamistes de l'Ouzbékistan et d'autres pays turcophones à venir s'y installer.
Partout le fanatisme, l'obscurantisme triomphent. Dix-huit ans après l'intervention en Afghanistan, les islamistes sont toujours là, attendant le départ des États-Unis pour mettre en place un régime encore pire. Les interventions de l'OTAN ne règlent rien, au contraire, elles empirent des situations déjà dramatiques. Les gouvernements successifs prennent des décisions suffisamment drastiques contre les États qui oppriment les peuples. Il y a une incohérence entre les objectifs des pays membres de l'OTAN et les objectifs de cette institution. Il est temps de poser la question de notre participation à l'OTAN. Nous en sommes réduits à attendre une hypothétique réunion pour en redéfinir les objectifs.
Le renforcement de l'ONU est la solution, avec la suppression des droits de veto des membres permanents du Conseil de sécurité. L'ONU est la seule institution où les discussions ne sont pas envisagées sous un jour militaire.
L'Europe de la défense n'est qu'une augmentation des dépenses militaires.
Face à l'OTAN, il faut renforcer l'ONU, mieux réguler voire stopper le commerce des armes, et renforcer la mission de contrôle du Parlement. Nous devons conditionner la participation à un conflit armé à une autorisation du Parlement comme cela existe dans de nombreux pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Jérôme Bignon . - L'ambiance aurait pu être plus chaleureuse pour les 70 ans de l'OTAN. La formule choc du président Macron était destinée à susciter le débat. C'est chose faite. Le président Trump a considéré l'Alliance comme obsolète et, en privé, a envisagé le retrait des États-Unis. Erdogan a suscité l'incompréhension de ses alliés en actualisant un système anti-missiles russes, et a conditionné au classement comme terroristes des YPG toute discussion au sein de l'OTAN.
Pourtant, les menaces n'ont pas disparu. Nous ne sentons pas les mêmes menaces à Paris et à Tallinn, et nous ne disposons pas tous des mêmes forces. L'OTAN a assuré la sécurité du continent depuis des décennies, effectuant des exercices de manière remarquable.
L'OTAN a annoncé vouloir s'intéresser aux djihadistes - c'est une bonne nouvelle. Actuellement, la France paie le prix du sang en ce domaine. (M. Christian Cambon, président de la commission, le confirme.)
Les mentalités semblent changer, avec des projets industriels et l'organisation du budget de défense de certains États membres.
Tant que les membres de l'Alliance partagent les mêmes valeurs, il n'y a pas de raison de s'éloigner. Mais quid de la Turquie ? Elle n'est pas Erdogan, lequel n'est pas pour toujours au pouvoir. Il faut discuter avec les puissances régionales. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; MM. Christian Cambon, président de la commission et Yannick Vaugrenard applaudissent également.)
M. Jean-Marie Bockel . - Le président de la République a assurément secoué l'alliance, avec ses mots durs, mais justes.
Le fonctionnement interne de l'OTAN soulève trois questions. Le partage du fardeau a été mis au coeur du débat par les États-Unis depuis Barack Obama. Si les progrès vers l'objectif de dépenses militaires à hauteur de 2 % du PIB en 2025 sont notables, l'Allemagne ne consacre que 1,2 % de son PIB à la défense, contre 1,8% pour la France. Le sujet de la juste contribution de chacun au financement de sa défense rejoint celui d'une défense européenne commune. L'Europe doit se renforcer comme pilier européen de l'OTAN et au sein de l'Union européenne.
Ma seconde interrogation est d'ordre stratégique : comment les 29 membres peuvent-ils agir de concert quand leurs intérêts politiques et géostratégiques divergent ? Il faut une confiance mutuelle, laquelle repose sur la clarification des priorités stratégiques de certains membres. La relation militaire et diplomatique entre la Turquie et la Russie, ainsi que l'opération militaire turque contre les combattants kurdes qui ont lutté contre Daech nous interrogent. M. Erdogan partage-t-il encore des valeurs et des intérêts communs avec nous ? Et c'est un ami de la Turquie qui vous le dit... Le président turc marchande son soutien au renforcement de la protection du flanc ouest et à l'adoption de sa propre définition du terrorisme.
Ma troisième question porte sur la solidarité entre États membres, notamment quand l'un d'entre eux décide d'agir pour assurer la sécurité de tous. Qu'en est-il des opérations françaises au Sahel contre la menace djihadiste qui prétend détruire l'Occident ? La France a déployé 4 500 soldats, seule, sur un théâtre d'opérations aussi grand que l'Europe. L'Allemagne, seconde contributrice, emploie au minimum ses forces. Est-ce légitime dans un contexte de menace croissante ? Nous devons développer une doctrine d'emploi de nos forces et préciser nos règles de solidarité.
Je veux appuyer le rappel de Richard Yung sur le G5 Sahel. Nous ne pouvons pas partir du Sahel, ce serait le chaos et le reniement du travail utile, parfois ultime, que nous faisons. Pour autant, on ne peut pas continuer comme si de rien n'était. Chacun doit prendre ses responsabilités dans la sécurité et le développement. J'ai bien connu le Mali avant la guerre, j'y ai noué des amitiés. Nous y sommes trop seuls.
Les documents de planification de l'OTAN s'appuient sur un concept stratégique qui n'a pas été révisé depuis 2010. Quel sens donner à l'Alliance si le principe fondateur de l'article 5 du traité, l'assistance à un membre attaqué, est mis en doute par le membre principal, les États-Unis ?
L'Alliance doit s'interroger sur sa raison d'être. Elle ne doit pas hésiter à agir hors de l'Atlantique Nord. L'OTAN ne me paraît légitime que si elle inscrit son action dans une vision à 360°. Il faut seconder les alliés qui agissent souvent seuls.
Il faut redynamiser notre traité. Ce n'est possible qu'en discutant en interne, avec la Turquie. Sans quoi cette alliance sera disloquée, après la plus longue période de paix que l'Europe ait connue, et pour laquelle des soldats sont morts, et meurent encore. (Applaudissements des travées du groupe SOCR jusqu'aux travées du groupe Les Républicains)
M. Christian Cambon . - Sur les murs de la chapelle de Colleville-sur-mer, où reposent 10 000 jeunes américains, figurent ces mots : « Leurs tombes sont le symbole éternel de leur héroïsme et de leur sacrifice à la cause commune de l'humanité. »
La relation transatlantique est à la genèse de l'OTAN depuis l'indépendance des États-Unis. La fraternité transatlantique n'a jamais été démentie. Mais notre combat commun est plus qu'un engagement militaire. C'est la défense de valeurs communes, dont la liberté des peuples et le respect de la personne humaine. L'OTAN est un outil militaire et un concept politique.
L'intervention du président de la République au sommet de Londres a été particulièrement vive, mais elle était nécessaire. Auparavant le débat se limitait à des dépenses et à un quasi-partenariat commercial. Il faut que l'OTAN intègre les menaces d'aujourd'hui.
Pour bâtir l'architecture globale de la défense de l'Europe, il faut intégrer la Russie et les États-Unis aux discussions, sans naïveté ni dogmatisme. L'Alliance atlantique sera forte si elle repose sur deux piliers forts, de part et d'autre de l'Atlantique. C'est ce que nous devons faire accepter aux États-Unis, et faire comprendre à nos amis européens. L'OTAN doit analyser les menaces. L'Europe est victime des terroristes. Mais la définition diffère avec la Turquie dont le positionnement devra être clarifié. Quelles seront les conséquences de l'acquisition de S-400 russes par la Turquie ?
Il est indispensable que les membres de l'Union européenne avancent ensemble. Nous devons trouver sans arrogance les voies pour construire brique après brique une véritable défense européenne, sans négliger nos alliés baltes, inquiets de la réouverture du dialogue avec la Russie.
Jamais le monde n'a été aussi dangereux, aussi instable. La première demande de nos concitoyens, c'est la sécurité. Soyez sûr, monsieur le ministre, que la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat travaillera à vos côtés pour contribuer à la paix et à la sécurité. (Applaudissements des travées du groupe SOCR jusqu'aux travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Une semaine après le sommet de Londres, je suis très heureux que le Sénat se saisisse de la question de l'avenir de l'OTAN, et je remercie Pierre Laurent. Nous sommes partis d'un constat : l'Alliance est dans une situation de trouble politique.
Il y a un enjeu de confiance sur la force de la relation transatlantique. Le président des États-Unis et son prédécesseur ont fait de l'Asie le pivot de leur stratégie. Cela a rendu l'Alliance transatlantique incertaine même si, paradoxalement, les forces américaines ont été renforcées en Europe.
Le retrait sans consultation des forces militaires des États-Unis du nord-est syrien a créé un autre trouble, posant problème pour la solidarité entre les partenaires de l'OTAN. L'offensive turque en Syrie a visé nos partenaires de la coalition contre Daech. Ce n'est pas acceptable, d'autant que nous n'en avions pas parlé au préalable.
L'environnement stratégique européen est rendu plus complexe par des menaces plus nombreuses. Or les Européens n'agissent pas assez en faveur de la défense.
La France a souhaité engager un débat stratégique au sein de l'OTAN. Lors de la réunion interministérielle du 20 novembre, j'ai souhaité, avec mon homologue allemand Heiko Maas, qu'il s'engage dès le sommet de Londres. Cela a été le cas, avec Donald Trump, Recep Tayyip Erdogan, Angela Merkel et Boris Johnson. Il se poursuivra.
Ce débat portera sur trois enjeux fondamentaux. Son premier enjeu est la définition des finalités stratégiques de l'Alliance, ce qui implique une vision partagée, et de s'accorder sur la question : qui est l'ennemi ? Le contexte est différent de celui lors de la création de l'OTAN puisque le pacte de Varsovie a été dissous.
La Russie est une menace. C'est une réalité dans le domaine cyber et cela peut l'être aussi pour son voisinage, comme on l'a vu en Ukraine. Mais la Russie est aussi un voisin et un partenaire potentiel. C'est pourquoi le président de la République a initié au sommet de Brégançon une démarche de confiance. La montée en puissance militaire et technologique de la Chine impose une réflexion stratégique, mais ce pays n'est pas l'objet désigné de notre défense collective.
Le premier ennemi, ce sont les groupes terroristes, au Levant et au Sahel. Le sommet dit de Barkhane qui devait se tenir lundi à Pau a été reporté après la mort de 71 soldats nigériens hier soir dans une attaque terroriste. Il aura lieu début 2020, pour que les autorités nigériennes puissent mener leur deuil.
Dans le Sahel, il doit y avoir une clarification avec les pays du G5 et une remobilisation. Nous devons poursuivre ensemble notre combat contre le terrorisme, solidaires, apprécier les nouvelles modalités de mobilisation militaire et de coordination. Chacun, dans les pays concernés, doit prendre les engagements nécessaires, notamment pour les accords de paix au Mali.
La remobilisation passe par le développement mais aussi l'implication européenne. Nous avons invité lors de ce prochain sommet le haut représentant de l'Union européenne, Josep Borrell, et le président de la commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat.
La contribution des Européens à l'Alliance atlantique est un deuxième enjeu. Le temps où l'Europe comptait sur d'autres pour assurer sa sécurité est révolu. L'Union européenne doit renforcer ses responsabilités.
Monsieur Vallini et monsieur Cambon, Vous avez évoqué l'européanisation de l'OTAN. C'est le sens de nos initiatives. Nos efforts pour une coopération structurée permanente sont soutenus par de nombreux pays européens. Si la présidence finlandaise a souhaité réduire la contribution européenne à l'OTAN, ce n'est pas notre volonté.
M. Christian Cambon, président de la commission. - J'espère bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Nous devons reconstruire un agenda et un cadre de droit de la maîtrise des armements.
En novembre 2020, nous fêterons les 30 ans de la Charte de Paris reprenant les dix principes d'Helsinki de 1975, et réfléchirons ensemble à la sécurité collective européenne.
Avec la suppression du traité sur les forces conventionnelles en Europe, et de celui sur les armes intermédiaires, nous devons prendre des initiatives pour relancer l'architecture européenne de sécurité collective. Sinon l'Europe risque d'être un théâtre inactif.
Les budgets de défense européens montent en puissance, mais nous devons être plus proactifs.
Dernier enjeu, nos droits et devoirs d'alliés : confiance, solidarité, responsabilité. Il faut plus de concertation. Un allié - la Turquie - ne peut pas intervenir contre nos alliés ni acheter du matériel hors de l'Alliance, ni empiéter sur la souveraineté d'un membre de celle-ci comme la Grèce - je pense au traité que la Turquie a signé avec la Libye, qui soulève beaucoup d'inquiétudes.
À l'issue du sommet de Londres, je constate que nous avons obtenu des résultats. Un groupe de travail va se mettre en place sur la refondation stratégique de l'OTAN et proposer des pistes concrètes.
À Londres, le président de la République a réaffirmé le sens de l'article 5. Je rappelle qu'il a été activé une seule fois, en 2001, pour aider les États-Unis, victimes de l'agression que constituaient les attaques du 11 septembre.
Vis-à-vis de la Russie, nous avons rappelé la politique d'équilibre nécessaire. Le dialogue doit faire avancer des dossiers tels que l'Ukraine. Un sommet, le premier depuis trois ans, s'est tenu en format Normandie sur le Donbass. Un nouveau rendez-vous a été fixé dans quatre mois.
Les discussions sur la Turquie ont apporté des clarifications. Le PYD ne peut pas être classé comme organisation terroriste.
Nous avons affirmé nos divergences sur la Libye et la Syrie mais continuons à dialoguer, notamment dans le format nouveau initié à Londres entre la Turquie, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Une réunion de suivi se tiendra à Istanbul en février prochain.
La compatibilité du système S-400 acheté par la Turquie à la Russie avec ceux des autres alliés devra faire l'objet de réflexions car c'est absolument stratégique.
Enfin, notre message d'un rééquilibrage au sein de l'Alliance pour les Européens a été entendu. Le débat doit se poursuivre pour la réadaptation de l'Alliance. (Applaudissements sur toutes les travées)
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
La séance est suspendue à midi.
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
La séance reprend à 14 h 30.
Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la résilience alimentaire des territoires et à la sécurité nationale.
Discussion générale
Mme Françoise Laborde, auteure de la proposition de résolution . - Le sujet de la résilience alimentaire n'est pas nouveau. Il a été évoqué par plusieurs rapports du Sénat.
La proposition de résolution traite de ce sujet à l'aune de la sécurité nationale. Le rapport de Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, pour la délégation sénatoriale à la prospective, traite de la nécessaire évolution de nos modes de production agricole face aux difficultés hydriques à venir ; celui de Guillaume Arnell sur les risques naturels majeurs outre-mer, évoque la vulnérabilité des territoires ultramarins ; face au risque alimentaire, en raison de la pénurie de production et de la dépendance aux approvisionnements.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a également travaillé sur le sujet et publié un rapport en 2017 sur la nécessité de repenser l'aménagement du territoire face au changement climatique. Yvon Collin, en 2012, avait aussi publié un rapport sur le défi alimentaire à l'horizon 2050, mettant en exergue l'importance de la préparation des pouvoirs publics.
Donc, nous n'inventions rien et je tiens à vous rassurer, je ne suis pas devenu collapsologue ! (Sourires) Je n'ai pas sombré dans le pessimisme mais il nous faut réinvestir le champ de notre responsabilité d'élus, trop longtemps oubliée, consistant à pourvoir à l'alimentation de nos concitoyens.
Stéphane Linou, pionnier du mouvement Locavore, et ancien conseiller général de l'Aude, alerte depuis des années les populations, les administrations et les élus, sur l'importance de l'alimentation en circuit court au regard de la sécurité nationale. Son dernier rapport, édifiant, montre que nous sommes confrontés à un risque sérieux mais qui n'a jamais été envisagé en tant que tel et encore moins évalué.
Si le « bien manger » s'est imposé comme une priorité, la résilience alimentaire, envisagée sous l'angle de la sécurité, n'est pas pensée. Or production et consommation ne sont plus territorialisées. Toutes les zones rurales, vulnérables, sont « alimentairement malades ». La question de la production alimentaire n'est pas analysée à l'aune de la sécurité. Nous sommes incapables, en cas de crise, d'assurer notre subsistance. L'exécutif ne dispose que de plans d'urgence comme le plan Orsec, mais, bien qu'efficace, il ne propose pas une réponse satisfaisante en cas de crise systémique durable.
Pour répondre aux exigences de production, d'alimentation et de protection de la population, il faut d'abord forger une stratégie de territorialisation des productions alimentaires. Pour ce faire, il faut revoir les lois de modernisation de la sécurité civile et la loi de programmation militaire pour y intégrer le foncier nourricier. Il faut aussi relocaliser nos productions.
Un appel a été signé le 27 novembre en ce sens par des ONG et des fédérations agricoles dont la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), la Confédération paysanne et l'Assemblée des chambres d'agriculture. Les autorités - élus et institutions - doivent garantir l'existence d'une chaîne résiliente entre foncier agricole et consommateur, ce dernier devant être invité à acheter local.
Tel est l'objet de cette proposition de résolution, qui ouvre un débat et fait oeuvre de pédagogie.
Avec les membres du groupe RDSE, je vous demande de l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées du groupe UC)
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Cette proposition de résolution aborde la question essentielle de l'autonomie alimentaire de nos territoires à travers un prisme inédit. La résilience est définie comme la capacité à s'adapter à des aléas - climatiques comme économiques - menaçants.
Il est nécessaire de repenser notre modèle de production et de consommation, compte tenu des évaluations climatiques et des risques pendants. La question sanitaire doit également être prise en compte. Le 6 avril 2016, nous avons fait voter une proposition de résolution sur l'assurance récolte et la mutualisation des risques économiques en agriculture.
Dans une proposition de loi du 30 juin 2016, nous mettions en place des fonds de stabilisation des revenus agricoles dans chaque région. Dans une proposition de résolution, hélas rejetée le 12 décembre 2018, nous proposions d'aller plus loin : encourager le développement de paiements pour services environnementaux (PSE) et rémunérer ainsi les pratiques agricoles favorables à l'environnement. Il faut remédier à notre dépendance aux matières premières importées et recentrer notre production et nos emplois sur les territoires.
Les cent principales aires urbaines ont une autonomie alimentaire de 2 % en moyenne ; ce qui signifie que seulement 2 % de la production agricole locale se retrouve dans les assiettes ! Avec 8 % d'indépendance alimentaire, Avignon fait figure de bon élève. Le degré d'autonomie alimentaire de l'aire urbaine de Saint-Etienne n'atteint que 1,7 %.
Dans nos territoires ruraux, on observe ainsi un ballet de camions de la grande distribution, justement pointé dans l'exposé des motifs de cette proposition de résolution. L'objectif de 50 % d'autonomie alimentaire est atteignable, y compris dans les aires urbaines. Ne manque que la volonté politique ! Les zones les plus denses comme Paris, Lyon et Marseille devront être accompagnées. Élus locaux et citoyens doivent se mobiliser.
Se fondant sur les travaux de Stéphane Linou, pionnier du « manger local » en France, les auteurs de la proposition de résolution ont choisi de placer leur réflexion sur le thème de la sécurité : outre les aléas climatiques et les crises économiques, sont visés les risques de blocages dus notamment à des troubles à l'ordre public. Cette approche aurait été jugée catastrophiste, voire aurait pu prêter à sourire, il y a quelques années, mais les bouleversements climatiques anticipés ne ressortissent désormais plus de la science-fiction. Le risque de canicules simultanées dans l'hémisphère nord est multiplié par 20, selon une étude de l'Institut sur le changement climatique de Potsdam.
Je m'interroge, en revanche, sur le choix de la reconnaissance de l'agriculture comme secteur d'activité d'importance vitale (SAIV). Cet outil est-il vraiment pertinent ? Comment encouragera-t-il la relocalisation de la production ?
En outre, l'alimentation est déjà reconnue comme SAIV. Le ministère de l'Agriculture a publié un guide sur le sujet en 2014. S'agit-il d'un élargissement du SAIV existant ou de la création d'une nouvelle catégorie ?
La préservation des terres et la protection des agriculteurs doivent être une priorité nationale. Le ministère de l'Agriculture doit prendre en compte les enjeux discutés aujourd'hui.
Le groupe socialiste votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
M. François Bonhomme . - Cette proposition de résolution met en exergue une réalité indiscutable. Sécheresses, catastrophes naturelles, inondations : les agriculteurs doivent faire face à de nombreux aléas climatiques.
L'État a ponctionné, hélas, le fonds de prévention des risques naturels majeurs, comme le regrettaient nos collègues Vaspart et Bonnefoy dans leur rapport.
Les communes constituent le premier échelon permettant de prévenir les catastrophes naturelles. Victoire Jasmin et Guillaume Arnell rappelaient, pour leur part, la fragilité des territoires d'outre-mer : seules trois communes de Guyane disposent d'un plan de sauvegarde, une seule commune à Mayotte et à La Réunion.
Certes, les plans Orsec existent, mais ils sont insuffisants. Leur efficacité pratique dépend de la capacité d'anticipation des communes. Cependant, cette proposition de résolution ressort d'une vision quelque peu collectiviste. Les agriculteurs n'ont pas attendu l'État pour développer les circuits courts et la production biologique. Ces évolutions devraient favoriser l'autonomie alimentaire des territoires. La proposition de résolution fait en outre l'impasse sur les plans de prévention déjà en place.
Comme la plupart des membres de mon groupe, je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Paul Émorine. - Très bien !
M. Dominique Théophile . - Je remercie Mme Laborde et le groupe RDSE pour son initiative. Le sujet n'est pas nouveau, mais il est de plus en plus discuté au regard des aléas climatiques et politiques auxquels sont confrontés nos territoires.
Ce texte est un premier pas pour développer une culture du risque, mieux protéger le foncier agricole et renforcer l'autonomie alimentaire des territoires. La proposition de résolution suggère de modifier la loi de programmation militaire et la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004.
L'actualité vous donne raison. En août 2019, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) s'est penché sur ce sujet dans le cadre de son rapport spécial sur les terres émergées. Il a constaté les incidences sur les quatre piliers de la sécurité alimentaire : disponibilité des produits agricoles ; accès la nourriture ; utilisation qui en est faite et stabilité des approvisionnements.
Les institutions et les ONG qui oeuvrent auprès des populations les plus démunies s'y intéressent aussi. Il est apparu nécessaire de faire évoluer nos politiques d'urgence et de traiter la sécurité alimentaire de manière plus intégrale et durable, dans les pays pauvres comme en France.
Notre système alimentaire est vulnérable. Il l'est plus encore outre-mer, confronté à des crises politiques et climatiques : l'ouragan Irma par exemple. Le manque de réserve de nourriture a conduit à des pillages, en septembre 2017, à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, dans les heures et les jours qui ont suivi la catastrophe.
En 2018, à cause des sargasses, les îles de la Désirade et de Terres de Bas aux Saintes en Guadeloupe, ont été coupées du monde. En décembre 2018, l'île de La Réunion a connu elle aussi une rupture d'approvisionnement de biens de première nécessité en raison du mouvement des gilets jaunes. Près d'un millier de conteneurs, contenant des produits frais, des matières premières destinées à la fabrication d'alimentation animale ou des médicaments et du matériel médical, sont ainsi restés en attente de livraison.
Or, dans ces territoires, seul un quart des marchandises vendues sont produites localement. Il faut encourager la diversification de la production locale.
Le groupe LaREM votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et SOCR, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
M. Fabien Gay . - Avec Marie-Noëlle Lienemann, notre corps et notre esprit sont ici, mais notre coeur est avec celles et ceux qui manifestent contre votre réforme des retraites, monsieur le ministre...
M. le président. - Venez-en au sujet...
M. Fabien Gay. - J'y suis ! Le scénario de l'effondrement est de plus en plus présent dans notre société : successions d'évènements climatiques extrêmes, rapports du GIEC, du Haut Conseil pour le climat et de toutes les instances mesurant les effets de l'action humaine sur le climat, surexploitation irrationnelle de ressources naturelles finies... Cela provoque désespoir, colère, sidération, voire dépression chez nos concitoyens.
Mme Françoise Laborde. - Je n'en suis pas là !
M. Fabien Gay. - L'urgence n'a jamais été aussi prégnante. La peur du futur est devenue une peur très présente, voire quotidienne. Elle peut vous tétaniser. Pour 60 % de nos concitoyens, les conditions de vie sont dégradées. À quoi bon si le monde de demain, c'est Mad Max ? (M. Roger Karoutchi rit.) Il ne faut pas renoncer...
M. Roger Karoutchi. - Ni exagérer !
M. Fabien Gay. - Mais nous pouvons encore agir !
M. Roger Karoutchi. - Absolument !
M. Fabien Gay. - Oui, des centaines de milliers de gens marchent pour le climat, des milliers de jeunes se mobilisent et agissent ; ils montrent qu'une autre manière de vivre est possible. Nous ne partageons pas le point de départ de la proposition de résolution.
Les petites exploitations, jugées moins rentables, ont fermé à cause de la libéralisation des marchés agricoles, or ce sont elles qui font une production de qualité, et réinvestissent les campagnes. Il faut relocaliser la production, assouplir les règles des marchés publics, en faveur des circuits courts, réinvestir les campagnes avec une agriculture à visage humain. Ainsi, nous pouvons éviter la fracture alimentaire et sociale.
Il faut renoncer aux grands traités internationaux de libre-échange, tels que le CETA, le Mercosur ou le Jefta. Certains peuvent monter en gamme, mais pendant ce temps, les autres mangent mal. La peur ne peut pas être un moteur mais la proposition de résolution est pertinente.
Il faut que les acteurs s'en emparent pour élaborer un plan de résilience alimentaire. La perte du lien entre territoires de production et de consommation est réelle. Le foncier agricole est menacé. Relocaliser la production, passer à l'agriculture biologique, privilégier les circuits courts, cartographier réseaux de producteurs, de transports et de distribution : telles sont les réponses au défi social et environnemental systémique et au défi climatique. Le prisme sécuritaire de la proposition de résolution ne nous convient pas.
C'est une démarche holistique qu'il faut adopter. (Exclamations sur les travées du groupe RDSE)
La majorité du groupe CRCE s'abstiendra et quelques membres voteront pour cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées des groupes SOCR, RDSE et UC)
M. Franck Menonville . - Chaque jour, nous recevons des images de personnes souffrant des désastres de la faim, dans des pays meurtris par des conflits et des guerres. Mais la faim est aussi parfois à l'origine de crises.
La France a conquis sa souveraineté alimentaire grâce à son agriculture. Elle demeure la première agriculture européenne et l'une des plus diversifiées au monde. Le discours du RDSE est trop alarmiste mais la proposition de résolution est pertinente.
Mondialisation des échanges et dérèglement climatique transformeront nos agricultures et notre consommation.
Il n'y a pas si longtemps, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France souffrait massivement de la faim. Elle est parvenue à l'éradiquer grâce à une agriculture robuste, moderne et performante.
L'agriculture a constitué le premier pilier de l'Union européenne, avec la création de la PAC. Souvenons-nous d'où nous venons, pour comprendre où nous allons. La France peut être fière de son agriculture. Alors que notre déficit commercial est structurel, notre industrie agroalimentaire présente une balance commerciale positive.
Notre pays, premier producteur européen, devant l'Allemagne et l'Italie, est autosuffisant, même si cela ne signifie pas nécessairement résilience, tout comme autonomie ne signifie pas autarcie.
Ne cédons pas au chant des sirènes du localisme, ce serait réducteur. Développement de nos capacités de production et échanges avec nos partenaires européens ont assuré notre succès.
Certes, la place des importations dans notre alimentation augmente. Nous devons être mobilisés.
La terre comptera 10 milliards d'habitants en 2050. Comment pourra-t-on les nourrir ?
Notre agriculture, jugée à la pointe en matière environnementale, et parmi les plus durables au monde, peut encore gagner en productivité. Tout ce qui renforce le local va dans le bon sens.
Il faut rendre les modèles complémentaires et les combiner, au lieu de les opposer.
Nous partageons les objectifs généraux de cette proposition de résolution mais pas sa philosophie.
Mme Françoise Férat . - Je tiens à remercier Françoise Laborde : notre alimentation est un sujet fondamental et quotidien.
Cette proposition de résolution démontre qu'une grande loi agricole est nécessaire, et notamment une loi sur le foncier agricole. (Mme Françoise Laborde approuve.) Le foncier agricole doit être protégé. Nous appelons aussi à une réflexion sur la modernisation des outils de gestion de la production et du foncier.
Nous voulons une fiscalité qui soutient la transmission des terres agricoles. Le développement des circuits courts améliore les revenus des agriculteurs.
Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont des outils fondamentaux, aux mains des collectivités.
La référence à la loi de programmation militaire m'a surprise et va faire sursauter les agriculteurs, qui sont déjà soumis à suffisamment d'impératifs.
Il est contradictoire de vouloir une localisation stricte des productions et de devoir nourrir 10 milliards d'habitants.
En tant qu'élus des territoires, nous devons prendre garde à ce que les textes que nous votons prennent la mesure des difficultés actuelles des agriculteurs, comme la proposition de loi que nous examinerons tout à l'heure. L'agribashing ambiant doit être combattu.
Les votes centristes seront partagés ; à titre personnel je ne voterai pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Chantal Deseyne . - (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de résolution trouve son origine dans un mémoire de recherche, Résilience alimentaire et sécurité nationale, enquête au sein des milieux de l'agriculture, de la sécurité, de l'armée et de l'alimentation. Elle souligne le risque systémique majeur en cas de catastrophe. Ce risque est rare.
En outre, le plan Orsec permet de faire face à tout type de situation d'urgence.
Cette proposition de résolution dénonce les incidences de « la logique de marché » sur le foncier agricole. Faut-il aller vers le collectivisme soviétique de sinistre mémoire ? (M. Joël Labbé proteste.) Il faut respecter le droit de propriété !
Le foncier agricole ne serait pas protégé contre « l'accaparement par des puissances étrangères ». Mais la loi du 20 mars 2017 a renforcé la transparence des nouvelles acquisitions.
Mieux vaut être à l'écoute des agriculteurs, pour construire des solutions répondant à leurs besoins. Les opérateurs d'importance vitale ont pour obligation d'analyser les risques et de prévoir un plan de sécurité, en identifiant les points d'importance vitale qui feront l'objet d'un plan de protection à la charge du préfet. Les agriculteurs ont toujours eu un rôle vital pour les populations sans qu'il soit nécessaire d'en faire formellement des opérateurs d'importance vitale.
Ne mettons pas les agriculteurs sous la tutelle de l'État !
Je ne voterai pas cette proposition de résolution qui instrumentalise les peurs. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Résilience alimentaire et protection des populations marchent apparemment ensemble. Oui, la logique du marché fragilise la préservation des terres arables, et les solidarités territoriales. D'accord aussi avec les autres constats de l'excellent rapport Roux-Dantec, qui nous a tous ébranlés.
Il faut s'organiser collectivement pour faire face aux pénuries d'eau, encore d'accord.
En cela, cette proposition de résolution obtient ma totale adhésion...
Mme Françoise Laborde. - Très bien !
Mme Nadia Sollogoub. - Hélas, il y a un « mais » ! La notion de bien commun se heurte au droit de propriété. Faire référence à la loi de programmation militaire inquiète les agriculteurs qui redoutent des lourdeurs administratives. Le ministère des Armées, le ministère de l'Intérieur ont-t-ils été consultés ?
Cette proposition de résolution envoie un message de repli sur soi. Un producteur de la Nièvre m'a rappelé qu'il produisait pour 1 000 personnes dans un village de 200 habitants. Les circuits courts ont leurs limites. Si l'on pousse la logique jusqu'au bout, il faudrait renoncer au café !
Cela dit, votre proposition a le mérite de nous faire réfléchir. Le groupe UC sera partagé, un vrai vote de centristes ! (Sourires) Pour ma part, je m'abstiendrai. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
M. Guillaume Chevrollier . - En 2050, il faudra nourrir 10 milliards de personnes dans un contexte de changement climatique qui accentuera la pression sur les terres agricoles. Seules les puissances qui auront préparé leur agriculture seront sereines.
La France est-elle capable d'être autonome ? Il est de la responsabilité de l'État de garantir notre souveraineté alimentaire, « ardente obligation » selon le général de Gaulle. Est-il normal, monsieur le ministre, que l'économat des armées ne s'approvisionne pas seulement auprès des agriculteurs français ?
Nous nous sommes retrouvés, dans la mondialisation, nantis de multiples normes, face à des concurrents ne respectant aucune règle. Le rapport Primas-Duplomb détaillait les menaces pesant sur notre agriculture. Les importations agricoles et alimentaires augmentent, alors que 8 % à 12 % des produits importés ne respectent pas les normes européennes. C'est à la fois un problème de sécurité sanitaire et de concurrence déloyale.
Plutôt qu'un simili Gosplan - collectiviste - il faut lutter pour l'agriculture et contre l'agribashing, en bon français !
La loi EGalim a suscité l'espoir mais les agriculteurs n'ont eu aucun retour financier.
L'État doit agir pour que notre agriculture soit plus compétitive. Or la loi EGalim n'améliore pas le revenu des agriculteurs et déstabilise les filières.
Il faut que l'agriculture française se redresse et elle n'a aucune raison de ne pas y arriver. Garantissons notre autosuffisance alimentaire ! La France en est capable.
Les orientations proposées sont inadaptées. C'est pourquoi une majorité des membres du groupe Les Républicains votera contre cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Joël Labbé . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Cette proposition de résolution traite d'un enjeu essentiel de sécurité nationale, la résilience alimentaire. Je salue l'initiative de Mme Laborde qui a entraîné le groupe RDSE. Ce n'est qu'une proposition de résolution, il convient de le souligner.
L'importance de la résilience alimentaire en matière de sécurité civile a été oubliée, alors que les aléas climatiques sont de plus en plus nombreux et graves, que les pénuries d'eau sont de plus en plus d'actualité. Villes et campagnes, sous perfusion des grandes surfaces et de leurs systèmes logistiques, ne sont pas préparées : l'autonomie est de 2 % pour les aires urbaines, guère plus pour les territoires ruraux.
Les outre-mer, comme l'a souligné Dominique Théophile, sont particulièrement concernés, en raison de leur dépendance aux importations et de leur vulnérabilité face aux aléas climatiques.
Les plans Orsec, prévus pour des crises exceptionnelles, sont insuffisants pour des risques systémiques. Toutes ces questions ont été mises en lumière par M. Stéphane Linou, présent aujourd'hui en tribune, et qui vient d'être lauréat d'un prix national sur la prévention et la résilience. De nombreux militaires se sont montrés intéressés par son travail.
La résolution fait des recommandations pertinentes : préparation des populations, intégration du lien entre questions militaires et alimentaires, notamment par l'inclusion de la production alimentaire et du foncier agricole dans les secteurs d'importance vitale.
La relocalisation d'une majeure partie de l'alimentation est essentielle. Les PAT et l'approvisionnement local de la restauration collective sont des premiers pas. Mais il faut aller plus loin, en agissant sur le foncier et en développant localement des systèmes agricoles résilients.
Ces questions font écho à trois colloques auxquels j'ai participé : un à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur la reterritorialisation de l'alimentation - eh oui, monsieur le ministre, nos chercheurs travaillent sur ces sujets - un autre à l'Assemblée nationale à l'initiative du député Potier intitulé « Partager et protéger la terre, plaidoyer pour une loi foncière » - car le foncier nourricier est un bien stratégique qu'il faut protéger - et un dernier organisé par l'Association française des sols à Vannes sur l'érosion des sols.
J'ai compris qu'il n'y aurait pas de majorité sur ce texte. (Dénégations sur les travées socialistes)
M. Jean-Paul Émorine. - En effet !
M. Joël Labbé. - Mais c'est une simple résolution qui donne un signal fort aux agriculteurs. Ce n'est en rien une collectivisation comme je l'ai entendu. La puissance publique doit simplement jouer son rôle avant tout dans l'intérêt des agriculteurs.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Joël Labbé. - Qui sait ? Il y aura peut-être un miracle à la veille de Noël ! (Sourires ; applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR, CRCE et LaREM)
M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Merci pour cette proposition de résolution qui permet de mettre le débat sur la table. J'ai lu votre rapport. Le sujet de la résilience alimentaire des territoires, en lien avec la sécurité nationale, est essentiel.
Nous partageons également l'ambition de conserver nos terres, de préserver notre souveraineté alimentaire et de garder nos agriculteurs partout en France : la cohabitation avec les autres habitants doit continuer à bien se passer. Je dis partout en France métropolitaine et outre-mer, car, comme l'a souligné Dominique Théophile, ces territoires sont les plus touchés.
Le dérèglement climatique est plus présent que jamais ; face à lui, l'agriculture n'est pas un problème, mais une solution avec l'agroécologie et la couverture des sols.
Cette semaine, à Madrid, pour la COP25, je suis intervenu au sujet de l'initiative « 4 pour 1 000 » portée par la France pour l'enrichissement des sols. Il n'y aura pas d'agriculture durable sans agroécologie.
Interrogeons-nous sur la cohabitation entre agriculture d'une part et logements et infrastructures d'autre part. Tous, nous avons construit des lotissements et des zones d'activités autour de nos communes ; je ne jette la pierre à personne. Mais dans le Var et les Alpes-Maritimes où j'étais lundi, j'ai vu le résultat d'inondations en grande partie liées à l'artificialisation des sols qui constituent dès lors de véritables autoroutes pour l'eau ! C'est pourquoi j'ai annoncé une loi foncière au congrès de la Fédération nationale des Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). Nous avons reçu plus de 400 contributions et nous sommes en train de lister les sujets de consensus et les questions les plus débattues. Tout ce qui relèvera du règlementaire fera l'objet d'un décret pris au plus vite. Zéro artificialisation nette des sols, tel est notre objectif.
Il faut aussi permettre la transmission des exploitations et l'installation des jeunes. Je travaille sur un projet de décret pour éviter l'achat de nos terres par de grands groupes étrangers qui s'accaparent notre foncier. Il faut protéger notre agriculture française, qui est une des plus saines, sûres et durables du monde.
Les ressources hydriques vont manquer, comme le rapport Dantec-Roux l'a souligné. Le groupe RDSE est décidément très proactif sur le sujet...
Avec Bruno Le Maire, nous travaillons sur un pacte productif pour renforcer la souveraineté alimentaire et la compétitivité, qui ne doivent pas être opposées.
N'opposons pas les systèmes agricoles, les circuits courts et l'agriculture conventionnelle. Évitons que les riches du Nord s'alimentent bien, et les pauvres du Sud mal.
Allons-nous assez loin dans la consolidation de notre ancrage alimentaire ? Les 74 projets alimentaires territoriaux y contribuent dans 47 départements métropolitains et ultramarins. Faisons vibrer les couleurs républicaines à travers le patriotisme alimentaire. Le consommateur qui pousse son caddie dans un supermarché achète ce qu'il veut, mais il doit savoir ce qu'il achète : il ne doit pas y avoir d'étiquette bleu-blanc-rouge s'il n'y a dans ce qu'il contient que le sel et le poivre qui soient français...
Dans le cadre des projets alimentaires territoriaux et de la restauration collective - scolaire, hospitalière, Ehpad, armée - il convient de prolonger ce mouvement.
Il faut développer l'agriculture périurbaine autour des métropoles pour alimenter les cantines scolaires. Donnons-nous en les moyens. 50 % de signes officiels de qualité (SIQO) et 20 % de bio, c'est atteignable.
Nous allons mettre en place un grand plan Protéines végétales qui sera lancé en 2020 et que j'ai présenté devant l'Union européenne. Nous ne pouvons plus continuer à importer des tourteaux de soja OGM d'Amérique du Sud.
Le rapport du Sénat « Se nourrir en 2050 » nous aidera. Il est important que ce débat sur la résilience alimentaire ait eu lieu, même si cette proposition de résolution ne sera peut-être pas adoptée. Nous devons avancer sur la sécurité de notre agriculture. Faisons évoluer en profondeur les mentalités. Le Gouvernement est pleinement investi. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC)
À la demande du groupe RDSE, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°60 :
Nombre de votants | 322 |
Nombre de suffrages exprimés | 298 |
Pour l'adoption | 141 |
Contre | 157 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 heures.
Prévenir le suicide des agriculteurs
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs.
Discussion générale
M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi . - Le compteur tourne - celui des vies arrachées par le sang de la terre, du prix non rémunérateur, du travail acharné qui ne paie plus, de l'aléa qui peut faire tout basculer, d'un endettement qui vient étouffer la vie de l'exploitant et de sa famille, de la peur de recevoir une énième mise en demeure avant saisie, des agressions par des associations - mais aussi d'une administration devenue frileuse qui gère des dossiers avant de parler à des femmes et à des hommes. Et lentement c'est le burn-out. Comment lutter contre le suicide des agriculteurs ?
La loi EGalim avait cerné le coeur du problème : celui du juste partage de la valeur, à la hauteur du travail réalisé, mais la loi du marché a repris le dessus. Oublié le réveil à 5 heures pour traire ou cueillir les légumes, oubliées les factures de semis, de matériel, les traites aux fournisseurs. Il n'y a plus de valeur travail qui tienne.
Il y a quelques mois, ma collègue Nicole Bonnefoy avait cité les noms des agricultrices et agriculteurs décédés de maladies causées par les produits phytopharmaceutiques. J'aurais voulu faire la même chose, mais le nombre est trop grand : un agriculteur se suicide par jour.
En septembre dernier, la Mutualité sociale agricole (MSA) a publié des chiffres effrayants : 605 suicides en 2015 ! Il faut agir, vite. Cette proposition de loi a été faite avec le coeur, avec les tripes ; elle a été pensée en regardant le film d'Édouard Bergeon, Au nom de la terre, qui raconte l'histoire de son père agriculteur, de son installation, plein d'espoir, en 1979, jusqu'à son suicide après une longue descente aux enfers. Je le remercie d'avoir suscité en moi cet électrochoc qui m'a poussé à agir. Merci aussi au groupe RDSE, qui a été sensible à ma demande, à Guillaume Canet et au producteur Christophe Rossignon, qui sont venus débattre avec nous mercredi dernier, comme ils l'ont fait à l'Assemblée nationale et le feront au Parlement européen.
Des femmes m'ont contacté en nombre, m'autorisant à les citer. Séverine : « En mars 2018, mon frère a tenté de mettre fin à ses jours. Depuis, que de douleur pour toute la famille ! Un homme courageux qui ne peut vivre de son travail. Et je sais ce dont je vous parle car ma soeur et moi avons repris toute l'administration de son exploitation : trop de papiers à faire. Des délais, des dates et des larmes... ».
Sylvie et Pascal : « Le problème du suicide en agriculture est tabou. Les témoignages rares. Plus de libération de la parole réduirait sensiblement le problème. L'administration a un grand rôle à jouer. Qu'elle remette de l'humain dans ses relations avec les paysans. L'agribashing est aussi administratif. »
Pascale : « Femme d'agriculteur depuis plus de vingt ans, j'espère que vous arriverez à faire changer les choses. Mon mari n'a encore jamais sauté le pas mais j'ai passé des soirées à avoir peur. Je prenais mon téléphone, s'il ne répondait pas, je recommençais. Je pense qu'il ne s'est jamais douté de mes peurs mais elles sont bien là et on est impuissant face à ce mal-être ».
Aurore : « II serait bien que cette loi porte le nom de M. Bergeon, ou de sa femme, ou de ses enfants car ce qu'il faut dire c'est que la famille est à bout de porter les devoirs, les factures, la comptabilité, les enfants, la maison, son propre travail... Et tout le monde survit. » Ces témoignages disent, mieux que de grands discours, le problème de fond : la sous-rémunération.
J'ai voulu, sans doute maladroitement, placer les banques au coeur du dispositif et de la loi. On me dit que c'est compliqué, que l'économie n'est pas seule en cause, que la MSA est chargée de la prévention des suicides depuis 2011... D'accord. Mais il y a toujours plus de suicides d'agriculteurs, malgré les outils mis en place « Agri'écoute », opération Sentinelle, les relais vacances...
Les agriculteurs pointent une contradiction : un organisme qui prélève les cotisations, souvent sans ménagement, peut-il être celui qui vient en aide ?
Avec Françoise Férat et Sophie Primas, nous avons opté pour une motion de renvoi du texte en commission. L'objectif premier était de libérer la parole, de commencer le travail pour trouver d'autres solutions. Il faut changer de méthode. Comment apporter plus d'humanité dans les démarches administratives, les contrôles. L'enjeu est celui de l'avenir de l'agriculture et de la juste rémunération des agriculteurs. Le clivage politique ne doit pas entrer en jeu. Nous n'avons plus le temps d'opposer les agricultures et les agriculteurs. Je vois d'ailleurs avec inquiétude les syndicats s'opposer dans un débat stérile sur l'agribashing. Cessons les postures et parlons avec la voix des paysans.
Bénédicte Bergeon, mère d'Édouard, toujours exploitante vingt ans après le suicide de son époux, propose de mettre autour d'une table les banques, les experts-comptables, la MSA pour trouver ensemble des solutions. Prévoyons des aides de ménage, de garde d'enfants pour soutenir les femmes dont les maris vivent une période difficile. Elle m'a dit : « on n'arrache pas les pages, on les tourne ». Tournons-les ensemble et réécrivons la prévention.
Camille Beaurain, veuve à 24 ans, dans son livre coécrit avec le journaliste Antoine Jeandey, présent en tribune, décrit le bonheur d'une vie rurale, puis l'inquiétude, la dépression, un premier geste puis un second, fatal : « Tu ne t'es pas suicidé, tu as été tué. Tué par tous ceux qui ont voulu profiter de toi. Tué par le manque d'humanité. Tué par les institutions, par tout un système qui a vu en toi un travailleur acharné créateur de richesses auxquelles tu n'as pratiquement jamais eu accès. Notre monde est devenu fou, il tue les paysans qui l'alimentent ».
Nous sommes tous co-responsables, en acceptant l'inacceptable. Ce soir il y aura un paysan en moins. Demain, un autre... Notre devoir, c'est que cela cesse. (Applaudissements sur toutes les travées)
Mme Françoise Férat, rapporteur de la commission des affaires économiques . - Nous abordons un drame peu documenté, peu médiatisé, qui frappe les campagnes un jour sur deux, manifestation flagrante de la détresse du monde agricole : le suicide des agriculteurs. Merci à Henri Cabanel pour son initiative qui nous permet de nous saisir de cette question. Il faut maintenant trouver des solutions : les pouvoirs publics doivent en faire une priorité.
Les auditions ont dégagé trois convictions. D'abord, il s'agit d'un phénomène sous-appréhendé, avec trois études que leurs méthodologies différentes rendent impossibles à comparer : Santé publique France recense 781 décès d'exploitants agricoles par suicide entre 2007 et 2011, soit un suicide tous les deux jours - nous n'avons pas de chiffres plus récents - soit une surmortalité de 20 % par rapport à la population générale trois années sur les cinq observées.
Derrière les chiffres, froids et impersonnels, chaque histoire est singulière. Une seconde étude de Santé publique France conclut au contraire à une sous-mortalité des salariés agricoles, mais elle exclut les salariés exploitants, ce qui constitue un biais évident.
Une dernière étude, publiée par la MSA en juillet 2019, conclut à une surmortalité des assurés du régime agricole, les salariés y compris, en se concentrant sur les exploitants ayant reçu un soin dans l'année.
L'appréhension statistique est insuffisante : il faut des études fiables au législateur.
La deuxième constatation est qu'une loi ne suffira pas. La décision de mettre fin à ses jours est le résultat d'une accumulation de difficultés financières certes, mais aussi personnelles : isolement social et géographique, climat social hostile avec un agribashing qui ajoute à la pression, perte d'estime de soi, manque de reconnaissance.
La loi peut créer des dispositifs de prévention, les coordonner et les faire connaître ; mais une norme générale ne pourra répondre à des centaines de situations individuelles. La réaction ne peut être la même si l'alerte a été donnée par l'agriculteur ou par ses proches.
S'il est nécessaire que la loi intervienne pour déterminer des grands principes, elle devra le faire. Mais les actions à mettre en place relèvent surtout du terrain et du réglementaire.
Troisième constat : il faut remettre l'humain au coeur des dispositifs. Ils sont nombreux : Agri'écoute de la MSA, les cellules de prévention disciplinaires et les réseaux de sentinelles, l'aide à la relance de l'exploitation agricole. Depuis 2017, des cellules départementales rassemblent les acteurs ; dans la Marne, le dispositif Réagir coordonne les aides.
Mais il faut mieux faire connaître ces dispositifs préventifs, qui restent impersonnels. C'est une logique collective d'actions qui sauvera les agriculteurs.
Le texte présente certains défauts, notamment en faisant peser une lourde responsabilité morale, voire juridique, sur le salarié bancaire, qui devrait alerter les organismes sociaux en cas de difficultés financières graves d'un agriculteur.
En outre, sur la forme, la question des clients multibancarisés est une difficulté, comme celle des couples partageant un même compte.
Il faut agir dans l'humilité et sans précipitation. La commission des affaires économiques a choisi de ne pas adopter le texte en l'état, afin de prolonger la réflexion dans un groupe de travail, qui produira des recommandations. Je présenterai une motion en ce sens à l'issue de la discussion générale.
Un problème aussi grave ne peut rester sans solution. Le Sénat devra conduire un travail fin et précis. L'action de notre assemblée s'inscrit logiquement aux côtés de ceux qui font vivre nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, Les Indépendants et Les Républicains)
M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Merci, monsieur le sénateur Cabanel, d'avoir mis à l'ordre du jour ce texte, que vous acceptez opportunément de renvoyer en commission afin de poursuivre la réflexion.
Dans cet hémicycle comme ailleurs, il faut parler de ce fléau. Peut-on mesurer ce qui pousse un homme à mettre fin à ses jours ? Il faut respecter la singularité de ce geste, mais il a aussi des causes collectives et sociales.
En 1897, Émile Durkheim, dans son ouvrage fondateur, en faisait la démonstration : « Le suicide varie en fonction inverse du degré d'intégration des groupes sociaux dont fait partie l'individu ». C'est aussi de cela que parle la proposition de loi. Oui, notre organisation sociale peut expliquer ponctuellement des suicides.
Nous ne saurions, je ne pourrais me résoudre à ce que certains agriculteurs, qui nous nourrissent, vivent si mal de leur travail qu'ils choisissent la mort pour retrouver leur dignité. Il faut en parler dans les médias, dans nos assemblées, partout. Merci à Édouard Bergeon d'avoir fait ce beau film, Au nom de la terre, sur le suicide de son père, exploitant agricole.
En 2015 - c'est déjà ancien - la MSA avait confirmé une surmortalité par suicide de 12 % des affiliés au régime agricole. L'étude dénombre 605 suicides, dont 372 exploitants et 233 salariés agricoles, en majorité des hommes. Le taux de suicide progresse jusqu'à 40 ans puis reste stable, pour repartir à la hausse après 65 ans. Au total, on dénombre plus d'un suicide par jour.
Nous n'avons pas assez de données, comme M. Cabanel l'a rappelé. Les travaux de notre commission devraient nous éclairer. On parle d'un suicide par jour désormais, mais il faudrait l'étayer.
Autre indicateur alarmant, 3 560 exploitants ont demandé une aide au répit en 2017 ; 1 654 situations préoccupantes ont été enregistrées par les cellules pluridisciplinaires de prévention en 2018.
Dire que les faibles revenus et l'endettement sont les seules causes serait une simplification, mais ils jouent un rôle important. Il faut aussi tenir compte des éléments familiaux, des situations administratives, des difficultés médicales, du temps de travail élevé, d'un sentiment de honte. Les agriculteurs n'aiment pas devoir de l'argent, c'est dans leurs gènes, et ils acceptent mal d'être endettés.
Il y a aussi les attentes d'une société qui veut toujours plus en matière d'environnement, laissant parfois les agriculteurs démunis.
L'État n'est pas inactif. Au travers du plan national de prévention, il fait mieux connaître les données, il déploie le dispositif Agri'écoute et les cellules de prévention. Dans plus de 75 départements, tous les acteurs - dont la MSA et les banques, mais aussi les directions départementales des finances publiques - sont mis autour de la table pour recueillir les signalements. Il y en a eu plus de 2 000. Il y a d'autres initiatives, de la MSA, d'associations comme Solidarité paysans, ou le réseau Agri-sentinelles, porté par Allice et Coop de France et animé par l'Institut de l'élevage. Le ministère propose aussi une aide, un bilan de l'exploitation et une aide à la relance de l'exploitation agricole (AREA). En cas de burn-out, l'aide au répit est soutenue financièrement par l'État.
La notion de renvoi en commission permettra de conforter la réflexion du Sénat. Nous pouvons collectivement avancer sur le sujet.
Il faut travailler sur l'identification précoce, libérer la parole sur un sujet encore tabou, rendre plus visibles les acteurs de proximité susceptibles d'aider, dépasser la logique de guichet, améliorer le suivi des personnes ayant tenté de se suicider. La clé de la réussite réside dans la mobilisation de tous les acteurs. Votre travail y contribuera.
Le Premier ministre va confier une mission à un parlementaire ainsi qu'aux inspections générales de l'agriculture et de la santé, pour disposer d'une analyse approfondie. Certes, les chiffres ne sont pas tout - nous parlons ici d'humain -, mais il nous faut des bases fiables.
Les témoignages lus par M. Cabanel nous bouleversent. J'en ai moi-même reçus beaucoup. Nourrir la population, apporter du plaisir en fournissant une alimentation de qualité est un beau métier. Il ne peut conduire à commettre l'acte irréparable. Au nom du Gouvernement et en mon nom propre, je remercie M. Cabanel, le groupe RDSE et Mme Férat pour leur travail. On se divise trop souvent pour des broutilles ; sachons-nous rassembler autour de l'humain, nous ferons oeuvre utile pour le vivre-ensemble dans notre République. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE)
Mme Nathalie Delattre . - Ce sujet est sensible. Qui n'a jamais été confronté, dans son territoire, à ces tragédies humaines ? Je remercie M. Cabanel pour ce débat : sans prétendre apporter la réponse définitive, il jette les bases d'un travail collectif. Si les chiffres mériteraient d'être actualisés, ils attestent d'un phénomène alarmant : presque un suicide par jour, une réalité sans concession.
Les agriculteurs sont confrontés à des difficultés spécifiques, qui se cumulent. Ils sont sous pression des marchés, des distributeurs, des consommateurs, des néo-ruraux, des aléas climatiques ou sanitaires, d'associations antispécistes ou du lobby anti-alcool... Tenaillés entre urgence économique, urgence écologique et attentes de la société, ils ne ménagent pourtant pas leur peine pour nourrir le pays.
Après la guerre, on leur a demandé de faire de la France une grande nation agricole, à force de modernisation, au point qu'on a pu parler de pétrole vert. Aujourd'hui, on leur demande de produire mieux et d'entamer une transition écologique. La plupart sont au rendez-vous, malgré les contraintes.
C'est une vie de sacrifices et d'endettement. En 2017, près de 20 % des exploitants agricoles n'avaient pu se verser de salaire et un quart vit sous le seuil de pauvreté. En guise de reconnaissance, l'agribashing. Une société qui ne respecte pas ses agriculteurs, qui n'est plus capable d'assurer son indépendance alimentaire, est une société en déperdition.
Cette proposition de loi tire la sonnette d'alarme. Le lien entre endettement et suicide est indéniable. Il est temps d'agir, en apportant des réponses nouvelles et en généralisant les dispositifs existants, trop souvent méconnus. Le Sénat doit poursuivre son travail de soutien au monde agricole, s'attaquer aux causes profondes de la détresse, accompagner les mutations pour qu'elles soient économiquement supportables. Nous attendons avec impatience le bilan de la loi EGalim. Il faut aussi se battre sur les moyens de la PAC, améliorer l'assurance récolte, rompre l'isolement du monde rural, de « ces hautes terres où la solitude a rouillé l'herbe », comme l'écrit Giono. Cela passe par le maintien des services publics car les agriculteurs sont les acteurs de l'aménagement du territoire et les garants de nos vies. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes RDSE, UC, Les Indépendants et SOCR)
Mme Noëlle Rauscent . - Les chiffres sont terribles : un agriculteur se suicide tous les deux jours en France. Je remercie Henri Cabanel qui nous donne l'occasion d'aborder, non sans émotion, ce sujet si délicat.
Longtemps, la détresse des agriculteurs est restée occultée, tabou. Il a fallu attendre 2011 pour que la MSA s'engage dans une politique de prévention, sous l'impulsion de Bruno Le Maire, alors ministre de l'Agriculture. Il a fallu attendre plus longtemps encore pour disposer de données chiffrées. Un programme national d'action aide à répondre aux alertes de détresse, à accompagner, à orienter. Mais il est impossible de prétendre traiter la problématique sans une bonne connaissance des dynamiques qui mènent au passage à l'acte.
Certes, les drames sont intimement liés à la situation financière des agriculteurs : ils sont plus nombreux dans les filières les moins rémunératrices ou quand les prix de vente sont au plus bas, je pense aux éleveurs bovins, laitiers et allaitants. Mais d'autres éléments entrent en ligne de compte - surendettement, aléas de la vie, solitude, maladie. L'agribashing doit cesser. Cette proposition de loi vise la prévention du suicide en instaurant un système de détection ciblé des personnes en fonction de leurs difficultés financières.
Les banques sont placées au coeur du dispositif d'alerte : il s'agit de repérer les difficultés et orienter vers un accompagnement social et psychologique. Je connais votre engagement, monsieur le ministre. L'instauration d'une visite médicale annuelle va dans le bon sens.
Bien sûr, ces drames ont des causes multiples, mais c'est en assurant une meilleure rémunération aux agriculteurs que nous leur permettrons de vivre dignement de leur activité.
Il faut prendre le temps d'étudier ce phénomène, ce désastre, pour y apporter des solutions adaptées : le groupe LaREM votera la motion, et je participerai au groupe de travail de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Indépendants)
M. Fabien Gay . - Ce sujet nécessite un débat exigeant et sérieux. Les chiffres sont glaçants : la mortalité par suicide chez les agriculteurs est supérieure de 20 % par rapport à la population générale, de 30 % pour les seuls éleveurs bovins et laitiers. Un suicide par jour, surtout chez les hommes entre 45 ans et 50 ans. Nous touchons à l'humain. Le suicide est le geste le plus terrible qui soit. Les causes sont multiples - rupture, maladie, isolement, problèmes financiers. Il faut y apporter une réponse globale et adaptée à chacun. Je remercie Henri Cabanel de son initiative et soutiens la position de la commission : prenons le temps d'un travail approfondi.
Le monde paysan a été confronté à des changements radicaux : mécanisation, perte d'autonomie sur les semences, nouveaux pesticides, informatisation, charges administratives et comptables. Cela les a conduits à s'endetter, dans un contexte de libéralisation croissante des échanges - fossoyeur du modèle d'agriculture familiale que nous défendons. S'ajoute le prix croissant du foncier, la défiance d'une population qui refuse la malbouffe. Les agriculteurs sont pris en tenaille entre le remboursement des emprunts, le prix exorbitant des pesticides, les prix tirés vers le bas par la grande distribution. Une vie de labeur, dix heures par jour et sept jours sur sept, pour vendre à perte, ne pas pouvoir se payer un Smic et percevoir une retraite misérable !
Votre Gouvernement a employé l'article 44-3 pour empêcher l'adoption de notre proposition de loi revalorisant les pensions des exploitants agricoles à 85 % du Smic, pourtant adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale... Comment vivre dignement avec une retraite de 700 euros à 800 euros, voire 100 euros outre-mer ?
Ajoutons la culpabilité, l'agribashing, la stigmatisation d'une profession incomprise du monde urbain. Nos agriculteurs vivent dans les zones blanches, alors que s'accélère la métropolisation. Les territoires ruraux se sentent abandonnés : fermetures d'écoles, de services publics, dévitalisation des centres bourgs, essence de plus en plus chère. Cela accroît le sentiment d'injustice et d'abandon de nos agriculteurs. Le Gouvernement n'a rien fait, malgré les promesses de la loi EGalim, pour enrayer la spirale mortifère.
Nous devons travailler ensemble pour trouver des solutions ; nous voterons le renvoi en commission, appuyé par Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR et Les Indépendants)
M. Jean-Paul Émorine . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Henri Cabanel à mon tour. Nos agriculteurs, de mieux en mieux formés, sont passionnés par leur métier mais ne peuvent plus en vivre. Cette situation n'est certes pas l'unique cause des suicides, mais elle y contribue largement. Comment avoir des perspectives avec moins de 500 euros par mois, comme c'est le cas d'un tiers des agriculteurs ? Le deuxième tiers vit avec environ 1 000 euros par mois quand le dernier tiers gagne à peine plus.
Nos agriculteurs ont besoin d'espérer ! Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour imposer, dans le cadre de la loi EGalim, un prix de vente qui prenne en compte le coût de la production et permette un revenu décent. Vous dites que 75 départements ont mis en place des procédures.
Agriculteur depuis 42 ans, parlementaire depuis des décennies, c'est la première fois que j'entends évoquer le suicide des agriculteurs ici. Naguère, quand je siégeais dans les commissions « agriculteurs en difficulté », nous étions saisis de cas isolés, exceptionnels - pas d'un suicide par jour !
Des dispositifs existent certes, mais c'est aux services de l'État de coordonner les différents acteurs - MSA, coopératives, banques - pour sonner l'alerte quand les résultats comptables d'un agriculteur l'empêchent de se payer depuis des années.
Je soutiendrai le renvoi en commission, mais il faut réagir vite. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Indépendants.)
M. Franck Menonville . - On compte, depuis 2015, plus d'un suicide par jour chez les agriculteurs. Je remercie Henri Cabanel d'avoir mis ce sujet dramatique à l'agenda de notre chambre des territoires.
La détresse du monde agricole est flagrante. Les causes sont multifactorielles : difficultés financières, personnelles, isolement, maladie, agribashing, aléas climatiques... Le passage à l'acte est souvent le fruit d'une accumulation de difficultés, même si le volet économique est sans doute déterminant : le taux de suicide explose chez les agriculteurs les plus modestes.
La question de l'endettement est centrale. Sur un an, 605 suicides, dont 274 de plus de 65 ans. Les victimes sont des hommes à 80 %, 57 % sont à la CMU. C'est au total un taux de suicide de 12 % de plus que pour le reste de la population. Les éleveurs bovins et laitiers sont les plus touchés. Pour agir efficacement, il faut objectiver les chiffres, mieux connaître les causes et proposer des solutions globales. Il faut aussi remettre de l'humain dans les dispositifs d'accompagnement.
Les dispositifs locaux sont hélas trop mal connus. La chambre d'agriculture de la Meuse a ainsi mis en place un numéro vert, porte d'entrée vers un dispositif d'accompagnement par la chambre, la MSA et la DDT. En Corrèze, la MSA et l'ARS, mobilisés depuis les années 2000, ont institué un guichet unique en 2018 pour une aide au soutien psychologique et une aide au répit. Mais, souvent, les signaux d'alerte se déclenchent trop tard. Il faut mieux former les acteurs de la prévention à l'indentification des signes précurseurs. L'aide doit être globale, l'accompagnement individualisé. Il faut anticiper les risques, coordonner les acteurs. Le groupe Les Indépendants s'associera au groupe de travail. Nous sommes tous mobilisés. Merci encore à M. Cabanel et à Mme Férat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et RDSE)
M. Jean-Claude Tissot . - Je remercie Henri Cabanel de nous donner l'occasion de parler du terrible phénomène du suicide des agriculteurs. Il y a en a eu 605 entre 2011 et 2015, soit un tous les deux jours. Le risque de suicide est supérieur de 12,6 % chez les agriculteurs que chez les autres actifs, et de 57% chez les agriculteurs pauvres.
Le phénomène n'est pas nouveau. Mais le suicide est tabou dans le monde agricole - d'autant que les questions d'assurance entrent en jeu. Des générations de paysans ont tu le suicide de leurs collègues, parlant d'accidents. On a commencé à en parler avec la crise du lait en 2005. Aujourd'hui, il est mis en lumière par le film Au nom de la terre, qui a été projeté au Sénat. Pour ceux qui, comme moi, ont vécu du travail de la terre, le film sonne juste, et sa vision est même douloureuse...
La première réponse est la prévention. Le professeur Michel Debout plaide pour une politique de prévention renforcée du suicide. La proposition de loi propose une piste pour une meilleure détection des paysans en détresse. Les agents bancaires pourraient signaler leurs clients en détresse financière à la cellule spécialisée de la MSA. Mais une réponse aussi parcellaire n'est pas adéquate. Le sur-suicide agricole ne tient pas qu'à la détresse économique mais est aussi dû à l'isolement, à l'impossibilité de transmettre son exploitation après une vie de labeur, à la perte de sens, de perspectives après des aléas climatiques.
Un agriculteur qui ne partage pas ses difficultés avec sa famille se confiera-t-il à un agent bancaire ? Ce dernier trouvera-t-il les mots justes ? Est-il le mieux placé ? C'est une lourde responsabilité. En outre, l'anonymat est l'une des clés du succès du dispositif de la MSA. D'autres lanceurs d'alerte peuvent être mis à contribution : vétérinaires, coopératives, syndicats, chambres d'agriculture, travailleurs sociaux... L'association Solidarité Paysans sillonne les territoires depuis trente ans, mais manque de moyens. Il faudra aussi lutter contre l'isolement social : au XXIe siècle, on se suicide quatre fois plus en milieu rural qu'à Paris.
Parmi les causes profondes, le modèle productiviste, qui entraîne nos agriculteurs dans la spirale des prêts à rembourser, vers l'épuisement moral et physique. La surface, le nombre de têtes augmente, mais les bras manquent et les factures s'accumulent... Ce n'est pas l'agribashing mais le productivisme qui est en cause !
Cette proposition de loi nous donne l'occasion de mener un travail parlementaire, de construire des réponses plus complètes. Le groupe socialiste votera la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, RDSE et LaREM)
Mme Françoise Férat, rapporteur. - Merci.
M. Jean-Marie Janssens . - Jean Giono écrit : « L'essentiel n'est pas de vivre, mais d'avoir une raison de vivre. » Chaque année, des centaines de paysans commettent l'irréparable : on dénombre plus d'un suicide par jour. Les causes les plus visibles sont financières. C'est ce que vise la proposition de loi.
Notre modèle nécessite d'être revu en profondeur. Trop peu d'agriculteurs peuvent vivre décemment des fruits de leur travail. Pourtant, on est paysan sept jours sur sept, 365 jours par an. Né dans une ferme, éleveur pendant quarante ans, j'ai été témoin de la transformation de notre modèle agro-industriel. La France des trente glorieuses a demandé aux agriculteurs de produire toujours plus, toujours plus vite. La course au gigantisme les a obligés à s'endetter, dans une logique de « marche ou crève ». De bonne idée, la PAC est devenue cercle vicieux, épée de Damoclès pour des agriculteurs pris en tenailles entre exigence de qualité et guerre des prix intenable.
Les exploitants ne sont pas les seuls concernés. Les travailleurs agricoles, les chômeurs, les retraités le sont aussi. J'ai alerté le Gouvernement sur l'assurance chômage des agriculteurs : on m'a répondu : « plus tard ». Idem pour les petites retraites. Mais plus tard, c'est trop tard ! Peut-on vivre avec 400 euros par mois de retraite ? Pour les épouses d'agriculteurs qui ont travaillé aux côtés de leur conjoint, c'est rien du tout !
Il faut faire évoluer le revenu de nos agriculteurs et offrir des garanties économiques à la hauteur du travail fourni.
La question de la transmission est centrale. Travailler toute une vie et ne pas parvenir à passer le relais peut être vécu comme un échec professionnel et personnel, et nourrir la souffrance psychologique. Beaucoup d'agriculteurs souffrent de l'isolement, de la marginalisation.
Travailler sans relâche, sans loisirs ni vacances, et voir gel, sécheresse ou inondations tout ruiner en quelques minutes est terrible. Les agriculteurs se sentent de plus en plus déconnectés d'une société tournée vers le loisir et le confort au travail. Ce sentiment devient colère face à la mode de l'agribashing. Les agriculteurs ont une patience d'or, mais la culture du silence et de la discrétion les ronge - dans le Loir-et-Cher, on dit : « petit causeux, grand faiseux ». Il est temps de libérer la parole, de changer les mentalités, d'évoquer le poids des normes, des charges, la concurrence faussée... Le sentiment d'injustice renforce l'impression d'être déconsidérés, méprisés.
Je salue le remarquable travail d'Henri Cabanel et Françoise Férat qui ont avancé avec intelligence et humilité sur ce sujet difficile. Avec son esprit de dialogue et d'ouverture, le Sénat saura poser les bonnes questions et apporter des réponses à la hauteur.
La détection des situations de détresse et la prévention du suicide doivent s'accompagner d'un suivi de long terme. Il faut aider nos agriculteurs à se reconstruire, parfois se reconvertir, leur donner des perspectives d'avenir. L'agriculture est notre bien commun. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR et UC.)
Mme Pascale Gruny . - Tous les deux jours, un agriculteur met fin à ses jours. Les causes sont certes parfois personnelles mais nul doute que le monde paysan va mal. Dans presque toutes les filières, le revenu est inférieur au Smic pour 54 heures de travail par semaine. Sentiment d'échec, surcharge de travail, isolement social, agribashing sont autant de souffrances. Les médias donnent plus d'attention aux méthodes totalitaires de certaines associations qu'aux difficultés quotidiennes des agriculteurs. On les félicite quand ils dégagent nos routes enneigées, mais on les jette en pâture au premier problème sanitaire ou environnemental... Pourtant, quel secteur a fait autant d'efforts, autant bouleversé ses pratiques pour réduire son empreinte écologique ?
La France a l'agriculture honteuse. Pourtant, c'est 7 milliards d'euros d'excédents commerciaux, une économie locale, l'entretien des espaces naturels. Comprenez que les agriculteurs se sentent abandonnés quand la Commission européenne envisage, avec l'accord implicite du président de la République, de baisser de 15 % le budget de la PAC.
M. Didier Guillaume, ministre. - Ce n'est pas vrai.
Mme Pascale Gruny. - Ils n'en peuvent plus de votre fausse compassion et attendent du Gouvernement qu'il se batte pour eux, qu'il mette fin à l'inflation de normes déconnectées du terrain.
Le système de signalement que propose le texte de M. Cabanel est intéressant. Ce n'est pas à l'agriculteur de faire la démarche de demander de l'aide. Un suicide, c'est souvent la fin d'une exploitation. Songez aux difficultés des veuves, face aux tracasseries administratives. Le sujet est si vaste, si complexe, qu'un renvoi en commission paraît sage. La gravité du phénomène oblige à élargir la réflexion. On pourrait inclure les chefs d'entreprise, eux aussi très touchés.
Chaque suicide d'agriculteur est un cri de désespoir qu'il faut entendre. Si nous voulons manger demain des produits sains, produits en France, nous devons aider nos agriculteurs. Pour conclure, permettez-moi d'avoir une pensée pour mon petit frère. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et Les Indépendants)
M. Vincent Segouin . - Je soutiens ce texte, modeste réponse face à l'ampleur du mal. Réveillons-nous face à la souffrance de nos agriculteurs. Élus des territoires, nous connaissons tous cette réalité. Si la France est indépendante dans sa production et autonome dans sa consommation, c'est grâce à ces hommes et femmes d'exception, qui exercent ce métier parfois au prix de leur vie.
Le suicide des agriculteurs n'est pas une fatalité. S'il est des exploitations qui prospèrent, d'autres subissent des préjudices hérités des erreurs du passé et du présent. Les agriculteurs sont des chefs d'entreprise. Or comment faire quand le prix de vente est inférieur au coût de production ? Aucun modèle économique ne pourrait y survivre. Les agriculteurs sont obligés de se transformer en chasseurs de prime : PAC, MAEC, tout en subissant les pressions administratives, normatives, financières et fiscales... Bref, le mal français !
Comme si ce n'était pas suffisant, nous les jetons dans la broyeuse mondiale de la concurrence déloyale avec le CETA et le Mercosur.
C'est de la folie, de l'hypocrisie que ces diktats moralisateurs alors que nous livrons nos paysans à une concurrence bien moins regardante en matière sanitaire et écologique.
Et que dire de la folie véganiste et antispéciste dont de nombreux agriculteurs font les frais ? Comment ne pas être dégoûtés quand au lieu de compassion, on subit mépris et acharnement ?
Les consommateurs veulent mieux manger, ce qui suppose de promouvoir les circuits courts. Attaquons-nous aux racines du mal ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et RDSE)
La discussion générale est close.
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°1, présentée par Mme Férat, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires économiques la proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs (n°746, 2018-2019).
Mme Françoise Férat, rapporteur . - Le silence doit être brisé. Je remercie à nouveau M. Henri Cabanel de son initiative. Monsieur le ministre, vos propos forts nous ont touchés ; j'ai compris que nous pouvions compter sur vous. Le suicide est causé par un ensemble de facteurs ; il y a autant de combinaisons de causes que de décès.
Nous manquons d'études ; elles sont parcellaires ou incomplètes. Nous ne pouvons légiférer sans bases solides. Au mieux, la loi n'aborderait qu'une petite partie du problème ; au pire, elle serait inapplicable et source de déception.
Des dispositifs de prévention existent mais sont mal connus et peu coordonnés.
Un agriculteur qui commet l'irréparable se sent profondément seul, il n'entreprend pas les démarches auprès des pouvoirs publics.
Sur ce sujet, un travail de qualité demande de l'humilité et du temps. Si cette motion est adoptée, la commission créera dans la foulée un groupe de travail transpartisan sur la prévention, l'identification et l'accompagnement des agriculteurs en situation de détresse. Nous nous sommes engagés à mener ce travail avec détermination, écoute et humanité, pour aboutir à un rapport de qualité, avec des propositions concrètes. Il s'agit maintenant de nous rassembler et de rendre hommage à ces agriculteurs dont les témoignages sont si poignants. (Applaudissements)
M. Didier Guillaume, ministre. - Avis favorable. Le ministère de l'Agriculture est à votre entière disposition pour travailler ensemble.
M. Joël Labbé. - C'est un sujet sensible et complexe qui mêle l'humain et l'économique. Je remercie Henri Cabanel pour son implication. Les chiffres montrent l'urgence de la situation. Ce texte amorce le travail, alerte et brise un tabou. Il faut une réflexion plus globale sur notre modèle agricole, sur la rémunération au prix juste, le rééquilibrage des rapports de force avec l'agroalimentaire et la grande distribution, la répartition du budget de la PAC, l'accompagnement des agriculteurs vers des modèles de production plus résilients, vertueux et en phase avec les attentes de la société. Des associations comme Solidarité Paysans font un travail remarquable mais manquent de moyens. Le lien humain et la solidarité rurale sont pourtant essentiels.
Oui au renvoi en commission, au groupe de travail. Pourquoi pas une mission commune d'information sur le sujet ? (M. Henri Cabanel applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. - Ce débat a été d'un haut niveau, et chargé d'émotion. Comme d'autres, le conseil départemental de l'Orne aide les agriculteurs ; nous avons essayé, avec les barreaux et experts comptables, de mettre en place un chèque consultation gratuite. Reconnaître un échec est extrêmement difficile. Il faut faciliter l'écoute, associer tous les acteurs agricoles et les collectivités territoriales. Ce débat est une évidence : pourquoi n'y avons-nous pas pensé plus tôt ? Bravo, monsieur Cabanel, pour votre initiative. Avançons sur ce sujet important. Le groupe UC soutiendra le renvoi en commission.
La motion n°1 est adoptée.
M. le président. - À l'unanimité. Le renvoi en commission est donc ordonné.
Prochaine séance, mardi 17 décembre 2019, à 14 h 30.
La séance est levée à 17 h 35.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication
Annexes
Ordre du jour du mardi 17 décembre 2019
Séance publique
À 14 h 30 et le soir
Présidence : M. Vincent Delahaye, vice-président Mme Valérie Létard, vice-présidente
Secrétaires : MM. Yves Daudigny et Joël Guerriau
1. Projet de loi organique modifiant la loi organique n°2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution (procédure accélérée) (texte de la commission, n°195, 2019-2020) et projet de loi modifiant la loi n°2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (procédure accélérée) (texte de la commission, n°196, 2019-2020)
2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet (texte de la commission, n°198, 2019-2020)
Analyse des scrutins
Scrutin n°60 sur l'ensemble de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale
Résultat du scrutin
Nombre de votants : 322
Suffrages exprimés : 298
Pour : 141
Contre : 157
Le Sénat n'a pas adopté
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Pour : 2 - MM. François Grosdidier, Jean-Marie Morisset
Contre : 136
Abstentions : 5 - Mmes Catherine Deroche, Catherine Di Folco, Brigitte Micouleau, MM. Cédric Perrin, Michel Raison
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat
Groupe SOCR (71)
Pour : 71
Groupe UC (51)
Pour : 17
Contre : 8 - M. Daniel Dubois, Mmes Françoise Férat, Françoise Gatel, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Anne-Catherine Loisier, MM. Pierre Louault, Pascal Martin
Abstentions : 6 - Mme Annick Billon, MM. Yves Détraigne, Michel Laugier, Hervé Marseille, Jean-Marie Mizzon, Mme Nadia Sollogoub
N'ont pas pris part au vote : 20 - MM. Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Vincent Delahaye, Mmes Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Nathalie Goulet, Jocelyne Guidez, MM. Olivier Henno, Laurent Lafon, Nuihau Laurey, Jacques Le Nay, Jean-Claude Luche, Hervé Maurey, Mme Évelyne Perrot, MM. Gérard Poadja, Jean-Paul Prince, Mmes Sonia de la Provôté, Sylvie Vermeillet
Groupe LaREM (24)
Pour : 24
Groupe du RDSE (23)
Pour : 23
Groupe CRCE (16)
Pour : 3 - Mme Esther Benbassa, M. Guillaume Gontard, Mme Marie-Noëlle Lienemann
Abstentions : 13
Groupe Les Indépendants (13)
Contre : 13
Sénateurs non inscrits (6)
Pour : 1
N'ont pas pris part au vote : 5 - M. Philippe Adnot, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Christine Herzog, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier
Conférence des présidents
Semaine réservée par priorité au Gouvernement
Mardi 17 décembre 2019
À 14 h 30 et le soir
- Projet de loi organique modifiant la loi organique n°2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (procédure accélérée) et projet de loi modifiant la loi n°2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (procédure accélérée)
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet
Mercredi 18 décembre 2019
À 15 heures
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 16 h 30
- 2 conventions internationales examinées selon la procédure d'examen simplifié :
=> Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Niger et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Niger
=> Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat global et renforcé entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part
- Nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2020
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique
- Éventuellement, suite de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet
À 21 h 30
- Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 12 et 13 décembre 2019
- Éventuellement, suite de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet
Suspension des travaux en séance plénière : du lundi 23 décembre 2019 au dimanche 5 janvier 2020
Semaine de contrôle
Mardi 7 janvier 2020
À 14 h 30
- Débat sur l'avenir des Transports express régionaux (TER) (demande du groupe Les Républicains)
- Débat sur le plan d'action en faveur des territoires ruraux (demande du groupe Les Républicains)
- Débat sur la réforme des retraites (demande de la commission des affaires sociales)
À 21 h 30
- Débat sur les conclusions du rapport d'information : « Sauvetage en mer : replacer les bénévoles au coeur de la décision » (demande de la mission commune d'information sur le sauvetage en mer)
Mercredi 8 janvier 2020
À 15 heures
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 16 h 30
- Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap, présentée par Mme Annick Billon et plusieurs de ses collègues (demande de la délégation aux droits des femmes)
- Débat sur le thème : « La laïcité, garante de l'unité nationale » (demande du groupe RDSE)
À 21 h 30
- Débat sur le thème : « La pédopsychiatrie en France » (demande du groupe CRCE)
Jeudi 9 janvier 2020
À 10 h 30
- Débat sur les conclusions du rapport d'information : « Demain les robots : vers une transformation des emplois de service » (demande de la délégation sénatoriale à la prospective)
Semaine sénatoriale
Mardi 14 janvier 2020
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Explications de vote des groupes sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France (demande de la commission des affaires économiques)
- Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de porter au niveau de l'Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières, présentée par MM. Jean-François Husson et Bruno Retailleau (demande du groupe Les Républicains)
- Proposition de loi modifiant la loi n°2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l'activité des entreprises alimentaires françaises, présentée par M. Daniel Gremillet et plusieurs de ses collègues (demande de la commission des affaires économiques)
Mercredi 15 janvier 2020
À 15 heures
- Questions d'actualité au Gouvernement
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe SOCR)
- Proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, présentée par Mme Nicole Bonnefoy et plusieurs de ses collègues
- Proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques, présentée par Mmes Monique Lubin, Nadine Grelet-Certenais, MM. Olivier Jacquin, Patrick Kanner, Jacques Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain
Jeudi 16 janvier 2020
De 14 h 30 à 18 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
- Proposition de loi visant à créer un droit à l'erreur des collectivités locales dans leurs relations avec les administrations et les organismes de sécurité sociale, présentée par M. Hervé Maurey et plusieurs de ses collègues
- Proposition de loi relative à la déclaration de naissance auprès de l'officier d'état civil du lieu de résidence des parents, présentée par M. Hervé Marseille et plusieurs de ses collègues
Semaine réservée par priorité au Gouvernement
Mardi 21 janvier 2020
À 14 h 30 et le soir
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique
Mercredi 22 janvier 2020
À 15 heures
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 16 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique
Jeudi 23 janvier 2020
À 10 h 30, à 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique
Semaine réservée par priorité au Gouvernement
Mardi 28 janvier 2020
À 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique
Mercredi 29 janvier 2020
À 15 heures
- Questions d'actualité au Gouvernement
À 16 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique
Jeudi 30 janvier 2020
À 10 h 30
- 2 conventions internationales examinées selon la procédure d'examen simplifié :
=> Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale démocratique d'Éthiopie relatif aux services aériens, de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica relatif aux services aériens et de l'accord relatif aux services aériens entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mozambique
=> Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tchad relatif aux services aériens et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Angola relatif aux services aériens
- Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 15 avril 1999 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Botswana en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu
À 14 h 30
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet ou nouvelle lecture
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique
Éventuellement, le soir
- Éventuellement, suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique
Semaine sénatoriale
Mardi 4 février 2020
À 14 h 30
- Explications de vote des groupes puis scrutin solennel sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique