Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat.
Je souhaite excuser le ministre Marc Fesneau, retenu par un deuil familial et auquel j'exprime au nom du Sénat toute notre sympathie dans l'épreuve que sa famille et lui-même traversent.
Je l'ai eu hier au téléphone. Qu'il sache que les membres de la Conférence des présidents et les présidents des groupes s'associent à mon propos.
Premier bilan du confinement
M. François Patriat . - L'heure est au soutien au personnel soignant, aux malades qui souffrent, avec leur famille, de cette monstrueuse maladie.
La France entre dans sa quatrième semaine de confinement. L'heure est plus que jamais à l'unité nationale, comme notre peuple a toujours su la faire prévaloir dans les périodes tragiques, et, je l'espère, à l'unité européenne, même si elle est difficile.
J'entends certains donneurs de leçons instruire des procès malvenus en cet instant. La critique est aisée mais l'art est difficile. Quelque 67 % des Français disent avoir bon moral dans un sondage paru ce matin, même si le pic de l'épidémie est devant nous.
Les conséquences économiques et sociales seront graves. Nous remercions tous ceux, personnel soignant en tête, qui participent à cet effort national.
Pourriez-vous, monsieur le Premier ministre, nous faire part du bilan des trois premières semaines de confinement, au vu des mesures prises, avec l'accord de notre assemblée, par le Gouvernement ? Il faut faire entendre aux Français que leurs efforts paient et les encourager à les poursuivre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Nous pouvons faire, à ce jour, sinon un bilan, un point d'étape. Le confinement a été décidé pour que le nombre de cas sévères ne dépasse pas les capacités d'accueil des services de réanimation.
Nous avons considérablement augmenté ces capacités, de 5 000 à 10 000 lits : c'est un succès à bas bruit du système de soins français. C'est exceptionnel. Il faut souligner la mobilisation et l'engagement du personnel soignant, mais aussi du personnel administratif des établissements, des agences régionales de santé (ARS). Les évacuations sanitaires entre régions ou vers l'étranger sont aussi un exploit logistique inouï et un grand succès du système hospitalier.
La progression du nombre d'admissions en réanimation, qui est notre indicateur essentiel, ralentit. Elle continue, mais très lentement. Je le dis avec prudence, c'est plutôt une bonne nouvelle. Nous avons dépassé le seuil de 7 000 malades en réanimation à cause du Covid-19 - du jamais vu dans notre pays pour une seule maladie. Tous les cas sévères ont été accueillis en service de réanimation.
La progression se ralentit au point que nous arrivons peut-être à quelque chose qui ressemblerait à un plateau. Il faut être prudent ; mais c'est très probablement un effet du confinement, et cela en confirme la nécessité.
On ne dressera de bilan définitif qu'à la fin du confinement, qui est appelé à durer. Sinon, nous prendrions un risque, qui est en vérité une certitude : s'il était levé ou non respecté, le nombre de cas repartirait très vite à la hausse alors que le système hospitalier a déjà été très sollicité, et que stress et fatigue se sont accumulés. C'est pourquoi l'heure du déconfinement n'est pas venue. Toute notre énergie doit être consacrée à faire en sorte que le confinement continue à porter ses fruits.
J'ajoute que certaines inquiétudes ont été levées, notamment sur l'approvisionnement en médicaments, malgré l'augmentation incroyable de leur utilisation en France et dans le monde au même moment.
Le confinement a un effet sanitaire positif, dont nous nous félicitons, mais un autre, à ne pas négliger, qui est négatif : le moindre recours à l'offre de soins, parfois parce que des spécialistes ont fermé leur cabinet. J'ai des exemples précis en tête dans une ville qui m'est chère. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a insisté, hier, sur l'enjeu sanitaire du maintien des soins de ville et des examens.
L'impact économique est massif et brutal, en France et partout dans le monde, avec des réactions en chaîne qui viendront encore le renforcer : c'est un véritable choc dont l'ampleur totale n'est pas connue.
Le dispositif de chômage partiel est très sollicité - près de 6 millions de salariés sont couverts, ce qui est considérable et emporte un coût collectif qui ne l'est pas moins ; les reports de charges ont soulagé de près de 7 milliards d'euros la trésorerie des entreprises pour le seul mois de mars. Le fonds de solidarité, financé par l'État, les assureurs et les régions, a reçu près de 700 000 demandes et distribue dès à présent 700 millions d'euros aux très petites entreprises (TPE) les plus touchées. Les pré-accords de financement pour les prêts garantis par l'État s'élèvent à plus de 13 milliards d'euros.
La réponse est massive, mais l'impact économique sera considérable et directement lié à la durée du confinement.
M. François Patriat. - Très bien !
Règles sanitaires dans les commerces alimentaires
M. Jean-Claude Requier . - Après plus de trois semaines de confinement, l'immense majorité de nos concitoyens a pris la mesure des règles de sécurité sanitaire à appliquer. Toutes ces contraintes sont difficiles à vivre. Je me réjouis de la vertu civique de tous ceux qui ont compris que nous vaincrons aussi ce virus par notre responsabilité collective, à charge pour l'État de transmettre des recommandations claires et cohérentes.
Les commerces alimentaires assurent chaque jour l'approvisionnement de notre pays sans rupture majeure. Je salue les responsables, le personnel et tous les salariés de ce secteur, dont nous mesurons encore plus l'importance alors qu'ils travaillent dans des conditions difficiles, parfois angoissantes.
Pour beaucoup, aller faire ses courses est devenu la seule sortie, d'où un « effet promenade » irresponsable lorsque cette sortie devient familiale ou s'étire dans la durée.
Si votre Gouvernement a déjà restreint les marchés, aucune norme n'a encore précisé les conditions d'accueil du public dans les grandes surfaces ni la protection de leurs salariés et clients. Cela est pourtant indispensable, dès lors que ces grandes surfaces captent l'essentiel de la distribution alimentaire.
En Loire-Atlantique, à l'initiative de Ronan Dantec, un groupe de soutien scientifique - dont les recommandations ont été validées par l'ARS - prescrit de se laver les mains à l'entrée. En Espagne, un panier minimum de courses est exigé. Allez-vous en saisir le Haut Conseil de la santé publique ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Je m'associe à votre coup de chapeau à l'ensemble de la chaîne qui relie producteurs alimentaires et distribution sous toutes ses formes. En France, nous n'avons pas à subir ni à craindre de pénurie alimentaire, et c'est, là aussi, un remarquable exemple de résilience.
Le pays a réussi à garantir l'approvisionnement alimentaire et je remercie tous ceux qui prennent part à cet effort : producteurs, agriculteurs, commerçants de la grande distribution ou des petits commerces, artisans - dont les boulangers. Ils continuent, en exerçant leur activité, non seulement à nous fournir des denrées mais aussi à faire vivre le lien social. Nous en avons besoin.
Tous les commerces doivent fonctionner s'ils sont en mesure de garantir la sécurité sanitaire.
Les règles, ce sont d'abord celles des gestes barrières et de la distanciation sociale. Face à une épidémie, le courage, c'est le civisme, le respect des règles. Nous en avons besoin aussi, y compris dans l'acte quotidien d'acheter son pain. Mais si le bon sens prévaut en général, cela ne suffit pas : c'est pourquoi la ministre du Travail, avec les organisations syndicales et des experts, élabore des guides de bonnes pratiques, métier par métier. Il en existe déjà trois, notamment pour la boulangerie et les métiers de caisse.
J'invite tous ceux qui participent à cette chaîne d'activité à se reporter à ces guides et à mettre en oeuvre les bonnes pratiques. Les petits artisans aussi bien que les grandes surfaces apportent à la Nation un service inestimable. En période de confinement, notre pays doit pouvoir manger, disposer de l'électricité. Toutes ces activités doivent se poursuivre, fût-ce avec un service minimum. Les chaînes logistiques ne peuvent s'interrompre. Il y va de la continuité de la vie de la Nation. Avec le respect du civisme et des bonnes pratiques, j'espère que tout se passera pour le mieux.
M. Jean-Claude Requier. - Très bien !
Avenir de l'hôpital public
M. Pierre Laurent . - Quand la pandémie a frappé notre pays, les médecins et soignants vous alertaient depuis des années. Fin 2019, après notre tour de France des hôpitaux, lorsque nous avons déposé notre proposition de loi d'urgence, vous avez refusé de nous écouter. Au même moment, vous avez fait voter un projet de loi de financement de la sécurité sociale tellement insuffisant que le bureau de la commission des affaires sociales du Sénat demande unanimement un PLFSS rectificatif. Médecins et personnel se donnent corps et âme pour sauver des vies, avec le soutien de tout le pays, mais ils conservent la rage au coeur. Soyez certains que le dévouement n'a pas effacé la colère.
Aujourd'hui, vos mots changent : vous dites que rien ne sera plus comme avant. Le Président de la République vante les mérites de la santé gratuite, parle de biens et services à placer hors des lois du marché, mentionne un plan d'investissement massif pour l'hôpital public.
Que deviendront ces mots ? Car nous apprenons avec stupéfaction par Mediapart qu'une note d'experts de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), commandée par l'Élysée, prévoit d'aggraver la marchandisation de la santé et de l'hôpital : c'est hallucinant !
Tandis que les balcons applaudissent et que la pétition « De l'argent pour l'hôpital et non pour le capital » rencontre un grand succès, démentez-vous que l'option prônée par la CDC soit envisagée ? Comment et par quel processus transparent et démocratique sera élaboré le plan pour l'hôpital et pour la stratégie de santé publique, annoncé par le Président de la République ?
Comment allez-vous vous y prendre, dans le pays et au Parlement, pour que les choses, à commencer par votre méthode de gouvernement, ne soient vraiment « plus comme avant » ?
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Le Premier ministre vient de souligner ce que l'hôpital public était capable de produire, de façon incroyable, dans notre pays. J'ai toujours considéré qu'il est, comme l'hôpital privé, un outil moderne, agile, capable de soulever des montagnes, de doubler voire tripler ses lits de réanimation pour sauver des vies, de mobiliser tout son personnel, d'un bout à l'autre de la France, du jour au lendemain, pour éviter des désastres humains, tels que ceux que nous avons constatés à l'étranger.
Toutes les opérations de restructuration hospitalières, tous les plans, même ceux que soutenaient les élus de votre bord (MM. Pierre Laurent et Fabien Gay protestent.) sont suspendus, la période étant entièrement dédiée au soutien de l'hôpital et des soignants dans la lutte contre le virus.
Le Président de la République a eu à Mulhouse, le 23 mars, des mots très forts, que vous avez rappelés : un grand plan d'investissement et de revalorisation des carrières, de reconnaissance de l'apport merveilleux de la santé dans notre société. Cela passe par la concertation : il est indispensable de demander à tous ceux qui sont applaudis par les Français ce qu'ils attendent de leur outil de travail, pour aujourd'hui et pour demain. Cela ne doit pas retarder notre capacité à dire à l'hôpital ce que nous attendons de lui et ce que nous voulons lui apporter. Ce débat traversera l'ensemble de la Représentation nationale. Je suis certain qu'après une telle épidémie, nous saurons trouver les voies d'un consensus national, peut-être pas total, mais très large : ce que nous voulons pour l'hôpital recueille un assentiment très partagé sur tous les bancs. Tel est le message de l'union nationale qui prévaut depuis le premier jour de cette crise épidémique.
Approvisionnement en masques
M. Jérôme Durain . - Le Président de la République a parlé d'état de guerre et a sonné la mobilisation générale contre le coronavirus.
Des élus de tous partis se sont mobilisés pour répondre à des besoins non satisfaits par l'État, notamment en masques. Régions, départements, communes se démènent pour combler les manques, tout en tenant les préfets et les ARS informés de ces commandes.
Or on déplore un épisode malheureux : récemment, une livraison de masques commandés par les régions Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté a été réquisitionnée par l'armée à la réception, sur le tarmac. Il y a eu d'autres cas similaires. Cela peut être perçu par les élus locaux, frustrés du résultat de leurs efforts, comme une expression de mépris vis-à-vis de leur population.
Cette réquisition aurait pu être comprise si elle avait été annoncée, expliquée, justifiée. Il n'en a rien été. L'État central donne l'impression d'improviser, faute d'avoir anticipé, et de mal coordonner ses troupes, préfets et ARS.
La confiance est primordiale, d'autant que le besoin de masques ne va pas diminuer. Allez-vous faire appliquer des consignes claires pour que l'État régule, coordonne et ne parle que d'une seule voix ?
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur . - Ce qui s'est passé à l'aéroport de Bâle-Mulhouse est la conséquence de la course aux masques au niveau mondial. Les importateurs prennent les commandes de différents interlocuteurs. Il n'y a pas eu de « réquisition ». L'ARS Grand Est attendait 6 millions de masques d'un importateur, qui n'en a livré que 2 millions. Il devait fournir dimanche les 4 millions restants, mais il avait aussi pris des commandes de la région Bourgogne-Franche-Comté et du département de Rhône-Alpes. À leur arrivée, les 3,4 millions de masques disponibles ont été alloués, par priorité, au personnel soignant du Grand Est.
Il n'est pas question de concurrence, de guerre des masques entre l'État et les collectivités locales. Nous travaillons main dans la main : c'est le sens des instructions données hier soir aux préfets.
M. Jérôme Durain. - Sur le terrain, on constate que préfets et ARS ne se parlent pas toujours. Nous avons une équipe soudée, mais il lui faut un bon entraîneur : l'État.
Souveraineté numérique
M. Joël Guerriau . - Les Français confinés utilisent très massivement le numérique pour travailler à distance, faire leurs achats, se divertir ou échanger avec leurs proches. La géolocalisation peut être également un outil pour traquer les déplacements et endiguer la diffusion du coronavirus.
Outre les problèmes d'éthique, de liberté individuelle et de respect des données personnelles, cela pose aussi la question de la souveraineté numérique de la France, en renforçant notre dépendance aux Gafam. Ces derniers prennent une part prépondérante dans notre économie, sans payer d'impôts à la hauteur de leurs profits. Les entreprises françaises souffrent pendant que ces géants gagnent des parts de marché. Il serait normal que les entreprises qui bénéficient de cette crise aident celles qui en pâtissent.
Le confinement révèle nos faiblesses dans l'approvisionnement en équipements et en médicaments, mais aussi sur la maîtrise d'internet.
Nous devons penser cette crise comme une opportunité de modifier notre modèle de développement, trop dépendant de l'extérieur.
Comment comptez-vous bâtir la souveraineté française et européenne, dans le domaine des hautes technologies, en particulier numériques ?
M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique . - Le Gouvernement partage vos préoccupations. Je ne peux que m'inquiéter quand je vois que les Français et même les institutions ont massivement recours aux technologies américaines. L'État, comme le Sénat, se sert d'une application de visio-conférence américaine, qui certes fonctionne mais pose bon nombre de questions.
La souveraineté numérique est un sujet cher à votre Haute Assemblée, qui lui a récemment consacré une commission d'enquête.
L'émergence de solutions numériques françaises et européennes est au coeur de notre indépendance et de la défense de nos valeurs. C'est la stratégie de ce gouvernement, parfois raillée sous le nom de « start-up Nation » : faire émerger des champions du numérique. Je pense à la télémédecine, ou à l'Éducation nationale qui a pu trouver des serveurs français pour déployer son espace numérique de travail.
Il faut accélérer l'émergence des « licornes », ces entreprises du numérique valorisées à plus d'un milliard d'euros, au nombre de sept en France, dont quatre ont émergé l'an dernier. L'après-crise devra s'accompagner d'une réflexion sur notre souveraineté économique, sanitaire mais aussi numérique.
M. Joël Guerriau. - Je me félicite que vous partagiez notre préoccupation. Il est d'autres domaines, comme la défense nationale, où nous avons besoin de tels outils pour nous prémunir contre le terrorisme et les cyber-attaques. Notre pays doit mettre en oeuvre un nouveau modèle de développement pour être capable de faire face aux crises en toute indépendance.
Relations entre l'État et les collectivités locales
M. Philippe Bas . - L'État n'est pas seul face au Covid-19. Il y a d'abord tous les Français sans lesquels le confinement ne serait pas efficace. Il faut saluer leur esprit de discipline et de responsabilité individuelle dans l'intérêt collectif.
Il y a aussi les collectivités territoriales. Les maires assurent la continuité du service aux habitants, ils sont à l'écoute des plus vulnérables, ils fournissent du matériel aux écoliers... Les départements ont mis à la disposition de l'État leurs laboratoires pour les tests de dépistage, ils s'occupent des collégiens, des personnes âgées et handicapées. Les régions participent au fonds de solidarité. S'y ajoutent des initiatives philanthropiques. Il faut créer une harmonie entre tous ces intervenants.
La situation citée par Jérôme Durain nous préoccupe tous. La Bourgogne-Franche-Comté n'est pas seule concernée. Ne découragez pas les initiatives locales ; il faut au contraire les coordonner, les harmoniser. Comment allez-vous vous y prendre ?
L'autre question, aigüe, est celle de nos aînés en maison de retraite médicalisée. La commission des affaires sociales vient d'entendre la présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Il manque toujours des masques dans de très nombreuses maisons de retraite. Le Gouvernement doit accélérer la mise à disposition des équipements indispensables.
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - En effet, dans une crise sanitaire, il n'y a pas seulement l'État : il y a la Nation, les collectivités territoriales, les entreprises. Et heureusement, depuis le début de la crise, de très nombreuses entités publiques ou privées s'associent à l'effort collectif.
Le fonds de solidarité est un réceptacle pour toutes les aides en faveur des TPE menacées dans leur existence même. L'État assure le premier étage du dispositif, auquel d'autres acteurs s'associent : les assureurs, qui ont contribué volontairement à hauteur de 200 millions d'euros, d'autres entreprises, parfois très discrètement, mais aussi les régions ; celles-ci versent 250 millions d'euros et instruiront le deuxième étage pour approfondir l'accompagnement des TPE connaissant une situation particulière. C'est un exemple de collaboration intelligente.
Il y en a mille autres. Les communes ont souvent joué le jeu en accueillant des enfants de soignants, d'autres ont proposé des activités périscolaires. Nous entendons chérir et développer cette collaboration. Quand je reçois des responsables politiques, je le fais en présence des présidents des grandes associations d'élus.
Vous évoquez les structures collectives accueillant des personnes âgées ou handicapées : c'est là que se joue la deuxième bataille. Pour la gagner, il faut mobiliser des moyens, pouvoir tester, protéger, mettre en place une logistique spécifique à ces 7 000 établissements.
Le ministre des Solidarités et de la Santé a dit que sa priorité était de développer les tests virologiques. Il fallait pouvoir s'appuyer sur les laboratoires départementaux - ce n'était pas si simple car cela supposait de s'exonérer de certaines normes.
Nous travaillons en bonne intelligence avec l'Assemblée des départements de France pour que les structures départementales collectent les tests et les analysent.
Les circonstances sont uniques, mais les choses se passent de mieux en mieux. Nous construisons ensemble. On ne peut gagner la bataille seul. L'intelligence des territoires doit pouvoir s'exprimer, même s'il y a çà et là des différences d'approche, des frottements qui sont naturels.
Exonération de charges fiscales et sociales
M. Vincent Delahaye . - À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. La crise sanitaire actuelle va déboucher sur une crise économique sans précédent. Dans leur grande majorité, les Français n'en ont pas encore conscience, anesthésiés par le confinement et la peur du virus ; mais la catastrophe économique à venir aura de graves conséquences sociales.
Le Gouvernement a pris la mesure de la situation en lançant un premier plan de soutien économique.
Parmi les dispositions les plus notables figure la possibilité pour les entreprises de moins de 50 salariés, les travailleurs indépendants et les micro-entrepreneurs de différer le paiement de leurs charges sociales ou de leurs impôts directs.
Cela a offert une respiration salutaire aux bénéficiaires, mais elle est aujourd'hui insuffisante. La perspective d'un décaissement important de ces sommes dans le futur est une épée de Damoclès suspendue au-dessus de structures dont la pérennité est menacée. Même avec des facilités de paiement, nombre d'entre elles ne pourront pas régler ces charges reportées, n'ayant eu aucune recette pendant la période de confinement et ne disposant pas de réserves financières.
Lors d'une audition devant la commission des affaires économiques, M. le ministre de l'Économie a indiqué réfléchir à l'effacement de certains prélèvements obligatoires pour les indépendants, les TPE et certaines PME.
Pouvez-vous nous le confirmer ici ? Un tel dispositif devrait être strictement encadré pour éviter fraudes, abus et effets d'aubaine. Quels pourraient être les critères retenus pour bénéficier d'un dégrèvement social ou fiscal ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - Comme vous l'avez dit, nous avons mis en place un plan d'accompagnement massif pour soutenir la trésorerie des entreprises afin d'éviter les dépôts de bilan. C'était une première étape nécessaire, immédiate, et c'est pourquoi nous avons reporté les charges sociales et fiscales.
Plus de 54 000 demandes de reports fiscaux ont été déposées par 45 000 entreprises : celles-ci recevront un apport de 3,2 milliards d'euros de trésorerie. Les reports sociaux concernent 1,8 million de professionnels, pour 4,7 milliards d'euros.
La mesure est massive et elle est accompagnée par le fonds de solidarité des entreprises dont les premiers paiements arrivent en ce moment même sur les comptes bancaires des indépendants. En outre, les entreprises qui le demandent et qui remplissent les critères adéquats peuvent bénéficier d'un crédit de trésorerie allant jusqu'à 25 % de leur chiffre d'affaires annuel.
En avril, nous complèterons cet accompagnement afin d'amplifier l'effort, mais il faudra tenir compte du point de sortie de la crise. L'accompagnement requis ne sera pas le même si le retour à la normale se fait fin avril, fin mai ou plus tard encore. Tout dépend de l'évolution de la situation mondiale car les économies sont étroitement liées et les chaînes logistiques durement éprouvées.
Les dégrèvements sur demande ont été jusqu'à présent peu sollicités car les entreprises sont dans l'expectative. Nous aviserons, comme nous le faisons pour les entreprises en difficulté.
M. Vincent Delahaye. - Merci de nous avoir confirmé que le principe d'une annulation de charges ciblée sur certaines activités et structures était envisagé par le Gouvernement.
Nous comprenons que le cadre d'une éventuelle annulation des prélèvements obligatoires reste à définir. Le Sénat est prêt à participer à cette indispensable réflexion.
Conséquences économiques de la crise sanitaire
M. Philippe Pemezec . - Ce n'est qu'après l'annonce du confinement, le 17 mars, que le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures pour protéger les entreprises françaises. À défaut d'avoir su faire face aux premiers assauts de la guerre sanitaire, l'État aura au moins retenu la leçon économique et financière de la crise de 2008.
Une aide forfaitaire apparemment généreuse a été mise en place pour les TPE, indépendants et micro-entrepreneurs, via le fonds de solidarité. Mais cette mesure est insuffisante.
De nombreuses TPE devront malheureusement mettre la clé sous la porte. Imaginez un restaurateur sans chiffre d'affaires qui doit payer ses factures et ses charges ! Les TPE représentent 3,3 millions d'entreprises et 95 % du tissu économique. Elles emploient 20 % des salariés en France. Elles sont le coeur qui fait battre et respirer nos communes.
Monsieur le Premier ministre, si les banques vous répondent, elles ne prennent plus au téléphone nos artisans et nos commerçants. Or si elles les lâchent, la fracture territoriale deviendra un abîme.
Au milieu de la tempête, quelles sont les mesures supplémentaires concrètes, efficaces et à application immédiate que vous comptez prendre pour ne pas ajouter à la crise sanitaire une catastrophe économique, financière et sociale ?
Quand ferez-vous pression sur les banques et les assureurs ? Les banques ont été sauvées par l'État, c'est-à-dire par les contribuables, en 2008. Il serait normal qu'elles fassent aujourd'hui un effort.
Vous avez dit il y a quelques instants que les communes « jouent le jeu ». Mais elles ne jouent pas ! Elles sont sur le terrain et elles font preuve, au quotidien, d'une efficacité que l'État, lui, peine à démontrer.
J'espère qu'au sortir de cette crise, vous nous présenterez une nouvelle loi de décentralisation pour que ceux qui sont au contact du terrain puissent agir.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - L'État n'a pas attendu pour se ranger aux côtés des entreprises : il a fait montre d'une très grande réactivité, et la représentation nationale a très rapidement voté les mesures d'urgence. Aujourd'hui, la trésorerie est en route vers les entreprises, en particulier vers les TPE. Les 1 500 euros du fonds de solidarité sont en train d'arriver sur leur compte en banque. C'est une mesure efficace, concrète et pertinente.
Il faut bien sûr aller plus loin, puisque les TPE doivent faire face au paiement de leurs charges alors qu'elles n'ont plus de recettes. Nous avons repris les charges une par une : chômage partiel, report des paiements de loyer grâce à un accompagnement des bailleurs, mesures spécifiques sur les factures d'eau et d'électricité afin que les TPE n'aient pas à les payer dans l'immédiat.
Les assureurs participent à hauteur de 200 millions d'euros et cet argent a d'ores et déjà été versé au fonds de solidarité des entreprises. Ils ont également accepté le report du paiement des primes sans remise en cause des contrats en cours. Il s'agit d'un effort solidaire et important.
Je viens encore de m'entretenir pendant deux heures avec toutes les fédérations de commerçants pour répondre à leurs nombreux problèmes, afin que sur les territoires, chacun soit mobilisé.
Fin de vie dans les Ehpad
M. Jean-Claude Tissot . - La situation dans les Établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad) est particulièrement critique, avec un quart des décès dus au Covid-19. Je salue le courage et l'engagement des personnels qui, depuis le début de l'épidémie, sont allés travailler parfois avec la peur au ventre. Trop longtemps, ils ont manqué de moyens de protection.
Ces professionnels, confrontés depuis des années à des difficultés structurelles dues au manque de moyens financiers et humains, ont su trouver les ressources pour faire face, de façon admirable. Quand viendra le jour d'après, j'espère que l'on ne s'empressera pas de les oublier.
Le 6 avril, vous avez annoncé une vaste opération de dépistage dans ces établissements. Je m'en réjouis. L'un des problèmes à traiter en priorité est l'accompagnement des personnes en fin de vie. Comme le dit le psychiatre Michel Debout, professeur émérite de médecine légale, la présence des membres de la famille lors des derniers instants d'un proche est à la fois la condition psychologique, affective et émotionnelle pour que la personne âgée meure dans la sérénité ; et la condition pour que la famille n'ait pas le sentiment d'avoir abandonné son parent au seuil de la mort. Le professeur redoute que ces familles ne présentent, une fois la crise sanitaire passée, des états pathologiques durables.
La question de la prise en charge des soignants se posera pareillement lorsque la crise sera passée. Enfin, les agents des services mortuaires, derniers maillons de la chaine du soin, doivent aussi être protégés face au virus.
Comme le souligne Michel Debout, notre humaine condition se construit depuis la nuit des temps sur le fait que nous soyons la seule espèce vivante qui enterre ses morts. Cette place donnée aux morts permet de les relier aux vivants et de construire avec eux la chaîne ininterrompue de l'humanité.
Au moins un membre de la famille sera-t-il autorisé à se tenir au chevet du mourant, avec bien sûr les protections nécessaires face au risque infectieux ?
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Près de 100 000 personnes décèdent chaque année en Ehpad, soit 300 par jour. Ce que vous demandez est déjà possible en droit. Nous avons autorisé la visite d'un proche dans les derniers instants de la vie, dans les Ehpad comme dans les établissements hospitaliers. Bien sûr, un équipement adéquat et une chambre individuelle, lorsque cela est possible, sont nécessaires pour éviter l'entrée du virus dans l'établissement.
J'ai bien conscience que ce n'est pas toujours facile à mettre en place et j'imagine que vous avez à l'esprit des cas précis : je vous propose de contacter mon cabinet. Je m'engage à faire appeler chaque Ehpad où la situation se révèle difficile.
Je travaille avec les fédérations d'Ehpad et les services à domicile que je remercie pour leurs actions déterminées. J'insiste : il n'y a pas de blocage législatif ou règlementaire dans le cas que vous évoquez.
Violences intrafamiliales en période de confinement
M. Vincent Capo-Canellas . - Depuis le début de la crise sanitaire, nous alertons, avec la présidente de notre délégation aux droits des femmes Annick Billon, sur la recrudescence des violences intrafamiliales engendrées par le confinement, violences faites aux femmes et aux enfants.
Votre ministère a très vite annoncé des mesures pour répondre à l'urgence de la situation, aggravée par le confinement. Avez-vous une première évaluation du phénomène ?
Pour répondre efficacement à la détresse de ces femmes et de ces enfants en danger chez eux, il est essentiel de leur donner les moyens de se signaler depuis leur domicile. C'est pourquoi il convient que les forces de l'ordre, à qui je rends hommage, puissent assurer le suivi des mains courantes et des plaintes. Est-ce bien le cas ?
Les conseils départementaux jouent un rôle essentiel dans la protection de l'enfance et la lutte contre les violences faites aux femmes. Comment les services de l'État coordonnent-ils, avec les acteurs de terrain, la prise en charge des victimes et la permanence des structures d'accueil ?
Seule la fin du confinement dévoilera l'ampleur des violences intrafamiliales.
Vous annonciez, avec Marlène Schiappa, un million d'euros à destination des associations. Quels sont les critères d'attribution ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé . - Notre mobilisation à tous, notre vigilance à tous, qu'il s'agisse de l'État, des associations, des collectivités territoriales, est à la hauteur de notre inquiétude.
Notre priorité a été l'efficacité des dispositifs d'alerte. Nous avons adapté le 3919, par exemple en livrant trente téléphones portables.
Au 119, le numéro de l'enfance en danger, quelque trente intervenants répondent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Nous avons renforcé l'information sur la plateforme de signalement arretonslesviolences.gouv.fr. Nous avons mis en place des plans de continuité des cellules départementales de recueil des informations préoccupantes.
Avec la garde des Sceaux, nous avons assuré la permanence des audiences urgentes pour les mineurs. Depuis jeudi, un formulaire de signalement en ligne est disponible sur le site allo119.gouv.fr. Déjà 130 signalements ont été enregistrés.
Avec mes collègues Marlène Schiappa et Christophe Castaner, nous avons élaboré un dispositif d'alerte disponible en pharmacie et dans certains commerces. Le signalement par les enfants, par SMS, a déjà été utilisé par quatre enfants, donnant lieu à deux interventions d'urgence.
Enfin, 1 million d'euros seront effectivement répartis pour le soutien de l'hébergement d'urgence des femmes victimes de violences, le soutien de l'hébergement des auteurs de violences, et le soutien des associations de terrain - mais il faudrait plus de deux minutes pour détailler cela, nous y reviendrons lors de mon audition prochaine par la délégation aux droits des femmes du Sénat !
M. Vincent Capo-Canellas. - Nous voulons rappeler que la protection des enfants et femmes doit être assurée avec une particulière vigilance en cette période.
Stratégie du Gouvernement sur les masques
M. Stéphane Ravier . - « La vie continue, il n'y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie ». Cette phrase a été prononcée il y a un mois, quasiment jour pour jour, par le Président de la République, Emmanuel Macron, à propos de la crise du Covid-19.
En une phrase, voilà résumées toute l'incompétence et l'impréparation de l'État. Mais ça, ça n'est pas une surprise. Depuis, nos compatriotes découvrent et subissent la litanie de vos mensonges. Car vous saviez ! Vous saviez depuis le 11 janvier, quand Agnès Buzyn a prévenu le Président de la République et l'ensemble de votre Gouvernement. Vous saviez, et vous avez choisi de mentir ! Vous avez menti, et des Français sont morts.
Le 18 février, le ministre de la Santé, Olivier Véran, déclarait que la France était prête. Le 26 février, Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, a dit qu'il n'y avait pas de pénurie sur les masques.
Le 20 mars, c'est Laurent Nunez qui a refusé de reconnaître le manque de masques. Mais alors, pourquoi Jérôme Salomon a-t-il affirmé en privé, quatre jours plus tôt, que les stocks de masques étaient limités et que l'on en cherchait partout ? Pourquoi, le 5 avril, Christophe Castaner a-t-il appelé les Français à donner leurs masques aux hôpitaux ? Vous avez vous-même, monsieur le Premier ministre, affirmé le 13 mars que porter le masque ne servait à rien.
La réalité, c'est que vous avez menti sur les masques pour gagner du temps, sachant pertinemment que les stocks stratégiques avaient disparu depuis des années et que donc, la France n'en avait plus !
Conséquences : aujourd'hui la préfète de la région Grand Est réquisitionne les 6 millions de masques destinés au personnel soignant des Bouches-du-Rhône, et vous avez réquisitionné les 4 millions de masques commandés par la région Bourgogne-Franche-Comté ! Cela vire à l'anarchie. Vous avez réussi à faire voler en éclats l'unité nationale.
Incapables de prévoir, vous êtes incapables de protéger la population et si des Français sont en réanimation, n'en déplaise au sinistre préfet de police de Paris, c'est parce que votre Gouvernement n'a pas su, pas pu ou pas voulu les protéger.
Tous ces drames, vous en êtes responsables et peut-être demain serez-vous reconnus coupables. Pensez-vous, monsieur le Premier ministre, que vos mensonges successifs relèvent... de la Cour de justice de la République ?
M. le président. - Je rappelle qu'au Sénat, la parole est libre, mais que la mesure fait partie de nos traditions.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Nous sommes les derniers à pouvoir répondre à cette question, mais vous êtes peut-être le seul à pouvoir répondre à la question que voici : demandez-vous la démission du ministre des Solidarités et de la Santé, comme Mme Marine Le Pen avait demandé celle de Mme Roselyne Bachelot au motif qu'elle aurait acheté « trop de masques » ? (MM. Vincent Capo-Canellas et Joël Guerriau applaudissent.)
Prochaine séance, mercredi 15 avril 2020, à 15 heures.
La séance est levée à 16 h 5.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication