Difficultés de recrutement des entreprises
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport : « Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers », à la demande de la délégation aux entreprises.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.
Je vous rappelle que l'auteur du débat, dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises . - La délégation sénatoriale aux entreprises a confié à Michel Canevet, Guy-Dominique Kennel et moi-même, une mission d'information sur les difficultés de recrutement dans un contexte de forte évolution des métiers.
Les témoignages que nous recueillons auprès des chefs d'entreprises sont récurrents, voire lancinants : ils n'arrivent pas à recruter ni à garder leurs salariés. lls finissent par renoncer à développer leurs activités et ce, alors que le taux de chômage des jeunes reste élevé. Quel gâchis !
Les mutations technologiques qui affectent tous les métiers renforcent ce paradoxe français auquel il faut mettre fin, avec l'État, les régions, les demandeurs d'emploi et les entreprises.
L'électrochoc que nous connaissons aujourd'hui a le mérite de nous encourager à évaluer nos atouts et nos faiblesses, à nous retrousser les manches, et à jouer franc jeu avec toutes les parties prenantes.
L'État doit aider les entreprises à contribuer à la formation de leurs salariés. Un très récent sondage CCI-Opinionway montre que 13 % des entreprises n'envisagent pas de recruter en alternance car les modalités de prise en charge financière sont trop compliquées.
La clef de l'avenir reste qu'il faut renforcer l'acquisition des compétences pour faciliter l'insertion professionnelle et répondre aux besoins de la société et de l'économie.
La crise sanitaire a bouleversé la donne économique. En effet, le PIB reculera de 12 % en 2020, le déficit budgétaire atteindra 221,1 milliards d'euros, et la dette 120,9 % du PIB. L'horizon s'assombrit avec la perspective de suppression de 800 000 emplois dans les prochains mois, soit 2,8 % de l'emploi total. La problématique d'avant la Covid-19 se conjugue avec ces nouveaux défis.
Les dispositifs d'aide aux entreprises, très évolutifs depuis le début de la crise, limiteront la casse sociale mais ne résoudront pas tout. Il faut mieux nous adapter pour mieux rebondir. Madame la ministre, notre contribution est constructive. Remettons en cause certains tabous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jérôme Bignon applaudit aussi.)
M. Michel Canevet, rapporteur pour la délégation sénatoriale aux entreprises . - Nous avons largement entendu les chefs d'entreprises regretter la difficulté de recruter. Il faut accompagner les individus tout au long de leur vie pour une meilleure employabilité ; permettre aux entreprises de trouver rapidement les compétences dont elles ont besoin ; et enfin, définir les modalités d'un pilotage efficient des acteurs de l'emploi. Sur la base de ces constats, nous avons formulé vingt-quatre recommandations.
D'abord, il faut briser le cloisonnement avec l'Éducation nationale et aider les enseignants à mieux appréhender les réalités économiques des entreprises.
Ensuite, l'apprentissage est un besoin conjoncturel et structurel. D'après OpinionWay, 26 % des dirigeants interrogés ont déjà mis en place un contrat d'alternance. Il y a du chemin à faire.
Il faut aussi encourager les entreprises à investir dans la formation pour améliorer leur productivité. Le transfert de compétences entre les plus âgés et les plus jeunes est un enjeu très important. Quelque 900 000 jeunes ne sont ni en études ni en emploi ni en formation.
Il faut aussi assurer la reconversion vers les métiers qui recrutent.
Il y a des expériences malheureuses avec Pôle Emploi, qui n'incitent pas les entreprises à aller vers cet organisme. Il faut changer cette image.
Enfin, le pilotage des acteurs de l'emploi doit être efficient : l'échelon régional nous semble être le plus pertinent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Merci à la délégation aux entreprises d'avoir inscrit les conclusions de ce rapport à l'ordre du jour. Il alimente les réflexions en cours avec les partenaires sociaux. L'emploi et le développement des compétences sont ma priorité, un fil rouge de la politique volontariste et pragmatique que nous menons depuis trois ans.
La loi de septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit un compte personnel de formation et de transition.
L'application Mon compte formation, qui connaît un succès croissant, contribue au développement de la voie de l'apprentissage.
En parallèle, nous avons lancé le Plan d'investissement dans les compétences, dont la moitié est pilotée dans le cadre de pactes régionaux négociés avec les régions.
Il y a quatre mois, les résultats étaient là avec 1,2 million d'emplois créés depuis 2017. Nous frôlions la barre des 500 000 apprentis. Les cartes ont été rebattues avec la crise sanitaire mais l'adéquation des compétences aux besoins des entreprises reste un sujet crucial.
Notre action pour aider les plus précaires a été déterminante pendant le confinement. Grâce au Fonds national de l'emploi (FNE) l'État a pris en charge 400 % de la formation quel que soit le profil du salarié. Le niveau de demandes atteint 5 000 accès par jour.
Quelque 90 % des apprentis ont pu suivre leur formation à distance. Le télétravail a permis de se former.
Nous devons tout faire pour préserver emplois et compétences. C'est ainsi que nous construirons une économie forte et souveraine. Cette transformation exige une action volontariste.
Vous avez formulé 24 recommandations sur trois axes. Nous divergeons sur la 24e recommandation, qui prévoit le pilotage des acteurs publics de l'emploi par les régions mais nous vous rejoignons sur d'autres.
La recommandation 8 sur la journée de découverte des métiers va dans le sens de notre action : la loi Avenir professionnel renforce les missions des régions dans l'orientation. La préparation à l'apprentissage y satisfait, tout comme à la recommandation 9 sur la mise en situation professionnelle.
Quant à la recommandation 19, M. Blanquer a prévu dans la loi sur l'orientation professionnelle 54 heures de découverte des métiers par an pour les élèves de la quatrième à la première.
Votre recommandation 13 incite à sensibiliser les PME au recrutement de candidats idéaux. Pôle Emploi a mis en place une action très forte et encourageante sur les opérateurs de compétence (OPCO).
Quant à la recommandation 12, elle porte sur l'amortissement de l'investissement immatériel, sujet cher à M. Lévrier. Les entreprises peuvent aujourd'hui amortir les frais de formation quand il y a transformation, par l'informatisation. L'État, enfin, prend en charge la première année de l'alternance dans l'entreprise.
Dès cet été, l'introduction de Pôle Emploi dans Mon compte formation facilitera certaines situations.
Nous avons pris des mesures massives de simplification et de soutien financier pour ne laisser aucun jeune de côté. Je serai mardi à Brest à un speed dating emploi avec 500 jeunes.
Le combat de l'apprentissage continue ; nous devons le réussir tous ensemble ! La boussole est commune : l'emploi et les compétences nous sortiront de la crise économique.
M. Joël Labbé . - Merci pour ce débat et ce rapport qui propose de nombreuses solutions. Il s'interroge sur l'insertion des jeunes diplômés. Mais ces derniers refusent de plus en plus de travailler pour des entreprises qui ne correspondent pas à leurs valeurs. Je vous renvoie au manifeste « Pour un réveil écologique » signé par plus de 32 000 élèves de grandes écoles, affirmant leur refus de travailler pour les entreprises les plus polluantes. Selon un sondage, 72 % des jeunes considèrent l'adéquation entre leur travail et leurs valeurs comme un critère primordial de choix. D'où des difficultés de recrutement dans les entreprises de l'agro-alimentaire et de la chimie, boudées par les jeunes.
Ne doit-on pas rétablir l'ordre des choses en demandant aux entreprises de répondre aux enjeux sociaux et environnementaux que les jeunes défendent ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - La jeunesse a toujours contribué à faire changer le monde. Elle a une quête de sens et d'exigence.
Certains jeunes refusent de travailler dans des entreprises où l'égalité entre hommes et femmes n'est pas respectée. La crise de l'emploi atténuera peut-être ce fait de société, mais seulement à court terme. Mieux vaut s'en saisir comme d'une opportunité.
Plus de 6 000 entreprises participent à l'atelier « La France, une chance : les entreprises s'engagent ! » pour donner plus de sens au travail.
Le modèle d'entreprise qui rencontre le plus de succès auprès des jeunes est économique, écologique et solidaire. Les candidats ne manquent pas dans la filière agricole et biologique.
Désormais, les salariés choisissent librement les entreprises où ils souhaitent travailler. Prenons le risque de suivre la jeunesse ; nous ne pourrons que progresser.
M. Joël Labbé. - Les jeunes sont une chance. Les aides ne sont pas suffisantes pour bâtir un nouveau monde écologique et solidaire face au réchauffement climatique et à l'effondrement de la biodiversité.
M. Julien Bargeton . - Le rapport pointe un étrange parallélisme entre les difficultés à recruter des entreprises et un taux de chômage élevé.
L'une des solutions est le télétravail. Les jeunes générations sont unanimes : elles souhaitent un juste équilibre entre leurs vies professionnelle et personnelle.
L'enjeu de la mobilité est de taille. En Île-de-France, 28,8 millions de salariés parcourent 26 kilomètres en moyenne pour aller au travail et en revenir, soit 6 milliards d'heures de déplacement par an.
« Télétravail, un essai à transformer », titre Le Républicain lorrain. Les Français veulent recourir davantage à cette pratique pour améliorer leur qualité de vie sans forcément s'isoler. Quelle est la stratégie du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - J'ai proposé le droit au télétravail dans les ordonnances sur la loi Travail de 2017. À l'époque, c'était presque passé inaperçu. Depuis, 2 000 accords d'entreprises ont été signés sur le télétravail et nous avons noté l'appétence des salariés ; mais cela restait dans la limite d'un ou deux jours hebdomadaires.
Puis la crise du Covid est arrivée. La direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime que 5 millions de Français ont télétravaillé sur trois mois, la plupart pour la première fois.
Nous avons immédiatement publié un guide des bonnes pratiques. Quelque deux tiers des salariés disent qu'ils veulent continuer en alternant le télétravail et le présentiel. Cela fait bouger les entreprises : d'après l'association des DRH, 85 % d'entre elles veulent développer cette pratique qui génère des gains de productivité. Certains considèrent même que le télétravail est inévitable et qu'il faut donc bien l'encadrer. Le télétravail bousculera le management dans l'avenir.
Mme Céline Brulin . - Il peut paraître anachronique de parler de difficultés à recruter quand 900 000 emplois sont menacés. La faute à une absence de politique industrielle depuis trente ans, à un enseignement professionnel négligé, à des programmes tirés vers le bas. Tout se passe comme si l'Éducation nationale ignorait tout du monde de l'entreprise.
La réforme de l'apprentissage confirme nos craintes, tout comme le maillage territorial des CFA, qui risque de se rabougrir. Certaines entreprises nous alertent sur ce point.
Nous avons besoin d'un État stratège, capable d'identifier les secteurs d'avenir.
Enfin, le rapport pointe une dégradation des compétences due à l'accumulation des CDD. Qu'envisagez-vous dans ce domaine alors que l'État soutient les artisans de nombreux secteurs ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Nous n'opposons pas formation générale et formation professionnelle. Ce sont deux voies d'excellence, qui peuvent au demeurant se combiner. Nous y travaillons depuis trois ans avec les ministres Blanquer et Vidal.
J'ai visité soixante CFA ; accompagnez-moi sur le terrain !
M. Jean-Louis Tourenne. - N'inversez pas les rôles !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Je ne connais pas beaucoup de ministres du Travail qui aient passé autant de temps dans les CFA. Je constate un engagement fort des entreprises. La loi permet de faire de l'apprentissage jusqu'à 30 ans. Des pays comme la Suisse et l'Allemagne qui ont fortement développé l'apprentissage ont peu de chômage des jeunes : il y a une corrélation.
M. Jérôme Bignon . - La crise économique a mis un coup d'arrêt brutal à la dynamique de recul du chômage engagée depuis 2017, et qui rendait réaliste l'objectif d'arriver à 7 % à la fin du quinquennat. Mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras.
La France ne doit jamais se résigner au chômage de masse. Mais il faut aussi infléchir notre itinéraire : la relance devra être verte. Mettons fin à ce paradoxe aberrant : demandeurs d'emploi qui ne trouvent pas de travail, entreprises qui ne trouvent pas de compétences. La décarbonation de l'économie, ce sont de nouvelles formations pour de nouvelles compétences.
Comment articuler lutte contre le chômage et lutte contre le changement climatique ? Il ne faut renoncer ni à l'un ni à l'autre. (M. Joël Labbé applaudit.)
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Faisons de deux problèmes une solution, et de la crise du Covid un accélérateur de transformation. Le plan de relance aura un volet sur la transition écologique.
Celle-ci va détruire et créer des emplois : la fermeture des centrales à charbon en détruit, l'économie circulaire en crée.
L'État et les régions sont au rendez-vous en investissant dans les compétences, particulièrement sur la transition écologique et numérique. Donnons envie aux jeunes de construire le monde de demain.
M. Jérôme Bignon. - J'aime votre formule : de deux problèmes faisons une solution. Vos mots ont du sens ; donnons-leur de l'ampleur.
M. Michel Canevet . - Pour l'instant, il n'y a pas de dispositif législatif ou réglementaire sur le plan de relance. Qu'en est-il ?
Quelles conditions de financement avez-vous prévu pour maintenir en CFA un jeune qui ne trouverait pas d'emploi pendant trois à six mois ?
La mallette des apprentis à 500 euros, c'est bien, mais l'équipement peut coûter cher dans certaines professions : un matériel de cuisine coûte bien plus de 500 euros.
Pourquoi ne pas envisager un maintien des ressources après la sortie du CFA ? À Quimper, il n'y a que trois jeunes pour dix-sept offres d'apprentissage chez des couvreurs.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - La mesure sur les apprentis est la seule du plan de relance annoncée par anticipation : l'État remboursera 5 000 euros pour un apprenti mineur, 8 000 euros pour un majeur la première année, soit une couverture quasi-totale.
Quant au prolongement de la capacité d'accueil des CFA de trois à six mois, elle est essentielle pour protéger les jeunes.
La priorité, c'est bien sûr de trouver des offres puisque l'engouement des jeunes est là. Il ne faut pas les décevoir à la prochaine rentrée.
M. Michel Canevet. - Beaucoup de CFA vont organiser des portes ouvertes dès le week-end prochain. Il faut qu'ils puissent informer les familles sur le reste à charge. Attention aussi aux effets d'aubaine, c'est-à-dire à la tentation de licencier des apprentis pour en recruter à nouveau.
Mme Catherine Deroche . - Nos rapporteurs ont souligné le rôle primordial de la formation. C'est à l'échelle locale que le relais entre l'offre et la demande est le plus efficace, d'où la recommandation 24.
La région des Pays de la Loire s'est engagée dans cette voie dès 2015. Grâce à leur compétence économique et à leur connaissance du tissu entrepreneurial, les régions ont pu agir pour l'emploi.
Pourtant, les dernières tentatives de décentralisation se sont montrées inefficaces car trop partielles. Ainsi l'expérimentation annoncée et non concrétisée du transfert, de Pôle Emploi vers les régions, du pilotage de l'achat des formations pour demandeurs d'emploi est restée décevante.
Idem pour la compétence en matière d'orientation, transférée aux régions par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, mais seulement en ce qui concerne l'information sur les métiers.
Sur le terrain la multiplicité des opérateurs crée des redondances et un manque de cohérence dans les actions. Il faut un pilotage unique des différents acteurs publics de l'emploi, Pôle Emploi inclus. Qu'en pensez-vous ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Il faut aller au plus efficace sans a priori. C'est pourquoi nous avons fait des régions un acteur majeur de l'orientation, de la quatrième à la première.
La crise nous a contraints, en quelques jours, à changer toutes les règles d'indemnisation des demandeurs d'emploi. La politique d'emploi relèvera toujours du Gouvernement ; le mandat national du Président de la République contient toujours l'emploi. Aucun État, même fédéral, n'a décentralisé cette compétence. En Allemagne, l'agence spécialisée en la matière est fédérale. Mais national ne veut pas dire parisien : allons à la maille la plus fine. C'est la voie de la relance.
Mme Catherine Deroche. - Vous m'avez déjà donné cette réponse ; je prends acte de nos divergences.
Dans la crise, les collectivités territoriales, régions comprises, ont aussi pallié les défaillances de l'État.
M. Jean-Louis Tourenne . - Ce débat peut paraître décalé quand l'Unédic annonce la destruction de 900 000 emplois en 2020. La priorité est d'annuler les ordonnances inhumaines sur l'assurance-chômage. Pour autant, l'inadéquation entre offre et demande d'emploi reste une question récurrente.
Les obstacles semés sur la voie des recruteurs s'expliquent aussi par des horaires décalés, des conditions difficiles de travail, des rémunérations insuffisantes, dans la restauration par exemple, où la promesse de consacrer le tiers de la baisse de la TVA en 2009 aux salaires n'a pas été tenue, etc.
L'offre de CDI, qui augmente depuis 2015, allonge le temps de recrutement. Des pistes existent : une meilleure formation théorique et intellectuelle, plus d'adaptabilité, des temps complets mutualisés entre groupements d'employeurs, pourquoi pas des agences publiques pour multiplier les CDI d'intérim, une adaptation des postes de travail, des dynamiques de bassin pour prévoir les besoins à venir, dans le privé comme dans le public, et engager ainsi les formations utiles.
Bref, en matière d'économie comme d'emploi, il faut une nouvelle phase de décentralisation pour une nouvelle vitalité des territoires.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Comment réduire l'écart insupportable entre la demande et l'offre d'emploi. C'est un drame que ces 300 000 à 400 000 emplois qui ne trouvent pas preneur !
Depuis le 1er janvier, et cela fait partie de la convention tripartite, toutes les offres d'emploi déposées à Pôle Emploi et non pourvues au bout de trente jours donnent lieu à un travail proactif de consultation de Pôle Emploi auprès des entreprises : l'organisme essaie d'identifier le problème et de préciser les besoins. Beaucoup d'emplois restent non pourvus parce qu'on n'a pas su les exprimer.
Au coeur du confinement, il y avait des métiers en tension, dans les transports, la santé.... Les conditions de travail, en effet, peuvent être en cause. Le CDI d'intérim, facteur de souplesse pour le salarié et l'entreprise, doit en effet être développé.
M. Jean-Louis Tourenne. - Il faut avant tout privilégier la formation intellectuelle. Je suis aussi très attaché à la dynamique des territoires : c'est là que l'on peut créer des emplois.
M. Michel Canevet . - L'acquisition de compétences par la formation initiale et continue est en effet cruciale. La proactivité auprès des entreprises est capitale. Beaucoup d'entreprises ne connaissent pas bien les services de Pôle Emploi.
Autre problème, la pluralité des acteurs - missions locales, Cap Emploi, Pôle Emploi - sans coordination. C'est la région, qui a la compétence économique, qui peut apporter cette cohérence, surtout dans une France que nous voulons décentraliser.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Dans la transformation de Pôle Emploi engagée, figure l'idée de la différenciation territoriale. C'est possible aussi pour une agence nationale. Avant la crise, il y avait 24 départements, souvent dans l'Ouest, où le chômage était inférieur à 7 %, voire à 5,5 % - soit quasiment le plein-emploi.
Dans les Pyrénées-Orientales, en revanche, c'est 18 %. Cela appelle des solutions différenciées, avec un rôle renforcé pour les préfets.
Il y a déjà 4 000 conseillers-entreprise chez Pôle Emploi, nous allons en ajouter 1 000.
Là où cela se passe bien, il y a des dynamiques qui s'enclenchent. Plutôt que de les fusionner, nous avons fait travailler ensemble Cap Emploi et Pôle Emploi. L'heure est à la mobilisation nationale.
M. Michel Canevet. - Certes. Dans les Hauts-de-France, nous avons pris connaissance de l'expérience Proch'Emploi. Sur le terrain, quand il y a une collaboration, l'emploi progresse.
Mme Pascale Gruny . - Je félicite Michel Canevet et Guy-Dominique Kennel pour leur rapport, en particulier sur la numérisation de l'économie et sur les difficultés de recrutement.
Notre pays est en retard avec 191 000 postes à pourvoir d'ici 2022, dans le numérique. Plus grave, l'illectronisme concerne 20 % de la population. L'apprentissage des outils du numérique doit aller de pair avec l'apprentissage de la lecture.
La première urgence est de renforcer la formation du grand public, en inscrivant le numérique dans la logique du système éducatif, sur le modèle des pays nordiques. L'apprentissage des usages du numérique doit aller de pair avec celui de la lecture.
Pourquoi ne pas créer un baccalauréat professionnel dédié aux services numériques ?
Le manque de compétences numériques se retrouve au sein de l'entreprise. L'incitation financière pourrait être un premier socle, avec un suramortissement ou un crédit d'impôt pour les entreprises qui font l'effort de former leurs salariés. La reconversion numérique des chômeurs est un moyen de pallier la pénurie de main-d'oeuvre. Le numérique est le premier secteur de recrutement, devant la santé et le social. Quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre pour diffuser partout et pour tous une véritable culture du numérique et ainsi faire entrer la France dans la 4ème Révolution industrielle ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - En effet, le numérique n'est pas une option, c'est une nécessité. Que faisons-nous ? Avec la grande école du numérique, financée par l'État, 18 000 formations - dont beaucoup de reconversions - ont été initiées en 2019, alors que nous en avions prévu 10 000. J'ai ainsi rencontré une boulangère devenue codeuse et un élève qui avait raté l'école et travaillait dans une grande entreprise de l'intelligence artificielle. Il n'y a pas besoin d'avoir fait des études classiques : il faut surtout s'y investir à fond !
Avec toutes les régions, il n'y a pas eu de débat : nous avons convenu avec elles que le numérique est prioritaire. C'est l'un des cinq secteurs les plus demandés dans Mon compte formation. Il faut qu'il y ait des formations dans toutes les TPE.
On a pu dispenser des enseignements à 90 % des jeunes : il faut que ce soit 100 %. Le monde de demain sera numérique. Les jeunes vont se l'approprier, pour qu'il n'y ait plus d'illectronisme en France.
Mme Pascale Gruny. - Je suis satisfaite de vous voir si mobilisée. Avec la délégation aux entreprises, nous avons constaté que d'autres pays comme le Danemark connaissent aussi de très forts besoins : il ne faudrait pas former nos jeunes pour qu'ils y partent ensuite...
M. Jacques Bigot . - Le Sénat a adopté ce matin à l'initiative du groupe socialiste et républicain une résolution qui préconise l'idée d'une nouvelle décentralisation. Je veux revenir à notre recommandation 24.
Les jeunes ne sont plus sûrs comme les anciens de faire toute leur carrière dans le même métier.
En Allemagne, il y a un tissu de PME organisées dans l'ensemble du territoire, de quelque mille salariés ; en France, la majorité des PME n'ont que sept ou huit salariés ; il y a soit de très grosses entreprises, soit de toutes petites qui nous interpellent sur l'emploi. Cela ne peut s'organiser que de façon territoriale.
Quel est votre avis sur la recommandation 24 ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Là où il y a des progrès, c'est là où l'on coopère : dans les Hauts-de-France, en partenariat avec le président de région, avec les communes et les intercommunalités aussi, dans les territoires zéro chômeur. Sur la formation, personne ne peut considérer qu'il détient la seule réponse, ni l'État, ni les collectivités territoriales, ni les partenaires sociaux.
Opposer les acteurs, cela ne nous fera pas gagner. C'est dans cet esprit-là que nous travaillons. Tout ce qu'on a fait n'est pas parfait, et il faut sans doute inventer de nouvelles solutions. La crise nous pousse vers cette approche. Je suis prête à aller plus loin avec toutes les collectivités territoriales.
M. Jacques Bigot. - À la tête des collectivités territoriales, il y a des élus. Ce sont eux qu'il faut mobiliser. Mais vous préférez mobiliser la technocratie et que les autres acteurs obéissent exactement comme pendant la crise sanitaire ! (Mme la ministre s'en défend.)
Mme Laure Darcos . - Le Président de la République a récemment plaidé pour la reconquête de la souveraineté économique de la France et la relocalisation d'activités stratégiques sur le territoire. La France a perdu une part importante de ses capacités de production industrielle, de ses emplois, de ses compétences et de ses savoir-faire. Chacun le déplore sur son territoire. Or 80 % de la perte d'emplois industriels est liée au progrès technique. Les délocalisations ont répondu à une logique économique.
Attention à ne pas oublier que le faible poids de l'industrie dans notre pays provient d'un manque de compétences : nous formons 2,5 fois moins d'ingénieurs en France qu'en Allemagne.
L'industrie de demain, ce sera l'intelligence artificielle. Or selon Florent Menegaux, le président de Michelin, nous formons nos élèves aux techniques du passé.
Aussi louable que soit l'ambition de réindustrialiser, envisagez-vous de renouer les liens entre l'Éducation nationale et le monde de l'entreprise ?
Comment adapter le système éducatif à l'industrie de demain ? Comment encourager les formations scientifiques ?
Il faut une plus grande interaction avec le monde de l'entreprise pour confronter la théorie à la pratique.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Pourquoi réindustrialiser ? Parce qu'un emploi industriel crée quatre emplois. Le fort taux de chômage en France vient en partie de sa désindustrialisation. Ce n'est pas une fatalité. Cela fait partie des sujets du pacte productif que nous avons commencé à préparer avec Bruno Le Maire. Entre la déficience en compétences et la désindustrialisation, c'est comme l'oeuf et la poule.
Aujourd'hui les industriels n'ont plus besoin d'autorisation administrative pour créer des formations et ils se lancent. Ce n'est pas une formation au rabais. On peut faire le pari du capital humain. Tous les grands groupes sont en train de développer l'apprentissage. C'est une voie formidable, une voie d'avenir. On peut aller plus loin dans ces campus - souvent créés en association avec les régions. Deux régions, sur dix-huit, malheureusement, n'ont pas voulu s'y prêter. Je le regrette.
Mme Victoire Jasmin . - Pendant la période du Covid, les entreprises innovantes ont pu réagir : les Gafam ont fait de belles affaires. Il faudrait partir des besoins des entreprises pour dessiner les formations de demain. Celles-ci devraient être déterminées non plus sur la base des besoins du territoire. Nous sommes un pays vieillissant, un pays à vocation agricole, mais ces filières ne sont pas promues.
En ce moment même, une centrale est convertie à l'énergie propre. Mais, faute de gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC), quarante emplois sont en danger en Guadeloupe. Il faut une nouvelle approche.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Partout, l'enjeu des compétences est grand - mais il est peut-être encore plus grand outre-mer. Notre plan d'investissement est consacré à 8,8 % à l'outre-mer pour une population correspondant à 3 % de la population française totale.
Les filières d'apprentissage en agriculture ont un taux d'embauche de 80 % à 90 %, encore faut-il convaincre des jeunes, et pas forcément des enfants d'agriculteurs.
Le travail détaché, c'est une bonne solution de dernier recours. Mais dix ans de suite, utiliser cette solution plutôt que de former un apprenti, ce n'est pas bien.
M. Stéphane Piednoir . - Chacun s'accorde à dire que la transition numérique est en marche. La crise sanitaire a mis en lumière les exigences dans ce domaine. On observe aussi une prise de conscience généralisée de la nécessité de la transition énergétique.
L'inadéquation entre les profils et les postes est une question problématique. Qui mieux que les acteurs locaux pour y répondre ? Notre recommandation 24 est de confier le pilotage de l'emploi à la seule région. Le recrutement notamment des jeunes doit être au coeur de nos préoccupations.
Il serait opportun d'encourager la co-construction entre les établissements d'enseignement supérieur et les territoires pour parfaire l'adéquation entre fonction et besoins.
Les campus des métiers et qualifications sont une bonne solution qui mérite d'être renforcée. Les universités pourraient être un partenaire essentiel. Quelles sont les orientations du Gouvernement dans ce domaine ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Si j'étais provocatrice, je demanderais : qu'est-ce qui empêche de le faire dès aujourd'hui ? Ce sont les régions qui ont cette compétence !
L'État apporte des moyens supplémentaires par le plan d'investissement compétences, mais c'est un soutien.
Certaines régions sont très innovantes dans ce domaine. J'ai l'impression que vous réclamez une compétence dont la région dispose déjà. Alors, je dis : banco ! Chiche !
M. Marc Laménie . - La délégation aux entreprises a bien travaillé sur ce sujet : ses vingt-quatre recommandations nous rappellent des situations que nous retrouvons dans nos départements, comme la pénurie de candidatures pour certains secteurs, comme celui du bâtiment. Ce sont des métiers manuels, difficiles.
Il y a dans ce domaine beaucoup de partenaires - il n'est assurément pas facile de s'y retrouver. Autre problème, la complexité du code du travail. Sa simplification est nécessaire. Le Gouvernement veut-il avancer dans ce domaine ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Le bâtiment est un des trois secteurs qui emploie le plus de travailleurs détachés.
La France a gagné son combat et à partir de cet été, on atteindra le principe : « à travail égal, salaire égal ! » Le prochain, c'est « à travail égal, coût égal » car les cotisations patronales sont différentes.
Il faut aussi renverser l'image du secteur. L'opération « 15 000 bâtisseurs » a abouti à 20 000 recrutements.
Il ne vous a pas échappé que les ordonnances de 2017 ont simplifié le code du travail. Mais le problème, c'est que le chef de TPE ou PME ne passe pas son temps à lire le code du travail et je le comprends.
Nous bâtissons un outil sous la forme de réponses à des questions, qui s'enrichit au fur et à mesure.
M. Marc Laménie. - Oui, il faut simplifier l'accès au code du travail, qui reste semé d'embûches, en dépit de l'engagement de l'administration.
M. Vincent Segouin . - Je viens de l'Orne qui abrite des pépites d'entreprises de toutes tailles, parfois à rayonnement international, mais qui le sait ? Même les enfants de notre territoire l'ignorent. Et ce, car leur cursus scolaire ne le permet pas.
Dès la troisième, les collégiens devraient découvrir le monde économique de leur territoire. L'orientation est la solution, si elle se fait en partenariat avec les entreprises. L'Éducation nationale ne doit plus ignorer la vie économique. Je suis chef d'entreprise ; comme d'autres, j'ai négligé l'accueil des jeunes à cause des contraintes de l'inspection du travail.
Ne serait-il pas opportun d'appliquer un bonus-malus à la taxe salariale sur le critère de la quantité et de la qualité de la formation assurée au sein des entreprises ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Ayant habité en Normandie, je suis sensible au charme de l'Orne (Sourires) Ce n'est pas nous mais les gens, qui ont fait une expérience différente avec le télétravail et ont imaginé s'installer ailleurs, pour venir deux jours par semaine au siège de l'entreprise en Île-de-France.
Nous travaillons avec les branches professionnelles et l'Éducation nationale pour que 100 % des jeunes de la quatrième à la première passent deux semaines en entreprise.
Les entreprises qui ne forment pas, paient une taxe. Je préférerais qu'elles forment et ne paient pas la taxe.
Nombre d'entreprises s'approprient la réforme de l'apprentissage. Nous avons créé un cadre favorisant une dynamique venant du terrain. Et une entreprise qui a formé un jeune veut l'embaucher, donc on rapproche offre et demande.
M. Vincent Segouin. - Le ministre de l'Éducation nationale partage-t-il vos orientations ? Y aura-t-il des visites d'entreprises dès le collège ?
Je regrette qu'on applique toujours des bonis aux entreprises de plus de 250 salariés alors que l'entreprise moyenne en France compte six salariés. Il faudrait aussi penser à elle.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises . - Il est frustrant de n'avoir que cinq minutes pour conclure le travail d'une année ! J'espère que le président sera indulgent sur mon temps de parole...(Sourires)
La clé de nos propositions repose sur l'expérience du terrain : regarder ce qui fonctionne et l'encourager, en formulant des propositions concrètes.
Nos propositions ont été lues (Mme la ministre le confirme.) ; j'espère que certaines seront entendues, et certaines traduites en acte, madame la ministre.
La délégation aux entreprises est exemplaire : elle compte elle-même un apprenti. J'ai moi-même dirigé un centre de formation des apprentis, avant d'être inspecteur chargé de l'apprentissage. Je suis heureux qu'on en découvre enfin les vertus.
Si je manquais de modestie, je vous conseillerais volontiers la lecture de mon rapport de 2016 sur l'orientation...(Sourires) Il contient des mesures tout à fait concrètes et réalisables. Le Gouvernement dit que certaines choses existent déjà, mais les 54 heures de découverte pour les élèves sont hors de leur emploi du temps scolaire.
Nous souhaitons que l'amortissement de la formation soit pérenne et élargi. Nous avons tous le souci de la réussite des territoires et de l'ensemble de notre jeunesse. Nous proposons de confier le pilotage des acteurs de l'emploi à la région car nous voulons un pilote dans l'avion. Or la région n'a aucun pouvoir sur le personnel de l'Éducation nationale !
Madame la ministre, gagnons du temps : faites vôtres nos vingt-quatre propositions pour que les réalisations aient lieu sur le terrain le plus rapidement possible ! (Applaudissements au centre et à droite)
Prochaine séance lundi 29 juin 2020, à 16 heures.
La séance est levée à 20 h 10.
Jeudi 25 juin 2020 |
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Sommaire
Remplacement d'un sénateur1
Nouvelle ère de la décentralisation1
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de résolution1
M. Daniel Chasseing2
Mme Françoise Gatel2
M. Philippe Pemezec2
M. Jérôme Durain2
M. Jean-Claude Requier2
M. Didier Rambaud2
M. Jean Louis Masson2
M. Pascal Savoldelli2
M. Jean-Raymond Hugonet2
M. Didier Marie2
M. Stéphane Piednoir2
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales2
Création d'un fonds d'indemnisation des victimes du Covid-192
Discussion générale2
Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi2
Mme Corinne Féret, rapporteure de la commission des affaires sociales2
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre l'épidémie de covid-192
Mme Jocelyne Guidez2
Mme Catherine Deroche2
Mme Véronique Guillotin2
M. Martin Lévrier2
Mme Michelle Gréaume2
M. Daniel Chasseing2
Mme Michelle Meunier2
Discussion des articles2
ARTICLE PREMIER2
ARTICLE 72
ARTICLE 92
M. Bernard Jomier2
Mme Victoire Jasmin2
Décès d'un ancien sénateur2
Exploitation commerciale de l'image d'enfants sur les plateformes en ligne2
Discussion générale2
M. Franck Riester, ministre de la culture2
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication2
Mme Sylvie Robert2
SÉANCE
du jeudi 25 juin 2020
97e séance de la session ordinaire 2019-2020
présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente
Secrétaires : M. Guy-Dominique Kennel, M. Victorin Lurel.
La séance est ouverte à 9 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.