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Table des matières



Décès d'anciens sénateurs

Avenir du régime de garantie des salaires

M. Serge Babary, auteur de la proposition de résolution

Mme Colette Mélot

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Martin Lévrier

M. Fabien Gay

M. Jean-Pierre Moga

M. Serge Mérillou

Mme Pascale Gruny

M. Michel Canevet

M. Marc Laménie

M. Jean-Claude Requier

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion

Avenir institutionnel, politique et économique de la Nouvelle-Calédonie

M. Pierre Frogier, pour le groupe Les Républicains

M. Guillaume Gontard

M. Mikaele Kulimoetoke

M. Jean-Claude Requier

Mme Éliane Assassi

M. Gérard Poadja

M. Patrick Kanner

M. Pierre Médevielle

M. Bruno Retailleau

M. Jean-Pierre Sueur

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer

Souveraineté économique de la France

M. Serge Babary, pour le groupe Les Républicains

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie

Mme Marie Evrard

M. Henri Cabanel

Mme Marie-Noëlle Lienemann

M. Jean-Pierre Moga

M. Franck Montaugé

M. Jean-François Rapin

M. Franck Menonville

M. Guillaume Gontard

Mme Anne-Catherine Loisier

Mme Florence Blatrix Contat

M. Stéphane Piednoir

M. Jean-Jacques Michau

Mme Christine Bonfanti-Dossat

M. Cyril Pellevat

Mme Céline Boulay-Espéronnier

M. Bernard Fournier

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains

« Les enjeux nationaux et internationaux de la future PAC »

M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe SER

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

M. Henri Cabanel

M. Gérard Lahellec

M. Pierre Louault

Mme Gisèle Jourda

M. Jean-François Rapin

M. Alain Marc

M. Joël Labbé

Mme Patricia Schillinger

M. Philippe Folliot

M. Jean-Jacques Michau

Mme Vivette Lopez

Mme Florence Blatrix Contat

M. Fabien Genet

Mme Kristina Pluchet

M. Laurent Somon

M. Olivier Rietmann

M. Franck Montaugé, pour le groupe SER

Ordre du jour du mercredi 5 mai 2021




SÉANCE

du mardi 4 mai 2021

88e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

Secrétaires : M. Joël Guerriau, Mme Marie Mercier.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Décès d'anciens sénateurs

M. le président.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Henri Goetschy, qui fut sénateur du Haut-Rhin de 1977 à 1995, et Marc Bécam, qui fut sénateur du Finistère de 1980 à 1986.

Avenir du régime de garantie des salaires

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues, relative à l'avenir du régime de garantie des salaires, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Serge Babary, auteur de la proposition de résolution .  - Le groupe Les Républicains du Sénat - conjointement avec celui de l'Assemblée nationale - souhaite sonner l'alarme, dans un esprit constructif. Le contexte économique et social ne permet aucun faux pas.

Nous devons nous interroger sur l'opportunité de modifier la loi, car l'instabilité juridique est contreproductive. Face au mur des faillites, pourquoi prendre le risque de déstabiliser le régime de garantie des salaires ? Quelque 750 000 emplois sont menacés. Euler Hermes nous annonce une augmentation de 32 % des défaillances des entreprises en 2021 et selon la Coface, 22 000 entreprises risquent de mettre la clé sous la porte, après n'avoir survécu que grâce aux aides.

Alors pourquoi cette réforme ?

Le Parlement avait autorisé le Gouvernement, par la loi Pacte de 2019, à transposer la directive européenne Restructuration et insolvabilité. Mais le Gouvernement va plus loin que les ajustements nécessaires, et propose un nouvel agencement de l'article L. 643-8 du code de commerce, débouchant sur une rétrogradation de la créance superprivilégiée des salaires de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances de salariés (AGS).

Les procédures collectives font intervenir plusieurs acteurs sous l'autorité du tribunal de commerce : entreprise, administrateurs et mandataires judiciaires, praticiens de la procédure, créanciers...

Le régime de garantie des salaires, créé en 1973 par les employeurs - qui le financent - permet le maintien des salaires dans les entreprises en difficulté. L'AGS avance les créances salariales : salaires, indemnités de licenciement ou congés payés. La récupération des sommes est permise par le superprivilège de l'AGS.

Cette spécificité française est essentielle au droit des entreprises en difficulté et à la préservation de l'emploi ; il est impératif de la conserver. L'AGS est un amortisseur social qui préserve l'avenir.

Le projet d'ordonnance prévoit que la récupération des salaires interviendrait après le paiement des « frais de bon déroulement de la procédure », bénéficiant principalement aux administrateurs et mandataires judiciaires (AJMJ) et aux experts. Mais depuis plus de vingt ans, ces frais de procédure sont critiqués pour leur niveau excessif et leur manque de transparence et de contrôle. Les abus de certains jettent l'opprobre sur tous, et sont régulièrement dénoncés, depuis Arnaud Montebourg en 2001 jusqu'à Richard Ferrand ou l'Autorité de la concurrence.

Ce projet d'ordonnance, choquant dans le contexte actuel, menace la pérennité économique de l'AGS, qui perdrait de 300 à 400 millions d'euros par an. Elle n'aurait que deux options pour y répondre : réduire le périmètre de prise en charge ou tripler le taux de cotisation des entreprises - ce qui est inacceptable en période de crise.

La délégation sénatoriale aux entreprises est unanime pour condamner ce projet de réforme. Où est l'intérêt général dans cette démarche ?

La mission confiée à René Ricol a réintroduit un peu de bon sens. Nous saluons sa sagesse. Maintenons le superprivilège de l'AGS pour garantir la pérennité de notre système, l'un des plus protecteurs en Europe.

Ce sujet doit être traité dans un projet de loi et non subrepticement dans une ordonnance : le Sénat sera heureux de s'y associer, notamment avec les travaux de la commission des lois sur les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises, qui seront présentés le 19 mai.

Comme le suggère René Ricol, il faut élargir le débat au rôle de l'AGS dans le reclassement des salariés ou dans les procédures de prévention, ou à son intervention auprès des groupements d'employeurs, moins solides financièrement. Par ailleurs, pourquoi ne pas inclure les indépendants dans le système de garantie ?

Renforçons la transparence et le contrôle des frais des professionnels intervenant dans les procédures collectives, et créons un cadre pour faire évoluer les pratiques.

Enfin, pourquoi ne pas prévoir une procédure simplifiée et accélérée, comme notre délégation l'a proposé il y a déjà trois ans à la suite du rapport d'Olivier Cadic sur la liberté d'entreprendre ?

Nous espérons que le Gouvernement nous rassurera sur la mise en oeuvre des préconisations de René Ricol, en amont de la ratification de l'ordonnance.

La situation économique est grave : votons cette proposition de résolution pour défendre la pérennité du système de garantie des salaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Canevet applaudit également.)

Mme Colette Mélot .  - Le régime éprouvé de garantie des salaires est essentiel pour le monde économique.

Nous avons la chance de disposer d'un des systèmes les plus protecteurs d'Europe, qui garantit le versement des salaires lorsqu'une entreprise est en procédure collective par un double financement : cotisations patronales et créances sur l'entreprise. Ces dernières représentaient 36 % des ressources de l'AGS en 2019, grâce au superprivilège qui la place au troisième rang des créanciers.

Cette pratique est remise en question en raison d'un conflit ouvert entre l'AGS et les administrateurs et mandataires judiciaires : à la suite de plusieurs abus, l'AGS refuse de leur restituer les avances de fonds pour frais de justice et de procédure.

La transposition de la directive Restructuration et insolvabilité rétrograde l'AGS du troisième au sixième rang des créanciers, au profit des administrateurs et mandataires judiciaires.

Le financement de la garantie des salaires serait ainsi compromis, alors que la crise sanitaire a entraîné une baisse de 9 % des comptes de l'AGS en raison du chômage partiel et qu'elle fragilise l'ensemble du monde économique.

Les défaillances d'entreprises ont explosé en mars, en hausse de 155 %. L'allongement des délais de déclaration de cessation de paiement a décalé les procédures judiciaires. La Banque centrale européenne (BCE) anticipe une vague d'insolvabilité. Avec la fin des aides, la France pourrait compter 22 000 entreprises non viables.

Il est indispensable de conserver le système AGS, institué par la loi du 27 décembre 1973, qui paie chaque année les salaires de 150 000 salariés, joue un rôle d'amortisseur social et contribue au financement des entreprises en faillite.

René Ricol préconise de maintenir la priorité des salaires sur les honoraires des administrateurs et mandataires judiciaires. Oui, le superprivilège des salariés doit être conservé : c'est pourquoi le groupe INDEP votera la proposition de résolution.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Le rapport Ricol sur le projet d'ordonnance du ministère de la Justice, qui transpose la directive Restructuration et insolvabilité, confirme que ce projet rétrograderait l'AGS dans l'ordre des créanciers, alors que rien dans la directive n'y oblige.

La proposition de résolution vise à maintenir le droit actuel, ce que le GEST souhaite aussi. C'est un outil efficace de protection des salariés.

Toute rétrogradation du rang des créanciers réduirait la récupération des avances consenties, alors que les trois quarts sont des avances superprivilégiées. Les autres avances sont plus faiblement récupérées, ce qui explique un taux de couverture final de 37 %.

La baisse du taux de couverture des avances par les récupérations de créances déséquilibrerait le régime.

Le plafond de garantie risque d'être abaissé, certaines créances salariales comme les congés payés ou les dommages et intérêts pourraient être exclus, et le taux de cotisation des entreprises, qui s'établit depuis 2017 à 0,15 % de la masse salariale, pourrait augmenter de nouveau : il avait atteint 0,4 % après deux hausses en 2009.

La modification de l'ordre des créances risque de faire basculer le système dans le déséquilibre au moment où les défaillances d'entreprises vont se multiplier, avec un effet ciseau : les cotisations baissent avec la crise, or les 22 000 défaillances d'entreprises prévues feront augmenter les avances. L'Observatoire français des conjonctures économiques prévoit une perte de 180 000 emplois en 2021. Certains craignent un véritable tsunami social.

La crise ne doit pas être aggravée par cette réforme ! Le maintien du superprivilège de l'AGS n'est pas négociable.

Les frais de justice doivent être plus transparents et mieux contrôlés.

Pour défendre les droits des salariés, le GEST votera la proposition de résolution.

M. Martin Lévrier .  - Cette proposition de résolution témoigne d'une préoccupation des parlementaires pour nos entreprises dans un climat à haut risque de faillites. Les articles 60 et 196 de la loi Pacte prévoient la transposition de la directive par ordonnance. Tous les acteurs doivent être associés à leur élaboration.

L'AGS est un régime réactif et efficace qui, en 2019, a versé 1,5 milliard d'euros à 182 000 salariés, en moins de cinq jours en moyenne. Il ne coûte rien aux contribuables. Son équilibre financier repose sur son superprivilège dans l'ordre de réorganisation des créances, mais cet ordre n'est pas explicite actuellement.

Les administrateurs et mandataires judiciaires jouent aussi un rôle essentiel, comme le souligne René Ricol. L'équilibre avec l'AGS est nécessaire et doit être protégé.

La rétrogradation de l'AGS risque de réduire les sommes allouées à la garantie des salaires.

Mais ce déclassement doit être relativisé car la réalité est complexe. Le droit actuel n'est pas toujours clair et lisible. Toutes les parties prenantes doivent être entendues.

Les résolutions sont une voie d'affirmation du Parlement, différente de l'initiative législative. Celle-ci concourra à l'amélioration de l'avant-projet d'ordonnance, que le Gouvernement entend retravailler en tenant compte du rapport Ricol. Le Premier ministre a réaffirmé son attachement à l'AGS : la proposition de résolution nous paraît donc satisfaite sur ce point, d'autant que le Gouvernement agit massivement pour prévenir les défaillances d'entreprises, avec notamment la prolongation du Fonds de solidarité.

Nous voterons donc contre la proposition de résolution.

M. Fabien Gay .  - L'AGS, quoiqu'imparfaite dans sa gestion, est fondamentale pour les salariés et les entreprises. Elle est menacée par une réforme combattue par les syndicats et les organisations patronales. Je remercie le groupe Les Républicains pour son initiative.

Le système de garantie créé en 1973 a versé 1,5 milliard d'euros d'avances en 2019 à 182 000 salariés, généralement versées en cinq jours.

L'AGS a été créée pour protéger les salariés, et non les frais de justice. Conservons son but initial.

Les salariés sont en première ligne dans cette crise : on ne compte plus les licenciements ces derniers mois. Les indemnités chômage de plus d'un million de salariés vont baisser, rappelait l'Unedic hier. Et s'y ajoute votre réforme inique de l'assurance chômage.

Madame la ministre, vous soufflez sur les braises de la colère sociale ! Les ressources de l'AGS sont constituées à 25 % des remboursements des créances des entreprises, car elle est prioritaire. L'AGS ne coûte rien à l'État. Sa gestion mérite certes d'être réformée - il faudrait débattre notamment de sa composition non paritaire ou de l'absence de droit de regard de l'Unedic. Au lieu d'améliorer la transparence et la gestion, vous changez le but de l'AGS.

Les organisations patronales et salariales sont fermement opposées à votre projet. Vous mélangez transposition et surenchère en modifiant l'ordre des créanciers au profit des administrateurs judiciaires et des banques, alors que rien dans la directive n'y oblige.

Il faut davantage de transparence sur les frais de justice. Votre deuxième mouture conserve le rang de l'AGS mais place les frais de justice au deuxième rang, ce qui revient au même ! Au lieu de déstabiliser le système, créons un fonds de garantie dédié ! Votre réforme s'attaque aux fonds propres de l'AGS dans un contexte d'augmentation des dépôts de bilan. Cela pourrait conduire à tripler le montant des cotisations !

L'ordonnance du 20 mai 2020, qui autorise le rachat de sa propre entreprise en liquidation, a déjà affaibli l'AGS, obligée de payer les salaires d'entreprises liquidées comme celles du groupe Mulliez...

Le groupe CRCE votera cette proposition de résolution avec grand plaisir.

M. Jean-Pierre Moga .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie les auteurs de la proposition de résolution pour leur vigilance. Les salaires dans les entreprises en difficulté doivent continuer à être versés. Cette question va se poser avec de plus en plus d'acuité, le Parlement ne peut s'en désintéresser.

Avec une rare unanimité, syndicats et patronat ont dénoncé un projet de réforme qui déstabiliserait notre régime de garantie des salaires.

Cette proposition de résolution traduit une réelle inquiétude et le souhait de maintenir cet amortisseur social.

La rétrogradation de l'AGS dans l'ordre des créanciers est difficilement acceptable. La perte de 320 millions d'euros qui en résulterait nécessitera soit d'augmenter la cotisation patronale, soit de réduire les garanties apportées aux salariés.

Je suis également favorable à l'ouverture de la protection aux indépendants qui manquent cruellement de filet de sécurité.

La loi Pacte prévoyait-elle vraiment une telle réforme ?

Madame la ministre, comment allez-vous prendre en compte les recommandations de René Ricol ?

L'AGS est un mécanisme de démocratie sociale dont nous pouvons être fiers. Le groupe UC votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Serge Mérillou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis un an, notre pays est frappé par une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent. Notre économie est sous cloche ; les mesures de soutien remplissent leur rôle et le taux des faillites a diminué de 37 % en 2020, mais nous repoussons l'inévitable.

Une fois la perfusion arrachée, de nombreuses entreprises fermeront ou licencieront. Quelque 175 000 emplois sont menacés, selon l'OFCE. Les faillites pourraient passer de 2,3 % à 12,1 %, soit 250 000 emplois menacés...

Il faut protéger les Français qui perdront leur emploi. Mais le Gouvernement a un curieux sens du timing : il met sur la table ce projet d'ordonnance qui fait passer les salaires après les administrateurs et mandataires judiciaires. Quel sens des priorités !

C'est aberrant, mais cohérent avec votre réforme inacceptable de l'assurance chômage, en pleine crise économique... Le Gouvernement rassemble syndicats et patronat contre lui.

L'AGS remplit un rôle d'amortisseur social. Sa rétrogradation dans l'ordre des créanciers la mettrait en difficulté. Nous demandons le retrait de ce projet inopportun et inapproprié.

Notre régime de garantie des salaires est parmi les plus protecteurs d'Europe. Depuis 2010, plus de 2,4 millions de salariés en ont bénéficié : nous devons le conserver et l'améliorer.

Le superprivilège est plus que jamais nécessaire. S'il était supprimé, les recettes de l'AGS seraient amputées. Cela conduirait à une baisse de la prise en charge ou à une hausse des cotisations, de l'ordre de 300 %. Aucune de ces options n'est raisonnable en période de crise.

Selon les syndicats, rien dans la directive européenne ne justifie cette modification de la hiérarchie des créanciers.

René Ricol dénonce la rétrogradation de l'AGS, appelle à clarifier l'ordre de priorité des créanciers et à conserver l'actuel superprivilège des créances salariales.

Le groupe SER partage les craintes des salariés et des entreprises : il votera cette proposition de résolution qui envisage aussi la protection des indépendants.

La gestion de l'AGS est qualifiée par les syndicats de salariés de « boîte noire » dont le patronat fait ce qu'il veut : il faut plus de transparence et une meilleure prise en compte des syndicats de salariés. À l'heure où la réforme de l'assurance chômage est contestée, la réforme de l'AGS serait une faute politique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Créée en 1973 à l'initiative de Georges Pompidou, l'AGS est un dispositif unique en Europe. Elle bénéficie d'un superprivilège qui garantit le remboursement de ses créances. Or ce dernier est aujourd'hui menacé par un projet d'ordonnance du ministère de la Justice : c'est inacceptable. La République doit protéger les plus fragiles ; vous faites l'inverse.

L'AGS risque de ne plus être en mesure de garantir les salaires. Le Gouvernement prétend diminuer les impôts des entreprises, mais au détour d'une telle réforme, il augmente leurs cotisations ! Cette proposition de résolution s'oppose vigoureusement à l'évolution proposée.

La fin du « quoi qu'il en coûte » risque de conduire à des défaillances d'entreprises. L'ampleur du mur des faillites est encore incertaine. À Saint-Quentin, dans l'Aisne, le tribunal de commerce a vu son activité baisser, mais les juges et les agents craignent une situation pire qu'en 2008 ; l'AGS avait alors dû doubler ses cotisations pour les porter à 0,4 % de la masse salariale.

Malgré la baisse de 33 % du nombre d'affaires, les cotisations ont baissé de 9 % en raison du chômage partiel. Pour faire face à ce pic prévisible de faillites, l'AGS a contracté trois emprunts pour 1,5 milliard d'euros, à rembourser en 2023.

Le calendrier du Gouvernement est incompréhensible. La loi Pacte vous contraint à prendre l'ordonnance rapidement ? Que ne laissiez-vous jouer le débat parlementaire ! La situation d'un salarié qui gagne le smic n'est pas comparable à celle d'une banque : il doit être rémunéré à tout prix. Conservons le superprivilège, et élargissons aux indépendants.

Notre proposition de résolution en appelle au bon sens : pourquoi changer un système qui fonctionne et n'impacte pas les finances publiques ? Le président de l'AGS déplore que l'on fragilise un système socialement généreux et financièrement vertueux.

Pour tenter d'apaiser la situation, le Premier ministre a commandé un rapport à René Ricol qui va dans notre sens. J'espère que vous suivrez sa proposition de maintien du superprivilège des salariés. Ce serait un signal fort pour les salariés touchés par la crise.

Le groupe Les Républicains votera cette proposition de résolution, et espère être entendu du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Michel Canevet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat et tout particulièrement le président Serge Babary.

Le régime actuel de l'AGS - qui date de cinquante ans - est particulièrement vertueux : il est sans impact sur les finances publiques, car financé par des cotisations modiques sur les entreprises et des créances récupérées sur les entreprises en dépôt de bilan. Il est vital pour les petites entreprises de moins de dix salariés, qui représentent 86 % des entreprises aidées. La loi Pacte a institué la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Celle-ci doit prendre en compte les salariés.

Le régime de garantie des salaires est vertueux et opérationnel : les salaires sont versés en moins de cinq jours, et le niveau de prise en charge est élevé, jusqu'à 80 000 euros, contre 3 000 euros chez nos voisins européens.

Ce régime solide ne doit pas être remis en cause, mais mérite d'être amélioré avec la prise en charge des indépendants et une amélioration des procédures relatives aux liquidations judiciaires, afin de maintenir au maximum les entreprises en activité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue l'initiative du président Retailleau en faveur de l'AGS.

La situation économique de notre pays est très préoccupante, avec un déficit public supérieur à 9 % en 2020 et une dette publique qui atteint 120 % du PIB. La valse des milliards - 100 milliards d'euros selon notre commission des finances - est inquiétante. Certes, les conséquences sociales sont encore ténues. Chômage partiel, prêts garantis, atténuation des charges sociales : grâce aux dispositifs massifs mis en place par l'État, les entreprises ont pu tenir pendant les confinements ; cela perdure pour certains secteurs.

Les procédures collectives ont diminué de 32 % en 2020, mais ne nous fions pas à ce chiffre : le plus difficile est devant nous. Olivier Dussopt a annoncé mi-avril la fin progressive du « quoi qu'il en coûte », qui aura des conséquences. Le taux de liquidation directe des entreprises après jugement est passé de 66 % avant crise à près de 80 %, dont une majorité de très petites entreprises.

Certaines ne pourront pas s'en remettre ; dans cette casse sociale, tout doit être fait pour assurer la reconversion des salariés.

La France dispose depuis 1973 d'un système intelligent, unique en Europe, grâce auquel les salariés continuent à toucher leur salaire pendant une procédure collective. Il est menacé par un projet d'ordonnance de la Chancellerie qui lui ferait perdre son superprivilège. L'AGS passerait ainsi du troisième au sixième rang des créanciers, avec un risque pour le maintien du versement des salaires.

Le président de l'AGS a dénoncé un coût pour le régime de près de 300 millions d'euros par an, soit les trois cinquièmes des sommes récupérées en 2020. La réforme arrive à un moment difficile pour l'AGS, qui devrait avoir à débloquer 2,5 milliards d'euros, soit le double que l'an dernier. Près de 98 000 salariés pourraient bénéficier de ce dispositif innovant.

Certaines choses fonctionnent bien en France. L'AGS, créée par le président Pompidou, en fait partie. Conservons-les !

Cette proposition de résolution est un appel à écarter une réforme hâtive et mal évaluée.

Au risque de licenciement et de faillite, n'ajoutons pas l'impossibilité de payer leurs salaires à ceux qui méritent une juste rétribution de leurs efforts ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Claude Requier .  - « L'affaire Lip a démontré qu'en cas de faillite, notre législation sacrifiait les travailleurs (...). C'est pourquoi le Gouvernement, avec le concours des partenaires sociaux, a l'intention de (...) faire en sorte que les travailleurs soient mieux défendus en pareil cas et qu'ils soient une priorité sur l'actif des sociétés ». Ces mots, prononcés par le Président Pompidou en septembre 1973, annonçaient la création de l'AGS. Celle-ci est un amortisseur social essentiel. En contrepartie, elle est privilégiée dans l'ordre des créanciers.

L'avant-projet d'ordonnance a donc provoqué une vive inquiétude. Si le ministère a voulu écarter les critiques des syndicats et du patronat, exceptionnellement unanimes, le rapport Ricol remis au Premier ministre a confirmé les craintes.

Le président du conseil d'administration de l'AGS a rappelé que l'équilibre du dispositif reposait sur une cotisation patronale de 0,15 % et sur la possibilité de récupérer prioritairement les créances, soit 400 à 500 millions d'euros par an. La rétrogradation entraînerait une perte de 200 à 300 millions d'euros en année pleine.

Les conséquences de la réforme dans une période où les faillites devraient se multiplier, - 45 000 prévues en 2021, plus de 60 000 en 2022 - sont très inquiétantes.

Pourquoi vouloir déstabiliser ce dispositif généreux au nom d'une directive européenne qui n'en demande pas tant ? Pourquoi rétrograder l'AGS ? Ce sont les salariés qui en pâtiront in fine.

Il est plus que jamais nécessaire de conserver une AGS qui a versé 1,9 milliard d'euros de salaires en 2019.

La proposition de résolution incite aussi à l'extension de ce régime aux indépendants. J'y souscris.

Le groupe RDSE votera cette résolution à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Serge Babary applaudit également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion .  - Depuis plus d'un an, la priorité du Gouvernement est - et restera - de prévenir les défaillances d'entreprises et la destruction d'emplois, grâce au fonds de solidarité, aux prêts garantis par l'État et à l'activité partielle, qui bénéficiait à 7,3 millions de salariés en mars, et encore 3 millions en avril. Le « quoi qu'il en coûte » est une réalité. Les secteurs de l'hôtellerie-restauration, du commerce et des services aux entreprises sont les premiers bénéficiaires.

Nous avons consacré 30 milliards d'euros à l'activité partielle en 2020 ; nous y consacrons 10 milliards d'euros supplémentaires cette année.

Plusieurs centaines de milliers d'emplois sont ainsi préservés.

Dans la perspective d'une levée progressive des restrictions sanitaires, Bruno Le Maire et moi-même menons des concertations. Sur l'activité partielle de longue durée, 52 accords de branche ont ainsi été signés, pour cinq millions de salariés. Le taux de prise en charge des salaires par l'État est élevé. Le Gouvernement prend toute la mesure de la situation économique.

Le régime de garantie des salaires, qui existe depuis près de cinquante ans, est innovant et protecteur et le Gouvernement y est attaché. C'est un véritable amortisseur des soubresauts de l'activité économique.

Financé uniquement par des cotisations patronales, le dispositif trouve son équilibre grâce à son superprivilège de récupération des avances sur salaires.

La directive Restructuration et Insolvabilité a provoqué des inquiétudes. Le projet initial pouvait faire craindre une rétrogradation du privilège de l'AGS. Or, celle-ci est fragilisée financièrement et pourrait être très sollicitée avec la fin de la crise.

Certains se sont émus de la priorité donnée aux frais de justice dans le remboursement des créances. Le sujet n'est pas simple : le paiement des salaires est une priorité, mais la survie de l'entreprise également, ce qui implique de rétribuer ceux qui la remettent à flot.

Début mars, le Premier ministre a demandé à René Ricol un rapport, remis le 15 avril. Le Gouvernement suivra largement ses recommandations. Nous maintiendrons le rang de l'AGS dans l'ordre des créanciers. Les administrateurs et mandataires pourront être écartés du superprivilège prévu par la directive. Pour éviter des frais de justice trop importants, le garde des Sceaux y apportera plus de transparence. Cela sera favorable au superprivilège de l'AGS. Les syndicats seront également invités à réfléchir à une évolution des taux de cotisation pour assurer l'équilibre du régime.

Nous soutenons votre résolution dans son objectif de préservation du régime.

Le Gouvernement est plus réservé sur le reste, notamment l'ouverture du régime à la reconversion des salariés et aux indépendants. Ces salariés disposent déjà d'un maintien de leur revenu à 75 % pour une formation de reconversion. L'AGS peut déjà intervenir sur les mesures légales du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) sans qu'il faille modifier son champ de compétences.

Si de nouvelles mesures d'accompagnement étaient assurées par l'AGS, les cotisations devraient augmenter.

Idem pour l'extension du dispositif aux indépendants, dont la garantie de revenus relève plutôt du régime assurantiel. On changerait la nature du régime. Je comprends la détresse des indépendants mais ne transformons pas la garantie salariale en garantie pécuniaire. Des mécanismes existent déjà pour les indépendants.

Avec Alain Griset, nous sommes ouverts aux propositions du Sénat et je suis prête à présenter les actions du Gouvernement pour la prévention des défaillances devant votre délégation aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

La proposition de résolution est adoptée.

La séance est suspendue à 15 h 50.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 heures.

Avenir institutionnel, politique et économique de la Nouvelle-Calédonie

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur l'avenir institutionnel, politique et économique de la Nouvelle?Calédonie, dans la perspective du terme du processus défini par l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Pierre Frogier, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je pense à mes compatriotes de Nouvelle-Calédonie, terre perdue dans le Pacifique, si lointaine de la métropole. Certains souhaitent l'indépendance, d'autres ont choisi depuis longtemps la France. Mais nous cheminons tous dans les ténèbres en nous cognant aux murs. Et maintenant, que fait-on ?

Personne ne sait ce qui va se passer. L'accord de Nouméa est ancien. Son esprit est moribond et sa lettre sans espoir. Comment sortir de cette impasse qui suscite la profonde et légitime angoisse de la population ? Par deux fois, elle a souhaité rester française. Elle ne comprend pas l'attitude indifférente de l'État.

Après la quasi-guerre civile des années 1980, nous avons choisi la paix avec les accords de Matignon en 1988 puis de l'accord de Nouméa, signé dans l'urgence, incomplet et imparfait.

Le processus est fragile : il nécessite confiance et sérénité pour s'épanouir. L'accord de Nouméa a été dénaturé dès 2007 avec le gel du corps électoral. Il a été géré de façon partisane pour tous ceux qui y trouvaient intérêt. Il a ainsi permis toutes les dérives indépendantistes. On l'a enfermé dans une formule : « L'accord, tout l'accord, rien que l'accord. »

Pendant des années, j'ai proposé que soit scellé un nouveau compromis pour compléter cet accord, en vain. Je n'ai été entendu ni de ma famille politique, ni des indépendantistes, ni de l'État.

Nous sommes désormais dans une impasse, réduits à l'affrontement sans fin de positions irréconciliables. Ces référendums mortifères ne pouvaient que raviver les tensions, les divisions et les affrontements. À deux reprises déjà, en 2018 et en 2020, nous nous sommes retrouvés face à face. Ces exercices sont inutiles car aucun des deux camps ne se soumettra jamais aux convictions de l'autre ; il est dangereux car, de partenaires, nous sommes redevenus des adversaires. Toute possibilité de dialogue a été anéantie par cet engrenage infernal.

Je retiens deux enseignements : l'absence de majorité pour l'indépendance et la fracture entre le Sud, massivement favorable au maintien dans la France, et le Nord et les îles, massivement favorables à l'indépendance.

Il faut voir en face cette réalité, même si elle bouscule nos certitudes et nos ambitions. Malgré nos efforts, nous n'avons pas progressé dans la construction d'une communauté de destin. Chacun restera toujours enfermé dans son identité.

Il y a vingt ans, nous avions imaginé un modèle qui est désormais dépassé. La réalité, c'est que la Nouvelle-Calédonie est une terre aux identités multiples où chacun doit pouvoir développer ses atouts dans une relation saine, stable et pérenne. La recherche à tout prix de convergences factices nous a conduits à des confusions néfastes. Assumons plutôt nos différences. Nous en sommes capables.

Après avoir négocié deux accords, négocions un désaccord pour une coexistence apaisée. Il ne s'agit pas de se séparer, de se tourner le dos, mais de s'entendre sur nos divergences pour en limiter les effets et organiser notre avenir.

Je vous propose deux principes : la nécessité d'avoir cette terre en partage et la réaffirmation de la prééminence de la collectivité provinciale.

Je pense à cette nuit interminable de juin 1988, alors que nous négociions les accords de Matignon qui ont partagé la Nouvelle-Calédonie en trois territoires et permis le retour de la paix. Personne ne s'est ensuite engagé dans un procès en partition.

Sur cette base retrouvée, je vous propose d'harmoniser les contraires au lieu d'uniformiser en écrasant les différences. Pour cela, il faut redonner sa place à la collectivité provinciale tout en respectant les différentes provinces, chacune dotée de son conseil coutumier kanak. Les communes seraient des collectivités au sein des provinces. Chaque assemblée provinciale serait élue selon son propre régime électoral.

L'État assumera toujours les compétences régaliennes, dont certaines pourront être partagées avec les provinces.

Pour évier les lourdeurs du gouvernement collégial, je propose un collège médiateur dont le président représentera la Nouvelle-Calédonie en toutes circonstances. Cette gouvernance est aussi un mode d'organisation permanente où les provinces seraient sur un pied d'égalité, selon une répartition plus horizontale du pouvoir, impliquant des négociations.

Le savoir vivre ensemble ne sera plus imposé d'en haut. Les mesures prises résulteront d'un processus de négociation sur le fondement d'une charte définissant les valeurs partagées, les droits et libertés garantis par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel. Elle exprimera l'adaptation du droit civil aux identités plurielles de la Nouvelle-Calédonie concernant les personnes, la famille, les rapports entre les personnes et vis-à-vis du groupe social. Cette solution institutionnelle sera soumise à l'approbation des populations intéressées.

Monsieur le ministre, j'ai évoqué en introduction le sort de mes compatriotes qui marchent dans les ténèbres. L'État hésite toujours à se débarrasser de la question calédonienne, moyennant une association qui préserverait ses intérêts économiques et militaires. Ce serait abandonner la population calédonienne et alimenter les tensions sur place. Il faut traiter cette question, au contraire, en assurant le respect des différences calédoniennes et des intérêts de la France.

La Nouvelle-Calédonie a besoin qu'on lui tende la main. Le Sénat pourrait incarner cet espoir. Elle peut devenir un laboratoire : d'une logique de décentralisation, nous passerions à une coopération des territoires.

Ayez en tête le sort de ce jeune, indépendantiste par solidarité identitaire, celui de son ami loyaliste à l'identité culturelle si différente. Je vous demande pour eux de vous engager afin à les libérer de la peur de l'autre, pour qu'ils soient français ensemble en valorisant et respectant leurs différences. Inscrivez leur avenir dans une appartenance commune. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. Guillaume Gontard .  - Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat et le président Larcher pour le groupe de travail sur ce sujet.

Le Caillou occupe ce Gouvernement comme aucun autre dans la période récente ; ce sera aussi l'un des dossiers importants pour celui qui sortira des urnes en 2022.

La demande de troisième référendum intervient dans un contexte dégradé. La situation politique est tendue et le climat social inquiétant. La fin du processus de Nouméa laissera un vide, une feuille quasi blanche.

Je salue la solution trouvée par l'État pour le complexe minier de Vale, la plus grande usine mondiale d'acide sulfurique dans un site où la biodiversité doit être protégée. Sur le papier en tout cas, la dimension écologique du projet est intéressante.

Les indépendantistes ont d'ores et déjà demandé un troisième référendum à l'automne 2022. Il faut dialoguer avec eux. Mais votre démarche ne sera utile que si toutes les parties participent, y compris les indépendantistes. Le calendrier vous empêche de vous engager sur l'après-référendum : il faut un consensus politique le plus large possible. Le débat doit être transparent, sans volte-face à la fin du printemps 2022.

Quel que soit le choix des Calédoniens, il n'effacera pas le passé colonial de l'île, l'intérêt parfois prédateur de la métropole, les inégalités sociales, la conflictualité, les menaces sur l'environnement, la dépendance économique envers la métropole et les ressources minières. Dès lors, les destins de la France et de la Nouvelle-Calédonie resteront liés...

C'est une tâche exaltante que de préparer l'avenir de ce territoire, monsieur le ministre. Engagez une transition sociale, économique et écologique, construisez le vivre ensemble et préservez la biodiversité. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Mikaele Kulimoetoke .  - Humblement, en tant que sénateur des îles Wallis et Futuna connaissant le tiraillement entre deux cultures, Océanien français, je prends la parole pour témoigner, en voisin et spectateur privilégié de la situation de la Nouvelle-Calédonie.

Celle-ci entre dans la dernière phase d'un processus inédit, montrant la capacité de la France à trouver des solutions novatrices.

Mais l'espoir se tarit à mesure que se rapproche le prochain référendum. Le territoire reste divisé entre deux communautés qui s'acceptent désormais mais continuent de nourrir des ambitions antagonistes : les indépendantistes se battent pour que la communauté kanak retrouve sa dignité, les loyalistes restent attachés à la France, même s'ils aspirent à évoluer. Par deux fois, les Calédoniens ont fait le pari de l'intelligence collective, symbolisé par la poignée de main historique entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Ils seront prochainement amenés à décider à nouveau de leur avenir institutionnel. Puissent-ils faire le choix du dialogue et de la sagesse.

La Nouvelle-Calédonie fera face à d'importants défis : changement climatique, dépendance à l'or vert, perspectives économiques moroses. Ses ressources, notamment minières, attisent les convoitises de pays moins respectueux des droits humains, sociaux et environnementaux.

Comment relèvera-t-elle ces défis ? Avec quelle diversification économique ? Quel rééquilibrage économique et social ? Quelle stratégie géopolitique de la France dans la région ?

Quelle est la position de l'État français dans ce débat ? Il doit y prendre toute sa place. Il est en effet urgent d'échanger sur les conséquences du oui ou du non. Je remercie le président Larcher d'avoir initié un échange porteur d'espoir.

Monsieur le ministre, les Calédoniens sont inquiets. À ce stade, aucune garantie ne leur a été apportée. Il faut rassurer la population dans son ensemble. Réfléchissons aux rapports entretenus avec la métropole.

J'invite les responsables calédoniens au dialogue. La place et les coutumes de chacun doivent être respectées pour que tous, notamment les plus jeunes, puissent se projeter dans un destin commun.

La jeunesse nous regarde, de tous les outremers. Elle porte nos espoirs. Elle attend que l'État soit clair sur l'avenir qu'il lui prépare.

Le Gouvernement doit rassurer les Calédoniens et tous les Français. L'incertitude creuse le lit de l'inquiétude et de la colère.

Nous devons maintenir le dialogue, en espérant que la prochaine concertation aboutira à un avenir radieux pour la Nouvelle-Calédonie.

Mauruuru ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-Claude Requier .  - En 1953, Louis Jacquinot, ministre de la France d'Outre-mer, soulignait que les droits que la France avait, un siècle plus tôt, affirmés sur la Nouvelle-Calédonie comportaient également des devoirs.

Nous en sommes d'autant plus convaincus que nous estimons que la Nouvelle-Calédonie a toute sa place dans la République. Elle a connu une histoire coloniale pesante et un processus de décolonisation laborieux. Les enjeux politiques et sociaux sont complexes sur ce territoire ; la recherche de l'équilibre suppose prudence et tempérance. (M. le ministre le confirme.)

Il y a deux régimes de droit, correspondant à deux catégories de population. Une partie du droit kanak originel continue d'être appliqué notamment par le truchement du statut civil coutumier. La coexistence de ces systèmes juridiques pose des difficultés concrètes, qui n'ont pas été résolues par la loi organique du 19 mars 1999.

Les juridictions font aujourd'hui face à une crise de juridicité de la coutume. Le choix de l'indépendance ou du maintien devra aussi tenir compte de cette dimension. Qu'adviendra-t-il du droit commun, du droit coutumier et de leur articulation ? Malgré des avancées, sur la résolution des conflits en milieu coutumier notamment, il reste du chemin à parcourir pour aboutir à un équilibre pérenne.

Sans compter les problématiques matérielles que la question de l'indépendance ne doit pas occulter, notamment l'état des infrastructures, endommagées par le passage de la tempête Lucas. Les référendums ne réparent pas les routes ni les ponts...

Le Sénat doit rester mobilisé et prendre toute sa place dans le débat.

Je souhaite que la France, tout en respectant l'expression démocratique, poursuive son soutien à la Nouvelle-Calédonie pour qu'elle gagne une sérénité politique, économique et sociale.

Mme Éliane Assassi .  - L'histoire douloureuse de la Nouvelle-Calédonie a conduit à une quasi-guerre civile dans les années 1980. C'est dans ce contexte de violence qu'ont été signés les accords de Matignon en 1988 puis de Nouméa en 1998. Nous arrivons au terme du processus, puisque les indépendantistes du Congrès ont demandé la tenue du troisième référendum d'ici octobre 2022.

Bien sûr, nous en respecterons le résultat. Mais quel qu'il soit, il ne mettra pas fin aux tensions. Le précédent référendum a été marqué par une campagne très violente.

Le dialogue engagé par l'État avec tous les interlocuteurs est essentiel : ces derniers devront de toute manière faire société. Les conflits politiques entraînent un blocage institutionnel. Il faudra, comme préalable au référendum, une large campagne d'information pour souligner les conséquences de l'un et l'autre choix en matière fiscale, agricole, industrielle, régalienne, etc... Tout en conservant sa neutralité, l'État a ici un rôle à jouer.

Selon l'économiste Olivier Sudrie, une Nouvelle-Calédonie indépendante serait le deuxième État le plus inégalitaire de l'OCDE. Triste héritage colonial... Le taux de pauvreté est de 9 % dans la province Sud mais de 35 % dans celle du Nord et il dépasse 50 % dans les îles Loyauté !

Ces clivages nourrissent les revendications d'indépendance, mais il n'est pas certain que celle-ci entraînerait une réduction des inégalités. L'État n'a pas su préserver les identités et faire cesser les discriminations raciales.

La démocratie parlera, mais ces inégalités économiques et sociales empêchent de dessiner une destinée commune. Au-delà du statut juridique, il s'agit de faire fonctionner une société pluriethnique et pluriculturelle.

La dépendance à l'industrie du nickel a montré ses limites. Il faut diversifier l'économie calédonienne en tenant compte aussi des enjeux environnementaux et géopolitiques.

Louise Michel, envoyée au bagne en 1873 en Nouvelle-Calédonie pour avoir été communarde, disait : « Chacun cherche sa route ; le jour où le règne de la liberté et de l'égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux ! » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Très bien.

M. Gérard Poadja .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ils étaient cent onze, cent onze Kanaks exhibés au Parc de Vincennes lors de l'exposition universelle de 1931, comme des sauvages à côté des crocodiles. On disait à l'époque que la race allait disparaître...

Il était seul, tué d'une balle, par une belle journée de janvier 1985. Il avait 17 ans. Il s'appelait Yves. James, aussi, fut tué, et tant d'autres.

Ils étaient quatre, sous le soleil de Fayaoué. Quatre, loin de leur terre natale, dans leur brigade, quand le temps s'arrêta, deux jours avant le premier tour de l'élection présidentielle de 1988.

Ils étaient deux, un an après. Deux à serrer les mains, à saluer les autorités coutumières et les familles, quand ils ont été abattus par l'un des leurs. Ils s'appelaient Jean-Marie et Yéyé. C'était un 4 mai.

Cette histoire est la mienne, celle d'un Kanak de la province Nord, celle du peuple calédonien.

C'est aussi la nôtre, celle de la France. Nous sommes les héritiers de 170 ans d'histoire. Je le dis avec gravité à la veille de l'anniversaire de l'assaut de la grotte de Gossanah à Ouvéa et de l'accord de Nouméa.

Nous n'écrirons pas sur une page blanche lors du référendum, le troisième en quatre ans. Je crois plus que jamais au destin commun entre la France et la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes unis par une histoire, une langue, des valeurs ; par des sangs mêlés, une culture métissée, des mémoires entrelacées. Mais aussi par une gouvernance partagée.

Je refuse un troisième référendum binaire. Il faut lui substituer un référendum de rassemblement. Pour cela, les indépendantistes doivent admettre que l'indépendance n'est pas une baguette magique ; les anti-indépendantistes doivent accepter de revisiter notre lien avec la France. Un référendum de rassemblement, c'est conjuguer ce qui nous a jusqu'ici opposés : la souveraineté et la République. Fusionnées, ces deux essences seront le poteau central de la grande case du pays. La souveraineté est le gage de la dignité pour les indépendantistes ; la République, le gage de notre sécurité et d'un niveau de vie parmi les plus élevés de la région.

Nous devons tisser un nouveau consensus, poursuivre notre trajectoire d'émancipation dans ce cadre protecteur.

Si la discussion n'aboutissait pas, autant organiser le troisième référendum le plus vite possible, dès la fin 2021. Mais attention : après, il y aura un vainqueur et un vaincu. Les concessions réciproques pour aboutir à un consensus sont possibles avant le référendum, elles ne le seront plus après.

Certains évoquent comme solution la partition du pays, l'hyper-provincialisation ou la différenciation territoriale mais cet apartheid géographique effacerait 150 ans d'histoire commune. Beaucoup dans le Nord, dont je fais partie, sont radicalement opposés à cette perspective.

Je refuse toute amputation et toute ghettoïsation. Notre réalité, c'est un pays un et indivisible. Conjuguons nos deux rêves pour la même terre rassemblée, en paix avec elle-même et confiante dans sa destinée.

Vive un référendum de rassemblement, vive le peuple calédonien, vive la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous pouvons nous féliciter que ce débat se déroule dans un climat serein.

La colonisation a entraîné un traumatisme durable avec les Kanaks devenus minoritaires dans leur propre pays et des révoltes écrasées dans le sang.

Malgré ces souffrances indicibles, les Kanaks ont accepté que ceux qui se sont installés et qui ont contribué au développement du pays aient vocation à participer à la détermination d'un destin commun : ni vous sans nous, ni nous sans vous, tous dans le même bateau.

Cet esprit de dialogue - le « miracle » des accords de Matignon - est le fruit de la générosité, de l'intelligence, de la détermination, dans un contexte de violence paroxystique. Ce fut l'honneur des gouvernements Rocard et Jospin, mais aussi de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, d'avoir prouvé que l'État n'est pas que répressif mais d'abord pacificateur.

La tolérance et le respect de l'autre permettront la construction d'un destin commun. Restons fidèles à ces principes.

L'accord de Nouméa est temporaire. La perspective de l'ultime référendum durcit les oppositions. Quel que soit le résultat, l'État ne pourra se dérober ; il doit s'engager sur la Nouvelle-Calédonie d'après. Il doit dire plus fermement comment il accompagnera la Nouvelle-Calédonie.

Nous ne partageons pas ce que propose Pierre Frogier : le chacun chez soi, la différenciation politique, ce serait la confédération.

Cette partition territoriale, nous n'en voulons pas pour la Nouvelle-Calédonie. Renforcer les prérogatives des provinces reviendrait à diviser le territoire en deux camps au poids économique très inégal. Cela exacerberait l'acrimonie entre les deux camps.

Notre groupe est fidèle à l'esprit de Nouméa, à l'action de Michel Rocard et Lionel Jospin. Refusant la partition, nous appelons à imaginer une solution de dialogue et de compromis : la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie dans le cadre d'un partenariat institutionnel avec la France. La formule de l'État associé a fait ses preuves ailleurs.

L'État doit être arbitre mais aussi partenaire : il ne peut rester spectateur indifférent.

Souvenons-nous de Jean-Marie Tjibaou, homme de paix qui déclarait : « L'indépendance, c'est la faculté de choisir ses interdépendances ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Pierre Médevielle .  - Les enjeux liés à la Nouvelle-Calédonie me sont chers et familiers - mon frère y est établi depuis trente ans. Je suis aujourd'hui très inquiet car la Nouvelle-Calédonie s'est embrasée, avec des scènes de guerre civile autour du rachat de l'usine du Sud. Je salue votre responsabilité en termes de maintien de l'ordre, Monsieur le ministre, et la volonté des acteurs politiques de sortir par le haut de ce dossier brûlant.

Lors du deuxième référendum, certains bureaux de vote ont été pris d'assaut par des militants indépendantistes. Les loyalistes ne vont pas subir en silence. À quoi tout cela va-t-il nous mener ?

Laisser se tenir un référendum binaire dans ce contexte explosif, c'est prendre un risque majeur et figer durablement les oppositions ethniques, sociales et politiques.

Ce serait une erreur de repousser le référendum à plus tard, en septembre 2022. La campagne présidentielle serait instrumentalisée par les deux camps.

M. Bruno Retailleau.  - Tout à fait.

M. Pierre Médevielle.  - Je suis convaincu qu'une autre voie est possible. Faisons le pari de l'intelligence, comme en 1988 et en 1998. En mars dernier, un accord a été trouvé sur l'usine du Sud. Pourquoi attendre que les Calédoniens se déchirent une troisième fois ?

Le Gouvernement doit déposer un projet sur la table, qui maintienne le lien avec la France et qui reconnaisse les identités plurielles. Les divisions de la Nouvelle-Calédonie sont géographiques, ethniques et politiques : ce projet devra les prendre en compte.

Le partage géographique en trois provinces a permis dix ans de paix mais les choses se sont gâtées à compter des accords de Nouméa, avec la volonté de gommer les différences et de centraliser le pouvoir.

La solution passera par l'acceptation et l'addition des différences ; ce sont les responsables calédoniens qui la construiront.

Le Gouvernement doit prendre l'initiative. Quand il y a une volonté, il y a un chemin. Les Calédoniens comptent sur vous, Monsieur le ministre : l'avenir de ce petit bout de France est entre vos mains. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je suis très heureux de ce débat, demandé par mon groupe. Il porte la marque de nos deux sénateurs calédoniens et tout particulièrement de Pierre Frogier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il porte aussi la marque de notre président du Sénat, si attaché à la résolution de la question calédonienne. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées)

Il porte aussi un double message. À nos compatriotes de la Nouvelle-Calédonie, pour leur dire que leur destin est aussi le nôtre. Un message aussi au Gouvernement qui va devoir quitter sa posture de neutralité car l'heure des choix est arrivée. Rien ne sera facile. Nous vous accompagnerons, car cette question n'est pas partisane. (M. Pierre Frogier applaudit.)

Vous devez dessiner une perspective car l'heure est grave, elle est celle de tous les dangers. Les violences sont latentes, nous l'avons vu notamment lors des tensions autour de l'usine du Sud - et je salue l'investissement de l'État dans ce dossier. Sans engagement de l'État, pas de solution.

De multiples crises s'entrecroisent, se potentialisent. La Nouvelle-Calédonie connaît une fracture géographique, identitaire, sociale, économique, institutionnelle... Pour la première fois en quarante ans, les indépendantistes se sont emparés de l'exécutif mais ne parviennent pas à désigner un président.

Regardons les choses en face : 23 ans après les accords de Nouméa, 33 ans après ceux de Matignon, le processus de réconciliation et de pacification s'épuise. Les vieux démons de la violence risquent de s'engouffrer dans le vide ainsi créé.

Pour les écarter, il faut faire le pari de la démocratie et du suffrage. Lors des deux premiers référendums, les Calédoniens ont exprimé sans ambiguïté leur choix d'un destin lié avec la métropole. Les indépendantistes ont demandé un troisième référendum, comme ils en ont le droit. S'il doit avoir lieu, n'attendons pas l'après-présidentielle, car la campagne serait propice à toutes les instrumentalisations, mais organisons-le dès la rentrée.

Mais le référendum est-il la solution ? L'arithmétique ne conduit pas à la pacification, elle attise l'antagonisation. Deux Nouvelle-Calédonie se font face : nous devons en sortir par le haut, en inventant un nouveau compromis. La première condition est l'esprit de respect et de réconciliation, tel qu'il s'était illustré dans la poignée de mains historique entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur ou dans le grand discours de Dick Ukeiwé à cette tribune, diffusé dans toutes les mairies du territoire.

La seconde condition est un nouveau compromis institutionnel. Jamais Pierre Frogier n'a demandé la partition - nous avons toujours été contre ! - mais une provincialisation renforcée. Pierre Frogier fait des propositions : il prend un risque. Que chacun en fasse autant. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains)

La dernière condition, c'est vous, monsieur le ministre : c'est l'État. Sans l'État, pas d'accords de Matignons ni de Nouméa. L'État doit sortir de sa neutralité.

Mme Sophie Primas.  - Absolument.

M. Bruno Retailleau.  - Il n'est pas un observateur de l'ONU ; il ne peut être un spectateur désengagé. Nous serons à vos côtés pour construire un nouvel avenir pour la Nouvelle-Calédonie, pour écrire cette nouvelle page de son histoire, dans la France et avec la France.

La France ne serait pas vraiment la France sans nos compatriotes d'Océanie. Ce moment est celui de tous les dangers - faisons-en le moment de tous les possibles, de tous les espoirs ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Pierre Sueur .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Fidélité, c'est le maître mot. Fidélité à cette poignée de main, qui aurait bien pu ne pas avoir lieu. Fidélité à l'oeuvre de Michel Rocard, de Lionel Jospin et de tous ceux - politiques, société civile, intellectuels - qui se sont mobilisés pour aboutir à l'accord de Matignon. C'était improbable, presque impossible. Il y avait tant de haine ! Le sang des victimes n'avait pas encore séché... Les difficultés à surmonter à l'époque étaient encore plus grandes qu'aujourd'hui !

Monsieur Frogier, nous avons le plus grand respect pour vous, qui êtes un homme de dialogue. Mais nous ne pouvons souscrire à votre proposition : un accord pour le désaccord. Il faudrait se résigner ? Mais s'il n'y a plus de provinces, de Congrès, de gouvernement, où va-t-on ? Cela ne serait pas fidèle à ce qu'avaient prévu les accords de Nouméa.

Ce troisième référendum est prévu, il doit avoir lieu. Je ne suis pas certain qu'il y aura moins d'instrumentalisation s'il est organisé avant les présidentielles... (M. Jérôme Bascher en convient.)

Quoi qu'il arrive, je souhaite que perdurent nos liens. Soit la Nouvelle-Calédonie reste en France, avec plus d'autonomie ; soit elle opte pour l'indépendance, et les coopérations resteront très fortes.

J'ai été à l'île des Pins, là où sont enterrées les femmes de la Commune de Paris, tandis qu'ici Victor Hugo plaidait en vain pour une amnistie. Au milieu de ces statues ancestrales, j'ai senti que le destin n'est pas que la haine, la guerre et la mort. Des êtres humains continuent de se lever contre les forces du mal pour suivre, 33  ans après, le même chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Laurent applaudit également.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer .  - Je remercie moi aussi le Sénat et le groupe Les Républicains d'avoir organisé ce débat. Je porte une affection forte aux acteurs de ce territoire et j'y suis fortement engagé. Je suis heureux de vous rendre compte de ce que le Gouvernement a fait et compte faire.

Jamais ce dossier, dans un moment aussi décisif, n'aura suscité une telle indifférence à Paris, au sein des élites politiques et médiatiques. Il a fallu le retour des tensions en Nouvelle-Calédonie pour que le sujet revienne dans le débat public national... Merci donc au Sénat de prendre ce temps de l'échange et de la réflexion.

Dans cette Océanie compliquée, gardons-nous d'arriver avec des idées simples. En tant que responsables nationaux, nous devons nous poser les bonnes questions. Qu'est-ce qu'un processus de décolonisation ? Quel est son avenir ? Côté loyaliste, regardons les révisions constitutionnelles de ces vingt dernières années - nous avons créé des dispositifs pour le moins originaux ! D'ailleurs, le président Retailleau avait voté contre.

M. Bruno Retailleau.  - N'est-ce pas !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Jusqu'où faut-il adapter le modèle républicain pour que la Nouvelle-Calédonie reste française ? Double citoyenneté, gel du corps électoral, discrimination sur l'emploi... Nous ne ferons pas l'économie de ce débat.

N'enfermons pas la Nouvelle-Calédonie dans son passé. Le devoir de mémoire s'impose, certes, et M. Poadja l'a évoqué. La Nouvelle-Calédonie est-elle pour autant dans la même situation qu'en 1988 ou 1998 ? Non. Le cours du nickel, la question de la Chine, celle du réchauffement climatique ont changé la donne. Quand des coutumiers bloquent une réunion du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), cela montre bien que la coutume prend, disons, une surface différente. Les choses changent beaucoup, et vite. Ne regardons pas ce dossier dans le rétroviseur.

A partir de juillet 2020, le Gouvernement a organisé le second référendum. L'État doit tenir sa parole : il est signataire d'un accord. C'est pourquoi les deux référendums ont été organisés, l'un par le gouvernement Philippe et l'autre en octobre dernier, non sans tensions, dans un contexte de crise sanitaire.

Nous avons connu des incidents devant les bureaux de vote et j'ai saisi la justice. Car nous voulons le retour de l'État de droit. Je tiens à rendre hommage aux forces de l'ordre qui se sont particulièrement exposées lors des tensions autour de l'usine du Sud. La fermeté est là, au risque, pour la Justice, d'être taxée de « justice coloniale ». Pour faire société, il faut soutenir les pouvoirs constitués, réaffirmer l'État de droit, rompre avec le laxisme et le laisser-aller qui a pu prévaloir dans le passé.

J'ai cherché à renouer le dialogue multilatéral. Quand l'État disparaît, les acteurs ont plus de mal à échanger. En octobre, j'ai ainsi réussi à mettre autour de la table des acteurs qui ne s'étaient pas parlé depuis plus d'un an. On demande à l'État de se retirer du Caillou mais, dans le même temps, on lui demande de nationaliser l'usine du Sud... ou de protéger le récif corallien, quitte à revenir sur la répartition des compétences ! La notion même de régalien est réinterrogée.

Le dialogue multilatéral a été rompu, nous avons perdu du temps en raison du dossier de l'usine du Sud, qui s'est invité dans la négociation. Nous n'oublions pas l'accord de Bercy sur les ressources minières de la Nouvelle-Calédonie, préalable à l'accord de Nouméa !

Nous n'avons guère parlé du nickel dans ce débat qui, pourtant, devait aussi aborder l'avenir économique de la Nouvelle-Calédonie. Les cours de 2021 n'ont plus rien à voir avec ceux de 1988 et de 1998. La SLN de Nouméa, dont l'État est actionnaire, est confrontée à des enjeux redoutables pour l'avenir du site et ses employés, tout comme l'usine du Nord.

Je serai un partenaire engagé en matière institutionnelle, mais je n'oublierai pas les volets économique et social. On parle du oui et du non, mais les populations ont des attentes qui ne diffèrent guère de celles de la métropole : accès à la santé, à la formation, à l'éducation, protection de l'environnement, violences faites aux femmes, niveau de vie, reprise des vols internationaux...

Un troisième référendum est demandé. Quand on est gaulliste, on est attentif à la parole de l'État, donnée par le Constituant.

L'État est neutre, le Gouvernement peut ne pas l'être. L'État organise le suffrage - le Haut-commissaire ne va pas commencer à faire campagne. Un ministre, comme un parlementaire, peut toutefois exprimer une préférence, je l'ai dit sur place.

Lorsque Jean Castex a témoigné ici sa préférence, en réponse à Philippe Bas, personne ne l'a relevé. Le Président de la République l'a également fait au théâtre de Nouméa.

La vraie question est de savoir pourquoi l'écart entre le oui et le non est aussi ténu. Penser que votre serviteur peut, en faisant campagne, changer les choses, c'est lui prêter beaucoup de pouvoir !

L'accord de Nouméa arrive à son terme. Peut-on mettre sur la table des propositions sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie ? Oui, c'est ce que nous faisons en invitant les partenaires politiques calédoniens fin mai à Paris afin de rencontrer le Gouvernement et les parlementaires, qui décideront in fine.

Ce processus n'est pas un long fleuve tranquille. Rien n'est jamais tracé d'avance. J'ai l'âge de mes artères mais je me souviens que certains sénateurs Les Républicains avaient voté contre la réforme du corps électoral proposée par Jacques Chirac...

Depuis vingt-cinq ans, on traite en comité des signataires de la question à poser lors du référendum, du moment à laquelle il faut la poser, de ceux qui pourront y répondre... mais jamais des conséquences du oui ou du non. Jamais personne n'a imaginé ce qui se passerait après un oui, ou après trois non successifs. À force de vouloir gagner du temps, nous en avons perdu...

Nous enverrons courant mai un document aux formations calédoniennes et aux assemblées parlementaires détaillant les effets intangibles du oui et du non.

Certains effets du oui pourront être spectaculaires - avec éventuellement des conséquences sur la confiance dans l'économie calédonienne. Quid des conséquences financières, monétaires et bancaires notamment ?

À Paris, nous présenterons aux forces politiques calédoniennes un second document détaillant les effets du oui et du non, mais négociables.

Certains me disent que nous préparons l'indépendance et que c'est le début de la capitulation. Certains parlent d'un nouvel accord d'Évian. Ce n'est pas le cas, mais je ne peux signer le décret de convocation à un nouveau référendum sans expliquer aux électeurs les conséquences d'un oui ou d'un non.

La monnaie d'une Kanaky indépendante doit-elle être adossée à l'euro ? C'est sans doute à négocier.

Tout cela nous amène à répondre à quatre questions complexes.

L'indépendance de 2021 n'est pas celle qui était prônée dans les années 1980. Quelle est la définition de la pleine souveraineté ? Les formations indépendantistes n'ont pas forcément la même que celle du droit international.

Quelles relations les Calédoniens souhaiteraient-ils avec la République française ? Quand le Président de la République parle de l'impérialisme des « nouvelles routes de la soie », il expose les enjeux. Des indépendantistes nous parlent avec émotion des morts pour la France alors que certains loyalistes parlent avant tout de leur passeport... Le débat n'est pas simple.

Qu'est-ce qu'être Français en 2021 ? Cette question traumatise de nombreux jeunes calédoniens.

Mais la réponse n'est pas plus aisée pour des collégiens de Vernon. Nous avons, en 1988 et en 1998, abouti à des accords en faisant preuve de tempérance et d'écoute. Si le non l'emporte une troisième fois, cela signifie-t-il l'extinction du droit à l'autodétermination ? Certes non.

Le Gouvernement proposera l'inscription au budget de 82 millions d'euros en soutien aux finances calédoniennes, du fait de la crise Covid. Dans le cadre d'un processus de décolonisation, cela dit beaucoup du rôle de l'État auprès du Gouvernement autonome !

La Nouvelle-Calédonie n'a manqué de vaccins à aucun moment. Lorsqu'il y a un coup dur, la République est là !

M. Jérôme Bascher.  - Heureusement !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Ce sont dans ces moments que l'on mesure la fraternité républicaine.

Les accords sont clairs : puisque le troisième référendum a été demandé, il devra être organisé avant octobre 2022. J'attends beaucoup de notre rencontre fin mai pour en fixer la date.

Certains indépendantistes demandent ce référendum très vite. Les accords le leur permettent. Ils peuvent d'ailleurs retirer cette demande pour la réintroduire plus tard. C'est de la sagesse normande, mais s'ils le demandent vite, c'est qu'ils veulent qu'il soit organisé rapidement. L'État se tient prêt à l'organiser tant fin 2021 qu'en octobre 2022. Cela dépendra de nos échanges de la fin mai ainsi que de notre capacité collective à éclairer les implications du oui et du non.

Nous avons mené un travail essentiel avec la société civile. La prise de parole n'est pas chose aisée en Nouvelle-Calédonie, pays particulièrement jeune. Et ce n'est pas parce qu'on n'est pas inscrit sur les listes électorales qu'on n'a rien à dire ! Je serai prêt au dialogue en mai. Les Wallisiens et Futuniens se sont impliqués dans une telle démarche. Nous devons nous intéresser à ce troisième territoire du Pacifique, souvent oublié dans le dossier calédonien.

Je vous adresserai d'ici peu un compte rendu de ce travail sur la société civile.

Merci, monsieur Frogier, d'avoir pris des risques. La critique est facile, l'art est difficile. Vous êtes expérimenté et fin connaisseur de la vie politique calédonienne. Le double drapeau est une avancée majeure et va dans le sens des accords de Nouméa. Il a fait l'objet de caricatures injustes et inacceptables. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Il faudrait faire différemment, mais comment ?

En mai, je mettrai sur la table votre proposition - comme toutes celles qui auront été travaillées. Vous posez la question essentielle de la répartition des pouvoirs et des richesses.

Je serai toujours disponible pour discuter avec les groupes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes SER et Les Républicains)

La séance, suspendue à 18 h 50, reprend à 18 h 55.

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

Souveraineté économique de la France

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la souveraineté économique de la France, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Serge Babary, pour le groupe Les Républicains .  - Malgré ses dégâts économiques et sociaux effroyables, la crise actuelle est l'occasion de s'interroger sur l'organisation et sur la localisation de la production de biens et services stratégiques.

En délocalisant et en désindustrialisant, nous nous sommes retrouvés dépourvus de biens essentiels, faisant tomber les illusions de la mondialisation heureuse.

La pandémie a relancé le débat sur le rôle de l'État, sur la nécessité d'une stratégie industrielle, sur les risques du « laisser-faire, laisser-aller ». Le sentiment de vulnérabilité du pays a indéniablement ralenti l'élan du train de la mondialisation.

Reprendre en main notre destin ne signifie pas faire table rase du passé, mais retrouver un État-stratège plutôt qu'un État piètre gestionnaire.

Le Président de la République s'est prêté au jeu d'imaginer la France de 2025.

Il évoque « l'excellence industrielle française, son nouveau modèle productif, plus écologique et numérique ». Mais quid de l'urgente nécessité de garantir notre autonomie alimentaire et de renforcer notre souveraineté dans le domaine de la sécurité sanitaire ?

Serait-il aveugle aux faiblesses de notre recherche ? En janvier dernier, le Conseil d'analyse économique a examiné les raisons du retard français dans la course à l'innovation technologique, en pointant l'insuffisance des financements publics alloués à la recherche. N'est-ce pas suicidaire à long terme ?

Comment rattraper ce retard, madame la ministre ?

Allez-vous réduire le millefeuille administratif, rapprocher les mondes de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée ? Comment renforcer l'attractivité des métiers de la recherche ?

Dans le high-tech et dans la bio-tech, les mêmes causes conduisent aux mêmes retards. Deux Français dirigent les laboratoires Moderna et AstraZeneca.... Pourquoi la start-up Valneva, hier installée à Saint-Herblain, est-elle partie au Royaume-Uni ? L'été dernier, la start-up Snowflake a affolé Wall Street avec son introduction en Bourse record. Elle a été créée par deux ingénieurs français, qui ont trouvé leur bonheur dans la Silicon Valley. Pourquoi avons-nous laissé partir nos fleurons et nos cerveaux ?

Emmanuelle Charpentier, prix Nobel en 2020, ne travaille plus en France depuis un quart de siècle... Pourquoi ne savons-nous pas retenir nos chercheurs ou les faire revenir ?

La maîtrise de la souveraineté économique nécessite une prise de décisions au niveau de l'État. Si l'Europe est plus efficace dans certains domaines, développons une souveraineté européenne avec les partenaires prêts à nous rejoindre et en défendant nos normes pour un capitalisme responsable.

La relocalisation d'activités en France suppose d'améliorer compétitivité et productivité. Cette remarque vaut aussi pour les médicaments.

Il faut aussi préserver nos ETI des prédateurs étrangers. En trois mois, 500 ont fait l'objet de tentatives de rachat. Idem pour nos PME innovantes.

Certains ont critiqué le refus de l'État que Couche-Tard s'associe à Carrefour, ou encore l'interdiction du rachat de Photonis par l'américain Teledyne. Je préfère, pour ma part, que les pouvoirs publics soient vigilants.

Il est urgent de réviser les règles européennes en matière de concurrence comme de marchés publics. Le manque d'harmonisation fiscale en Europe est un obstacle supplémentaire pour les entreprises.

Attention aussi aux injonctions parfois contradictoires : relocalisation industrielle et zéro artificialisation nette, par exemple. Comment relocaliser si l'on ne peut pas construire des entrepôts ?

Il nous faut aussi être souverains, du moins au niveau européen, en matière de cybersécurité. La majorité de nos entreprises sont hélas soumises au Cloud Act, qui offre un cadre légal à la saisie de documents, de mails et de toutes communications captées à l'étranger par des serveurs américains. À quand un cloud souverain ? Souvenons-nous de Charles de Gaulle : « Sans indépendance économique, il n'y a pas d'indépendance tout court ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie .  - Ces débats exigent pragmatisme et mesure. Nous partageons vos constats, mais ne tombons pas dans la caricature. L'industrie française a perdu un million d'emplois en vingt ans. Plutôt que de chercher les responsables, travaillons ensemble à la reconquête de notre souveraineté économique : c'est tout le sens de la politique menée depuis le début du quinquennat.

La crise sanitaire a révélé un problème ancien en mettant en lumière notre dépendance en matière de masques et de médicaments.

Notre industrie a fait montre d'adaptation, de souplesse et d'ingéniosité pendant la crise, accompagnée par l'État et les collectivités territoriales, et je l'en remercie.

La mondialisation n'est pas une menace mais un espace dans lequel nous devons nous inscrire sans naïveté. L'Europe n'est pas un handicap, au contraire, mais elle doit devenir un atout et notre échelle de réflexion face aux géants que sont les États-Unis et la Chine.

Avec Bruno Le Maire, nous avons lancé des mesures pour retrouver notre puissance industrielle. Elles concernent tant l'allègement de la fiscalité, le développement du travail, le contrôle des investisseurs étrangers prédateurs.

La France ne saurait être un pays post-industriel positionné sur les seuls services. Nous avons trop longtemps jugé notre industrie dépassée, polluante, non compétitive. Au contraire, nous voulons une industrie forte, innovante et décarbonée. Depuis 2017, nous créons des emplois industriels.

Le plan de relance européen de 250 milliards d'euros et le plan français de 100 milliards d'euros visent à rebâtir la souveraineté de la France et de l'Europe. Nous faisons le pari de l'industrie !

Ce débat porte sur la souveraineté économique de la France, mais nous ne rivaliserons pas seuls avec la Chine et les États-Unis. La souveraineté française est indissociable de la souveraineté européenne.

Nous avons besoin de plus et surtout de mieux d'Europe pour nous protéger du dumping fiscal et environnemental, de la concurrence déloyale.

Nous portons quatre objectifs au plan national : relocalisation dans des secteurs critiques comme la santé, l'agroalimentaire, l'électronique, la 5G, le nucléaire, secteurs dans lesquels nous soutenons 273 projets. Le plan d'investissement d'avenir, doté de 20 milliards d'euros, permettra d'innover dans quinze secteurs stratégiques comme la santé digitale ou l'hydrogène. La recherche est un continuum avec l'innovation, et c'est tout l'enjeu de la loi de programmation pour la recherche. Nos talents doivent en effet rester en France.

Nous voulons également décarboner notre industrie en travaillant sur les mobilités vertes et en inventant de nouveaux processus industriels. Enfin, il nous faut moderniser.

Nous disposons d'un tissu remarquable de PME et d'ETI qui ne demandent qu'à monter en compétences. Nous les accompagnons, simplifions les procédures administratives avec la loi Asap et diminuons les impôts de production, en favorisant les investissements productifs. La commande publique doit également valoriser l'empreinte environnementale et sociale.

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Je sillonne régulièrement vos territoires ; je sais que nous y disposons de nombreuses pépites, d'atouts exceptionnels : sachons en tirer parti pour bâtir une industrie forte !

Mme Marie Evrard .  - Depuis le début de la pandémie, la souveraineté économique est au coeur des débats. Loin vouloir agir seul, le Gouvernement a fait un choix responsable, celui de la relocalisation des secteurs stratégiques et du rattrapage technologique, notamment dans le secteur de l'hydrogène décarboné, grâce au 100 milliards d'euros du plan de relance.

Une station de production et de distribution d'hydrogène vert a ainsi été créée dans l'Yonne. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la stratégie du Gouvernement en la matière ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Nous souhaitons investir dans la production d'hydrogène bas carbone, ce qui inclut le nucléaire. Nous y consacrerons 7 milliards d'euros, dont 2 milliards d'ici 2022, pour donner une impulsion à nos entreprises industrielles.

Notre stratégie est double : développer les mobilités vertes et décarboner nos processus industriels, dans l'acier par exemple.

Une feuille de route a été établie en janvier par le Conseil national de l'hydrogène et deux appels à projets ont d'ores et déjà été lancés pour respectivement 350 et 325 millions d'euros. Nous travaillons aussi à une feuille stratégique européenne avec l'IPCEI (Important Projects of Common European Interest), pour 1,6 milliard d'euros.

M. Henri Cabanel .  - Je pose cette question au nom de Guylène Pantel, empêchée.

Le refus du rachat des Chantiers de l'Atlantique et de Carrefour montre la volonté du Gouvernement de réaffirmer notre souveraineté économique.

Du fait de la pandémie, nos concitoyens ont modifié leurs habitudes pour privilégier les circuits courts et les acteurs locaux.

Les pénuries de masques et de vaccins interrogent, d'autant que la France a connu, en Europe, la plus forte délocalisation de son industrie ces vingt dernières années.

Si la concurrence intra-européenne est un fait établi, seule l'Union peut nous permettre de faire face à la Chine et aux États-Unis.

Comment concilier réindustrialisation, souveraineté économique et alimentaire dans une économie libérale mondialisée et dans une Europe concurrentielle ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Il faut renforcer la compétitivité, l'innovation et la modernisation du site France.

Au niveau européen, nous avons investi et allons investir massivement dans de nouvelles technologies et de nouveaux sites industriels. Nous travaillons aussi à renforcer notre convergence sociale et fiscale afin d'harmoniser les règles du jeu. La concurrence loyale est notre mot d'ordre.

Il faut tirer tous les pays européens vers le haut. C'est également l'enjeu de la taxation carbone aux frontières.

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - La France doit défendre ses intérêts, ses entreprises, ses emplois et affronter la guerre économique, tant en Europe que dans le monde. Nous sommes favorables à la coopération, mais ne soyons pas les naïfs de la mondialisation, ni les Bisounours d'une Europe qui se protège mal et qui accepte en son sein une concurrence effrénée.

Nous devons agir vite pour limiter les délocalisations. Il nous faut renforcer notre stratégie d'intelligence économique comme le font les États-Unis et l'Allemagne. Nous aurions ainsi pu éviter la vente et le démantèlement de nos fleurons, comme Alstom, et la prédation de nos PME et ETI.

Pourquoi ne pas modifier la fiscalité et la législation afin de nous adapter aux stratégies des prédateurs ?

Nous avons déposé une proposition de loi sur le sujet. Madame la ministre, seriez-vous prête à nous suivre pour créer un véritable service d'intelligence économique ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Le service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse) a été créé en 2016, avec des correspondants territoriaux. Le Président de la République a fait du renseignement économique une priorité des services de renseignement.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Cela ne marche pas !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Pour lutter contre la prédation, la loi Pacte et la loi sur l'état d'urgence sanitaire ont renforcé le contrôle des investissements étrangers pour empêcher des prédations de TPE et d'ETI possédant des technologies uniques. Avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), nous avons renforcé la lutte contre les cyberattaques.

Nous poursuivrons dans cette voie, non pas pour empêcher la circulation des innovations et des investissements productifs, mais au service d'une politique d'intelligence économique. Le Gouvernement français n'est pas naïf.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - La preuve !

M. Jean-Pierre Moga .  - Notre perte relative de souveraineté résulte de l'abandon ou de l'externalisation de certaines productions.

Plus grave, nous n'avons pas les moyens de nos ambitions en matière de recherche. Or la recherche est fondamentale pour notre souveraineté, et l'indépendance passe par l'innovation !

La bataille scientifique et technologique se joue sur le terrain de la recherche, notamment dans le domaine pharmaceutique. C'est notre meilleur atout pour gagner en productivité et en compétitivité.

La dernière loi de programmation de la recherche a été une occasion partiellement manquée. Quel bilan en tirez-vous ? Que proposez-vous pour que la recherche publique soit mieux dotée et mieux articulée avec la recherche privée, alors que la dernière loi de finances supprime, certes en application de directives européennes, le doublement d'assiette du crédit d'impôt recherche ? Quel rôle pour la recherche dans la bataille économique actuelle ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - La recherche est un facteur capital de compétitivité hors coût. Avec la loi de programmation, les moyens consacrés à la recherche augmenteront de 25 milliards d'euros sur les dix prochaines années, notamment pour mieux valoriser le statut des chercheurs et les retenir en France.

La loi Pacte améliore aussi la circulation de la recherche, entre recherche fondamentale, appliquée et innovation, ainsi que la protection de la propriété intellectuelle.

Plus largement, le programme d'investissements d'avenir prévoit 20 milliards d'euros d'investissements sur cinq ans, dont 11 milliards d'euros sont destinés à des projets précis sur les territoires, avec une feuille de route sur une quinzaine de technologies clés et des appels à projets ou à manifestation d'intérêt.

M. Jean-Pierre Moga.  - Nous partons de loin, car nous sommes passés de 20 000 à 16 000 doctorants par an et les salaires de nos chercheurs sont inférieurs de 30 % à la moyenne européenne. Il faut aller plus loin pour que notre recherche soit à la hauteur de nos ambitions !

M. Franck Montaugé .  - Alors que la France dépend de ses partenaires et de fournisseurs étrangers pour des ressources hautement stratégiques, comme les terres rares, quels sont pour vous les critères de la souveraineté économique ? Comment prendre en compte également la dimension européenne ?

La commission d'enquête sur la souveraineté numérique que j'ai présidée a préconisé une loi d'orientation et de suivi, sur le modèle de la loi de programmation militaire. Qu'en pensez-vous ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Le numérique est un élément capital de notre souveraineté. Les entreprises nationales et européennes n'ont pas la même taille que les grands acteurs mondiaux qui ont un accès privilégié aux données des consommateurs, et ne sont pas assez présentes.

Il faut aussi avoir une capacité d'investissement. En matière d'algorithmes, nous ne sommes pas en mesure de concurrencer les grandes plateformes américaines, ni les BATX chinoises.

Les commissaires Thierry Breton et Margrethe Verstager travaillent à un plan d'accélération numérique et un cloud souverain afin de ne pas perdre la seconde bataille, celle des données non plus personnelles mais industrielles.

L'IPCEI vise à bâtir des solutions et des briques technologiques européennes indépendantes. Un milliard d'euros d'investissements sont prévus dans le quatrième programme d'investissements d'avenir pour le projet Cyber, dont 720 millions d'euros d'argent public, notamment pour le projet de Campus Cyber, en septembre, qui réunira tous les acteurs.

M. Franck Montaugé.  - Vous ne m'avez pas répondu sur la définition de la souveraineté numérique nationale. Notre souveraineté décline depuis des années. La débâcle sanitaire est une « étrange défaite », pour reprendre l'expression de Marc Bloch ; elle aura des conséquences morales durables.

Les Français sont capables de comprendre où l'accent doit être mis. La responsabilité du Gouvernement est aussi de le leur expliquer.

M. Jean-François Rapin .  - La pandémie a souligné notre excessive dépendance, notamment vis-à-vis de producteurs asiatiques, et le besoin d'une stratégie industrielle et technologique à long terme. La France dispose d'atouts et de filières d'excellence.

Nous devons mobiliser les leviers européens pour renforcer notre souveraineté.

J'ai été interpellé par une PME qui voulait implanter une usine de production d'hydrogène par électrolyse, pour intégrer un important projet d'intérêt européen. Seul un soutien public permettait de développer cette initiative qui devait conduire à des emplois locaux. La France doit appuyer la création d'outils européens et faciliter leur usage.

La négociation en cours de la taxonomie verte sera décisive. La filière nucléaire française, filière d'excellence, ne doit surtout pas en être exclue, au risque de voir son avenir compromis.

Comment le Gouvernement compte-t-il faire de notre appartenance à l'Union européenne un atout pour la compétitivité de notre industrie et pour la souveraineté économique de la France ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - La politique industrielle est un enjeu essentiel. Ce sera l'objet d'une communication du commissaire Thierry Breton lors du prochain conseil compétitivité auquel je participerai.

Nous devons réinvestir massivement dans l'économie avec des projets innovants. L'IPCEI sur l'hydrogène devrait voir le jour dans les prochaines semaines. Nous portons aussi des projets en matière de santé, de cloud souverain, d'intelligence artificielle, de nanotechnologies et de microprocesseurs.

La concurrence doit être véritablement loyale, et les politiques européennes -  commerce, concurrence, commande publique...  - revisitées dans cette perspective.

En particulier, les règles de la concurrence doivent tenir compte du marché mondial. Les politiques de subventions des autres pays doivent être plus transparentes pour éviter le dumping. Nous continuerons de pousser en ce sens, avec le commissaire Thierry Breton.

M. Franck Menonville .  - Notre souveraineté économique doit également être envisagée au niveau européen. C'est à cette échelle que nous développerons des solutions efficaces et pérennes.

Mais nous sommes trop désindustrialisés. Notre dépendance est devenue trop forte, dans de multiples domaines. La France doit retrouver le contrôle de ses capacités de production.

Nous faisons face à une concurrence déloyale, notamment en matière environnementale. Je pense par exemple au secteur de l'acier. Nos concurrents ne sont pas astreints aux mêmes objectifs de réduction des gaz à effet de serre.

Le Parlement européen a adopté en mars dernier le principe d'une taxe carbone aux frontières sur les importations. Ce mécanisme sera-t-il efficace pour renforcer notre compétitivité ? Pourrait-il être généralisé au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Oui, l'enjeu est de lutter contre des formes de concurrence déloyale -  l'acier est un bon exemple.

C'est pourquoi nous saluons les mesures européennes de sauvegarde sur l'acier, et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Nous sommes à la pointe du combat pour le rééquilibrage de la concurrence aux frontières de l'Union européenne.

Entre 1995 et 2015, les industries ont réduit leur empreinte carbone de 40 %.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Évidemment, elles sont parties !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Certes, il y a eu des délocalisations. Ce sont les importations qui expliquent la hausse de notre empreinte de 17 %. Nous avons échangé des emplois contre des émissions de dioxyde de carbone... Il faut faire le contraire, en décarbonant notre industrie.

M. Guillaume Gontard .  - Je pose cette question au nom de Sophie Taillé-Polian.

Le temps est venu de l'écologie réelle, par exemple en matière de gestion des déchets. En Normandie, l'usine de La Chapelle-Darblay recycle des déchets pour produire du papier 100 % recyclé. Elle a supprimé plus de 250 emplois en juillet, alors qu'elle aurait pu être un bijou d'innovation. Depuis février 2020, les salariés luttent pour le maintien du site qui risque d'être démantelé dans huit semaines, et demandent un changement de mode de production, pour une écologie radicale créatrice d'emplois. Si l'UPM reste propriétaire, l'État doit favoriser les dossiers promouvant la papeterie écologique et le recyclage des déchets. Il faut une réponse globale sur la collecte des filières de recyclage.

Le Gouvernement - qui annonce 30 milliards d'euros pour la transition écologique dans le cadre du plan de relance - doit soutenir les salariés, pour un projet de papeterie écologique. Nous regrettons l'absence de contrepartie sociale.

Quel avenir le Gouvernement propose-t-il à cette filière ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Le Gouvernement travaille pour trouver une solution de reprise à La Chapelle-Darblay, et veut accompagner le projet dans le cadre du plan de relance. J'ai apporté des garanties en ce sens à deux repreneurs potentiels.

La convention de revitalisation entre l'État et lUPM prévoit que 500 000 euros soient versés au projet de reprise du site. Une commission industrielle examinera le 10 mai les quatre projets papier-carton et les deux autres projets. Nous préférons les projets qui se fondent sur les compétences des salariés.

Nous souhaitons que, le 15 mai, des projets de reprise fermes et définitifs soient proposés pour offrir un avenir à ce site qui coche toutes les cases souhaitables.

Nous travaillons sur ce dossier main dans la main avec les organisations syndicales représentatives du personnel et les élus locaux.

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Ces derniers mois, des données stratégiques ont été confiées à des acteurs étrangers, dans le cadre de Health Data Hub notamment, attribué à Microsoft, a priori sans aucun appel d'offres.

Je pense aussi à l'aérospatiale, avec le rôle de l'entreprise américaine Palantir Technologies, alors qu'Airbus est en plein conflit avec Boeing ; la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) confient le traitement de leurs données sensibles également à Palantir ; les prêts garantis par l'État sont confiés à Amazon Website qui dispose ainsi d'informations stratégiques sur les entreprises françaises et peut donc cibler les acquisitions opportunes pour des investisseurs étrangers hors Union européenne.

Certes, ces géants américains du numérique ont un savoir-faire technologique indéniable -  Amazon investit chaque année 22 milliards d'euros dans la recherche. Mais nul besoin de rappeler les dispositions extraterritoriales du Cloud Act américain...

Si nous voulons réellement reconquérir notre souveraineté, il faut faire de l'achat public un levier majeur, y compris en matière numérique. Privilégions nos offres souveraines, souvent équivalentes à leurs concurrentes étrangères. Dépassons la défiance à l'égard de nos propres acteurs dans ce domaine !

Et quelle place pour le cloud européen Gaia-X, tant attendu, mais qui ressemble davantage à une base de données unifiée qu'à un outil de protection des données européennes ? (MmeSophie Primas et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - . À ce jour, s'il y a de grandes plateformes américaines avec un haut niveau de services, les briques européennes ne peuvent proposer de solutions complètes de stockage et de traitement des données. Le projet IPCEI de cloud souverain va dans le bon sens.

Nous ne voulons pas que des dispositions extraterritoriales de quelque pays que ce soit frappent l'Europe. Surtout, nous devons construire les briques technologiques qui nous manquent pour faire émerger des solutions souveraines. Cédric O et Bruno Le Maire sont mobilisés sur ce projet de cloud.

Les futures directives - Digtal Services Act et Digital Market Act  - qui seront évoquées lors du prochain conseil compétitivité nous serviront aussi de levier contre les grandes infrastructures numériques.

Mme Florence Blatrix Contat .  - L'innovation technologique est un facteur de développement économique. Mais il appartient à la puissance publique de mettre de l'ordre et de la justice dans ce marché, qui n'est pas dirigé par une main invisible. La souveraineté économique se construit non pas dans le repli mais dans le partage avec ceux ayant les mêmes objectifs : fiscalité des Gafam, risque d'ingérence des puissances étrangères, dépendance technologique...

La souveraineté numérique est une question majeure et nous devons faire émerger des acteurs européens, dans une logique de coopération ouverte et européenne, tout en garantissant les droits et libertés de nos concitoyens.

Comment la France contribue-t-elle à créer un tel écosystème vertueux ? Où en est-on sur le cloud européen ? Quelle part la France prend-elle dans ces chantiers d'avenir ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Le Gouvernement porte une feuille de route numérique centrée sur cinq priorités : le renforcement de notre souveraineté numérique avec des solutions de confiance, le soutien de l'offre française de cloud, l'aide à la recherche et à l'innovation dans ces domaines du cloud, de la 5G et du edge computing, le soutien au verdissement de la filière et le développement de l'éducation numérique.

Ces orientations sont articulées au niveau européen. Nous avons un IPCEI sur le cloud européen et un autre projet sur le supercalculateur européen, auquel prend part Atos. Un appel d'offres est en cours sur la région de Barcelone.

En matière de régulation, deux directives - Digital Market Act et Digital Services Act - seront prochainement adoptées.

M. Stéphane Piednoir .  - Le nucléaire est la troisième filière industrielle de notre pays, forte de 220 000 emplois et de 3 000 entreprises. Elle est à l'origine de 70 % de notre électricité. Entre petits arrangements politiques et manque d'anticipation, la stratégie est floue, comme en témoignent les déclarations du président Macron : en décembre, il affirmait que notre avenir énergétique passait par le nucléaire, mais six mois plus tôt il fermait la centrale de Fessenheim et à l'été 2019 il annonçait la fin du programme Astrid sur le réacteur de quatrième génération. Missionné par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), je déplore le coup de frein brutal en matière de recherche nucléaire alors que la France était auparavant incontournable.

Nos techniciens et ingénieurs n'auront bientôt plus d'autre choix que de s'expatrier.

Les projets de Small modular reactors (SMR), petits réacteurs modulaires, sont adaptés à la réindustrialisation de nos territoires et renforcent notre attractivité internationale. Comment comptez-vous assurer à notre pays à la fois une souveraineté économique et industrielle ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Le nucléaire fait partie des six secteurs prioritaires du plan de relance, qui y consacre 470 millions d'euros. J'étais sur le site de Bernard Controls il y a deux semaines avec Bruno Le Maire, où nous avons signé l'avenant au contrat stratégique de filière nucléaire qui comprend plusieurs mesures pour renforcer la filière nucléaire.

Nous avons également un fonds d'investissement de 100 millions d'euros, financé par EDF, pour soutenir les petits acteurs de la filière. Nous soutenons aussi la recherche notamment sur les SMR - à hauteur de 270 millions d'euros.

Notre voulons renforcer la filière avec des projets d'avenir, en lien avec EDF.

M. Stéphane Piednoir.  - Je me félicite de ces millions d'euros fléchés vers ce secteur clé de notre industrie, qui participera à la reconstruction de notre souveraineté économique.

Les étudiants sont intéressés par cette filière mais ils s'expatrient, faute de crédits de recherche.

M. Jean-Jacques Michau .  - Depuis plusieurs années, des groupes étrangers rachètent puis ferment des sites en France. L'entreprise ariégeoise Aluminium Sabart est un fleuron de notre industrie française ; elle a été reprise par un groupe chinois, Jinjiang Industries Europe, qui a multiplié les achats de telles entreprises, tant en Aveyron, en Espagne qu'à Belesta, en Ariège encore, pour une intégration verticale ; mais très vite, le groupe chinois a fait fi de ses belles promesses et a annoncé des suppressions d'emplois.

Le groupe chinois a fait table rase de ses promesses. Comment expliquer ce désastre industriel ? C'est un accaparement de notre savoir-faire unique en Europe. De quelles armes l'État dispose-t-il pour défendre nos actifs stratégiques nationaux ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Dans cette entreprise, neuf emplois de production sont menacés, faute de commandes : le carnet de commandes est vingt fois inférieur à celui de de 2017.

Le 19 avril dernier, nous avons réuni les élus, au travers de la délégation interministérielle des restructurations d'entreprises. La direction générale de l'armement (DGA) a été contactée.

Le directeur de l'usine a aussi des pistes avec un site de démontage et remontage d'avions avec Tarmac Aerosave à Tarbes. Nous voulons une solution industrielle sur site. La fonderie SAM avait été reprise par Jinjiang à la barre du tribunal de commerce. Le projet d'Iveco a été abandonné. À ce jour, il n'y a pas de risque de rachat par un groupe chinois. C'est tout l'intérêt de notre dispositif de filtrage des investissements étrangers, à la fois en posant des conditions et en interdisant, mais aussi en discutant en amont avec des potentiels repreneurs.

Mme Christine Bonfanti-Dossat .  - Je me réjouis de ce débat : il y a peu, la souveraineté économique était le pire des blasphèmes ! Or, il s'agit de notre capacité à maîtriser notre destin économique et donc à protéger nos concitoyens.

Il y a trois ans, l'excellent rapport de Jean-Pierre Decool a mis en lumière les pénuries de médicaments et de vaccins. J'ai attiré l'attention du Gouvernement sur cette question à de nombreuses reprises, avec l'exemple d'UPSA dans le Lot-et-Garonne, qui a dû fait face à la pénurie de paracétamol, mais qui souffre d'une politique du prix du médicament déraisonnable.

C'est à Singapour que Sanofi annonce la construction d'une nouvelle usine pour 400 millions d'euros.

Où en est votre promesse de rapatriement des industries stratégiques en France faite le 18 juin 2020, Madame la ministre ? (MM. Bernard Fournier et Laurent Burgoa approuvent.)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Depuis plusieurs années, le Gouvernement tâche de réimplanter des sites industriels dans notre pays. En juin dernier, Sanofi a annoncé la création d'une nouvelle usine en France près de Lyon - 600 millions d'euros, 200 emplois - pour servir le marché européen des vaccins en 2025. N'opposons donc pas les deux investissements, de taille équivalente, l'un servant le marché asiatique, l'autre le marché européen.

Un appel à projets accompagne 273 entreprises pour des relocalisations. Dans la santé, notre programme de capacity building bénéficie de 160 millions d'euros, notamment pour l'ouverture de quatre sites de production de vaccins. En outre, le 18 juin, nous avons annoncé des initiatives pour des sites pharmaceutiques sur le sol français. Près de 25 % des lauréats du plan résilience viennent du secteur de la santé. Un nouvel appel à projets de 300 millions d'euros va prochainement être lancé pour relocaliser en France.

Mme Christine Bonfanti-Dossat.  - Les exemples de naufrages français sont nombreux.

Après les promesses, il faudra des actes. Une promesse est comme une fonction : elle doit être honorée, quoi qu'il en coûte !

M. Cyril Pellevat .  - La France importe 20 % de son alimentation, dont 25 % de la viande de porc, 34 % de la volaille et 50 % des protéines végétales et des fruits. Nous n'avons pas souffert de pénuries, mais l'agriculture a montré ses faiblesses.

En décembre, le ministre de l'Agriculture a annoncé une stratégie nationale pour le développement des protéines végétales ; 1,7 milliard d'euros sont dédiés à la compétitivité agricole dans le budget du ministère, mais surtout pour augmenter les capacités de production.

Il faut restaurer la souveraineté agricole française, mais sans tout miser sur les volumes. Nous devons aussi faire de la prévention, de l'éducation et de la recherche - les 20 millions d'euros prévus sont insuffisants - pour une agriculture plus résiliente et vertueuse. La commande publique doit davantage s'orienter vers les agricultures locales.

Comment aider l'agriculture à être plus indépendante pour les protéines et à s'adapter au changement climatique ? Comment inciter nos concitoyens à manger français ? Comment investir davantage dans la recherche, pour que la souveraineté alimentaire française ne reste pas qu'une utopie ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - L'agroalimentaire est le deuxième secteur lauréat de l'appel à projets résilience, sur les volets des protéines végétales et les protéines à base d'insectes pour l'alimentation animale.

Dans les programmes d'investissements d'avenir, une feuille de route sur la recherche et développement concerne le bien-manger.

Le guichet Territoires d'industries recueille de nombreux projets agroalimentaires.

Le ministre de l'Agriculture n'est pas le seul concerné, il faut prendre en compte aussi le ministère de l'Industrie et les programmes d'investissements d'avenir.

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - La révision du Big data est une menace pour la souveraineté française. Certaines entreprises des Gafam pillent les données de millions de Français. Il s'agit d'entreprises systémiques dont le chiffre d'affaires est comparable aux recettes fiscales françaises, selon le rapport de Gérard Longuet de 2019.

Notre réponse avec la taxe sur les services numériques est insuffisante. Il faudrait un taux minimum d'imposition dans le cadre de l'OCDE, d'environ 12,5 %.

Mais il faut aussi rapatrier nos données sur notre territoire, car 92 % d'entre elles sont détenues par les États-Unis. Sortons de notre dépendance numérique avec des solutions d'hébergement sûres et équitablement réparties.

La France doit capitaliser sur l'expertise de ses ingénieurs. Il faut en finir avec notre position de colonisés numériques !

Quel est le plan du Gouvernement pour pallier le désarmement technologique de la France ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Les géants du numérique ne sont pas seulement américains. La France a été la première à s'engager sur la taxation des plateformes numériques. L'administration américaine prend ce sujet très au sérieux, notamment sur les questions de concurrence, et elle a nommé un expert ayant étudié les distorsions de concurrence de ces entreprises.

La taxation minimale des entreprises - à hauteur de 12,5 % - est examinée par l'OCDE qui travaille aussi sur la taxation des plateformes numériques. La France est un aiguillon dans cette réflexion, mais compte se rallier à la solution internationale quand elle sera présentée. Pour protéger la souveraineté des données, nous avons le règlement général sur la protection des données et les deux directives.

Quant au cloud souverain, c'est l'objet du projet européen Gaia-X.

M. Bernard Fournier .  - Malheureusement, il a fallu une crise historique pour se rendre compte de l'ampleur de la dépendance de notre pays.

Dans cet hémicycle, nous évoquions la désindustrialisation de nos territoires, la défense de notre souveraineté, la protection de nos entreprises, regrettions l'abandon de la branche énergie d'Alstom et les projets pour ADP ; mais on nous traitait de conservateurs, de souverainistes qui n'avaient rien compris au libre-échange...

Nous avons besoin de réalisme et de pragmatisme et de moins de naïveté. Les Français le souhaitent. Regardons la Chine : elle multiplie les barrières à l'entrée de son territoire tout en investissant massivement chez nous.

Depuis quelques années, tous les grands pays se referment et renforcent leur réglementation pour se protéger contre les investisseurs étrangers.

Depuis 2014, la France contrôle mieux les investissements étrangers mais cela ne suffit pas. Plusieurs de nos groupes sont vulnérables depuis la crise du coronavirus.

Nous devons trouver un chemin étroit et difficile entre protection et ouverture de l'économie. Deux millions d'emplois dépendent de groupes étrangers. Comment le Gouvernement compte-t-il protéger les entreprises et mener ses relations économiques avec les pays qui procèdent à un contrôle très strict des investissements étrangers ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - La doctrine de l'État sur les investissements étrangers a évolué. Le Président de la République et Bruno Le Maire ont impulsé une politique nouvelle en matière d'investissements étrangers, en renforçant les outils juridiques et en veillant à leur application plus stricte. Cette démarche a inspiré la doctrine de filtration des investissements en Europe, dont on peut penser qu'elle peut aller plus loin, mais qui nous permet d'échanger des données.

Concrètement, l'achat de Photonis a été bloqué. Bruno Le Maire travaille à une solution souveraine sur Arabelle. Quant à Liberty, c'est grâce à des conditions d'investissement strictes que nous avons pu préserver Hayange et Ascoval dont les actifs sont aujourd'hui beaucoup plus désirables.

En 2020, nous avons suivi 275 opérations et nous sommes prêts à aller plus loin.

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains .  - Il y a des vérités que l'on redécouvre, sans qu'elles n'aient jamais cessé d'exister. C'est le cas de l'impératif de souveraineté économique.

Après des décennies de mondialisation, bien sûr, l'indépendance économique totale est un objectif qui ne peut être atteint et qui n'est pas souhaitable. Nos liens avec nos partenaires sont denses, bénéfiques, sources d'innovations et de conquêtes.

La question centrale est celle de la souveraineté. La France est-elle en mesure d'assurer ses besoins fondamentaux ? Non : les biens stratégiques représentent 20 % des importations. Nous dépendons de l'étranger pour la santé, mais aussi, plus discrètement, pour les semi-conducteurs dont la pénurie met en péril l'industrie automobile. Parler de 121 produits est réducteur. L'industrie n'est que la partie émergée de l'iceberg.

Chine et États-Unis regardent avec intérêt nos meilleures entreprises et nos savoir-faire. Je vous l'avais rappelé lorsque vous insistiez sur la vente des chantiers de l'Atlantique à FinCantieri en collaboration avec l'entreprise chinoise CSSC. Que dire de la vente d'Alstom à General Electric ? Les ratés sont nombreux.

La souveraineté économique ne se limite pas à certains secteurs. Il faut protéger nos start-up et nos innovations, mais nous devons aussi penser aux agriculteurs. Il nous faut défendre tout notre tissu économique.

Pour restaurer notre potentiel productif, nous devons nous réatteler à un travail offensif de long terme ; les milliards ne suffiront pas. L'effort doit être plus offensif que défensif.

Nous sommes dans le « en même temps » : baisses de charge, mais aussi écocide ou surtranspositions qui tétanisent les investisseurs.

Je vous suggère d'associer les territoires à votre action. Les entreprises structurantes localement peuvent être des piliers de la souveraineté. Un capitalisme territorial rénové peut constituer un levier fort.

Il faut enfin une protection juridique. Les Américains et les Chinois sont nos amis, mais ils sont redoutables.

La vente d'Alstom à General Electric a été imposée par les États-Unis dans des conditions de pressions incroyables - ce que M. Pierucci a subi ne doit pas être oublié. L'industrie française en porte encore les stigmates.

Je ne vois pas d'initiatives autres que privées contre les pressions extraterritoriales du droit américain.

J'espère que le Président de la République se saisira de ce sujet à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

La séance est suspendue à 19h40.

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

« Les enjeux nationaux et internationaux de la future PAC »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Les enjeux nationaux et internationaux de la future PAC » à la demande du groupe SER.

M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La politique agricole commune (PAC) reste, à ce jour, la seule véritable politique européenne intégrée, dotée d'un budget spécifique. La France en est le premier bénéficiaire.

Les enjeux de la prochaine PAC sont fondamentaux. Son budget devrait être stable en apparence à 386 milliards d'euros - dont 62 milliards d'euros pour la France : 51 milliards d'euros pour le premier pilier et 11,4 milliards d'euros pour le second.

Mais, en euros constants, ce budget est en baisse de 39 milliards d'euros. C'est un mauvais signal, face aux défis relatifs au revenu des agriculteurs, au changement climatique, à la qualité des aliments et au développement économique des zones rurales.

Devant tous ces enjeux, il ne faut pas baisser la garde.

Chaque État a le devoir de mettre en place un plan stratégique national, mais attention à ce que cette subsidiarité accrue ne débouche pas sur du dumping. La PAC doit rester collective pour que les pays soient tous sur un pied d'égalité.

L'agriculture bio ne doit pas être la grande oubliée, alors qu'elle ne pèse que 2 % du budget de la PAC. Pour atteindre 25 % de terres cultivées en bio en 2030, il faut des mesures fortement incitatives. Les plans stratégiques nationaux peuvent être des leviers. En 2020, nous n'étions qu'à 8,5 % de terres cultivées en bio. Avec 300 élus locaux et nationaux, nous avons signé une tribune appelant à intégrer l'objectif du bio dans le plan stratégique national.

Les États membres pourront prévoir un plafonnement des aides à 100 000 euros par exploitation. Ils auront en outre la faculté de mettre en place un mécanisme progressif de réduction des aides à partir de 60 000 euros. Même si 100 000 euros semblent trop peu, j'espère que la France se saisira de cette possibilité. Sans plafonnement, tout le reste n'est que littérature.

Les pratiques ont évolué et notre agriculture est l'une des plus vertueuses. Les obligations environnementales de la PAC vont dans le bon sens mais sont en contradiction avec le CETA et l'accord avec le Mercosur : le marché européen va s'ouvrir à des produits moins chers qui ne respectent pas nos normes.

Monsieur le ministre, quand aurons-nous un débat sur ces traités ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Christian Redon-Sarrazy .  - Depuis une trentaine d'années, chaque négociation de la PAC est source d'inquiétude pour les agriculteurs. Le 7 avril dernier, Monsieur le ministre, vous avez indiqué que la réforme de la PAC devait prendre en compte les zones intermédiaires. Mais celles-ci sont difficiles à identifier. De nombreux territoires en sont exclus, notamment en Occitanie ou Nouvelle-Aquitaine. Comment ces zones seront-elles identifiées et de quelles aides bénéficieront-elles ? Avec quelles conséquences sur les autres aides compte tenu de l'enveloppe fermée ? En effet, la baisse du taux de cofinancement européen de 10 % a été actée par le Conseil en octobre dernier.

Le Gouvernement envisage une augmentation, jusqu'à 4 %, des aides pour les protéines. L'objectif est louable mais certaines entreprises qui ont déjà été, pour certaines, sorties du dispositif de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), ne pourront pas supporter une nouvelle baisse de leurs aides dans le cadre d'un rééquilibrage.

Les aides couplées du premier pilier doivent être maintenues à leur niveau actuel, notamment pour l'élevage bovin. Celui-ci présente de nombreux avantages tels que la captation du carbone par les prairies permanentes et les circuits courts.

Nous attendons du Gouvernement un soutien massif au profit de ce modèle agricole d'élevage extensif.

De quel modèle agricole voulons-nous, Monsieur le ministre ? Un modèle qui promeut des pratiques vertueuses et respectueuses de l'environnement, des animaux et des hommes ? Ou bien un modèle intensif dont on ne cesse de rappeler les multiples effets dévastateurs ? Une fois ces choix faits, les arbitrages en découleront.

Pouvez-vous, Monsieur le ministre, nous certifier que les zones de polyculture élevage ne seront pas les victimes de la prochaine PAC ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - La politique agricole commune est une politique structurante.

La première proposition d'octobre 2018 de la Commission européenne n'était pas acceptable. À l'initiative de la France, nous avons obtenu le maintien du budget de la PAC au niveau actuel. Heureusement ! Je vous laisse imaginer nos débats avec une baisse de 15 %...

À l'automne dernier, lors du conseil des ministres de l'agriculture, nous avons élaboré le cadre politique de la PAC en intégrant un élément très important : le fameux éco-régime qui s'applique à tous les États membres sans dérogation. Il reste désormais à veiller à ce que les plans stratégiques nationaux respectent ce cadre.

Les négociations sont toujours en cours mais le trilogue devrait se terminer à la fin du mois. Une avancée a d'ores et déjà été actée : le droit à l'erreur, afin de limiter les rappels de paiement de la PAC. Nous avons également obtenu une prolongation des autorisations de plantations viticoles de 2030 à 2045. Mais d'autres sujets restent à trancher : éco-régime, rotation des cultures, organisation des marchés...

Nous devons finaliser notre plan stratégique national d'ici l'été, avant de lancer des évaluations environnementales. Nous avons réalisé les diagnostics, les consultations publiques et les concertations avec les filières, les ONG et les régions - qui sont désormais chargées d'administrer les aides non surfacées du second pilier.

Ma vision de la PAC repose sur quatre maîtres mots. Le premier est la compétitivité : la PAC doit assurer un revenu aux agriculteurs ; elle doit donc être stable et éviter les gros transferts entre territoires, cultures et filières.

Le deuxième est la souveraineté alimentaire ; cela passe par l'attention à l'approvisionnement en protéines, mais aussi par d'autres canaux comme EGalim ou un prochain texte prévu en juin.

Le troisième est la transition agroécologique, qui doit être inclusive et appliquée par tous les États membres.

Le quatrième est la prise en compte des spécificités des territoires.

Nous n'en sommes plus à la discussion budgétaire ; il s'agit de répartir l'enveloppe financière entre productions et territoires. Augmenter les aides sur un territoire ou une production, c'est les diminuer ailleurs.

La loi EGalim a permis des avancées mais il faut aller plus loin sur le revenu des agriculteurs et les clauses miroirs afin d'imposer nos normes à nos importations hors Union européenne. Sortons de l'hypocrisie ! Un travail avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sera mené, notamment lors de la présidence française de l'Union européenne. C'est un marqueur de mon action. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Après la gelée noire d'avril, j'aborderai la question de l'assurance récolte. La future PAC conditionne les aides au verdissement mais il faut aussi accompagner notre agriculture dans sa résilience. L'assurance récolte est un de ces outils. Or seulement 30 % des agriculteurs sont assurés. Des pistes d'amélioration existent : baisse du seuil de déclenchement de 30 à 20 %, réforme du calcul de la moyenne olympique, hausse de la subvention de 65 à 70 % des primes.

Le 24 juin 2020, Marc Fesneau évaluait le surcoût à 2 milliards d'euros : monsieur le ministre, êtes-vous prêt à défendre ces objectifs ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Ce sujet est essentiel. Aujourd'hui, c'est 150 millions d'euros dans le deuxième pilier, mais il faut faire plus. On ne tire pas le maximum du règlement Omnibus. La franchise pourrait être diminuée mais si la PAC le prend en charge, il faut faire d'autres choix... À qui prend-on ?

J'ai beaucoup travaillé sur ce dossier et je pense qu'il faut refonder complètement le système, sur le modèle espagnol. Celui-ci comporte plusieurs dispositifs : subventions pour le paiement des primes, pools d'assurance et réassurance. Nous nous attelons à créer cette architecture. Le monde agricole ne peut financer seul les aléas du changement climatique. Il faudra donc une solidarité nationale.

M. Henri Cabanel.  - Je suis conscient des enjeux financiers. Je vous remercie du plan annoncé dans l'Hérault, avec plus d'un milliard d'euros.

Je suis rassuré d'entendre que la solidarité doit aller au-delà du seul monde agricole. Nous attendons fermement vos propositions.

M. Gérard Lahellec .  - Le Traité de Lisbonne prévoit que la PAC assure un revenu équitable aux agriculteurs. Mais cet objectif n'est plus rempli depuis le découplage des aides.

Un maraîcher, avec un hectare et cinq salariés, perçoit 5 000 euros d'aides de la PAC ; le céréalier qui a 5 000 hectares, lui, reçoit un million d'euros ! (Mme Sophie Primas le conteste.)

Il faut une rémunération plus équitable et une politique redistributive. Il faut mieux rémunérer les 52 premiers hectares et obtenir de l'Europe le respect du principe de subsidiarité pour que la France puisse moduler et plafonner les aides. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Vous demandez plus de paiements redistributifs sur les 52 hectares : je le conçois. Mais qu'en penserait M. Redon-Sarrazy ? Ce qui serait favorable aux agriculteurs de votre territoire ne le serait pas aux agriculteurs des zones intermédiaires du sien.

Je suis contre l'approche par la taille de l'exploitation. En zone intermédiaire, les exploitations sont grandes, non parce que les agriculteurs y sont riches mais parce qu'il faut beaucoup d'hectares pour dégager des revenus.

M. Gérard Lahellec.  - J'entends vos arguments. Je vois que l'Allemagne est plus redistributive - suivons le modèle allemand dont on parle si souvent. Ce serait une mesure de justice. (Mme Cathy Apourceau-Poly approuve.)

M. Julien Denormandie, ministre.  - L'Allemagne est beaucoup moins redistributive que nous !

M. Pierre Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Saluons le travail de M. le ministre qui a conduit une vaste concertation sur l'enveloppe de la PAC. Nous devons nous battre pour qu'il y ait les mêmes règles dans toute l'Europe et que les marges de manoeuvre de chaque pays soient réduites - sans quoi la concurrence sera difficile à supporter.

Dans les zones intermédiaires, la situation est catastrophique : il n'y a plus de revenus, plus d'installations. La seule solution, c'est l'agrandissement. La suppression des zones défavorisées y a été un drame, surtout pour l'élevage.

Ne surtransposons pas les règles européennes et faisons simple pour éviter les conflits de contrôle pour les agriculteurs et pour la France. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Les zones intermédiaires -  80 000 à 90 000 agriculteurs  - ont vu leurs revenus baisser avec les dernières PAC. Pour augmenter la rémunération, il faudrait des transferts massifs au sein du premier pilier qui désavantageraient les éleveurs des autres zones.

L'éco-régime répartit 20 à 30 % de l'aide du premier pilier sur la base d'un taux moyen national. Celui des zones intermédiaires étant très bas, ceux qui y sont installés en profiteront.

En outre, nous n'avons pas consacré suffisamment de mesures agroenvironnementales à ces zones.

Mme Gisèle Jourda .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'ICHN représente 1,1 milliard d'euros, pour un tiers des exploitations. Malgré votre engagement de maintenir l'enveloppe, le taux proposé passerait de 75 à 65 %, ce qui obligerait la France à financer elle-même le delta, soit 108 millions d'euros. Comment allez-vous faire ?

En 2018, 1 350 communes ont été exclues des zones défavorisées, de manière scandaleuse. Le Gouvernement s'était pourtant engagé à accompagner les agriculteurs concernés. Dans l'Aude, nada ! L'ICHN a bien disparu. Que comptez-vous faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE.)

M. Julien Denormandie, ministre.  - L'ICHN est financée par le deuxième pilier et, le cas échéant, par des transferts du premier pilier. Je suis défavorable à ce mécanisme qui diminuerait la rémunération des agriculteurs. Le deuxième pilier recouvre quatre domaines : les mesures agroenvironnementales, l'ICHN, le bio et l'assurance récolte.

L'État devra consacrer non pas 108 millions mais 140 millions d'euros, sur son propre budget, pour maintenir les ambitions du deuxième pilier. Nous en discutons en ce moment au sein du Gouvernement.

Mme Gisèle Jourda.  - Je vous l'ai dit dans l'Aude : lorsqu'on fait des annonces et qu'on promet des aides aux agriculteurs, il faut respecter sa parole. Ces agriculteurs vivent un drame. (Quelques applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Jean-François Rapin .  - Depuis le 1er juin 2018, le projet de PAC a nourri de difficiles échanges. Le Sénat a pris sa part, adoptant trois résolutions en 2017, 2018 et 2019 - les deux dernières à l'unanimité, en séance publique - car nous nous inquiétons de l'architecture du projet. La mise en oeuvre décentralisée de la PAC porte un risque de distorsion de concurrence entre 27 politiques agricoles nationales de moins en moins compatibles entre elles.

La réforme de la PAC ne répondra pas au voeu des agriculteurs.

Quid de la publication des études d'impact sur les mesures de biodiversité et sur la stratégie « de la ferme à la table » ? Quid du Green Deal contre le recul de l'agriculture ? Face à une perspective de décroissance de la production -  que les Américains évaluent à 12 % - quid de la souveraineté alimentaire ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Vous êtes sévère sur la régionalisation de la PAC.

Le cadre politique défini par le Conseil est très précis, par exemple pour l'éco-régime, qui ne permet aucune dérogation. Je me bats pour que les plans stratégiques nationaux, documents politiques, soient discutés au niveau ministériel et non validés dans des bureaux.

Nous ne disposons toujours pas de l'étude d'impact -  et c'est un problème. Il n'est pas acceptable de ne disposer que d'une étude américaine ! La stratégie « farm to fork » fixe des ambitions. C'est très différent de la PAC.

La PAC est l'un des éléments du Green Deal. Mais si la filière « commerce » ne suit pas, tout ce que nous faisons pour l'agriculture ne marchera pas. Je me bats donc, en lien avec mes collègues Clément Beaune et Franck Riester, pour que le socle soit reporté dans les futurs accords afin d'éviter les distorsions de concurrence.

M. Alain Marc   - Le violent épisode de gel a frappé les arboriculteurs de l'Aveyron, dont je salue le courage. L'annonce d'un fonds de solidarité exceptionnel doté d'un milliard d'euros est rassurante.

Depuis toujours, l'agriculture est synonyme d'adaptation. Les agriculteurs des zones très rurales sont inquiets. Les exploitations y sont petites, souvent orientées vers l'élevage. L'Aveyron est le deuxième département ovin de France et l'un des tous premiers pour les bovins ; cela demande un engagement de tous les jours et les aides directes du premier pilier sont capitales.

Nous comprenons la nécessité de développer le système assurantiel -  mais redoutons le transfert du premier au second pilier, qui risque d'accentuer encore l'exode rural. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce risque de vases communicants ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je veux une PAC compétitive, une PAC qui tienne compte des spécificités des territoires, qui accompagne la transition agro-écologique, et permette de gagner en souveraineté alimentaire. Cela suppose déjà de stabiliser le premier pilier -  la rémunération. Pour assurer l'accompagnement au titre du second pilier, il faut que l'État l'abonde à hauteur de 140 millions d'euros par an pendant cinq ans. C'est dire l'ampleur du défi.

L'assurance récolte relève du règlement Omnibus, mais ne peut être traitée uniquement au sein de la PAC, car cela supposerait des transferts du premier au second pilier, ou une baisse des ICHN, IAE et aides Ambition bio. Le monde agricole ne peut faire face seul aux aléas du changement climatique -  d'où ma proposition de refonte du système.

M. Alain Marc.  - Il y a des agriculteurs partout sur le territoire national. Beaucoup perçoivent moins de 1 000 euros par mois.

Monsieur le ministre, je réitère mon amicale invitation à venir en Aveyron !

M. Julien Denormandie, ministre.  - Merci.

M. Joël Labbé .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Elle était belle, l'ambition bio de Stéphane Le Foll : 15 % de SAU en 2022 ! Vous l'avez dit, la France n'atteindra pas ses objectifs, loin de là - non plus que l'objectif de 20 % de produits bio dans la restauration collective, voté dans la loi EGalim.

Mme Sophie Primas.  - Des importations !

M. Joël Labbé.  - Et pourtant, malgré ces échecs, les aides ne font que reculer : après la fin du financement national de l'aide au maintien, alors que la demande ne cesse de croître et que l'urgence écologique devient toujours plus prégnante, le bio sera le grand perdant du plan national stratégique.

Dans l'ancienne PAC, un agriculteur bio touchait en moyenne 202 euros par hectare ; dans la prochaine programmation, il touchera 70 euros, soit une baisse de 66 % ! Le Président de la République avait pourtant promis la rémunération des services environnementaux... Comment justifier ce coup de frein sur le bio ?

Certes, il faut accompagner tout le monde. Mais proposerez-vous un scénario alternatif pour rémunérer ce système à hauteur de ses performances ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Notre objectif était 15 % de SAU en bio en 2022 ; nous finirons à 12,5 ou 13 %. C'est insuffisant, sans doute, mais c'est tout de même une augmentation de 50 % par rapport à 2017 ! Nous n'avons pas à en rougir.

Ce n'est pas moi qui passe les commandes pour les cantines, cela ne vous aura pas échappé...

Selon les scenarii sur la table, les aides au bio passent de 250 millions à 340 millions d'euros. Et cela se traduit dans le débat public par une baisse de 66 % ? Certains savent mieux que d'autres manier les chiffres...

Mme Sophie Primas.  - Très bien !

M. Joël Labbé.  - Nous devons accélérer l'extension de l'agriculture bio, et maintenir les revenus. Beaucoup d'agriculteurs sont encore les oubliés de la PAC : maraîchers, arboriculteurs, paysans herboristes...

Mme Patricia Schillinger .  - L'agriculture est au carrefour de nombreux enjeux. Il faut s'orienter vers une agriculture plus durable, respectueuse de l'environnement, tout en faisant face à la volatilité des prix et à la multiplication des aléas climatiques.

Chacun sait que vous n'avez pas ménagé vos efforts pour que la PAC reste le premier budget européen et pour maintenir à la France l'enveloppe qui lui était allouée. Sans ces aides, les revenus seraient souvent négatifs !

De nombreux agriculteurs craignent que les plans nationaux stratégiques n'aboutissent à une concurrence déloyale entre États membres ; d'autres s'inquiètent des critères d'accès aux éco-régimes.

Comment calmer ces inquiétudes ? Comment préserver la compétitivité et la rentabilité de notre agriculture tout en permettant sa mutation vers un modèle durable et raisonné ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - L'éco-régime est obligatoire pour tous les États membres. Cela mettra fin à la spirale de la concurrence déloyale au sein même du marché européen. Rien n'est plus navrant que de voir deux produits de l'Union qui ne respectent pas les mêmes normes.

Les éco-régimes devront être inclusifs et accompagner les agriculteurs, sans lesquels il n'y aura pas de transition agro-écologique !

Mme Patricia Schillinger.  - Venant d'un territoire frontalier, j'insiste sur les risques de concurrence déloyale, à l'intérieur mais aussi aux portes de l'Union européenne. Il faut que les importations extra-européennes répondent aux mêmes exigences qu'à celles que nous imposons à nos agriculteurs.

M. Philippe Folliot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ils s'appellent Pascal, Sébastien, Joël, Claude, Françoise, Muriel, ils sont agricultrices et agriculteurs du Massif Central. Aujourd'hui, ils poussent un cri d'angoisse, de désespérance. Les agriculteurs en zone de montagne étaient 105 000 en 1995, 75 000 en 2005 ; ils sont moins de 60 000 aujourd'hui.

L'agriculture et l'élevage de montagne sont plus respectueuses de l'environnement ; les produits sont de qualité.

Mais lundi dernier, au marché de Valence-d'Albigeois, les veaux se sont vendus au même prix qu'il y a trente ans. C'est inacceptable. Il faut donc maintenir l'ICHN et favoriser l'installation des jeunes agriculteurs pour stopper l'hémorragie.

Pouvez-vous nous rassurer, Monsieur le ministre, sur les perspectives à moyen terme de cette agriculture ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Merci pour votre hommage à nos éleveurs, qui participent à notre souveraineté alimentaire et à l'identité des territoires qui font la France.

Pour maintenir l'ensemble des aides du deuxième pilier, le budget national devra apporter 140 millions d'euros par an pendant cinq ans, soit 700 millions d'euros. C'est un accompagnement important de la part de l'État.

Sur les aides couplées, je suis convaincu de la pertinence du modèle UGB (Unité gros bovin), mais le diable se niche dans les détails. Des travaux sont en cours sur les critères et les paramètres à définir.

Il faut aussi favoriser l'installation des jeunes agricultures, qui relèvera désormais des régions pour le second pilier.

Enfin, la proposition de loi Besson-Moreau, dite EGalim 2, sera l'occasion de remettre la question des rémunérations sur le métier.

M. Philippe Folliot.  - J'ai relayé un cri du coeur, qui est un cri de désespérance. Tout se tient, dans nos territoires de montagne : si les exploitations disparaissent, les emplois, les services publics disparaîtront aussi. Nous avons besoin d'un soutien et d'une juste compensation des handicaps naturels. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-Jacques Michau .  - Élu d'un territoire de montagne, je souscris à votre volonté de maintenir un maillage d'actifs agricoles et une présence humaine dans ces territoires.

La PAC 2023-2029 innove avec les plans stratégiques nationaux : Monsieur le ministre, vous déciderez donc du soutien à l'agriculture de montagne. Bruxelles a annoncé une baisse de 10 % de l'enveloppe pour les ICHN. Allez-vous tenir votre promesse de compenser cette baisse à hauteur de 140 millions d'euros par an ? Les surcoûts des exploitations de montagne continueront-ils d'être compensés au moins à leur niveau actuel ? Une extension de l'ICHN à certaines productions végétales est-elle envisageable ?

Les nouvelles mesures ne doivent pas venir diminuer les aides existantes...

M. Julien Denormandie, ministre.  - J'ai déjà répondu sur le volet ICHN : nous sommes en train de finaliser les équilibres. C'est grâce à l'implication du Président de la République que la France a obtenu le maintien d'un budget conséquent.

Je l'ai dit, je souhaite une PAC de production mais aussi une PAC qui tienne compte des spécificités des territoires.

Comment convaincre un jeune agriculteur de s'installer s'il risque de perdre toute sa récolte tous les trois-quatre ans à cause du gel par exemple ? Refonder le modèle de l'assurance récolte est essentiel à notre souveraineté. C'est un sacré chantier !

M. Jean-Jacques Michau.  - Ne sacrifiez pas l'agriculture de montagne ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Vivette Lopez .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La PAC reste complexe et mal comprise. Elle est pourtant indispensable pour répondre aux enjeux à la fois de sécurité alimentaire et de préservation de l'environnement et du tissu socio-économique des zones rurales.

La France doit rendre la PAC plus accessible et plus lisible, au travers des plans stratégiques nationaux. C'est l'agriculteur qui doit être au centre de nos préoccupations pour redonner du bon sens aux politiques européennes. Qu'il soit entrepreneur ou paysan, il produit, aménage le territoire ; il doit être accompagné et percevoir une juste rémunération.

Au regard de l'évolution du métier, de la diversité des activités, des spécificités des territoires - je pense aux châtaigneraies, aux chênaies et aux zones humides du Gard -, pourrions-nous définir un statut de l'agriculteur ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Les aides de la PAC sont calculées en fonction des hectares, et non du nombre d'actifs qui travaillent sur l'exploitation. Si l'on modifiait ce mode de calcul, la France y perdrait beaucoup, car d'autres pays emploient proportionnellement plus d'actifs - avec des salaires bien moindres. En outre, la définition de l'actif n'est pas fixée au niveau européen.

Par ailleurs, la question de l'agriculteur véritable doit être étudiée. Je suis prêt à y travailler, après la répartition des enveloppes.

Mme Vivette Lopez.  - Merci. À mon tour de vous inviter à venir déguster les produits locaux de nos agriculteurs gardois !

Mme Florence Blatrix Contat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il faut repenser nos modèles de développement : circuits courts, économes en énergie, process de qualité, préservation du cadre naturel, tels sont les principaux axes.

Le modèle d'exploitation française est de taille modeste, familial, transmis sur plusieurs générations. Il retrouve aujourd'hui sa pertinence mais son érosion démographique menace son existence même.

Partagez-vous cette ambition ? Comment favoriser les petites et moyennes exploitations ? Comment y développer l'emploi ? Quel équilibre financier trouver pour les favoriser ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Julien Denormandie, ministre.  - La taille moyenne d'un élevage en France est inférieure à la moyenne européenne. Mais la ferme France est très diverse, en fonction des territoires concernés : le taux de chargement est bien différent entre les zones intermédiaires, les zones de la montagne et ma belle Normandie. Il n'y a donc pas de modèle unique ; il faut trouver un juste équilibre.

Je ne suis pas contre le paiement redistributif. Nous sommes à 10 %, les Allemands à 7 %. Faut-il aller plus loin ? Certains y perdront... En outre, la taille moyenne des exploitations est de 63 hectares alors que le paiement redistributif se fait sur la base de 52 hectares, ce qui est déjà favorable aux plus petites exploitations.

Mme Florence Blatrix Contat.  - Je sais que les équilibres sont complexes, mais nous avons besoin d'une PAC sociale pour soutenir l'emploi, la création de valeur, la souveraineté alimentaire et l'attractivité de nos territoires.

M. Fabien Genet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a quelques jours, dans une tribune, vous appeliez à « revenir à l'essentiel ». En matière agricole, et notamment sur l'élevage bovin allaitant, l'essentiel est en jeu, particulièrement dans les élevages de charolais de Saône-et-Loire. La nouvelle PAC va-t-elle les aider à se relever ou ne fera-t-elle qu'accentuer leurs difficultés ?

Trois ans après EGalim, ces éleveurs ont perdu 30 % de leurs revenus, percevant moins de 700 euros par mois en moyenne. Va-t-on encore diminuer leurs aides ?

L'aide à l'UGB que vous envisagez sera-t-elle la même pour les bovins allaitants et pour les bovins laitiers ? Quel en sera le montant ? Un plafonnement pénaliserait des milliers d'exploitations de Bourgogne-Franche-Comté avec une chute de 30 % à 50 % des aides. Comment éviter une décapitalisation violente dans les élevages ? Nous attendons des réponses précises et chiffrées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Le département de la Saône-et-Loire est plutôt bénéficiaire en termes de convergence.

Allez vers l'UGB est une bonne idée, même si le diable se cache dans les détails. Je suis favorable à deux UGB différents pour l'allaitant et le laitier. Il faut réfléchir au plafond, au seuil, au taux de chargement, au mixte... Je suis donc plutôt favorable à des critères différents, mais les travaux sont en cours. C'est un exercice d'orfèvre et nous prendrons le temps de la concertation.

M. Fabien Genet.  - Nous attendons des chiffres. Pouvez-vous garantir le maintien du niveau de l'aide ? « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras », disait La Fontaine. Cela vaut mieux que « moins tu auras » ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Kristina Pluchet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La déclinaison française de la PAC inquiète les grandes cultures et en particulier la filière betterave qui connaît depuis trois ans une succession de crises, notamment dans l'Eure : la baisse des prix du sucre, depuis trois ans sous le seuil d'alerte ; la jaunisse, qui a fait chuter la production nationale d'un tiers en 2020 ; le gel, qui a détruit 40 000 hectares de betterave ; la réorientation des flux commerciaux suite au Brexit. Cette filière est en danger !

Les enjeux sont agricoles et industriels. Le plan stratégique national doit comporter un volet pour conforter et relancer la filière. Les professionnels ont besoin d'une stratégie sectorielle avec une assurance récolte et un mécanisme de stabilisation des revenus. Que prévoit le Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je n'ai plus à démontrer mon amour de la filière betteravière : je resterai comme le ministre de la betterave, et j'en suis fier. (Sourires)

Nous travaillons sur l'accessibilité de l'écorégime. Les modèles initiaux ne spécifiaient pas les types de plantes...

Au-delà des fonds de stabilisation, les différentes crises renvoient à notre gestion des risques. Les pucerons ne relèvent pas à proprement parler du risque climatique, mais prolifèrent parce que les hivers sont trop doux...

Enfin, des programmes opérationnels permettent d'accompagner des filières mais ce sont des choix à faire. L'argent que l'on met ici, on le prend ailleurs.

Mme Kristina Pluchet.  - Peu importe le volet, il y a urgence à aider les producteurs qui ont perdu 400 à 500 euros à l'hectare. L'assolement a été réduit de 30 à 50 % et certains ont même arrêté la betterave !

M. Julien Denormandie, ministre.  - La moyenne nationale est de moins 5 %.

M. Laurent Somon .  - (Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains) Les objectifs de la nouvelle PAC sont posés : favoriser une agriculture assurant souveraineté et santé alimentaire, développer des actions favorables aux objectifs environnementaux et renforcer le tissu économique des zones rurales.

Depuis 2014, la convergence progressive des aides a conduit à la baisse des aides directes, tout particulièrement dans le nord de la France, notamment dans la Somme qui ne bénéficie pas de l'ICHN du second pilier. Or, on nous annonce une nouvelle baisse de 12 euros à l'hectare.

Quelles garanties apportez-vous à ces agriculteurs sur le montant du premier pilier ? Afin de limiter les pertes successives pour les systèmes de production des grandes cultures dont dépendent des filières industrielles, permettrez-vous un accès aux écorégimes simples à tous les modèles de production avec la prise en compte des évolutions agro-économiques comme la gestion de l'eau ou l'agriculture de précision ?

Enfin, à quel niveau fixerez-vous le niveau du versement distributif ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - Si, en Saône-et-Loire, la convergence est positive, dans la Somme, elle est négative. Faut-il aller à 85 % voire à 100 % tout de suite ? Le sénateur de Saône-et-Loire y sera favorable tandis que vous ne le serez pas. Je dois trouver un bon équilibre, mais la convergence ne doit pas se faire à marche forcée.

Je ne crois pas que la stabilité soit un manque de courage. L'éco-régime ne peut pas porter que sur des moyens, mais aussi sur des résultats. Le PSN, sinon, ne sera pas validé par la Commission européenne.

M. Olivier Rietmann .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat est le reflet des territoires.

Je souhaite fertiliser notre débat en reflétant l'inquiétude des agriculteurs de la Haute-Saône devant la lenteur des négociations en trilogue. Plus de 80 % de la SAU de la Haute-Saône est en zone défavorisée. Pour pallier ces problèmes, les agriculteurs développent des systèmes résilients et vertueux sur le plan environnemental.

La PAC, avec le second pilier, soutient et accompagne ces exploitations situées en zones défavorisées. Elle va changer, mais pas les contraintes de production, auxquelles il faut ajouter le fléau de la sècheresse. Un changement brutal de paradigme serait un coup mortel porté à nos paysans dont les revenus sont au plus bas et, en cascade, à nos paysages et à notre biodiversité.

Pour éviter ce désastre, une prise en considération de l'ICHN s'impose en faveur des zones défavorisées simples, en Haute-Saône notamment, mais aussi la reconnaissance de certaines spécificités, comme celles des zones intermédiaires. Dans quelle mesure ces spécificités territoriales seront-elles prises en compte ?

M. Julien Denormandie, ministre.  - La prise en compte des spécificités des territoires est caractéristique de la politique agricole française, et c'est un très bon choix. Cela implique le versement par l'État de 140 millions d'euros par an en sus pour les aides du deuxième pilier.

Concernant les zones intermédiaires, certains réclament un paiement de base, mais l'élevage ne s'en relèverait pas.

L'éco-régime permet une convergence pour les zones intermédiaires, où les MAE n'ont jamais fonctionné. Nous allons organiser un Varenne de l'eau et du changement climatique dans les prochains jours.

Comme il s'agit de ma dernière prise de parole, je veux vous remercier pour ce débat de qualité. Chacun de vous a signalé les difficultés de son territoire, de telle ou telle filière. C'est toute la difficulté de l'exercice.

Je vais devoir faire des choix, mais ils auront été précédés de nombreuses concertations, grâce au travail acharné des services du ministère.

La loi prévoit de nombreuses concertations, mais ne dispose pas que des débats parlementaires doivent avoir lieu. C'est une bonne initiative de votre part, peut-être à inscrire dans la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Franck Montaugé, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci à tous les intervenants, ainsi qu'à M. le ministre pour ses réponses.

Le budget de la ferme France est en baisse en euros constants.

Le PSN est construit sur la base de l'enveloppe nationale et doit répondre à dix objectifs.

Au préalable, un principe cardinal : les agriculteurs doivent pouvoir tous vivre décemment de leur métier. Avec des marchés que nous ne maîtrisons pas et un budget en baisse, comment faire ?

D'abord, il faut rééquilibrer les pouvoirs dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire. EGalim a été un échec, malgré nos avertissements. Il est urgent de reprendre le débat à partir du prix payé par le premier acheteur, tout l'inverse du ruissellement qui n'a jamais marché.

Pour beaucoup d'agriculteurs qui ont été exclus de la carte des zones défavorisées, dont le revenu provenait uniquement des ICHN, la colère et le désespoir ne sont pas loin !

Attention à ne pas jouer les protéines contre les élevages allaitants. La réforme de l'UGB doit apporter aux éleveurs, pas les affaiblir.

Il faut garantir le bio, la qualité des sols, la qualité des produits - cela passe par les appellations et marques de pays.

Nous vous demandons de plafonner le premier pilier à 60 000 euros par exploitation et de mieux cibler les aides du deuxième pilier.

L'aménité rurale doit mieux être prise en compte, comme la question du renouvellement des générations et du foncier agricole. L'objectif de la préservation des paysages et de la biodiversité passe par là.

Votre feuille de route sur les zones intermédiaires ne doit pas oublier les territoires en difficulté. Elle ne se limite pas à la diagonale Charente-Maritime-Moselle. Bien des territoires peuvent y prétendre, comme le Gers.

Le revenu et la compétitivité passeront aussi par la protection de ressources naturelles au premier rang desquelles nous plaçons la ressource en eau. Vous avez ouvert le dossier et nous souhaitons travailler avec vous sur ce sujet majeur et urgent, qui ne concerne pas que le sud de la France.

Si les circuits courts et les PAT se développent, ils ne suffiront pas seuls à régler la question du revenu et de la compétitivité agricole.

Quatre ans après l'adoption à l'unanimité d'une proposition de loi socialiste visant à développer les outils de gestion des risques en agriculture par le Sénat, vous rouvrez opportunément le chantier : nous sommes prêts à travailler avec vous.

Les importations doivent prendre en compte le carbone et les normes sanitaires. Le Sénat souhaite débattre du CETA : l'agriculture française ne peut pas être la variable d'ajustement des autres secteurs économiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Prochaine séance, demain, mercredi 5 mai 2021 à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 15.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 5 mai 2021

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président

Secrétaires de séance : M. Loïc Hervé - M. Pierre Cuypers

1. Questions d'actualité

À 16 h30

Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président

2Débat sur la réponse européenne à la pandémie de Covid-19 (demande de la commission des affaires européennes)

3. Débat sur le thème : « Contrat de Relance et de Transition Ecologique (CRTE), ne pas confondre vitesse et précipitation » (demande du groupe GEST)

Le soir

Présidence : Mme Nathalie Delattre, vice-présidente

4. Débat sur le thème : « L'impact de la Réduction Loyer Solidarité sur l'activité et l'avenir du logement social » (demande du groupe CRCE)