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Table des matières
Commissions permanentes (Candidatures)
Usages dangereux du protoxyde d'azote (Deuxième lecture)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles
Mme Jocelyne Guidez, rapporteur de la commission des affaires sociales
Suivi des condamnés terroristes sortant de détention
M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
ARTICLE ADDITIONNEL après l'article 3
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
ARTICLES ADDITIONNELS après l'article premier
ARTICLES ADDITIONNELS après l'article 2
Ordre du jour du mercredi 26 mai 2021
SÉANCE
du mardi 25 mai 2021
98e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente
Secrétaires : Mme Françoise Férat, Mme Patricia Schillinger.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Commissions permanentes (Candidatures)
Mme la présidente. - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires étrangères, de la commission de la culture et de la commission des lois ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévue par notre Règlement.
Usages dangereux du protoxyde d'azote (Deuxième lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote, à la demande du groupe Union centriste.
La Conférence des Présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du Règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles . - Je suis heureux de clore aujourd'hui ce chapitre parlementaire. Je remercie l'auteure de la proposition de loi, Mme Valérie Létard, pour son engagement en faveur de ce texte qui produira rapidement d'utiles effets. Je salue aussi la présence de Valérie Six et le travail commun entre le Sénat et l'Assemblée nationale.
À Tourcoing comme ailleurs, on ne connaît que trop bien les dérives de la consommation de protoxyde d'azote et les conséquences d'un geste apparemment anodin sur la santé physique et neurologique en particulier. Aussi le texte est-il très attendu.
Ce produit de consommation courante pour les professionnels et les cuistots amateurs souffre d'une bien mauvaise réputation. Il est vendu un peu partout, parfois même à des mineurs, par des adultes quelque peu inconscients, dans des bars ou des bureaux de tabac.
Il était devenu insupportable d'assister à une telle déconnexion entre les comportements et les risques avérés. Le ministère de la Santé a publié deux communiqués de presse alertant sur ses dangers, en novembre 2019 et en juillet 2020. Il fallait aussi un changement législatif et cette proposition de loi est bienvenue.
Si le temps a pu paraître long depuis son premier examen, il n'est dû à aucune dissension. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont apporté leur contribution. Des délits précis ont été créés avec des peines adaptées. Ce texte équilibré maintient l'autorisation du protoxyde d'azote pour son usage courant et contrôle ses usages détournés. Il protège les mineurs et responsabilise les majeurs. Il comporte aussi un volet de prévention puissant. Celle-ci doit aussi concerner d'autres produits, car les mésusages se déplacent. Les pouvoirs publics restent pleinement mobilisés sur ces enjeux.
Des dispositifs d'aide sont à la disposition des publics à risque ou en difficulté, tels les jeunes : il ne faut pas hésiter à s'en saisir. Je pense notamment aux consultations jeunes consommateurs, qui assurent accueil et écoute, à DrogueInfoService.fr et aux démarches locales.
C'est à travers cette pluralité de canaux que nous pourrons protéger nos concitoyens contre des dangers qu'ils minimisent parfois. Ne relâchons pas notre vigilance. Je remercie Valérie Létard pour la sienne et la Représentation nationale pour son soutien. Ce texte va ainsi pouvoir entrer en vigueur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Jocelyne Guidez, rapporteur de la commission des affaires sociales . - C'est en grande partie grâce à Valérie Létard que nous connaissons désormais la dangerosité de l'usage détourné du protoxyde d'azote, qui concerne essentiellement les mineurs et les jeunes majeurs.
Cette proposition de loi luttera efficacement contre ce fléau grâce, tout d'abord, à une vente mieux encadrée du protoxyde d'azote, ainsi que des ustensiles utilisés pour le consommer. La prévention sera renforcée par la mention obligatoire de la dangerosité du produit sur les emballages et des formations contre les conduites addictives dispensées en milieu scolaire. Enfin, cet usage détourné sera pénalisé, comme l'encouragement à la consommation auprès d'un mineur.
Je regrette que l'Assemblée nationale ait supprimé un article sur la mise à contribution des intermédiaires numériques à la prévention et que le Gouvernement se soit aussi opposé à certaines dispositions comme l'interdiction de vendre du protoxyde d'azote en station-service. Mais le mieux est peut-être l'ennemi du bien et il est temps que ce texte s'applique.
Après son dépôt en avril 2019, il a été adopté à l'unanimité par le Sénat en décembre 2019, par l'Assemblée nationale en 2021. Il aura ainsi fallu deux ans pour que ce texte entre en vigueur et il faudra attendre encore un peu pour recevoir l'autorisation de la Commission européenne. Il a fallu le temps de la réflexion, mais nous aurions pu aller plus vite face à ce phénomène de mode que l'Angleterre connaissait déjà depuis plusieurs années.
Ce texte portera les premiers coups contre l'usage récréatif de ce produit qui occupe un segment de l'économie des stupéfiants.
Je remercie Valérie Létard ainsi que Valérie Six. Je salue aussi l'action des élus locaux, en première ligne contre ce fléau.
Alors que les alertes sur la santé mentale des jeunes se multiplient, contribuer à leur bonheur est un défi de grande ampleur. (Applaudissements sur toutes les travées)
M. Jean-Pierre Grand . - Quel maire, membre des forces de l'ordre ou enseignant n'a entendu parler du gaz hilarant ni vu des cartouches jonchant la voie publique ? Cette nouvelle drogue, dite « récréative », est un danger pour la santé de nos jeunes, atteignant le système nerveux et la moelle épinière.
Le nombre de signalements augmente et l'Occitanie figure parmi les trois régions qui comptaient le plus d'intoxications l'an dernier. Dans l'Hérault, après une vague de violences graves souvent provoquées par l'usage de cette drogue, certains maires ont dû prendre des arrêtés d'interdiction.
Cette proposition de loi de Valérie Létard, adoptée à l'unanimité du Sénat en décembre 2019, apporte une réponse concrète à cette réalité de terrain. J'avais défendu deux amendements adoptés en commission, le premier pour interdire la vente de protoxyde d'azote en ligne et le second pour assurer la prévention dans les établissements scolaires. L'Assemblée nationale nous a suivis le 25 mars dernier, preuve de l'existence d'un consensus.
Ce texte encadre désormais, dans le code de la santé publique, l'usage et la vente du protoxyde d'azote, ainsi que la prévention dans le cadre scolaire. L'incitation d'un mineur à la consommation sera punie de 15 000 euros d'amende. Les sites internet devront spécifier que la vente est interdite aux mineurs et une mention du danger encouru sera apposée sur chaque unité. Je regrette toutefois l'absence d'information des internautes au moment de l'achat.
Je me félicite de l'adoption définitive de cette proposition de loi que le groupe Les Républicains votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Alain Marc . - Le protoxyde d'azote peut être acheté par n'importe qui, pour une somme modique, en supermarché, en bureau de tabac ou sur internet. Détourné, il est devenu un produit récréatif et festif chez des utilisateurs de plus en plus jeunes. L'âge moyen du consommateur est de 21 ans et il est souvent pris en association avec de l'alcool ou d'autres drogues. En groupe, sa consommation peut atteindre 200 cartouches par jour ! L'usage du protoxyde d'azote peut entraîner une asphyxie, un coma, des atteintes neurologiques et musculaires graves.
Les jeunes y ont très facilement accès puisqu'il n'est soumis à aucune restriction. Le présent texte comble ce vide juridique en en pénalisant l'usage détourné et en interdisant la vente aux mineurs de ce qui est aussi appelé « gaz hilarant ». En outre, des mentions obligatoires de la dangerosité du produit sur les emballages et les siphons et une campagne en milieu scolaire sensibiliseront aux risques associés aux pratiques addictives. Les objets liés à la consommation détournée seront également interdits.
Cette proposition de loi, en se focalisant sur les mineurs, manque une partie de la cible puisque les jeunes majeurs sont aussi consommateurs. Il conviendrait de limiter le nombre de cartouches pouvant être vendues à un particulier, comme au Danemark.
La prévention des addictions doit se poursuivre, en lien avec les associations sur le terrain. Face au développement de la vente de stupéfiants via les réseaux sociaux et les messageries privées, il faut aussi un accompagnement à la parentalité.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi. (Mme Valérie Létard applaudit.)
Mme Raymonde Poncet Monge . - Bien que centrée sur le protoxyde d'azote, cette proposition de loi est plus générique et pourra s'adapter à d'autres mésusages de produits de consommation courante. La question du protoxyde d'azote inquiète les pouvoirs publics et les élus locaux. Ce produit facile d'accès, d'un coût faible et soi-disant inoffensif, est consommé par les jeunes en milieu festif, y compris dans des soirées d'étudiants en médecine, dans des « bars à proto ».
En 2018, l'Observatoire des toxicomanies avait donné l'alerte. Les élus et les associations constatent la banalisation de son usage. En février, l'Agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes demandait une nouvelle campagne de prévention dans la métropole de Lyon, car la consommation a changé de nature, devenant plus individuelle, et l'âge des consommateurs a baissé. On a constaté une hausse des signalements d'atteintes neurologiques.
Cette proposition de loi apporte une réponse aux élus locaux démunis : il ne sera plus nécessaire de prendre des arrêtés municipaux qui ne relevaient pas de leur compétence. Mais l'interdiction ne fait pas tout. Certains consommateurs sont désormais dépendants au produit : il faut donc une politique ambitieuse de prévention et de réduction des risques, en lien avec la santé mentale.
Le Portugal, qui a décriminalisé en 2000 la consommation individuelle de toutes les drogues et privilégié l'accompagnement à la sanction, a obtenu des résultats concluants.
Les associations appellent à des solutions de prévention et d'accueil des consommateurs par des structures spécialisées.
Nous saluons l'équilibre de ce texte et resterons attentifs aux moyens accordés à la politique de prévention et de réduction des risques. Le GEST votera le texte. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Valérie Létard et M. Bernard Jomier applaudissent également.)
Mme Nicole Duranton . - Un grand merci à Valérie Létard de s'être saisie de ce sujet essentiel. Le protoxyde d'azote est, à l'origine, un gaz à usage médical, qui sert aussi de propulseur dans les siphons à chantilly. Cependant, il est connu par nos jeunes sous le nom de « proto » et inhalé avec des ballons pour un effet euphorisant. Sa consommation n'est pas sans risque. Les conséquences sur la santé sont considérables : brûlure, asphyxie, perte de connaissance, atteinte neurologique et cardiaque.
Considéré comme une substance vénéneuse depuis 2001, ce produit est soumis à une réglementation stricte. Toutefois, seul le détournement du protoxyde d'azote à usage médical, et non culinaire, est encadré par la loi : il faut combler ce vide juridique.
On constate une banalisation de sa consommation : il serait le troisième produit psychoactif le plus consommé selon la Société mutualiste régionale étudiante (Smerep).
Pour lutter contre ce fléau, des maires ont pris des arrêtés d'interdiction, comme à Vernon dans mon département. Au-delà du risque de santé publique, les cartouches de protoxyde d'azote, jetées au sol, sont une menace pour l'environnement.
Plusieurs amendements ont été adoptés à l'Assemblée nationale pour renforcer l'encadrement des mésusages du protoxyde d'azote établi par cette proposition de loi, tels que l'interdiction d'en vendre aux mineurs et la pénalisation de l'incitation d'un mineur à en faire un usage détourné.
Depuis juillet 2019, les collèges et lycées proposent des consultations jeunes consommateurs. Les associations et les collectivités territoriales ont été dotées de supports de sensibilisation aux risques liés à l'usage détourné du protoxyde d'azote.
Cette proposition de loi renforce l'information dans les établissements scolaires. La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) a aussi lancé une campagne sur les réseaux sociaux. Monsieur le ministre, quelles mesures supplémentaires sont prévues en ce sens, notamment sur internet ? Sous ses airs légers, le protoxyde d'azote constitue un véritable danger pour les jeunes.
D'où l'importance de ce texte, partagé par tous, qui prévoit une prévention et une dissuasion efficaces contre l'usage du protoxyde d'azote.
Le groupe RDPI votera ce texte, cosigné par plusieurs de ses membres, en espérant une adoption conforme. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Valérie Létard applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin . - Le mésusage du protoxyde d'azote connaît une recrudescence depuis 2017 : cette proposition de loi est nécessaire et j'en salue l'auteure.
Le confinement a encore accru la consommation du protoxyde d'azote ; le déconfinement l'a rendu plus visible. Récemment, une voiture a explosé parce que cinq jeunes y consommaient du protoxyde d'azote.
De nombreux maires nous alertent régulièrement et certaines ont pris des arrêtés d'interdiction, mais jusqu'à présent sans effet notable.
L'Assemblée nationale a souscrit au texte du Sénat et l'a enrichi, à l'article 2, d'un plafonnement du nombre de cartouches pouvant être vendues aux particuliers, qui sera fixé par arrêté. Cela va dans le bon sens. Le décret afférent ne pourra cependant être pris qu'après avis de la Commission européenne.
Les débits de boissons temporaires ne pourront plus vendre de protoxyde d'azote. Cela nous semble justifié. Le texte prévoit également un étiquetage dédié au risque associé au détournement du protoxyde d'azote.
L'article 2 bis sur les intermédiaires numériques a hélas été supprimé par les députés. Pourtant, l'information paraît essentielle pour limiter les conduites à risque.
Cette proposition de loi constitue cependant une avancée que nous saluons. Le protoxyde d'azote n'est pas la seule pratique à risque : le Gouvernement doit aller plus loin en matière de sensibilisation et d'aide à la parentalité.
Pour l'heure, le groupe RDSE votera ce texte sans réserve. (M. Jean-Pierre Grand approuve ; Mmes Valérie Létard, Jocelyne Guidez et M. François Patriat applaudissent.)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Le protoxyde d'azote, autrefois limité aux facs de médecine, est devenu une triste banalité dans les Hauts-de-France, mais aussi dans l'ensemble du territoire. Partout, des cartouches jonchent les trottoirs.
Plus que jamais, il faut alerter dès le plus jeune âge sur ces pratiques à risque, signes du mal-être éprouvé lors de périodes difficiles telles que celle que nous traversons. Nous devons favoriser la prévention.
Les sites de commerce en ligne ne font même plus semblant d'ignorer l'usage détourné qui peut être fait du protoxyde d'azote ; une simple recherche « gaz hilarant » en ligne fait apparaître une publicité proclamant : « oubliez les soirées ennuyeuses ! » et promettant une livraison de cartouches de grande capacité en trente minutes, pour une « soirée pleine de fous rires ». Quatre litres coûtent 150 euros.
Que pouvons-nous faire ? Valérie Létard a proposé d'interdire la vente de protoxyde d'azote aux mineurs et l'incitation à la consommation. Nous y sommes favorables, à condition de poursuivre les politiques de sensibilisation et d'information sur les lieux de consommation, par des jeunes qui vont à la rencontre d'autres jeunes. Ces actions ont fait leurs preuves contre le VIH.
Nous souhaitons que le Gouvernement prévoie des crédits pour une campagne de prévention sur les effets du protoxyde d'azote dans le projet de loi de finances rectificative pour 2021.
Le groupe CRCE votera, comme en première lecture, pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST ; Mme Valérie Létard applaudit également.)
M. Bernard Jomier . - Je souscris aux propos de mes collègues et remercie Valérie Létard pour ce texte utile ; nous le voterons, comme en première lecture.
Oui, le protoxyde d'azote est un problème : une étude a montré que 13 % des étudiants de l'université de Bordeaux étaient des consommateurs actifs et que 25 % en avaient déjà pris. Il y a quinze jours, 1 218 bouteilles ont été saisies à Rosny-sous-Bois : c'est dire l'ampleur du problème et l'importance des réseaux, qui y trouvent une source de revenus facile et moins risquée pénalement que pour d'autres substances. Il est temps d'encadrer le mésusage d'un produit autorisé.
Une approche par produit n'est cependant pas suffisante.
Notre politique de lutte contre les addictions est interrogée. « La drogue, c'est de la merde » : nous remercions le ministre de l'Intérieur pour son utile contribution... (Rires sur plusieurs travées)
Le ministre de la Santé, très occupé en ce moment, était actif sur ces sujets lorsqu'il était parlementaire. Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 est ambitieux mais il est d'application inégale et n'a ni calendrier ni crédits dédiés. Il faut aussi lier ces actions à celles menées en faveur de la santé mentale.
Dans le Nord-Est parisien, zone de consommation de crack, il a fallu que des riverains excédés tirent à coups de mortier sur les consommateurs pour que le préfet réagisse. Mais il n'a fait que déplacer le problème vers un jardin. Tant qu'il n'y a pas d'accompagnement en santé mentale, nous ne résoudrons rien. Il faut une prise en charge globale avec l'énergie nécessaire.
Merci pour ce premier pas ; nous le voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, RDPI, RDSE et UC)
Mme Valérie Létard . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et RDPI) Je me réjouis de voir aboutir notre travail collectif en faveur d'un dispositif de lutte efficace contre les usages détournés du protoxyde d'azote, ou gaz hilarant.
J'avais lancé une première alerte le 6 février 2019 dans une question au Gouvernement ; je me faisais l'écho des maires du département du Nord qui trouvaient des cartouches vides dans leur commune, y compris en zone périurbaine.
Le problème semblait encore confidentiel, territorialisé. Nous nous interrogions sur la nécessité de légiférer mais très rapidement, la consommation de protoxyde d'azote a flambé, pendant le confinement puis le déconfinement, chez les étudiants mais aussi les lycéens et les collégiens. Il est temps de légiférer.
Si nous avions plus d'espace pour l'initiative parlementaire, nous aurions pu aller plus vite, sachant que le vote en première lecture a eu lieu en décembre 2019.
Je remercie les députés de toutes sensibilités qui se sont mobilisés. Le résultat est au rendez-vous. Notre rédaction initiale posait un socle. Le rapporteur, Mme Guidez, a créé un délit d'incitation de mineur à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante. Le texte comporte aussi une interdiction de vente et de cession aux mineurs, une mention obligatoire sur l'emballage et des actions de prévention en milieu scolaire. L'Assemblée nationale a étendu la protection aux jeunes majeurs en limitant la quantité maximale autorisée à la vente et en interdisant la vente de produits facilitant l'extraction du gaz. L'achat massif de cartouches sert rarement à faire de la chantilly...
Dans sa version définitive, ce texte protégera mieux les mineurs.
Je remercie le rapporteur, ainsi que les 94 cosignataires du texte. Je suis très heureuse qu'autour d'une question de santé publique, nous ayons trouvé un consensus.
Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour faire avancer rapidement ce qui relève du pouvoir réglementaire. Ce texte est attendu sur le terrain. Merci à tous ! (Applaudissements sur toutes les travées)
Mme la présidente. - Merci à tous pour cette proposition de loi très attendue.
La proposition de loi est adoptée.
Mme la présidente. - Le texte est adopté définitivement, à l'unanimité. (Applaudissements sur toutes les travées)
La séance est suspendue pour quelques instants.
Suivi des condamnés terroristes sortant de détention
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention, présentée par M. François-Noël Buffet et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi . - Cette proposition de loi renforce le suivi des plus de 500 condamnés pour des faits de terrorisme islamo-djihadiste qui sortiront de prison dans les prochaines années.
Le 27 juillet 2020, la loi instaurant des mesures judiciaires de sûreté à l'issue de la peine était votée ; c'était nécessaire, en raison de leur dangerosité et des risques de récidive. Dans sa décision du 7 août 2020, le Conseil constitutionnel n'a pas remis en cause le principe de telles mesures, mais il a jugé que le dispositif retenu portait une atteinte ni adaptée ni proportionnée aux droits et libertés constitutionnellement protégées.
Or un tel dispositif reste une impérieuse nécessité, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) n'offrant pas un cadre suffisant. Un suivi judiciaire est plus adapté.
Cette proposition de loi reprend le principe d'un suivi judiciaire post-sentenciel, décorrélé des réductions de peine, soumis à une appréciation pluridisciplinaire et l'aménage pour le rendre compatible avec les exigences du Conseil constitutionnel : le quantum est ainsi réduit de cinq à trois ans pour les peines de moins de dix ans et de dix à cinq ans pour les peines de plus de dix ans ; le texte comprend des atténuations de minorité ; il prend pour référence la peine effectivement prononcée et non la peine encourue ; il exclut de l'application de la mesure de sûreté les personnes faisant l'objet d'un sursis probatoire ; la mesure ne pourrait être prononcée que si la personne a fait l'objet d'un programme de réinsertion ; une précision est rendue implicite : le renouvellement de la mesure est soumis à une réévaluation de la dangerosité. Enfin, une gradation dans les mesures est établie : la juridiction pourra imposer certaines obligations relevant du suivi social et de l'accompagnement personnalisé, mais l'obligation de pointage et l'interdiction de fréquenter certains lieux et personnes ne seront prononcées qu'en cas d'échec des premières mesures.
Il fallait reprendre le dispositif voulu par le Sénat et l'Assemblée nationale, tout en tenant compte de la décision du Conseil constitutionnel ; les Micas sont en effet limitées à une année. Pour aller au-delà, seule une décision du juge judiciaire peut imposer des mesures contraignantes. Rien n'empêche un cumul des deux dispositifs.
Tel est l'objet de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Cette proposition de loi répond à un enjeu de sécurité publique majeur : la sortie de prison des détenus condamnés pour terrorisme toujours dangereux. Ce n'est pas qu'une question théorique puisque sur 253 condamnés définitivement, 162 sortiront dans les quatre prochaines années.
Certes, nous avons déjà des moyens de les suivre, mais ils sont insuffisants.
D'abord, les Micas créées par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « SILT », prononcées par le ministère de l'Intérieur ; attentatoires aux libertés, elles ne peuvent excéder douze mois. C'était la condition de leur validation par le Conseil constitutionnel.
Il y a aussi la peine de suivi socio-judiciaire, obligatoire depuis août 2020 pour les infractions liées au terrorisme, mais peu prononcées auparavant.
Il y avait les mesures d'application des peines, mais les réductions automatiques de peines ayant été supprimées en juillet 2017 pour les faits de terrorisme, elles sont devenues inopérantes pour les faits postérieurs.
Quant aux autres mesures de sûreté, elles concernent surtout les délinquants sexuels et sont associées à une évaluation psychiatrique peu adaptée au terrorisme.
L'inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions terroristes (Fijait), enfin, est assez peu efficace.
Il en résulte que pour les faits commis entre juillet 2016 et août 2020, nous disposons de moyens de suivi insuffisants : 75 % des personnes qui sortiront n'auront qu'un suivi calqué sur les réductions de peine.
Nous avons par conséquent besoin de nouvelles mesures. Après une évaluation de la loi SILT, les présidents des commissions des lois de chaque assemblée ont ainsi déposé une proposition de loi prévoyant des mesures judiciaires de sûreté à vocation de surveillance et de réinsertion pour ces condamnés, qui ont abouti au texte de juillet 2020, partiellement censuré par le Conseil constitutionnel.
Que dit ce dernier ? D'abord que le législateur est légitime à mettre en oeuvre une mesure de sûreté, fondée non sur l'infraction commise mais sur la dangerosité persistante. Il ne s'agit pas d'une double peine, mais d'une mesure de sûreté qui est d'application immédiate.
Moins positif, il juge la balance déséquilibrée entre la prévention de l'ordre public et les atteintes aux libertés constitutionnellement protégées.
Le président Buffet s'est donc attaché à y répondre : la mesure de sûreté reposera sur une évaluation avant la sortie de détention ; l'avis du juge d'application des peines antiterroriste sera requis ; un débat contradictoire devra avoir lieu ; le détenu devra avoir pu suivre des activités de réinsertion en prison ; la mesure ne s'appliquera pas aux peines avec sursis et si d'autres mesures moins attentatoires aux libertés peuvent être mises en oeuvre. Plus le détenu est dangereux, plus les mesures imposées seront importantes, ce qui est logique.
Voilà l'architecture de cette nouvelle mesure de sûreté, dont nous espérons qu'elle aura les faveurs du Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Cette proposition de loi va dans le bon sens. Je souligne la qualité de la réflexion de l'auteur du texte, qui s'inscrit pleinement dans notre objectif à tous, qui est de faire face à une menace nouvelle, terrifiante, celle d'une récidive des personnes déjà condamnées pour terrorisme.
Depuis 2017, le Gouvernement a déployé des moyens sans précédent. Dix mille postes supplémentaires de gendarmes et de policiers, création du parquet antiterroriste, augmentation du budget, création de quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), développement du renseignement pénitentiaire...
Depuis 2017, 36 attentats liés à la mouvance islamiste ont été déjoués. J'ai une pensée particulière pour les victimes d'actes terroristes dans notre pays.
D'ici fin 2024, 163 personnes détenues pour des faits de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste auront purgé leur peine ; or certains présentent toujours des signes de radicalisation. Depuis 2016, le régime d'aménagement des peines a été durci ; mais on ne peut plus, dès lors, aménager la sortie de détention de ces mêmes détenus. Il y aura donc des sorties « sèches », sans suivi ni accompagnement.
Mon ministère travaille sans répit pour améliorer la prise en charge et l'évaluation de ces condamnés dans les QER. Nous ouvrirons 121 places, dont un quartier pour femmes fin 2021 à Fresnes.
Il y a aussi 188 places de prise en charge de la radicalisation et un quartier pour femmes à l'été 2021 à Rennes.
Le service de renseignement pénitentiaire, avec cent recrutements en trois ans, assure un suivi très étroit.
Malgré ce travail, il faut tout mettre en oeuvre pour garantir la sécurité de nos concitoyens face à ces sorties sèches.
La loi SILT a créé les Micas. Le projet de loi SILT 2, actuellement en débat à l'Assemblée nationale, pérennise ces mesures qui ont montré leur efficacité.
La soumission à un nouveau régime judiciaire restrictif des libertés appelle la plus grande vigilance, d'où l'avis du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi de juillet 2020.
Le travail de réécriture engagé au Sénat doit être salué, mais ne répond pas, à nos yeux, à toutes les critiques du Conseil constitutionnel. Il n'est pas question d'ouvrir la voie à une forme de justice prédictive. Le Gouvernement a inclus dans le texte SILT une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste qui articule le dispositif administratif et le dispositif judiciaire, avec des obligations principalement sociales.
Cette proposition de loi du président Buffet a des objectifs comparables, mais certaines obligations et interdictions qu'elle prévoit, comme l'interdiction de paraître dans certains lieux ou de fréquenter certaines personnes sont voisines de celles des Micas, ce qui les fragilise : la superposition de mesures similaires prises par des autorités différentes, mais s'appliquant aux mêmes personnes, met en danger la cohérence de l'action de l'État.
Les mesures de sûreté doivent respecter l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui touche à l'exercice des libertés. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 7 août 2020, a rappelé le caractère nécessairement adapté et proportionné des mesures qui poursuivent un objectif d'intérêt général avec les libertés constitutionnellement protégées. Or le renouvellement des mesures, notamment, laisse craindre une nouvelle censure.
Nous sommes sur une ligne de crête : il faut assurer la protection des Français en évitant toute mesure qui ne serait pas strictement nécessaire.
C'est ce que fait le Gouvernement à l'article 5 du projet de loi SILT 2, plus à même de répondre aux exigences constitutionnelles clairement établies. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Franck Menonville . - Le déconfinement ne doit pas faire oublier le danger permanent qui plane sur notre pays.
Les faits sont simples : 469 personnes sont détenues dans les prisons françaises pour des faits de terrorisme islamiste, dont 253 condamnées définitivement et 163 qui devraient être prochainement libérées mais qui présentent un risque de récidive.
Trop d'attentats ont eu lieu sur notre sol, voire dans nos prisons ! Nous sommes plus qu'inquiets à l'égard de ces personnes parfois dangereuses du fait de leurs « convictions absolues », pour reprendre les mots de Jean-François Ricard, procureur antiterroriste, qui, comme tous les acteurs, nous dit l'urgence d'agir pour mieux protéger les Français.
La remise en liberté d'individus toujours radicalisés appelle des mesures spécifiques pour prévenir la récidive et assurer la sécurité de nos concitoyens. Mais le Conseil constitutionnel a considéré dans sa décision du 7 août 2020 que la loi de juillet 2020 était en partie contraire à la Constitution, en ce qu'elle comportait une atteinte disproportionnée à certains droits et libertés. Il n'a cependant pas remis en cause le principe de mesures de sûreté.
Cette proposition de loi est essentielle. Elle reprend le dispositif de juillet 2017 tout en prenant en compte la décision du Conseil constitutionnel. Elle a été utilement amendée en commission. Je tiens à remercier le président de la commission des lois pour son initiative. Les Français attendent de l'État qu'il les protège, c'est le fondement de notre contrat social. Le combat contre le terrorisme est un combat collectif !
Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Gérard Longuet applaudit également.)
Mme Esther Benbassa . - La sécurité des Français et l'intégrité de notre territoire national sont des préoccupations communes à tous les membres de cette Haute Assemblée.
Mais la vision de la commission des lois est bien réductrice : toujours plus de répression judiciaire et pas assez de réflexion sur les causes du problème que l'on veut traiter.
Il faut traiter la radicalisation en prison et accompagner les détenus. Il faut aussi réfléchir sur nos pratiques socio-judiciaires de réintégration des personnes radicalisées en milieu ouvert ou semi-ouvert. Il faut revoir tout notre système, actuellement fondé sur la seule stratégie de déradicalisation. Avec Catherine Troendlé, j'ai écrit un rapport sur la radicalisation et j'ai visité de nombreuses prisons et structures qui pratiquent ce que je préfère appeler du désengagement ou du désembrigadement.
Notre approche est réductrice et confrontationnelle : il faut faire évoluer notre démarche vers le désengagement, compris comme renoncement à la violence. Le Danemark a été précurseur en la matière dès 2007 avec une méthode fondée sur le tutorat.
Nous n'avons aucun retour d'expérience sur Artemis en France.
Mme Nathalie Goulet. - Évidemment !
Mme Esther Benbassa. - Comment l'implication des familles est-elle prise en compte ? Comment les professionnels adaptent-ils leurs outils selon l'hétérogénéité des besoins ? Nous avons trop peu d'éléments d'analyse scientifique. Or l'enjeu scientifique et social de la prise en compte des personnes radicalisées apparaît majeur.
Ce texte est donc une occasion manquée de faire évoluer notre stratégie. Le GEST votera contre.
M. Alain Richard . - Voici un nouvel épisode de l'adaptation de notre droit pénal au risque terroriste depuis 2012. Progressivement, notre droit se renforce et les procédures sont adaptées.
Ce droit rénové produit ses effets. Je salue tous les agents publics qui le mettent en oeuvre : magistrats, policiers, fonctionnaires pénitentiaires et des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).
Mais l'idéologie meurtrière qui a conduit à l'acte terroriste ne disparaît pas avec l'exécution de la peine. La problématique de la déradicalisation telle qu'exposée par Esther Benbassa est intéressante, mais elle n'épuise pas le sujet : tous les détenus ne reviennent pas dans la norme et certains restent dangereux.
Reste donc à relever un double défi : rester fidèle à une justice humaniste et écarter la menace vitale qu'ils représentent.
Nous avons adopté en juillet 2020 une loi qui habilitait le juge à prendre des mesures de sûreté. Le Conseil constitutionnel a déclaré ces mesures contraires à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; il a critiqué le cumul de mesures aboutissant à priver l'individu d'une partie essentielle de sa liberté, avec des effets pouvant aller jusqu'à dix ans.
Cette loi avait pourtant l'approbation d'une large majorité de nos deux assemblées, après un travail approfondi des deux commissions des lois. Je m'étais personnellement réjoui, monsieur le garde des Sceaux, que vous ayez alors apporté votre soutien à ce dispositif.
Le Conseil constitutionnel a du moins reconnu la conformité au droit du principe des mesures de sûreté. Le risque persiste ; il faut désormais reprendre la plume en prenant en compte la décision du Conseil constitutionnel.
Il faut mettre en oeuvre un suivi particulier, sous la responsabilité du juge judiciaire.
La proposition de loi du président Buffet reprend les trois principales mesures de contrainte prévues dans la loi de 2020 et qui existent déjà dans le code pénal. Leurs durées ont été limitées.
Ce dispositif nous semble équilibré et adapté. Nous savons que le Gouvernement a aussi un projet et nous espérons un rapprochement de ces deux solutions, veillant au cumul des mesures administratives et judiciaires.
Poursuivons le débat. Monsieur le garde des Sceaux, vous pourriez incorporer les propositions du président Buffet à votre projet de loi, pour avis du Conseil d'État.
Le groupe RDPI se prononcera par une abstention compréhensive sur ce texte.
Mme Maryse Carrère . - Les chiffres sur les prochaines sorties de détention sont inquiétants.
Notre société fait face à un double défi : réinsérer sans rien renier de notre État de droit.
Le 27 juillet 2020, la loi instaurant des mesures de sûreté a été votée, mais le Conseil constitutionnel a été contraint d'en censurer des éléments majeurs. Heureusement, il n'a pas censuré le principe d'une mesure de sûreté.
Les ajustements de la proposition de loi semblent de nature à satisfaire les exigences du Conseil constitutionnel. La nouvelle évaluation de la personne visée par la mesure prévue est une bonne chose, comme la gradation des obligations pouvant être prononcées. J'espère que le dispositif, mieux adapté à chaque situation, sera ainsi jugé constitutionnel.
Cette proposition de loi prévoit que la mesure de sûreté ne pourra être prononcée que si la personne a bénéficié de mesures de réinsertion durant sa détention. C'est un aveu d'échec de l'institution carcérale qui ne remplit pas son rôle de réinsertion...
Mme Nathalie Goulet. - Et comment !
Mme Maryse Carrère. - La prison punit, mais ne prépare pas assez la sortie. Que se passera-t-il si les mesures post-détention ne sont pas efficaces ?
Le groupe RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Éliane Assassi . - Nous nous étions fortement opposés à la loi de juillet 2020, dont le Conseil constitutionnel a censuré une grande partie. Pourtant, vous continuez à considérer que les Micas sont insuffisantes et proposez un dispositif renforcé.
Le groupe CRCE n'a pas changé de position et la censure du Conseil constitutionnel nous a confortés. Nous sommes opposés aux mesures de sûreté, au nom du droit à la réinsertion après la peine. L'ancien sénateur Robert Badinter avait dénoncé une « période sombre pour la justice ». Les mesures de sûreté ne visent qu'un état dangereux : il n'y a pas de faute. Cela ne serait pas une punition mais de la prévention. Il y a un vrai danger de dérive totalitaire ! Quel message envoyons-nous aux détenus libérés ? Qu'ils seront suspectés à vie et rejetés par la République.
Ne croyez pas que ces mesures se borneront aux infractions terroristes : elles feront tâche d'huile.
En creux, les mesures révèlent l'échec du temps pénitentiaire et l'épuisement du tout carcéral. De quels moyens dispose-t-on ? Comment réinsérer si l'ex-détenu doit pointer trois fois par semaine au commissariat - obstacle évident à toute reprise d'une vie active ? La loi SILT 2 ne répondra pas davantage à ces questions.
Un an avant la présidentielle, ne serait-il pas sage de sanctuariser notre code pénal ?
Le groupe CRCE s'opposera à ce texte qui instaure une peine après la peine. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Mme Nathalie Goulet . - Mettons fin au suspense : le groupe UC votera ce texte.
Mais aucune loi ne nous donnera suffisamment de garanties pour faire face à ce virus mutant qu'est le terrorisme. Je travaille sur la radicalisation depuis de nombreuses années. Souvenez-vous, monsieur le garde des Sceaux, je vous ai posé votre première question d'actualité au Gouvernement sur le suivi des détenus récidivistes...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - (La main palpitant sur la poitrine) J'en ai le coeur qui bat encore !
Mme Nathalie Goulet. - J'ai l'honneur et le privilège d'être le sénateur de la prison de Condé-Alençon, où les détenus radicalisés posent beaucoup de problèmes et je suis abreuvée des travaux de Farhad Khosrokhavar : si nous avions suivi la question de la prison toutes ces années, nous n'en serions peut-être pas là ! Il faut plus de moyens pour les prisons, pour la justice, pour la prévention.
Je rends hommage à nos services de sécurité, pénitentiaires et de renseignement. D'après le ministre Darmanin, une des raisons du problème de sécurité est le manque de moyens de la justice. Malgré votre bon budget, monsieur le Ministre, votre navire amiral prend l'eau et il va falloir faire mieux : le « quoi qu'il en coûte » devrait être appliqué à votre ministère.
Qu'en est-il du plan de lutte contre la radicalisation annoncé par Édouard Philippe le 13 juillet 2018 ? Nous n'avons aucune évaluation.
Sans vouloir anticiper sur le débat suivant sur l'irresponsabilité pénale, de nombreux détenus qualifiés de radicalisés n'ont pas leur place en prison, mais dans des hôpitaux psychiatriques, lesquels n'ont déjà pas les moyens de prendre soin de leurs malades.
Les médecins experts, peu nombreux, ne peuvent jouer leur rôle ; quant à la prévention, elle brille par son inefficacité. Pour la énième fois, je voudrais prononcer un réquisitoire contre le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Loi de finances après loi de finances, nous demandons son évaluation et n'avons pas de statistiques, pas de suivi. Esther Benbassa et Catherine Troendlé ont produit un travail sur les outils de la déradicalisation : il manque clairement un maillon.
L'expertise psychiatrique fait défaut aussi, par manque de moyens financiers et humains.
D'ici le projet de loi de finances, il faudra regarder les moyens accordés à la lutte contre la radicalisation. Il faut des évaluations !
Et d'ici l'examen de votre projet de loi, nous aurons besoin d'une évaluation de l'article 429 du code de procédure pénale, qui permet des libérations conditionnelles sous condition d'expulsion. Combien de détenus dangereux pourraient-ils bénéficier de cette mesure ?
Sur toutes ces questions, le Sénat a toujours été aux côtés des ministres de l'Intérieur et de la Justice depuis 2015. Nous voterons donc ce texte, même si les moyens humains et financiers vont manquer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Jean-Yves Leconte . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Quatre-cent soixante-neuf personnes sont actuellement incarcérées pour terrorisme ; cent soixante-deux devraient sortir dans les quatre prochaines années. Comment répondre à ce défi alors que la prison ne permet pas toujours de sortir de l'idéologie qui est à l'origine du risque terroriste ?
Cette proposition de loi - proche de celle censurée l'été dernier - ne représente pas, à nos yeux, la bonne réponse. Le risque est multiplié pour les sorties sèches. Or, 75 % des prochaines libérations seront dans ce cas, puisque les réductions de peines ont été exclues en 2016 à l'occasion d'une prorogation de l'état d'urgence et à l'initiative de la majorité sénatoriale.
Muriel Jourda a essayé d'adapter le texte aux exigences du Conseil constitutionnel du 7 août 2020, mais ses tentatives ne sont pas suffisantes pour le rendre acceptable.
Le groupe SER est opposé à ce texte pour des raisons de principe et d'efficacité. La responsabilité de la lutte contre le terrorisme doit rester à l'exécutif tant qu'il n'y a pas d'infraction. Si un crime ou délit intervient, le parquet national antiterroriste conduit les opérations.
Nous refusons la rétroactivité du droit et l'application d'une peine après la peine. Il ne peut y avoir de condamnation sans acte. Les mesures de sûreté - article 132-45 du code pénal - sont critiquées pour les anciens délinquants sexuels. Or, ce sont ici les mêmes mais les expertises médicales sont totalement inadéquates pour les anciens terroristes.
Pourquoi traiter différemment une personne dangereuse quand elle sort de prison ?
La compétition entre le juge judiciaire et le juge administratif pose problème et fragilise l'ensemble du dispositif et notre capacité à prévenir les actes terroristes. Il faut éviter toute confusion.
La prévention des actes terroristes doit également ne reposer que sur un seul responsable. Ces dispositions de sécurité intérieure ne relèvent d'ailleurs pas du code pénal mais du code de la sécurité intérieure.
Pour faire face à cet enjeu de sécurité pour nos concitoyens, il faut de la clarté entre ce qui relève de la justice et des mesures préventives. Sans respect des principes du droit - pas de peine après la peine, pas de rétroactivité, pas de condamnation sur la base de ce qu'est une personne - nous ne pourrons répondre à l'enjeu de la lutte contre le terrorisme.
Nous devons la constance de nos principes à tous ceux qui luttent contre le terrorisme et aux Français, au nom de leur sécurité.
Nous serons prochainement saisis d'un projet de loi de la Chancellerie et il nous faudra débattre alors de ces sujets. Nous voterons contre cette proposition de loi contraire à nos principes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Stéphane Ravier . - Soixante-deux condamnés pour des crimes ou délits terroristes sortiront des prisons françaises en 2021 sur les 469 détenus pour terrorisme. Ces chiffres font froid dans le dos quand on sait combien ces individus, que certains ont qualifié de « chance pour la France » demeurent endoctrinés, haineux et imperméables à toute réinsertion sociale. Ce sont des bombes à retardement que notre système judiciaire est incapable de désamorcer. Le risque de récidive est sous-estimé car nous ne sommes qu'au début du processus de libération de ces ennemis de la France. L'été dernier, nous débattions déjà des mesures de sortie. Nous y revoilà après la censure du Conseil constitutionnel, soucieux de préserver les libertés fondamentales de ces fondamentalistes de la haine des libertés. On croit à une mauvaise blague. Les familles des victimes passées, présentes et futures apprécieront...
La première des libertés est la sécurité des Français, qui exige des restrictions de liberté à l'encontre de ceux qui leur ont déclaré la guerre.
Débarrassons-nous de ces métastases du terrorisme ! Prenons des mesures fortes : expulsions, déchéance de nationalité, surveillance renforcée. On dit souvent que les terroristes sont des déséquilibrés, des malades... Or, c'est un critère suffisant pour la détention de sûreté depuis la loi du 25 février 2008. Mais, jamais en treize ans, elle n'a été mise en oeuvre. Rien ne sert de lutter contre le terrorisme sans combattre ses causes, dont la cause principale est l'immigration de masse, le communautarisme, lui-même terreau de l'islamisme. Réapprenons à être fiers de notre pays, de notre histoire, de notre identité.
Changeons de politique et faisons de la sécurité des Français notre priorité !
M. Henri Leroy . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Il faut terroriser les terroristes », disait déjà le regretté Charles Pasqua en 1986 avant le vote de lois courageuses et efficaces qui portaient son nom, hélas torpillées par ses successeurs. Nous sommes loin de cette époque où tous les responsables agissaient en harmonie pour combattre l'insécurité. Oui, l'insécurité doit changer de camp ! Oui, il faut relever la police que l'on a mise à terre, mais il faut lui en donner les moyens légaux.
Cette proposition de loi est un pas nécessaire, un début de solution à cette gangrène pour notre pays. Il faut prévenir la récidive et accompagner la réinsertion.
Sur les 269 condamnés pour terrorisme en lien avec la mouvance islamique suivie par le service de l'application des peines, 20 % seront suivis à leur libération dans le cadre socio-judiciaire, 5 % dans le cadre d'un sursis probatoire et 75 % pourront bénéficier de mesures d'accompagnement en cas de réduction de peine.
L'été dernier, nous avions voté des mesures de sûreté, mais le Conseil constitutionnel les a curieusement censurées, estimant qu'elles n'étaient ni adaptées, ni proportionnées à l'objectif poursuivi.
Cette proposition de loi en reprend l'esprit, tout en répondant aux cinq objections du Conseil constitutionnel, comme l'a rappelé Muriel Jourda. Deux précisions s'imposent ; d'abord, ce texte est indispensable à notre arsenal juridique pour lutter contre le fléau de la sortie de détention des terroristes. Ensuite, je lance un cri d'alarme : notre État de droit est ce que nous avons de plus noble, de plus grand. Enfant légitime de notre histoire, il coule dans nos veines, mais n'en avons-nous pas une conception obsolète et naïve ? Le Conseil constitutionnel censure des lois qui auraient pu sauver des vies.
La loi doit être conforme à la Constitution mais cette dernière doit être conforme à la gravité du terrorisme. Est-ce bien le cas ?
Un référendum sur l'inscription du développement durable dans la Constitution est superfétatoire. Ne devrait-on pas plutôt organiser un référendum sur la lutte contre le terrorisme ? L'urgence est indéniable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La question de la sortie de prison de condamnés pour faits de terrorisme constitue l'un de nos principaux enjeux sécuritaires. Ainsi, 162 détenus sortiront dans les quatre prochaines années, condamnés pour la plupart d'entre eux à des peines inférieures à sept ans. Une partie de ces personnes reste dangereuse et leur séjour en prison n'a sans doute pas permis de mettre fin à leur engagement terroriste.
Toutefois, nous ne pouvons prononcer une nouvelle peine pour les mêmes faits : c'est le principe fondamental non bis in idem. Aussi, la protection de la société ne peut être recherchée que par des mesures de surveillance, d'accompagnement, de sûreté.
Nous connaissions le chemin de crête du texte de juillet dernier, mais il fallait répondre au problème des sorties sèches d'individus n'ayant parfois pas fait l'objet d'un suivi socio-judiciaire car condamnés avant la loi de 2016.
Dans sa décision du 7 août 2020, le Conseil constitutionnel a donné avec pédagogie un cadre de référence pour un texte de remplacement. Il ne s'est pas opposé au principe de l'établissement de mesures de sûreté dans le cas de la sortie de prison des détenus terroristes, et a admis la légitimité de la mesure, au regard de l'objectif à valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. II a confirmé ainsi que la mesure de sûreté n'est pas une sanction pénale dès lors qu'elle respecte les critères rappelés dans sa décision du 21 février 2008.
Le Président Buffet, auteur de cette proposition de loi, a repris l'idée d'un suivi judiciaire post-sentenciel, conditionné à une évaluation de la dangerosité du condamné et dont la durée serait fixée indépendamment des réductions de peine accordées.
Ce texte parvient à un équilibre entre la protection des Français et le respect des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Toine Bourrat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue la constance et la technicité de la commission des lois qui symbolise l'esprit d'équilibre et de responsabilité propre au Sénat, et qui met un point d'honneur à parfaire le droit. Michel de L'Hospital et François d'Aguesseau, dont la rigueur n'avait d'égal que l'esprit de tolérance, veillent sur nos débats.
Nous refusons d'agiter une main de velours dans un gant de fer en matière de terrorisme.
Je salue le travail de François-Noël Buffet et de Muriel Jourda pour combler un vide juridique inquiétant pour la sécurité des Français. Les futures sorties sèches nous inquiètent tous en effet.
Mon département a été meurtri par l'islamisme ; je puis donc témoigner de l'enjeu.
Le sens de la peine et sa proportionnalité sont indispensables. C'est au Sénat que nous devons la peine incompressible de trente ans et la limitation drastique des aménagements de peine. Il nous faut aller plus loin, en raison des nouveaux profils auxquels nous avons affaire. La question de la perpétuité réelle doit désormais être abordée. Les juridictions ne doivent pas être contraintes d'offrir des perspectives de libération aux condamnés.
En France, les condamnés ont en moyenne 35 ans, soit 13 ans de moins que la population française. Ceux qui le sont pour terrorisme ne font pas exception à la règle, bien au contraire. Il faut extirper de notre territoire le djihadisme d'atmosphère décrit par Gilles Kepel.
Veillons à ne pas exposer notre jeunesse à cette idéologie, dont les racines se propagent jusqu'à nos prisons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Marc-Philippe Daubresse . - J'ai écouté avec attention le garde des Sceaux et Alain Richard, spécialistes du sujet.
L'an dernier, le Conseil constitutionnel a censuré notre proposition de loi en validant toutefois les mesures de sûreté que nous retrouvons à l'article premier.
On peut s'interroger sur l'efficacité des Micas à l'encontre d'individus libérés. Les garanties sont en effet insuffisantes, et leur durée également. Le Gouvernement lui-même ne suit pas l'avis du Conseil d'État sur le sujet ; il s'expose donc à une nouvelle censure du Conseil constitutionnel.
Nous devons nous prononcer soit sur une mesure de sûreté soit une mesure de suivi judiciaire.
Vous avez raison, monsieur le ministre : nous sommes sur une ligne de crête juridique, et il faut éviter la superposition des mesures ; c'est pourtant ce que va faire le Gouvernement prochainement dans le projet de loi SILT 2, avec des Micas étendues et des mesures de suivi judiciaire !
La solution proposée par François-Noël Buffet est plus efficace et moins susceptible d'inconstitutionnalité que celle du Gouvernement.
Trouvons un compromis comme l'a suggéré Alain Richard.
Mme la présidente. - Amendement n°12, présenté par Mme M. Jourda, au nom de la commission.
Alinéa 6
Remplacer la référence :
726-25-16
par la référence :
706-25-16
L'amendement rédactionnel n°12, accepté par le Gouvernement, est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié bis, présenté par MM. Parigi, Dantec et Dossus, Mmes de Marco et Poncet Monge et M. Gontard.
Alinéa 10
Après le mot :
exclusion
insérer les mots :
des infractions n'induisant que des atteintes aux biens matériels et non à l'intégrité physique des personnes,
M. Paul Toussaint Parigi. - Cette proposition de loi s'inscrit dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste. Les dispositions exorbitantes du droit commun qu'elle comprend dépassent bien souvent leur but premier.
En l'état, le renforcement des mesures de sûreté à destination des terroristes islamistes à l'issue de leur peine est trop général, tout comme certaines dispositions de la loi SILT et le Fijait, qui touche d'autres individus que les terroristes islamistes.
Nous craignons que ce régime ad hoc s'applique à des militants politiques, tels qu'écologistes, altermondialistes, animalistes, corses, basques...
Dans ces cas, les dispositions pénales du droit commun sont amplement suffisantes. Il faut distinguer a minima les destructions matérielles de biens des atteintes volontaires à la vie humaine.
Il convient donc que les individus condamnés pour des destructions matérielles soient exclus du dispositif prévu à cet article.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Cet amendement réduirait l'efficacité du dispositif prévu, puisqu'il exclurait le financement du terrorisme et l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai la même analyse. Difficile de distinguer, en droit, différentes causes. Et quid de l'association de malfaiteurs ? Avis défavorable.
L'amendement n°7 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°11, présenté par M. Levi.
Alinéa 10
Remplacer la troisième occurrence du mot :
et
par le mot :
ou
M. Pierre-Antoine Levi - Nous proposons de supprimer la double condition d'une probabilité élevée de récidive et d'une adhésion persistante à une idéologie terroriste pour prononcer une mesure de sûreté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous voulez transformer le cumul de condition en alternative. Mais quel que soit le type de terrorisme visé, il est sous-tendu par une idéologie.
De plus, le Conseil constitutionnel a jugé les critères adaptés. Ne les modifions pas. Retrait ou avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Une référence à la seule adhésion à une idéologie présenterait un risque évident de censure constitutionnelle. Avis défavorable.
L'amendement n°11 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°10, présenté par M. Levi.
Alinéa 15
Supprimer cet alinéa.
M. Pierre-Antoine Levi. - Ces dernières années, nous avons constaté que trop souvent des personnes figuraient sur des fichiers mais qu'elles étaient considérées comme non dangereuses alors qu'elles l'étaient, d'où cet amendement.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - En supprimant la subsidiarité de la mesure de sûreté, nous risquons les foudres du Conseil constitutionnel. Retrait ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°10 est retiré.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié ter, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. Bascher, Bonhomme et Bonne, Mmes Boulay-Espéronnier et V. Boyer, MM. Burgoa, Boré, Cadec et Charon, Mmes Demas, Deromedi et Dumont, MM. Favreau et B. Fournier, Mmes Garnier et Garriaud-Maylam, M. Genet, Mmes Goy-Chavent et Gruny, MM. Laménie, Le Rudulier, Lefèvre et Meurant, Mmes Micouleau et Muller-Bronn, MM. Panunzi, Pellevat et Piednoir, Mme Raimond-Pavero et MM. Savin, C. Vial et Vogel.
Alinéa 18
Compléter cet alinéa par les mots :
et leur probabilité de récidive
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - C'est un amendement de fermeté et de crédibilité, qui se réfère explicitement au risque de récidive.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La précision est utile : les choses vont en effet mieux en les disant. Avis favorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable. L'amendement est satisfait car superfétatoire : la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté doit évaluer le niveau de risque de la personne, outre sa dangerosité.
L'amendement n°1 rectifié ter est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. Bascher, Bonhomme et Bonne, Mmes Boulay-Espéronnier et V. Boyer, MM. Burgoa, Boré, Cadec et Charon, Mmes Demas, Deromedi et Dumont, MM. Favreau et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam, M. Genet, Mmes Goy-Chavent et Gruny, MM. Laménie, Le Rudulier, Lefèvre et Meurant, Mmes Micouleau et Muller-Bronn, MM. Panunzi, Pellevat et Piednoir, Mme Raimond-Pavero et MM. Savin, C. Vial et Vogel.
Alinéa 19
Remplacer le mot :
six
par le mot :
huit
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Cet amendement porte à huit semaines le placement du détenu dans un service spécialisé chargé de son observation. Il est impérieux de donner aux agents de ce service un temps d'observation et d'étude plus conséquent.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Une évaluation efficace est bien entendu nécessaire. Mais la durée de six semaines est un minimum ; de plus, aucune des personnes entendues n'a critiqué ce délai. Retrait ou avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°2 rectifié bis est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°9, présenté par M. Levi.
Alinéa 22
Supprimer cet alinéa.
M. Pierre-Antoine Levi. - Cet amendement supprime la condition d'application des mesures de sûreté selon laquelle le détenu doit avoir bénéficié de mesures de réinsertion au cours de sa détention. Nous savons en effet que tous les détenus ne peuvent bénéficier de telles mesures. Il convient donc de supprimer cette condition supplémentaire.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - C'est une condition fixée par le Conseil constitutionnel. Les services compétents nous ont indiqué que la mise en oeuvre des mesures de réinsertion ne posait pas de difficulté. Retrait ou avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Les quartiers d'évaluation de la radicalisation et les quartiers de prise en charge mettent en oeuvre les mesures de réinsertion nécessaires.
De plus, votre amendement nous expose à une censure constitutionnelle, ce qui nous ferait perdre du temps. Avis défavorable.
L'amendement n°9 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. Bascher, Bonhomme, Bonne, Burgoa, Boré, J.M. Boyer et Charon, Mmes Demas, Deromedi et Dumont, M. Favreau, Mme Garriaud-Maylam, MM. B. Fournier et Genet, Mmes Goy-Chavent et Gruny, MM. Laménie et Meurant, Mmes Micouleau et Muller-Bronn, MM. Lefèvre, Le Rudulier, Pellevat et Piednoir, Mme Raimond-Pavero et MM. Savin, C. Vial et Vogel.
Alinéa 26
Remplacer les mots :
d'un an
par les mots :
de deux ans
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - La mesure de sûreté doit pouvoir durer deux ans. Les individus visés ont commis des actes visant à détruire la République, faire tomber nos institutions et assassiner lâchement nos concitoyens. Des chercheurs et des journalistes ont mené l'enquête pour comprendre les phénomènes de radicalisation : ils attestent du caractère presque irréversible de ce phénomène.
Bien que la mesure initiale de durée maximale d'un an puisse être renouvelée, elle demeure difficilement comprise, et donc acceptée, par une majorité de nos concitoyens.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La durée d'un an est conforme à la décision du Conseil constitutionnel. Retrait ou avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°3 rectifié bis est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié bis, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. Bascher, Bonhomme, Bonne, Burgoa et Boré, Mme V. Boyer, M. Charon, Mmes Demas, Deromedi et Dumont, MM. Favreau et B. Fournier, Mmes Garnier et Garriaud-Maylam, M. Genet, Mmes Goy-Chavent et Gruny, MM. Laménie, Le Rudulier, Lefèvre et Meurant, Mmes Micouleau et Muller-Bronn, MM. Pellevat et Piednoir, Mme Raimond-Pavero et MM. Savin et Vogel.
Alinéa 31
Remplacer le mot :
trois
par le mot :
six
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - La juridiction régionale de la rétention de sûreté a besoin d'un délai raisonnable pour confirmer ou non le maintien des obligations prévu par le code de procédure pénale.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Porter le délai à six mois est difficile : une juridiction doit statuer le plus rapidement possible sur la prorogation d'une mesure attentatoire aux libertés. Retrait ou avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°4 rectifié bis est retiré.
L'article premier, modifié, est adopté.
Les articles 2 et 3 sont adoptés.
ARTICLE ADDITIONNEL après l'article 3
Mme la présidente. - Amendement n°5, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur l'accès aux activités de réinsertion des personnes détenues mises en cause dans des affaires de terrorisme islamiste ou celles, écrouées pour des faits de droit commun, repérées par l'administration et par les services de renseignement comme étant « susceptibles de radicalisation ».
Mme Esther Benbassa. - Cette proposition de loi ne prévoit aucune mesure pour éviter les sorties sèches. Le temps de la détention doit être mis à profit pour accompagner la déradicalisation et le désengagement, comme je le demandais dans mon rapport de 2017 écrit avec Mme Troendlé.
Nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, un rapport sur l'accès aux activités de réinsertion des personnes détenues mises en cause dans des affaires de terrorisme islamiste ou celles, écrouées pour des faits de droit commun, repérées par l'administration et par les services de renseignement comme étant « susceptibles de radicalisation ».
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La commission des lois estime que le Sénat ne peut donner d'instruction au Gouvernement ; de plus, notre commission dispose de moyens d'investigation ; en témoigne votre propre rapport de 2017.
Il se trouve que l'Institut français des relations internationales (IFRI), en février 2021, a rendu un rapport sur le sujet qui cite votre travail. Retrait ou avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le Gouvernement n'est pas favorable à la multiplication des rapports ; au demeurant, le Parlement a de nombreux moyens de contrôler l'activité du Gouvernement. Avis défavorable.
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La séance est suspendue à 17 h 20.
La séance reprend à 18 heures.
Mme la présidente. - Le garde des Sceaux n'est pas encore revenu de l'Assemblée nationale. La séance reprendra à 18 h 20.
La séance est suspendue à 18 heures.
Rappel au Règlement
M. Bruno Retailleau . - Nous avons attendu pendant une heure la venue du garde des Sceaux. Je comprends qu'il ait été retenu à l'Assemblée nationale, mais le Gouvernement aurait pu prévoir un relais. À l'avenir, évitons de perdre du temps de la sorte.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . - (Essoufflé) Je souhaite présenter mes plus plates excuses aux sénateurs et aux sénatrices. Je suis contre le rappel à la loi, mais j'entends votre rappel au Règlement ! (Sourires)
J'ai mal calibré le temps qu'il me faudrait. Un ministre, même de qualité, n'a pas le don d'ubiquité. Pardon de vous avoir fait attendre.
Irresponsabilité pénale
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen conjoint de la proposition de loi tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, à la demande du groupe Union centriste, et de la proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale, à la demande du groupe Les Républicains.
Discussion générale
Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des lois . - Le texte qui nous occupe concerne le sujet délicat de l'irresponsabilité pénale et du fait fautif de l'auteur, aux confins du droit et de la santé.
Nous avons beaucoup travaillé sur le terrorisme et sur la tendance à psychiatriser certains actes. J'avais déposé cette proposition de loi en janvier 2020, après une série d'attaques au couteau dont les auteurs avaient été déclarés irresponsables. Je pensais alors, sottement, dupliquer la règle nemo auditur : celui qui se met lui-même dans une situation d'irresponsabilité en consommant alcool ou stupéfiants ne peut invoquer ces éléments pour échapper à sa responsabilité.
J'ai changé d'avis, à la suite de l'excellentissime travail de l'avocate générale près la Cour de cassation, Mme Zientara.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Formidable travail !
Mme Nathalie Goulet, auteur et rapporteur. - Je conseille à tous la lecture des 87 pages de son avis... Je trouve d'ailleurs honteuses les attaques personnelles dont elle a fait l'objet.
J'ai aussi changé d'avis en raison de l'article virulent du Dalloz sur « la turpitude du fou ».
Si l'on ne touche pas aux principes de l'irresponsabilité, quelle place pour les victimes et les familles ?
Le débat devant la chambre de l'instruction a montré ses limites. Elle ne prononce pas de peines et l'audience d'irresponsabilité peut se tenir en l'absence de la personne mise en examen. Les victimes n'en sortent pas apaisées et ce genre de procès finit par celui de la justice !
Le texte adopté par la commission des lois ne modifie pas l'article 122-1 du code pénal mais ouvre aux victimes la possibilité d'un procès en cas de faits fautifs de l'auteur. Il ne s'agit pas de juger la folie mais de repenser l'accès au juge dans les cas où la responsabilité pénale est contestée. Je vous renvoie à un article intéressant de Mme Dervieux, présidente de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, sur le besoin du procès.
Il faut trouver une solution pour appréhender l'impact du fait fautif sur l'irresponsabilité de l'auteur. C'est au juge qu'il revient de décider de l'irresponsabilité pénale et singulièrement du lien entre fait fautif et irresponsabilité.
Dans le prolongement de la réforme Dati de 2008, la commission des lois a choisi un renvoi par le juge d'instruction vers le juge du fond lorsque le fait fautif a causé, au moins partiellement, l'abolition temporaire du discernement. L'abolition du discernement doit être temporaire, car l'abolition définitive interdit tout procès.
Ainsi, le fait fautif antérieur est pris en compte dans l'abolition du discernement : celle-ci n'entraîne pas l'irresponsabilité mais le renvoi vers le juge du fond, qui pourra la reconnaître ou non.
Les jurés des cours d'assises, dont la mission est de juger au cas par cas, placeront au mieux le délicat curseur entre responsabilité du fait d'un fait fautif et irresponsabilité du fait de l'abolition du discernement.
Cette solution nous semble présenter les meilleures garanties tout en répondant aux interrogations légitimes de l'opinion publique. En 2018, 326 non-lieux ont été prononcés pour abolition du discernement, et 13 495 classements sans suite. Entre 2012 et 2018, les cas d'irresponsabilité pénale pour troubles mentaux ont doublé.
Une autre option aurait été de créer une infraction spécifique, comme en Suisse ou en Espagne, pour un homicide commis en situation d'abolition du discernement. Nous avons étudié les législations comparées, sans trouver de solution.
Par cohérence, la commission des lois a prévu que l'intoxication alcoolique ou par stupéfiants constitue une circonstance aggravante dans tous les cas d'infraction ou de crime.
Je laisserai Jean Sol développer la question de l'expertise psychiatrique et de ses difficultés.
Sur ce sujet complexe, la commission des lois a cherché une solution efficace et conforme à nos principes. Nous savons que le Gouvernement élabore un texte et que l'Assemblée nationale a créé une mission flash. Nous attendons votre position sur le sujet et espérons progresser ensemble, notamment sur l'indemnisation des victimes.
Notre texte est clair ; j'espère que vous le soutiendrez car au-delà de l'affaire Halimi, des centaines de victimes l'attendent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ainsi que sur le banc des commissions)
M. Jean Sol, auteur de la proposition de loi et rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous examinons une proposition de loi sur l'irresponsabilité pénale et l'expertise psychiatrique. Il s'agit en réalité de deux textes discutés conjointement, celui de Mme Goulet et le mien, dont je suis également rapporteur pour avis.
Les deux propositions de loi concernent un sujet grave : l'appréciation portée sur l'état mental de l'auteur d'un délit au moment des faits. Certaines affaires tragiques comme l'assassinat de Sarah Halimi ont marqué l'opinion. Or nous devons écrire le droit, non en réaction aux horreurs de l'actualité, mais pour le temps long.
La commission des affaires sociales ne s'est pas prononcée sur la proposition de loi de Nathalie Goulet.
L'article 122-1 du code pénal pose le principe d'irresponsabilité pénale en cas d'abolition du discernement au moment des faits en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique, et prévoit le cas d'une altération du discernement. Mme Goulet souhaitait lever son application en cas de faute de l'auteur ; je souhaitais, pour ma part, inscrire que l'abolition du discernement ne pouvait être issue que d'un état pathologique ou d'une exposition contrainte aux effets d'une substance psychoactive.
Quoi qu'il en soit, il est impossible de légiférer pour tous les cas, et c'est au juge qu'il appartient de décider.
Les dispositions sur l'expertise reprennent quelques-unes des vingt préconisations du rapport que j'ai cosigné avec Jean-Yves Roux, qui soulignait un manque criant de moyens.
Monsieur le garde des Sceaux, je vous interpelle sur ce point. Les conditions dans lesquelles les expertises sont réalisées ne sont parfois pas à la hauteur des enjeux. La rémunération des experts ne correspond pas à la complexité de certaines affaires. Au Gouvernement d'y répondre.
Cette proposition de loi reprend les recommandations de niveau législatif de notre rapport.
Neuf articles traitent de l'expertise, dont cinq de l'expertise pré-sentencielle. Nous avons prévu une expertise dans les deux mois au maximum suivant l'incarcération, exclu l'expertise psychiatrique de l'examen clinique de garde à vue, intégré le dossier médical aux scellés et mieux encadré la possibilité de solliciter une contre-expertise.
Quant au post-sentenciel, nous avons prévu que les conclusions de l'expertise devront être systématiquement transmises aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), et que l'expert psychiatre pourra assurer les missions de médecin coordinateur du détenu au moment de sa sortie.
Enfin, les experts verront leurs obligations déontologiques renforcées avec une déclaration d'intérêts obligatoire.
La commission des affaires sociales a également maintenu l'obligation légale d'expertise psychiatrique en cas d'infraction sexuelle, prévu la transmission obligatoire du dossier médical sans passer par le juge et inscrit un devoir de réserve pour les experts sur les affaires en cours.
En tant que rapporteur et auteur de l'une des deux propositions de loi, je tiens à souligner que le principe d'irresponsabilité pénale doit rester un principe fondamental de notre droit, dans le droit fil de notre tradition humaniste.
En outre, la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit à un procès équitable. Ne peuvent être jugées que les personnes en capacité de l'être. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . - La décision du 14 avril 2021 de la Cour de cassation, qui a confirmé l'irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi-Attal, a suscité une émotion forte et légitime. Les pouvoirs publics doivent y répondre.
L'abolition du discernement d'un auteur d'homicide peut résulter d'une intoxication volontaire ; la Cour de cassation ne fait qu'appliquer l'article 122-1 du code pénal, qui ne mentionne pas l'origine du trouble psychique ayant conduit à l'abolition de ce discernement.
Je m'associe aux propos de Mme Goulet pour saluer le travail remarquable de l'avocate générale.
Il fallait attendre l'arrêt de la Cour de cassation pour faire évoluer notre droit. Celle-ci a désormais dit les choses clairement : le juge ne peut distinguer là où le législateur ne le fait pas.
J'ai mené une large consultation sur le régime de l'irresponsabilité pénale auprès des magistrats, des représentants des cultes, des experts psychiatres, des professeurs de droit.
Je vous rejoins pour considérer que l'article 122-1 du code pénal ne doit pas être modifié. Il doit rester le garant du principe fondamental posé par l'article 121-3 : il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Dans une démocratie digne de ce nom, on ne juge pas les fous : c'est une ligne rouge, une exigence essentielle.
L'article premier de votre texte prévoit un débat systématique devant la juridiction de jugement lorsque l'abolition du discernement du mis en cause résulte, au moins partiellement, de son fait fautif.
J'ai sollicité l'avis éclairé du Conseil d'État, lui soumettant un projet de loi qui limite l'irresponsabilité pénale lorsque l'abolition du discernement résulte d'une intoxication volontaire.
Dans l'attente de l'avis du Conseil d'État, je me bornerai donc à quelques observations sur votre texte. Nous nous rejoignons sur l'article 122-1 du code pénal, qui doit être maintenu. Mais alors pourquoi saisir la juridiction de jugement, notamment la cour d'assises ? Ce renvoi n'est pas justifié, s'il s'agit de confirmer l'avis des experts.
La généralisation de l'aggravation de la peine pour toute infraction commise en état d'intoxication ne banalise-t-elle pas la consommation de psychotropes ?
Les articles relatifs à l'expertise résultent du travail de Jean Sol et Jean-Yves Roux que je tiens à saluer. Mais certains ne relèvent pas de la loi. Faut-il imposer une expertise dans les deux mois suivant le placement en détention provisoire ? Quelles conséquences si l'expertise ne peut être réalisée dans ce délai ? Ou si la personne est arrêtée des mois, voire des années après les faits ?
L'article 10 sur les obligations déontologiques des experts rejoint les travaux en cours de la Chancellerie, qui dépassent la seule expertise psychiatrique. Il n'est toutefois pas pertinent d'imposer une déclaration avant chaque expertise. L'exige-t-on des magistrats avant chaque décision, des parlementaires avant chaque vote ?
En réalité, nos travaux sont parallèles et complémentaires. La commission des lois de l'Assemblée nationale a elle aussi lancé une mission flash sur l'irresponsabilité pénale. Je salue donc la mobilisation des deux chambres.
Le travail engagé par le Gouvernement et soumis à l'avis du Conseil d'État me semble plus sécurisé juridiquement ; je ne doute pas que les propositions contenues dans votre texte viendront nourrir utilement le projet de loi qui vous sera présenté prochainement.
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Certains nous reprocheront de légiférer sous le coup de l'émotion, d'autres salueront la volonté du Parlement de se saisir de sujets d'actualité.
Sans nier l'émotion suscitée par l'affaire Sarah Halimi, je regrette que le Sénat n'ait pas su éviter certains écueils.
L'enjeu est la prise en compte ou non du fait fautif entraînant l'abolition du discernement. L'article premier l'intègre dans le code de procédure pénale. Il ne fait, en réalité, que déplacer la responsabilité de l'application de l'article 122-1 du code pénal vers le juge du fond. Cette position a l'avantage de ne pas toucher à l'article 122-1, mais son utilité est incertaine.
Il fallait prendre en compte le besoin de procès. L'audience en chambre d'instruction est déjà publique et contradictoire ; la collégialité de la décision et la possibilité d'expertise sont des garanties.
Il faut manier avec prudence les règles d'imputabilité. La question de la responsabilité pénale, atténuée, abolie ou pleine et entière, est difficile à juger. Oserons-nous cheminer vers le concept de folie volontaire ? Certes, un comportement volontaire peut directement contribuer à l'abolition du discernement, mais ce trouble a-t-il été souhaité ou envisagé ?
Ne compliquons pas outre mesure la tâche du juge d'instruction.
La responsabilité du mis en cause devient trop complexe : il se serait exposé volontairement à un risque dans un dessein criminel ? La ligne de crête entre altération et abolition doit être définie par les experts, non le législateur.
J'entends la volonté de punir plus sévèrement le fait fautif, mais cela ne revient-il pas à pénaliser les addictions, sans tenir compte de la dimension de santé publique ?
Je salue les articles relatifs à l'expertise psychiatrique, qui manque cruellement de moyens. Il est urgent d'agir !
Prenons du recul sur l'émotion justifiée de l'opinion publique et préservons la notion d'irresponsabilité pénale, même si l'opinion supporte mal que certains ne soient pas jugés pour leurs crimes, en oubliant l'hospitalisation sous contrainte.
Le GEST ne votera pas ce texte. (Mme Nathalie Goulet s'en désole ; applaudissements sur les travées du GEST )
M. Ludovic Haye . - Ce texte s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat sur le sujet délicat de l'irresponsabilité pénale. Notre rapporteure s'est impliquée, avec un débat organisé l'an dernier ; la commission des lois et la commission des affaires sociales ont travaillé sur l'expertise psychiatrique en matière pénale, formulant d'intéressantes propositions.
Cette continuité ne s'abstrait pas des décisions rendues à la suite du meurtre atroce de Mme Attal-Halimi dont, la chambre de l'instruction l'a reconnu, le motif était l'antisémitisme.
Comment réagir, tout en préservant un État de droit juste, fraternel et protecteur ?
Nous sommes soumis à plusieurs impératifs distincts : protéger la société, ne pas soumettre à un procès ceux qui ne sont pas en état de se défendre, permettre aux parties civiles de voir la justice rendue.
Le choix du rapporteur de ne pas retenir la révision initialement envisagée de l'article 122-1 du code pénal s'entend.
C'est la juridiction de jugement qui statuera sur l'irresponsabilité pénale et, le cas échéant, sur la culpabilité. Rappelons que la compétence du juge de fond est déjà prévue par le droit en vigueur quand le juge d'instruction a considéré que l'auteur était pénalement responsable.
Avec ce texte, elle interviendra en amont lorsque le juge d'instruction estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne résulte au moins partiellement de son fait fautif, afin de garantir un vrai procès aux victimes.
Peut-on continuer à se poser la question de l'appréciation du fait fautif par la chambre de l'instruction ? L'addiction est-elle une faute ou devient-elle, dans la durée, une contrainte subie ? Le sujet déborde la matière pénale...
D'autres moyens existent pour répondre au besoin des victimes d'avoir un « vrai procès », comme la modification des modalités de l'audience publique devant la chambre de l'instruction, ce que propose la mission Houillon-Raimbourg.
Autre difficulté, le placement du curseur entre l'abolition et l'altération du discernement.
Le groupe RDPI s'abstiendra tout en saluant vivement la démarche entreprise. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Nathalie Goulet, auteur et rapporteur. - Très bien !
présidence de Roger Karoutchi vice-président
Mme Nathalie Delattre . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le 14 avril, la Cour de cassation tranchait : le procès du meurtrier de Sarah Halimi n'aura pas lieu. Cette décision a suscité colère et indignation.
D'un côté, la thèse retenue par les juges, appuyée sur les expertises psychiatriques, conclut à l'irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, sujet à des « bouffées délirantes » ; aucun élément, précise l'arrêt, n'atteste qu'il ait eu conscience que sa consommation de cannabis puisse entraîner de telles manifestations.
De l'autre, la thèse de la famille de Sarah Halimi était que la consommation volontaire de stupéfiants devrait exclure la prise en considération de l'abolition de discernement, l'acte fautif excluant l'irresponsabilité. Cette solution est-elle trop radicale pour un juge ? Sans doute. Il revient donc au Parlement de déterminer comment exclure du champ d'application de l'irresponsabilité pénale les cas dans lesquels la faute de l'auteur est à l'origine de son état d'irresponsabilité.
Ces propositions de loi inaugurent cette réflexion.
La solution la plus instinctive était de modifier l'article 122-1 du code pénal. Mais cet article porte un principe fondamental de notre droit qu'il serait imprudent de remettre en cause.
La commission des lois a retenu une solution alternative, plus respectueuse de nos principes. Elle reprend en outre des préconisations du rapport Sol-Roux sur l'expertise psychiatrique. Ce groupe de travail avait été constitué à ma demande, avec l'appui du président Bas ; je remercie Jean Sol de m'avoir associée à la signature de sa proposition de loi qui comprend des mesures très attendues, comme le renforcement des obligations déontologiques des experts.
Le groupe RDSE votera avec force cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur le banc des commissions)
Mme Éliane Assassi . - Les meurtres tragiques de Mohamed El Makouli et de Sarah Halimi ont suscité l'émoi dans l'opinion publique, les deux meurtriers ayant été jugés irresponsables pénalement.
Les avocats des parties civiles avaient pourtant invoqué la prise de stupéfiants pour contester l'abolition du discernement au moment des faits et donc l'irresponsabilité pénale.
En application de l'article 122-1 du code pénal, cela relève de l'appréciation souveraine des juges. Si la jurisprudence n'a jamais reconnu le fait fautif, puisque l'intention de l'auteur s'apprécie au moment des faits, c'est néanmoins un sujet ancien de controverse en doctrine et dans l'opinion publique.
C'est dans ce contexte que la commission des lois a souhaité mettre à l'ordre du jour ces deux propositions de loi en une.
Les dispositions proposées par Jean Sol sur l'expertise psychiatrique vont dans le bon sens. En revanche, nous restons vertement opposés au dispositif principal. S'il est heureux que l'article 122-1 du code pénal reste intact, comme le préconisait le rapport Raimbourg-Houillon, la rapporteure n'a pas abandonné l'idée de reconnaître la responsabilité pénale dans certains cas.
Ce mécanisme vise à instaurer un véritable procès dans des cas d'abolition du discernement, manifestation du rapport disciplinaire entre justice et folie. Il exhiberait la souffrance de toutes les parties, sans la consolation espérée. N'allons-nous pas vers une justice outrancière ? Le procès équitable ne sera plus garanti. La notion d'abolition temporaire du discernement liée à un fait fautif est une nouveauté : or ce fait fautif peut être non la cause mais la conséquence de l'abolition du discernement.
Certes, la peur irraisonnée de la folie dans la population est un fait, mais le politique devrait dépassionner le débat en protégeant les plus faibles, plutôt que de l'alimenter avec ces propositions de loi de circonstances. Contrairement au soin, la peine a une fin ; l'univers psychiatrique est aussi privatif de liberté que l'univers carcéral, mais le personnel est formé.
Ce texte reflète un courant d'utilitarisme pénal qui se mue en populisme pénal. Depuis le droit romain et le Talmud, on ne juge pas les fous !
Cette proposition de loi, dans son économie générale, s'inscrit dans une vision de la société qui n'est pas la nôtre : nous la rejetons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Jean-Pierre Sueur . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Un crime terrible, abominable, barbare, dont est victime Sarah Halimi. Une émotion de toute la Nation, que nous partageons. Deux décisions de justice : le crime est antisémite et l'auteur est irresponsable. Une question : comment un acte irresponsable peut-il être antisémite ? S'il y a volonté, il ne peut y avoir irresponsabilité.
Cette situation a donné lieu à plusieurs initiatives, dont le texte qui nous occupe.
Il y a un accord quasi-général pour maintenir l'article 122-1 du code pénal en l'état.
Le fondement de cet article est l'article 121-3 du code pénal : « il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».
La solution proposée est de transférer le soin d'évaluer l'irresponsabilité pénale à la juridiction de jugement. Nous avons des réserves fortes. L'examen par la chambre de l'instruction s'est déroulé en public, en présence des parties, de l'auteur du crime, dans le respect du contradictoire : il y a donc bien eu un procès. Par ailleurs, la juridiction de jugement - tribunal correctionnel ou cour d'assises - pourrait être en difficulté pour reconnaître l'irresponsabilité pénale : le juré populaire est là pour condamner et fixer les peines ; c'est la chambre de l'instruction qui est chargée au préalable de procéder aux expertises.
Mon groupe a toutefois prévu un amendement de repli selon lequel la juridiction de jugement statuerait sur la question de la responsabilité - ce serait une sorte de question préalable - avant l'examen au fond. Cette solution n'a pas notre préférence.
Nous avons pris le risque de faire trois propositions concrètes.
Premièrement, nous inspirant de la législation espagnole, nous proposons de reconnaître la responsabilité pénale de la personne qui a volontairement provoqué sa perte de discernement aux fins de commettre l'infraction, notamment par la consommation d'alcool ou de psychotropes.
Deuxièmement, nous proposons de définir le discernement à l'article 122-1 du code pénal comme la conscience de l'acte commis et de ses conséquences et la capacité d'en apprécier la nature et la portée.
Troisièmement, à l'initiative de Marie-Pierre de La Gontrie, nous proposons, à l'article 158 du code de procédure pénale, d'ajouter une question spécifique pour l'expertise psychiatrique destinée à identifier la participation active à la perte de discernement.
Enfin, soulignons, à la suite de Mme Assassi, que la toxicomanie relève d'abord de la santé. Évitons le « tout-justice ».
Il faut conserver l'article 122-1 mais le statu quo est impossible ; c'est pourquoi nous versons au débat nos trois propositions.
Il faut avancer avec réalisme et pragmatisme, afin que la loi soit comprise de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Stéphane Ravier . - Il y a des grands principes qui fondent notre droit et qui se confrontent : on ne met pas en procès une personne qui n'est pas en mesure d'assurer sa propre défense ; on ne juge pas les fous. Mais on a aussi le devoir de mettre hors d'état de nuire les individus dangereux et d'assurer aux parties civiles que justice soit faite. L'irresponsabilité pénale ne devrait être qu'exceptionnelle, or le nombre d'ordonnances d'irresponsabilité a augmenté : la culture de l'excuse est aussi florissante que celle du cannabis.
Je pense à la douleur de la famille de Sarah Halimi : son meurtrier ne sera pas jugé, a dit la Cour de cassation, qui a estimé que fumer du cannabis en quantité et tuer une juive aux cris de « Allahou Akbar !» relevait d'une bouffée délirante et non d'une bouffée islamiste et antisémite. Résultat, ni prison ni hôpital pour Kobili Traoré et une bouffée de haine de plus dans la nature ! Que se passera-t-il s'il récidive ?
Abolir volontairement son discernement par la consommation de drogue, n'est-ce pas déjà fauter ? Le débat sur la légalisation du cannabis s'invite au Parlement. Un député brandit un joint dans l'hémicycle - à croire qu'il l'a déjà fumé !
Le sentiment d'injustice doit se faire entendre de l'institution judiciaire. Il convient de donner à cette dernière des moyens financiers et humains. Enfin, il faut la rendre indépendante, surtout quand le garde des Sceaux se vante d'être le ministre des délinquants. (M. le garde des Sceaux se gausse.)
M. Alain Marc . - J'ai une pensée émue pour Sarah Halimi et sa famille : son meurtre est une tragédie.
Mal comprise, l'irresponsabilité pénale choque parfois. Certains y voient une immunité, voire une incitation au crime. La place de ceux qui sont atteints de troubles psychiques est à l'hôpital, pas en prison. Ils ne se traitent pas avec une sanction pénale ; pour autant, ces personnes ne doivent pas se retrouver en liberté. Le meurtrier de Mme Halimi a été déclaré irresponsable et la juridiction a ordonné son admission en soins psychiatriques sous la forme d'une hospitalisation complète, assortie de mesures de sûreté.
Nos collègues veulent écarter l'irresponsabilité pénale quand elle résulte du comportement de la personne elle-même. D'autres travaux abordent le même sujet : un projet de loi sera prochainement présenté sur le sujet, une mission flash est en cours à l'Assemblée nationale.
Les auditions ont montré la difficulté de l'exercice. Je salue la décision de sagesse de la commission des lois : l'émotion n'a pas pris le pas sur l'intérêt général. Les améliorations proposées sont bienvenues.
Un procès pourrait avoir lieu quand l'abolissement temporaire du jugement résulte du fait fautif du mis en cause. Cela respecte la place des victimes mais risque d'entraîner encore plus de frustrations. Nous avons également des doutes sur la solidité juridique de l'appellation proposée.
Le texte précise que la consommation d'alcool ou de stupéfiants est une circonstance aggravante : c'est fondamental et nous sommes étonnés que ce ne soit pas déjà le cas pour tous les crimes et délits, dont la torture et la barbarie.
Nous ne souscrivons pas à l'ensemble des mesures proposées mais sommes favorables au renforcement des peines contre ceux qui commettent des crimes sous l'influence de la drogue ou de l'alcool.
Ce texte contribue à l'amélioration de notre droit pénal : le groupe INDEP soutiendra son adoption.
Mme Dominique Vérien . - Le meurtre de Sarah Halimi nous a tous choqués. Nous étions nombreux à attendre le procès pour mieux comprendre comment l'antisémitisme se développe chez nos jeunes, pour mieux le combattre. Nous devons lutter contre ce fléau pour faire Nation. La bêtise engendre la haine qui engendre la violence meurtrière qui est punie par la loi. Nous attendions la justice pour Sarah, pour sa famille, pour nous tous. Or il n'y eut pas de procès.
En plus d'être antisémite, le meurtrier était drogué ; c'est la somme de ces deux facteurs qui l'a conduit à tuer Sarah Halimi, mais au moment des faits, une bouffée délirante lui aurait retiré son discernement...
Si l'on peut juger les imbéciles, les méchants et les violents, on ne juge pas les fous. Savoir si c'est la drogue qui a mené à la maladie mentale ou l'inverse relève du débat médical. Aucun des experts n'a remis en cause la folie du meurtrier au moment du crime, pas plus que l'influence de la consommation de cannabis sur cette folie. Nous voici au point qui nous préoccupe : l'article 122-1 du code pénal doit-il s'appliquer à une personne dont le discernement a été altéré de son propre fait ?
Notre droit et notre justice s'opposent à ce que l'on juge une personne dont le discernement a été aboli au moment du crime, quelles qu'en soient les causes. Mais faut-il distinguer ceux dont le libre arbitre les a quittés de leur propre fait et les victimes collatérales de leur propre état ? La justice est réparatrice pour les victimes, et la reconnaissance de culpabilité de l'auteur est une reconnaissance du statut des victimes. C'est l'objet de cette proposition de loi : si l'auteur est à l'origine de l'abolition de son discernement, il faut rendre justice aux victimes par un procès public. Dans le cas présent, l'auteur aurait pu présenter ses excuses aux victimes. Il est en hôpital psychiatrique. Peut-il sortir sans obligation de soins ? C'est aux médecins de répondre, alors qu'il aurait été bon que le juge évalue sa dangerosité au moment de sa sortie.
Grâce à Nathalie Goulet et Jean Sol, nous avons ce débat nécessaire. Le texte est équilibré et le groupe UC le votera, en espérant que le Gouvernement saura s'en inspirer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Catherine Deroche . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En tant que législateur, il est des combats que nous pouvons mener, des besoins que nous pouvons satisfaire. Mais il est d'autres sujets plus difficiles, qui demandent de l'humilité, comme l'irresponsabilité pénale.
Nous percevons l'incommensurable douleur des victimes, leur soif de justice et leur volonté d'obtenir réparation. Nos questionnements restent insatisfaits puisque l'irresponsable, par définition, ne peut répondre de ses actes : il laisse la société et les victimes sans réponse.
Dans la commune dont j'étais maire, un jeune schizophrène a tué sa petite amie, détruisant deux familles.
Au-delà de la misère de la psychiatrie en France, les travaux de la commission des lois et de la commission des affaires sociales ont souligné les difficultés d'une expertise psychiatrique de plus en plus rare, et mal pilotée. Il fallait que cet aspect de la question ne fût pas occulté. Le ministère de la Justice doit progresser, car nous partons de loin et ce dossier ne semble pas géré par la Chancellerie.
Nous devons trouver un équilibre difficile entre le besoin de réparation des victimes et la question de l'incarcération des personnes malades.
La rédaction initiale de la proposition de loi reconnaissait la notion d'exposition volontaire aux substances psychoactives. Il est indispensable de laisser le juge évaluer la situation. La loi ne peut pas tout prévoir.
Nous devons nous assurer d'une prise en charge correcte des troubles psychiatriques. Je forme le voeu que notre débat y contribue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; quelques membres du groupe UC applaudissent également.)
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a 18 mois, j'interpellais le Premier ministre Édouard Philippe après la décision de la cour d'assises : cette décision disait le droit, mais était-elle juste ? Embarrassé, il a répondu mi-figue, mi-raisin : le droit, oui, le juste, non.
Nous avons attendu la décision de la Cour de cassation avec beaucoup d'espoir. Le massacre de Mme Halimi a ému tout le pays et pas seulement la communauté juive. Si la Cour de cassation avait décidé d'un procès, peut-être ne serions-nous pas en train d'envisager de modifier la loi. Malheureusement, elle ne l'a pas fait ; les magistrats se sont défendus en disant que la loi ne permettait pas de distinguer ce qui provoque l'irresponsabilité pénale et ont légitimement renvoyé le problème vers le législateur.
Nous voici avec ce texte mal ficelé. On ne légifère pas dans l'émotion, mais à la demande de la Cour de cassation.
Il ne s'agit pas de juger les fous, comme au Moyen-Âge, avec capuchon et oreilles d'âne. Et d'ailleurs, au Moyen-Âge, on ne jugeait pas non plus les fous...
En cas de maladie mentale, il s'agit simplement de trouver des solutions acceptables pour la société et pour les victimes.
Mais en l'espèce, l'auteur des faits s'est rendu lui-même irresponsable. Certains disent que c'est la société qui l'aurait tourné vers la drogue...
Dans la balance, il y a la liberté individuelle et les droits individuels. Je compte sur les magistrats pour en tenir compte. Il y a la défense de la société, de ce que nous voulons incarner. Comment la société traite-t-elle les victimes ? Si on leur répond par l'article 122-1, on est déconnecté de la réalité.
Il y a des familles. Servez-les ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°5, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Éliane Assassi. - Alors qu'une majorité s'est dégagée pour ne pas toucher à l'article 122-1 du code pénal, cet article premier pourrait le faire tomber. C'est pourquoi nous demandons sa suppression.
Mme la présidente. - Amendement identique n°7, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Jean-Pierre Sueur. - La solution imaginée par la commission des lois n'est pas réaliste. D'abord, la chambre de l'instruction procède à de vraies audiences, contradictoires et publiques ; ce n'est pas le rôle d'un tribunal correctionnel ni surtout d'une cour d'assises de déclarer l'irresponsabilité ou de décider une hospitalisation sous contrainte. On change l'équilibre de notre processus judiciaire. Il faut que la chambre de l'instruction fasse son travail.
D'autres amendements du groupe SER prennent en compte les cas où l'auteur organise sa propre irresponsabilité.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Avis défavorable. Il n'y a pas de contournement, madame Assassi. L'article 122-1 du code pénal demeure en l'état, tout le bloc de l'instruction est maintenu. Ce n'est qu'en cas de fait fautif qu'il y a renvoi devant la juridiction de jugement.
Monsieur Sueur, la chambre de l'instruction n'est pas une juridiction de jugement ; elle ne prononce pas de peine et peut statuer en l'absence du mis en cause.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Sagesse, au nom de la nécessité de débattre de ces questions.
Je suis défavorable à l'article premier et au texte dans son ensemble mais ne nous privons pas d'une discussion constructive.
Les amendements nos5 et 7 ne sont pas adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié bis, présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Retailleau, Allizard, Anglars, Bascher, Bazin et Belin, Mme Bonfanti-Dossat, M. Bonne, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mmes Boulay-Espéronnier, Bourrat et V. Boyer, MM. Burgoa, Cadec et Calvet, Mmes Canayer et Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mmes Chauvin et de Cidrac, M. Cuypers, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mmes Demas, Deromedi, Deseyne, Drexler, Dumas, Dumont et Estrosi Sassone, MM. B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud et Goy-Chavent, MM. Grand et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Imbert, Jacques et Joseph, MM. Klinger et Laménie, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Le Gleut, Le Rudulier et Longuet, Mmes Lopez et Micouleau, M. Milon, Mme Muller-Bronn, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Piednoir et Pointereau, Mme Raimond-Pavero, MM. Regnard, Rojouan, Saury, Sautarel et Savary, Mme Schalck, MM. Sido et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon et MM. C. Vial et Vogel.
Alinéa 2
Supprimer le mot :
temporaire
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Nous précisons davantage la portée de l'article premier : cet amendement renvoie au juge saisi au fond le soin de statuer sur le caractère temporaire ou non de cette abolition.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - C'est tout à fait contraire à l'esprit du travail de la commission. Cet amendement déséquilibre totalement le texte. Autant supprimer l'article 122-1 ! Retrait ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - En cas d'abolition permanente du discernement, on juge un fou au moment du procès, ce qui est contraire à notre souhait. Il faut que l'accusé soit à même de comprendre le procès. Avis évidemment défavorable.
L'amendement n°4 rectifié bis est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Retailleau, Allizard, Anglars, Bas, Bascher, Bazin et Belin, Mme Bonfanti-Dossat, M. Bonne, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mmes Boulay-Espéronnier, Bourrat et V. Boyer, MM. Burgoa, Cadec et Calvet, Mmes Canayer et Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mmes Chauvin et de Cidrac, M. Cuypers, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mmes Demas, Deromedi, Deseyne, Drexler, Dumas, Dumont et Estrosi Sassone, MM. B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud et Goy-Chavent, MM. Grand et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Imbert, Jacques et Joseph, MM. Klinger et Laménie, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Le Gleut, Le Rudulier et Longuet, Mmes Lopez et Micouleau, M. Milon, Mme Muller-Bronn, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Piednoir et Pointereau, Mme Raimond-Pavero, MM. Regnard, Rojouan, Saury, Sautarel et Savary, Mme Schalck, MM. Sido et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon et MM. C. Vial et Vogel.
Alinéa 2
Supprimer le mot :
fautif
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - La notion de fait fautif est difficile à circonscrire. Elle pourrait être entendue comme renvoyant nécessairement à une infraction pénale. Or une consommation excessive d'alcool au domicile ne l'est pas, pas plus que la non prise de médicaments en l'absence d'obligation de soins prononcée par l'autorité judiciaire. Retirons donc le mot « fautif ».
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Sagesse.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je ne puis être favorable à un amendement qui élargit le domaine d'application de l'article premier, auquel je suis défavorable.
M. Bruno Retailleau. - Nous nous accordons tous sur un principe : ne pas juger les fous. C'est pourquoi Jacqueline Eustache-Brinio a retiré l'amendement n°4 rectifié bis. En revanche, le statu quo est impossible. Les victimes ou leurs familles ont besoin d'un procès.
La ligne de crête de la commission des lois est bonne, entre causalité et abolition volontaire du discernement. Nous visons le fait générateur de l'abolition, en général ; or le fait fautif renvoie systématiquement à une infraction pénale, ce qui atténue le dispositif. Jacqueline Eustache-Brinio a donné deux exemples probants. Nous soutenons cet amendement.
L'amendement n°3 rectifié bis est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°8, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 2
Après le mot :
statuera
insérer les mots :
, avant l'examen au fond,
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous sommes défavorables à l'article premier, mais nous proposons ici une précision procédurale : que l'irresponsabilité soit examinée avant l'examen de l'affaire au fond. Lorsqu'une cour d'assises est saisie, il faut traiter d'emblée la question de l'irresponsabilité pénale.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Sagesse positive car la commission n'a pu en évaluer l'effet, mais vous avez compris le dispositif : on ne défère que les gens dont le discernement a été temporairement aboli.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable. Comment dissocier l'examen de l'irresponsabilité pénale et le fond du dossier ? Je ne vois pas.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est pourtant ce que fait la chambre de l'instruction : elle examine la question de l'irresponsabilité pénale sans statuer sur le fond.
M. André Reichardt. - Je partage l'opinion du garde des Sceaux car nous serons alors en audience de jugement. Il est totalement impossible de dissocier l'irresponsabilité du fond.
L'amendement n°8 est adopté.
L'article 1, modifié, est adopté.
ARTICLES ADDITIONNELS après l'article premier
Mme la présidente. - Amendement n°10, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 122-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le discernement est la conscience de l'acte commis, de ses conséquences et la capacité à en apprécier la nature et la portée. »
M. Jean-Pierre Sueur. - Le discernement est nécessaire à l'établissement de l'imputabilité, élément indispensable pour répondre pénalement des conséquences de ses actes. Il est ensuite une composante essentielle de la capacité pénale, qui suppose de comprendre le sens de la sanction.
C'est pourquoi il nous est apparu opportun d'inscrire dans le code pénal une définition de cette notion.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Avis du Gouvernement ?
M. André Reichardt. - Et le Larousse ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le discernement, c'est savoir ce que l'on fait. Ce n'est pas plus compliqué que cela. Votre définition risque d'apporter de la complexité.
Le discernement a été défini dans le code de justice des mineurs : « est considéré comme doué de discernement le mineur qui a compris et voulu son acte et est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l'objet. »
La notion de discernement est utilisée depuis une loi de juillet 1922 et l'absence de définition n'a jamais posé problème. Avis défavorable.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Avis défavorable donc.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La notion de discernement est très utilisée en droit pénal ; comme vous le rappelez, nous avons éprouvé le besoin de la définir pour les mineurs. Pourquoi pas pour les majeurs ? Nous avons besoin d'une clarification.
L'amendement n°10 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°9, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du titre II du livre Ier du code pénal est complété par un article 122-... ainsi rédigé :
« Art. 122-.... - Est pénalement responsable la personne qui a volontairement provoqué une perte de discernement aux fins de commettre l'infraction, notamment par la consommation de boissons alcooliques, de drogues toxiques, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de substances ayant des effets similaires. »
M. Jean-Pierre Sueur. - Cet amendement prévoit la possibilité d'imputer la responsabilité à l'auteur d'une infraction si l'abolition de son discernement est la conséquence exclusive de la prise volontaire de toxiques. Il s'inspire de l'article 20 de la loi organique espagnole du 23 novembre 1995 portant nouveau code pénal.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - La division de législation comparée du Sénat a fait une étude exhaustive sur le sujet. Certes, le droit espagnol introduit une zone d'exception à l'article 122-1 mais c'est justement ce que nous voulons éviter. De plus, votre proposition est déjà largement appliquée par la jurisprudence. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Votre amendement pose une vraie question à laquelle je ne suis pas insensible. Il y aurait la folie endogène et celle qui serait exogène, liée à la consommation d'alcool ou de stupéfiants. C'est une piste à laquelle je travaille, et qui figure dans le projet de loi soumis au Conseil d'État ; retrait à ce stade, sinon avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je suis sensible à votre intérêt, monsieur le garde des Sceaux, mais l'argument de la préparation d'un texte gouvernemental n'est pas audible.
L'amendement n°9 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le septième alinéa de l'article 706-136 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« ...° Une obligation de soins. »
M. Guy Benarroche. - Les personnes déclarées irresponsables peuvent être admises en soins psychiatriques sur le modèle des soins sans consentement. Cet amendement prévoit que le juge prononce, en complément de cette hospitalisation, une mesure de sûreté d'obligation de soins pouvant aller jusqu'à vingt ans.
De nombreuses mesures sur l'expertise sont de niveau réglementaire, mais celle-ci est de niveau législatif. Évitons les sorties sèches.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Avis favorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le juge c'est le juge, le médecin c'est le médecin...
Mme Éliane Assassi. - (Opinant du chef) Exactement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est une ligne rouge qu'il serait inquiétant de franchir.
L'amendement n°2 est adopté et devient un article additionnel
(M. Guy Benarroche s'en réjouit.)
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°6, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Éliane Assassi. - L'article 2 crée une aggravation des peines pour les crimes et délits commis en état d'intoxication. Le sujet de la consommation de stupéfiants ou d'alcool relève du sanitaire plutôt que du pénal !
Ces comportements ne sont pas nécessairement fautifs ; ils sont parfois la conséquence et non la cause de la maladie. C'est très fréquent dans les psychoses, car les toxiques soulagent.
Il n'est pas concevable de revoir l'échelle des peines au détour d'une proposition de loi de circonstance.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Avis défavorable. La consommation d'alcool et de stupéfiants apparait souvent dans la jurisprudence, mais il est apparu que sept types de crimes et délits - actes de torture et de barbarie, meurtre, coups et blessures ayant entraîné la mort, violences volontaires, homicides et blessures involontaires - n'étaient pas aggravés par ce type de consommation. C'est pourquoi nous proposons cette disposition globale.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous soutenons cet amendement. L'application de l'article 45 de la Constitution est pour le moins aléatoire : cet article 2 va bien au-delà de l'objet du texte. En outre, ne mélangeons pas ce qui relève du sanitaire et ce qui relève du judiciaire.
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
ARTICLES ADDITIONNELS après l'article 2
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mmes V. Boyer et Billon, MM. Pellevat et Frassa, Mmes Garriaud-Maylam et Belrhiti, MM. Charon et Savary, Mmes Borchio Fontimp et Micouleau, MM. Sido et Laménie, Mmes Garnier et Imbert, MM. J.M. Boyer, H. Leroy et Milon, Mme Gosselin et MM. D. Laurent, Savin et Bouchet.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'avant-dernier alinéa de l'article 222-14 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L'impact de ces violences sur la victime est pris en compte pour l'application des articles 122-1, 122-2 et 122-5 lorsque sa responsabilité pénale est engagée. »
Mme Valérie Boyer. - Merci à la commission pour son avis favorable. Je songe à Stéphanie, 22 ans, abattue récemment à Hayange par son conjoint... La lutte contre les violences conjugales concerne toute la société, c'est un combat universel, mais il n'avance jamais assez vite.
Je rends hommage à Nathalie Tomasini, avocate de Valérie Bacot, accusée d'avoir tué en 2016 son mari au terme de plusieurs dizaines d'années d'horreurs. Elle encourt une peine de prison à perpétuité. Sans nous ériger en juges, demandons-nous : est-elle une meurtrière ou une victime ?
Pour la première fois en France, l'expert a fait mention du syndrome de la femme battue, reconnu au Canada depuis 1990, et dans lequel la victime est dans un tel état de soumission qu'elle n'est plus capable de prendre de décisions. La plupart du temps, cela se termine par un suicide, mais parfois, la victime se retourne contre son bourreau, dans une ultime pensée : lui ou moi. Il ne s'agit pas de délivrer un permis de tuer mais de prévoir une irresponsabilité étendue.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Avis favorable après rectification de l'amendement à la demande de la commission.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'y suis tout à fait défavorable. C'est irrecevable et dangereux. Cette disposition n'est pas normative, même si je comprends l'objectif. Le droit pénal doit être infiniment précis.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cet amendement est gênant. Nous sommes tous convaincus de la nécessité de lutter contre les violences conjugales. Lors d'un jugement, les circonstances atténuantes sont évidemment examinées.
Nous traitons d'un sujet lourd et au détour de ce texte, vous proposez un amendement qui n'est pas abouti mais revoit l'échelle des peines : nous ne le voterons pas.
Mme Valérie Boyer. - Chacun comprend mon objectif. Dans les violences conjugales, le discernement peut être altéré car la personne est en danger de mort permanent : c'est de la torture mentale. Je travaille cette question depuis de nombreuses années, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Cette évolution est attendue.
Mme Annick Billon. - Les violences faites aux femmes alimentent l'actualité, hélas ! Les agresseurs isolent leur victime par l'emprise. Cet amendement apporte enfin une réponse à cette situation d'agressions, de viols, de torture psychologique. Les victimes n'ont jamais le statut de victime ! Je remercie Valérie Boyer d'avoir déposé cet amendement, que je voterai.
Mme Dominique Vérien. - Il y a peut-être un problème de rédaction, puisque l'on parle de « l'impact de violences sur la victime », alors que l'atténuation concerne l'auteur... (M. le garde des Sceaux renchérit.)
L'amendement n°1 rectifié est adopté
et devient un article additionnel.
Mme la présidente. - Amendement n°11, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 158 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il est ajouté aux questions techniques mentionnées au premier alinéa une question spécifique destinée à identifier une participation active à la perte de discernement. »
M. Jean-Pierre Sueur. - L'une des raisons des divergences entre experts quand le passage à l'acte a lieu sous toxique tient au fait que certains tiennent compte de la position psychique du sujet au moment de la prise de la substance psychoactive pour rejeter l'atteinte au discernement, quand d'autres se limitent strictement à la caractérisation de l'état psychique au moment de l'acte.
Pour y remédier, inscrivons dans la nomenclature la nécessité de décrire les conditions, les motivations et les conséquences entravant ou abolissant le contrôle des actes.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Sagesse négative, car cela relève du pouvoir réglementaire. Avis du Gouvernement néanmoins ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Cela relève effectivement du domaine réglementaire : avis défavorable.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Avis défavorable donc.
L'amendement n°11 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
ARTICLE 4
Mme Éliane Assassi . - Cet article restreint l'examen clinique en garde à vue en excluant les expertises reprises par l'instruction judiciaire.
Cela va dans le bon sens et nous voterons donc cet article 4, sans toutefois voter l'ensemble de la proposition de loi.
L'article 4 est adopté, de même que les articles 5, 6, 7, 8, 9 et 10.
Vote sur l'ensemble
M. Guy Benarroche . - Je suis conscient de l'émoi, de la colère face au sentiment que l'irresponsabilité pénale permettrait aux mis en cause d'échapper à la justice. Mais ce n'est pas le cas : la chambre de l'instruction se prononce sur l'irresponsabilité après un débat qui peut durer de longues heures.
De plus, l'auteur fait l'objet, en général, de mesures très longues de privation de liberté : il est souvent hospitalisé sous contrainte, avec des mesures de sûreté pouvant aller jusqu'à vingt ans, afin d'être soigné et d'éviter toute récidive.
Ce texte n'apporte pas de solutions ; au contraire, avec l'amendement à l'article premier qui supprime le fait « fautif », il introduit un déséquilibre. Pour exprimer sa volonté de conserver intact l'article 122-1 et sa confiance envers les magistrats et les experts, le GEST ne votera pas ce texte.
M. Jean-Pierre Sueur . - Aucune des trois propositions concrètes de notre groupe n'a été retenue. Nos arguments sur le caractère fallacieux du recours à la juridiction de fond n'ont pas été pris en compte. Nous avons obtenu gain de cause sur un amendement, mais pour une situation que nous ne souhaitions pas créer par la loi.
Même s'il faut conserver l'article 122-1, le statu quo est impossible ; c'est pourquoi le groupe SER ne peut voter contre. Nous sommes convaincus que l'on reviendra à nos amendements dans la suite de cette réflexion.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
Prochaine séance demain, mercredi 26 mai 2021, à 15 heures.
La séance est levée à 20 h 40.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 26 mai 2021
Séance publique
À 15 heures
Présidence :
M. Gérard Larcher, président Secrétaires : M. Jean-Claude Tissot M. Daniel Gremillet
1. Questions d'actualité
De 16 h 30 à 20 h 30
Mme Valérie Létard, vice-présidente
2. Proposition de loi d'urgence visant à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise (n°531, 2020-2021)
3. Proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal (n°530 rect., 2020-2021)