Pacte vert européen
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le Pacte vert européen.
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains . - Alors que notre assemblée entamera prochainement le long examen du projet de loi Climat, il a semblé important au groupe Les Républicains de débattre en amont du cadre européen.
Le projet de Pacte vert a été présenté en décembre 2019 par la Commission européenne pour atteindre la neutralité carbone en 2050, reconquérir la biodiversité et mettre un terme à la dégradation de l'environnement. Son fil rouge est de parvenir dans les trente prochaines années à une transformation complète du modèle de croissance de notre continent.
Cela implique des changements d'ampleur dans de nombreux domaines d'activité - énergie, industrie, construction, recherche, recyclage, agriculture.... Plusieurs dizaines de règlements et de directives seront modifiés dans les mois à venir.
Prochainement sera adopté le paquet « Ajustement à l'objectif 5 » pour réduire de 55 % les émissions carbone d'ici 2030.
Il faut mesurer la marche qui nous attend : entre 1990 et 2018, nous n'avons réduit nos émissions que de 23 %. Malgré les progrès techniques, l'effet sera considérable : en seulement huit ans, il nous faudra augmenter nos efforts de 40 % par rapport aux trente dernières années.
La Commission européenne mobilisera 1 000 milliards d'euros sur dix ans dans le cadre du plan d'investissement pour la transition écologique annoncé en janvier 2020 - soit l'équivalent du plan Juncker, qui prévoyait 500 milliards d'euros sur cinq ans.
En réalité, il faudrait 2 000 milliards d'euros pour tenir nos engagements. Et ce ne sont pas les 275 milliards affectés à la transition écologique dans le cadre du plan de relance européen qui suffiront...
Aussi, les États membres devront être mis à contribution : la France devrait engager 100 milliards d'euros selon l'Insee pour atteindre la neutralité climatique, contre 45 milliards d'euros dépensés en 2018.
Dès lors, il faudra mobiliser le secteur privé. La notion de développement durable repose sur trois piliers : soutenabilité écologique, efficacité économique et équité sociale. Sauf à voir l'édifice s'écrouler, on ne peut prétendre construire le premier pilier sans renforcer les deux autres.
Parmi les 1 000 milliards d'euros d'investissement, 100 milliards seront consacrés à la transition juste, pour l'équité entre les territoires. Les entreprises seront au coeur de cette transformation. Leur capacité à investir, à innover pour créer de nouveaux modes de production, à assumer de nouvelles contraintes, nous aidera à atteindre nos objectifs. Une politique industrielle volontariste est indispensable. Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) autorisent un soutien dérogatoire aux règles en matière d'aides d'État pour les filières industrielles innovantes, et peuvent être un instrument fort. La volonté de relocalisation doit être une boussole.
Il convient également de faire preuve de pragmatisme en reconnaissant le rôle majeur du nucléaire dans la décarbonation. C'est une énergie adaptée aux besoins et abordable. Ne pas l'intégrer dans la taxonomie sur la finance verte est une aberration.
Il faut faire preuve de pragmatisme commercial, avec des conditions de concurrence équitables et un mécanisme carbone aux frontières.
Les stratégies « Biodiversité » et « De la ferme à la table », conjuguées à la nouvelle architecture verte de la PAC, laissent entrevoir une baisse de la production en Europe. Faute d'étude d'impact européenne, le ministère américain de l'agriculture estime que notre production devrait chuter de 12 %. Cela doit nous interroger sur l'évaluation des conséquences de nos objectifs climatiques.
La transition annoncée exige des efforts gigantesques, mais elle s'enlisera si elle se borne à interdire et à taxer. Il faut en faire un levier de création d'emplois et de richesses, en mobilisant le génie européen pour concevoir les technologies bas carbone de demain. La créativité et le pragmatisme seront les maîtres-mots de nos succès. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et UC ; M. André Gattolin applaudit également.)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité . - Merci pour votre invitation à cet échange sur le Pacte vert européen, qui doit beaucoup à la volonté de la France d'accélérer la transition écologique en Europe.
Le Président de la République l'a exprimé dès 2017 dans son discours de la Sorbonne : « L'Europe doit être à l'avant-garde d'une transition écologique efficace et équitable. »
Présenté en décembre 2019, le Pacte vert reprend cette vision d'une transition juste. Il prévoit la neutralité carbone en 2050 tout en rendant durables toutes les politiques de l'Union, et conçoit l'action publique comme ne nuisant pas à l'environnement et au climat.
Il comprend de nombreuses propositions françaises comme la réforme du marché carbone européen, la création d'un mécanisme carbone aux frontières et un fonds pour accompagner les territoires les plus fragiles.
Français, nous avons une responsabilité particulière dans son application. Nous devrons y être vigilants et nous l'avons été lors de la crise sanitaire et de la négociation du plan de relance européen. Le risque était grand de voir ce pacte relégué au second rang, comme ce fut le cas en 2009.
Le Pacte vert met au coeur du budget 2021-2027 et du plan de relance les questions environnementales. 30 % des crédits y seront consacrés.
La Commission européenne a finalisé plusieurs stratégies d'application. Nous entamons maintenant la construction d'une Europe durable et neutre en carbone, avec un objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.
Le 14 juillet, 13 propositions législatives seront présentées pour appliquer concrètement les objectifs du Pacte vert. La présidence française de l'Union européenne en fera une priorité.
Avec la loi Climat et résilience et celle sur le gaspillage et l'économie circulaire, la France s'engage aussi à l'échelle nationale. Nous devrons porter et décliner ces dispositifs et faire avancer les propositions de la Convention citoyenne sur le climat, comme le verdissement de la fiscalité énergétique.
La finance verte et la politique commerciale jouent également un rôle important.
Les objectifs climatiques européens devront progresser sous la présidence française, grâce notamment à une meilleure tarification du carbone et à la création d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, novateur et ambitieux.
La décarbonation devra s'appliquer à tous les secteurs, notamment dans les domaines des transports - avec une réforme contraignante et des mesures incitatives pour l'accélération des véhicules à faible émission, le report modal et les carburants alternatifs - des énergies renouvelables, du bâtiment, de l'agriculture. Pour être systémique, cette politique doit aussi être juste. C'est l'esprit de la Convention citoyenne pour le climat comme du Pacte vert européen.
Lors de la présidence française, nous agirons notamment sur l'usage du plastique et le cycle de vie des produits, dans la lignée des mesures de la loi sur le gaspillage et l'économie circulaire. Notre défi, c'est de mobiliser nos partenaires sur ces sujets.
Les consommateurs doivent avoir les moyens de faire des choix éclairés.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Nous devrons aussi prendre des mesures sur les produits chimiques, et réfléchir sur les origines du coronavirus, notamment par le concept One Health. La biodiversité ne sera pas oubliée. Nous devons maintenir une cohérence entre les politiques française, européenne et notre engagement intellectuel.
M. Henri Cabanel . - Nous voulons une agriculture verte, mais à quel prix ? La négociation de la PAC n'a pas encore abouti.
Pourtant, le verdissement de l'agriculture est nécessaire et non négociable. Le projet européen « De la ferme à la table » le rappelle : il faut une agriculture sûre, nutritive, de qualité élevée, ce qui nécessite une feuille de route claire.
L'Union européenne assume des objectifs politiques forts pour lutter contre le changement climatique avec le Pacte vert. Restent cependant les questions écologiques pour nos agriculteurs : quid des éco-régimes, avec quels taux ? Si la négociation est rude, il faut rester optimiste.
L'attente sociétale est réelle et l'échelle européenne est la plus adaptée pour y répondre, notamment pour éviter toute concurrence déloyale entre États membres.
Cela entraînera toutefois de nouvelles démarches administratives pour les agriculteurs, avec des dossiers bien fastidieux à remplir, et de longs délais d'instruction. Une simplification est-elle envisagée ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Il faut effectivement veiller à éviter toute distorsion de concurrence. Avec les éco-régimes, Julien Denormandie a pris l'engagement de sécuriser nos agriculteurs. La PAC doit être un outil d'accompagnement : nous défendrons la simplification et avons obtenu l'inscription du droit à l'erreur dans la PAC.
Le même souci nous occupe au niveau national concernant la mise en oeuvre d'un éco-régime unique. Nous serons très vigilants dans les futures négociations.
M. Pierre Laurent . - Avec le Pacte vert, l'Union européenne prend des engagements forts, même si le GIEC nous alerte sur le retard pris.
Cela nécessite des financements. La Banque centrale européenne (BCE) et les banques ont un rôle majeur à jouer. Pourtant, selon Oxfam et Les Amis de la Terre, elles financent largement les énergies fossiles : BNP-Paribas, Société générale, Crédit agricole et Banque populaire financent à hauteur de 100 milliards de dollars des entreprises développant des énergies fossiles. Ces établissements sont tellement exposés aux entreprises du secteur des énergies fossiles qu'ils n'ont aucun intérêt à réorienter leurs engagements. Que comptez-vous faire pour les inciter à revoir leurs critères de financement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La taxonomie ne donne pas d'orientation forte mais un cadre. J'entends les interrogations et je vois que les banques veulent verdir leur action. Avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l'Agence française de développement (AFD), la France mobilise aussi des financements. Elle a une exigence de reporting renforcée.
Les clients des banques sont aussi en recherche de financements d'actions vertes. La Banque européenne d'investissement (BEI), transformée en banque du climat, travaille à cet effet sur la création d'un label pour rassurer les consommateurs.
M. Pierre Laurent. - Vous me parlez d'intentions, pas de faits. La BCE a réalisé 1 700 milliards d'euros de rachats d'actifs. À quoi servent-ils ? Elle financerait 62 projets gaziers !
Selon le gouverneur de la Banque de France, il faudra trois à cinq ans pour intégrer la variable climatique, or c'est maintenant que tout se joue. Si l'on ne fait rien, le Pacte vert restera aussi vert qu'une mine de charbon !
Mme Denise Saint-Pé . - L'objectif du Pacte vert est ambitieux ; il dessine un cap, celui de la neutralité carbone à 2050, et une trajectoire.
Il prévoit des outils comme la taxonomie verte pour distinguer les activités économiques durables. Mais il exclut l'énergie nucléaire, pourtant décarbonée, non intermittente, pilotable, source de nombreux emplois qualifiés et non-délocalisables ! En juin 2020, le Parlement européen a voté un règlement laissant la porte ouverte à une réintégration du nucléaire et la Commission elle-même envisage de corriger cette situation par le biais d'un acte délégué avant la fin 2021.
Le Président de la République et plusieurs dirigeants européens ont écrit en mars 2021 à la Commission européenne pour défendre le nucléaire : je tiens à saluer cette initiative. Les discussions ont-elles progressé depuis ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La taxonomie est la clé de voûte du plan d'action de la Commission. Il s'agit d'identifier la part verte des activités et d'éviter l'éco-blanchiment. La France a participé activement à sa construction ; elle devrait être opérationnelle fin 2022.
Le nucléaire fera l'objet d'un acte délégué complémentaire. Plusieurs États membres, notamment en Europe de l'Est, comptent dessus pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.
La Commission européenne a mandaté plusieurs groupes d'experts afin d'évaluer les impacts environnementaux, de façon dépassionnée. Le premier rapport est plutôt favorable au nucléaire. La France sera vigilante à l'aboutissement rapide de ce processus, sur la base de critères incontestables.
M. Jean-Yves Leconte . - L'objectif européen de neutralité carbone en 2050 est très ambitieux. La baisse des émissions est en trompe-l'oeil car elle ne tient pas compte de nos importations extra-européennes, très émettrices. La baisse doit être globale !
C'est un défi scientifique et il faut faire attention aux effets pervers. Les puits de carbone que sont les forêts, mis en avant par les États, doivent être finement évalués, car ils sont très variables. Les activités économiques sont aussi à évaluer.
Il est indispensable que la taxonomie soit révisée en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques. Comment intégrer l'évaluation continue des outils, non seulement dans l'Union européenne mais aussi dans la négociation de nos accords commerciaux ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Votre interrogation rejoint les travaux sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Cet outil fait consensus mais il faut continuer à l'expertiser avant de le mettre en conformité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Les puits de carbone sont recensés dans des inventaires très sérieux. L'ensemble des politiques européennes ont fait l'objet d'études d'impact détaillées. Les enjeux sont majeurs, notamment l'adaptation des forêts au changement climatique. Ces sujets sont examinés par le Centre commun de recherche qui assiste la Commission européenne.
M. Gérard Longuet . - Ma question a déjà été posée par Mme Saint-Pé et la réponse me convient. N'oublions pas que la France maîtrise parfaitement le traitement des déchets à durée de radioactivité très longue.
Le Pacte vert intègre-t-il la notion de densité de territoire ? D'un côté, les habitants des zones à faible densité entretiennent les puits de carbone, de l'autre, ils subissent des coûts de transport plus élevés que les autres.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Cette solidarité territoriale doit être envisagée au niveau communautaire. Nous avons déjà des dispositifs d'équilibrage. Je note toutefois ce critère de densité.
M. Gérard Longuet. - L'État a la responsabilité de la déclaration d'utilité publique du site de Cigéo : il faudrait qu'elle sorte avant la fin de l'année...
Mme Vanina Paoli-Gagin . - (M. Jean-Pierre Decool applaudit.) Depuis 2019, ce Pacte nous est dévoilé par des communications mais aussi des dispositions juridiquement contraignantes. Ses ambitions devront se concrétiser dans les territoires, ce qui ne se fera pas sans investissements massifs, correctement fléchés. Le montant du plan d'investissement pour une Europe durable est de 1 000 milliards d'euros sur dix ans. Tous les acteurs, publics et privés, nationaux et européens, devront y contribuer. Les régions les plus en retard bénéficieront d'un financement de rattrapage.
La réussite de ce Pacte vert est une question de calendrier et de ciblage. Nous devons faire de la crise sanitaire un accélérateur de transition ; il faut concentrer nos investissements autour ce sursaut vital. Les territoires connaissent leurs besoins, c'est pourquoi nous prônons approche ascendante, plateforme public-privé et circuits courts dans le déploiement des financements et l'accès aux fonds européens.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Ce Pacte vert nous a donné une nouvelle vision sur la stratégie de croissance de l'Union européenne et sur ses priorités. Pas moins de 30 % du nouveau budget européen et du plan de relance ira à la lutte contre le changement climatique.
En bénéficier a demandé une grande réactivité et je salue tous les opérateurs de l'État, préfectures, Dreal, etc, qui ont accompagné les projets, dans des délais très contraints.
Le plan France Relance sera financé à 40% par le plan de relance européen. Le Gouvernement est vigilant à ce qu'il soit compréhensible et accessible pour les bénéficiaires, dont les PME et les collectivités. Sa mise en oeuvre dans les territoires est le fruit de la méthode conclue en 2020 entre l'État et les régions, qui joueront un rôle majeur. Les comités des financeurs seront systématisés et des guides seront publiés.
M. Jacques Fernique . - Les transports ont un potentiel important. Rappelons qu'ils sont responsables d'un quart des émissions de l'Union européenne. Il faut articuler le cadrage européen et la volonté politique nationale, déterminante : notre pays est-il moteur ou frein ? Où en sommes-nous du transfert modal vers le rail, alors que 2021 est l'année européenne du rail ? Les discours sont bons, les mesures concrètes le sont moins.
Une TVA à 5,5 % sur le rail serait un bon signal. Où en sommes-nous des modifications tarifaires ? L'Union européenne est un paradis fiscal pour le kérosène, or une étude estime que la taxation de ce carburant conduirait à une baisse de 11% des émissions de gaz à effet de serre.
Où en est-on du Ciel unique européen et de la contribution pollueur-payeur sur le transport de marchandises ? J'espère que la France n'y fera pas obstacle, notamment lors du Conseil européen des ministres des transports de demain.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Ces préoccupations sont au coeur de la politique que nous menons avec Jean-Baptiste Djebbari. Nous avons ardemment travaillé sur le report modal dans la loi d'orientation des mobilités, et voyons aujourd'hui les premiers résultats. La Commission européenne travaille aussi sur les énergies renouvelables. Performance des véhicules légers, évolution du système européen d'échange de quotas, rénovation énergétique des bâtiments : toutes ces politiques concourent à notre objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le Gouvernement, qui a établi un document recensent les positions françaises, intensifiera son action, avec également la publication d'un paquet législatif sur le gaz.
M. Jacques Fernique. - Notre pays doit montrer sa volonté dans la loi Climat, qu'il est encore temps d'améliorer.
M. André Gattolin . - Certes, les investissements européens, tant dans le cadre financier pluriannuel que dans le plan de relance, sont importants, mais ils restent réduits au regard des ambitions affichées. Les politiques structurelles européennes fonctionnent souvent en silo, parfois en contradiction.
Les investissements dans la transformation numérique devraient rendre notre agriculture plus efficiente, grâce au smart farming - ou agriculture de précision - grâce auquel on peut réduire les intrants de 30 %, notamment dans la viticulture, ou limiter la consommation d'eau.
Dans l'alimentaire, les investissements dans les startups ont été de 3,7 milliards d'euros. Cela peut paraître beaucoup mais ce n'est pas encore suffisant. Qu'y a-t-il dans le Plan vert pour améliorer l'efficience écologique et économique de notre agriculture ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Je vous rejoins sur l'importance de décloisonner.
Nous disposons des outils, mais il faut les développer et les rendre accessibles à tous. Il ne s'agit pas de rompre avec les anciennes pratiques mais d'accompagner la transition.
Optimiser les apports en intrants est notre défi commun, pour également réduire la pénibilité et améliorer la chaîne de valeur. L'agriculture collaborative et circulaire est précieuse. Les liens se retissent entre les agriculteurs, grâce au partage de bonnes pratiques.
Le numérique doit cependant respecter la diversité des modes de production ainsi que notre souveraineté sur les données et leur sécurité. Les projets NumAgri ou Agdatahub, plateformes sécurisées d'échange de données agricoles, sont très intéressants à cet égard.
M. Jean-Michel Arnaud . - Nos collectivités territoriales, nos PME et TPE, ont parfois du mal à comprendre comment accéder aux aides européennes. Je pense notamment à deux entreprises des Hautes-Alpes, Acanthis, spécialisée dans les cosmétiques, et Beringer, dans les trains d'atterrissage de petits aéronefs, qui attendent des moyens financiers du Pacte vert. Comment, concrètement, pourront-elles y accéder ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Nous avons des contacts au quotidien avec tous les acteurs de la vie locale dans le cadre du plan de relance. De belles rencontres ont lieu et des entreprises bénéficient de ces aides.
Cette dynamique est pleinement à l'oeuvre et j'en remercie tous les acteurs.
M. Jean-Michel Arnaud. - Merci pour ces considérations générales. Mais le plan de relance n'a pas de traduction concrète. Il y a des blocages avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Les chefs d'entreprise ont des difficultés à obtenir des réponses précises. Je signalerai les cas d'espèces à votre cabinet.
Mme Gisèle Jourda . - Le 12 mai dernier, l'Union européenne adoptait le plan « Vers une pollution zéro dans l'air, l'eau et les sols ». Celui-ci ambitionne de parvenir, d'ici 2050, à un monde dans lequel la pollution est réduite à des niveaux inoffensifs pour la santé humaine et les écosystèmes naturels.
Le Parlement européen a adopté le 28 avril une résolution contre la pollution des sols. Plusieurs sénateurs ont déposé quant à eux une proposition de résolution européenne réclamant une nouvelle directive sur le sujet, après l'abandon, en 2014, de la directive de 2006. Un cadre politique global et cohérent au niveau européen s'impose.
Il faut une mobilisation nationale et supranationale pour élaborer un véritable droit de la protection des sols. La porterez-vous ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Je partage vos préoccupations. La biodiversité dépend aussi de la lutte contre la pollution des sols. Le plan Zéro pollution est ambitieux.
Nous devons renforcer notre action contre la pollution des sols, en étant objectifs. C'est pourquoi un groupement d'intérêt scientifique est référent sur le sujet. La pollution des sols requiert une approche transversale.
Nous avons adopté un objectif ambitieux de zéro artificialisation nette. Nous devons accompagner les territoires, selon une approche fine. Les moyens sont considérables. Le fonds friches a été doté de 350 millions d'euros supplémentaires. Le code minier sera révisé. Nous pourrons ainsi traiter le cas des sols pollués dans les zones urbaines.
Il est prudent d'attendre que le cadre européen soit stabilisé.
Mme Gisèle Jourda. - La pollution des sols post-activités minières ou industrielles ne doit pas être l'oubliée du Plan vert. Il nous faut une directive européenne.
M. Pierre Cuypers . - Quels moyens comptez-vous déployer pour couvrir les risques sanitaires dans le cadre de la prochaine PAC ? Vous annoncez 186 millions d'euros pour la gestion des risques, ce sera insuffisant pour accompagner les agriculteurs.
Les travaux issus du Varenne de l'eau seront cruciaux pour notre agriculture, pour notre Nation, face au changement climatique.
La gestion des risques sanitaires a été occultée dans vos travaux, notamment l'épisode de jaunisse de la betterave. Les indemnisations ont dû passer par les ministères. Les lignes budgétaires sont nettement insuffisantes. La filière betterave va-t-elle devenir un mendiant de la souveraineté alimentaire ? L'État doit prévoir un volet indemnitaire.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Vous avez assisté à l'ouverture du Varenne de l'eau, monsieur le sénateur : il se tiendra jusqu'en janvier et apportera beaucoup de réponses.
Le décloisonnement n'a de sens que dans l'accompagnement de nos agriculteurs, qui fotn face à des difficultés climatiques ou sanitaires.
Quand la filière betteravière a été en difficulté, nous avons agi avec pragmatisme, avec une progression réelle des budgets.
Nous devons apporter des réponses adaptées à chaque filière. Parfois, il doit être question d'adaptation et de politique commerciale plus protectrice.
M. Franck Montaugé . - Selon Mme Von Der Leyen, le Plan vert réduira les émissions tout en créant des emplois. M. Timmermans parle, lui, d'une transition verte « inclusive ». Quel est votre objectif de réduction du chômage de longue durée ?
En matière d'emploi et d'inclusion, quels sont votre méthode - s'il y en a une -, votre feuille de route, vos objectifs ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Une telle transition ne peut s'imaginer sans évolution des métiers ni formation.
Cela suppose des moyens. Les emplois verts représentent une opportunité pour certains de retrouver du sens dans leur vie professionnelle.
Au sommet social de Porto, le Président de la République défendra fermement la position de la France.
M. Franck Montaugé. - Je regrette que votre réponse ne contienne rien de précis. J'espère que le Gouvernement a bien une feuille de route. La France et ses filières ne doivent pas passer à côté du Pacte vert !
M. Cyril Pellevat . - Le Pacte vert est un tournant important dans la politique climatique européenne. L'Union européenne fait preuve d'une ambition sans précédent, mais les objectifs ne pourront être atteints sans réforme de l'agriculture, de l'énergie, des transports ou encore de la gestion et de la valorisation des déchets.
Seules 12 % des matières premières sont issues du recyclage. C'est insuffisant. Pour atteindre une réelle économie circulaire, il faut des incitations, des objectifs chiffrés, pour tous les produits.
Le nouveau règlement sur le transfert des déchets est contre-productif, puisqu'il conduit à une augmentation du stockage et de l'incinération. Les matières premières recyclées sont moins compétitives que les matières premières primaires, qui bénéficient d'un commerce libre. L'empreinte carbone n'est pas assez prise en compte.
Que compte faire le Gouvernement pour renforcer le marché européen des matières recyclées et mieux appliquer la directive cadre ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Je partage votre volonté d'aller vers une économie pleinement circulaire. C'est tout l'objet de la stratégie industrielle proposée en mai par la Commission, qui se mettra en place via des alliances, par exemple pour l'aviation zéro émission ou les batteries.
L'écologie circulaire est vertueuse et crée des emplois verts. Nous restons vigilants cependant sur l'ensemble du cycle de vie, par exemple pour les batteries.
La législation européenne doit encourager la réduction de l'utilisation des plastiques à usage unique, conformément au souhait de la Convention citoyenne pour le climat.
M. Guillaume Chevrollier . - Le Pacte vert est ambitieux. Le défi est immense. Il est urgent de retrouver un équilibre entre l'homme et la nature. Mais il faudrait appliquer à ceux qui exportent vers l'Europe les mêmes règles que nous nous imposons à nous-mêmes ! Le Pacte vert ne doit pas rendre les produits extra-européens plus attractifs. Les agriculteurs, qui aspirent à vivre dignement de leur métier, ne supporteraient pas des distorsions de concurrence supplémentaires.
La stratégie « de la ferme à la table » est bienvenue, mais le Sénat a déploré l'absence de quantification de ses effets. La Commission européenne aurait réalisé une étude qui prévoit une baisse de 10 % de la production de l'Union européenne, qui serait bloquée depuis six mois par le vice-président Timmermans, jusqu'à la fin de la négociation de la PAC. Est-ce exact ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La stratégie européenne doit nous préserver des distorsions de concurrence et garantir la qualité des produits. Cela passe par des plans stratégiques nationaux, qui marient différents enjeux. Au-delà des éco-régimes, ils comprendront d'autres volets comme l'appui aux territoires ruraux. La Commission propose de réviser la politique commerciale pour inclure dans les accords commerciaux la déforestation importée. Nous prenons nos responsabilités et serons très vigilants.
M. Guillaume Chevrollier. - Vous n'avez pas répondu à ma question sur la réduction de la production agricole de 10 %. Il nous faut créer de la valeur en Europe au service d'un développement durable pour que nos agriculteurs puissent vivre de leur travail.
M. Stéphane Piednoir . - Le Pacte vert peut légitimement susciter l'enthousiasme de quiconque se préoccupe de l'avenir du climat.
L'objectif est connu depuis des années : la neutralité carbone au niveau mondial d'ici à 2050. Parmi ces mesures, la réduction des émissions liées aux transports de 90 % par rapport à 1990.
Mais beaucoup reste à faire pour décliner cet objectif dans la pratique. L'Union européenne comporte peu de bornes pour voitures électriques, qui plus est très inégalement réparties. Pour trente millions de voitures à zéro émission en 2030, il faudrait trois millions de bornes, or le Pacte vert vise un million en 2025. Je déplore le décalage entre les objectifs et les moyens mis en oeuvre.
La France sera-t-elle moteur de l'éco-mobilité européenne ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Réduire de 90 % les émissions du secteur des transports, c'est énorme. Mais certaines trajectoires, dans le domaine automobile notamment, vont beaucoup plus vite que prévu.
La stratégie nationale bas carbone comporte plusieurs leviers : électrification des véhicules, passage aux carburants alternatifs décarbonés, performance énergétique des véhicules, maîtrise de la demande et renforcement de l'économie circulaire, report modal et travail sur le transport de voyageurs et de marchandises. La tarification du carbone doit envoyer un signal-prix clair.
La Commission présentera une grande partie de ses propositions législatives à la mi-juillet.
Enfin, en France, le déploiement des bornes se fait aussi en résidentiel.
Mme Béatrice Gosselin . - Le Pacte vert vise une transformation structurelle de l'économie européenne pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Ce cadre général englobe plusieurs stratégies pour répondre aux différents objectifs environnementaux - protection de la biodiversité, économie circulaire, lutte contre la pollution notamment.
Les premiers éléments du Pacte ont été dévoilés juste avant la crise sanitaire, qui a redéfini les priorités de l'Union européenne.
Ce Pacte doit être central dans la diplomatie climatique mondiale et implique une transformation totale de notre économie. Certains pays européens ont néanmoins allégé ou oublié leurs contraintes environnementales. Nous devons être à la hauteur du défi. La reprise économique doit être à la fois verte et solide.
La France, qui exercera la présidence du Conseil au premier semestre 2022, saura-t-elle guider notre continent vers une énergie propre ? Les entreprises et les collectivités territoriales seront des acteurs majeurs de la mise en oeuvre du Pacte vert. Comment améliorer le dialogue entre l'État et les acteurs locaux, pour que les territoires participent pleinement à cette transformation ?
Je conclurai par ces mots de Christine Lagarde : « La créativité et le pragmatisme de tous les acteurs seront les clés de la réussite de ce Pacte. »
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'ambition est forte et les enjeux incontournables. Oui, la pandémie a bouleversé le calendrier, mais il est d'autant plus urgent de construire un modèle soutenable et vivable.
Le Pacte vert a été maintenu comme priorité, au coeur du plan de relance européen, dont 30 % des crédits sont consacrés à la transition écologique. C'est le nouveau prisme de nos politiques.
Les régions sont des acteurs essentiels de la mise en oeuvre de ce plan. Je me félicite que l'État, l'administration et les collectivités territoriales aient su trouver les voies et moyens de mettre en oeuvre ce plan de relance.
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La lutte contre le changement climatique est non seulement une réalité mais une urgence. L'Union européenne, qui ne représente que 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, s'est dotée d'une feuille de route ambitieuse, assortie de moyens financiers sans précédent, même s'ils demeurent insuffisants.
Tous les pays ne viseront pas la même cible, mais tous devront accélérer leur transition écologique.
Pour mettre en oeuvre le Pacte vert, 87 textes seront nécessaires ; seuls 27 ont été présentés. Le chantier ne fait que commencer... Il accélérera avec la présentation par la Commission européenne en juillet du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » qui s'attaquera à de nombreux dossiers dont le système d'échange des quotas d'émissions, les carburants alternatifs, la taxation de l'énergie, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, les énergies renouvelables.
Le Conseil européen a renvoyé le dossier à l'automne, afin de prendre le temps d'en mesurer les conséquences. De fait, la tâche est immense, tant les transformations à mener sont colossales.
L'agriculture sera particulièrement concernée. Les estimations américaines tablent sur une baisse de 10 % de la production agricole à l'horizon 2030, l'Europe se refuse à publier les siennes.
Pour respecter l'accord de Paris, nous devons suivre une ligne de crête très étroite entre effondrement écologique et décroissance économique, qui aggraverait les fractures sociales et territoriales à l'oeuvre en Europe.
La solution miracle n'existe pas et l'équilibre devra s'opérer mesure par mesure. Soyons donc pragmatiques et efficaces dans cette phase de transition accélérée. Les réflexes idéologiques doivent céder la place à des politiques cohérentes et réalistes.
Le nucléaire est un atout clé pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Bien sûr, ce mouvement s'accompagnera de contraintes nouvelles. Mais une écologie exclusivement punitive se fracasserait contre le mur de l'acceptabilité - souvenons-nous des bonnets rouges et des gilets jaunes !
L'innovation doit être soutenue et développée à travers des investissements massifs dans les technologies bas carbone, de même que la constitution d'écosystèmes industriels, par exemple autour de l'hydrogène bas carbone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue à 19 h 55.
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.