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Table des matières
Avenir de la Nouvelle-Calédonie
M. Jean Castex, Premier ministre
M. Jean Castex, Premier ministre
Coopération transfrontalière avec le Luxembourg
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
Incidents lors de la manifestation des agriculteurs
M. Jean Castex, Premier ministre
Réforme du lycée et enseignement des spécialités
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports
M. Jean Castex, Premier ministre
Réforme de la haute fonction publique (I)
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité
Conférence du médicament et souveraineté sanitaire
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles
Réforme de la haute fonction publique (II)
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
Violences à l'encontre des élus
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Stratégie nationale pour un cloud de confiance
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable
Modalités des procurations de vote
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable
Indemnisation des catastrophes naturelles
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté
Déconfinement et perspectives estivales
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles
Bilan de l'application des lois
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
M. Vincent Éblé, vice-président de la commission des finances
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains
Reprise et relance des activités culturelles
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture
Ordre du jour du jeudi 3 juin 2021
SÉANCE
du mercredi 2 juin 2021
102e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Jacques Grosperrin.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Chacun veillera à respecter deux valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres et celui du temps de parole.
Avenir de la Nouvelle-Calédonie
M. Mikaele Kulimoetoke . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le Premier ministre et le ministre des outre-mer ont dialogué pendant plus d'une semaine avec des délégations calédoniennes, en toute sincérité et responsabilité, au sujet de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Les délégations ont également été reçues par le Président de la République et le président du Sénat.
Les Calédoniens ont déjà exprimé par deux référendums leur volonté de rester dans la République française.
Il s'agit maintenant de travailler sur les conséquences concrètes du oui et du non lors de la troisième consultation électorale. Je salue ici le travail considérable réalisé par l'administration qui a abouti à un document inédit.
Au terme des discussions, des avancées ont été obtenues. Pouvez-vous présenter devant le Sénat le résultat de ces échanges ? Bien des doutes ont été levés. Reste à dissiper les inquiétudes qui subsistent, celles exprimées par une partie de la population qui entend quitter le territoire en cas de victoire du oui, celles partagées par la population de Wallis et Futuna, qui souhaite rester française. Quelles assurances le Gouvernement est-il prêt à donner à ces populations ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean Castex, Premier ministre . - Cette semaine de discussions a été extrêmement importante. Depuis Michel Rocard, le Premier ministre exerce une responsabilité particulière en cette matière, et je suis très investi dans le dossier, aux côtés du ministre Sébastien Lecornu.
Nous n'étions pas restés inactifs auparavant. Dès les résultats du deuxième référendum - prévu par les accords de Nouméa - connus, le ministre des outre-mer s'est rendu dans l'île pour ouvrir la concertation et préparer la venue des délégations à Paris.
Dans l'intervalle, nous avons traité des sujets d'ordre public et réglé le problème du nickel et de l'usine du Sud.
La concertation approfondie de la semaine écoulée a été l'occasion de rappeler la prééminence du dialogue, qui doit toujours primer, si opposées que soient les conceptions. L'État favorise et aiguillonne ce dialogue.
Les discussions ont également clarifié les enjeux qui sont devant nous, les implications respectives du oui et du non. Ce travail inédit, réalisé par différents services de l'État, a été très apprécié par les participants. Désormais, nous savons de qui nous parlons, nous pouvons décider en connaissance de cause. Nous avons d'ailleurs eu un atelier sur Wallis et Futuna.
Nos discussions ont éclairé l'avenir et nous avons posé une méthode, avec trois principes.
D'abord, l'accord de Nouméa doit aller à son terme ; il y aura donc un troisième référendum.
Oui ou non... et après ? Nous devons préparer la suite, d'autant que le résultat sera sans doute serré. Nous avons mis en place une méthode pour aborder le jour d'après.
La phase préparatoire s'achèvera le 30 juin 2023. Le calendrier a reçu l'aval de toutes les parties. Il devra aboutir à un projet politique et institutionnel complet, au-delà du résultat du troisième référendum.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est interminable ! Une vraie déclaration de politique générale !
M. Jean Castex, Premier ministre. - Le sujet est très important...
Enfin, il faut dépasser les questions institutionnelles pour traiter aussi les enjeux du développement et de l'égalité. (Murmures à droite)
L'État prend ainsi toutes ses responsabilités dans la perspective de la troisième consultation électorale. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Montée de l'extrême droite
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, je ne crois pas que vous ayez la moindre sympathie pour l'extrême droite. Mais le fait est là, elle progresse dans les intentions de vote, dans les médias, dans les esprits. L'année prochaine, la famille Le Pen peut à nouveau se retrouver au second tour de l'élection présidentielle, et ce n'est pas le scénario le plus pessimiste.
Votre majorité présidentielle porte le destin du pays depuis quatre ans : allez-vous utiliser les dix mois prochains pour nous éviter ce naufrage ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Jean Castex, Premier ministre . - Je l'ai souvent dit : en politique, on se détermine par rapport à soi-même et par rapport à l'intérêt général du pays. (On ironise à droite.)
Il faut avoir comme seule boussole les valeurs de la République, de la démocratie et de l'État de droit. Mon Gouvernement les a chevillées au corps.
Il faut aussi mener une politique sérieuse au service de nos concitoyens : redressement économique, réduction des inégalités, lutte contre l'insécurité. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) C'est ce que mon Gouvernement s'emploie à faire ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Patrick Kanner. - Je m'inquiète de votre stratégie, vous me répondez programme de gouvernement....
Certes, c'est sans doute la meilleure façon de mener la lutte, sur le terrain. Mais vous avez choisi votre adversaire et jouez une partition dangereuse, en explosant le paysage démocratique, en méprisant les corps intermédiaires et les avis du Parlement, en utilisant le cynisme comme lors de votre pitoyable tripatouillage en PACA.
Vous avez créé un champ de ruines. Résultat : le danger est à nos portes. L'extrême droite peut prendre le pouvoir l'année prochaine, sans violence. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Coopération transfrontalière avec le Luxembourg
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Vous connaissez la situation difficile des ressources humaines en santé - surtout infirmières et aides-soignantes - dans les territoires frontaliers, notamment Nord Lorrain.
L'hôpital de Mont Saint-Martin a vu fuir 20 % de son personnel vers le Luxembourg : après fermeture d'un étage entier, il manque encore 37 infirmières ! Les agences d'intérim ne parviennent pas à combler les vacances. C'est insupportable.
Ni les mesures du Ségur de la Santé ni celles mises en place par le Grand-Est ne suffiront à combler le différentiel de rémunération.
Le ministre de la santé luxembourgeois est également attentif à la question, puisque les établissements de son pays dépendent largement des travailleurs français.
Des projets existent, comme la création d'un institut transfrontalier de formation en santé. Les dossiers avancent quand les ministres se mobilisent et se rencontrent, comme hier Xavier Bettel et Jean Castex.
Que comptez-vous faire ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Lors d'une récente rencontre avec le Premier ministre luxembourgeois, nous avons pu voir combien nos relations s'étaient renforcées depuis un an, notamment dans le domaine sanitaire : les hôpitaux luxembourgeois ont accueilli des patients du Grand-Est et la France a permis le rapatriement de citoyens luxembourgeois.
Nous sommes déterminés à faire vivre une logique gagnant-gagnant avec une nouvelle dynamique de co-développement et le financement par le Luxembourg, aux côtés de l'État français et des collectivités, de projets transfrontaliers.
La commission intergouvernementale France-Luxembourg, qui ne s'est pas réunie depuis 2016, le fera avant l'été et devrait enregistrer des avancées, en particulier dans les domaines du ferroviaire et du sanitaire. Les coopérations seront renforcées. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Véronique Guillotin. - Je sais que certaines choses avancent, mais il faut aller plus loin sur la formation des infirmières. C'est un sujet majeur pour nos territoires.
Incidents lors de la manifestation des agriculteurs
M. Guillaume Gontard . - Des paysans désemparés par les orientations désastreuses de la nouvelle PAC n'ont eu d'autre choix, faute d'avoir obtenu audience auprès de leur ministre, que de manifester pacifiquement, la semaine dernière. Des parlementaires sont venus à leur rencontre pour nouer le dialogue. Mais notre collègue députée, Bénédicte Taurine, et notre collègue Joël Labbé ont été malmenés : l'une jetée au sol avec son écharpe tricolore, l'autre empêché de rejoindre les manifestants.
Tous les Républicains ont été émus par ces images. Ces faits sont graves ! Monsieur le Premier ministre, votre réponse hier à Jean-Luc Mélenchon n'était pas à la hauteur ; condamnez ces violences sans équivoque ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean Castex, Premier ministre . - Permettez-moi de rappeler les faits. Non, la porte du ministre de l'agriculture n'était pas fermée. Elle est ouverte en permanence aux organisations syndicales agricoles, sur tous les sujets. (On le conteste sur les travées du GEST.) M. Denormandie consacre beaucoup de temps au dialogue, la communauté paysanne le reconnaît volontiers. (Marques d'indignation sur les mêmes travées ; M. Fabien Gay lève les bras au ciel.)
La manifestation sur la voie publique n'était pas déclarée au titre de l'article 211.1 du code de la sécurité intérieure ; elle s'est poursuivie par une occupation illégale des locaux de Pôle Emploi. Les occupants ont été évacués dans les formes légales, le gestionnaire des lieux ayant demandé le concours de la force publique.
Chacun, parlementaire ou membre des forces de sécurité intérieure, doit respecter les règles de la République. Le procureur s'est saisi et nous verrons les suites de cette affaire.
Les images ont pu choquer à bon droit, mais n'oublions pas non plus que deux policiers ont été blessés, dont l'un par des jets de pierre - il a été hospitalisé. J'appelle chacun au calme et à ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Guillaume Gontard. - Jamais une manifestation syndicale n'a été aussi violemment réprimée. Vous n'épargnez plus personne - agriculteurs, représentants du peuple. (Protestations à droite)
Le dialogue, l'écoute, le compromis sont la condition d'une démocratie apaisée, affirmiez-vous pourtant dans votre déclaration de politique générale.
Vous vous enfermez dans votre tour d'ivoire : le séparatisme n'est pas toujours où l'on croit ! (Huées à droite ; applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Réforme du lycée et enseignement des spécialités
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La réforme du lycée a remplacé les filières par des enseignements de spécialités. Il s'agissait de lutter contre le déterminisme social. Or, le caractère élitiste de l'ancienne filière S se reporte sur les nouvelles filières à travers le choix de certains enseignements. De plus, 50 % des filles arrêtent la spécialité mathématiques, contre 30 % des garçons, ce qui se répercute sur l'orientation post-bac.
La préparation des élèves aux épreuves anticipées de spécialités en Terminale est-elle suffisante ? Le contenu des spécialités scientifiques est-il adapté au nombre d'heures d'enseignement ? La réintégration des mathématiques au sein du tronc commun ne serait-elle pas intéressante pour améliorer le niveau général et limiter les déterminismes sociaux ? Quel premier bilan tirez-vous de cette réforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports . - Merci pour vos quatre questions !
Le mot-clé de la réforme est liberté. C'est sans doute pourquoi 60 % des lycéens s'en disent satisfaits. De fait, ils ont un choix plus large : 90 % se concentrent sur quinze combinaisons, et non plus sur trois filières.
La modularité permet de la souplesse et des évolutions. Le comité de suivi du baccalauréat va examiner ces questions, notamment les examens de mars - peut-être le programme doit-il être moins ambitieux.
A-t-on perdu des heures d'enseignement scientifique ? Non ! Un élève qui choisit les spécialités scientifiques aura dix-sept heures de sciences, contre seize heures auparavant en filière S.
Le programme de physique-chimie, par exemple, est plus ambitieux qu'auparavant. L'abandon de la spécialité en Première permet une orientation progressive, en entonnoir, que les élèves plébiscitent. Mais tout sera examiné pour être, si nécessaire, infléchi. (M. François Patriat applaudit.)
Avenir du corps préfectoral
M. Gérard Longuet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cher Jean Castex, vous avez annoncé de façon surprenante la suppression des préfets et sous-préfets. Puis, vous ravisant, vous avez affirmé ne vouloir supprimer que leur statut.
Vous êtes énarque, moi aussi. Vous avez travaillé sous le président Sarkozy, moi aussi. Mais vous êtes de la Cour des comptes, tandis que je suis membre du corps préfectoral. Et je puis vous dire que votre initiative détruit l'un des piliers de notre République sur le terrain. Ce métier ne s'improvise pas. Il exige des compétences interministérielles, de l'autorité et du sang-froid. Tout cela requiert de la durée, de la carrière, du statut.
Vous traitez avec désinvolture et mépris ainsi ceux sur lesquels vous avez pu compter pendant la crise des gilets jaunes, durant la pandémie et aujourd'hui dans la mise en oeuvre du plan de relance.
Ce corps est ouvert : on peut y nommer n'importe qui, et certains gouvernements ne s'en sont pas privés ! C'est un élément de promotion efficace. Il fonctionne bien. Or, vous n'avez qu'une idée : le foutre en l'air ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes SER, CRCE et GEST)
M. Jean Castex, Premier ministre . - Je vous ai senti sincère dans votre question.
M. Gérard Longuet. - C'est ma vie !
M. Jean Castex, Premier ministre. - C'est la mienne également.
Je n'ai jamais annoncé la suppression des préfets et sous-préfets. Je veux au contraire les conforter. (Exclamations indignées et rires ironiques à droite)
Vous riez ? Mais pourquoi considérer que cela ne relève que d'un statut, d'un corps ? Déjà, les deux tiers des effectifs de sous-préfets sont formés d'administrateurs civils détachés dans le corps préfectoral. Demain, tous seront des administrateurs de l'État, mieux payés et mieux formés, affectés à ce métier. Tous ont un statut et un corps d'appartenance.
Je propose une fonctionnalisation, c'est-à-dire une gestion des ressources humaines fondée sur une filière et un métier, pas une contractualisation - ou spoil system - comme elle existe dans d'autres pays pour la haute fonction publique.
Ce n'est pas du tout notre projet ! Relisez les travaux préparatoires à l'ordonnance de 1945. Le général de Gaulle et Michel Debré souhaitaient un corps d'administrateurs civils le plus interministériel possible. Demain, ces administrateurs s'orienteront vers la diplomatie, la préfectorale, etc. Cette réforme a été largement anticipée au sein du corps préfectoral.
Aujourd'hui, vous progressez dans le corps à l'ancienneté. L'État-employeur doit pouvoir organiser les affectations en fonction des besoins : il ne peut actuellement envoyer en Guyane un préfet de région, expérimenté, pour affronter les graves problèmes sanitaires.
La gestion des ressources humaines des préfets sera améliorée ; leurs moyens d'action et leur autorité renforcés. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Réforme de la haute fonction publique (I)
M. Jean Hingray . - Le Sous-préfet en tournée, d'Alphonse Daudet, circule en calèche, cocher devant, laquais derrière, avec sur les genoux une serviette en chagrin gaufré, qu'il regarde tristement. Il est triste, parce qu'il sait déjà qu'il sera la victime collatérale de la crise des gilets jaunes et des ratés de l'administration pendant la crise sanitaire... (Sourires)
Chez Alphonse Daudet, le sous-préfet faisait des vers. Demain, faute de statut, il ira pantoufler, entrera dans le grand mercato des dirigeants, il se laissera tenter par les sirènes du privé. Peu à peu, l'État se videra de son armature, au détriment de la stabilité. Sont-ce les prémices d'un système de dépouille à la française ? Est-ce ainsi que vous voulez dessiner la France ?
Le monde rural qui souffre et toute la France ont besoin de ce système qui a fait ses preuves pendant deux cents ans. Notre pays a également besoin du rayonnement de l'ENA pour asseoir son influence internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques . - J'ai présenté ce matin en Conseil des ministres une ordonnance réformant l'État - pas l'ENA, l'État.
La RGPP, soutenue ici sur les travées de droite, a vidé les préfectures et les sous-préfectures, privé le terrain de ses forces vives. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Roger Karoutchi. - Vous étiez avec nous dans les cabinets ministériels !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La gauche n'a pas comblé ces difficultés... (Exclamations à gauche)
Rompant avec l'approche comptable, nous voulons remettre sur le terrain des fonctionnaires compétents, familiers des problématiques d'aujourd'hui - numérique, transition écologique.
Le spoil system n'est pas dans nos valeurs.
J'assume d'être la première ministre de la fonction publique depuis quinze ans à remettre des fonctionnaires dans les départements : ce sont les sous-préfets à la relance.
Je défends aussi le statut de la fonction publique. Contrairement à mes prédécesseurs de droite, je n'entends pas le bazarder ! Enfin je m'efforce de promouvoir les personnes et les compétences, contre les logiques de corps. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean Hingray. - M. Longuet et le Premier ministre sont tous les deux énarques... Raison de plus pour défendre cette école et le corps préfectoral ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Coût réel des compteurs Linky
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Le courant ne passe plus entre les usagers et les compteurs Linky (sourires), déployés à marche forcée. Le projet Hercule prévoit la privatisation du gestionnaire de réseau Enedis : des acteurs privés pourront donc couper l'électricité à distance.
On nous serinait en 2011 que Linky serait gratuit. Mais les factures flambent depuis dix ans, et il faudrait y ajouter 130 euros par compteur ! Malgré les démentis d'Enedis, les taxes incluses dans la facture vont augmenter au 1er août.
Pouvez-vous confirmer la totale gratuité des compteurs Linky, sans entourloupe ? Quand serez-vous transparents sur les coûts réels qui pèsent sur les usagers ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité . - L'installation des compteurs Linky a eu un coût, 130 euros par compteur, mais cet investissement sera supporté intégralement par Enedis, qui fera des économies d'exploitation dans les prochaines années, grâce à un réseau plus moderne et flexible : il n'y aura donc aucune augmentation sur les factures.
Linky permet une meilleure maîtrise des consommations, en particulier un regard plus acéré sur les appareils énergivores, donc des économies pour les ménages.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) suit attentivement le déploiement des compteurs et ses conséquences. Les économies compenseront l'investissement, sans augmentation pour les consommateurs, et comme vous, nous comparerons attentivement les factures.
M. Fabien Gay. - Cela fait dix ans qu'on les compare !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vos arguments ne m'ont pas convaincue. Il faut renoncer à Hercule, devenu le projet Grand EDF, qui est une privatisation, imposée par cette Europe libérale dont les compteurs Linky sont un avant-goût bien amer. Résistons aux injonctions de l'Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Conférence du médicament et souveraineté sanitaire
Mme Catherine Deroche . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) se tiendra fin juin. En 2018, le Premier ministre s'était engagé à ce que la France retrouve sa place en matière d'innovation. Certes, des engagements ont été tenus, mais des freins demeurent - je pense à la souveraineté.
Notre commission des affaires sociales a lancé une mission flash sur le sujet, dont Mmes Guillotin et Delmont-Koropoulis sont les rapporteures.
Comment abordez-vous ce CSIS, dans le contexte de la crise sanitaire ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles . - Le CSIS, créé en 2004, est une instance de dialogue efficace entre les pouvoirs publics et les industriels.
La crise sanitaire a créé des tensions d'approvisionnement et montré l'importance de garantir la souveraineté sanitaire de notre pays. Cinq objectifs ont été fixés pour faire de la France une Nation plus indépendante : garantir une recherche fondamentale d'excellence et interdisciplinaire, catalyser l'innovation, faciliter l'accès des produits innovants aux marchés, soutenir l'industrialisation des produits, voire la relocalisation, et développer la formation. Un travail a été confié à cinq personnalités qualifiées et des annonces pourraient intervenir d'ici l'été. Nous sommes conscients des attentes. Nous souhaitons une industrie forte, créatrice de valeurs et au service des patients.
Mme Catherine Deroche. - Nous partageons ces objectifs ; nous verrons quels seront les résultats du CSIS. Les attentes sont nombreuses, par exemple s'agissant des essais cliniques précoces. Nous suivrons ces travaux avec attention, ainsi que les suites qui seront données dans le PLFSS et lors de la présidence française de l'Union européenne. Faisons confiance à nos chercheurs et à nos industriels : aidons-les et ne les freinons pas. J'espère que vous saurez tenir compte des enseignements de la crise sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Réforme de la haute fonction publique (II)
M. Jean-Pierre Sueur . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Madame de Montchalin, vous engagez-vous, au nom du Gouvernement, à ce que l'ordonnance adoptée ce matin sur la haute fonction publique donne lieu à une ratification explicite au terme d'un vrai débat parlementaire ? (Applaudissement sur les travées des groupes SER et Les Républicains)
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques . - (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Le Gouvernement a été habilité par le Parlement à agir par ordonnance, par l'article 59 de la loi d'août 2019. (Murmures désapprobateurs sur diverses travées)
La ratification parlementaire interviendra dans les mois prochains, le projet de loi devant être déposé sur le Bureau des assemblées avant le 7 septembre.
Ce n'est pas une réforme de destruction. Il n'y a pas d'agenda caché ! Elle est le fruit d'un long travail à droite comme à gauche. Nous sommes prêts à débattre et je me tiens à la disposition des commissions des lois des deux chambres.
Notre réforme vise non pas à montrer du doigt des hommes et des femmes de grande qualité, mais à corriger plusieurs faiblesses (MM. David Assouline et Jean-Pierre Sueur s'exclament) : diversité, ouverture, proximité, efficacité.
Imaginez que 90 % des hauts fonctionnaires travaillent à l'intérieur du périphérique et 90 % de fonctionnaires sont répartis dans le reste du pays. Nous notons un déficit d'efficacité sur des sujets importants comme le numérique ou le climat. Qui peut croire que le réchauffement de la planète ne doit être du seul ressort du ministère de la Transition écologique ?
Il faut recruter, former, gérer les carrières des hauts fonctionnaires différemment, au grand jour, par la France et les Français. Les fonctionnaires n'appartiennent pas à un parti politique mais à la Nation tout entière ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, tandis qu'on récrimine à droite et à gauche.)
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous n'avez pas répondu à ma question simple.
Vous n'ignorez pas la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020. Nous n'avions aucune assurance qu'il y aura un vrai débat parlementaire sur la mise en cause de l'État républicain conçu par Jean Zay, par le général de Gaulle, par Michel Debré et par Pierre Mendès-France ! Il est inconcevable que le Parlement ne puisse s'exprimer sur cette réforme !
L'heure est à la « fonctionnalisation », nous dit-on... - j'ai dû l'écrire pour ne pas me tromper. Quel enrichissement pour la langue française ! (Rires ironiques à droite)
Nous allons avoir des préfets, des diplomates, des fonctionnalisés... Les corps d'inspection n'auront plus l'indépendance nécessaire pour exercer leurs missions. Ce n'est ni sérieux ni conforme à l'esprit républicain ! (Vifs applaudissements particulièrement prolongés sur les travées des groupes SER, CRCE et Les Républicains ; applaudissements sur diverses travées du groupe UC)
Violences à l'encontre des élus
M. Édouard Courtial . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le garde des Sceaux, chaque jour apporte son lot de violences et aucun territoire n'est épargné. Elles touchent tous les citoyens et ciblent plus particulièrement les autorités. C'est le cas des élus locaux au premier rang desquels les maires, victimes de violences verbales et physiques.
Agresser un maire ou un élu, comme il y a quelques jours en Côte-d'Or, c'est attaquer la République. Ceux qui sont au service des autres deviennent une cible. Cette banalisation et cette impunité sont intolérables.
Depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron, les coups et blessures volontaires ont augmenté de près de 20 %, malgré le confinement : bilan sans appel ! Pourtant, on est loin de la fermeté, ce qui est révoltant.
Dans l'Isère, un maire a été frappé au visage et brûlé à une main : ses agresseurs ont été condamnés à une peine de prison avec sursis et quelques travaux d'intérêt général. Dans les Yvelines, un maire dont l'agression s'est traduite par cinq jours d'incapacité temporaire de travail (ITT) a vu ses agresseurs condamnés à 200 et 300 euros d'amende. Dans le Pas-de-Calais, un maire agressé violemment a été hospitalisé, ses trois agresseurs ont reçu un avertissement solennel et une peine assortie de sursis. Pensez-vous que cela suffise, compte tenu de la gravité des délits ?
Il y a les beaux discours et la triste réalité. Vous rendez hommage aux élus mais, pour les maires, ce n'est plus suffisant. Il est temps d'abolir les lois et circulaires Belloubet, qui font tout pour éviter la prison aux voyous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Pour reprendre un mot employé ici il y a une semaine ou deux, je devrais avoir honte ? Il est vrai que vous aviez fait si bien, quand vous étiez en responsabilité, contre la délinquance... (Exclamations indignées à droite)
Depuis une trentaine d'années, il y a environ 1 000 crimes de sang dans notre pays de 65 millions d'habitants, soit trois par jour. Le filon est inépuisable pour vous ! Donc, ne limitons pas nos analyses au recensement des faits divers...
Dès le 7 septembre 2020, en concertation avec les associations d'élus, j'ai signé des instructions claires et précises. Entre 2019 et 2020, nous avons doublé le nombre de condamnations. En 2020, le taux d'incarcération s'élève à 62 %, soit une augmentation de dix points. Par circulaire du 15 décembre 2020, j'ai demandé la mise en oeuvre la justice de proximité et j'ai encouragé le dialogue avec les élus locaux.
Allez donc rencontrer les parquets de Beauvais, Senlis et Compiègne, qui ont mis en place un référent pour les élus. Des réunions ont lieu régulièrement.
J'ai obtenu une remontée semestrielle des violences via les services judiciaires. Et les parquets demandent à être immédiatement prévenus par les forces de l'ordre, afin de mieux sanctionner. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Stratégie nationale pour un cloud de confiance
Mme Catherine Morin-Desailly . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Un nouveau scandale vient d'éclater sur les Gafam, bras armé de la puissance américaine en Europe.
En juillet, je m'étonnais du choix de Microsoft pour le traitement des données de santé des Français. Le secrétaire d'État au numérique m'avait répondu, au mépris des acteurs européens, que Microsoft était la meilleure société. Dassault systèmes s'en était ému, n'ayant jamais été approché malgré son acquisition de Medidata.
Depuis lors, de multiples dysfonctionnements sont apparus chez Microsoft, espionné par la Chine partout dans le monde. Et comme l'a révélé Élise Lucet, l'architecture de la plateforme a été conçue par le responsable du plus gros revendeur de données médicales au monde, la société américaine Iqvia.
Le cloud de confiance annoncé le 17 mai est un blanc-seing pour Microsoft et Google ! Assumez-vous encore ces choix qui torpillent nos propres entreprises ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable . - Le cloud est partout. L'outil est incontournable : il présente cependant des risques, tels que cyber-attaques, failles de protection, législation extraterritoriale donnant accès à nos données aux États étrangers.
Le Gouvernement a élaboré une stratégie claire pour un cloud de confiance. Elle est fondée sur trois piliers.
Le label rend possible la création d'entreprises qui allient actionnariat européen et technologies étrangères sous licence : les entreprises et les administrations françaises bénéficieront de meilleurs services tout en étant protégées efficacement.
La politique « cloud au centre » accélérera la transformation numérique des administrations : les données seront stockées sur un cloud interne de l'État ou sur un cloud industriel validé par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).
Enfin, nous travaillons sur une stratégie industrielle européenne ambitieuse.
La migration vers un cloud de confiance labellisé sera effective en 2022 pour les données de santé (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je regrette votre complaisance à l'égard des entreprises extra-européennes, dont l'action est dangereuse pour nos données. Hélas, la gafamisation de l'État est en marche... (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Modalités des procurations de vote
Mme Catherine Procaccia . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les habitants de plusieurs communes de mon département - Villeneuve-le-Roi, Ablon... - rencontrent des difficultés pour établir des procurations en vue des élections de juin. Jusqu'à présent, dans les villes qui n'ont ni poste de police nationale ni tribunal d'instance, il suffisait, pour faire enregistrer une procuration, de se rendre au poste de police municipale les jours où la police nationale assure ses permanences.
Aujourd'hui, la police nationale n'a plus le droit de recevoir des procurations lorsqu'elle est présente dans les commissariats municipaux. Pourquoi cette consigne préfectorale ? Ce que le décret du 1er juin 2020 autorise, une circulaire adressée par vous aux préfectures l'interdit ! Comment prétendre vouloir inciter les Français à voter tout en limitant la possibilité concrète d'établir une procuration ?
Auriez-vous peur, à l'image d'un ancien président des États-Unis, que trop de procurations vous soient défavorables ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté . - Nous n'avons peur de rien, madame la sénatrice, surtout pas de la démocratie ! (On se rassure ostensiblement sur les travées du groupe Les Républicains)
Les élections des 20 et 27 juin se tiendront dans un contexte pandémique particulier. Le Gouvernement souhaite la plus grande participation possible, notamment avec la e-procuration.
M. Vincent Éblé. - Et en diffusant les programmes avant l'ouverture officielle de la campagne électorale, vous facilitez les choses ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - L'allègement de la charge des agents de la police nationale dans le contexte de la pandémie est une démarche constante. Il est la raison de ce que vous déplorez. Mais les services de police se déplacent à domicile quand les personnes ne peuvent pas se rendre dans les commissariats nationaux. Sur le site maprocuration.gouv.fr on peut aussi établir facilement sa procuration, ce qui réduit les délais d'attente dans les commissariats.
Je tiens à remercier tout spécialement tous ceux qui se mobilisent afin que ces élections puissent se tenir sereinement.
Oui, le Gouvernement souhaite la plus large participation possible ! Sa détermination est totale ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Catherine Procaccia. - Vous prétendez vouloir favoriser la participation, mais vous supprimez en même temps une modalité d'établissement des procurations. Vous prétendez lutter pour le climat, mais vous forcez en même temps les gens à prendre leur voiture... Ce quinquennat est un « en même temps » incohérent, en permanence ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Abandon du projet Hercule
M. Jean-Jacques Michau . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En mai dernier, le report d'Hercule a sifflé la fin de la partie d'un plan qui ne convenait à personne ; et c'est tant mieux.
Aujourd'hui encore, nous n'avons aucune information sur les raisons de l'échec de ces négociations avec Bruxelles. Quels sont les points d'achoppement ? Nous n'en savons rien.
Ce manque de transparence pose un problème démocratique. N'est-ce pas une manière pour le Président de la République d'enjamber l'élection présidentielle sans subir le contrecoup d'une réforme très contestée ?
EDF est un champion qui a pâti de choix désastreux, parmi lesquels l'obligation de vente à perte son électricité à ses concurrents. De plus, comme l'admettait récemment Bruno Le Maire, une telle réforme ne peut se faire contre le corps social d'une entreprise.
Cette scission porterait un coup fatal à notre grand opérateur public qui a pourtant un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique face à l'urgence climatique.
Me confirmez-vous qu'EDF restera un groupe intégré, sans morcellement ? Comment sortir de l'impasse de l'endettement pour sécuriser le nucléaire et continuer à invertir dans les énergies renouvelables ? Quid de la préservation du parc hydroélectrique cher à nos territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable . - Le Gouvernement, en lien avec EDF, a engagé avec la Commission européenne une discussion pour réformer ce grand groupe, afin qu'il soit plus fort et sécurisé sur le long terme. Nous restons en pleine négociation.
Nous devons sécuriser l'activité nucléaire, qui nécessite une régulation, et assurer la pérennité de l'hydroélectricité. Cette réforme est nécessaire, dans l'intérêt même du groupe EDF.
Le Gouvernement a une ligne rouge très claire : nous n'accepterons pas un éclatement du groupe. Des négociations sont en cours avec les syndicats. Le Parlement pourra se saisir du sujet, si le projet de réforme aboutit. (M. François Patriat applaudit.)
Indemnisation des catastrophes naturelles
M. Jean Pierre Vogel , président de la commission - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question porte sur le projet de loi Climat, qui est censé amorcer un changement de société... mais qui omet de prévoir quoi que ce soit sur un sujet que le ministre de l'Intérieur, dont je déplore l'absence, connaît bien : la rétractation des sols argileux lors des épisodes de précipitation suivis de sécheresses.
Les maires des communes concernées sont très isolés dans leurs démarches pour obtenir un arrêté de catastrophe naturelle. Ils ne comprennent pas pourquoi une commune voisine obtient la reconnaissance qui leur est refusée ; ils sont impuissants à aider leurs administrés.
Le texte est également muet sur le régime d'indemnisation des propriétaires de maisons fissurées, contraints de déménager ou d'entreprendre de coûteux travaux.
Le Gouvernement a-t-il pris la mesure de la situation en acceptant la réforme proposée par le Sénat ? Je ne vois rien dans le projet de loi Climat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté . - La question est fondamentale et les indemnités sont assurées par la garantie catastrophe naturelle.
Quelque 6 974 communes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle pour des épisodes de sécheresse - soit une commune française sur cinq. Il existe cependant des conditions : l'intensité de l'épisode doit être anormale.
Un fond spécifique pour l'indemnisation des propriétaires hors des communes déclarées en catastrophe naturelle a été créé en loi de finances pour 2020.
Le dispositif sera prochainement assoupli pour mieux indemniser les propriétaires et élargir les dépenses éligibles afin de couvrir, par exemple, les frais d'assistance à maîtrise d'ouvrage ou les mesures conservatoires réalisées dans l'urgence.
Le Gouvernement a également été favorable à une proposition de loi sur le sujet à l'Assemblée nationale, votée le 28 janvier dernier.
Enfin, une mission confiée à l'IGF et au Conseil général de l'environnement et du développement durable est en cours. Nous nous appuierons sur ses conclusions pour réformer en profondeur le régime actuel.
Avec les maires et les préfets, le Gouvernement est donc pleinement mobilisé ! (Mme Sophie Primas lève les yeux au ciel.)
M. Jean Pierre Vogel. - Pourquoi attendre encore un rapport alors que le travail de M. Vaspart et de Mme Bonnefoy en 2019 a tout dit ? La proposition de loi de l'Assemblée nationale est nettement insuffisante, et vous le savez bien.
Le régime d'indemnisation actuel est largement obsolète. Les propriétaires et les maires attendent des avancées concrètes, pas des incantations ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Déconfinement et perspectives estivales
Mme Marie-Pierre Richer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'associe à ma question Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales.
La période estivale est propice aux rassemblements familiaux et amicaux, aux événements culturels et aux loisirs.
Quels moyens comptez-vous mettre en place, en termes de dépistage, pour vous assurer que l'été déconfiné se passera dans des conditions de vigilance optimale et que nous éviterons une quatrième vague à la rentrée ?
Allez-vous remobiliser les officines de pharmacie afin d'encourager les autotests recommandés par la Haute Autorité de santé (HAS), pour des dépistages itératifs ? Des autotests vont-ils être institués en entreprise et dans les collectivités ? Comment préparer la rentrée scolaire ?
Les diminutions de livraisons des vaccins annoncées dans certaines régions sont-elles confirmées, alors que les communes du littoral seront très peuplées cet été ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles . - Nous avons tous hâte de tourner la page de cette épreuve.
Les chiffres sont encourageants : une moyenne inférieure à 10 000 cas par jour, une pression hospitalière qui diminue nettement avec moins de 3 000 personnes dans les services de réanimation, 26 millions d'adultes vaccinés soit 50 % de la population majeure. La stratégie du Gouvernement est ainsi validée. Notre campagne de vaccination est un succès : 500 000 à 700 000 vaccinations sont réalisées chaque jour.
Des annonces seront faites prochainement par Olivier Véran pour la période estivale. Il faut bien sûr rester vigilant et maintenir les gestes barrières, d'autant que certaines régions connaissent des taux d'incidence en augmentation.
Le Conseil de défense sanitaire de ce matin s'est également prononcé sur la vaccination des plus de 12 ans. L'Agence européenne du médicament vient d'autoriser un vaccin supplémentaire et la HAS rendra prochainement un rapport.
Enfin, les officines de pharmacie restent des acteurs cruciaux. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Marie-Pierre Richer. - Merci pour cette réponse, mais la stratégie de l'État est peu lisible, ce qui suscite de la méfiance.
Oui, la campagne vaccinale progresse, mais le déconfinement estival ne doit pas se terminer mal. Sans les élus, les centres de vaccination n'auraient pas été efficients. Nous avons besoin de clarté ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance reprend à 16 h 45.
Conférence des Présidents
M. le président. - Les conclusions adoptées par la Conférence des présidents réunie ce jour sont consultables sur le site du Sénat.
En l'absence d'observations, je les considère comme adoptées.
Avis sur une nomination
M. le président. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis, lors de sa réunion du 26 mai 2021, un avis favorable - vingt voix pour, aucune contre - à la reconduction de M. Christophe Béchu à la présidence du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France.
La commission des affaires économiques a émis un avis favorable sur la nomination de Christophe Béchu.
Bilan de l'application des lois
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le bilan de l'application des lois.
Nous nous retrouvons cet après-midi pour débattre, comme tous les ans, du bilan de l'application des lois que nous avons votées au cours de la session écoulée.
Je salue M. Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement, qui nous répondra au nom du Gouvernement.
Ce débat est essentiel pour les parlementaires que nous sommes : à quel moment les lois que nous votons deviennent-elles une réalité concrète pour nos concitoyens ? Pas avant sept mois après leur promulgation en moyenne cette année.
Le décalage est grand entre cette mise en oeuvre tardive et le rythme effréné auquel s'enchaînent les projets de loi inscrits à l'ordre du jour du Parlement. Et ce décalage n'est pas bon pour notre démocratie.
Nous avons récemment souhaité aller encore plus loin dans notre contrôle sur un aspect essentiel : le suivi des ordonnances.
Nous le déplorons en effet tous : le nombre d'ordonnances explose. À la fin du mois de mars, 259 ordonnances avaient été publiées depuis le début du quinquennat, soit une hausse de 48 % par rapport à la même période du quinquennat précédent et de près de 150 % par rapport au quinquennat 2007-2012.
Comme le relève le rapport d'information de Mme Pascale Gruny, que je remercie pour son travail, le processus législatif ordinaire n'est plus le principal mécanisme d'adoption de la loi : avec cent ordonnances pour quarante-trois lois au cours de la session dernière, la tendance est inquiétante.
Face à cette évolution, la résolution que nous avons adoptée hier permettra au Sénat, sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel, de renforcer le contrôle du recours à cet outil.
Dès l'année prochaine, nous nous retrouverons d'ailleurs chaque année en séance publique pour un débat sur le suivi du recours aux ordonnances, en plus de notre rendez-vous traditionnel sur l'application des lois.
Le contrôle parlementaire sur les ordonnances passe aussi par leur ratification expresse, via des propositions de loi de ratification que nous pourrons inscrire lors des semaines de contrôle. Je songe à l'ordonnance relative à la réforme de la haute fonction publique, adoptée ce matin en conseil des ministres, et évoquée lors des questions d'actualité au Gouvernement par M. Sueur.
Mme Pascale Gruny, président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) En cinquante ans, le bilan annuel de l'application des lois est devenu un outil incontournable du contrôle parlementaire. C'est aussi une condition du bon fonctionnement de la démocratie. Comment faire adhérer les Français aux réformes s'ils n'en voient pas la concrétisation sur le terrain ?
Le 1er octobre 2019, les articles 19 bis A et 19 bis B de notre Règlement sont entrés en vigueur, qui consacrent le rôle des commissions permanentes et celui du rapporteur d'un texte pour en suivre l'application.
Je salue la disponibilité du Secrétariat général du Gouvernement. Nous avons avancé sur la question du décompte des mesures d'application. Mais je regrette que le suivi soit limité aux seuls décrets, et ne soit pas étendu aux arrêtés. Pour l'application d'une loi, peu importe que la disposition adoptée renvoie à un décret ou à un arrêté ! Même si seul le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire de droit commun, le Secrétariat général du Gouvernement pourrait suivre la publication des différents arrêtés ministériels.
Au cours de la session 2019-2020, 43 lois ont été adoptées, dont 15 étaient d'application directe. Le taux d'application a chuté de dix points, à 62 %, en raison essentiellement de la crise sanitaire qui a perturbé la chaîne normative. Cette dégradation traduit également un manque d'anticipation de la part du Gouvernement, dont les services travaillent à de nouveaux chantiers avant même d'avoir élaboré les textes d'application des lois votées. Cela explique que le délai moyen de prise des textes d'application soit passé de cinq mois et douze jours pour la session 2018-2019 à sept mois et un jour pour la session 2019-2020, soit un mois de plus que l'objectif de six mois.
Les consultations obligatoires, les notifications à la Commission européenne expliquent aussi ce retard. Le projet de décret prévu par la loi du 30 juillet 2020 sur les violences conjugales n'a ainsi été notifié à la Commission européenne que sept mois après la promulgation de la loi...
Le Gouvernement ne s'astreint pas à l'exigence de rapidité qu'il impose au Parlement, qui a examiné 26 textes sur 43 en procédure accélérée. Les textes relatifs à la situation sanitaire ont été examinés en dix-huit jours en moyenne ; à trois reprises, la navette s'est déroulée en moins de huit jours !
Bien qu'examinée en procédure accélérée, la loi du 30 juillet 2020 sur les chèques vacances pour les soignants est devenue caduque avant même d'avoir reçu ses décrets d'application. Comprenez que les parlementaires s'interrogent !
Dans le même esprit, que penser de la tendance à généraliser une mesure avant même d'avoir tiré le bilan de son expérimentation prévue par la loi ? Quelle utilité accordez-vous aux expérimentations ?
La remise des rapports demandés au Gouvernement demeure insuffisante, avec un taux de 28 %. Le Parlement en demande sans doute trop, mais on ne peut imputer cette dérive au Sénat, qui pratique depuis longtemps la chasse aux rapports !
La crise sanitaire a été l'occasion d'un recours massif, voire excessif, aux ordonnances qui ont représenté 70 % des textes dans le domaine de la loi. Pour 43 lois promulguées, 100 ordonnances ont été publiées. Beaucoup reconduisaient certes des mesures d'urgence liées à la pandémie, mais certaines excèdent parfois le champ de l'habilitation... avec un risque juridique à la clé. Le Conseil d'État a ainsi annulé une partie de l'ordonnance contre les prix abusivement bas, prévue par la loi EGalim. Le Gouvernement peut alors être tenté d'étendre préventivement ce champ d'habilitation - mais s'expose là encore à un risque juridique. Le Conseil constitutionnel a ainsi censuré l'habilitation prévue à l'article 38 de la loi Sécurité globale.
Je déplore enfin que si peu de projets de loi de ratification soient inscrits à notre ordre du jour. Le groupe de travail sur les méthodes de travail du Sénat propose que nous déposions des propositions de loi de ratification lors des semaines de contrôle, voire des semaines sénatoriales. L'organisation d'un débat spécifique en séance publique dès l'année prochaine va dans le bon sens. Espérons que la résolution adoptée hier par le Sénat conduise le Gouvernement à se modérer !
Le projet de loi Climat contient une habilitation visant à mettre en place, par ordonnance, une écotaxe régionale - or les régions n'exercent pas encore la compétence sur le réseau routier national, dont le transfert est prévu par le projet de loi 4D, qui sera prochainement examiné...
Ordonnance prévue par un projet de loi qui se télescope avec un autre texte : notre débat a de beaux jours devant lui ! (Sourires ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Marc Fesneau, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne . - Je tiens à remercier Pascale Gruny et l'ensemble des présidents de commission pour leur travail minutieux.
L'an dernier, nous avions constaté des divergences de calcul entre le Sénat et le Gouvernement. Cette année, nous avons trouvé un point d'équilibre avec un indicateur d'application des lois ne prenant en compte que les mesures actives, dont l'entrée en vigueur n'est pas différée du fait de la crise sanitaire.
Le Premier ministre, titulaire du pouvoir réglementaire, assure le suivi des décrets, mais les arrêtés relèvent des ministères qui les signent. Difficile d'exiger du SGG une veille sur les huit mille arrêtés publiés chaque année, soit vingt à quarante par jour...
Au 31 mars 2021, le taux d'application s'établit à 73 %, en recul de neuf points par rapport à l'an dernier compte tenu de la crise sanitaire.
Le Gouvernement est mobilisé pour rattraper le retard pris en 2020 - nous sommes à 80 % de mesures publiées - et rendre applicables dans les meilleurs délais les réformes votées. Je réunis un comité interministériel de l'application des lois et j'interviens régulièrement en conseil des ministres pour rappeler cette exigence. Le SGG organise également des réunions interministérielles, et la perspective de notre débat annuel a également un effet d'aiguillon...
Je salue l'engagement des agents des ministères en cette période de crise sanitaire qui a eu un impact sur la publication de textes attendus. La charge de travail a augmenté, avec la préparation de 91 ordonnances, 95 décrets et 54 arrêtés dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Le déploiement massif du télétravail simplifiera les choses à l'avenir.
Le délai de pré-notification à la Commission européenne est classique, et permet un dialogue entre le Gouvernement et la Commission.
Il est vrai que le recours aux ordonnances s'est accru : 259 ordonnances ont été publiées depuis le début du quinquennat mais 99 d'entre elles sont liées à la crise sanitaire. Si l'on retranche ces dernières, le nombre d'ordonnances prises sous ce quinquennat est comparable à celui du quinquennat de Nicolas Sarkozy et inférieur à celui du quinquennat de François Hollande.
Chaque fois que cela a été possible, le Gouvernement a limité au maximum les demandes d'habilitation.
Vous jugez les délais d'habilitation trop importants, mais le délai de publication des ordonnances est en moyenne inférieur de 25 % à la durée de l'habilitation votée par le Parlement. Je ne peux laisser penser que le Gouvernement retarderait le rythme des réformes !
La répartition entre le pouvoir législatif et le pouvoir législatif délégué permet de concentrer la discussion parlementaire sur l'essentiel et de réserver les écritures les plus techniques aux ordonnances.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques . - Deux ans et demi après la promulgation de la loi EGalim, le Conseil d'État vient d'enjoindre le Gouvernement de publier le décret d'application de l'article prévoyant un moratoire sur les bâtiments de poules pondeuses en cage. Que fait le Gouvernement de la volonté exprimé par le législateur ?
Nous avons aussi des interrogations sur le respect du champ d'habilitation - je pense à l'ordonnance sur les coopératives - ou encore sur la généralisation d'expérimentations qui n'ont pas été évaluées. Ainsi, le projet de loi Climat pérennise-t-il l'expérimentation prévue à l'article 24 de la loi EGalim sur les menus végétariens dans les cantines scolaires...
L'expérimentation est un outil pertinent mais il ne faudrait pas qu'elle devienne un outil politique. Ne faudrait-il pas imposer la remise de l'évaluation avant toute généralisation, ou à tout le moins assurer une durée d'expérimentation minimale ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Le Gouvernement avait considéré que l'article 68 de la loi EGalim était suffisamment clair pour entrer en vigueur sans décret, mais il prend acte de la décision du Conseil d'État et en tirera les conséquences dans les meilleurs délais.
La répartition des rôles dans le contentieux des ordonnances est claire : il appartient au Conseil d'État d'apprécier le respect de l'habilitation par le gouvernement lorsqu'il publie son ordonnance. La décision relative à l'ordonnance du 24 avril 2019 témoigne de l'efficacité des mécanismes de contrôle.
Une expérimentation était prévue à l'article 21 de la loi EGalim jusqu'en novembre 2021. Au cours de l'examen du projet de loi Climat, l'Assemblée nationale a souhaité généraliser cette expérimentation. Votre assemblée se prononcera sur le fond. Au demeurant, le Parlement ne saurait être lié par une loi antérieure.
M. Philippe Paul, en remplacement de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Permettez-moi d'excuser le président Cambon.
Notre commission s'inquiète du sort réservé à l'article 44 de la loi de programmation militaire (LPM) du 2 juillet 2018, qui visait à lever des pesanteurs dans les procédures d'achats du ministère des Armées. Or ces dispositions ont été effacées à la faveur d'une codification. C'est un mépris total de la volonté du législateur. M. Cédric Perrin a interpellé Mme Landais, secrétaire générale du gouvernement, lors de son audition le 12 mai dernier : elle nous a indiqué que l'amendement voté desservait l'objectif recherché par les parlementaires...
Appliquer les lois, c'est d'abord ne pas revenir sur la volonté du législateur ! Cet incident est révélateur du peu de cas fait des travaux parlementaires.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Le Gouvernement partage votre volonté de souplesse et de rapidité dans les procédures d'achat pour nos forces armées, et respecte la loi votée.
La codification a permis de conserver l'ambition du législateur, car la disposition votée à l'article 44 de la LPM était en réalité contraire aux objectifs poursuivis par le Parlement en ce qu'elle rigidifiait le cadre dérogatoire. La rédaction actuelle transpose strictement la directive sans ajouter de restrictions supplémentaires. Cela permettra une plus grande réactivité dans les acquisitions les plus sensibles des forces armées.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales . - Chacun sait que la crise sanitaire a bouleversé l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Même si la loi organique ne l'impose pas, nous aurions souhaité être saisis d'un collectif social. Le Parlement ne peut se satisfaire d'informations sans débat, en ayant à constater a posteriori des dépenses de plusieurs milliards d'euros. La dotation de Santé publique France a été portée de 150 millions à 5 milliards d'euros par simple arrêté ! Le Parlement peut-il se contenter d'un courrier lorsque le découvert de la sécurité sociale est porté de 39 à 95 milliards d'euros ? Notre commission propose de faire évoluer la LOLFSS.
Nous avons constaté que le décret de transfert de déficit à la Caisse d'amortissement de la dette sociale excédait de 174 milliards d'euros le montant voté l'été dernier. Le Gouvernement aurait très bien pu demander sa modification en loi de financement. Que comptez-vous faire pour régulariser cette situation ? Les plafonds prévisionnels des exercices 2021 à 2023 seront-ils réajustés ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Les crédits votés en loi de financement de la sécurité sociale sont évaluatifs, car les dépenses de la sécurité sociale sont des dépenses de guichet ; c'est ce qui a permis aux Gouvernement d'acheter 9 000 respirateurs ou de déployer un système d'information de suivi des tests, par exemple.
Le Parlement n'a pas été tenu à l'écart : ces dépenses exceptionnelles ont été présentées devant la commission des comptes de la sécurité sociale et devant le conseil d'administration de Santé publique France, instances dans lesquelles siègent des parlementaires.
Vu l'imprévisibilité des dépenses et la réactivité nécessaires pour précommander les vaccins, les prévisions d'un éventuel collectif social auraient été caduques dès avant la fin de leur examen.
Prévoir des crédits limitatifs en loi de financement interdirait cette souplesse. En contrepartie, le Parlement est informé : l'avis du comité d'alerte de l'Ondam vous a été remis hier.
Le Parlement sera bientôt saisi d'une proposition de loi organique visant à réformer la LOLFSS.
M. le président. - La commission des comptes de la sécurité sociale, même si des parlementaires y siègent, ce n'est pas le Parlement. Nous attendons un rapport devant le Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, applaudit également.)
M. Cyril Pellevat, en remplacement de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - L'application de la LOM et de la loi AGEC, qui ont beaucoup occupé notre commission au cours de la session 2019-2020, demeure incomplète. Comment faire pour que la mobilisation des services des ministères intéressés sur la loi Climat ne complique encore l'application de ces deux lois ?
Le Gouvernement s'écarte parfois de la volonté clairement exprimée par le législateur. Ainsi, le décret d'application de l'article 35 de la loi AGEC, relatif au réemploi des invendus, n'oblige pas l'entreprise donatrice à contribuer aux frais de stockage...
Comment entendez-vous modifier cet état de fait, qui envoie un message déplorable aux associations qui promeuvent le réemploi ?
Enfin, notre commission s'inquiète elle aussi des habilitations de convenance, par exemple dans le cadre de la LOM. Nous regrettons le retard pris dans la publication de la stratégie pour le fret ferroviaire, attendue au 1er janvier dernier.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Ce retard pris dans l'application de la LOM et de la loi AGEC est largement imputable à la crise sanitaire. Plusieurs décrets sont en cours de contreseing ou d'examen au Conseil d'État.
Nous devrions atteindre un taux d'application de la loi AGEC de 80 % d'ici fin juillet, et de 90 % pour la LOM, contre moins de 70 % aujourd'hui. La mobilisation des services sur la loi Climat ne freine nullement la publication des textes d'application.
L'interdiction de destruction des invendus non-alimentaires, prévue par l'article 35 de la loi AGEC, est une avancée majeure. Nous avons privilégié la souplesse : le décret prévoit des conditions minimales relatives aux conventions de don qui pourront être complétées par des engagements supplémentaires.
Sur les 57 habilitations de la LOM, seules trois d'entre elles n'ont pas donné lieu à ordonnance. Il n'y a donc aucun détournement de procédure.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - En dépit des vicissitudes de la covid-19, deux lois ont été adoptées dans notre champ de compétence. La première, créant le Centre national de la musique (CNM), est entièrement applicable, le décret en Conseil d'État requis ayant été publié deux semaines après sa promulgation. Cette célérité est à saluer, d'autant que le CNM a joué un rôle précieux pour soutenir la filière musicale ces derniers mois.
En revanche, trois mesures d'application de la loi relative à la modernisation de la distribution de la presse manquent à l'appel. Monsieur le ministre, quand seront-elles publiées ?
L'article 276 de la loi de finances pour 2019 prévoyait un rapport avant juin 2019 sur la réforme de la contribution à l'audiovisuel public dans la perspective de la disparition de la taxe d'habitation - il n'a jamais été remis. Alors que Mme Bachelot vient d'annoncer un nouveau groupe de travail sur le sujet, pouvez-vous nous dire quand ce rapport sera publié ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Le rapport sur la contribution à l'audiovisuel public n'a pas été jugé satisfaisant. Les ministres de la culture et des comptes publics ont annoncé l'installation d'un groupe de travail, qui associera des parlementaires, afin de proposer des pistes de réforme d'ici 2022. La crise sanitaire en a ralenti la mise en place, mais Mme Bachelot souhaite voir le dossier avancer. Il s'agit d'assurer un financement pérenne et affecté, sans pour autant créer de nouvel impôt.
Le décret en Conseil d'État désignant l'autorité compétente pour reconnaître le caractère d'information politique et générale des titres de presse a été publié le 2 mai 2021.
S'agissant du seuil de chiffre d'affaires des kiosques numériques, les projets de décret ont été notifiés à la Commission européenne en avril 2021. La fin du statu quo est donc prévue au mois de juillet 2021.
M. Vincent Éblé, vice-président de la commission des finances . - La commission des finances regrette que le taux de mise en oeuvre de la loi de finances pour 2020 soit en recul mais note que les mesures d'urgence votées dans les trois premières lois de finances rectificatives ont été rapidement appliquées.
Le 12 mai dernier, le président Raynal a interrogé Mme Landais. J'insisterai donc simplement sur trois points.
L'article 147 de la loi de finances pour 2020 qui transpose le paquet TVA sur le commerce électronique doit entrer en vigueur au 1er juillet. Notre commission, très impliquée sur le sujet de la fiscalité du numérique, avait souligné l'importance pour les opérateurs de pouvoir se préparer. Un décret et un arrêté ont finalement été publiés hier : dont acte.
Le crédit d'impôt pour dépenses de création audiovisuelle et cinématographique n'a toujours pas reçu le feu vert européen. La secrétaire générale du gouvernement n'a pas su nous dire si la fumée blanche allait sortir. Êtes-vous optimiste ? La loi a été promulguée le 30 juillet 2020, la pré-notification européenne a eu lieu en novembre, la notification en avril 2021 : n'est-ce pas trop long ?
Enfin, l'article 66 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 porte sur les engagements climatiques des entreprises à capitaux publics. Une récente table ronde sur la finance durable a montré l'acuité du sujet. L'arrêté nécessaire serait toujours au stade de la consultation. Ne devrait-il pas être pris au plus vite ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - La publication hier d'un décret et de trois arrêtés n'est peut-être pas sans lien avec notre débat de ce jour - et illustre la vertu du contrôle parlementaire !
Le crédit d'impôt sur la création audiovisuelle et cinématographique a été notifié à la Commission européenne le 9 novembre 2020, ce qui a permis d'échanger et d'obtenir une décision d'approbation le 17 mai : le décret devrait être rapidement publié. Ces délais sont plutôt resserrés, sachant que la Commission a eu, elle aussi, un programme de travail très chargé.
La disposition relative aux engagements climatiques des entreprises à capitaux publics soulevait certaines difficultés. Un point d'accord a toutefois été trouvé et le projet d'arrêté soumis aux parties prenantes. Les choses avancent.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois . - Notre commission a examiné 23 des 43 lois promulguées sur la période. Elle constate, hélas, qu'un quart des mesures d'applications prévues par ces textes n'ont pas été prises.
Faute de pouvoir sanctionner un gouvernement défaillant, la publicité du contrôle parlementaire est notre seule arme... Notons toutefois que le contexte était objectivement difficile, et que nos échanges avec la secrétaire générale du Gouvernement ont été constructifs.
Deux textes demeuraient entièrement inapplicables au 31 mars : la loi du 3 juillet 2020 créant le statut de citoyen sauveteur et la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique. Huit mois après leur promulgation, toujours aucun décret...
La commission regrette vivement que la loi du 30 juillet 2020 sur les violences conjugales n'ait toujours pas été rendue pleinement applicable.
Comment assurer un pilotage plus efficace des consultations préalable à la parution des mesures réglementaires ? Quels enseignements tirer de ces retards ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Les propositions de loi représentent 18 des 43 lois adoptées pendant la session. Votre travail approfondi avec le SGG a permis d'avancer sur certains points.
Sur le citoyen sauveteur, quatre mesures d'application restent à prendre ; le décret visant à former les arbitres aux gestes qui sauvent sera publié en juin, les autres sont en cours de rédaction.
Sur le démarchage téléphonique, un décret soumis pour consultation fait débat. Les positions des associations de consommateurs et des organisations professionnelles sont très éloignées. Des arbitrages ministériels sont attendus, je ne peux annoncer de date de publication à ce stade. Un second décret, examiné par la CNIL, sera soumis au Conseil d'État avant d'être publié en juillet 2021.
S'agissant de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violence conjugale, le décret sur le contrôle de l'accès aux sites pornographiques a été notifié à la Commission européenne le 2 avril dernier.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Notre suivi des résolutions européennes s'inscrit dans le contrôle plus général des suites données à nos travaux. Le Sénat français est parmi les dix assemblées les plus actives sur les trente-neuf que compte l'Union européenne. Son influence à Bruxelles est réelle. Nous avons adopté dix-sept résolutions européennes lors de la dernière session ; dans 83 % des cas, la position du Sénat a été prise en compte.
Nous observons un recours croissant aux ordonnances pour la transposition des directives. En juin 2019 le Règlement du Sénat avait déjà confirmé notre commission dans sa mission d'alerte sur les sur-transpositions. À l'initiative du président Larcher, le Sénat vient de modifier son Règlement pour permettre le suivi des ordonnances. Nous pourrons ainsi étendre notre champ de contrôle sur ces ordonnances, souvent ratifiées trop discrètement.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Le Gouvernement est attaché aux questions européennes et salue le travail des commissions des affaires européennes des deux assemblées, qui nourrit la réflexion du Gouvernement, tout particulièrement à l'approche de la présidence française de l'Union européenne.
Pour maintenir un taux de transposition élevé, le Gouvernement use des « Ddadue » - textes portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne - qui comportent des habilitations à légiférer par ordonnance sur des sujets souvent très techniques.
Le déficit de transposition de la France est de 0,3 %, inférieur à l'objectif de 0,9 %. Nous pouvons nous en féliciter.
Les rapports du Président de la République qui accompagnent les ordonnances au moment de leur publication mentionnent la base de l'habilitation et la référence de la directive transposée, ce qui renseignera utilement le Parlement.
Mme Nadège Havet . - Merci à la présidente Gruny pour son travail sur le bilan d'application des lois. Ce débat fait suite à l'adoption, hier, d'une modification de notre Règlement, qui comprend une mesure utile et consensuelle en ce qui concerne le suivi des ordonnances. Quelle en sera la portée pour vous, monsieur le ministre ?
Le bilan souligne une banalisation de l'usage des ordonnances : c'est que la crise sanitaire a conduit le Gouvernement à prendre cent ordonnances cette année, soit le double de l'année précédente. Pour ces ordonnances-là, le délai moyen a été de 29 jours entre l'habilitation et la publication. Cette célérité peut expliquer le retard pris sur d'autres mesures.
Quel bilan le Gouvernement tire-t-il de cette période de crise ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Il n'appartient pas au Gouvernement de commenter l'évolution du Règlement de votre assemblée. Il se pliera à ce nouvel exercice qui permettra aux sénateurs de mieux contrôler l'application des lois.
Grâce aux cent ordonnances prises pour faire face à la crise sanitaire, les dispositifs de soutien ont été mis en place en un temps record. Je salue la mobilisation exceptionnelle de tous les agents publics, au niveau central et déconcentré. Ils ont permis à notre pays de faire face efficacement à la crise grâce à un usage adapté des ordonnances.
M. Jean-Yves Roux . - Le bilan de l'application des lois s'inscrit dans une tradition parlementaire. Ce pan de notre travail n'est sans doute pas suffisamment pris en compte, alors qu'il est au coeur des missions de contrôle et de responsabilité partagée du législateur. Le débat tombe à pic cette année, juste avant le projet de loi Déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification (4D), texte tentaculaire, qui pourrait ne pas être applicable rapidement.
Le temps laissé entre le dépôt en ligne du texte modifié par la commission et l'examen en séance nous impose parfois de travailler dans des conditions rocambolesques, aux dépens de la qualité. Nous devons améliorer cette procédure.
Le recours croissant aux ordonnances, s'il se comprend en cette période particulière, n'est pas une solution pérenne.
Comment mieux mobiliser l'outil des questions écrites au Gouvernement ? Il faut identifier plus rapidement celles touchant aux décrets d'application ou au caractère opérationnel de certaines dispositions votées. La balle est dans votre camp, pour faire évoluer le fonctionnement de ces questions.
Les rapports au Parlement et les expérimentations enrichissent les textes, mais comment sont-ils traités et comment les améliorer ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - La sortie de la crise sanitaire favorisera une meilleure organisation des travaux parlementaires. Les ordonnances ont été surutilisées dans ces circonstances particulières, il faut revenir à un usage plus modéré. Les rapports sont un outil d'information des parlementaires, à vous de vous en saisir.
Les questions écrites constituent un instrument de contrôle intéressant, mais plus de 60 000 ont été déposées depuis le début du quinquennat, ce qui crée d'évidentes contraintes pour la réponse : il ne faut pas en faire un indicateur de suivi ! Outil de contrôle, certes, mais le bilan de l'application des lois me semble à cet égard plus adapté.
Quant aux expérimentations, elles sont parfois intéressantes. Le Sénat est toujours libre d'en proposer, notamment sur les collectivités territoriales. Après le bilan, la généralisation suppose toujours une nouvelle loi : là encore, aux parlementaires de s'en saisir.
Mme Cécile Cukierman . - Ces jours-ci, avec la réforme du Règlement, la suppression de lois obsolètes, le bilan de l'application des lois, nous réfléchissons à l'élaboration de la loi. Mais finalement, de quelle loi s'agit-il ? Les ordonnances se multiplient, les ratifications se raréfient : le pouvoir exécutif empiète de plus en plus sur le travail législatif. Il faut veiller à l'équilibre des pouvoirs !
Sur 92 ordonnances liées à la crise sanitaire, aucune n'a été ratifiée par le Parlement. Selon la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020, passé le délai d'habilitation, elles ont force de loi. Laisser traîner deviendrait-il un moyen de légiférer ? Que pense le Gouvernement de la décision du Conseil constitutionnel ?
Il ne faudrait pas non plus donner le sentiment que la démocratie serait une question de ratio horaire, que le temps long du débat législatif serait une perte d'efficacité.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Loin de moi l'idée de rationaliser le temps parlementaire. Si, depuis 2007, la moyenne est à 42 ordonnances par an hors crise sanitaire, la « banalisation » des ordonnances n'en demeure pas moins un fait. Jean-Marc Sauvet le soulignait dès 2014 : « L'inflation législative a trouvé dans sa législation déléguée un exutoire durable d'abord pour répondre à l'urgence de certaines réformes ou pour décharger le Parlement de l'adoption de textes techniques, ensuite pour investir très largement le domaine devenu très extensif de la loi. »
Ce phénomène a plusieurs causes. Le Gouvernement s'engage généralement, au moment de la demande d'habilitation pour des sujets d'intérêt pour le Parlement, à inscrire à l'ordre du jour un projet de loi de ratification. Nous l'avons fait par exemple sur le premier projet de loi d'habilitation en matière de dialogue social, ou plus récemment sur celui relatif à la justice pénale des mineurs.
Le Parlement peut aussi inscrire ces demandes de ratification sur son ordre du jour, conformément à l'article 48 de la Constitution, mais il le fait rarement. Le Gouvernement n'est pas favorable à une inscription systématique à l'ordre du jour prioritaire, quand il n'y a pas de volonté politique de modifier la teneur de l'ordonnance.
Je rappelle aussi que le Sénat a écarté de lui-même l'option d'un débat en séance publique pour la moitié des ratifications sous ce quinquennat. Ainsi, l'article 71 de la loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) prévoyait 23 habilitations ; il a été examiné en procédure de législation en commission à la demande de la commission spéciale.
Quand le délai d'habilitation pour prendre l'ordonnance est expiré, la contestation de l'ordonnance au regard des droits et libertés garantis par la Constitution prend la forme d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) - c'est le sens de la décision du Conseil constitutionnel. En revanche, le Conseil d'État contrôlera toujours la conformité de l'ordonnance aux principes de valeur constitutionnelle et aux engagements internationaux. Le Parlement conserve l'entièreté de ses pouvoirs pour ratifier l'ordonnance ou pour la modifier
M. Dany Wattebled . - L'exercice auquel nous nous prêtons est austère mais utile. Il donne toute sa force à la séparation des pouvoirs et à la crédibilité de l'action publique. Le recours à la procédure accélérée devient trop fréquent : l'exception est désormais la règle. En 2020, sur les 23 lois promulguées examinées au fond par la commission des lois, 17 ont été adoptées après un engagement de cette procédure accélérée. Les délais restreints affectent la qualité des débats et de la loi elle-même.
Trop de rapports au Parlement ne sont pas remis ou le sont avec retard : ainsi, seuls quatre rapports sur les sept demandés dans ces 23 lois ont été transmis au Parlement, soit 57 %.
Comment comptez-vous remédier à ces dysfonctionnements ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - La tendance au recours croissant à la procédure accélérée est antérieure à ce quinquennat. Elle est notamment liée à la réforme constitutionnelle de 2008 : un texte déposé depuis moins de six semaines ne peut être inscrit à l'ordre du jour.
Depuis 2017, le Gouvernement s'efforce de ménager des conditions d'examen raisonnables, même en procédure accélérée. Ainsi, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (EGalim), la loi Pacte et la loi d'orientation des mobilités (LOM) ont été examinées en procédure accélérée, mais avec des délais supérieurs à la procédure de droit commun.
Les rapports au Parlement sont effectivement remis avec des retards. Je salue l'effort du Parlement pour en demander moins. Le Gouvernement doit s'astreindre à les remettre en temps et en heure.
M. Guillaume Gontard . - Le code de l'environnement est mal appliqué par les préfets. Ainsi, en Isère, l'extension d'une zone industrielle de 221 hectares en bordure de Rhône a reçu un avis défavorable des commissaires enquêteurs en raison de mesures de compensation insuffisantes au regard des atteintes à l'environnement. Pourtant, le préfet n'a pas refusé l'autorisation.
Selon l'article L. 163-1, les mesures de compensation doivent se traduire par une obligation de résultat. L'insuffisante communication de documents relevant de l'environnement nous a valu une mise en demeure de la Commission européenne. Un an plus tard, une circulaire a enfin été transmise aux préfets. Comment expliquer que les préfets outrepassent la loi ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Vous laissez entendre que les préfets ne joueraient pas leur rôle de garants de l'application de la loi dans les territoires, et que le Gouvernement leur donnerait des instructions pour que la loi ne soit pas respectée. C'est évidemment faux. Les préfets, ces très grands serviteurs de l'État, ont, en relation avec les élus, contribué à maintenir notre pays debout face à la crise.
J'ai du mal à faire le lien entre votre question et l'application des lois. C'est au juge administratif de faire les contrôles nécessaires au plan local, par le biais du contrôle de légalité. Selon l'article 20 de la Constitution, l'administration est à la disposition du Gouvernement.
M. François Bonneau . - L'excès de normes dévalue la norme. Selon le rapport public du Conseil d'État de 1991, les textes d'affichage et le droit mou aggravent cette tendance.
Les textes sur l'environnement pâtissent particulièrement de cette nonchalance des autorités. La loi sur l'économie bleue, celle sur la reconquête de la biodiversité, la loi Montagne, datant toutes de 2016, restent en partie inappliquées. Pour la loi Montagne, cela représente 25 % des dispositions.
Le récent projet de loi constitutionnel sur l'environnement énonce une énième formule incantatoire, probablement sans effet juridique. Le Gouvernement n'entend pas prendre le contrepied de la tendance malheureuse à transformer la loi en instrument de communication. Les projets de loi cosmétiques nuisent gravement à la lisibilité du droit et à l'autorité de la loi.
Anticipons un peu : quelles garanties pouvons-nous avoir sur la mise en oeuvre effective du tentaculaire projet de loi Climat ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Votre question porte sur le sens de la loi. Celle-ci n'est pas un instrument d'affichage ; elle doit produire des effets.
Plus de 4 000 amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale sur la loi Climat - ce n'est pas le fait du Gouvernement ! Et de nombreux autres seront déposés par les sénateurs. Sur des sujets complexes, il faut parfois des dispositions nombreuses.
Le Gouvernement, de son côté, doit prendre des mesures d'application concrètes. Le taux d'application des lois est la meilleure preuve de leur utilité. Après avoir été en recul l'année dernière, il a fortement augmenté pour atteindre 80 %. Cet été, il sera de 88 % : je salue la gestion des stocks de textes par l'administration.
M. Jérôme Durain . - La copie du Gouvernement est plutôt bonne, celle des parlementaires aussi. Ce rapport sans vitriol en témoigne !
L'obstruction parlementaire existe-t-elle ? On accuse le Parlement de ne pas être assez moderne, d'être trop lent, mais la lecture de ce rapport prouve que nous savons légiférer vite.
Quel est l'avenir des ordonnances ? Tels sujets seraient trop techniques pour le Parlement et nécessiteraient une ordonnance. Mais certaines habilitations ne sont pas utilisées ; et certaines ordonnances sont mal ficelées. Notre collègue Jean-Pierre Sueur s'inquiète d'une ratification facultative. Le Président du Sénat suggère des propositions de loi de ratification. Quelle doctrine d'utilisation des ordonnances préconisez-vous ?
Enfin, les statistiques ne seraient pas si bonnes si le Conseil constitutionnel ne nettoyait pas les textes en les censurant... Je pense à la proposition de loi Retailleau sur les casseurs, à la proposition de loi Avia, à la proposition de loi Sécurité globale.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Il ne m'appartient pas d'aborder la révision du Règlement du Sénat. Je connais la capacité du Parlement à aller vite quand cela est nécessaire ; jamais le Gouvernement n'a dit le contraire durant la crise sanitaire.
Le Conseil constitutionnel censure des dispositions d'initiative gouvernementale mais aussi parlementaire ; c'est l'exercice normal de ses prérogatives.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - L'application des lois est un gage d'efficacité. La loi du 22 juillet 2019 créant l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) n'est pas appliquée pour 25 % de ses dispositions.
La convention pour la reprise des missions de l'Agence du numérique prévue à l'article 2, ainsi que les conventions avec les cinq opérateurs partenaires prévoyant les conditions de leur participation financière, mentionnées à l'article 7, n'ont pas encore été transmises au Parlement. À l'article 11, un décret manque pour déterminer les catégories de personnes pouvant entrer dans la réserve citoyenne. Selon la DGCL, il est en cours de rédaction... depuis un an.
Le succès de l'ANCT dépendra de sa capacité à répondre efficacement aux besoins des élus, de l'apport d'ingénierie qu'elle leur fournira, du dialogue qui se nouera dans le cadre des comités locaux et de la coordination avec les partenaires de l'agence.
Il faut une application rigoureuse pour conserver la confiance des territoires.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Je connais votre attachement à l'ANCT ; vous êtes membre de son conseil d'administration. La convention sur l'Agence du numérique est en cours de rédaction et sera présentée en juin au conseil d'administration, puis rapidement publiée. Afin de suivre les recommandations de la Cour des comptes, les conventions avec les opérateurs partenaires seront bientôt contresignées par le ministre de la cohésion des territoires et les parties prenantes, avant d'être transmises au Parlement par l'ANCT.
Les travaux sur la réserve citoyenne sont en cours. Ils devraient aboutir à l'été 2021.
Il ne faut pas décevoir les attentes fortes des élus à l'égard de l'ANCT, notamment en matière d'ingénierie.
M. le président. - Merci à chacun pour sa contribution à ce débat important pour la vie parlementaire.
La loi, nous ne la faisons pas pour nous, nous ne sommes pas occupés à nous entre-regarder. Nous la faisons pour les Français, dans une définition concrète de l'État de droit dans une démocratie.
Des lois, nous en faisons trop, de plus en plus, parfois de manière impulsive, pour répondre le mercredi à un événement du samedi...
Mais grâce à cet exercice de contrôle, nous nous interrogeons sur l'utilité de la loi. Il ne s'agit pas un doute existentiel. Simplement, nous devons éviter la banalisation de la loi, qui affaiblit l'État de droit.
Ma responsabilité de Président du Sénat porte également sur la question des ordonnances. La ratification est nécessaire. Comment admettre qu'on ne ratifiera jamais les ordonnances et continuer à voter des habilitations !
J'attends de savoir ce que dira le Conseil constitutionnel sur la résolution que nous avons adoptée. C'est un point important : nous devons cesser de croire que l'État de droit se mesure à la quantité des normes.
Monsieur le ministre, merci de vous être livré à un exercice difficile, parfois acrobatique !
Je rappelle que la législation en commission n'est pas une législation au rabais. Elle n'a rien d'automatique mais elle est parfois la plus adaptée, et la séance publique peut prendre le relais en cas de désaccord.
Je tiens fortement à ce débat, car une des missions du Sénat est de contrôler. Nous poursuivons ce travail essentiel en commission, dans nos missions d'informations et dans nos missions de contrôle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. André Gattolin applaudit également.)
La séance est suspendue pour quelques instants.
présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président
Pacte vert européen
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le Pacte vert européen.
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains . - Alors que notre assemblée entamera prochainement le long examen du projet de loi Climat, il a semblé important au groupe Les Républicains de débattre en amont du cadre européen.
Le projet de Pacte vert a été présenté en décembre 2019 par la Commission européenne pour atteindre la neutralité carbone en 2050, reconquérir la biodiversité et mettre un terme à la dégradation de l'environnement. Son fil rouge est de parvenir dans les trente prochaines années à une transformation complète du modèle de croissance de notre continent.
Cela implique des changements d'ampleur dans de nombreux domaines d'activité - énergie, industrie, construction, recherche, recyclage, agriculture.... Plusieurs dizaines de règlements et de directives seront modifiés dans les mois à venir.
Prochainement sera adopté le paquet « Ajustement à l'objectif 5 » pour réduire de 55 % les émissions carbone d'ici 2030.
Il faut mesurer la marche qui nous attend : entre 1990 et 2018, nous n'avons réduit nos émissions que de 23 %. Malgré les progrès techniques, l'effet sera considérable : en seulement huit ans, il nous faudra augmenter nos efforts de 40 % par rapport aux trente dernières années.
La Commission européenne mobilisera 1 000 milliards d'euros sur dix ans dans le cadre du plan d'investissement pour la transition écologique annoncé en janvier 2020 - soit l'équivalent du plan Juncker, qui prévoyait 500 milliards d'euros sur cinq ans.
En réalité, il faudrait 2 000 milliards d'euros pour tenir nos engagements. Et ce ne sont pas les 275 milliards affectés à la transition écologique dans le cadre du plan de relance européen qui suffiront...
Aussi, les États membres devront être mis à contribution : la France devrait engager 100 milliards d'euros selon l'Insee pour atteindre la neutralité climatique, contre 45 milliards d'euros dépensés en 2018.
Dès lors, il faudra mobiliser le secteur privé. La notion de développement durable repose sur trois piliers : soutenabilité écologique, efficacité économique et équité sociale. Sauf à voir l'édifice s'écrouler, on ne peut prétendre construire le premier pilier sans renforcer les deux autres.
Parmi les 1 000 milliards d'euros d'investissement, 100 milliards seront consacrés à la transition juste, pour l'équité entre les territoires. Les entreprises seront au coeur de cette transformation. Leur capacité à investir, à innover pour créer de nouveaux modes de production, à assumer de nouvelles contraintes, nous aidera à atteindre nos objectifs. Une politique industrielle volontariste est indispensable. Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) autorisent un soutien dérogatoire aux règles en matière d'aides d'État pour les filières industrielles innovantes, et peuvent être un instrument fort. La volonté de relocalisation doit être une boussole.
Il convient également de faire preuve de pragmatisme en reconnaissant le rôle majeur du nucléaire dans la décarbonation. C'est une énergie adaptée aux besoins et abordable. Ne pas l'intégrer dans la taxonomie sur la finance verte est une aberration.
Il faut faire preuve de pragmatisme commercial, avec des conditions de concurrence équitables et un mécanisme carbone aux frontières.
Les stratégies « Biodiversité » et « De la ferme à la table », conjuguées à la nouvelle architecture verte de la PAC, laissent entrevoir une baisse de la production en Europe. Faute d'étude d'impact européenne, le ministère américain de l'agriculture estime que notre production devrait chuter de 12 %. Cela doit nous interroger sur l'évaluation des conséquences de nos objectifs climatiques.
La transition annoncée exige des efforts gigantesques, mais elle s'enlisera si elle se borne à interdire et à taxer. Il faut en faire un levier de création d'emplois et de richesses, en mobilisant le génie européen pour concevoir les technologies bas carbone de demain. La créativité et le pragmatisme seront les maîtres-mots de nos succès. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et UC ; M. André Gattolin applaudit également.)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité . - Merci pour votre invitation à cet échange sur le Pacte vert européen, qui doit beaucoup à la volonté de la France d'accélérer la transition écologique en Europe.
Le Président de la République l'a exprimé dès 2017 dans son discours de la Sorbonne : « L'Europe doit être à l'avant-garde d'une transition écologique efficace et équitable. »
Présenté en décembre 2019, le Pacte vert reprend cette vision d'une transition juste. Il prévoit la neutralité carbone en 2050 tout en rendant durables toutes les politiques de l'Union, et conçoit l'action publique comme ne nuisant pas à l'environnement et au climat.
Il comprend de nombreuses propositions françaises comme la réforme du marché carbone européen, la création d'un mécanisme carbone aux frontières et un fonds pour accompagner les territoires les plus fragiles.
Français, nous avons une responsabilité particulière dans son application. Nous devrons y être vigilants et nous l'avons été lors de la crise sanitaire et de la négociation du plan de relance européen. Le risque était grand de voir ce pacte relégué au second rang, comme ce fut le cas en 2009.
Le Pacte vert met au coeur du budget 2021-2027 et du plan de relance les questions environnementales. 30 % des crédits y seront consacrés.
La Commission européenne a finalisé plusieurs stratégies d'application. Nous entamons maintenant la construction d'une Europe durable et neutre en carbone, avec un objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.
Le 14 juillet, 13 propositions législatives seront présentées pour appliquer concrètement les objectifs du Pacte vert. La présidence française de l'Union européenne en fera une priorité.
Avec la loi Climat et résilience et celle sur le gaspillage et l'économie circulaire, la France s'engage aussi à l'échelle nationale. Nous devrons porter et décliner ces dispositifs et faire avancer les propositions de la Convention citoyenne sur le climat, comme le verdissement de la fiscalité énergétique.
La finance verte et la politique commerciale jouent également un rôle important.
Les objectifs climatiques européens devront progresser sous la présidence française, grâce notamment à une meilleure tarification du carbone et à la création d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, novateur et ambitieux.
La décarbonation devra s'appliquer à tous les secteurs, notamment dans les domaines des transports - avec une réforme contraignante et des mesures incitatives pour l'accélération des véhicules à faible émission, le report modal et les carburants alternatifs - des énergies renouvelables, du bâtiment, de l'agriculture. Pour être systémique, cette politique doit aussi être juste. C'est l'esprit de la Convention citoyenne pour le climat comme du Pacte vert européen.
Lors de la présidence française, nous agirons notamment sur l'usage du plastique et le cycle de vie des produits, dans la lignée des mesures de la loi sur le gaspillage et l'économie circulaire. Notre défi, c'est de mobiliser nos partenaires sur ces sujets.
Les consommateurs doivent avoir les moyens de faire des choix éclairés.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Nous devrons aussi prendre des mesures sur les produits chimiques, et réfléchir sur les origines du coronavirus, notamment par le concept One Health. La biodiversité ne sera pas oubliée. Nous devons maintenir une cohérence entre les politiques française, européenne et notre engagement intellectuel.
M. Henri Cabanel . - Nous voulons une agriculture verte, mais à quel prix ? La négociation de la PAC n'a pas encore abouti.
Pourtant, le verdissement de l'agriculture est nécessaire et non négociable. Le projet européen « De la ferme à la table » le rappelle : il faut une agriculture sûre, nutritive, de qualité élevée, ce qui nécessite une feuille de route claire.
L'Union européenne assume des objectifs politiques forts pour lutter contre le changement climatique avec le Pacte vert. Restent cependant les questions écologiques pour nos agriculteurs : quid des éco-régimes, avec quels taux ? Si la négociation est rude, il faut rester optimiste.
L'attente sociétale est réelle et l'échelle européenne est la plus adaptée pour y répondre, notamment pour éviter toute concurrence déloyale entre États membres.
Cela entraînera toutefois de nouvelles démarches administratives pour les agriculteurs, avec des dossiers bien fastidieux à remplir, et de longs délais d'instruction. Une simplification est-elle envisagée ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Il faut effectivement veiller à éviter toute distorsion de concurrence. Avec les éco-régimes, Julien Denormandie a pris l'engagement de sécuriser nos agriculteurs. La PAC doit être un outil d'accompagnement : nous défendrons la simplification et avons obtenu l'inscription du droit à l'erreur dans la PAC.
Le même souci nous occupe au niveau national concernant la mise en oeuvre d'un éco-régime unique. Nous serons très vigilants dans les futures négociations.
M. Pierre Laurent . - Avec le Pacte vert, l'Union européenne prend des engagements forts, même si le GIEC nous alerte sur le retard pris.
Cela nécessite des financements. La Banque centrale européenne (BCE) et les banques ont un rôle majeur à jouer. Pourtant, selon Oxfam et Les Amis de la Terre, elles financent largement les énergies fossiles : BNP-Paribas, Société générale, Crédit agricole et Banque populaire financent à hauteur de 100 milliards de dollars des entreprises développant des énergies fossiles. Ces établissements sont tellement exposés aux entreprises du secteur des énergies fossiles qu'ils n'ont aucun intérêt à réorienter leurs engagements. Que comptez-vous faire pour les inciter à revoir leurs critères de financement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La taxonomie ne donne pas d'orientation forte mais un cadre. J'entends les interrogations et je vois que les banques veulent verdir leur action. Avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l'Agence française de développement (AFD), la France mobilise aussi des financements. Elle a une exigence de reporting renforcée.
Les clients des banques sont aussi en recherche de financements d'actions vertes. La Banque européenne d'investissement (BEI), transformée en banque du climat, travaille à cet effet sur la création d'un label pour rassurer les consommateurs.
M. Pierre Laurent. - Vous me parlez d'intentions, pas de faits. La BCE a réalisé 1 700 milliards d'euros de rachats d'actifs. À quoi servent-ils ? Elle financerait 62 projets gaziers !
Selon le gouverneur de la Banque de France, il faudra trois à cinq ans pour intégrer la variable climatique, or c'est maintenant que tout se joue. Si l'on ne fait rien, le Pacte vert restera aussi vert qu'une mine de charbon !
Mme Denise Saint-Pé . - L'objectif du Pacte vert est ambitieux ; il dessine un cap, celui de la neutralité carbone à 2050, et une trajectoire.
Il prévoit des outils comme la taxonomie verte pour distinguer les activités économiques durables. Mais il exclut l'énergie nucléaire, pourtant décarbonée, non intermittente, pilotable, source de nombreux emplois qualifiés et non-délocalisables ! En juin 2020, le Parlement européen a voté un règlement laissant la porte ouverte à une réintégration du nucléaire et la Commission elle-même envisage de corriger cette situation par le biais d'un acte délégué avant la fin 2021.
Le Président de la République et plusieurs dirigeants européens ont écrit en mars 2021 à la Commission européenne pour défendre le nucléaire : je tiens à saluer cette initiative. Les discussions ont-elles progressé depuis ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La taxonomie est la clé de voûte du plan d'action de la Commission. Il s'agit d'identifier la part verte des activités et d'éviter l'éco-blanchiment. La France a participé activement à sa construction ; elle devrait être opérationnelle fin 2022.
Le nucléaire fera l'objet d'un acte délégué complémentaire. Plusieurs États membres, notamment en Europe de l'Est, comptent dessus pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.
La Commission européenne a mandaté plusieurs groupes d'experts afin d'évaluer les impacts environnementaux, de façon dépassionnée. Le premier rapport est plutôt favorable au nucléaire. La France sera vigilante à l'aboutissement rapide de ce processus, sur la base de critères incontestables.
M. Jean-Yves Leconte . - L'objectif européen de neutralité carbone en 2050 est très ambitieux. La baisse des émissions est en trompe-l'oeil car elle ne tient pas compte de nos importations extra-européennes, très émettrices. La baisse doit être globale !
C'est un défi scientifique et il faut faire attention aux effets pervers. Les puits de carbone que sont les forêts, mis en avant par les États, doivent être finement évalués, car ils sont très variables. Les activités économiques sont aussi à évaluer.
Il est indispensable que la taxonomie soit révisée en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques. Comment intégrer l'évaluation continue des outils, non seulement dans l'Union européenne mais aussi dans la négociation de nos accords commerciaux ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Votre interrogation rejoint les travaux sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Cet outil fait consensus mais il faut continuer à l'expertiser avant de le mettre en conformité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Les puits de carbone sont recensés dans des inventaires très sérieux. L'ensemble des politiques européennes ont fait l'objet d'études d'impact détaillées. Les enjeux sont majeurs, notamment l'adaptation des forêts au changement climatique. Ces sujets sont examinés par le Centre commun de recherche qui assiste la Commission européenne.
M. Gérard Longuet . - Ma question a déjà été posée par Mme Saint-Pé et la réponse me convient. N'oublions pas que la France maîtrise parfaitement le traitement des déchets à durée de radioactivité très longue.
Le Pacte vert intègre-t-il la notion de densité de territoire ? D'un côté, les habitants des zones à faible densité entretiennent les puits de carbone, de l'autre, ils subissent des coûts de transport plus élevés que les autres.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Cette solidarité territoriale doit être envisagée au niveau communautaire. Nous avons déjà des dispositifs d'équilibrage. Je note toutefois ce critère de densité.
M. Gérard Longuet. - L'État a la responsabilité de la déclaration d'utilité publique du site de Cigéo : il faudrait qu'elle sorte avant la fin de l'année...
Mme Vanina Paoli-Gagin . - (M. Jean-Pierre Decool applaudit.) Depuis 2019, ce Pacte nous est dévoilé par des communications mais aussi des dispositions juridiquement contraignantes. Ses ambitions devront se concrétiser dans les territoires, ce qui ne se fera pas sans investissements massifs, correctement fléchés. Le montant du plan d'investissement pour une Europe durable est de 1 000 milliards d'euros sur dix ans. Tous les acteurs, publics et privés, nationaux et européens, devront y contribuer. Les régions les plus en retard bénéficieront d'un financement de rattrapage.
La réussite de ce Pacte vert est une question de calendrier et de ciblage. Nous devons faire de la crise sanitaire un accélérateur de transition ; il faut concentrer nos investissements autour ce sursaut vital. Les territoires connaissent leurs besoins, c'est pourquoi nous prônons approche ascendante, plateforme public-privé et circuits courts dans le déploiement des financements et l'accès aux fonds européens.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Ce Pacte vert nous a donné une nouvelle vision sur la stratégie de croissance de l'Union européenne et sur ses priorités. Pas moins de 30 % du nouveau budget européen et du plan de relance ira à la lutte contre le changement climatique.
En bénéficier a demandé une grande réactivité et je salue tous les opérateurs de l'État, préfectures, Dreal, etc, qui ont accompagné les projets, dans des délais très contraints.
Le plan France Relance sera financé à 40% par le plan de relance européen. Le Gouvernement est vigilant à ce qu'il soit compréhensible et accessible pour les bénéficiaires, dont les PME et les collectivités. Sa mise en oeuvre dans les territoires est le fruit de la méthode conclue en 2020 entre l'État et les régions, qui joueront un rôle majeur. Les comités des financeurs seront systématisés et des guides seront publiés.
M. Jacques Fernique . - Les transports ont un potentiel important. Rappelons qu'ils sont responsables d'un quart des émissions de l'Union européenne. Il faut articuler le cadrage européen et la volonté politique nationale, déterminante : notre pays est-il moteur ou frein ? Où en sommes-nous du transfert modal vers le rail, alors que 2021 est l'année européenne du rail ? Les discours sont bons, les mesures concrètes le sont moins.
Une TVA à 5,5 % sur le rail serait un bon signal. Où en sommes-nous des modifications tarifaires ? L'Union européenne est un paradis fiscal pour le kérosène, or une étude estime que la taxation de ce carburant conduirait à une baisse de 11% des émissions de gaz à effet de serre.
Où en est-on du Ciel unique européen et de la contribution pollueur-payeur sur le transport de marchandises ? J'espère que la France n'y fera pas obstacle, notamment lors du Conseil européen des ministres des transports de demain.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Ces préoccupations sont au coeur de la politique que nous menons avec Jean-Baptiste Djebbari. Nous avons ardemment travaillé sur le report modal dans la loi d'orientation des mobilités, et voyons aujourd'hui les premiers résultats. La Commission européenne travaille aussi sur les énergies renouvelables. Performance des véhicules légers, évolution du système européen d'échange de quotas, rénovation énergétique des bâtiments : toutes ces politiques concourent à notre objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le Gouvernement, qui a établi un document recensent les positions françaises, intensifiera son action, avec également la publication d'un paquet législatif sur le gaz.
M. Jacques Fernique. - Notre pays doit montrer sa volonté dans la loi Climat, qu'il est encore temps d'améliorer.
M. André Gattolin . - Certes, les investissements européens, tant dans le cadre financier pluriannuel que dans le plan de relance, sont importants, mais ils restent réduits au regard des ambitions affichées. Les politiques structurelles européennes fonctionnent souvent en silo, parfois en contradiction.
Les investissements dans la transformation numérique devraient rendre notre agriculture plus efficiente, grâce au smart farming - ou agriculture de précision - grâce auquel on peut réduire les intrants de 30 %, notamment dans la viticulture, ou limiter la consommation d'eau.
Dans l'alimentaire, les investissements dans les startups ont été de 3,7 milliards d'euros. Cela peut paraître beaucoup mais ce n'est pas encore suffisant. Qu'y a-t-il dans le Plan vert pour améliorer l'efficience écologique et économique de notre agriculture ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Je vous rejoins sur l'importance de décloisonner.
Nous disposons des outils, mais il faut les développer et les rendre accessibles à tous. Il ne s'agit pas de rompre avec les anciennes pratiques mais d'accompagner la transition.
Optimiser les apports en intrants est notre défi commun, pour également réduire la pénibilité et améliorer la chaîne de valeur. L'agriculture collaborative et circulaire est précieuse. Les liens se retissent entre les agriculteurs, grâce au partage de bonnes pratiques.
Le numérique doit cependant respecter la diversité des modes de production ainsi que notre souveraineté sur les données et leur sécurité. Les projets NumAgri ou Agdatahub, plateformes sécurisées d'échange de données agricoles, sont très intéressants à cet égard.
M. Jean-Michel Arnaud . - Nos collectivités territoriales, nos PME et TPE, ont parfois du mal à comprendre comment accéder aux aides européennes. Je pense notamment à deux entreprises des Hautes-Alpes, Acanthis, spécialisée dans les cosmétiques, et Beringer, dans les trains d'atterrissage de petits aéronefs, qui attendent des moyens financiers du Pacte vert. Comment, concrètement, pourront-elles y accéder ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Nous avons des contacts au quotidien avec tous les acteurs de la vie locale dans le cadre du plan de relance. De belles rencontres ont lieu et des entreprises bénéficient de ces aides.
Cette dynamique est pleinement à l'oeuvre et j'en remercie tous les acteurs.
M. Jean-Michel Arnaud. - Merci pour ces considérations générales. Mais le plan de relance n'a pas de traduction concrète. Il y a des blocages avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Les chefs d'entreprise ont des difficultés à obtenir des réponses précises. Je signalerai les cas d'espèces à votre cabinet.
Mme Gisèle Jourda . - Le 12 mai dernier, l'Union européenne adoptait le plan « Vers une pollution zéro dans l'air, l'eau et les sols ». Celui-ci ambitionne de parvenir, d'ici 2050, à un monde dans lequel la pollution est réduite à des niveaux inoffensifs pour la santé humaine et les écosystèmes naturels.
Le Parlement européen a adopté le 28 avril une résolution contre la pollution des sols. Plusieurs sénateurs ont déposé quant à eux une proposition de résolution européenne réclamant une nouvelle directive sur le sujet, après l'abandon, en 2014, de la directive de 2006. Un cadre politique global et cohérent au niveau européen s'impose.
Il faut une mobilisation nationale et supranationale pour élaborer un véritable droit de la protection des sols. La porterez-vous ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Je partage vos préoccupations. La biodiversité dépend aussi de la lutte contre la pollution des sols. Le plan Zéro pollution est ambitieux.
Nous devons renforcer notre action contre la pollution des sols, en étant objectifs. C'est pourquoi un groupement d'intérêt scientifique est référent sur le sujet. La pollution des sols requiert une approche transversale.
Nous avons adopté un objectif ambitieux de zéro artificialisation nette. Nous devons accompagner les territoires, selon une approche fine. Les moyens sont considérables. Le fonds friches a été doté de 350 millions d'euros supplémentaires. Le code minier sera révisé. Nous pourrons ainsi traiter le cas des sols pollués dans les zones urbaines.
Il est prudent d'attendre que le cadre européen soit stabilisé.
Mme Gisèle Jourda. - La pollution des sols post-activités minières ou industrielles ne doit pas être l'oubliée du Plan vert. Il nous faut une directive européenne.
M. Pierre Cuypers . - Quels moyens comptez-vous déployer pour couvrir les risques sanitaires dans le cadre de la prochaine PAC ? Vous annoncez 186 millions d'euros pour la gestion des risques, ce sera insuffisant pour accompagner les agriculteurs.
Les travaux issus du Varenne de l'eau seront cruciaux pour notre agriculture, pour notre Nation, face au changement climatique.
La gestion des risques sanitaires a été occultée dans vos travaux, notamment l'épisode de jaunisse de la betterave. Les indemnisations ont dû passer par les ministères. Les lignes budgétaires sont nettement insuffisantes. La filière betterave va-t-elle devenir un mendiant de la souveraineté alimentaire ? L'État doit prévoir un volet indemnitaire.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Vous avez assisté à l'ouverture du Varenne de l'eau, monsieur le sénateur : il se tiendra jusqu'en janvier et apportera beaucoup de réponses.
Le décloisonnement n'a de sens que dans l'accompagnement de nos agriculteurs, qui fotn face à des difficultés climatiques ou sanitaires.
Quand la filière betteravière a été en difficulté, nous avons agi avec pragmatisme, avec une progression réelle des budgets.
Nous devons apporter des réponses adaptées à chaque filière. Parfois, il doit être question d'adaptation et de politique commerciale plus protectrice.
M. Franck Montaugé . - Selon Mme Von Der Leyen, le Plan vert réduira les émissions tout en créant des emplois. M. Timmermans parle, lui, d'une transition verte « inclusive ». Quel est votre objectif de réduction du chômage de longue durée ?
En matière d'emploi et d'inclusion, quels sont votre méthode - s'il y en a une -, votre feuille de route, vos objectifs ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Une telle transition ne peut s'imaginer sans évolution des métiers ni formation.
Cela suppose des moyens. Les emplois verts représentent une opportunité pour certains de retrouver du sens dans leur vie professionnelle.
Au sommet social de Porto, le Président de la République défendra fermement la position de la France.
M. Franck Montaugé. - Je regrette que votre réponse ne contienne rien de précis. J'espère que le Gouvernement a bien une feuille de route. La France et ses filières ne doivent pas passer à côté du Pacte vert !
M. Cyril Pellevat . - Le Pacte vert est un tournant important dans la politique climatique européenne. L'Union européenne fait preuve d'une ambition sans précédent, mais les objectifs ne pourront être atteints sans réforme de l'agriculture, de l'énergie, des transports ou encore de la gestion et de la valorisation des déchets.
Seules 12 % des matières premières sont issues du recyclage. C'est insuffisant. Pour atteindre une réelle économie circulaire, il faut des incitations, des objectifs chiffrés, pour tous les produits.
Le nouveau règlement sur le transfert des déchets est contre-productif, puisqu'il conduit à une augmentation du stockage et de l'incinération. Les matières premières recyclées sont moins compétitives que les matières premières primaires, qui bénéficient d'un commerce libre. L'empreinte carbone n'est pas assez prise en compte.
Que compte faire le Gouvernement pour renforcer le marché européen des matières recyclées et mieux appliquer la directive cadre ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Je partage votre volonté d'aller vers une économie pleinement circulaire. C'est tout l'objet de la stratégie industrielle proposée en mai par la Commission, qui se mettra en place via des alliances, par exemple pour l'aviation zéro émission ou les batteries.
L'écologie circulaire est vertueuse et crée des emplois verts. Nous restons vigilants cependant sur l'ensemble du cycle de vie, par exemple pour les batteries.
La législation européenne doit encourager la réduction de l'utilisation des plastiques à usage unique, conformément au souhait de la Convention citoyenne pour le climat.
M. Guillaume Chevrollier . - Le Pacte vert est ambitieux. Le défi est immense. Il est urgent de retrouver un équilibre entre l'homme et la nature. Mais il faudrait appliquer à ceux qui exportent vers l'Europe les mêmes règles que nous nous imposons à nous-mêmes ! Le Pacte vert ne doit pas rendre les produits extra-européens plus attractifs. Les agriculteurs, qui aspirent à vivre dignement de leur métier, ne supporteraient pas des distorsions de concurrence supplémentaires.
La stratégie « de la ferme à la table » est bienvenue, mais le Sénat a déploré l'absence de quantification de ses effets. La Commission européenne aurait réalisé une étude qui prévoit une baisse de 10 % de la production de l'Union européenne, qui serait bloquée depuis six mois par le vice-président Timmermans, jusqu'à la fin de la négociation de la PAC. Est-ce exact ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La stratégie européenne doit nous préserver des distorsions de concurrence et garantir la qualité des produits. Cela passe par des plans stratégiques nationaux, qui marient différents enjeux. Au-delà des éco-régimes, ils comprendront d'autres volets comme l'appui aux territoires ruraux. La Commission propose de réviser la politique commerciale pour inclure dans les accords commerciaux la déforestation importée. Nous prenons nos responsabilités et serons très vigilants.
M. Guillaume Chevrollier. - Vous n'avez pas répondu à ma question sur la réduction de la production agricole de 10 %. Il nous faut créer de la valeur en Europe au service d'un développement durable pour que nos agriculteurs puissent vivre de leur travail.
M. Stéphane Piednoir . - Le Pacte vert peut légitimement susciter l'enthousiasme de quiconque se préoccupe de l'avenir du climat.
L'objectif est connu depuis des années : la neutralité carbone au niveau mondial d'ici à 2050. Parmi ces mesures, la réduction des émissions liées aux transports de 90 % par rapport à 1990.
Mais beaucoup reste à faire pour décliner cet objectif dans la pratique. L'Union européenne comporte peu de bornes pour voitures électriques, qui plus est très inégalement réparties. Pour trente millions de voitures à zéro émission en 2030, il faudrait trois millions de bornes, or le Pacte vert vise un million en 2025. Je déplore le décalage entre les objectifs et les moyens mis en oeuvre.
La France sera-t-elle moteur de l'éco-mobilité européenne ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Réduire de 90 % les émissions du secteur des transports, c'est énorme. Mais certaines trajectoires, dans le domaine automobile notamment, vont beaucoup plus vite que prévu.
La stratégie nationale bas carbone comporte plusieurs leviers : électrification des véhicules, passage aux carburants alternatifs décarbonés, performance énergétique des véhicules, maîtrise de la demande et renforcement de l'économie circulaire, report modal et travail sur le transport de voyageurs et de marchandises. La tarification du carbone doit envoyer un signal-prix clair.
La Commission présentera une grande partie de ses propositions législatives à la mi-juillet.
Enfin, en France, le déploiement des bornes se fait aussi en résidentiel.
Mme Béatrice Gosselin . - Le Pacte vert vise une transformation structurelle de l'économie européenne pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Ce cadre général englobe plusieurs stratégies pour répondre aux différents objectifs environnementaux - protection de la biodiversité, économie circulaire, lutte contre la pollution notamment.
Les premiers éléments du Pacte ont été dévoilés juste avant la crise sanitaire, qui a redéfini les priorités de l'Union européenne.
Ce Pacte doit être central dans la diplomatie climatique mondiale et implique une transformation totale de notre économie. Certains pays européens ont néanmoins allégé ou oublié leurs contraintes environnementales. Nous devons être à la hauteur du défi. La reprise économique doit être à la fois verte et solide.
La France, qui exercera la présidence du Conseil au premier semestre 2022, saura-t-elle guider notre continent vers une énergie propre ? Les entreprises et les collectivités territoriales seront des acteurs majeurs de la mise en oeuvre du Pacte vert. Comment améliorer le dialogue entre l'État et les acteurs locaux, pour que les territoires participent pleinement à cette transformation ?
Je conclurai par ces mots de Christine Lagarde : « La créativité et le pragmatisme de tous les acteurs seront les clés de la réussite de ce Pacte. »
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'ambition est forte et les enjeux incontournables. Oui, la pandémie a bouleversé le calendrier, mais il est d'autant plus urgent de construire un modèle soutenable et vivable.
Le Pacte vert a été maintenu comme priorité, au coeur du plan de relance européen, dont 30 % des crédits sont consacrés à la transition écologique. C'est le nouveau prisme de nos politiques.
Les régions sont des acteurs essentiels de la mise en oeuvre de ce plan. Je me félicite que l'État, l'administration et les collectivités territoriales aient su trouver les voies et moyens de mettre en oeuvre ce plan de relance.
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La lutte contre le changement climatique est non seulement une réalité mais une urgence. L'Union européenne, qui ne représente que 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, s'est dotée d'une feuille de route ambitieuse, assortie de moyens financiers sans précédent, même s'ils demeurent insuffisants.
Tous les pays ne viseront pas la même cible, mais tous devront accélérer leur transition écologique.
Pour mettre en oeuvre le Pacte vert, 87 textes seront nécessaires ; seuls 27 ont été présentés. Le chantier ne fait que commencer... Il accélérera avec la présentation par la Commission européenne en juillet du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » qui s'attaquera à de nombreux dossiers dont le système d'échange des quotas d'émissions, les carburants alternatifs, la taxation de l'énergie, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, les énergies renouvelables.
Le Conseil européen a renvoyé le dossier à l'automne, afin de prendre le temps d'en mesurer les conséquences. De fait, la tâche est immense, tant les transformations à mener sont colossales.
L'agriculture sera particulièrement concernée. Les estimations américaines tablent sur une baisse de 10 % de la production agricole à l'horizon 2030, l'Europe se refuse à publier les siennes.
Pour respecter l'accord de Paris, nous devons suivre une ligne de crête très étroite entre effondrement écologique et décroissance économique, qui aggraverait les fractures sociales et territoriales à l'oeuvre en Europe.
La solution miracle n'existe pas et l'équilibre devra s'opérer mesure par mesure. Soyons donc pragmatiques et efficaces dans cette phase de transition accélérée. Les réflexes idéologiques doivent céder la place à des politiques cohérentes et réalistes.
Le nucléaire est un atout clé pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Bien sûr, ce mouvement s'accompagnera de contraintes nouvelles. Mais une écologie exclusivement punitive se fracasserait contre le mur de l'acceptabilité - souvenons-nous des bonnets rouges et des gilets jaunes !
L'innovation doit être soutenue et développée à travers des investissements massifs dans les technologies bas carbone, de même que la constitution d'écosystèmes industriels, par exemple autour de l'hydrogène bas carbone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue à 19 h 55.
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Reprise et relance des activités culturelles
Mme le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la reprise et la relance des activités culturelles.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain . - Camus disait : « Sans la culture et la liberté relative qu'elle suppose, la société, même parfaite, n'est qu'une jungle. C'est pourquoi toute création authentique est un don à l'avenir ». Culture, liberté, création, avenir : quatre mots qui composent autant un programme pour la réouverture des lieux culturels qu'un récit existentiel et civilisationnel.
Depuis plus d'un an, à de rares exceptions près, nous avons vécu sans culture vivante. Certes, le numérique a apporté un ersatz culturel, mais il ne peut se substituer à ce qui fait l'essence de l'art vivant : le partage d'émotions et de réflexions aussi diverses que diffuses. Ce pouls-là nous a terriblement manqué.
Ainsi, à la gravité de la période que nous venons de traverser doit désormais répondre une forme non pas d'insoutenable légèreté de l'être, mais de douce légèreté commune.
Pour dynamiser la reprise des activités culturelles, il faut créer des conditions de réouverture propices. C'est pourquoi le groupe SER a souhaité ce débat.
L'impératif sanitaire ne doit pas être relégué au second plan. Mais preuve est faite que les lieux de culture ne sont pas associés à un sur-risque de contamination. Ils n'ont donc pas à subir des contraintes plus drastiques que d'autres lieux similaires. L'égalité de traitement économique et l'accessibilité réelle à la culture doivent être prises en compte.
Il est heureux que le pass sanitaire ait été davantage encadré par le Sénat, mais sa mise en oeuvre demeure compliquée et coûteuse. Les organisateurs d'événements auront besoin d'être accompagnés, car ils se jettent un peu dans le vide. Une garantie de l'État pour les redémarrages serait de nature à les rassurer. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?
Toutes les structures, les équipes, les artistes-auteurs ont été fragilisés. La commission de la culture a alerté sur les pertes considérables subies par les différents secteurs culturels. Le Gouvernement a agi, il faut le saluer. Des fonds ont été débloqués pour soutenir le secteur. Mais il faut aussi agir au plan qualitatif.
Je crains que la période délicate qui commence ne révèle les vertus mais aussi les fragilités de notre modèle culturel. Les équipes artistiques sont dans une situation préoccupante, alors que la sélection des projets sera plus sévère. Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) devront évaluer la situation.
Les artistes-auteurs ont peiné à faire valoir leurs droits, les établissements publics de coopération culturelle (EPCC) ont été exclus de certains dispositifs, les lieux intermédiaires et les associations culturelles n'ont pas été suffisamment aidés.
Le soutien à la culture ne doit pas s'arrêter pas du jour au lendemain. Une prolongation de l'année blanche pour les intermittents peut s'avérer nécessaire. Le volet sur l'emploi artistique devra être évalué et amplifié, surtout en faveur des jeunes artistes.
Les acteurs culturels sont partagés entre l'euphorie et les craintes. Pour eux, le juge de paix sera 2022, voire 2023. Une programmation pluriannuelle, sur le modèle de ce que nous avons fait pour la recherche, serait de nature à les rassurer. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?
La politique de stop and go a été désastreuse, d'autant que l'anticipation est un facteur inhérent à toute réalisation culturelle : les équipes sont épuisées.
Afin de préparer la rentrée, un plan de maintien des activités culturelles devra être élaboré avec les acteurs culturels et les collectivités. Il faudra anticiper les protocoles sanitaires. Je pense aux Trans Musicales à Rennes, cet hiver.
La prochaine loi de finances devra prévoir un plan d'investissement pour la ventilation et l'aération des établissements culturels.
Les collectivités territoriales ont un rôle central à jouer dans la relance culturelle. Les conseils des territoires pour la culture doivent jouer un rôle de coordination et d'impulsion pour une véritable territorialisation de l'action publique.
Enfin, les pratiques amateurs aussi reprennent ; les protocoles liés aux établissements recevant du public (ERP) doivent être précisés.
La culture n'est pas un privilège, elle nous est essentielle ! C'est sans doute la plus grande révélation de la période que nous venons de vivre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Les spectacles, concerts, cinémas, théâtres, galeries d'art ont rouvert le 19 mai. Avec l'amélioration de la situation sanitaire, nous renouons avec ce qui fait l'essence même de la culture - se réunir, se retrouver, échanger - mais cette réouverture doit se faire de manière prudente et progressive.
Les contraintes seront allégées progressivement d'ici juillet. Cette démarche de résilience a été bâtie par mon ministère depuis plusieurs mois avec les acteurs de la filière. La reprise s'annonce bien, avec une offre très diversifiée dans tous les secteurs.
Les cinémas, les musées, les expositions, les salles de spectacle font le plein ; le public est au rendez-vous. Les festivals ont aussi repris, comme les Nuits de Fourvière à Lyon hier soir. Grâce à la vaccination, de nombreux festivals pourront se tenir cet été, il faut s'en réjouir.
Beaucoup de questions demeurent, notamment sur les modalités pratiques. J'y répondrai dans le cours du débat.
Cette réouverture maîtrisée reposant sur des protocoles rigoureux a tout pour réussir. Je salue la mobilisation des personnels des lieux culturels et les en remercie.
Le Gouvernement a puissamment soutenu la culture dans cette période difficile, mobilisant 12,4 milliards d'euros au total, un chiffre inégalé dans le monde. Il faut y ajouter 1 milliard d'euros pour l'année blanche de l'intermittence. Le Gouvernement déploie depuis janvier 2 milliards d'euros au titre du plan de relance pour soutenir les filières et accompagner leur modernisation. Une enveloppe supplémentaire de 148 millions d'euros est également déployée pour soutenir les secteurs du cinéma et du spectacle vivant, particulièrement frappés par la crise sanitaire. À compter de juin, ces entreprises continueront à bénéficier du fonds de solidarité sous certaines conditions et de manière dégressive, au prorata de leurs pertes de chiffre d'affaires.
L'année blanche pour les intermittents a été prolongée de quatre mois, jusqu'à fin 2021, avec trois filets de sécurité dans la période qui suivra. Une indemnisation est garantie pour toute l'année 2022, soit seize mois de protection supplémentaire !
Plusieurs dispositifs visent à soutenir l'emploi artistique de proximité, avec 30 millions d'euros. Les jeunes artistes sont les premiers bénéficiaires de ces politiques de protection. Le seuil de primo-accession au régime de l'intermittence a été abaissé.
Cette réouverture est une réussite, mais elle n'est pas une fin en soi. Elle n'a de sens que si nous poursuivons notre politique d'accès à la culture. Depuis le 20 mai, la généralisation du pass Culture accorde à chaque jeune un crédit de 300 euros pendant 24 mois pour accéder davantage à la culture. Certains ici le contestent, mais l'engouement est incontestable depuis l'annonce de cette généralisation.
Cette reprise était très attendue ; nous travaillons d'arrache-pied pour qu'elle soit solide et pérenne. Les Français ont été au rendez-vous ; continuons à faire vivre la culture dans les mois à venir.
Mme Céline Brulin . - « Non essentiels » : voilà comment les acteurs de la culture ont été considérés des mois durant. La reprise actuelle est l'occasion de démontrer le contraire ! L'accès de tous à la culture dans la proximité doit être notre premier objectif. Il convient de soutenir les lieux à rayonnement régional mais aussi les artistes locaux. Tout doit être fait pour aller à la rencontre des publics les plus éloignés de la culture.
Alors que 85 % des compagnies conventionnées en Normandie n'y vivent pas, un nouvel acte de décentralisation de la culture vivante est nécessaire pour soutenir les acteurs de proximité.
Les intermittents bénéficieront d'une année blanche et des filets de sécurité, mais ce qui est donné d'une main est repris de l'autre avec la réforme de l'assurance chômage et les modifications des annexes 8 et 10 qui les privent du bénéfice de l'intermittence s'ils émargent au régime général...
Enfin, le lien avec les établissements scolaires doit être davantage financé - je pense à un projet d'orchestre à l'école dans la ville d'Eu, qui manque de subventions.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Je veux répondre à l'accusation récurrente selon laquelle nous n'aurions pas considéré la culture comme essentielle. Jamais nous n'avons dit cela ! Au demeurant, pour citer Pierre Reverdy, « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour », et nous les avons données : 12,4 milliards d'euros, contre 4 milliards en Italie, 2 milliards en Allemagne, 1,7 milliard de livres au Royaume-Uni et 800 millions d'euros en Espagne, pays qui a été tant vanté pour quelques salles ouvertes à Madrid...
Pour la France, la culture est essentielle ; elle l'a prouvé en soutenant massivement le secteur culturel.
La crise a montré l'importance des DRAC, au plus près des acteurs de terrain. Je mène une politique active de développement des Comités régionaux des professions du spectacle (Coreps).
Je reviendrai sur le sujet des intermittents à l'occasion d'autres questions. (Sourires)
Mme Annick Billon . - À partir du 9 juin, les grandes manifestations culturelles subiront une double peine : pass sanitaire et jauge réduite. La présentation du pass sanitaire sera exigée pour toute manifestation culturelle accueillant plus de mille personnes, et le maximum sera fixé à cinq mille spectateurs.
Qui dit pass sanitaire dit contrôles, donc effectifs et coûts supplémentaires ; qui dit jauge dit moins de spectateurs, donc moindres recettes. Cette spirale peut conduire à annuler ou à reporter certains festivals ou événements, par peur de perdre de l'argent. Je songe particulièrement au festival de Poupet en Vendée. Pourquoi demander le pass sanitaire aux spectateurs quand on ne l'exige pas des organisateurs, des techniciens et des bénévoles ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - La double peine, ce serait de ne pas protéger suffisamment les spectateurs. Plus les spectateurs sont nombreux, plus le risque de contamination est important. D'où notre démarche progressive et cohérente.
Le pass sanitaire ne peut être imposé aux agents, salariés ou bénévoles - c'est une question de droit du travail. Grâce à ce pass, l'agenda des ouvertures pourra être plus soutenu. Les conditions en seront très encadrées. Le pass sanitaire ne concernera que les événements de grande ampleur. Différentes modalités de présentation de la preuve garantiront l'accessibilité de tous au pass sanitaire.
Je complèterai mes propos à l'occasion des questions suivantes. (On s'amuse.)
Mme Annick Billon. - À Poupet, comment pourra-t-on réaliser autant de contrôles, alors que 30 000 billets ont été vendus ? Qui remboursera le festivalier qui ne pourra présenter un pass sanitaire, alors qu'il a payé son billet un an auparavant ? Il faudrait un fonds de compensation.
Mme Sabine Van Heghe . - Les organisateurs et intermittents qui font vivre les festivals sont inquiets. Comment s'adapter à la jauge de quatre mètres carré par festivalier ? Certains festivals ne savent pas s'il y aura une édition 2021, d'autres ont déjà renoncé, comme le Main Square Festival d'Arras, reporté à 2022. Le fonds de compensation billetterie ne résoudra pas tout, car c'est tout un écosystème qui souffre.
Le Gouvernement est optimiste, mais beaucoup d'intermittents s'inquiètent pour leur avenir, notamment à compter de janvier, à l'issue de la prolongation de l'année blanche. Une clause de revoyure est nécessaire, compte tenu de la persistance probable des difficultés.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Effectivement, ce n'est pas parce que les contraintes ont été levées que toutes les activités vont reprendre. Mon cher festival de Baugé, en Maine-et-Loire, ne reprendra pas car les nombreux artistes originaires de Grande-Bretagne ne pourront s'y rendre.
J'ai annoncé le 18 février un fond festival exceptionnel de 30 millions d'euros, dont 20 millions d'euros pour la musique, gérés par le CNM, et 10 millions pour les autres petites manifestations.
Nous aiderons aussi les festivals qui s'adaptent, comme les Vieilles Charrues, qui se tiendront cette année en mode assis. Cela induit une perte de de billetterie et des frais supplémentaires. Grâce à cette enveloppe supplémentaire de 38 millions d'euro, de nouvelles commissions vont être mises en place pour soutenir la reprise des représentations. Nous sommes aux côtés des structures.
Sur les intermittents, il y a quatre mois supplémentaires pour accompagner la phase de reprise mais aussi une protection spécifique en 2022, que je vous détaillerai.
M. Roger Karoutchi . - Je ne reviens pas sur les propositions de la mission d'information du Sénat sur la réouverture des lieux culturels ; nous vous avions auditionnée et nous sommes globalement sur la même ligne. Je ne suis pas souvent généreux à l'égard du Gouvernement, mais il est certain que la France a beaucoup plus aidé le secteur culturel que ses voisins. Nous vous le devons en grande partie, car vous avez obtenu des arbitrages budgétaires favorables, et je vous en remercie.
Je suis pour la jauge et le pass sanitaire, car qui accepterait une quatrième vague en septembre ?
Le monde du spectacle vivant craint que la dégressivité plus forte des aides ne leur permette pas de passer 2022. Comment pouvez-vous les rassurer ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Timeo Danaos et dona ferentes, pour les amateurs des pages roses du Larousse ou d'Astérix... (Sourires) Chacun ses références ! Merci beaucoup, monsieur le sénateur, pour vos propos.
Pourquoi les Français ont-ils accepté de voir le secteur culturel autant aidé, voire plus que d'autres ? C'est que les Français, même ceux qui ne vont pas au théâtre, y sont attachés.
Les dispositifs mis en place sont sous surveillance, des clauses de revoyure sont prévues. À la fin de l'été, nous nous retrouverons avec les représentants des professions du spectacle vivant. Tout au long de l'année, nous n'avons cessé de revoir les dispositifs. Ce n'est pas pour solde de tout compte !
M. Roger Karoutchi. - Je ne doute pas de vos convictions. Mais j'entends d'autres membres du Gouvernement remettre en cause le « quoi qu'il en coûte ». Les contraintes budgétaires deviendront bientôt extrêmement fortes. Or le spectacle vivant a besoin de l'État pour survivre.
M. Jean-Pierre Decool . - Après des mois de fermeture et une longue léthargie, les salles rouvrent timidement, pour le plus grand plaisir des artistes et du public, avec une jauge de 35 %.
Ces nouvelles règles impliquent de revoir la programmation. Certaines petites salles ne rouvriront pas avant l'automne. Le concert test du 29 mai est peu représentatif de la réalité locale... Certains acteurs de la vie culturelle peinent à trouver des financements. La réouverture des conservatoires inquiète les maires. Le chant choral à l'école, encouragé par le ministre de l'éducation nationale, a du mal à reprendre, car tant les bénévoles que les enfants ont été découragés par les confinements. Comment accompagner une reprise progressive mais pérenne de la culture, notamment dans les communes rurales ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - La décentralisation a mis du temps à se faire dans la culture. Mais nous avons vu pendant la crise que les crédits des collectivités territoriales pour la culture sont plus importants que ceux de l'État. J'ai toujours trouvé les collectivités territoriales à mes côtés ces derniers mois. En arrivant rue de Valois, je déclarais vouloir être la ministre des artistes et des territoires, car rien ne peut se faire sans ces derniers.
Certaines pratiques ont déjà repris dans les conservatoires comme la danse sans contact pour les mineurs et le chant lyrique individuel ; elles reprendront sans restriction à partir du 9 juin pour l'enseignement de la danse, et du 1er juillet pour toute la danse et le chant lyrique en pratique collective.
M. Thomas Dossus . - Les Français danseront-ils cet été ? La reprise des festivals est une bouffée d'air frais, comme lors de l'ouverture des Nuits de Fourvière hier à Lyon. Mais la musique ne s'écoute pas qu'assis.
À chaque déconfinement, c'est la même déception... De nombreux festivals ont dû renoncer à cause de la jauge de quatre mètres carrés par festivalier. Le monde de la culture électronique et des musiques actuelles a été patient et inventif - l'exemple des Vieilles charrues ou du festival Nuits sonores le montre.
Alors que les terrasses se remplissent, les musiques électroniques et actuelles pourraient se tourner vers la clandestinité, ce qui nous entraînerait vers un été de répression. Le gouvernement allemand a reconnu les clubs comme des lieux de culture : cela change tout pour eux. Ne les laissons pas entre les mains de Bercy et de Beauvau ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Ces clubs peuvent être des lieux de culture ou pas - tout dépend. Le fait est qu'ils ne relèvent pas du périmètre de mon ministère.
Le concert test de l'Accor-Arena pourra profiter aux discothèques. C'est une expérimentation scientifique menée par le Prodis et l'AP-HP, dont nous tirerons des enseignements précis. Attention cependant : ce n'est pas un modèle de fonctionnement d'un concert, mais une expérience sur des personnes humaines qui pourraient se retourner contre les autorités si elles estiment que leur protection était insuffisante.
M. Thomas Dossus. - J'attendais des précisions sur l'application concrète de la jauge de quatre mètres carrés par personne.
M. Julien Bargeton . - Aucun pays n'a autant aidé son secteur culturel. Vous avez annoncé la reprise de l'été culturel en 2021. Quel bilan tirez-vous de l'été culturel 2020 ? Quel montant y sera affecté ? Comment le rendre plus ouvert, plus inclusif, comme on dit, notamment pour prendre en compte les questions d'égalité entre les femmes et les hommes, et la valorisation des jeunes artistes ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Comment aider les jeunes, qu'ils soient artistes ou spectateurs ? Le bilan de l'été 2020 est extrêmement positif : dix mille manifestations, pour un million de participants, qui ont fait travailler huit mille artistes.
Les collectivités ont ainsi développé des partenariats avec des petites structures, dans des lieux très divers tels que des Ehpad ou dans des zones très rurales.
J'ai décidé de reconduire les 20 millions d'euros de crédits qui seront affectés par les DRAC au plus près des territoires, avec une insistance particulière sur les jeunes artistes sortant d'école, l'attractivité des territoires, l'articulation avec le pass Culture, le lien avec le sport dans la perspective des olympiades culturelles, l'égalité femmes-hommes et la diversité - un de mes mantras.
M. Bernard Fialaire . - Je reconnais ce qui a été fait pour la culture. Mais le patrimoine ne doit pas être une variable d'ajustement. Musées et monuments sont essentiels pour la relance en tant que vecteur d'émancipation des citoyens, levier de cohésion sociale et facteur de rayonnement national et d'attractivité des territoires.
Certains monuments historiques ont perdu 50 % de leur chiffre d'affaires en un an. Certes, le Loto du patrimoine et le plan de relance financent la rénovation du petit patrimoine et des cathédrales. Mais déjà avant la crise, les besoins de restauration étaient importants. Le manque d'ingénierie des petites communes et des propriétaires privés est un frein. Le temps presse pour aider les entreprises de restauration à survivre. Mais l'État ne peut pas tout, il faut des recettes touristiques pour surmonter la crise.
Comment comptez-vous, en pratique, limiter les files d'attente qu'entraîneront les jauges ? L'État ne pourrait-il pas aider la numérisation du secteur pour systématiser les billets horodatés ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Des sommes inédites sont mobilisées : 614 millions d'euros du plan de relance en plus des crédits du ministère, cela fait 1 milliard d'euros en tout pour le patrimoine ! Cette priorité sera affirmée au niveau européen dans le cadre de la présidence française de l'Union.
Des ponts existent entre le patrimoine et le spectacle vivant, entre le patrimoine et le tourisme. Le plan de relance consacre 30 millions d'euros à l'achat d'oeuvres de jeunes artistes. Bernard Blistène, qui pilote ce projet, propose que chaque oeuvre soit accueillie par un site patrimonial, bâti ou naturel, et travaille avec les Monuments nationaux et le Conservatoire du littoral. C'est ainsi que je conçois le patrimoine : des lieux vivants qui diffusent la culture. Nous continuerons à aider les monuments.
Mme Sonia de La Provôté . - L'éducation artistique et culturelle (EAC) est un pilier de la démocratisation de la culture. La crise sanitaire a entraîné des retards dans la mise en place du « 100 % EAC », tombé à 88 % en 2020, objectif ensuite réduit à 75 %. Le 100 % n'est prévu qu'en 2023.
Avec les confinements, les enfants ont été privés d'échanges, de visites, de rencontres. Cela a creusé les inégalités culturelles. Il faut y remédier, car l'accès à la culture, à la diversité culturelle, à des propositions différentes est une ouverture précieuse.
À l'heure où les activités reprennent, que ferez-vous pour les jeunes générations, qui seront plus que les autres marquées par les différences de capital culturel ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Les confinements, les difficultés du secteur culturel ont effectivement freiné le « 100 % EAC ». Nous sommes à 75 %, ce qui n'est pas si mal. Il ne faut pas baisser les bras, mais accélérer.
L'Institut national supérieur de l'éducation artistique et culturelle (Ineac) qui sera inauguré à Guingamp en septembre 2021 sous la direction d'Emmanuel Ethis, sera une instance de formation initiale et continue, de recherche et de diffusion des ressources. Il deviendra l'opérateur de référence en matière d'éducation artistique et culturelle.
Certains enseignants se sont démenés pour organiser cet EAC. Merci à eux, aux artistes qui sont venus souvent bénévolement dans les écoles.
Au musée d'Orsay, j'ai rencontré des enfants de quartiers prioritaires ; leur témoignage était éloquent. Nous travaillons sur l'EAC en parfaite collaboration avec le ministre de l'éducation nationale.
Mme Sonia de La Provôté. - Il faut déployer des moyens dans tous les territoires. Le pass étendu aux jeunes de 14 ans ne doit pas résumer toute l'action culturelle. Ce serait comme donner un portefeuille sans apprendre à s'en servir. C'est un outil, en aucun cas une éducation à la culture.
M. Lucien Stanzione . - La question de la couverture sociale des intermittents du spectacle n'est toujours pas résolue. Ceux qui ne font pas assez d'heures ne gagnent pas de droits, voire en perdent, et n'ont plus de couverture maladie ou maternité.
La sécurité sociale ne tient pas compte des annonces faites. Un décret va-t-il sécuriser juridiquement le dispositif ? Par ailleurs, certains professionnels à l'activité discontinue - créateurs, musiciens, techniciens, pigistes, qui sont autoentrepreneurs ou en libéral - ne rentrent pas dans le champ de l'intermittence : comment comptez-vous les protéger ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - J'espère vous voir lors du festival d'Avignon, si emblématique, et attendu par les aficionados. Les textes promis pour protéger les artistes sont en cours d'élaboration. Rassurez-vous, il n'y aura pas de retard. La mission d'André Gauron, commandée par Élisabeth Borne et moi-même, a procédé à une évaluation : 75 % des intermittents avaient recouvré leurs droits avant la reprise du 19 mai. Plus de 100 000 intermittents sur 120 000 ont recouvré leurs droits. Pour les autres, nous déployons des dispositifs adaptés, comme la clause de rattrapage, pour laquelle nous avons supprimé la condition de cinq années complètes comme intermittent. Ainsi, des jeunes n'ayant pas les 338 heures nécessaires ont pu avoir droit aux douze mois de couverture supplémentaire. Les intermittents seront protégés tout au long de 2022, nous y avons veillé.
M. Lucien Stanzione. - Vous n'avez pas répondu sur les personnes qui ne bénéficient pas du statut d'intermittent, souvent des autoentrepreneurs qui négocient en direct avec les collectivités locales. Il faut trouver une solution pour cette catégorie.
La séance est suspendue quelques instants.
M. Max Brisson . - Avec le confinement, la fermeture des salles de cinéma a entraîné une chute de 70 % des entrées et des recettes et une baisse de 30 % des investissements dans la production cinématographique. La fermeture des salles aurait pu provoquer une hécatombe. Le pire a été évité grâce à une aide de 400 millions d'euros, mais les plaies demeurent vives. Le financement fondé sur la solidarité entre des supports de diffusion qui ne cessent de se diversifier doit être préservé, de même que l'exploitation en salle - alors que les pressions sont fortes pour accélérer la diffusion sur les médias à la demande. La fenêtre d'exploitation en salle pourrait passer de 36 à 12 mois, voire, pour certaines chaînes, de 8 à 5 ou 6 mois...
Les Français retrouvent avec plaisir les salles de cinéma qui sont autant un fait social qu'un mode d'accès à la production cinématographique : sachons résister aux pressions. Allez-vous sanctuariser ces fenêtres d'exploitation en salle ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - C'est grâce aux aides constantes de l'État que nous conservons la troisième industrie cinématographique au monde, la seule en Europe, et un réseau de salles inégalé : 2 000 salles et 6 000 écrans.
Nous avons déployé 400 millions d'euros d'aides spécifiques ; avec les aides générales, c'est 1 milliard d'euros qui ont été consacrés au cinéma. J'ai aussi proposé 80 millions d'euros pour accompagner la reprise, dont 60 millions pour compenser la perte de recettes des salles due à la réduction des jauges ; 10 millions d'euros iront aux distributeurs, 10 millions d'euros aux producteurs.
Une négociation est ouverte avec le CNC sur un nouvel accord professionnel. Les discussions sont encadrées dans le temps par une disposition de l'ordonnance sur la fourniture de services de médias audiovisuels (SMA). En cas d'échec, le Gouvernement pourra adopter provisoirement une nouvelle chronologie autour de laquelle se sont cristallisées les réactions des différents diffuseurs. Le CNC proposera prochainement un projet d'accord qui servira de base à la seconde phase de la concertation, afin d'aboutir à un accord au 1er juillet.
Je serai intraitable sur la protection absolue de la fenêtre de quatre mois pour la diffusion en salle.
M. Max Brisson. - Je suis rassuré par les propos forts de la ministre. Notre maillage exceptionnel doit être préservé car il est un élément de l'exception française. Vous pouvez compter sur notre soutien pour protéger cette chronologie particulière.
Mme Marie-Pierre Monier . - Je parle au nom de David Assouline. Ça y est, la culture se déconfine. Beaucoup d'aides ont été versées par le ministère de la culture, mais il y a des lacunes, notamment pour les jeunes diplômés, coupés dans leur élan. Leur précarité risque de s'aggraver puisqu'ils ne sont pas encore intermittents et auront du mal à être engagés en raison du trop-plein de spectacle. Il faudrait une clause de revoyure sur toutes les aides à l'intermittence.
Le ministère a concentré son aide sur les structures qu'il subventionne habituellement, au détriment des établissements financés par les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération culturelle (EPCC).
Les répercussions de la crise sont très lourdes. Paris n'est pas épargné, or aucun dispositif n'est prévu pour ses établissements culturels. Les prochains plans concerneront-ils tous les établissements ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Nous sommes un État décentralisé. Les collectivités territoriales mobilisent des crédits plus importants que ceux de l'État. Que chacun se recentre sur ses responsabilités. L'État aussi a des difficultés budgétaires, après avoir fourni un effort massif ; il ne peut pas aider toutes les structures lancées par les acteurs locaux. Chacun doit trouver en lui les ressources nécessaires.
Une politique territorialisée suppose des responsabilités, l'État conservant un rôle éminent pour les têtes de réseau notamment.
Ce serait une politique de Gribouille que l'État aide les dizaines de milliers de structures locales.
Mme Else Joseph . - La culture, c'est la vie. Mais le brouillard persiste et la reprise se fait à un rythme modérée, après un an d'arrêt. Le secteur du spectacle musical et de variété est essentiel en termes d'emploi et de chiffre d'affaires ; sa fragilité peut entraîner un effet domino sur d'autres activités.
Il faut de la prévisibilité en matière de protocoles. Comment appliquer la règle de quatre mètres carrés par personne ? Quid des festivals de rue, de ceux qui fonctionnent grâce aux recettes de restauration ? Vous avez annoncé un fonds de 30 millions d'euros pour accompagner les festivals qui s'adaptent : c'est à la fois beaucoup et trop peu, pour des entreprises qui dépendent de la seule billetterie.
Les collectivités territoriales vont être sollicitées, mais elles n'ont guère de moyens. Comment sera organisé le fonds de compensation de billetterie ? Comment le pass Culture sera-t-il mis en oeuvre et associé à la reprise culturelle ? Comment s'orienter vers un nouveau modèle économique ? Ne peut-on bonifier le crédit d'impôt spectacle vivant ? Soyons ambitieux et audacieux !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Les festivals de musique, notamment de musiques actuelles, sont un élément majeur de structuration des territoires. Toute mon action vise à les préserver.
Le concert test à l'AccorHotels Arena a mis en lumière le défi sanitaire, avec une très grande proximité, des cris, de la transpiration, de la danse... La jauge de quatre mètres carrés ne signifie pas que chacun est dans un carré de deux mètres sur deux dans lequel nul ne peut pénétrer, mais que l'on divise la taille de la salle par quatre pour obtenir sa capacité d'accueil. Nous veillerons à lever toute ambiguïté.
J'ai d'ailleurs commencé par là les premiers états généraux des festivals. Je serai au Printemps de Bourges fin juin pour la deuxième édition et je vous invite à participer à la concertation.
Mme Else Joseph. - Merci. La jauge de quatre mètres carrés pose un vrai problème pour les festivals de rue. Les organisateurs ont besoin de visibilité.
Mme Anne Ventalon . - Les portes des lieux culturels s'ouvrent mais les professionnels s'interrogent : est-ce pour de bon ? La grande appétence pour la culture a été confirmée à la reprise des représentations.
Les aides fournies lors de cette traversée du désert culturel ont vocation à se tarir. Nombre de théâtres dépendent des communes, qui ont peu de visibilité sur leur propre avenir financier. Le spectacle vivant risque de subir le contrecoup de la détérioration des finances du bloc communal. Vous imaginez l'anxiété qui gagne les directeurs de théâtre...
Les théâtres de ville qui constateraient une baisse significative de leur dotation seraient-ils éligibles à l'aide de 148 millions d'euros ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Ces fonds sont des crédits d'urgence pour 2021.
L'appétence des Français pour le spectacle vivant est réelle, mais 55 % des Français n'ont jamais mis les pieds dans un lieu de spectacle vivant. Seuls 10 % des Français s'y rendent au moins dix fois par an.
Nous avons fait le pari de l'offre en tablant sur le ruissellement. Il faut une politique de la demande, qui aille au-devant du public. Ne nous aveuglons pas : ce n'est pas parce que les théâtres sont pleins que tout le monde va au théâtre.
Face à la pandémie, nous sommes dans l'incertitude. Je veux garantir la sécurité sanitaire, condition d'une reprise pérenne. Je serai vigilante sur le soutien à apporter aux salles les plus menacées.
Mme Laurence Muller-Bronn . - Depuis plus d'un an, les guides conférenciers sont sans travail. Ils espéraient une reprise le 19 mai mais les différentes restrictions empêchent le retour des visiteurs étrangers, notamment américains et asiatiques.
Cette profession, l'une des plus touchées, reste pourtant dans l'ombre. Ce métier, souvent exercé en free-lance ou en CDD courts, souffrait déjà d'un statut saisonnier et précaire. Il est pourtant précieux pour le rayonnement du patrimoine français.
Les 12 000 guides-conférenciers - dont 80 % de femmes - ne sont pas des petites mains du patrimoine : diplômés, polyglottes, ils sont essentiels à la vie culturelle du pays. Or ils n'ont pas bénéficié pas de la même protection que les intermittents du spectacle. Il est urgent que le ministère de la culture envisage une reconnaissance légale et protectrice de ce métier.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Les guides-conférenciers n'ont jamais été dans l'ombre, en ce qui concerne mon ministère ! Ils jouent un rôle de premier plan dans la valorisation du patrimoine et des territoires.
Avec l'effondrement de la fréquentation, ils se sont retrouvés en grande difficulté d'autant que certains mènent une activité « grise », au pourboire ; ne cotisant pas, ils ne sont pas protégés.
On peut espérer que les touristes français remplaceront les touristes étrangers, mais la situation reste difficile.
Les guides sont éligibles à des soutiens financiers. Mais il est aussi indispensable de réorganiser leur profession. Un groupe de travail interministériel a été mis en place avec les quatre organisations représentatives. Il travaille en particulier sur la sécurisation de la carte professionnelle et sur la création d'un registre numérique.
Nous oeuvrons à une meilleure reconnaissance de cette profession, face aux pratiques des tour-opérateurs. Depuis le 19 mai, les visites guidées ont repris sans limitation du nombre de participants. Les revendications ont été entendues.
Mme Laurence Garnier . - Depuis quinze jours, la culture reprend ses droits et tout le monde s'en réjouit. Ombre au tableau : l'occupation des lieux culturels. Si le théâtre de l'Odéon n'est plus occupé depuis quelques jours, le théâtre Graslin de Nantes l'est toujours. Être contraint de déprogrammer un spectacle à la réouverture, c'est un comble ! Ce n'est pas acceptable. Les Français doivent retrouver leurs théâtres et les artistes leur public.
Toutefois, ces occupations révèlent la dichotomie entre des structures soutenues et d'autres, très fragilisées, qui s'inquiètent de l'avenir. Comment combler ce fossé ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Au plus fort de la crise, une centaine de lieux ont été occupés, par mille personnes. C'est beaucoup et peu à la fois. Mais j'ai toujours considéré qu'elles avaient des choses à nous dire. J'ai donc été à l'Odéon dès le 7 mars.
Ces occupations étaient illégales mais légitimes pour se faire entendre. Il y a eu malheureusement des dérives ; quatre directeurs ont demandé le recours à la force publique. J'ai parié sur une décrue avec la reprise. À raison, puisqu'hier, il y avait 28 lieux occupés par 300 personnes - tous ne sont pas des intermittents. Je comprends que certains, qui se sont habitués aux assemblées générales et aux colloques, aient du mal à renoncer à une certaine convivialité... Maintenant, j'en appelle à la responsabilité. Les lieux ont rouvert, la protection des intermittents est garantie.
Mme Laurence Garnier. - Ce qui était audible avant la reprise l'est beaucoup moins après celle-ci. Les lieux culturels doivent rouvrir.
C'est toute la chaîne de solidarité qu'il faudra revoir entre acteurs de taille différente.
Mme Sylvie Robert . - Nous avons trop rarement de tels débats sur la culture. Ils sont toujours importants. Merci à toutes et à tous, en particulier à la ministre.
La diversité des questions posées et l'expertise des orateurs ont illustré la richesse du sujet. Notre mobilisation collective est réelle. Nous resterons vigilants. Il faudra revenir sur certaines dispositions à la rentrée.
Début juillet, nous aurons à examiner un projet de loi de finances rectificative. Nous verrons comment les aides y sont modulées. La future loi de finance sera une étape importante.
L'écosystème culturel est très fragile, il aura besoin de soutien. La crise peut être l'occasion de modifier certaines pratiques, en allant vers plus de solidarité, d'attention et de bienveillance.
Faisons de la démocratisation de la culture un objectif collectif concerté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST)
Prochaine séance demain, jeudi 3 juin 2021, à 9 h 30.
La séance est levée à 23 h 10.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 3 juin 2021
Séance publique
À 9 h 30
Présidence :
M. Pierre Laurent, vice-président Secrétaires : M. Joël Guerriau - Mme Marie Mercier
1. Trente-cinq questions orales
À 14 h 30
Présidence :
Mme Laurence Rossignol, vice-présidente M. Vincent Delahaye, vice-président
2. Explications de vote puis vote sur la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, présentée par M. Vincent Delahaye, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission, n° 627, 2020-2021)
3. Débat sur la régulation des Gafam (demande du groupe Les Républicains)
4. Débat sur le thème : « Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives » (demande du GEST)