Améliorer la lisibilité du droit
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit.
Explications de vote
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois . - Nous avons examiné cette proposition de loi en procédure de législation en commission (LEC) la semaine dernière : ce texte dit « Balai 2 » est l'aboutissement de la mission du même nom visant à abroger des lois obsolètes ou inutiles, pour satisfaire aux objectifs constitutionnels de clarté, intelligibilité et accessibilité de la loi, pour réduire le stock de normes et pour éviter les confusions.
En décembre 2019, une première loi Balai avait abrogé une cinquantaine de lois votées avant 1940. La présente proposition de loi en concernait au départ 163, votées entre 1941 et 1980. La commission des lois, pour garantir la sécurité juridique, a souhaité agir avec prudence : dans le doute sur les conséquences, nous avons préféré renoncer à abroger 49 des 163 lois visées, en accord avec l'auteur, Vincent Delahaye. Nous avons suivi l'avis du Conseil d'État.
Une abrogation accidentelle serait préjudiciable. Certaines lois sont encore utilisées ou pourraient servir de base légale - la disposition relative aux accidents en service de sapeurs-pompiers fonde encore le versement de 22 pensions à des pompiers, par exemple. D'autres modifient des lois toujours en vigueur. D'autres enfin font l'objet de renvois dans d'autres textes, et leur abrogation pouvait nuire à la clarté du droit. Nous nous sommes efforcés de recenser ces effets de ricochet.
D'autres motifs de refus d'abrogation sont plus ponctuels. Je pense aux lois symboliques : celle de 1948 sur l'accès des femmes aux professions d'auxiliaires de justice, celle de 1971 sur la liberté d'installation des médecins,...
Le Conseil d'État a souligné que le législateur n'était plus compétent pour certaines dispositions applicables outre-mer : il ne peut donc supprimer les lois correspondantes.
Je souligne la collaboration avec les services de l'État. Je remercie également Vincent Delahaye pour son engagement sur ce dossier. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Cohen applaudissent.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques . - Je salue à mon tour le travail réalisé sur ce texte par Vincent Delahaye, ainsi que par la rapporteure.
Ce texte dépasse les clivages. Nous poursuivons tous l'objectif de simplification de notre droit.
Après un premier texte pour la période 1870-1940, celui-ci balaie la période 1940-1980, en abrogeant environ 110 lois obsolètes.
Le Gouvernement y a apporté son soutien. L'inflation législative a rendu notre droit confus pour nos concitoyens. Elle résulte d'une tendance à vouloir toujours plus répondre aux problèmes de société par la norme. Avec ce texte, le Sénat participe à la qualité et à l'applicabilité du droit. J'y étais très attachée comme députée ; je continue à l'être comme ministre.
Le Gouvernement prend sa part au chantier de la simplification. Il a décidé en 2017 que chaque norme autonome produite s'accompagnerait de l'abrogation de deux existantes. Nous avons ainsi réduit le nombre de circulaires : jamais le nombre de pages de Légifrance n'a été aussi faible depuis 2004.
La loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) ou la loi d'accélération et simplification de l'action publique (ASAP) ont supprimé des comités Théodule et simplifié les démarches administratives dont la complexité peut être source d'injustice.
Nous devons passer d'une culture de production de la norme à une culture du résultat sur le terrain. Proximité, accessibilité, bienveillance : chaque agent doit y prendre sa part. Nous déconcentrons davantage de moyens et de pouvoirs de décision vers le terrain. Un site permet à chacun de connaître les résultats de l'action publique.
Nous accroissons les possibilités de différenciation du droit et d'expérimentation et renforçons la culture du service. Nous relançons fortement France Expérimentation : tout projet innovant pourra solliciter une dérogation afin que la loi d'hier ne bloque pas le progrès de demain.
Je salue l'esprit constructif et la méthode rigoureuse des travaux du Sénat. Nous avons travaillé en bonne intelligence. Dans un souci de sécurité financière, plusieurs abrogations ont été abandonnées par la commission des lois. Le Gouvernement est favorable à la proposition de loi dans sa rédaction actuelle. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
M. Vincent Delahaye . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Vous avez aimé Balai 1, vous allez adorer Balai 2 ! C'est ce que j'avais dit à mes nombreux collègues cosignataires. Je les remercie de leur soutien, en particulier Valérie Létard, et je salue le président Gérard Larcher qui avait inscrit ce chantier dans son programme de mandature.
Balai 1 a supprimé entre 40 et 50 textes ; Balai 2 en visait initialement plus de 160. Je remercie la commission des lois, le Gouvernement et le Conseil d'État pour le travail mené conjointement. J'ai eu l'honneur d'assister à une assemblée du Conseil d'État.
Le principe de prudence - cher à l'expert-comptable que je suis - conduit à supprimer quelques abrogations. Dans le doute, mieux vaut s'abstenir. Je citerai notamment le comité interprofessionnel du cassis de Dijon : il a été dissous en 2017, mais certaines de ses décisions s'appliquent encore.
Consensuelle, la proposition de loi s'inscrit dans une démarche de long terme. Nous aurons l'occasion de revenir sur les textes écartés par la commission des lois : nous approfondirons notre travail dans la perspective d'un Balai 3, qui portera sur les collectivités territoriales et les 400 000 normes qui leur sont applicables.
Comme candidat sénateur, je prônais, pour chaque nouvelle loi, d'en supprimer deux : cela serait un bon principe à appliquer par les administrations ministérielles, lorsqu'elles préparent les projets de loi.
Qui dit inflation, dit dévalorisation, avançait avec raison le Conseil d'État dès 1991. Quand la loi devient bavarde, les citoyens ne lui prêtent plus qu'une oreille distraite. Nul n'est censé ignorer la loi, mais les Français finissent par s'y perdre... (Applaudissements à droite et au centre ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Au 25 janvier 2019, 84 619 articles législatifs étaient en application, et 233 048 dispositions réglementaires... Dans ces conditions, comment ne pas ignorer la loi ?
Les productions législatives s'amoncellent depuis des années. Or les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, disait Montesquieu.
Face au nombre de fossiles juridiques, a été créée au Sénat la mission Balai, ou Bureau d'annulation des lois anciennes et inutiles - bravo aux auteurs de l'acronyme ! La mission travaille sous la houlette de nos collègues Vincent Delahaye et Valérie Létard.
Après Balai 1 en 2020, la présente proposition de loi poursuit l'abrogation de textes obsolètes comme celui concernant le passage au nouveau franc dans les DOM. La volonté d'épurer notre droit de ces fossiles a un intérêt évident, surtout lorsqu'ils sont en contradiction avec la législation en vigueur.
Cette proposition de loi n'est donc ni archéologique ni anecdotique. La commission des lois en a conforté la sécurité juridique. Le groupe SER la votera et remercie les auteurs et la rapporteure. Je salue mon collègue Hussein Bourgi qui s'est particulièrement investi dans ce chantier.
M. Dany Wattebled . - Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de la mission Balai créée par le Bureau du Sénat en janvier 2018. Elle proposait initialement l'abrogation de 163 lois datant de la période 1940-1980.
Nous déplorons tous l'inflation législative. Certes, parce qu'il y a le droit européen, parce que nous vivons dans une économie mondialisée, et parce que des innovations et des contraintes nouvelles apparaissent, des secteurs comme les transports, l'énergie, les télécommunications, le numérique ou la bioéthique nécessitent l'intervention du législateur. Il en va de même de l'environnement.
Parfois, la procédure législative semble relever davantage d'une réponse à l'actualité. Le professeur Carbonnier l'a dit : la loi est considérée, à tort, comme le remède universel à tous les problèmes. Le professeur Carcassonne, lui, déplorait que tout sujet traité au « 20 heures » ait un potentiel de loi. Une passion, une indignation, et le processus législatif s'amorce. Il faut beaucoup de courage à un Gouvernement pour ne pas répondre aux attentes de la société.
L'inflation est également réglementaire : un toilettage pourrait utilement être réalisé sur les plus de 233 000 articles règlementaires.
La complexité du droit pèse sur notre efficacité administrative et économique. Le groupe INDEP soutient fortement cette proposition de loi.
M. Guy Benarroche . - Nul n'est censé ignorer la loi, certes. Mais le nombre des normes et la frénésie du législateur empêchent quiconque de respecter cet adage. L'obsolescence programmée, en principe, ne touche pas les lois : encore faut-il qu'elles ne poursuivent pas un effet d'affichage, comme un objet de consommation l'effet de mode, passager.
La mission Balai a débouché sur ce deuxième train d'abrogations à la faveur d'un travail minutieux que je salue. La prudence et la retenue qui ont prévalu devraient nous guider aussi dans la production des normes... Ce nettoyage n'est pas seulement cosmétique : c'est une incitation à mieux appréhender notre rôle de législateur. De son côté, le Gouvernement doit continuer, voire amplifier son travail de codification, et s'appliquer son propre principe, édicté dans une circulaire de 2017 : deux normes supprimées pour une créée.
Hélas l'État a semblé de plus en plus kafkaïen tout au long de la crise sanitaire. Qu'est devenue la résolution de M. Dussopt, un volet de simplification dans tout nouveau projet de loi ?
Les maires, en particulier, ont du mal à naviguer dans les méandres des normes et des textes... Installer une aire de jeux pour les enfants n'a plus rien d'un jeu d'enfant ! (Sourires)
Au GEST, nous serons unanimes pour redonner tout leur sens, voire toute leur noblesse, aux lois utiles.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Cette initiative d'amélioration de la lisibilité du droit est bienvenue. De fait, les dispositions obsolètes nuisent à la clarté et à l'accessibilité de la loi. Le premier texte Balai a porté sur 49 lois de 1819 à 1940. Le second visait 163 lois dans sa version initiale.
La prudence de la rapporteure a conduit à renoncer à l'abrogation quand un doute subsistait. D'autant que la manoeuvre est de plus en plus délicate et le travail de plus en plus difficile au fur et à mesure que la mission progresse. Nous pourrions nous pencher désormais sur les normes jugées inconventionnelles ou contradictoires et sur les malfaçons législatives.
Cet élagage nécessaire relève de notre responsabilité de législateur. La règle dite du « 2 pour 1 » doit être confortée. Il faudrait aussi que chaque projet de loi comporte effectivement un titre relatif à la simplification, comme le Premier ministre l'a annoncé en 2018.
Le Sénat prend sa part de ce travail - colossal - de rationalisation. Le contrôle renforcé des irrecevabilités, à l'initiative de MM. Alain Richard et Roger Karoutchi, va dans le même sens.
Le RDPI votera ce second volet modifié.
M. Bernard Fialaire . - Bientôt, le Tour de France va s'élancer de Brest (M. Michel Canévet s'en réjouit) avec derrière lui une camionnette blanche redoutée des coureurs : la voiture-balai... Je me réjouis que le Parlement ait institué la sienne. Le travail législatif, comme le cyclisme, est un sport d'endurance.
Lancée en 2018, la mission dite balai a abouti à une première loi, rapportée par Nathalie Delattre. Ce deuxième texte est lui aussi le fruit d'un travail de fouille précis et patient, qui nous dit quelque chose de notre histoire et des faits marquants de notre société. Je pense à la loi de 1978 sur la maternité ou à la forclusion liée aux événements de mai 1968. Boulanger, infirmier, travailleur à domicile : on trouve aussi des mesures en faveur de professions qu'il faut soutenir aujourd'hui...
Je salue la prudence de la commission des lois, car la recherche de clarté ne doit pas être source d'imprévisibilité.
Ce texte participera à la lisibilité du droit. Mais il faudrait surtout ralentir le flux et reflux des réformes incessantes qui affectent en particulier l'administration locale. Les actes décentralisateurs finissent par jouer contre elle. Toute l'énergie mise à assimiler les nouvelles lois est retirée à l'action concrète sur le terrain. Endiguons cette tendance à l'inflation, contenons notre désir de loi !
Le RDSE votera unanimement ce texte.
Mme Éliane Assassi . - La démarche des lois Balai est vertueuse. Elle est amenée se poursuivre avec un troisième texte, concernant les collectivités territoriales. Je remercie Vincent Delahaye et Valérie Létard qui en sont à l'initiative.
Ce travail d'ampleur est marqué du sceau du Sénat : celui du sérieux et de la hauteur de vue.
Cette méta-loi est consensuelle. La chasse aux fossiles législatifs concourt aux objectifs constitutionnels de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.
Elle se prêtait à la procédure de LEC - vous savez ce que j'en pense par ailleurs... Les amendements prudents de la commission des lois n'appellent pas de commentaires.
Nous légiférons souvent dans des conditions difficiles, dans l'urgence, et cela empire. Dès lors, disons-le, nous travaillons parfois mal. La multiplication des censures constitutionnelles en est un signe. Le Sénat joue souvent le rôle de correcteur...
Les lois de circonstance, voire électoralistes, n'arrangent rien. Toutes ces lois sont-elles utiles à l'intérêt général ? Nous devrions nous poser la question à chaque fois.
Notre groupe votera ce texte.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Merci.
M. Yves Bouloux . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Cette proposition de loi tend à améliorer la lisibilité du droit.
Elle est le fruit de la mission dite Balai, qui accomplit un travail remarquable de recensement des lois inappliquées ou obsolètes. C'est un travail d'orfèvre qui ne laisse place à aucune erreur, car il faut veiller à la sécurité juridique.
Cette oeuvre de simplification doit être poursuivie pour réduire le stock de normes et prévenir les confusions.
Trop de lois rendent la société trop complexe. Il ne faudrait légiférer qu'en cas d'utilité avérée. Rien qu'en 2020, 47 lois ont été promulguées : seront-elles toutes utiles ?
Le projet de nouveau code pénal déposé par Robert Badinter en 1985 comptait 108 pages et 300 articles ; il comprend désormais 396 pages et plus de 1 000 articles ! Les Français sont-ils mieux protégés ? Assurément non. En revanche, la tâche des forces de l'ordre et de la justice s'est complexifiée...
Il ne faut pas légiférer à chaque fait divers, mais rechercher la qualité de la loi. L'exemple de la loi ELAN est éloquent : on est passé de 65 articles à 634, soit 569 articles issus d'amendements, parfois gouvernementaux, sans étude d'impact, et dont les décrets d'application, deux ans plus tard, n'ont toujours pas été pris.
Abroger des dispositions obsolètes, c'est important ; mais il faudrait surtout mieux légiférer ! Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
La proposition de loi est adoptée.
La séance est suspendue pour quelques instants.
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président