Engagement de la France au Sahel
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat sur cette déclaration, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à l'engagement de la France au Sahel.
M. Jean Castex, Premier ministre . - La semaine dernière, le Président de la République a annoncé, en lien avec nos partenaires européens et africains, les principes d'un engagement renouvelé au Sahel, en cohérence avec l'annonce, faite en juin dernier, de la réorganisation de notre dispositif et compte tenu de la dégradation des conditions politiques de notre présence au Mali.
Cette décision a été prise collégialement, dans un cadre partenarial préservé avec nos alliés africains et européens. Elle traduit notre détermination à poursuivre notre engagement, dans l'esprit de Takuba, contre le terrorisme islamiste dans la région.
Cette nouvelle donne nous conduit à renouveler et à adapter notre dispositif en accélérant les évolutions décidées ces deux dernières années, en particulier lors des sommets de Pau et de N'Djamena. Cette réarticulation de notre engagement m'amène à m'exprimer devant vous cet après-midi au titre de l'article 50-1 de la Constitution.
Depuis plus de neuf ans, l'action des gouvernements a été marquée par un souci de transparence maximale dans l'information des assemblées. J'en veux pour preuve Ia constance avec laquelle votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous l'impulsion du président Christian Cambon, a travaillé sur le sujet ; je salue la très grande qualité de ses travaux.
Ce débat est d'abord l'occasion de nous incliner de nouveau devant le sacrifice de nos cinquante-neuf soldats morts au Sahel. J'ai une pensée particulière pour eux et leurs familles, ainsi que leurs camarades blessés.
À nos militaires qui s'engagent avec courage pour la sécurité des peuples sahéliens, je tiens à dire notre grande fierté et notre total soutien.
Plus largement, l'action de la France au Sahel est l'oeuvre de beaucoup : diplomates, gendarmes et policiers, personnels du secteur privé. Nous n'oublions pas non plus nos journalistes assassinés à Kidal en novembre 2013, non plus que nos jeunes humanitaires lâchement abattus au Niger en août 2020.
J'ai également une pensée pour nos ressortissants, dont la sécurité est l'objet de toute notre attention.
Je réaffirme notre soutien et notre amitié aux populations sahéliennes, en première ligne face aux groupes terroristes et qui, déjà frappées par une extrême pauvreté, sont les premières victimes de l'insécurité.
Notre débat doit être empreint de dignité et de responsabilité, alors que fausses informations et manipulations prospèrent, nourrissant les fantasmes.
Depuis le premier jour, notre présence au Sahel répond à un objectif clair : lutter contre les groupes terroristes à la demande des pays de la région et contribuer à la protection des populations.
De ce point de vue, nous avons obtenu d'incontestables résultats.
En 2013, le Mali était au bord de l'effondrement, et son armée n'était que l'ombre d'elle-même. Le nord du pays était aux mains de groupes liés à Al-Qaida. Grâce à la courageuse décision du président Hollande de répondre à l'appel pressant des autorités maliennes et de la région, l'offensive djihadiste a été enrayée ; en quelques semaines, la progression des groupes terroristes a été arrêtée et les repaires djihadistes du nord du pays, démantelés.
Nous avons ainsi neutralisé l'installation d'un proto-État islamiste. La création d'un tel sanctuaire pour Ies groupes terroristes aurait constitué un péril mortel pour la région et pour notre sécurité.
Par la suite, notre présence militaire au SaheI, toujours dans un cadre multilatéral, nous a permis de remporter, jusqu'à une période récente, des succès significatifs. Les objectifs fixés à nos forces armées ont été pour l'essentiel atteints : nous n'avons laissé aucun répit aux groupes terroristes, éliminant en particulier plusieurs de leurs chefs internationaux, dont, en juin 2020, l'émir d'Al-Qaida au Maghreb islamique.
Au sommet de Pau, les chefs d'État se sont accordés pour concentrer leurs efforts contre la filiale de Daech au Sahel, l'État islamique au Grand Sahara, qui s'installait dans la zone dite des trois frontières. Ces efforts ont été couronnés de succès, puisque nous avons neutralisé les quatre plus hauts cadres de cette organisation, dont son fondateur.
L'action résolue menée contre les groupes terroristes les a forcés à revoir leurs ambitions, renonçant notamment à l'instauration d'un califat territorial. Cette action concourt à la protection de nos compatriotes sur notre sol, car nous avons empêché les groupes djihadistes de se constituer une base territoriale d'où ils auraient pu se projeter pour nous attaquer.
Ces victoires, nous ne les avons évidemment pas obtenues seuls. Elles sont le fruit de la volonté des États sahéliens de traiter ensemble les défis de la région dans le cadre du G5 Sahel, que nous soutenons.
Nous nous sommes aussi efforcés d'impliquer de manière croissante les autres États européens dans notre démarche. Nos partenaires ont pris conscience que la sécurité de l'Europe se jouait aussi dans cette région. Notre rôle dans la reconstruction de l'armée malienne a été déterminant, avec la formation de plus de 15 000 cadres et soldats. Takuba, au sein de laquelle dix pays européens se sont engagés, incarne ce que les Européens sont capables de réaliser dans des environnements complexes.
Nous avons suivi une approche globale - orientation bien connue du Sénat. Le terrorisme et l'insécurité prospèrent sur la pauvreté et la faiblesse, voire l'absence, de l'État. La réponse de fond au terrorisme, ce sont des autorités démocratiquement légitimes, l'État de droit et le développement économique et social.
L'Alliance pour le Sahel, consolidée au sommet de Pau, traduit cet engagement de la communauté internationale, avec le financement de plus d'un millier de projets de développement.
Oui, notre action s'est fondée sur le principe selon lequel l'intervention d'une armée étrangère ne peut ni se substituer à l'action d'un État souverain ni s'émanciper d'un cadre multilatéral.
En sortant du cadre de la transition, les autorités maliennes ont fait le choix grave de rompre avec la communauté internationale. La France et ses partenaires africains et européens se devaient d'en tirer toutes les conséquences.
La communauté internationale a aujourd'hui comme interlocuteurs au Mali des autorités de fait issues d'un double coup d'État. Elles ont renié un à un leurs engagements. Les élections qui devaient se tenir dans quelques jours n'auront pas lieu, car la junte ne cherche qu'à se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible.
La Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest et l'Union économique et monétaire ouest-africaine ont placé le Mali sous un régime très strict de sanctions. L'Union européenne et toute la communauté internationale sont solidaires de cette décision.
Par ailleurs, le régime malien a décidé de s'appuyer sur une organisation privée de mercenaires russes, Wagner, dont le modèle économique repose sur la prédation des richesses des pays où elle opère. Cette milice nourrit la guerre, car la guerre la nourrit - on le voit bien en Centrafrique. Ses multiples exactions sont attestées.
Au contraire, l'appui européen et international dans lequel la France s'inscrivait s'exerçait sans contrepartie financière ni intérêts cachés.
Il ne nous est plus possible de nous investir dans un pays dont les autorités ne souhaitent plus coopérer, comme le montre le mauvais procès fait à nos alliés danois.
Peut-on imaginer un seul instant poursuivre nos efforts diplomatiques et financiers alors que nous sommes accusés d'avoir un agenda caché contraire aux intérêts du peuple malien ?
Nous devons repositionner notre dispositif hors du Mali.
Nous fermerons les bases de Gossi, Menaka et Gao.
Cela se fera en bon ordre et en toute sécurité ; les opérations dureront entre quatre et six mois.
Nous renforcerons notre logistique depuis la métropole.
Nous agirons en partenariat avec nos partenaires de Takuba, en bonne intelligence avec les forces armées maliennes et la Minusma.
Nous conduisons ces opérations suivant notre calendrier et notre organisation en donnant la priorité à la sécurité de nos soldats et de nos ressortissants.
Le Niger s'est dit disponible pour faciliter l'évolution du dispositif. Nous ferons transiter notre logistique par le golfe de Guinée.
Notre appui au peuple malien sera préservé via l'alliance pour le Sahel, sous réserve que ses programmes ne soient pas détournés au profit du terrorisme.
Nous continuerons d'oeuvrer pour le respect du mandat de la Minusma et des accords de paix d'Alger.
C'est sur des bases renouvelées que nous poursuivons notre engagement au Sahel.
Il n'y a pas que l'attitude de la junte malienne qui nous conduit à nous adapter, mais aussi l'état de la menace terroriste qui a évolué sous l'effet de l'action de la coalition liguée contre elle.
Ne pouvant constituer un sanctuaire, les groupes liés à Al-Qaida se sont disséminés dans l'ensemble de l'Afrique de l'ouest. L'attaque survenue au Bénin en octobre dernier, dans laquelle l'un de nos ressortissants a été tué, et à laquelle nous avons vigoureusement répondu, en témoigne avec acuité.
La reconfiguration de la menace terroriste nous conduit donc aussi à adapter notre stratégie et notre organisation. Précisément, nous tenons compte de la dissémination de la menace. Malgré la défection de la junte malienne, le G5 Sahel demeure un cadre pertinent de coordination.
Mais il faut aussi élargir la réponse aux zones périphériques du Sahel. Nous parlons des frontières du Bénin, de la Côte d'Ivoire, du Togo ou du Ghana.
Nous nous appuierons sur l'initiative d'Accra en lien avec la Cedeao. Nous sommes en pourparlers avec les pays de la région.
Mais la lutte contre le terrorisme ne sera gagnée localement que par les Africains eux-mêmes. Dès lors, nous devons construire l'avenir avec eux. Nous devons encore davantage soutenir les États et leur population.
En complément de ce qui se fait déjà, nous nous appuierons sur l'alliance pour le Sahel qui, depuis 2017, soutient les acteurs locaux en matière de développement.
Un effort doit être porté sur le volet civil de prévention. Je pense à des secteurs clés comme celui de l'éducation, à la justice et au social, qui permettent de renforcer la présence de l'État en lien avec la société civile.
Le Président de la République, jeudi dernier, après concertation approfondie avec nos alliés, a souhaité modifier la physionomie de notre présence militaire. Notre approche doit être encore plus intégrée, avec un dispositif plus souple, agile et modulable, reposant sur des implantations dont la taille et la localisation sont à revoir - nous en avons discuté avec le président Cambon.
Le redéploiement se fera au Niger, puis dans les pays voisins.
La France dispose de forces prépositionnées en Côte d'Ivoire et au Sénégal qui pourront venir en appui, sur demande.
Elle conduit des actions de coopération civiles et militaires qui pourront être réorientées.
Nous poursuivons nos engagements selon le même esprit Takuba qui a fait la réussite de nos opérations.
La présence de la France au Sahel doit évoluer, pas seulement parce que la position du gouvernement malien a changé. La France respecte profondément la souveraineté des États.
Nous prenons acte du changement radical opéré par la junte malienne, mais nous ne renonçons en aucun cas à notre objectif : la lutte contre le terrorisme islamiste pour protéger les populations locales et assurer la sécurité de notre propre pays.
Nous avons obtenu de réels succès dans des conditions extrêmement difficiles grâce à l'engagement exceptionnel de nos soldats, parfois jusqu'à la mort.
Nous continuerons d'appliquer les principes fondamentaux qui structurent notre intervention: le multilatéralisme, avec les États de la zone, ce qui n'est pas simple, ainsi que l'implication politique et militaire de nos partenaires européens.
Le recours à une approche plus globale, prenant davantage en compte les populations, est aussi une clé fondamentale de notre action.
Les questions majeures de sécurité sont imbriquées avec d'autres problématiques.
Ai-je besoin de rappeler notre vision de l'aide au développement, notamment depuis la loi ambitieuse, votée à l'unanimité du Parlement l'été dernier ?
C'est bien dans ce cadre global que s'inscrit la réorganisation de notre dispositif, en réponse aux évolutions des réalités géopolitiques de cette région et plus globalement de l'ensemble du monde.
Cette réorganisation est conforme aux intérêts de la France, de l'Europe et du monde. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP et UC ; M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, applaudit également.)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce débat est particulier ; vous venez de le rappeler, il intervient après la décision puis l'annonce du Président de la République de retirer nos forces du Mali pour les réarticuler ailleurs au Sahel. Je ne veux pas polémiquer. Nous devons avoir la bonne hauteur vis-à-vis de nos armées, que nous avons envoyées combattre là-bas pendant dix ans, sur un terrain difficile. Nous pensons en outre à nos 59 soldats qui y ont laissé leur vie. Je voudrais dire à leurs familles qu'ils ne sont pas morts pour rien, mais pour la France, pour nos valeurs, pour protéger le sol français. Ils sont tombés au champ d'honneur pour que le Sahel ne tombe pas aux mains des pires ennemis de la France.
Nous pouvons être fiers de l'action de nos armées en Afrique. Serval a été un succès : 400 djihadistes tués en deux mois, les principales villes du Nord libérées, les principales bases terroristes neutralisées ; sans la France, nous aurions eu Raqqa là-bas. Nous aurions eu la constitution de ce proto-État, de ce califat islamiste au coeur du Sahel.
Ce que nos armées ont fait, très peu d'armées auraient pu le faire dans de telles conditions, sur un territoire aussi large et avec des moyens, somme toute, assez limités. Leur mérite nous oblige.
En particulier, nous devons être intraitables contre les menées terroristes sur notre propre sol. Notre main ne doit jamais trembler sur le front intérieur.
Il importe aussi que le retrait du Mali ait lieu dans la dignité, et avec une sécurité totale pour nos forces.
Débattre à bonne hauteur suppose aussi l'honnêteté. Car à quoi sert un débat s'il est convenu et débordant d'autosatisfaction ?
Serval a été un succès. Barkhane, ensuite, nous a permis d'engranger des victoires : le leader d'AQMI a été tué en juin 2020, l'État islamique au Grand Sahara a été pratiquement neutralisé.
Mais il faut pousser plus loin l'analyse. Avec Barkhane, nous avons fait un pari : contenir les groupes terroristes en attendant la relève des forces locales. Ce pari, nous n'avons pas pu le gagner. Nous avons perdu la course de vitesse entre l'érosion naturelle des opinions publiques manipulées - la guerre informationnelle fait désormais partie de la guerre conventionnelle - et la montée en puissance des forces locales.
L'influence de la France en Afrique a-t-elle été renforcée ? Je ne le crois pas. Quant à la menace djihadiste, elle augmente plutôt, visant désormais des États dans le golfe de Guinée.
Il y a eu des erreurs, militaires et diplomatiques.
Sur le plan militaire, nous avons commis l'erreur de penser que nous pouvions nous disperser, alors qu'on ne gagne qu'en tapant vite et fort. Il y a eu aussi des illusions, comme celle de penser que nous pourrions relever en quelques années l'une des armées les plus faibles et les plus corrompues d'Afrique. Celle, aussi, de croire que le G5 Sahel pouvait exister sans la perfusion française et sans grammaire commune d'intervention.
Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé de l'esprit Takuba. Cela fut, en effet, de l'ordre de l'esprit, dans une dimension quelque peu immatérielle. Enlevez les 400 militaires français à Takuba, que reste-t-il ? Un esprit seulement. Quant à la Minusma, elle a tout juste été capable de se protéger elle-même - et encore, avec le concours de nos forces.
Mais les erreurs les plus importantes ont été diplomatiques.
En juin 2021, le Président de la République a annoncé un retrait progressif de nos forces, envoyant ainsi un double signal : à la junte, qui l'a saisi comme prétexte pour se jeter dans les bras de Wagner, et à nos partenaires, logiquement réticents à s'engager davantage.
La principale erreur fut de réinterpréter notre politique africaine, depuis le discours d'Ouagadougou, très tôt dans le quinquennat, en se fondant sur la société civile africaine - en pratique, une diaspora souvent issue de la grande bourgeoisie. En nous détournant des autorités, de fait ou de droit, nous avons désorienté nos partenaires. La voix donnée aux autorités publiques est devenue une parmi d'autres, dans le cadre d'ateliers...
Que faire, désormais ? Nous retirer et tirer un trait sur l'action menée ? Évidemment non. Nous devons rester au Sahel en nous redéployant et tirer les leçons de cette expérience.
Pour ma part, j'en tire trois leçons qui tiennent aux illusions françaises.
D'abord, on ne peut pas obtenir des résultats dans un État quasi failli, sans politique de développement à côté des opérations militaires. La France peut être un pompier qui éteint l'incendie, mais pas le gendarme qui restaure l'ordre. C'est là une illusion largement partagée en Occident.
Ensuite, peut-on se servir des opérations extérieures comme terrain d'entraînement pour un embryon d'armée européenne ? On voit très vite les limites de cette idée.
Enfin, entre notre angélisme et la realpolitik de la Russie et de la Chine, il y a une marge pour le réalisme. Faire avec les autorités en place, dialoguer avec elles, est nécessaire à une diplomatie efficace.
Dans l'Union européenne, nous seuls disposons d'un modèle complet d'armée capable de se projeter à l'extérieur. Le maintenir est essentiel, et nous saurons y veiller lors du vote des lois de finances.
L'Afrique est un continent en devenir, instable ; son avenir engage notre destin. À travers nos actions militaires, diplomatiques et de développement, nous devons rendre la présence française à nouveau souhaitable en Afrique. La France doit rester en Afrique : car de même que nos histoires sont communes, nos destins sont liés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées du groupe UC)
M. Jean-Marc Todeschini . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il y a trois semaines, lors des questions au Gouvernement, notre président, Patrick Kanner, vous a demandé ce débat. C'est un enjeu démocratique, alors que, tout au long du quinquennat, le Président de la République a préféré une approche descendante dans la relation entre exécutif et législatif.
Ce débat intervient après la décision présidentielle. S'agit-il encore d'un débat ? Pour autant, évitons les caricatures autant que le quitus aux décisions élyséennes.
Nous pensons avant tout à ceux qui sont morts pour la France. J'ai une pensée émue pour leurs familles, que j'ai rencontrées dans mes fonctions antérieures. La flamme du souvenir ne s'éteindra jamais !
Je salue le travail du service de santé des armées et de l'Institut national des Invalides.
Alors que le départ du Mali est annoncé, nous pensons aussi à toutes les ONG qui oeuvrent sur le terrain, ainsi qu'aux journalistes qui font vivre la liberté, en particulier Olivier Dubois, enlevé dans la région de Gao voilà dix mois et dont la famille est sans nouvelles.
Depuis neuf ans, les armées françaises sont engagées sur un théâtre d'opérations complexe. Répondant à l'appel du gouvernement malien, nos troupes sont intervenues en quelques heures en 2013, sur la décision de François Hollande.
Serval a consisté à se projeter rapidement pour protéger la démocratie. Cette opération n'a jamais été une offensive de conquête, et les armées française et européennes n'ont jamais été des forces d'occupation. Les relations avec les autorités locales ont toujours été claires.
Barkhane a ensuite été engagée, pour accompagner l'autonomisation de l'armée malienne. Il s'agissait de permettre au Mali de raffermir sa souveraineté face à la menace djihadiste, pas de construire un autre État ou d'imposer un parti au peuple malien.
Les armées françaises n'ont jamais été défaites. Tous nos soldats ont affronté le feu ; ils ont su se distinguer. Il nous revient de les honorer.
Les annonces des derniers jours ne traduisent pas une défaite militaire, mais un manque de clairvoyance de l'exécutif. La décision de quitter le Mali est prise sous la contrainte : contrainte du rejet de la présence française - c'est le fruit de la stratégie d'influence de Moscou - et contrainte diplomatique, consécutive à la rupture du dialogue avec une junte qui privatise le pouvoir à son unique profit.
Un retrait désordonné serait un cadeau aux terroristes. Je salue donc ce que vous avez dit hier à l'Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre, s'agissant de la garantie de la sécurité de nos troupes.
Il y a aussi la contrainte liée à l'arrivée de Wagner. Comment mener des opérations en présence de ces fous de guerre, qui font commerce de la violence ? Nous ne pouvons prendre le risque d'être associés à ceux qui multiplient les exactions. L'avenir est écrit : après le départ des forces françaises, quand la junte sera à court de trésorerie, les mercenaires se paieront sur la bête. Tout cela pour quoi ? Les officiers de la junte sont des rentiers qui ne servent que leur intérêt.
Dans cette affaire, ce qui restera, ce n'est pas tant la décision de partir, mais l'instabilité et le manque d'anticipation. Vos fameuses lignes rouges, si elles ont existé, n'ont fait que reculer, comme autant de coups de poker à l'intention de Bamako et de Moscou.
En réalité, le Gouvernement s'est retrouvé dos au mur. La véritable ligne rouge, c'est celle que les événements nous imposent. Gouverner, c'est prévoir. Mais notre diplomatie n'a eu aucune prise sur le déroulement des événements.
Après avoir tenu la main de Trump, le Président de la République a enchaîné les gesticulations. Au Liban, l'initiative française n'a débouché sur rien. Dans la zone indopacifique, des interrogations demeurent sans réponse sur l'affaire des sous-marins australiens. La crise ukrainienne est un épisode de plus dans la même conception de la diplomatie.
Mais la politique étrangère n'est pas affaire de buzz et d'envolées sans lendemain : il y faut de la méthode et de l'assiduité, du sérieux et du sens de l'anticipation.
La France quitte le Mali par la petite porte. On nous explique que rien ne changera vraiment, que Barkhane continuera depuis les pays limitrophes. Mais quid du survol de l'espace aérien malien pour protéger la Minusma ?
Barkhane n'est qu'un exemple des embarras diplomatiques du Gouvernement. C'est toute notre politique étrangère que nous devons interroger, de notre réseau consulaire à l'aide au développement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Olivier Cigolotti . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue l'initiative du Gouvernement, qui a demandé l'inscription à notre ordre du jour de cette déclaration, suivie d'un débat. C'était indispensable.
Je rends hommage à nos soldats engagés au Sahel, aux régiments qui s'y sont succédé, aux 59 militaires qui y ont perdu la vie. Nos pensées vont à leurs familles et à leurs proches.
La France est engagée au Mali depuis 2013 ; neuf ans plus tard, loin d'être sur la voie de l'apaisement, le pays est dévasté.
Le Mali a été créé sur la base de l'ancien Soudan français, rassemblant des populations sans lien réel. Depuis 1960, l'instabilité politique a favorisé une évolution chaotique. Les accords de paix issus du processus d'Alger n'ont été que peu mis en oeuvre.
Trois phénomènes destructeurs sont à l'oeuvre dans le pays : les violences armées, la corruption des autorités, la progression des groupes djihadistes. Les autorités locales souhaitent négocier avec certaines composantes de ceux-ci. Dès lors, la constitution d'une armée nationale malienne était vouée à l'échec.
La crise malienne a une origine protéiforme : la rébellion touareg, la progression des groupes terroristes et les nombreux conflits communautaires.
Début 2020, le sommet de Pau avec les États du Sahel a permis de désigner l'État islamique au Grand Sahara comme ennemi prioritaire et les États de la région ont demandé à la France de les épauler dans la lutte contre le terrorisme.
Les coups d'État de 2020 et 2021 ont entraîné des complications supplémentaires et une ligne rouge a été franchie fin 2021 avec l'arrivée des mercenaires de Wagner. La junte n'est en effet pas à une provocation près contre les partenaires de Takuba et de Barkhane.
Après le coup d'État au Burkina, seul le Niger bénéficie d'un gouvernement légitime.
La montée du sentiment antifrançais a fini par rendre notre présence impossible. Comment expliquer ce changement, dans l'imaginaire local, d'une force de protection à une force d'occupation ?
Le retrait officialisé jeudi dernier de nos soldats semble l'option la plus adaptée pour continuer à agir dans cette région et soutenir les pays voisins d'Afrique de l'Ouest et du golfe de Guinée face aux groupes terroristes qui visent Dakar et Abidjan.
Nous devons pour cela nous rapprocher du Niger, à condition que notre présence soit validée démocratiquement par la population. Le gouvernement nigérien engagera prochainement sa responsabilité devant son Parlement sur le sujet. Comment la France envisage-t-elle sa coopération avec le Niger et les pays voisins ?
Le Président de la République a déclaré que la fermeture des bases françaises au Mali prendrait quatre à six mois. Ce processus complexe, alors que se profile la saison des pluies, devra être rapidement sécurisé. Il faudra également redéfinir Takuba avec les pays contributeurs.
Les enjeux relatifs à Eucap Sahel et à la Minusma nécessiteront des adaptations à ce contexte nouveau.
La France a-t-elle les moyens de rester seul leader de la lutte contre le djihadisme ? À l'heure de la présidence française de l'Union européenne, il faut oeuvrer à un partenariat européen durable et travailler avec les autorités légitimes des pays de la région.
Quitter le Mali, après les succès tactiques mais après l'échec stratégique de Barkhane, ne signifie pas la fin de la lutte contre le terrorisme ni le renoncement à la sécurité de la France et de l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. le président de la commission, MM. Alain Richard et André Gattolin applaudissent également.)
M. Alain Richard . - Mes premières pensées vont à nos soldats engagés dans la région. Leur combativité et leur abnégation méritent notre respect et notre reconnaissance. Je rends aussi hommage à nos 59 soldats morts au Sahel et à leurs familles ; la Nation n'oubliera jamais leur sacrifice. Nous pensons aussi avec affection à leurs frères d'armes blessés. Leur action n'a pas été vaine et ils n'ont pas été vaincus. Serval, engagée en 2013 à la demande du président Traoré, a évité l'implantation des djihadistes et l'effondrement de l'État malien.
Après Serval, le processus démocratique a repris et les régions du nord ont été libérées. La France a su mobiliser ses partenaires pour lutter contre le terrorisme au Sahel, aux portes de l'Europe.
Pendant neuf ans, notre action commune a abouti à un cadre international fiable de soutien aux États de la région ; l'alliance Sahel reste un acquis solide.
Au Mali, la multiplication de groupes armés prétendant agir au nom de l'islam est aussi la conséquence de l'incapacité et de la corruption des autorités locales. Elle est la cause de l'échec du développement et de la sous-scolarisation. Les autorités religieuses n'ont pas su rétablir le dialogue et organiser le développement.
La persistance du terrorisme ne pouvait être réglée par les seules armées étrangères. C'est pourquoi les critiques maliennes contre l'armée française sont intolérables et irrespectueuses, relevant d'une manipulation médiocre.
La junte, arrivée au pouvoir après deux coups d'État successifs, ne propose aucune perspective crédible de transition démocratique avant 2025 et a abandonné les accords d'Alger. Elle a multiplié les provocations à l'égard de la France, alors que celle-ci était intervenue à la demande d'un gouvernement malien légal, lui. Nous approuvons donc la décision de retrait du Président de la République.
La junte s'est enfermée dans une logique d'isolement et de provocation contre ses partenaires, au détriment de la sécurité et des intérêts de sa propre population. Que penser de la décision d'utiliser ses faibles ressources à rémunérer Wagner plutôt qu'à déployer des services publics ? Nous connaissons les méthodes de cette société privée : intimidation des civils, violation du droit international, violences, exploitation des ressources des pays où il agit. Cela s'est vérifié en Syrie, en Libye et en Ukraine.
Les conséquences de l'arrivée de Wagner en Centrafrique nous préoccupent pour l'avenir de la Minusma, privée du soutien aérien français. L'Union européenne a donc décidé des sanctions le 13 décembre dernier.
Ne croyons pas que la Russie n'a aucun agenda géopolitique au Sahel. La désinformation russe, turque, chinoise et malienne poursuit des fins politiques et a conduit à alimenter injustement le sentiment antifrançais au Sahel. Il est dommage que nous n'ayons pas su contrer ces attaques. Cette leçon doit nous servir pour l'avenir.
Acté dès le sommet de N'Djamena, notre retrait militaire était nécessaire, au profit d'une coopération accrue et mieux dimensionnée. Cette nouvelle logique nous permettra d'adapter notre action à celles des terroristes, en lien avec le Niger et le Tchad, sans oublier les pays du golfe de Guinée.
Il faut mettre les civils au coeur de notre politique de lutte contre le terrorisme, en développant les programmes sociaux et économiques.
Dans cet esprit de résistance, nous approuvons les choix cohérents du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Pierre Laurent . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER) La dramatique situation malienne et le bilan désastreux de l'intervention militaire française ont des causes profondes. Les États du Sahel ont été affaiblis de longue date par l'ajustement structurel libéral. Les armées locales sont faibles, à l'image de leurs États. C'est la toile de fond de cette crise sécuritaire depuis dix ans.
Je pointais déjà l'impasse de Barkhane il y a un an, bien avant l'arrivée de la junte au pouvoir. Il s'agit de la quarante-deuxième intervention française en Afrique depuis les indépendances. À l'époque, nous disions : « la situation humaine, politique et économique du Mali empire. Dans ce contexte de déstabilisation sociale et politique, les islamistes continuent de développer leur sinistre entreprise. Les leçons des guerres menées au nom de la guerre contre le terrorisme ne sont pas tirées. À chaque fois, les pays sont laissés en proie au chaos pour des décennies. La désintégration de la Libye en est un exemple : elle est d'ailleurs directement à l'origine d'une partie des violences armées dans le nord du Mali. Dans quel état laisserons-nous le Mali et les autres pays de la région si nous poursuivons dans cette voie ? »
C'est pourtant ce que nous avons fait, alors que le désastre était prévisible, résultat de la militarisation à tout va. Les succès tactiques n'empêchent pas que 90 % du territoire soit en rouge sur vos cartes diplomatiques, et n'ont jamais tari le recrutement des entrepreneurs de violence.
En 2021, 2 000 évènements violents ont été recensés au Sahel causant la mort de 4 800 personnes. Ces chiffres, en hausse constante, sont en partie le fait de l'armée française. Citons le bombardement français de Bounti le 3 janvier 2021, qui a fait 19 morts civils, et les manifestants tués et blessés les 20 et 27 novembre 2021, au Niger et au Burkina Faso alors qu'ils tentaient d'empêcher le passage d'un convoi militaire français.
Cette guerre a aussi coûté la vie à 59 soldats français dont nous saluons la mémoire.
Le retrait français du Mali marque-t-il un changement de paradigme ? Certainement pas : la France continue à vouloir tirer les ficelles des régimes et mène une politique à géométrie variable d'un pays à l'autre. Nous appliquons contre le Mali les sanctions très dures de la Cedeao, qui touchent avant tout la population et la diaspora malienne en France.
Il faut enfin se concentrer sur l'aide au développement, parent pauvre de nos interventions en Afrique : 28 millions pour l'APD en 2021 au Mali, contre 900 millions d'euros pour Barkhane.
Non, la France-Afrique est loin d'être une vieille histoire. Il suffit de citer le ravalement de façade unilatéral du franc CFA en Eco et l'intervention de Nicolas Sarkozy le 24 janvier pour que l'ami de la France, Alassane Ouattara, avale la couleuvre de la vente des concessions portuaires détenues par Bolloré au groupe italien MSC. Il est temps de changer d'époque !
Nous devons soutenir les armées locales, avec des formations et des transferts de technologies, pour rompre avec l'ancienne puissance coloniale. La démilitarisation des relations internationales est une urgence, qu'il s'agisse de l'Europe ou de l'Afrique.
Il faut également renégocier les accords d'Alger. Inspirons-nous de la feuille de route de Lusaka afin de faire taire les armes en Afrique.
Luttons contre les paradis fiscaux qui accueillent chaque année 1 000 milliards de dollars venus d'Afrique, et consacrons 10 % de l'APD au soutien des systèmes fiscaux des pays en développement.
Il faut oeuvrer en faveur d'une politique monétaire de l'Afrique et de l'indépendance du franc CFA-Eco. La France doit agir pour que les droits de tirage spéciaux du FMI soient révisés et que les traités de libre-échange soient modifiés afin de favoriser un développement endogène.
Toute autre voie est vouée à l'échec ; ces dix dernières années le démontrent avec éclat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. André Guiol . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.) Depuis quelques mois, la relation entre Paris et Bamako tenait de la chronique d'une mort annoncée. Il n'y avait guère d'autre alternative au retrait. Comment en sommes-nous arrivés là ?
L'arrivée au pouvoir de la junte, avec MM. Goïta et Maïga, a marqué un tournant, mais le sentiment antifrançais a des causes plus profondes.
Je salue l'action de nos soldats au Mali qui ont payé un lourd tribut mais qui ont enregistré de grands succès, avec l'élimination de chefs terroristes comme l'émir d'Al-Qaida en juin 2020. En 2013, Serval a préservé l'intégrité de l'État malien.
Mais gagner la guerre ne fait pas gagner la paix et Bamako n'a pas su engranger les gains des victoires militaires sur le terrain.
Devons-nous nous éterniser dans un État qui a failli ?
La présence militaire devrait être accompagnée par une action humanitaire. Ne faut-il pas conditionner le maintien des forces françaises à des objectifs de reconquête institutionnelle de l'État local ? Doit-on rester contre l'avis de la population ? La position de la France a toujours été compliquée dans ses anciennes colonies. En 2013, pourtant, Bamako l'a appelée à l'aide, avec le soutien de l'Union européenne et de l'ONU.
Désormais, la présence française est instrumentalisée par la junte et par Wagner et ses fake news.
Malgré les partenariats noués dans le cadre de Takuba, du G5 Sahel et de la Minusma, la France s'est trouvée en première ligne. Il faut aller plus loin en matière de défense européenne, car c'est la sécurité de notre continent qui se joue au Mali.
Sur le plan diplomatique, il faut aussi tirer les leçons de cette expérience. La France peut-elle accepter de négocier avec des États qui discutent avec les terroristes ? Le président Keïta voulait négocier avec des chefs d'Al-Qaïda, tant les indépendantistes Touaregs lui semblaient le principal ennemi. Senghor dénonçait le fait d'imposer la civilisation européenne déguisée sous les couleurs de l'universel.
Le Mali, au 144e rang du PNUD, a besoin de se développer, mais comment faire dans ce contexte ?
Certes, le retrait de Barkhane ne signifie pas l'abandon du Sahel. Après le départ du Mali, des digues sont à construire, mais avec qui ? Le Burkina, victime d'un putsch ? Le Niger, où la présence française est acceptée mais fragilisée ? L'Algérie, tapie dans l'ombre et avec laquelle nos relations fluctuent ?
Les sanctions économiques ne suffisent pas. Les religions sont instrumentalisées et le monde toujours plus inégal : les conflits sont partout, comme le montre l'Ukraine.
Seule la recherche du bonheur de l'individu est universelle. La réponse militaire doit toujours s'accompagner d'un engagement sur le terrain contre la pauvreté pour ne pas être rejetée par ceux qui réclamaient naguère notre aide.
Ceux qui sont censés nous remplacer ne feront pas nécessairement mieux que nous pour le peuple malien : rendez-vous est pris !
Enfin, la campagne de dénigrement lancée contre notre armée valide l'adage selon lequel l'important n'est pas ce qui est vrai mais ce qui est cru. Retenons-le ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC)
M. Claude Malhuret . - Il y a un point commun entre le Mali et l'Ukraine : la dissipation d'une grandiose illusion. Le XVIIe siècle fut celui de l'ordre westphalien, le XVIIIe siècle, celui des Lumières et de la démocratie, le XIXe, celui de la domination par l'occident, le XXe, celui du combat à mort entre démocratie et totalitarisme. La chute du mur de Berlin a signé la victoire des démocraties : l'illusion s'est effondrée le 11 septembre 2001.
Le Choc des civilisations de Samuel Huntington, paru en 1996, était visionnaire. Les conflits idéologiques de la guerre froide ont été remplacés par des lignes de fracture entre civilisations. Nous observons le retour des religions, des nationalismes, des zones d'influence et l'affaiblissement des universalismes au profit des particularismes. Nous restons seuls ou presque à nous revendiquer de la démocratie dans un océan de régimes illibéraux, dictatoriaux, religieux, militaires ou totalitaires.
Le Mali en est un bon exemple, à la conjonction du djihadisme, de soudards anachroniques dénonçant le colonialisme soixante ans après l'indépendance, de l'influence économique de la Chine et de celle, militaire et politique, de la Russie.
De quand datent nos difficultés au Mali ? Du début ! Dès 2011, lors de notre oxymorique guerre humanitaire en Libye, nous avons laissé s'y aggraver la guerre civile, entraînant l'explosion des groupes djihadistes dans tout le Sahel, boostée par des trafics en tout genre. Barkhane ne pouvait que ne jamais finir, ou finir par un départ sans victoire définitive.
Lorsque la démocratie défaille, elle cède la place à l'extrémisme religieux ou aux centurions. Le dictateur paranoïaque de Moscou l'a compris, qui installe à Bamako un quarteron de colonels formés en Russie et y déchaîne les mercenaires de Wagner. Et c'est là que l'Ukraine fait écho au Mali. Poutine redoute la contagion si l'Ukraine réussissait sa marche vers la démocratie. En lançant 150 000 soldats sur l'Ukraine, il arrive à convaincre certains, ici même, qu'il est l'agressé.
Dans leur combat contre les dictatures, les démocraties ont un énorme handicap : la cinquième colonne des populistes d'extrême droite et d'extrême gauche qui ont un flair infaillible pour renifler les despotes. De Le Pen à Mélenchon en passant par Zemmour, c'est à qui gagnera le concours du meilleur caniche.
On ne peut qu'être effaré par la litanie des violations du droit international par la Russie. Invasion de la Géorgie, soutien aux sécessions de l'Ossétie, de l'Abkhazie, de la Transnistrie, crimes contre l'humanité en Tchétchénie et en Syrie, annexion de la Crimée, soulèvement du Donbass, pressions sur la Moldavie et les pays baltes, dénonciation maladive de l'OTAN, cyberattaques massives, chasse aux ONG, destruction du Boeing de la Malaysia Airlines, assassinat manqué de Navalny, exil forcé pour Khodorkovski et Kasparov, sans parler des multiples assassinats réussis. Et aujourd'hui, invasion !
Mais l'extrême droite et la vieille gauche anticapitaliste continuent de brailler leur antiaméricanisme rance. Comment pardonner aux Américains de nous avoir sauvés trois fois au XXe siècle ? Pour ces tyrannophiles, tout aussi responsables sont les dirigeants européens qui prônent la démocratie et l'État de droit, ce que l'ex-colonel du KGB ne supporte pas. Depuis trois jours, ils s'aplatissent devant Poutine, qui déclare que l'Ukraine n'existe pas, et pilonnent Macron, parlent de souveraineté et réclament la soumission de l'Ukraine.
Que les extrêmes tiennent ces discours de collabo est dans l'ordre des choses. Mais ils déteignent sur une partie de la droite républicaine qui est déjà zemmouro-poutinisée, et sur une autre qui me rappelle le toc-toc du parapluie de Daladier à Munich. Qui imaginerait De Gaulle à un conseil d'administration d'oligarques russes complices de Poutine et corrompus jusqu'à la moelle ?
En 1938, les nazis expliquaient que la nation autrichienne n'existait pas, qu'ils voulaient défendre les Allemands des Sudètes. N'est-ce pas la logorrhée de Poutine ? « Ceux qui oublient l'histoire sont condamnés à la revivre », dit Marx. C'est ce qui arrive.
Je partage l'analyse du Premier ministre sur la situation au Mali et rends hommage à nos soldats. Ils ne sont pas morts pour rien : depuis dix ans, ils ont empêché l'installation d'un califat islamique d'où seraient planifiés des attentats en Europe. Ils sont le symbole et le guide de ce dont nous aurons besoin à l'avenir : le courage. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur diverses travées du RDSE, du RDPI, des groupes UC et Les Républicains)
présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente
M. Guillaume Gontard . - Un débat, c'est bien, mais avant les décisions, c'est mieux, surtout s'il est suivi d'un vote. Le Gouvernement ne se sera pas, là encore, illustré par sa considération du Parlement. Comme d'habitude, nous avons dû attendre la parole présidentielle, alors qu'un seul vote parlementaire avait autorisé l'intervention militaire au Mali depuis neuf ans.
La décision est restée confinée à l'Élysée, alors que nos voisins européens ont des pratiques différentes. Passer devant le Parlement prend certes du temps, mais ce n'est rien comparé à la durée des conséquences des décisions prises.
L'engagement militaire au Mali n'est plus viable, entre les refus de la junte, les manifestations antifrançaises et la présence sur place de 800 hommes de Wagner.
Avec le GEST, j'adresse nos pensées aux 59 soldats morts, à leurs familles, à leurs proches et aux blessés.
Le retrait ne rend pas la suite de la politique française au Sahel plus aisée. Comment fermer les bases de Ménaka, Gossi et Gao alors que nos soldats seront plus vulnérables à mesure que la présence française diminuera, et que la junte exige un retrait immédiat ? Quelle aide nos partenaires nous apporteront-ils ?
Plus stratégiquement, quel sera l'avenir des 13 000 casques bleus de la Minusma sans la protection des forces françaises ? Il faudra tirer les leçons de notre échec au Mali. Soyons honnêtes : des erreurs ont été commises, mais le Gouvernement ne le reconnaît pas en prétendant que notre retrait tient à l'arrivée de la junte et de la milice Wagner.
La France a soutenu, des décennies durant, des dirigeants autoritaires. Nos méthodes sont très verticales, comme le montre la convocation sommaire de nos partenaires à Pau, il y a deux ans. Refuser de reconnaître ces erreurs, c'est courir le risque qu'elles se répètent.
La task force Takuba n'a pas non plus fait l'objet d'un enthousiasme débordant.
Sur le plan politique, trois pays où la France intervient ont subi un coup d'État militaire alors que la France plaçait de l'espoir dans le G5 Sahel.
Bien qu'instrumentalisées, les manifestations antifrançaises ne peuvent être ignorées. N'oublions pas les frappes de Bounti en 2021, qui ont fait dix-neuf morts. On ne peut intervenir dans un autre pays contre sa population. Aucune intervention militaire ne peut advenir sans solution politique. Il faut prendre en compte les contextes locaux et communautaires et dépasser le tabou des discussions avec certains groupes armés.
Les besoins des populations doivent être au centre de notre stratégie : ce sursaut civil, annoncé au sommet de N'Djamena, doit arriver rapidement.
Il faut augmenter l'aide humanitaire pour les 2,5 millions de déplacés : les ONG estiment que seuls 48 % des besoins alimentaires sont satisfaits. Quelque 880 millions d'euros ont été consacrés à l'intervention militaire en 2020 contre 28 millions d'euros à l'aide humanitaire...
La PFUE est l'occasion d'élaborer un traité entre l'Union européenne et l'Union africaine : ce devra être un texte de coopération sur l'eau, l'alimentation, le climat ou encore le numérique. Notre stratégie doit être globale, sinon la réorientation de notre présence au Sahel ne sera qu'un nouvel enlisement pour la prochaine décennie. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Jean-Luc Fichet et André Gattolin applaudissent également.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, UC et INDEP) Ce débat était utile. Il y a un an, nous débattions de la poursuite de Barkhane, après un premier coup d'État au Mali. Il restait des motifs d'espoir : succès militaires, renforcement de Takuba et du G5 Sahel. Un an plus tard, la réalité est bien autre : les provocations de la junte de Bamako sont insupportables alors que 59 militaires ont fait le sacrifice de leur vie. J'ai une pensée douloureuse pour leurs familles et leurs compagnons d'armes. C'est pourquoi je tiens, à chaque fois, à me rendre aux Invalides pour le dernier hommage qui leur est rendu.
La junte a remis en cause nos accords militaires et la population est abreuvée de propagande antifrançaise : dès lors, comment rester ? Pour autant, ne renions pas ce que nous avons fait : nous avons agi conformément à nos valeurs, nous souciant du sort des populations maliennes, férocement ciblées par les djihadistes.
L'analyse du Sénat demeure : l'aide au développement est essentielle pour stabiliser le Sahel. La France a été au rendez-vous : en cinq ans, le Sahel a reçu 2,2 milliards d'euros de dons. Nous voulons être plus rapides et plus efficaces car la pauvreté est le terreau de l'extrémisme.
Militairement, Barkhane a fait progresser le front de la défense européenne : plusieurs partenaires nous ont rejoints dans Takuba, accroissant notre capacité d'agir en commun et forgeant une culture stratégique commune.
Comment poursuivre notre engagement ? Il faut endiguer le terrorisme dans les pays du golfe de Guinée, dans la nouvelle zone des trois frontières entre Bénin, Niger et Burkina afin d'éviter la jonction avec les terroristes au nord du Nigéria.
Cette évolution inquiétante peut encore être inversée par une action civile et militaire vigoureuse.
Certaines puissances étendent leur influence, comme le montre l'installation en Afrique de Wagner, qui met en coupe réglée les ressources de la République centrafricaine. Le Mali prend le même chemin. Là où la France défendait et investissait, Wagner sert de garde prétorienne à un pouvoir déliquescent et se paie sur les richesses de ce malheureux pays.
Il faut tirer les leçons du passé et faire les bons choix pour l'avenir. La précipitation nous replongerait dans les mêmes pièges fatals à Barkhane. Notre guide doit être le rôle que la France doit jouer : plus qu'un replâtrage, il faut une réflexion sur notre nouvelle stratégie en Afrique.
Notre redéploiement ne doit pas être une translation de Barkhane au Niger, où nous risquons de revivre les mêmes évènements : les campagnes antifrançaises y ont déjà commencé et le président Bazoum a subi une tentative de coup d'État deux jours avant son investiture. Attention à ne pas offrir un cadeau empoisonné à ce pays.
Le retrait est, de plus, une opération à haut risque, alors que la junte malienne nous met sous pression : elle doit savoir que nous prendrons le temps de protéger nos soldats.
Vous prévoyez une implantation plus petite, moins visible et plus variable : attention à ce que cela ne ressemble pas à notre interventionnisme à l'ancienne sur ce continent. En outre, il faut concentrer des moyens suffisants face aux groupes terroristes.
Enfin, après la fin de Takuba, avez-vous obtenu des assurances de nos alliés ? Quelles sont les intentions et les capacités des acteurs de la région, du G5 Sahel, des armées locales ? Qu'en sera-t-il de la mission de formation de l'Union européenne au Mali ?
Le président algérien a déclaré il y a quelques jours que la relation avec la France prenait une nouvelle tournure : impliquerez-vous ce pays dans notre action ?
Nos doutes demeurent. Nous souhaitons que le Parlement soit informé de façon régulière et transparente, après huit ans sans débattre. C'est à votre honneur, monsieur le Premier ministre, d'avoir organisé ce débat, condition du contrôle démocratique et du soutien de nos compatriotes à la lutte contre le terrorisme.
Engagement de nos armées et agilité de l'aide au développement : c'est ainsi que la France pourra mener le combat pour la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et UC ; M. Joël Guerriau applaudit également.)
Mme Florence Parly, ministre des armées . - De profonds bouleversements politiques et sécuritaires en Afrique de l'Ouest, au Sahel et tout particulièrement au Mali ont conduit le Président de la République à engager une nouvelle étape de transformation de Barkhane.
Je veux avant tout rendre hommage aux 59 militaires tués depuis 2013 dans le cadre de ces opérations, ainsi qu'à ceux qui ont été blessés en combattant le terrorisme. Leur sacrifice n'a pas été vain.
L'engagement exemplaire des 125 000 soldats français qui se sont succédé au Mali pendant neuf ans n'a pas non plus été vain. Sans leur professionnalisme, leur détermination, leur ardeur au combat, le Mali aurait peut-être connu le destin de l'Irak et de la Syrie. Grâce à eux, le Mali n'est pas devenu un sanctuaire terroriste.
Depuis 2013, la situation politique a beaucoup évolué. Le Mali est désormais dirigé par une junte militaire qui a rompu tous ses engagements. Les conditions de notre présence ne sont plus réunies. C'est pourquoi, en concertation avec nos partenaires européens et sahéliens, nous avons pris la décision de quitter le Mali. Cette décision acte un état de fait : nous ne pouvons pas continuer un combat militaire aux côtés d'une junte qui a clairement signifié sa volonté de rupture avec ses partenaires.
Nous quittons le Mali mais nous aurions pu y rester plus longtemps si les circonstances avaient été différentes. Les seuls bénéficiaires des turpitudes politiques sont les groupes terroristes. C'est pourquoi nous allons poursuivre la lutte contre le terrorisme, aux côtés de nos partenaires européens et africains, avec des moyens plus légers, plus agiles, dans le cadre d'une stratégie collective adaptée aux évolutions de la menace. Nous prendrons en compte l'extension dangereuse du terrorisme vers l'Afrique de l'ouest, en intensifiant notre coopération de défense avec les pays du golfe de Guinée.
Pourquoi partons-nous du Mali ? Pour le comprendre, il faut se souvenir des raisons pour lesquelles nous y sommes allés. C'est à la demande des États de la région que nous sommes intervenus à partir de 2013, pour lutter contre le terrorisme.
Au cours de ces neuf années, la méthode a évolué mais les résultats ont toujours été là, grâce à nos militaires, mais aussi parce que le gouvernement malien rendait leur mission possible. Celle-ci était double : affaiblir les groupes terroristes et accompagner la montée en puissance des forces armées maliennes.
Or, la junte a choisi la rupture diplomatique et la provocation politique. En ne respectant pas le calendrier électoral, en faisant appel à Wagner, elle heurte nos valeurs. En renvoyant les forces danoises, en expulsant l'ambassadeur de France, en insultant publiquement les membres du Gouvernement français, elle choisit l'isolement.
Cette junte entrave aujourd'hui l'action de nos forces sur le terrain.
Les conditions ne sont plus réunies pour rester ; la cohérence exige que nous partions.
Nous ne quittons pas le Mali à cause d'un sentiment antifrançais, d'ailleurs difficilement mesurable. Cette vision est déformée par la loupe des réseaux sociaux, qui n'est pas exempte de manipulations de la part de nos compétiteurs. Barkhane, partout où elle a été déployée, a toujours été bien accueillie par les populations locales.
Si nous partons, c'est uniquement à cause de la rupture du cadre politique, imposée par la junte malienne.
Est-ce un constat d'échec ? En neuf ans, nous avons neutralisé les principaux chefs terroristes, désorganisé leurs structures, détruit leur ancrage territorial, et les avons obligés à se cacher.
Si échec il y a, c'est celui de la junte qui n'a pas la volonté politique de lutter avec détermination contre les groupes armés terroristes, et qui n'a rien obtenu sur le plan politique : il n'y a eu aucune avancée sur l'accord de paix et de réconciliation.
Nos objectifs étaient militaires : contrer les groupes terroristes et l'action de leurs chefs - le Premier ministre a détaillé nos succès -, mais aussi former les armées sahéliennes. Nous avons entraîné des milliers de militaires sahéliens, et avons combattu à leurs côtés.
En 2013, l'armée de terre malienne comprenait 7 000 hommes, l'armée de l'air, 1 000 hommes, mal équipés, mal entraînés. Aujourd'hui, l'armée malienne est forte de 40 000 hommes, formés et équipés. Elle est désormais capable de faire face aux groupes armés terroristes. C'est une grande réussite. Il appartient dorénavant au Mali d'entretenir ce que nous avons fait.
Nous avons permis le retour de l'État malien dans certaines zones et accru notre aide au développement.
Ce n'est pas parce que nous nous quittons en mauvais termes qu'il n'y a rien à retenir.
Que ceux qui osent parler d'échec regardent l'état du Mali en 2013 et m'expliquent comment nous aurions pu atteindre une victoire totale !
Nous avons redonné espoir à une population qui vit sous la terreur terroriste. Nous avons traité directement une menace très dangereuse. Aujourd'hui nous assumons nos actes et notre décision. Nous ne pouvons pas rester au Mali, alors nous partons.
Une opération militaire n'est jamais gravée dans le marbre. Serval et Barkhane se sont sans cesse adaptées en fonction d'une menace terroriste qui se propage vers le sud.
Dans le domaine militaire, il s'agit de se réarticuler pour prendre en compte la nouvelle géographie de la menace. Nous réduisons notre empreinte au profit d'une présence plus diffuse et plus intégrée avec les forces armées avec lesquelles nous coopérons.
Takuba va perdurer, mais évoluer. En deux ans, nous avons réussi à accomplir ce que nous attendions de l'Europe de la défense depuis cinquante ans : monter une coalition entre dix États européens militairement capables et politiquement volontaires, avec des soldats d'élite européens qui montent au combat face aux terroristes.
Les résultats ont largement dépassé les attentes initiales. Comment parler « d'illusion », quand cette force a neutralisé une trentaine de djihadistes entre le 1er et le 6 février, que le président Bazoum s'est dit prêt à accueillir un dispositif comparable sur le territoire nigérien ? Takuba a rempli son objectif opérationnel. Son départ du Mali ne signe pas sa fin ; des échanges auront lieu ces prochains jours avec nos partenaires.
La lutte contre le terrorisme s'arrête-t-elle aujourd'hui ? Évidemment que non ! Nous allons poursuivre notre engagement avec nos alliés européens et africains. C'est la forme de notre présence qui évolue.
Nos opérations continuent.
Wagner est-elle la cause de notre départ ? Non. La cause, c'est la rupture provoquée par la junte malienne. Mais Wagner est le symptôme de la volonté de la junte de se maintenir à tout prix au pouvoir et de s'isoler de la communauté internationale.
Wagner s'est déjà déployé dans plusieurs pays. C'est un système fondé sur la violence, les exactions contre les populations civiles, la prédation des ressources. Il isolera le Mali.
Nous prenons toutes les mesures nécessaires pour sécuriser le désengagement de nos militaires. Nous nous préparons au pire - c'est le propre des militaires. Nous suivons activement le déploiement de Wagner sur le terrain et nous tenons prêts à réagir avec la plus grande fermeté à toute menace sur la force Barkhane. Nous ne tolérerons aucune provocation ni entrave durant notre redéploiement.
M. Christian Cambon, président de la commission. - Très bien !
Mme Florence Parly, ministre. - Je remercie le Sénat pour la qualité de nos débats en séance publique, lors de l'examen de la loi de programmation militaire ou lors de débats de contrôle, et de nos échanges en commission. La défense nationale et la protection des Français sont des enjeux qui dépassent les clivages partisans.
Monsieur le président Cambon, l'information transparente et régulière des parlementaires participe de la compréhension par les Français de notre action. Je reste à votre disposition pour vous rendre compte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Bruno Sido et M. le président de la commission applaudissent également.)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Je me réjouis de la qualité des interventions, de leur rigueur et de l'absence de polémique.
Je suis ému. J'étais ministre de la Défense lorsque le président Hollande a pris la décision courageuse d'engager les forces françaises au Mali. J'ai présidé aux obsèques du chef de bataillon Damien Boiteux, premier mort pour la France, au premier jour des opérations.
J'ai inauguré dans les jardins de l'ambassade de France une stèle en hommage aux 59 morts pour la France, pour le Mali, pour notre sécurité.
J'ai de la tristesse et de la colère face à la non-reconnaissance de nos actions, de notre soutien, par des autorités qui se sont imposées par la force au Mali. Nos forces sont qualifiées de forces d'occupations, nos militaires de mercenaires par les successeurs de ceux qui ont appelé la France au secours pour éviter que le Mali ne devienne un État djihadiste.
Nous avons décidé de réarticuler nos dispositifs, en abandonnant nos positions initiales.
Monsieur le président Retailleau, le search c'est Pau ; le sursaut civil, c'est N'Djamena. Ce sont deux étapes différentes. S'il y a un échec, c'est celui des accords d'Alger. Car une solution politique est bien sur la table, monsieur Gontard : elle a été initiée en 2015. Des papiers ont été signés, prévoyant une réintégration des groupes armés signataires dans les forces maliennes, une décentralisation, une mise en valeur des capacités du nord du pays. Les Nations unies ont validé ces accords. L'Union africaine les a soutenus.
Comment se fait-il que les accords d'Alger soient restés lettre morte ? C'est peut-être là qu'il faut chercher des responsabilités.
M. Alain Richard. - Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - La diplomatie algérienne n'est pas en cause ; l'inertie était telle que tout le monde a abandonné. Les anciens responsables politiques maliens ont une part importante de responsabilité, il faut le dire. (M. le président de la commission approuve.)
Monsieur Todeschini, la réalité d'aujourd'hui, c'est la diffusion du terrorisme sur tout le continent africain. Nous ne sommes plus en 2013, avec une colonne qui fond sur Bamako. La dissémination du terrorisme d'Al-Qaida et Daech ne se limite pas au Mali ni à la zone des trois frontières : elle atteint le golfe de Guinée, le Nigeria, le Tchad, la Somalie, le Mozambique. L'inquiétude sur la sécurité devient continentale.
Vous avez dit que nous n'avions pas vaincu le terrorisme.
M. Jean-Marc Todeschini. - Je n'ai pas dit ça !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Ce sujet, auquel était dédiée la dernière assemblée générale de l'Union africaine, est crucial, pour l'Afrique mais aussi pour l'avenir des Européens.
Alain Richard l'a dit, nous sommes confrontés à un enjeu de contre-offensive dans le domaine de l'information, face à l'entreprise de manipulation menée par certains États - et pas que la Russie. Cela impose un partenariat nouveau avec les Africains.
Oui, monsieur Retailleau, il est difficile d'agir dans un État quasi failli. Le terrorisme se développe dans les failles des États affaiblis ou non structurés. C'est pourquoi il faut soutenir la démocratie en Afrique.
Notre posture au Sahel, tant militaire que civile, n'a cessé d'évoluer. Nous sommes passés d'un engagement de substitution à l'armée malienne à un engagement de partenariat, puis à une logique de soutien à la force conjointe du G5 Sahel, puis à une européanisation, puis à une présence internationale dans le cadre de la Minusma et de Takuba - toujours soutenue par des résolutions des Nations unies. (M. Alain Richard opine.)
Cette agilité se traduit aussi dans le domaine civil. Parallèlement à Barkhane, nous avons lancé avec les Allemands l'alliance pour le Sahel, qui réunit 25 États, les cinq du Sahel et vingt partenaires extérieurs. Depuis son lancement en 2014, elle a permis de mobiliser 22 milliards d'euros sur l'ensemble de la zone. Grâce à l'alliance pour le Sahel, plus de 6 millions de Sahéliens disposent désormais de l'eau potable, 600 000 foyers ont accédé à l'électricité, 2 300 magistrats ont été formés.
L'AFD y a contribué significativement, avec d'autres.
Lorsque des territoires sont libérés des terroristes, il faut y accompagner le retour immédiat de l'État. (M. le président de la commission approuve.) Daech et Al-Qaida se battent pour récupérer les territoires libérés. Le retour de l'État, c'est-à-dire de l'école, du dispensaire, de la sous-préfecture, est essentiel. C'est bien là où l'État est revenu que la sérénité et la paix ont progressé, en Mauritanie par exemple ou au Niger : la priorité du président Bazoum est que l'État reprenne sa place là où les terroristes sont vaincus.
Nous sommes dans une logique de transformation permanente de notre action; c'est pourquoi le Président de la République a souhaité une réarticulation de notre dispositif tant civil que militaire. Nous y travaillons, avec nos partenaires européens et africains, dans le sens d'une présence plus légère et mieux intégrée aux forces locales.
Takuba a servi de laboratoire en la matière et son esprit souffle toujours, monsieur Retailleau. J'ai participé tout à l'heure au Conseil des ministres allemand ; j'ai senti l'attention allemande sur la nécessité de poursuivre cet objectif de sécurité. Le partenariat militaire avec l'Afrique est une condition de notre sécurité.
Il faut aussi ajuster notre modèle civil en développant une approche préventive, pour empêcher les territoires de basculer, notamment dans le nord du golfe de Guinée : Côte d'Ivoire, Togo, Ghana, Bénin. Ils demandent que les Européens soient partenaires de cette stabilisation, indispensable face à la montée des périls.
Nous agissons dans le cadre de la coalition internationale pour le Sahel, composée de soixante partenaires essentiellement européens, mais aussi des organisations internationales. Le travail continue, vu l'ampleur de l'enjeu.
Le président Cambon appelle à refonder notre relation avec le continent africain. C'est précisément ce que souhaite le Président de la République, et le sixième sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine, qui s'est tenu la semaine dernière à Bruxelles sous présidence française, a acté une alliance nouvelle. L'Union européenne s'affirme comme premier partenaire du continent et les Africains se mobilisent pour une nouvelle donne, qui intègre les enjeux de souveraineté sanitaire et vaccinale. La mobilisation des DTS pour l'Afrique, monsieur Laurent, est actée, à hauteur de 100 milliards de dollars - une initiative française !
Il nous faut poursuivre les investissements en matière d'infrastructures, de transition énergétique, d'agroécologie. La Grande Muraille verte doit être mise en oeuvre au Sahel. Je suis heureux que l'ancien président Issoufou soit considéré comme le leader de cette opération, comme il le montrera dans dix jours à Montpellier.
Nous ne devons pas abandonner les forces vives de la société civile malienne à la junte ; je profite de cette tribune pour leur lancer un message de soutien et d'amitié. Des liens très forts nous unissent. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Cadic. - Bravo !
La séance est suspendue quelques instants.