Bilan de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur le bilan de la Présidence française de l'Union européenne (PFUE).

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Le Président de la République et la Première ministre m'ont fait un immense honneur en m'accordant leur confiance et je mesure l'ampleur de ma responsabilité. Je souhaite associer le Parlement en l'informant, en débattant et en lui rendant compte de nos résultats. Je n'aurai qu'une boussole : agir au service des Français. Je veux défendre une politique étrangère qui réponde à leurs préoccupations.

Parler d'Europe, c'est parler de notre souveraineté, de nos valeurs, de notre capacité à rester les auteurs de notre histoire collective, que personne ne doit écrire à notre place. Mon parcours m'a menée de Rome, lieu de la signature du traité fondateur du 25 mars 1957, à Londres, qui a malheureusement choisi de quitter l'Union européenne... Je sais l'importance capitale du projet politique européen.

Je suis fière d'affirmer que les résultats de la présidence française de l'Union européenne sont historiques, par leur portée, mais aussi en raison de circonstances inédites : le choix funeste de l'agression russe en Ukraine a signé le retour de la guerre sur notre continent. Nous avons su répondre collectivement, tout en poursuivant notre agenda ambitieux.

L'Europe de juillet 2022 n'est plus celle de décembre 2021. Elle est plus forte, plus souveraine, plus unie. C'est le fruit de nos efforts et des urgences auxquelles nous avons dû faire face.

La réponse à la guerre en Ukraine, dont Vladimir Poutine porte la responsabilité, a été immédiate. L'Europe a tout fait pour tenter de désamorcer cette crise. Nous avons pris toutes nos responsabilités pour soutenir l'Ukraine. C'était une nécessité pour que l'Europe retrouve la paix et que la sécurité collective soit respectée. À l'initiative de la France, l'Europe s'est élevée à la hauteur des enjeux, en prenant une série de sanctions sans précédent pour asphyxier l'effort de guerre russe.

On reproche à l'Union européenne sa lenteur, or les Vingt-Sept ont adopté un paquet de sanctions à l'unanimité en moins de 48 heures. Six paquets de sanctions se sont succédé, et nous resterons fermes. Les Européens ont décidé de financer des armements létaux, brisant ainsi un tabou. Les Européens ont activé la facilité européenne de paix ; le message était clair : le temps de l'innocence stratégique était révolu.

Nous avons su être fraternels, en accueillant des millions d'Ukrainiens, en leur donnant droit au logement, au travail, à la scolarisation des enfants, aux prestations de santé, grâce à la directive sur la protection temporaire de 2001. Nous avons organisé un pont logistique humanitaire en direction de l'Ukraine et soutenu également la Moldavie voisine.

Pour collecter les preuves de crimes de guerre, l'Union européenne a renforcé le mandat d'Eurojust ; les États membres soutiennent les autorités judiciaires ukrainiennes et la Cour pénale internationale.

Voilà qui confirme la pertinence de l'agenda de souveraineté lancé par le Président de la République, depuis le discours de la Sorbonne de 2017. C'est notre fil d'Ariane pour consolider l'indépendance, la sécurité et la stabilité de l'Europe.

Au sommet de Versailles de mars dernier, l'Europe a montré sa volonté de rester maîtresse de ses choix énergétiques et économiques - avec des programmes sur l'hydrogène ou les semi-conducteurs.

Les crises soulignent nos vulnérabilités et contribuent à notre prise de conscience : l'Europe n'est pas qu'un grand marché de consommateurs. Nous devons aussi produire nous-mêmes, dans tous les secteurs - voyez l'exemple des masques.

À Versailles, l'Europe s'est mise à parler le langage de la puissance, en remédiant au sous-investissement dans l'armement et en se dotant d'une boussole stratégique, adoptée par le Conseil européen des 24 et 25 mars derniers. Les objectifs sont concrets : renforcer l'agilité et la résilience de l'Europe et renforcer sa coopération avec l'OTAN.

À l'occasion du Conseil européen des 23 et 24 juin derniers, l'Union européenne s'est affirmée comme une puissance de stabilité. La décision unanime d'octroyer à l'Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat à l'Union européenne est historique. Le déplacement du 16 juin du Président de la République et de MM. Scholz, Draghi et Iohannis a permis de forger un consensus. C'est un message de solidarité vital pour l'Ukraine et la Moldavie, mais il y va aussi de notre intérêt stratégique.

Alors que nous voyons bien que la cohésion est plus nécessaire que jamais, le Président de la République a proposé de créer une communauté politique européenne, pour bâtir des coopérations concrètes avec les pays candidats et aborder les sujets de sécurité avec l'ensemble des pays européens. La présidence tchèque donnera le coup d'envoi de cette nouvelle communauté.

Nous avions un programme législatif ambitieux, que nous avons mené à bien dans tous les domaines.

Le 24 février, nous aurions pu être tentés d'estimer qu'il n'y avait plus qu'un seul sujet, la guerre en Ukraine. Au contraire, nous avons considéré que cette guerre validait notre priorité : une Europe plus souveraine, plus unie, plus proche de ses citoyens.

Nous avons ainsi renforcé la souveraineté européenne dans le domaine de la transition écologique. L'accord obtenu le 28 juin sur le paquet climat, dit Fit for 55, est une avancée majeure : il prévoit une réduction de 55 % de nos émissions de CO2 en 2030 par rapport à 1990. L'Europe reste à l'avant-garde mondiale du combat écologique.

L'Europe gagnera aussi en souveraineté énergétique en étant davantage indépendante.

La mise en place de chargeurs uniques à partir de 2024 n'est pas anecdotique : cela facilitera notre vie quotidienne et évitera 11 0000 tonnes de déchets électroniques chaque année.

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, sur lequel le Parlement européen doit désormais se prononcer, est l'un des moyens les plus efficaces contre les fuites de carbone ; une entreprise européenne n'aura en effet plus de raison de se délocaliser hors de l'Union européenne.

L'Europe sociale prend corps : chaque travailleur européen disposera désormais d'un revenu minimal adéquat. Ce socle européen des droits sociaux est une véritable conquête sociale à l'échelon européen.

Je suis également fière que notre pays ait obtenu que soit imposée une proportion d'au moins 40 % de femmes dans les conseils d'administration d'ici à 2026. C'était une priorité du Président de la République.

Le Président compte également inscrire le droit à l'avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux. L'Europe doit porter ce combat pour elle-même et au-delà de ses frontières.

Avec l'Acte sur les services numériques et celui sur les marchés numériques, deux pas de géants ont été réalisés dans ce domaine : il s'agit d'empêcher l'abus de position dominante par les grandes plateformes et de les contraindre à la responsabilité et à la transparence sur leurs contenus ; ce qui n'est pas permis hors ligne n'est pas permis en ligne. Car les réseaux sociaux ont remis en cause la validité de la parole publique et sont une menace pour nos démocraties. Notre objectif est que ces textes européens deviennent des références mondiales. Ce faisant, l'Europe contribue à la création d'un véritable ordre public international du numérique. C'est ainsi que le règlement général sur la protection des données (RGPD) a été repris par de nombreux pays tiers.

Trop longtemps, l'Europe a naïvement accepté des règles du jeu commercial asymétriques. Ce n'est plus le cas, grâce à une meilleure réciprocité dans les marchés publics : concrètement, les entreprises chinoises ne pourront répondre à des appels d'offres européens que si nos entreprises sont autorisées à faire de même en Chine. Nous y travaillions depuis quinze ans, et j'ai eu l'occasion d'y contribuer dans d'autres fonctions.

Les États tiers qui subventionnent à outrance leurs entreprises faussent la concurrence sur notre marché intérieur : ils seront désormais sanctionnés.

Enfin, nous avons renforcé les règles de protection de la santé des consommateurs, grâce à des mesures miroir, qui consistent à appliquer les mêmes règles aux produits étrangers qu'aux produits européens.

La France défendait ces questions depuis longtemps à l'échelon européen. Certains y voyaient une forme de protectionnisme. Les temps ont changé : désormais, les résultats sont là et l'Europe est beaucoup mieux armée pour défendre sa souveraineté et protéger nos emplois. (M. Laurent Duplomb en doute.)

M. François Patriat.  - Très bien !

Mme Catherine Colonna, ministre.  - Nous avons créé un conseil des ministres Schengen et réviserons les règles internes et externes de circulation.

Au sein de l'Union européenne, la seule réponse efficace est la responsabilité du pays de première entrée, qui va de pair avec la solidarité renforcée des autres États.

Il faut continuer à renforcer l'aide au développement, car c'est l'absence de perspectives qui pousse certains à entreprendre le voyage migratoire. Ce qui n'exclut pas la fermeté face au refus de réadmission de ceux qui n'ont pas vocation à recevoir l'asile. Nous avons obtenu de grandes avancées dans le renforcement du contrôle des migrants à leur arrivée sur le territoire européen.

Avec la Conférence sur l'avenir de l'Europe, nous avons invité les citoyens européens à écrire le nouveau chapitre de l'Union européenne. Cet exercice participatif inédit, qui s'est déroulé de mai 2021 à mai 2022, a débouché sur des propositions, dont la traduction concrète sera l'une des priorités de la présidence tchèque.

Nous devons bâtir les conditions de notre indépendance et de notre prospérité avec nos partenaires, dans un monde plus que jamais globalisé. Je pense en premier lieu à l'Afrique, mise à l'honneur de la PFUE avec le sommet des 17 et 18 février, au cours duquel nous avons lancé un projet de refondation du partenariat Europe-Afrique. Nous resterons très engagés dans sa mise en oeuvre.

Je pense ensuite à l'Indopacifique, région vitale pour nos exportations et nos approvisionnements, marquée par la présence croissante de la Chine. Nous nous appuierons sur nos territoires ultramarins pour nous impliquer en tant que nation du Pacifique.

C'est pourquoi nous avons organisé, le 22 février dernier, le premier forum interministériel Union européenne-Indopacifique, autour notamment des sujets de sécurité et de défense et du numérique.

Je pense également au partenariat transatlantique, car aucun grand défi ne pourra être relevé sans une coopération étroite entre l'Union européenne et les États-Unis. La contribution de l'Union européenne à l'Alliance atlantique est mieux reconnue dans le nouveau concept stratégique adopté lors du récent sommet de Madrid.

Vous serez bientôt invités à ratifier l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, qui renforcera notre sécurité collective en même temps que la place de l'Europe au sein de l'Alliance.

Enfin, ne laissons pas dériver les Balkans occidentaux, région stratégique, à l'écart de l'Union européenne. Des puissances tierces n'hésiteront pas à occuper les vides politiques et stratégiques que nous laisserions.

Notre intérêt est d'accompagner ces pays sur le chemin, long et difficile, vers l'adhésion. Dans cet esprit, nous avons organisé le 23 juin dernier une réunion des chefs d'État et de Gouvernement pour rappeler le cheminement à suivre. Ces pays doivent notamment régler leurs dossiers bilatéraux.

Ces succès, nous les devons au Président de la République, qui a mis l'Europe au coeur de ses priorités... (Exclamations ironiques à droite)

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Elle a raison !

Mme Catherine Colonna, ministre. - ... et à l'action de tout le Gouvernement, autour de Jean Castex puis d'Élisabeth Borne. Je tiens à féliciter le secrétariat général des affaires européennes, le secrétariat général de la PFUE et tous les ministères mobilisés pendant des mois pour concevoir et animer notre présidence.

Je salue également les collectivités territoriales et les citoyens qui se sont investis. Il est bon que la société civile s'empare peu à peu des sujets européens.

Enfin, je salue l'action déterminante de Jean-Yves Le Drian et Clément Beaune, qui ont mené la PFUE à bon port. Je suis fière du travail accompli par nos diplomates à Bruxelles, à Paris et partout dans le monde.

M. Christian Cambon.  - Et le Parlement ?

Mme Catherine Colonna, ministre.  - Le 30 juin dernier, le témoin est passé à la présidence tchèque. Nous pouvons être fiers de laisser une Europe qui affirme sa souveraineté et ose défendre ses intérêts stratégiques et économiques avec une clarté et une fermeté plus grandes.

La fin de la PFUE ne signifie pas que nous abandonnons nos priorités, bien au contraire. Nous continuerons à oeuvrer dans le cadre du trio de présidences, avec l'Allemagne et l'ensemble de nos partenaires pour bâtir une Europe plus forte, plus soudée et plus souveraine. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Yves Détraigne applaudit également.)