Diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; Mme Françoise Gatel et M. Pierre Louault applaudissent également.) Je veux vous dire mon plaisir et mon émotion à intervenir pour la première fois en tant que ministre dans cette assemblée que je connais bien... J'aurai toujours le souci que nous travaillions dans un esprit de responsabilité et de dialogue.

Depuis 2017, la France a subi quinze attentats terroristes islamistes visant notre République et nos valeurs. Le Gouvernement s'est mobilisé dans la lutte contre la radicalisation et le terrorisme, déjouant 39 attaques ces cinq dernières années.

Avec les nouveaux moyens de communication, les actions terroristes sont de plus en plus le fait d'individus qui passent à l'acte sans aucun contact physique direct avec une organisation terroriste.

Dans ce contexte, le Gouvernement a renforcé les moyens humains, budgétaires et juridiques des forces de renseignement, de sécurité et de la justice.

Les services antiterroristes ont fait l'objet d'un effort sans précédent : 1 900 postes créés depuis 2017, des budgets d'investissement et de fonctionnement renforcés -  ceux de la DGSI ont doublé depuis 2015. Le parquet national antiterroriste a été créé.

La loi du 30 octobre 2017 dite SILT a introduit quatre mesures de police administrative de l'état d'urgence dans le droit commun : le périmètre de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de surveillance et les visites domiciliaires.

La loi de juillet 2021 a pérennisé et adapté ces mesures et apporté des avancées comme l'extension des techniques de l'algorithme aux URL ou l'échange de renseignements entre services.

Nous agissons aussi sur le terreau du terrorisme que sont l'islamisme et le repli communautaire. Fin 2019, des cellules départementales de lutte étaient créées, en même temps qu'une stratégie globale était consacrée par la loi du 24 août 2021. Nous devons poursuivre nos efforts et adapter nos outils.

Les enjeux de détection sont fondamentaux. Je rappelle le numéro vert aux fins de signalement -  chacun doit être acteur de la lutte antiterroriste  - et l'effort accru en matière de détection en ligne avec l'augmentation des moyens de Pharos notamment.

La haine en ligne ne s'arrête pas aux frontières ; c'est pourquoi un règlement européen prévoit le retrait en une heure maximum des contenus terroristes en ligne sous peine de sanctions financières allant jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires pour les plateformes. Des autorités indépendantes seront désignées dans chaque État membre. Cette proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale pour mettre en oeuvre ces dispositions. Ce sera un outil décisif contre le terrorisme en Europe. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. François-Noël Buffet, en remplacement d'André Reichardt, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Permettez-moi de saluer d'abord la première présidence de séance du nouveau vice-président Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Ce texte est l'exemple-type d'une pratique régulièrement critiquée ici : la fausse proposition de loi. (M. Jérôme Durain applaudit.) Le texte a été rédigé par l'administration centrale, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État. Or nous aurions eu besoin d'une estimation du nombre de procédures d'injonction à venir et des moyens alloués à Pharos ou à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour traiter les nouvelles missions qui leur sont dévolues par la proposition de loi. Le Conseil d'État aurait aussi pu analyser la constitutionnalité du dispositif compte tenu de l'avis du Conseil constitutionnel sur la loi Avia du 24 juin 2020. (M. Pierre Ouzoulias approuve.)

Cette proposition de loi adapte notre législation française au règlement européen : notre marge de manoeuvre est étroite. Les dispositifs introduits par le règlement européen ne sont toutefois pas totalement nouveaux dans notre droit, plus avancé que celui des autres États membres.

Depuis 2015, la loi pour la confiance dans l'économie numérique permet à Pharos de demander le retrait de certains contenus. Les mesures prévues peuvent aller jusqu'au blocage du site et au déréférencement.

L'articulation de la nouvelle procédure avec le droit existant a suscité des réserves de notre rapporteur, car le système dual ainsi instauré ne reflète pas l'esprit d'harmonisation du règlement européen. Dans les faits, Pharos aura le choix entre deux procédures différentes.

Certes, il ne faut pas désarmer Pharos, mais dans un souci d'harmonisation, la commission des lois a voulu renforcer la cohérence entre les dispositifs, en instituant une supervision de Pharos par l'Arcom pour l'ensemble des injonctions de retrait. Elle a également étendu la compétence du suppléant de la personnalité qualifiée afin d'alléger la charge de travail de cette dernière.

Il reste un désaccord, qui porte sur la procédure juridictionnelle. La proposition de loi initiale ne prévoyait que la première instance, avec une procédure de fond accélérée devant le tribunal administratif. Nous ajoutons un appel dans le même délai devant le Conseil d'État. Cette divergence pourra certainement être surmontée en CMP.

Sous réserve du sort des amendements auxquels elle a donné un avis favorable, la commission vous demande d'adopter le texte issu de ses travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Françoise Gatel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Alors que nous parlons de prévention du terrorisme, j'adresse une pensée au personnel du quartier de prévention du radicalisme de la prison des femmes de Rennes, unique en France.

L'essor d'internet va hélas de pair avec le développement du cyberharcèlement, de la désinformation, de l'accès à la pédopornographie.

Dans la continuité de la loi Avia et de la loi confortant le respect des principes de la République, cette proposition de loi vise à sécuriser notre cyberespace et protéger nos concitoyens contre la diffusion de contenus à caractère terroriste.

Nous avions déjà légiféré après les attentats de 2015 : l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) peut demander aux éditeurs et hébergeurs de retirer des contenus illicites sous 24 heures. Mais il faut aller plus loin.

Les attentats que nous avons connus - je pense à Samuel Paty - et les affaires traitées quotidiennement par la cellule antiterroriste montrent l'urgence de la situation. Internet ignorant toute frontière, la lutte doit être internationale ; à menace globale, réponse globale.

Le cyberespace est devenu un terrain d'enrôlement. Or Internet permet le meilleur comme le pire.

Retirer ces contenus est un travail lent et fastidieux, mais indispensable. D'où ce règlement européen, qui contraint les services en ligne à supprimer des contenus à caractère terroriste en moins d'une heure sur injonction d'une autorité administrative. Il nous fallait adapter notre droit interne à ces nouvelles dispositions, conformément aux marges de manoeuvre laissées par le règlement.

Des modifications bienvenues ont été apportées en première lecture, comme l'introduction d'un suppléant, capable d'agir si l'Arcom ne pouvait s'acquitter de ses obligations dans les délais, notamment dans le cas d'une notification étrangère de demande de retrait. Les sanctions pourront être appliquées de manière plus dissuasive, et l'Arcom pourra recueillir les informations nécessaires au suivi des obligations administratives.

Notre commission des lois a apporté des modifications pertinentes, et je salue le travail de notre rapporteur. La transmission systématique à l'Arcom préserve la cohérence globale du traitement. Notre commission a aussi harmonisé les peines encourues par les fournisseurs de services d'hébergement.

Je salue également le raccourcissement des délais de recours.

Malgré les regrets pertinents du président Buffet sur les mesures non retenues, le groupe UC votera ce texte, si sagement amendé par la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, et du RDSE)

M. Jean-Yves Roux .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Christchurch, Samuel Paty, Buffalo : autant d'événements dramatiques associées à une diffusion de masse sur les réseaux sociaux. Internet ne saurait être un espace de non-droit où certains seraient libres de répandre leur haine en toute impunité. L'arsenal juridique existe pour contrôler et sanctionner. Nous devons mobiliser les plateformes, pour mieux les encadrer.

L'article 6-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique rend possible le retrait des contenus haineux et terroristes, en s'appuyant sur la plateforme de signalement Pharos. Je me réjouis du maintien de ce mécanisme efficace, auquel s'ajoute donc la possibilité d'exiger un retrait dans l'heure.

Le règlement européen n'est pas neutre en matière de respect des libertés fondamentales. Le délai d'une heure avait déjà été retoqué par le Conseil constitutionnel lors de l'examen de la loi Avia. Notre groupe se réjouit que le verrou constitutionnel ait été dépassé, grâce aux garanties supplémentaires qu'apporte le règlement.

Nous partageons les regrets du rapporteur quant au manque de cohérence législative du dispositif. Il aurait pu être pensé avec plus de recul, grâce à l'avis éclairé du Conseil d'État. Il serait judicieux d'approfondir nos réflexions en matière de protection des mineurs sur les réseaux sociaux. Néanmoins, le groupe RDSE votera pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Esther Benbassa .  - L'Europe est sous le coup de la menace terroriste en permanence. La France doit donc s'aligner sur la stratégie européenne. L'espace numérique est le premier lieu d'endoctrinement. Les jeunes sont recrutés sur les réseaux sociaux, s'informent sur des sites douteux et communiquent sur des applications secrètes ou des jeux vidéo. Nous devons nous doter d'un bouclier puissant, à l'échelle européenne, pour contrer cette menace.

Ce règlement européen nous offre de nouveaux outils et met les hébergeurs face à leurs responsabilités. Si son objet est louable, la proposition de loi met toutefois à mal la liberté d'expression. Nous devons donc intervenir avec une main tremblante...

L'Arcom est désormais la seule exécutrice. Le délai d'une heure, trop court pour saisir un juge, participe d'une déjudiciarisation déjà en marche. Mais attention : les algorithmes ne remplacent ni l'esprit humain ni son jugement. Au législateur de trouver un juste équilibre entre liberté d'expression et protection des internautes.

Néanmoins, je voterai ce texte. (Applaudissements sur quelques travées du GEST)

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous apprenons à vivre avec les réseaux sociaux, mais ils évoluent sans cesse. Nous découvrons que tous types de racistes les utilisent. Voyez l'attentat de Buffalo : un suprémaciste blanc a diffusé ses actes directement sur Twitch. Les images ont été retirées en moins de deux minutes -  ce qui est considérablement moins que les dix-sept minutes nécessaires à Facebook pour supprimer la vidéo de la tuerie de Christchurch en Nouvelle-Zélande en 2019  - mais ce délai a suffi pour que certains enregistrent les images et les rediffusent.

Dès lors, quels outils mettre en place ? Un projet de loi eût été nécessaire, pour bénéficier d'une étude d'impact et de l'avis du Conseil d'État. Espérons qu'en début de quinquennat, cette utilisation abusive des propositions de loi disparaisse.

Peut-on considérer que la détermination illicite des contenus puisse ne relever que de l'administration, dès lors que le règlement prévoit une personnalité qualifiée et un recours suspensif au juge administratif ?

L'objectif de cette proposition de loi n'est pas contestable. Le dispositif s'intègre dans notre droit interne.

Soulignons que les mesures réglementaires de lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste doivent être associées à des stratégies nationales. Il peut s'agir d'éducation aux médias, d'élaboration de contre-discours, d'investissement dans le travail social, de dialogue avec les communautés touchées, dans une logique de prévention durable de la radicalisation.

Des interrogations existent sur les délais laissés aux fournisseurs d'accès et sur le pouvoir extravagant de certains algorithmes. Certains réseaux sociaux semblent plus prompts à protéger le droit d'auteur qu'à supprimer certains contenus incitant à la violence. Facebook et Instagram censurent immédiatement tout post faisant la promotion de pilules abortives, mais pas celles qui font la promotion des armes !

La suppression du contenu sur Buffalo par Twitch en moins de deux minutes devrait nous convaincre que les réseaux sociaux prennent la question du terrorisme au sérieux.

Je salue le travail du rapporteur pour clarifier le texte et assurer sa compatibilité avec le droit en vigueur. Nous le voterons, dans la rédaction de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Ludovic Haye .  - Les nouvelles pratiques numériques tordent les possibles : il faut adapter nos outils de lutte, alors que les contenus deviennent viraux. La France a su se doter d'outils adaptés pour lutter contre la diffusion de contenus illicites. La LCEN a donné la faculté à l'autorité administrative de demander le retrait de contenus dans les 24 heures ; la loi confortant le respect des principes de la République, validée par le Conseil constitutionnel, a facilité le blocage des sites miroirs.

L'ambition française a été portée au niveau européen, et a abouti au DSA, qui fait suite au règlement TCO du 29 avril 2021 qu'adapte cette proposition de loi.

Le règlement s'applique directement dans notre droit interne depuis le 7 juin dernier. Il apporte des garanties concrètes, telle que la gradualité de la procédure d'injonction de retrait. Des dérogations sont aussi prévues, en cas de force majeure ou d'impossibilité. Via le statut d'hébergeur exposé, les obligations de moyens sont proportionnées au risque d'exposition.

Plus généralement, les contenus à caractère terroriste visés sont clairement définis ; en sont expressément exclus les contenus à caractère éducatif, journalistique ou artistique. Les données doivent aussi être conservées pendant six mois, en cas d'annulation de la décision de retrait, et les voies de recours sont claires.

Le RDPI soutient ces dispositions pertinentes ; il faudra veiller à la bonne articulation avec la LCEN.

Je salue cette évolution du droit de l'Union. Le travail fut important, et je salue les membres du Gouvernement qui y ont oeuvré.

Tout ce qui est interdit offline doit aussi l'être online, pour reprendre les mots du commissaire Breton. Le droit de l'Union européenne doit suivre ce précepte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Franck Menonville .  - Internet et les plateformes ont joué un rôle majeur au cours de la dernière décennie dans la diffusion de contenus terroristes, le recrutement des terroristes ou la désignation de cibles comme Samuel Paty. Il est insupportable que des terroristes puissent y revendiquer leurs actes barbares.

Contrôler mieux les plateformes est essentiel pour éviter qu'internet ne devienne une zone de non droit.

La lutte contre le terrorisme nécessite l'implication de tous. Je souscris à l'objectif de la proposition de loi, qui vise à adapter la législation française au règlement européen du 29 avril 2021.

Entré en vigueur le 7 juin dernier, il permet de contraindre les services en ligne à supprimer les contenus terroristes en moins d'une heure, sur injonction d'une autorité administrative. Mais pour être effectif, il doit être adapté sur quatre points, en ajoutant quatre articles à la loi LCEN de 2004.

Il s'agit ainsi d'habiliter l'Arcom à prononcer l'injonction de retrait transfrontalier, de préciser les sanctions pénales, administratives et pécuniaires qu'encourent les fournisseurs de services d'hébergement, et de prévoir des voies de recours.

Je me félicite du travail accompli par la commission des lois.

Je regrette cependant le choix du véhicule législatif. Le recours à une proposition de loi nous prive d'une étude d'impact et de l'avis du Conseil d'État, alors qu'il s'agit de nos libertés fondamentales.

De plus, l'examen de ce texte arrive bien tard au Sénat, alors que le règlement est en vigueur depuis plus d'un mois...

Mon groupe votera néanmoins ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE)

Mme Nadine Bellurot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Personne n'aurait l'idée de remettre en cause l'objectif de ce texte. Nous savons que le partage en ligne de contenus terroristes contribue à la radicalisation et mène à des actes horribles comme l'assassinat de Samuel Paty.

L'actualité nous rappelle que la menace terroriste est présente en France comme en Europe, comme l'illustre le tragique attentat qui a frappé la Norvège le 25 juin dernier. Daech reconstitue ses cellules dormantes au Proche-Orient et poursuit ses attaques meurtrières. L'instabilité du Sahel alimente les groupes djihadistes toujours présents.

Le terrorisme islamiste s'attaque à nos libertés, à nos valeurs, à notre modèle de société et à notre sécurité. Nous devons lutter contre le prosélytisme.

La mesure phare de cette proposition de loi, contraindre les entreprises du net à supprimer en une heure les contenus à caractère terroriste, sur injonction administrative, est forte. Cependant nous ne comprenons pas le choix de l'Assemblée nationale d'ajouter les nouveaux dispositifs européens à ceux déjà en vigueur en France.

Nous déplorons tous la complexité de normes et des procédures dans notre vie démocratique, à laquelle ce texte contribue. Attention à l'enchevêtrement réglementaire et législatif qui érode la confiance.

Pour garantir l'efficacité du dispositif, il reviendra à l'OCLCTIC d'adopter les mêmes pratiques que ses homologues européens et de recourir aux injonctions de retrait dans les mêmes cas de figure.

Espérons que les apports sénatoriaux, sur le suppléant ou les délais de recours, seront maintenus en CMP.

Les garanties prévues par le règlement comme par la proposition de loi devraient écarter tout risque d'inconstitutionnalité.

J'ai une pensée pour le rapporteur Reichardt qui a su travailler dans des délais très contraints.

Notre groupe votera pour cette proposition de loi telle qu'amendée par notre commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Guy Benarroche .  - La haine prolifère en ligne et nous devons nous doter de l'arsenal le plus efficace possible. Le terrorisme tue et internet demeure un terreau fertile. Il est essentiel de se doter d'outils de droit, loin de l'époque des amalgames où un Président pouvait déclarer : « Quand on consulte des sites djihadistes, on est un djihadiste ! ». Le règlement européen distingue de manière sensée la consultation de certains contenus à des fins journalistiques, pédagogiques ou artistiques. La définition des contenus à retirer est restreinte et équilibrée.

Le choix d'une proposition de loi n'est pas le plus sécurisant, puisque le Conseil constitutionnel a censuré la loi Avia.

Avoir choisi l'Arcom comme régulateur suscite de nombreuses interrogations. Elle se voit dotée de plus en plus de responsabilités ; aura-t-elle les moyens nécessaires, alors que le Gouvernement se fait fort de ne pas augmenter les impôts ?

Le drame qui a touché Samuel Paty montre que le circuit de signalement fonctionne, mais que le manque de personnel entraîne des délais de traitement aux funestes conséquences. Nous serons très vigilants lors du projet de loi de finances.

Comme l'a souligné la Quadrature du Net, les procédures automatisées utilisées pour identifier les contenus à supprimer comportent des risques ; les ONG redoutent que les hébergeurs ne mettent en place des filtres de téléchargement empêchant tout simplement des utilisateurs de poster du contenu. De plus, la subjectivité des hébergeurs, dont la démarche est à géométrie variable, est à craindre, comme l'a montré une étude comparative menée sur Meta : l'hébergeur n'a pas su justifier la différence de traitement entre les posts, selon qu'ils promeuvent l'avortement ou les armes à feu...

Sans intervention du juge judiciaire, comment garantir la liberté d'expression sur notre territoire face à des gouvernements totalitaires qui caricaturent leurs oppositions en les qualifiant de terroristes ? L'autorité nationale aura certes un droit de regard, mais la coopération entre pays et la réciprocité des actions pourraient poser problème.

Ces inquiétudes sont réelles et non fantasmées.

Nous ne pouvons soutenir pleinement le texte, néanmoins il est urgent de lutter contre l'expansion du terrorisme. C'est pourquoi, dans un esprit de responsabilité, le GEST s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Pierre Ouzoulias .  - La Première ministre a pris à cette tribune l'engagement de changer sa méthode de travail. Elle souhaite que le Sénat devienne une force de co-construction. Madame la ministre, vous avez la lourde tâche d'être la première à nous montrer comment le Gouvernement souhaite procéder. Malheureusement, je crains que cette proposition de loi ne soit pas le meilleur texte pour inaugurer ces nouvelles pratiques.

Adoptée par l'Assemblée nationale le 16 février, elle adapte le droit français au règlement - déjà appliqué dans l'Union européenne depuis le 7 juin 2022. Il est cavalier d'utiliser une proposition de loi pour transposer un règlement européen, ce qui nous prive de l'avis du conseil d'État et d'une étude d'impact.

Cette proposition de loi reprend bon nombre des dispositifs de la loi dite Avia, notamment celui qui prévoit le retrait des contenus haineux en moins d'une heure. Le Sénat s'y était fermement opposé ; son rapporteur Christophe-André Frassa avait justement souligné que cette injonction donnait aux plateformes un droit de censure exorbitant.

Le groupe Les Républicains avait saisi le Conseil constitutionnel et les sages avaient jugé que le délai d'une heure imposé aux hébergeurs « porterait à la liberté d'expression et de communication une atteinte excessive », notamment car le recours n'était pas suspensif et que le délai d'une heure ne permettait pas d'obtenir une décision du juge.

Nous examinons donc un texte dont la principale mesure a déjà été censurée...

Certes, le règlement apporte de nouvelles garanties - mais les procédures de recours prévues par le texte seront applicables après le retrait du contenu, alors que le juge constitutionnel souhaitait qu'elles le fussent avant.

Vous semblez considérer que la réglementation européenne est supérieure en droit à la décision du Conseil constitutionnel. Quel renversement !

En outre, la directive du 8 juin 2000 relative à la société de l'information et au commerce électronique que transpose ce texte sera prochainement rendue obsolète par les deux règlements, DSA et DMA, adoptés le 5 juillet 2022 par le Parlement européen, qui créent un nouveau régime pour les acteurs du numérique. L'article 14 du DSA prévoit des mécanismes de signalement et de retrait des contenus illicites bien plus respectueux de la liberté d'expression que votre texte.

Plutôt que de nous demander d'examiner un texte qui sera caduc avant la fin de l'année, il aurait été plus intéressant d'engager une réflexion sur l'éventuelle transposition de ces deux règlements majeurs. Pour cette raison, le CRCE votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

Mme Marie Mercier .  - Malgré la loi votée ici à l'unanimité le 20 juillet 2020, malgré la bonne volonté de l'Arcom et de la CNIL, il est toujours possible pour des enfants de visionner des films pornographiques : il leur est impossible de jouer à un jeu d'argent en ligne, mais ils peuvent toujours être traumatisés par de tels contenus. Jusqu'à quand nos enfants devront-ils se protéger eux-mêmes ?

M. Pierre Ouzoulias .  - Je sollicite des réponses de la ministre aux questions fondamentales de droit que j'ai posées. Dans cet hémicycle, nous sommes tous d'accord pour engager des moyens contre le terrorisme. Mais ce que nous allons voter est-il constitutionnel ? Le règlement prévoit des modalités de recours une fois le contenu retiré, or le Conseil constitutionnel, lorsqu'il a censuré la loi Avia, souhaitait des recours suspensifs. Mieux vaudrait s'entendre, avant un probable retour devant le Conseil constitutionnel...

La ministre de l'Europe a qualifié les règlements DSA et DMA de « pas de géant » dans la réforme du numérique. Seront-ils compatibles avec ce règlement ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Ce règlement est aujourd'hui stabilisé. Il n'y a aucune contradiction avec le texte.

Mme Éliane Assassi.  - Et... ?

Mme Marie Mercier.  - Merci de me répondre aussi !

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

« II.  -  La personnalité qualifiée mentionnée à l'article 6-1 reçoit transmission de toutes les injonctions de retrait émises en application de l'article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité et constitue l'autorité compétente pour procéder à l'examen approfondi des injonctions de retrait en application de l'article 4 du même règlement.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Jusqu'à présent, le II de l'article 6-1-1 disposait simplement que la personnalité qualifiée de l'Arcom était l'autorité compétente, au sens de l'article 4 du règlement TCO, pour examiner les injonctions issues d'autorités étrangères.

Votre rapporteur a judicieusement introduit un mécanisme semblable lorsque l'injonction émane de l'autorité nationale et s'adresse à un fournisseur installé en France. Nous préférons toutefois l'inscrire à l'article 6-1-1 plutôt qu'à l'article 6-1-4, qui ne traite que de questions contentieuses.

Si vous adoptiez cette rédaction, je vous proposerai la correction symétrique à l'article 6-1-4.

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Avis défavorable. Cet amendement est lié à l'amendement n°3 sur lequel notre avis est très défavorable car il supprime le recours devant le Conseil d'État.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 17

Remplacer les mots :

, 5 et 6 de l'article 5

par les mots :

et 5 de l'article 5

II.  -  Alinéa 18

Après les mots :

mise en demeure

insérer les mots :

ou à la décision prise en application du 6 de l'article 5 dudit règlement

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Le règlement prévoit déjà que l'Arcom peut enjoindre l'hébergeur à mettre en oeuvre des « mesures spécifiques » supplémentaires lorsqu'elle considère que les mesures qu'il lui a présentées afin de se protéger contre la diffusion de contenus terroristes ne sont pas suffisantes.

Or l'injonction prévue par le règlement constitue déjà une mise en demeure dont la méconnaissance est sanctionnée.

Une telle mécanique de double mise en demeure ne serait ni pertinente ni efficace, ni cohérente avec le but recherché. 

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Avis favorable à cet amendement qui supprime la double injonction.

M. Pierre Ouzoulias.  - L'article 14 du DSA qui entrera en vigueur avant la fin de l'année change radicalement la procédure en renversant la charge de la preuve. Le délai d'une heure ne tiendra plus puisque le fournisseur devra fournir à l'autorité régulatrice plusieurs pièces justifiant le retrait du contenu, dont des informations sur le contributeur. C'est beaucoup plus intéressant.

Il aurait mieux valu travailler directement sur la transposition des deux règlements.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Le texte anticipe le DSA, qui ne comporte que des dispositions d'ordre général. Les choses sont assez claires.

L'amendement n°2 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéas 30 à 33

Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :

« II.  -  Les fournisseurs de contenus et les fournisseurs d'hébergement visés par une injonction de retrait au titre de l'article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité ainsi que la personnalité qualifiée mentionnée aux articles 6-1 et 6-1-1 peuvent demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par celui-ci l'annulation de cette injonction, dans un délai de quarante-huit heures à compter soit de sa réception, soit du moment où le fournisseur de contenu est informé par le fournisseur de services d'hébergement du retrait du contenu.

« Il est statué sur la légalité de l'injonction de retrait dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine du tribunal.

II.  -  Alinéa 34

Remplacer les mots :

la réformation de la décision motivée

par les mots :

l'annulation de la décision

III.  -  Alinéas 36 et 37

Rédiger ainsi ces alinéas :

« III bis.  -  Les décisions rendues en application des II et III sont susceptibles d'appel dans un délai de deux mois à compter de leur notification.

« La juridiction d'appel statue dans un délai d'un mois à compter de sa saisine.

IV.  -  Alinéa 38

Rédiger ainsi cet alinéa :

« IV.  -  Les fournisseurs de services d'hébergement visés par une décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, prise en application de l'article 5 dudit règlement, les déclarant exposés à des contenus terroristes ou leur enjoignant de prendre les mesures spécifiques nécessaires, peuvent demander l'annulation de cette décision, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification. » ;

V.  -  Alinéa 39

Supprimer cet alinéa.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Cet amendement, essentiellement rédactionnel, fusionne, au sein d'un alinéa unique, les dispositions relatives aux recours ouverts à l'encontre des injonctions de retrait ; il privilégie des termes plus explicites ; il supprime la procédure d'appel devant le Conseil d'État pour rétablir une voie d'appel de droit commun devant la cour administrative d'appel.

Enfin, il supprime la mention de la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort s'agissant des décisions de l'Arcom.

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - L'amendement est intéressant, mais il supprimerait la procédure à bref délai que la commission a introduite devant le Conseil d'État. Or il faut purger toutes les possibilités d'appel au plus vite : une procédure d'appel classique durerait trop longtemps. Avis défavorable.

M. Bruno Sido.  - Très bien.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Selon l'article L. 321-1 du code de justice administrative, les cours administratives d'appel connaissent des jugements rendus en premier ressort par les tribunaux administratifs. Il n'est pas opportun d'y déroger.

Le contentieux d'appel des décisions touchant à des libertés fondamentales - comme c'est le cas en matière de police administrative - relève invariablement des cours administratives d'appel.

Le Conseil d'État reste, en principe, un juge de cassation.

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Le délai de recours devant la cour administrative d'appel que vous proposez est d'un mois... mais il est susceptible de recours ! Poursuivons la discussion en CMP.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° L'article 57 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« ....  -  Les dispositions du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne sont applicables à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Cet amendement rend applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sur mention expresse d'application, les dispositions du règlement européen.

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Avis favorable à cet amendement utile.

L'amendement n°4 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

Mme Marie Mercier .  - Le groupe Les Républicains votera ce texte, mais, madame la ministre, vous savez qu'il est contre nature d'exposer les enfants à des images violentes pour eux. La loi du 20 juillet 2020 a été votée avec l'avis favorable du Gouvernement. J'aimerais connaître sa position !

M. Bruno Sido .  - J'ai rapporté la loi sur la confiance dans l'économie numérique. En la matière, les choses sont très compliquées. Il aurait fallu un projet de loi, et non une proposition de loi ... corrigée par des amendements du Gouvernement. Vous nous privez une deuxième fois de l'avis du Conseil d'État. Il est temps de changer de méthode sur des questions aussi graves. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pierre Ouzoulias .  - Je partage entièrement vos propos. Mme la ministre nous dit que ce texte ne fait que transposer un règlement qui serait conforme aux règlements DSA et DMA. Or Mme Colonna nous a dit que ces deux textes changeront radicalement l'ère numérique ! Je crains que le Gouvernement ne doive revenir vers nous bientôt pour adapter une nouvelle fois le droit français.

Je suis très attaché à la figure de Pénélope, mais faire et défaire a ses limites ... Le groupe CRCE votera contre.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Une proposition de loi n'a pas vocation à passer devant le Conseil d'État ni à faire l'objet d'une étude d'impact.

M. Stéphane Piednoir.  - C'est bien ce qu'on vous reproche ! (M. Pierre Ouzoulias renchérit.)

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée .  - La plateforme Pharos a répertorié 223 625 signalements en 2021, dont 7 800 liés au terrorisme, mais nous avons procédé à des recrutements à la hauteur : les effectifs ont doublé depuis décembre 2020, passant à 52, dont 14 gendarmes. Désormais, les signalements sont pris en compte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Madame Mercier, outre la cellule chargée des contenus discriminatoires, une cellule spécifique est chargée de la détection proactive de contenus pédopornographies, et une brigade se consacre spécifiquement à une judiciarisation accrue du traitement des infractions liées à des contenus illicites en ligne.

L'article unique, modifié, est adopté. En conséquence, la proposition de loi est adoptée.

Prochaine séance demain, mercredi 13 juillet 2022, à 15 heures.

La séance est levée à 19 h 10.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 13 juillet 2022

Séance publique

À 15 heures

Présidence :

M. Gérard Larcher, président

Secrétaires :

M. Jean-Claude Tissot - Mme Marie Mercier

- Questions d'actualité au Gouvernement