Régime de réélection des juges consulaires (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, présentée par Mme Nathalie Goulet.

Discussion générale

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois .  - Nous examinons en urgence la proposition de loi déposée par Nathalie Goulet, que je remercie pour sa vigilance. Elle doit être adoptée avant les élections annuelles des juges consulaires des tribunaux de commerce qui ont été décalées en novembre. C'est la deuxième et la dernière fois, je l'espère, qu'il nous faut légiférer pour régler des difficultés liées à ces élections, après l'examen d'un texte à l'automne dernier pour régler des malfaçons de la loi Pacte. La loi du 12 octobre 2021, votée conforme à l'Assemblée nationale, a permis de réintégrer les anciens membres des tribunaux de commerce dans le vivier des candidats à l'élection des juges consulaires.

Le ministère de la justice fait part de difficultés dans le recrutement. Je vous rassure : je n'ai pas repéré de risque d'invalidation d'élection ni de disparition de tribunaux. Il n'y a eu, semble-t-il, aucun contentieux depuis les élections de 2019. L'enjeu est d'élargir le vivier de candidats.

Avant la loi Pacte, les cadres dirigeants salariés étaient éligibles aux fonctions de juges consulaires de par leur appartenance au corps électoral. Leur remplacement par les élus des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat y a mis un terme.

Or leurs compétences sont précieuses pour la résolution des litiges.

Les cadres dirigeants salariés représentent aujourd'hui plus de 40 % des juges consulaires dans les tribunaux de grande taille.

La commission a rétabli leur éligibilité, rappelant qu'ils suivent les mêmes règles déontologiques et disciplinaires que les autres juges des tribunaux de commerce. La commission a également supprimé l'article premier, par cohérence.

L'article 2 abordait un tout autre sujet, avec la création d'une cinquième cause de cessation des fonctions de juge consulaire en cas de refus de siéger sans cause légitime : la commission a estimé que cela n'était pas une disposition urgente et qu'une réponse disciplinaire était déjà possible. Nous l'avons donc supprimé. Ce sujet pourrait être traité dans le cadre du prochain projet de loi sur la justice du quotidien.

L'article 3, relatif aux conditions d'éligibilité des juges consulaires, constitue le coeur de la proposition de loi. Il autorise les juges en exercice et ceux ayant six ans d'ancienneté à se présenter à leur réélection sans condition de résidence. Aux termes de la loi du 11 octobre 2021, ils doivent justifier d'une domiciliation ou d'une résidence dans le ressort du tribunal où ils candidatent ou d'un tribunal limitrophe.

Retoucher si rapidement ces conditions en l'absence d'élément nouveau pourrait sembler injustifié, mais la Chancellerie a fait valoir que 307 juges, ayant perdu leur domiciliation à la retraite, seraient empêchés de se représenter. La proposition de loi maintient toutefois la condition de résidence pour les candidatures dans des tribunaux non limitrophes de celui dans lequel le candidat exerce.

La commission vous recommande d'adopter cette proposition de loi modifiée, grâce à laquelle les juridictions commerciales bénéficieront d'un vivier élargi de candidats.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - La proposition de loi de votre excellente collègue Mme Goulet porte sur la justice commerciale, un enjeu important pour notre économie. Les siècles d'existence de cette justice prouvent son efficacité, mais aussi son adaptabilité. De fait, elle a été maintes fois renouvelée.

Le rapport du comité des États généraux de la justice, auquel le président François-Noël Buffet a participé, ce dont je le remercie, souligne le rôle important joué par les tribunaux de commerce.

Le Gouvernement est très favorable à cette proposition de loi. Supprimer la condition de résidence pour les juges se présentant à leur réélection est opportun, car nombre d'entre eux cessent leur activité en cours de mandat et ne possèdent plus d'entreprise ni de résidence dans leur ressort d'élection : c'est le cas notamment dans les grandes régions, comme l'Île-de-France, le Sud et les Hauts-de-France.

En l'état du droit, les juges les plus expérimentés ne pourraient être réélus dans un ressort qu'ils connaissent pourtant charnellement, alors que ce sont ces juges dont nous avons grand besoin. L'adoption de cette proposition de loi, enrichie par la commission dont je salue le rapporteur, lèvera cet obstacle.

J'insiste sur l'importance d'une adoption rapide en vue d'une application aux prochaines élections consulaires, dont le premier tour se tiendra le 21 novembre prochain.

Je salue la coconstruction de ce texte avec le Conseil national des tribunaux de commerce et la Conférence générale des juges consulaires de France.

M. Guy Benarroche .  - Je salue le travail de Nathalie Goulet, qui veille à la sécurité juridique et à la pérennité des juridictions commerciales face à plusieurs négligences et oublis. Le temps presse, avec la tenue prochaine des élections consulaires.

Ces 130 tribunaux, qui traitent 140 000 affaires par an, ont subi d'importantes modifications dans la loi Pacte, censée être simplificatrice. Celle-ci a notamment écarté du corps électoral les cadres dirigeants salariés des entreprises, qui représentent 40 % des juges consulaires en exercice. Il est raisonnable de favoriser leur participation aux institutions du quotidien, a fortiori leur maintien en leur sein.

Face au manque de magistrats, la commission a aussi levé certaines conditions de résidence. La valorisation de l'expérience des anciens juges est un choix équilibré, mais nous devons éviter l'écueil d'une trop grande professionnalisation.

Le droit des entreprises fait face à des difficultés confirmées par les États généraux de la justice. Cette proposition de loi n'est qu'une petite pierre apportée à l'oeuvre colossale qui doit être accomplie. Le GEST votera ce texte, mais nous serons attentifs à la suite des efforts réalisés pour renforcer la confiance dans la justice et améliorer la justice du quotidien. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Gilbert Favreau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les tribunaux de commerce sont des institutions vénérables, créées en 1563 par le roi Charles IX. Cette proposition de loi actualise le régime de réélection des juges consulaires après sa modification par la loi Pacte.

La loi du 11 octobre 2021 avait apporté certaines corrections, mais d'autres restaient nécessaires. Il s'agit notamment de faciliter le renouvellement des juges consulaires.

Trois amendements, deux de suppression et un de modification, ont été adoptés par la commission des lois.

Les articles 1er et 2 sont certes supprimés, mais l'abandon du premier est compensé par la modification de l'article 3, tandis que le second n'est pas urgent.

La modification de l'article 3 autorise utilement la réélection sans condition de résidence de juges dans le tribunal où ils exercent ou celui d'un ressort limitrophe, ainsi que l'élection des personnels dirigeants salariés.

Les tribunaux de commerce manquant de juges se verront ainsi confortés, dans la perspective des élections prévues en fin d'année. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Menonville .  - Voilà un an, nous approuvions l'encadrement de la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce pour pallier les imperfections de la loi Pacte. La proposition de loi examinée aujourd'hui complète ces dispositions. Nous saluons l'engagement de Nathalie Goulet sur ce sujet.

Vieille de cinq siècles, la justice commerciale a été créée par le roi Charles IX sur l'initiative du chancelier Michel de L'Hospital, dont la statue domine notre hémicycle.

Nous approuvons les modifications opérées par la commission des lois pour centrer le texte sur les questions d'éligibilité et nous nous réjouissons de l'élargissement du vivier des candidats.

Je salue le travail de notre rapporteur, Thani Mohamed Soilihi. Le groupe INDEP votera cette proposition de loi.

M. Stéphane Artano .  - Comme le rappelait voilà un an notre collègue Maryse Carrère, nous ne devons pas considérer les dispositions techniques comme de seconde importance. Je salue la persévérance de Nathalie Goulet et la qualité des travaux de la commission.

La problématique de l'élection des juges consulaires peine à s'éteindre : il y a un an déjà, nous avions précisé des dispositions et corrigé des imperfections.

Si nous voterons cette proposition de loi, le RDSE regrette la répétition des textes, symptôme de l'inflation législative et des conditions trop hâtives du travail législatif. On a plusieurs fois parlé de rustine : mais quand une jante est trop abîmée, il faut la changer.

M. Dominique Théophile .  - Je remercie Nathalie Goulet d'avoir déposé cette proposition de loi technique, mais qui revêt une importance particulière, afin d'expurger la loi Pacte de ses dernières malfaçons.

Elle présente l'avantage d'élargir le vivier des candidats aux fonctions de juge consulaire, avec le retour des cadres dirigeants, et s'appliquera dès les prochaines élections, qui se tiendront entre le 21 novembre et le 4 décembre prochains. Les juges consulaires seront pour la première fois élus par les membres des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et d'artisanat.

Une fois le texte adopté, il conviendra de réformer la justice commerciale en profondeur. Considérée à tort comme périphérique, elle s'est améliorée avec la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, en 2016. Poursuivons ce travail : les propositions du comité des États généraux de la justice constituent une bonne base de travail.

Enfin, la justice commerciale manque de moyens ; il faut poser la question du maintien de sa gratuité en envisageant un droit de timbre barémisé à la charge du requérant. Toutes les pistes du comité des États généraux de la justice sont innovantes : nous en débattrons l'année prochaine.

Pour l'heure, le RDPI votera la proposition de loi.

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La justice commerciale est toujours plus centrale dans notre vie quotidienne : les giga-crises récentes le montrent.

Voilà trois ans, au moment de la loi Pacte, nous avions la crise sanitaire en tête. S'y ajoutent aujourd'hui la guerre en Ukraine et la crise climatique. Les dirigeants d'entreprise ont, eux aussi, ce contexte en tête, et la justice consulaire les accompagne dans ces difficultés.

La proposition de loi de Nathalie Goulet, rectifiée de façon bienvenue par le rapporteur, rétablit les cadres dirigeants salariés dans le corps électoral. Le groupe SER soutient ce texte, pour défendre la pérennité de la justice commerciale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Éliane Assassi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La proposition de loi de Nathalie Goulet corrige à la marge des erreurs commises sur l'élection des juges consulaires, sans modifier le fonctionnement des tribunaux de commerce, ce qui est problématique pour nous.

Au-delà de la forme, c'est bien sur le fond qu'il faudrait intervenir, alors que ce texte confirme la volonté de centralisation de la justice commerciale et que les salariés demeurent exclus du processus d'élection. Les risques de conflits d'intérêts sont forts dans un microcosme en autarcie, où tout le monde se connaît et fait des affaires ensemble. Est-ce là notre conception d'une justice impartiale ?

La France dispose de tribunaux paritaires et impartiaux, comme les tribunaux prudhomaux.

Malgré ces critiques, je salue le travail de Nathalie Goulet. Notre groupe votera ce texte, en attendant un véritable débat de fond sur la composition des tribunaux de commerce en France, qui n'a aucun équivalent en Europe et ne saurait nous satisfaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Philippe Bonnecarrère .  - J'ai une vision très favorable des tribunaux de commerce et, en tant qu'ancien praticien, ne partage pas totalement les réserves exprimées par la précédente oratrice.

Nous avons évoqué largement la composition du corps électoral ; il serait regrettable de se priver de cadres expérimentés et au fait de la vie des entreprises.

S'agissant de la déchéance de magistrats qui refuseraient d'exécuter leur activité, le cas me semble rare.

J'ai consulté les articles L. 724-1 et suivants du code de commerce : ils sont riches d'un impressionnant dispositif de déontologie. La structure faîtière déontologique a largement les moyens de résoudre les problèmes. Les incompatibilités sont nombreuses : ainsi, on ne peut être à la fois conseiller municipal et juge consulaire...

Enfin, il serait dommage de se priver de juges compétents pour des motifs de domiciliation.

Le groupe UC votera naturellement ce texte proposé par l'un de ses membres.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente.  - Je rappelle que les articles premier et 2 ont été supprimés par la commission.

Article 3

L'article 3 est adopté.

La proposition de loi est adoptée.

La séance est suspendue à 20 h 05.

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

La séance reprend à 21 h 35.