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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Salut à une délégation allemande

Questions d'actualité

Coût de l'énergie (I)

M. François Patriat

Mme Élisabeth Borne, Première ministre

Situation judiciaire du garde des sceaux (I)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Coût de l'énergie (II)

M. Jean-Pierre Corbisez

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Situation judiciaire du garde des sceaux (II)

M. Guillaume Gontard

Mme Élisabeth Borne, Première ministre

Coût de l'énergie (III)

M. Dany Wattebled

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics

Relations franco-arméniennes

M. Étienne Blanc

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Rapport sur l'industrie pornographique

Mme Annick Billon

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances

Coût de l'énergie (IV)

Mme Céline Brulin

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics

Port du voile à l'école

Mme Jacqueline Eustache-Brinio

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel

Réduction des visas en Afrique

Mme Hélène Conway-Mouret

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Répartition des étrangers sur le territoire

M. Stéphane Sautarel

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales

Montée du sentiment anti-français en Afrique

M. Stéphane Demilly

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Finances locales

M. Charles Guené

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales

Précarité étudiante

Mme Martine Filleul

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Évacuation du square de Forceval à Paris

Mme Catherine Dumas

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

Ligne Clermont-Ferrand-Paris

M. Jean-Marc Boyer

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports

Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l'homme en Iran

Mme Annick Billon

Mme Esther Benbassa

Mme Guylène Pantel

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Claude Malhuret

Mme Mélanie Vogel

Mme Samantha Cazebonne

Mme Marie-Arlette Carlotti

M. Pierre Laurent

M. Laurent Lafon

Mme Valérie Boyer

Mme Laurence Rossignol

M. Hugues Saury

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale

Mme Annick Petrus, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Philippe Folliot, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

M. Stéphane Artano

Mme Marta de Cidrac

M. Joël Guerriau

M. Joël Labbé

M. Dominique Théophile

Mme Gisèle Jourda

Mme Michelle Gréaume

M. Philippe Folliot

M. Guillaume Chevrollier

Mme Victoire Jasmin

Mme Lana Tetuanui

Mme Annick Petrus

Mme Viviane Artigalas

M. Dominique de Legge

Mme Vivette Lopez

M. Didier Mandelli

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Régime de réélection des juges consulaires (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Guy Benarroche

M. Gilbert Favreau

M. Franck Menonville

M. Stéphane Artano

M. Dominique Théophile

M. Jérôme Durain

Mme Éliane Assassi

M. Philippe Bonnecarrère

Discussion des articles

Article 3

Conférence des présidents

Conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique »

Mme Amel Gacquerre, au nom de la commission des affaires économiques

M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie

M. Daniel Gremillet

M. Franck Menonville

M. Joël Labbé

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Mme Florence Blatrix Contat

M. Fabien Gay

Mme Catherine Morin-Desailly

M. Stéphane Ravier

M. Henri Cabanel

M. Serge Babary

M. Sebastien Pla

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Jean-François Rapin

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques

Ordre du jour du jeudi 6 octobre 2022




SÉANCE

du mercredi 5 octobre 2022

2e séance de la session ordinaire 2022-2023

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Victoire Jasmin, M. Pierre Cuypers.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Salut à une délégation allemande

M. le président.  - J'ai le plaisir de saluer, dans la tribune d'honneur, une délégation conduite par M. Hendrik Wüst, ministre-président du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie et plénipotentiaire de la République fédérale d'Allemagne chargé des relations culturelles franco-allemandes. (Mmes et MM les sénateurs se lèvent, de même que les membres du gouvernement.) La délégation est accompagnée par notre collègue Ronan Le Gleut, président du groupe d'amitié du Sénat, et par M. Hans-Dieter Lucas, ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne en France.

Je tiens à souligner l'importance de la coopération étroite, et de longue date, entre le Sénat et le Bundesrat au service de la relation franco-allemande.

Nous aurons l'occasion de réaffirmer solennellement cette amitié en 2023, en célébrant le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée.

La dimension culturelle devra y occuper une place renouvelée, alors que l'apprentissage et la pratique de la langue, de part et d'autre, tendent à se faire moins fréquents. Nous devons réfléchir à de nouvelles initiatives confortant des expressions culturelles convergentes. Sans culture partagée, la relation franco-allemande perdrait de sa singularité.

De façon plus générale, il est crucial que nos deux assemblées oeuvrent à la nécessaire solidarité entre les États membres de l'Union européenne face aux défis majeurs auxquels elle est aujourd'hui confrontée.

Je pense, en particulier, que la crise énergétique qui sévit aujourd'hui appelle de notre part une réponse commune et solidaire, afin de préserver l'unité de la zone euro et la force de nos économies.

En votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à M. Hendrik Wüst et à sa délégation la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Applaudissements)

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif à l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres et du temps de parole.

Coût de l'énergie (I)

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC et du RDSE) En écho à vos propos, monsieur le Président, je vais parler d'énergie. Le sujet inquiète les particuliers, les maires, les entrepreneurs, les agriculteurs. Le Gouvernement a répondu efficacement, avec notamment le bouclier énergétique et la charte des fournisseurs signée ce matin même.

Cela a permis de juguler l'inflation, une des plus faibles en Europe, et de préserver le pouvoir d'achat, mais il faudra des mesures de plus long terme. Le conseil des ministres de l'énergie de l'Union européenne, avec Agnès Pannier-Runacher, a déjà évoqué des pistes, notamment une contribution des producteurs d'énergie. Mais l'essentiel se jouera vendredi 7 octobre au Conseil européen, qui abordera en particulier le plafonnement des prix et les mesures concernant le gaz.

Plusieurs voix à droite. - La question !

M. François Patriat. - L'effort du Gouvernement en faveur des collectivités, des entreprises et des particuliers atteint 100 milliards d'euros sur trois ans. Quelles pistes allez-vous évoquer vendredi ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Élisabeth Borne, Première ministre .  - Je mesure parfaitement l'inquiétude des entreprises et des communes, dont beaucoup ne savent pas si elles pourront régler leurs factures et maintenir ouverts leurs services publics. Tous les élus locaux et représentants de leurs associations délivrent le même message : ce n'est pas tenable.

Face à cela, nous agissons d'abord à la racine pour faire baisser les prix, et les ramener à un niveau cohérent avec les coûts de production. Le dernier conseil des ministres de l'énergie a ouvert la porte à un élargissement du dispositif qui, en Espagne, a divisé par trois les prix de l'électricité. Le Président de la République s'est entretenu avec le chancelier allemand et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Cette dernière a indiqué que la Commission allait proposer un plafonnement des prix du gaz.

Nous travaillons en parallèle sur d'autres mécanismes. Le bouclier tarifaire, prolongé en 2023, est le plus protecteur d'Europe, avec une hausse plafonnée à 15 %. Aucune collectivité, aucune entreprise ne sera laissée dans l'impasse. Les fournisseurs d'énergie se sont engagés ce matin à ne laisser aucune entreprise ou collectivité territoriale sans énergie. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) publiera des indicateurs de prix.

Nous allons également améliorer les aides aux entreprises les plus consommatrices d'énergie ; pour les collectivités, des acomptes sont déjà possibles, et le filet de sécurité sera renforcé pour les cas les plus difficiles.

Nous ne laisserons personne sans solution. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)

Situation judiciaire du garde des sceaux (I)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - Tout ministre mis en examen devra quitter le Gouvernement : tel était le principe énoncé par le futur Président de la République en mars 2017, repris par son Premier ministre Édouard Philippe. M. Bayrou en a fait les frais, quelques jours après sa nomination en tant que garde des sceaux.

Il y a deux jours, nous apprenions que le garde des sceaux actuel était renvoyé devant la Cour de justice de la République. Depuis... rien, sinon la réaffirmation de la confiance accordée. Madame la Première ministre, pour quels motifs ce principe a-t-il été renié ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du GEST et du groupe CRCE)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Puissiez-vous être aussi prompte à dédouaner les personnes innocentées après avoir été mises en examen... En vertu de la jurisprudence Balladur, quatre ministres de l'époque ont dû démissionner. (Plusieurs voix à droite : « Bayrou ! ») Trois ont été innocentés ensuite ; ils ont ainsi été privés du service de leur pays.

M. Rachid Temal. - Dites-le au Président !

M. Olivier Véran, ministre délégué. - Gardons-nous de jeter l'opprobre sur nos ennemis politiques : c'est un nuage radioactif qui atteint l'ensemble de la classe politique... (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)

Votre famille politique est à l'initiative d'une loi qui a substitué la qualification de « mis en examen » à celle de « prévenu ». Lors des débats de l'époque au Sénat, on soulignait combien ce dernier terme suggérait la culpabilité... En l'espèce, personne n'a été condamné, et le renvoi en cassation fait que le ministre n'est même plus mis en examen : la procédure est suspendue. (Protestations sur les travées du groupe SER ; applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP et UC)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Le ministre qui a répondu désavoue le Président de la République et Édouard Philippe. Dont acte ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Il s'agit d'éthique gouvernementale. En démissionnant, François Bayrou avait dit : « Je pars, car je choisis de ne pas exposer le Président de la République et le Gouvernement que je soutiens. » Nous y sommes... Le renvoi devant la Cour de justice de la République d'un ministre en exercice est inédit. Il alimente le populisme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du groupe CRCE)

Coût de l'énergie (II)

M. Jean-Pierre Corbisez .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Fortement touchées par l'inflation en 2022, les collectivités territoriales le seront encore en 2023. Même portée à 1 milliard d'euros, l'enveloppe de 430 millions d'euros votée en projet de loi de finances rectificative serait insuffisante pour les aider. D'autant que les élus locaux s'inquiètent aussi du flou sur les modalités de répartition. Le montant de l'épargne brute ne leur sera connu qu'en juillet 2023...

Les élus feront face à des choix cornéliens, entre augmenter les impôts et fermer des services - irons-nous jusqu'aux écoles ?

Rappelons que les finances des collectivités territoriales doivent être équilibrées, contrairement à celles de l'État. Elles ont contribué à l'effort, il est temps de leur renvoyer l'ascenseur. Il conviendrait au moins d'indexer la dotation sur l'inflation, comme le demande l'Association des maires de France (AMF).

Quelles mesures d'urgence pour concrétiser la solidarité avec les communes dont s'enorgueillit régulièrement le Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées des groupes SER et CRCE)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - L'action commence à l'échelle européenne : il faut un effort coordonné pour éviter que le bouclier ne se traduise par une rente pour les énergéticiens.

Le Comité des finances publiques a invité à préciser les règles du jeu pour l'attribution des 430 millions d'euros que vous avez votés cet été. Des avances seront notamment délivrées.

Une partie des communes, celles qui emploient moins de dix salariés ou ont un budget de moins de 10 millions d'euros, sont protégées par le bouclier tarifaire. Nous soutenons le bloc communal en faisant baisser les prix de l'énergie, et en prévoyant dans le PLF une dotation générale de fonctionnement (DGF) en hausse pour la première fois depuis treize ans.

Nous finalisons les solutions d'accompagnement des collectivités les plus exposées. Vous aurez bientôt des réponses. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

M. Jean-Pierre Corbisez.  - Maire d'Angers, auriez-vous accepté de voter des comptes déséquilibrés ?

L'inquiétude des élus se transformera en colère en juin 2023, quand les comptes administratifs seront bouclés - trois mois avant les sénatoriales...

Situation judiciaire du garde des sceaux (II)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Après les propos de M. Véran, je cite à nouveau le Président de la République : « Un ministre doit quitter le Gouvernement s'il est mis en examen ». Cela aura duré six semaines, le temps d'obtenir une majorité absolue à l'Assemblée nationale, et depuis, les affaires se multiplient et se banalisent, jusqu'à la nomination au Gouvernement de personnalités lourdement accusées.

La République exemplaire est devenue la République des affaires, alors que nous assistons à deux premières : la mise en examen du secrétaire général de l'Élysée et le renvoi du garde des sceaux devant la Cour de justice de la République.

Madame la Première ministre, connaissant votre probité, allez-vous l'appliquer au Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)

Mme Élisabeth Borne, Première ministre .  - J'ai pris acte de la décision de renvoi de M. Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République. Attachée à la séparation des pouvoirs, je ne la commenterai pas. Je le suis aussi à deux principes fondamentaux : l'indépendance de la justice...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - On parle du garde des sceaux !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - ... et la présomption d'innocence. La question est de savoir si cette situation affecte le ministère de la justice. (« Oui ! » sur quelques travées)

Oui, la justice se réforme et voit ses moyens portés à des niveaux inédits. (Protestations à gauche)

M. Guy Benarroche. - Quel rapport ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Éric Dupond-Moretti est un ministre dont l'engagement est solide et indéfectible. Pour les dossiers qui le concernent, c'est un justiciable comme les autres...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Non, c'est le garde des sceaux !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Nous avons prévu, pour ces cas, un dispositif efficace de déport. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe INDEP)

M. Guillaume Gontard.  - Le sujet est celui de la parole donnée, qui plus est présidentielle, et du respect de la justice ; c'est aussi celui de son indépendance. Emmanuel Macron avait promis l'exemplarité politique mais, après la présidence de François Hollande, nous en revenons aux pratiques délétères des présidences Chirac et Sarkozy (vives protestations à droite) alors que les fascistes prennent le pouvoir de l'autre côté des Alpes ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

Coût de l'énergie (III)

M. Dany Wattebled .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Depuis trente ans, la France s'efface en se désindustrialisant. Il y a enfin une prise de conscience, mais elle est compromise par le coût de l'énergie : celui du mégawattheure de gaz redescend difficilement sous les 200 euros. La balance commerciale de la zone euro est touchée, et tous les principaux secteurs sont concernés : aluminium, verre, ciment, acier.

Entreprises, ménages, agriculteurs sont en difficulté. Des secteurs clés sont menacés, et donc notre souveraineté. Un choc économique majeur se profile, qui laisse craindre de nouvelles délocalisations. Alors que l'on envisage un découplage des prix de l'électricité et du gaz, les actions unilatérales montrent la fragilité de la situation : nous ne pouvons subir les choix allemands en matière énergétique. Qu'allez-vous faire pour éviter la catastrophe économique ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Le Gouvernement et le Président de la République sont mobilisés pour faire baisser les prix au niveau européen. Nous ne voulons pas de conséquences économiques supplémentaires. Les mesures sur l'Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique) ont déjà sauvé 45 000 emplois dans l'industrie sur 150 sites. Nous allons continuer à refroidir le marché de l'énergie en découplant les prix de l'électricité et du gaz : c'est le sens des annonces de Bruno Le Maire ce matin.

Nous allons aussi aider les entreprises très consommatrices d'énergie. Vous avez voté cet été une enveloppe de 3 milliards d'euros pour les entreprises non protégées par l'Arenh. Des simulateurs sont disponibles sur le site impots.gouv.fr : les aides peuvent atteindre 50 millions d'euros.

Nous allons enfin élargir les critères d'éligibilité. Agir pour les entreprises comme nous le faisons depuis un an, c'est agir pour notre économie et pour les Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Relations franco-arméniennes

M. Étienne Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La semaine dernière, avec Gilbert-Luc Devinaz, nous nous sommes rendus au nom du groupe d'amitié France-Arménie à Erevan, tandis que l'Azerbaïdjan se livrait à une énième attaque contre le territoire et le peuple arméniens. Quelques jours auparavant, Ursula von der Leyen s'était rendue à Bakou pour sécuriser les livraisons de gaz à l'Union européenne. La concomitance n'est pas fortuite. Le Gouvernement français se sent-il solidaire de cet accord indigne ?

L'Arménie demande des armes de défense. La France acceptera-t-elle d'être le fer de lance d'un tel dispositif, afin d'assurer la protection du peuple et du territoire arméniens ?

La France préside également en ce moment le Conseil de sécurité de l'ONU. L'Arménie demande une force d'interposition à la frontière avec l'Azerbaïdjan. Vous engagez-vous à faire tous les efforts en ce sens au sein des Nations Unies ? C'est la condition de la protection d'un peuple dont nous sommes si proches. (Applaudissements nourris)

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - La France est pleinement solidaire du peuple arménien, en particulier depuis que notre pays a accueilli les réfugiés du génocide de 1915. Nous serons à ses côtés jusqu'à un règlement négocié pacifique du conflit avec l'Azerbaïdjan. Les armes ont assez parlé ; les incursions et les frappes contre l'Arménie sont une violation de la charte des Nations unies. Nous sommes également mobilisés pour la libération des prisonniers de guerre arméniens, dont dix-sept ont été libérés hier.

La France est engagée avec l'Union européenne dans un processus de dialogue entre les deux pays. La paix et le respect du droit international sont les conditions d'une Arménie libre.

Nous avons réuni le Conseil de sécurité les 15 et 16 septembre. La priorité reste la baisse des tensions. Nous oeuvrons donc à l'envoi rapide d'une mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour établir les faits.

Rapport sur l'industrie pornographique

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans le récent rapport présenté avec mes collègues Borchio Fontimp, Cohen et Rossignol, intitulé « Porno : l'enfer du décor », nous révélons pour la première fois les dessous sordides de l'industrie de la pornographie, ce business mondial qui dégagea des milliards d'euros en marchandisant le corps des femmes.

Le porno représente plus du quart du trafic en ligne dans le monde ; à lui seul, le site Pornhub cumule plus de 40 milliards de visites annuelles.

Le tableau est sombre mais réaliste : violence systémique envers les femmes, précarité, torture et barbarie sont le lot de cette industrie - deux affaires en cours devant la justice française en témoignent.

Finissons-en avec une vision datée et édulcorée : le porno, ce sont en majorité des contenus violents et dégradants, auxquels deux tiers des moins de 15 ans et un tiers des moins de 12 ans ont pu accéder.

Notre rapport porte 23 propositions unanimes. Comment comptez-vous vous en emparer ? (Applaudissements)

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances .  - Je salue la qualité de votre rapport, qui révèle les dérives d'une machine à broyer les femmes et à banaliser les violences sexuelles, selon les termes que vous utilisez. Oui, le porno est un enfer.

Les pistes lancées par votre rapport rejoignent le travail du Gouvernement. Avec mon collègue Pap Ndiaye, nous nous sommes saisis du sujet de l'éducation à la sexualité. Il est grand temps que la loi de 2001 soit appliquée.

Signalons aussi les travaux de Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique, sur le contrôle parental.

Enfin, votre rapport alimentera le travail en cours aux ministères de la justice et de l'intérieur sur la protection de l'enfance. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe SER)

Coût de l'énergie (IV)

Mme Céline Brulin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Comme en témoignent certaines de vos réponses, vous ne mesurez ni l'urgence ni l'ampleur de ce qui attend nos collectivités, entreprises et citoyens.

Les 430 millions d'euros d'aide aux collectivités prévus par le PLFR ont été arrachés par les parlementaires. Moins de 8 000 communes en bénéficieront, à cause des critères retenus. Vous vous félicitez de la charte signée par les fournisseurs, mais ces mêmes fournisseurs, qui pratiquent des tarifs dignes d'un racket, menaçaient hier certaines communes de leur couper l'énergie !

Nos collectivités risquent une coupure des services publics et doivent reporter des investissements relevant de la transition énergétique, qui permettraient justement de faire des économies.

À quand le retour du tarif réglementé pour les collectivités territoriales que nous proposons ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Nous consacrons tout notre temps à cette question. Mme Pannier-Runacher y passe ses nuits en négociations à Bruxelles, et commence ses journées avec les fournisseurs. (Marques d'agacement et d'ironie)

Notre première priorité est la réforme du marché de l'électricité. Avec M. Béchu, nous avons sollicité le Comité des finances locales sur le décret qui porte le filet de sécurité pour les collectivités. Dès la semaine prochaine, celles-ci pourront demander un acompte qui leur sera versé entre fin novembre et début décembre. Il couvrira jusqu'à 70 % de la hausse des prix de l'énergie et 50 % de la hausse du point d'indice des fonctionnaires.

Le projet de loi de finances, sur l'initiative de M. Husson, inclut une revalorisation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à hauteur de 210 millions d'euros. Elle augmentera pour 70 % des communes.

Nous travaillons à d'autres dispositifs pour accompagner les communes : nous restons mobilisés. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Mme Céline Brulin.  - Non, toutes les collectivités n'ont pas accès au tarif réglementé, notamment pour le gaz. Et ce tarif pourrait disparaître pour tous en juillet 2023. Si vous démunissez la puissance publique, toutes vos chartes ne serviront à rien ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)

Port du voile à l'école

Mme Jacqueline Eustache-Brinio .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Femmes, vie, liberté » : trois mots qui se propagent dans le monde en soutien aux femmes iraniennes qui brûlent leur voile pour dénoncer la loi les obligeant à se couvrir, symbole de leur soumission dans une société patriarcale, sous le carcan d'un pouvoir théocratique.

Le Gouvernement va-t-il enfin admettre que le voile, pierre angulaire du régime des mollahs, est un étendard politico-religieux ? Lors de l'examen de la loi Séparatisme, vous vous êtes opposés à tous nos amendements qualifiés de « textile ».

Pourtant, les entraves à la laïcité se multiplient dans nos écoles : abayas et quamis y fleurissent, signes de l'influence islamiste, en particulier des Frères musulmans, sur une partie de la jeunesse.

Quand le Gouvernement adoptera-t-il un discours et des directives claires en la matière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel .  - Nous connaissons votre engagement sur ces sujets. La loi confortant les principes de la République a permis des avancées réelles face aux atteintes à la laïcité.

Oui, ces atteintes existent au sein de nos établissements. Nous luttons pied à pied, en faisant appliquer toute la loi de 2004. C'est le fruit d'un travail mené par Jean-Michel Blanquer et que nous poursuivons.

Nous avons aussi besoin de chiffres pour objectiver ce phénomène. Le ministre de l'éducation nationale a décidé qu'ils seraient rendus publics chaque mois.

Nous nous appuyons sur le vademecum de la laïcité, aux termes duquel une tenue peut être considérée comme un signe religieux par destination.

Pour nous, l'école est un sanctuaire républicain : nous n'y tolérerons aucune atteinte aux valeurs de la République. Nous appliquons la loi de 2004, toute la loi de 2004, dans la transparence et la clarté. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe et Mme Nassimah Dindar applaudissent également.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Il n'est plus temps de faire semblant, car notre pays se fracture sur ce sujet ; vous y avez contribué en refusant d'adopter un discours de fermeté.

Livrés à eux-mêmes, les enseignants doivent parfois se censurer dans leur enseignement face aux pressions communautaristes. Le monde du sport aussi est touché. L'absence de directives claires a donné lieu à des situations de moins en moins supportées par la grande majorité des Français.

Lorsqu'un ministre ose dire que les problèmes peuvent être réglés par le bon sens et l'expérience des équipes, cela revient à dire : « débrouillez-vous ! ». On ne négocie pas avec la laïcité émancipatrice. Le voile est la vitrine des islamistes, qui savent tirer parti de notre faiblesse. Les femmes iraniennes nous montrent, au péril de leur vie, qu'il est de notre devoir d'avoir enfin du courage ! (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains)

Réduction des visas en Afrique

Mme Hélène Conway-Mouret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Notre diplomatie revendique des partenariats privilégiés avec l'Afrique. Si l'actualité la plus récente oblige à en douter, il existe bien entre nous des échanges humains, culturels et économiques intemporels.

La réduction de 50 % des visas accordés aux ressortissants du Maroc et de l'Algérie et de 30 % de ceux accordés aux ressortissants de Tunisie, décidée par le Président de la République il y a un an, touche ceux qui tissent et entretiennent ces liens.

Cette politique du chiffre est perçue comme une punition collective par ceux qui ne présentent aucun risque migratoire. Le sentiment d'humiliation des perdants nourrit un ressentiment. Des appels d'offres sont aussi perdus, parce que l'investisseur étranger n'obtient pas le visa nécessaire ; l'Espagne, l'Autriche et l'Italie en tirent profit et vous remercient...

Or cette politique est inefficace. Les États concernés n'ont pas accepté de reprendre leurs ressortissants en situation irrégulière, et l'immigration illégale n'a pas cessé. Les bénéfices électoraux que vous escomptiez n'ont pas davantage été au rendez-vous.

Il est temps de laisser à nouveau le personnel expérimenté de nos consulats instruire toutes les demandes, temps aussi de négocier des accords bilatéraux d'immigration, sans lesquels la relation charnelle qui nous unit à l'Afrique s'étiolera sans retour. Qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER)

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères - La Tunisie, l'Algérie et le Maroc font l'objet, depuis un an, de restrictions sur la délivrance de visas décidées en réponse à la forte baisse du nombre de laissez-passer consulaires délivrés par ces pays dans le cadre des mesures d'éloignement prononcées par le ministère de l'intérieur.

Les discussions récentes en matière de coopération migratoire se poursuivent de façon constructive, comme tout récemment avec le Maroc. Nous souhaitons continuer à avancer, afin de mettre un terme à la situation actuelle.

Les restrictions en vigueur préservent au maximum les publics prioritaires : étudiants, entrepreneurs et artistes, notamment.

Le délai de traitement des demandes de visa dans nombre de nos consulats est la conséquence de deux années de pandémie. Nous sommes mobilisés pour réduire ces délais : des renforts seront envoyés dans les pays qui le nécessitent le plus et un centre de soutien sera rapidement mis en place.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Le sentiment anti-français gagne en Afrique : il est urgent d'agir ! Quand la politique migratoire touche aux relations entre États, elle ne peut pas être le fait du seul ministère de l'intérieur. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe SER)

Répartition des étrangers sur le territoire

M. Stéphane Sautarel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le combat pour la ruralité est au centre des préoccupations du Sénat. Alors que, après des années d'absence de vision, la reconquête de la ruralité est aujourd'hui possible, nous avons été sidérés par les propos tenus dernièrement par le chef de l'État devant les préfets.

Proposant de mieux répartir les étrangers accueillis sur le territoire, il a estimé que, dans les espaces ruraux, où des écoles et des collèges ferment, les conditions d'accueil seraient bien meilleures que dans les zones denses, où se concentrent problèmes économiques et sociaux.

Pouvez-vous préciser devant la représentation nationale votre vision de la ruralité et de l'immigration ? Avez-vous des projets de quotas territoriaux ? Allez-vous conditionner le maintien des services publics à l'accueil de migrants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales .  - La politique migratoire de la France est l'un des axes prioritaires du ministre de l'intérieur. Nous en débattrons prochainement ici même et à l'Assemblée nationale, avant la présentation d'un projet de loi début 2023.

Cette politique doit évoluer : nous devons être plus fermes avec ceux qui n'ont pas leur place sur notre sol et, en même temps, mieux intégrer ceux qui ont vocation à rester en France.

L'intégration des étrangers en situation régulière est un enjeu majeur. Le système actuel conduit à une concentration trop forte, ce qui n'est pas satisfaisant ; les élus concernés sont d'ailleurs obligés de se tourner régulièrement vers l'État.

Il faut donc mieux organiser les flux. Un mécanisme de répartition territoriale existe déjà pour les demandeurs d'asile, et nous l'avons mis en oeuvre à grande échelle pour l'accueil des déplacés d'Ukraine. (Murmures à droite)

MM. Bruno Belin et Stéphane Piednoir.  - Cela n'a rien à voir !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Cette politique a fonctionné. Il faut la développer, notamment via des mécanismes incitatifs. Nous le ferons en étroite concertation avec les élus locaux.

M. Stéphane Sautarel.  - Vous n'avez pas répondu à ma préoccupation. La solution réside dans la maîtrise de l'immigration et l'application des textes. La ruralité n'est pas un sous-territoire, ni pour les immigrés ni pour ceux qui y vivent. Elle n'a pas le coeur en berne et accueille déjà de nombreux étrangers, de manière choisie ; mais elle se refuse à devenir une réserve où on les parquerait.

La vision qui nous est renvoyée de la ruralité est cruelle et méprisante. Pour certains, nous ne serions destinés qu'à accueillir des migrants et des éoliennes... La ruralité, sous-territoire de la France, c'est non ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Montée du sentiment anti-français en Afrique

M. Stéphane Demilly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Bamako, Bangui, Yaoundé, Dakar, N'Djamena et tout récemment Ouagadougou : partout en Afrique, le sentiment anti-français grandit et s'exprime avec une violence croissante. Le retrait de la France de la gestion du franc CFA est exigé, de même que celui de nos soldats sur le continent.

Les réseaux sociaux sont massivement utilisés dans cette guerre de désinformation et de manipulation. La présence en Afrique de puissances comme la Chine et la Russie change la donne. La seconde se présente comme une alternative face à l'impasse au Sahel, via une société privée qu'il n'est nul besoin de nommer. Ironie de l'histoire, nous avons vendu l'immeuble du ministère de la coopération à des Russes, qui l'ont revendu à la Chine, laquelle y a installé son ambassade...

Les milliards d'euros d'aide publique n'y font rien, car la spirale des actes anti-français est irrationnelle. Par maladresse peut-être, par manque de communication certainement, nous ne parvenons pas à convaincre les populations locales de nos bonnes intentions.

Il y a vingt ans, on entendait en Afrique : « On en a marre ! » Aujourd'hui, c'est : « France, dégage ! » Nous avons des raisons d'être inquiets sur le slogan de demain...

Comment interrompre ce processus désastreux pour nos entreprises présentes sur place et nos 250 000 compatriotes qui vivent sur le continent ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - En effet, la France est victime en Afrique d'une scandaleuse campagne de désinformation. Nous prenons ce phénomène avec le plus grand sérieux.

Nous ne répondrons pas avec les outils de ceux qui cherchent à nous nuire, mais en disant la vérité.

La vérité, c'est que la France a doublé son aide publique au développement depuis 2017, et que celle-ci est largement concentrée sur les pays africains les plus fragiles.

La vérité, c'est que nous agissons concrètement, contre le changement climatique, pour la santé et le renforcement des systèmes agricoles.

La vérité, c'est que nous soutenons la culture, le sport, la jeunesse et les entrepreneurs.

La vérité, c'est aussi que nous nous interdisons toute ingérence.

Malgré cela, nous sommes la cible de campagnes de désinformation professionnelles, peut-être organisées. Nous y répondrons en mettant mieux en valeur les bénéfices du partenariat d'égal à égal que nous proposons, avec les États comme les sociétés civiles. (M. François Patriat applaudit.)

Finances locales

M. Charles Guené .  - En juillet dernier, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, le Sénat a amélioré le filet de sécurité pour les communes et groupements les plus fragiles, en le portant à 430 millions d'euros. Le Gouvernement avait indiqué que ce dispositif bénéficierait à 22 000 communes.

Les communes ont des doutes croissants sur l'efficacité de ce filet de sécurité, dont le Comité des finances locales a refusé les termes ce matin. Par ailleurs, elles goûtent assez peu les fuites de notes confidentielles affirmant qu'elles seraient en pleine santé...

Les 430 millions d'euros prévus leur parviendront-ils bien ? Et comment expliquez-vous que le Gouvernement ne parle plus de 22 000, mais seulement de 9 000 communes bénéficiaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales .  - Au début de l'année, les finances locales se portaient plutôt bien, malgré des disparités. (Murmures à droite)

Mme Sophie Primas.  - Ce n'est pas bien de mentir !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - La forte inflation va dégrader les finances des collectivités territoriales cette année et plus encore l'année prochaine. Or il est essentiel que les collectivités territoriales préservent des marges de manoeuvre pour mettre en oeuvre des services publics de qualité et pour investir.

L'État a besoin des collectivités territoriales et doit donc être à leurs côtés. C'est dans cet esprit qu'a été conçu le projet de loi de finances pour 2023, en concertation avec les associations d'élus.

Le décret d'application du filet de sécurité a été présenté ce matin au Comité des finances locales. Nous estimons que plus de la moitié des communes y seront éligibles, et les trois quarts des groupements. Dès la parution du décret, un acompte pourra être demandé.

Ce filet de sécurité pourra inspirer un nouveau dispositif de soutien pour 2023.

M. Charles Guené.  - Un effort supplémentaire est demandé aux collectivités territoriales sur leur budget de fonctionnement, à hauteur de 9 milliards d'euros. Elles n'auront d'autre choix que de réduire leurs investissements.

Contrairement à l'État, les collectivités territoriales ne peuvent voter un budget de fonctionnement en déficit et ont fait des efforts de gestion : tirer argument de cette bonne gestion pour les sanctionner, ce n'est pas la bonne méthode. Les collectivités territoriales ne méritent pas d'être les boucs émissaires d'un État incapable de rationaliser sa gestion ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Précarité étudiante

Mme Martine Filleul .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Toutes les enquêtes convergent : cette rentrée universitaire est la plus chère des vingt dernières années. L'Unef chiffre à 400 euros la hausse du coût de la vie étudiante, entre explosion des frais d'inscription et hausse de plus de 20 % du prix des pâtes. Dans notre pays, 56 % des étudiants - vous avez bien entendu - ne mangent pas à leur faim.

Les étudiants ont faim, mais aussi froid : ils vont subir un nouvel hiver dans les logements délabrés du Crous, encore moins bien chauffés cette année. Ils ont également peur : ils voient ressurgir le traumatisme du distanciel sous couvert d'économies d'énergie, comme à Strasbourg, L'opacité des algorithmes les hantent et la sélection en master pèse sur eux comme une épée de Damoclès.

Les annonces du Gouvernement sont sans commune mesure avec la gravité et l'urgence de la situation. Les étudiants sont-ils encore une priorité de sa politique ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pascal Savoldelli applaudit également.)

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Je vous remercie de soulever cette importante question. Oui, les étudiants et la jeunesse sont au coeur de l'action de notre Gouvernement.

Nous avons pris avant l'été des mesures d'urgence : gel des droits d'inscription et des loyers des Crous, revalorisation de 4 % des bourses et de 3,5 % des APL, aide exceptionnelle de solidarité de 100 euros, maintien du repas à 1 euro pour toute l'année universitaire. Ces mesures bénéficient à plus d'un étudiant sur deux.

Tout étudiant en situation de précarité peut s'adresser au Crous : il sera rapidement aidé.

S'agissant de l'énergie, nous avons envoyé aux établissements un message clair : pas de remise à distance des enseignements, pas de blocage des gros projets d'investissement. Les établissements seront accompagnés au cas par cas. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Martine Filleul.  - Changer quelques paramètres ne suffira pas. Songez que 77 % des étudiants sont exclus de l'aide au repas à 1 euro et que la majorité des boursiers perçoivent la somme dérisoire de 100 euros par mois. Il faut refonder le système des aides sociales aux étudiants, à bout de souffle. On ne peut pas plus longtemps faire l'économie de l'investissement dans la jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Évacuation du square de Forceval à Paris

Mme Catherine Dumas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez fait évacuer ce matin à Paris le campement du crack, situé square de Forceval, dans le prolongement de la colline du crack. Où ses occupants sont-ils allés ? Seront-ils soignés ?

L'expérience montre que consommateurs et dealers se déplacent rapidement, souvent d'ailleurs avant le passage des forces de l'ordre.

Cette situation représente un drame humain pour les centaines de personnes qui se droguent sous nos yeux. Sans parler des violences inouïes qui se produisent tous les jours : agressions d'un bébé, de policiers, d'une femme poussée sur les rails du métro et, dernièrement, d'un homme de 92 ans, roué de coups par une toxicomane.

À Paris, le plan crack est un échec : le problème n'est pas traité, mais juste déplacé. Que comptez-vous faire pour éradiquer le crack à Paris ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer .  - Tôt ce matin, un millier de policiers ont détruit une sorte de ville parallèle, la colline du crack, où environ 200 personnes passent la nuit.

Depuis le début de l'année, il y a eu 772 affaires à Paris et 584 personnes interpellées : ces chiffres témoignent du travail accompli.

Plusieurs centaines de policiers resteront le temps nécessaire entre la place Stalingrad et les villes de Pantin et Aubervilliers pour éviter la reconstitution de cette zone.

Ce matin, 211 contrôles ont été effectués : 51 personnes en situation irrégulière ont été conduites en centre de rétention administrative, 63 personnes vulnérables ont été mises à l'abri, 39 personnes ont été interpellées, dont plusieurs étaient armées, et cinq hospitalisées d'office.

L'État a pris ses responsabilités pour mettre fin à ce désordre. Il faut que les collectivités territoriales fassent également leur part du travail, notamment en matière de suivi sanitaire. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Alain Cazabonne applaudit également.)

Mme Catherine Dumas.  - Les riverains sont en colère, les élus parisiens s'impatientent. Avec les élus du groupe Changer Paris, sous la présidence de Rachida Dati, nous prendrons une initiative lors du prochain Conseil de Paris. (Murmures à gauche) Nous comptons sur le soutien du préfet de police, car l'exécutif parisien a montré ces dernières années son incompétence en la matière. Ne laissons pas perdurer dans notre capitale un supermarché du crack à ciel ouvert ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Ligne Clermont-Ferrand-Paris

M. Jean-Marc Boyer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les 17 millions d'habitants de l'Auvergne et du Massif central se désespèrent d'être les enfants pauvres des mobilités. Sur une carte isochrone par rapport à Paris, Marseille est au nord de Clermont-Ferrand !

Les ministres passent, mais les trains sont toujours très en retard. Incidents et retards pénalisent fortement la desserte de l'Auvergne. La situation devient révoltante : les retards atteignent parfois 17 heures !

Comment pouvez-vous venir sur notre territoire, monsieur le ministre, en nous tenant exactement le même discours que votre prédécesseur il y a trois ans sur les travaux tant attendus ? Non seulement le calendrier n'est pas respecté, mais vous exigez désormais une étude environnementale qui entraînera un retard supplémentaire de deux ans.

Allez-vous respecter le calendrier et les financements initialement prévus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports .  - La ligne Paris-Clermont a connu historiquement d'importantes difficultés. L'État a engagé un effort exceptionnel, qui sera maintenu. Avec la ligne Orléans-Limoges-Toulouse, c'est le seul projet qui bénéficie d'un tel investissement. Dans ce cadre, l'État financera 1,2 milliard d'euros pour la modernisation du réseau et le remplacement du matériel roulant.

Ces engagements seront tenus, mais il y a des difficultés de calendrier. L'autorité environnementale, et non le Gouvernement, a demandé une étude, ce qui s'impose à nous. Je vous préciserai avant la fin de l'année les délais supplémentaires qui en résulteront. Le déploiement du nouveau matériel roulant ne sera pas empêché.

Sur le plan industriel, l'entreprise CAF connaît des difficultés. Je recevrai la semaine prochaine son PDG pour préciser les délais de livraison.

Nous instaurerons fin octobre un comité de suivi mensuel avec tous les élus et je reviendrai à Clermont-Ferrand avant la fin de l'année. (Applaudissements sur des travées du RDPI)

M. Jean-Marc Boyer.  - Votre réponse est décevante. En plus de ce désastre ferroviaire, Air France se désengage en n'assurant plus que trois rotations par jour. Quel mépris pour notre territoire !

Le TGV Paris-Orléans-Clermont-Lyon doit redevenir une priorité. Notre collègue Rémy Pointereau y travaille dans le cadre de l'association LGV POCL.

Je vous le demande avec gravité : engagez le désenclavement ferroviaire et aérien du centre de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue à 16 h 20.

présidence de M. Alain Richard, vice-président

La séance reprend à 16 h 30.

Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l'homme en Iran

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l'homme en Iran ».

Le Sénat, par ce débat inscrit à l'ordre du jour suivant la proposition des groupes politiques, souhaite honorer la mémoire de Mahsa Amini, de Hadis Najafi et de toutes les victimes de la répression en Iran, dont nous saluons unanimement le courage.

Mme Annick Billon .  - Le 16 septembre dernier, la mort de Mahsa Amini après son arrestation par la police des moeurs en Iran nous a profondément choqués. Depuis trois semaines, la contestation, inédite, ne faiblit pas, mais la répression sanglante organisée par le régime non plus. Plus de cent morts et un millier d'arrestations arbitraires... La police n'hésite plus à entrer dans les universités pour réprimer les étudiants.

Sous Hassan Rohani, nous pensions à une légère amélioration de la situation des femmes en Iran. Mais l'élection du président Raïssi a mis un terme aux espoirs. Amnesty International dresse un constat sans appel : les discriminations envers les femmes sont très nombreuses et toutes les inégalités entre hommes et femmes perdurent.

L'âge légal du mariage est toujours fixé à 13 ans ; il peut même y être dérogé. Le port du voile est le prétexte de toutes les brimades possibles.

« Femmes, vie, liberté ! », voilà le magnifique slogan des manifestants : il faut le faire nôtre.

La communauté internationale, si elle est attachée à la défense des droits des femmes, doit envoyer un message unanime.

Quelles actions en faveur de la contestation iranienne le Gouvernement compte-t-il mettre en place ? Des sanctions européennes seraient en discussion. Qu'en est-il ?

Et comment se fait-il que l'Iran ait été élu, l'an dernier, à la commission de la condition de la femme de l'ONU ? L'Iran a-t-elle vraiment sa place dans cette instance internationale, dont le but est la promotion de l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes ?

Faisons nôtre ce slogan : « Femmes, vie, liberté ! » (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mmes Laurence Cohen et Mélanie Vogel applaudissent également.)

Mme Esther Benbassa .  - En Iran, depuis la mort de Mahsa Amini à cause d'une mèche de cheveux qui dépassait de son voile, la contestation et la répression ne faiblissent pas. Désormais, c'est le guide suprême et son régime qui sont remis en question. Le Président Macron, lui, se drape dans son silence, pour ne pas froisser ce grand vendeur de pétrole. Lors de ses récents échanges avec l'ultraconservateur Raïssi, il s'est borné à demander une enquête transparente, préférant se concentrer aux Nations unies sur le nucléaire iranien.

En Iran, la contestation spontanée met en avant les artistes, des sportifs, mais le pouvoir annonce qu'il s'en prendra à toutes les célébrités qui, dit-il, souffleront sur les braises. En France, le réalisateur Asghar Farhadi et l'écrivaine Marjane Satrapi ont pris position ; une cinquantaine de personnalités se sont filmées se coupant une mèche, en signe de soutien. Chacun doit s'associer à cette initiative. Quant à nous, politiques, mobilisons-nous, sans frilosité ! Et n'instrumentalisons pas la lutte des Iraniennes pour régler nos différends intérieurs sur la question du voile dans notre pays...

L'enjeu de nos engagements est clair : liberté et droits humains. Je regrette que nous soyons peu nombreux aujourd'hui pour soutenir les Iraniennes et les Iraniens. (MmeNassimah Dindar et Marie-Arlette Carlotti applaudissent.)

Mme Guylène Pantel .  - (M. André Guiol applaudit.) Au nom du RDSE, je remercie les organisateurs de ce débat, fondamental pour tous ceux qui se réclament de l'humanisme.

La disparition de Mahsa Amini fait suite à une arrestation violente par la police des moeurs. Le journal d'opposition en exil Iran International a révélé un scanner de son crâne : fracture osseuse, hémorragie et oedème cérébral indiquent un passage à tabac. Voilà la réalité de cet État totalitaire et répressif : femmes, LGBT et minorités ethniques et religieuses font face à des discriminations quotidiennes. Libertés d'expression et d'association n'existent pas. Les médias sont censurés. En matière judiciaire, les principes fondamentaux sont piétinés. La peine de mort est infligée après des procès grotesques.

Les informations qui nous parviennent, difficilement, montrent les dangers que courent les manifestants.

Notre pays se doit de promouvoir ses valeurs républicaines et de soutenir tous les messages pour la liberté et l'égalité des droits, face à un patriarcat qui tue et blesse.

Il faut soutenir concrètement les populations en danger, par des actions coordonnées à l'échelon européen. Nous devons manipuler avec précaution les mesures de restriction pour ne pas fragiliser les plus faibles. Un accord de protection nous paraît opportun, tant que le droit iranien ne respecte pas le droit international. Nous souhaitons également la saisine du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, pour ouvrir une enquête indépendante sur place. Il faut enfin une offensive numérique, en accompagnant les initiatives visant à redonner aux Iraniens un accès normal à internet.

La France doit préserver l'humain et soutenir le slogan « Femmes, vie, liberté ! ». (Mmes Nassimah Dindar, Marie-Arlette Carlotti et M. André Guiol applaudissent.)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Le 16 septembre, Mahsa Amini est morte des mains de la police iranienne des moeurs pour avoir mal porté son voile. La futilité du motif rend ce décès plus révoltant et nous rappelle la réalité que vivent les Iraniennes sous la brutalité des sbires de ce régime anachronique, où la vie d'une femme ne vaut que la moitié de celle d'un homme.

Mahsa Amini avait un autre tort, celui d'être kurde. Sa mort a enflammé la contestation, c'est une vraie traînée de poudre qui a allumé le brasier. Dans cette « révolution des femmes », les Iraniennes descendent tête nue sous les acclamations de la foule, elles se coupent les cheveux et brûlent leur voile, dans des scènes que nous ne pouvions imaginer il y a encore quelques semaines. Les femmes iraniennes sont aujourd'hui soutenues par les hommes iraniens : « Femmes, vie, liberté » est davantage qu'un cri de colère, c'est un rejet mais aussi un projet et l'affirmation de valeurs pleines de courage.

Quelle sera l'issue du mouvement ? Certains y voient le prolongement des grandes manifestations de 2017 et 2019, mais l'ampleur est tout autre et l'on peut y voir les prémices de l'effondrement du régime. La répression sera féroce et sans indulgence aucune. La violence s'élance même au-delà du territoire iranien, Téhéran prenant prétexte de la crise pour frapper des installations kurdes en Irak.

Le pouvoir a lancé un message sans équivoque contre les artistes et les joueurs de football de l'équipe nationale, qui ont déclaré : « les cheveux de nos filles sont recouverts d'un linceul ».

Les sanctions européennes n'auront guère d'effets concrets mais restent indispensables. La France devra mobiliser les instances internationales, qui doivent se saisir d'urgence de la situation. Le pouvoir doit être mis sous pression. Les Iraniennes doivent aussi sentir qu'elles ne sont pas seules.

Ali Shariati disait, dans son livre La cage dorée : « Si vous ne pouvez éliminer l'injustice, au moins racontez-la nous ». (Mme Valérie Boyer, M. François Patriat et Mme Marie-Arlette Carlotti applaudissent.)

M. Claude Malhuret .  - Le temps des dictateurs est revenu. Les démocraties semblaient avoir vaincu au XXe siècle, terrassant les deux totalitarismes aux dizaines de millions de morts. Mais les massacreurs se sont regroupés, l'internationale des tyrans se reforme : le boucher de Moscou, le génocidaire des Ouïgours à Pékin, le docteur Folamour de Corée du Nord, le massacreur de Téhéran se regroupent pour se venger de l'Occident et mettre à bas la liberté, et d'abord celle des femmes. Le pire est que, comme au siècle dernier, ils ont des alliés dans nos propres pays, ceux qui, par exemple, disent que le voile est seyant - et ces populistes de tous bords partagent avec les despotes la haine de la démocratie.

Les professionnels de l'indignation, ceux qui dénoncent le racisme systémique ou prétendent que nous ne sommes pas en démocratie, ne se sont guère montrés aux manifestations de soutien aux femmes iraniennes. Étaient-ils partis en week-end ? Pendant que les femmes se font tuer en Iran, ils préfèrent dénoncer le virilisme du barbecue, faire l'éloge d'un gifleur ou juger les harceleurs dans des « comités de transparence » - l'oxymore le plus grotesque inventé depuis la dictature du prolétariat.

Dimanche dernier, place de la République, les Iraniens et les Iraniennes ont su leur donner une grande leçon de laïcité... En signifiant à Sandrine Rousseau qu'elle n'était pas la bienvenue, ils ont rappelé cette évidence : on ne peut être pour le voile à Paris, tout en soutenant celles qui le brûlent à Téhéran... En sifflant Manon Aubry, ils ont dit qu'un parti ne peut marcher avec les islamistes en 2019 et soutenir les victimes de l'islamisme trois ans plus tard ! (Mmes Nassimah Dindar, Sylvie Vermeillet et M. François Patriat applaudissent.) Ils nous ont rappelé qu'entre le communautarisme et l'humanisme, il faut choisir !

Chantal de Rudder nous le dit : le voile n'est pas un objet cultuel, mais politique, c'est le produit phare de l'islamisme, une affirmation anti-occidentale et anti-démocratique. Aux naïfs qui croient que se voiler est un choix, aux décoloniaux qui n'ont jamais lu un livre d'histoire il faut rappeler que la lutte contre le voile n'est pas une oppression néocoloniale. Bourguiba appelait le voile « l'épouvantable chiffon », Atatürk l'avait, le premier, interdit en Turquie dans les années 1920, Nasser s'en est moqué lui aussi... (Mme Nassimah Dindar approuve.)

Les femmes iraniennes reprennent aujourd'hui le combat contre les mollahs, les ayatollahs, les dictateurs et leur police des moeurs.

C'est un coup de poignard dans le dos des combattantes qu'enfoncent Sandrine Rousseau ou Roukhaya Diallo, pour qui « la liberté peut aussi être dans le hijab ». Combien de morts en Iran pour qu'elles cessent de danser le moonwalk en faisant semblant de faire avancer la cause des femmes, alors qu'elles la desservent ?

Le XXIe siècle s'annonce aussi dangereux que le précédent. Ceux qui croient que nous ne sommes pas en guerre font une erreur tragique. Les dictateurs, eux, savent qu'ils sont en guerre contre nous. Rallions-nous au cri des Iraniennes et Iraniens : liberté ! (Applaudissements sur de nombreuses travées)

Mme Mélanie Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Pour danser dans la rue, pour toutes les fois où nous avons peur de nous embrasser, pour respirer un air pur, pour les étudiants, pour les enfants et leur avenir, pour cette petite fille qui rêve d'être un garçon : femmes, vie, liberté.

Voilà quelques paroles de la chanson « Baraye » de Shervin Hajipour, formée de tweets contestataires recueillis ces derniers jours.

Aujourd'hui, la contestation est un mouvement de masse guidé par les femmes, qui agrège les hommes, les minorités, les pauvres, les universitaires, les paysans, tous ceux qui veulent respirer, vivre et aimer.

La lutte féministe déploie sa puissance révolutionnaire. Ce n'est pas une révolte, mais une révolution, qui ne se calmera pas.

Les femmes entraîneront un jour ou l'autre la chute de ce régime. Les femmes, réclamant la liberté pour elles, peuvent réclamer la liberté tout court.

On entend dire que les combats féministes sont secondaires, marginaux. Les Iraniennes qui descendent dans la rue, dansent dans la rue, prouvent qu'ils sont à l'avant-garde de tous les autres. Elles se battent pour des valeurs qu'elles n'empruntent pas à l'Occident, mais qui sont les leurs.

Face à la répression, nous devons non seulement parler, mais agir. Un premier train de sanction a été émis le lendemain de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Cela fait dix-neuf jours que les Iraniennes sont descendues dans la rue, nous n'en sommes qu'à évoquer la possibilité de parler de sanctions... lors du prochain conseil des affaires étrangères, le 17 octobre, un mois après le début du mouvement ! Je vous propose une chose : nous pouvons écouter, faire écouter l'hymne révolutionnaire qu'en Iran on n'a pas le droit d'écouter librement. (L'oratrice fait entendre une chanson iranienne dans l'hémicycle.) Je vous remercie. (Applaudissements sur la plupart des travées)

Mme Samantha Cazebonne .  - La mort de Mahsa Amini nous choque profondément. Débattre de l'atteinte aux droits des femmes à 5 000 km de Téhéran n'est pas vain : la liberté n'est jamais acquise, elle s'acquiert et s'exerce, notre présence en témoigne.

Le combat pour la liberté et contre les violences faites aux femmes est loin d'être gagné. La France doit promouvoir l'universalisation de la convention d'Istanbul, meilleure arme pour lutter pour les droits des femmes. Le régime de sanctions de l'Union européenne en matière d'atteinte aux droits de l'homme doit aussi être mobilisé.

Plus de 80 % des Français vivant en Iran sont des binationaux. Or l'Iran ne reconnaît pas cette double nationalité, ce qui empêche des rapatriements. Cette communauté binationale, très sensible à la question du droit des femmes, est donc particulièrement exposée au risque d'une arrestation et d'un jugement inéquitable. Le ministère iranien a annoncé l'arrestation de neuf binationaux, dont un Français. La France doit tout mettre en oeuvre pour protéger ses ressortissants. Notre groupe condamne la répression et soutient la demande de liberté des femmes iraniennes. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC ; M. Yan Chantrel applaudit également.)

Mme Marie-Arlette Carlotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le sang coule en Iran, et d'abord celui des femmes. Cette révolte porte le nom de Mahsa Amini, dont le visage martyr est devenu le symbole de l'iniquité du régime. Les images qui nous parviennent de ces femmes se coupant les cheveux et bravant la répression nous serrent la gorge. Le chant « Bella ciao » devient bouleversant, entonné par les Iraniennes qui risquent leur vie.

En 1979, avant l'instauration de la République islamique d'Iran, Khomeini considérait la liberté des femmes comme le principal obstacle à la réussite de son régime. Depuis, les femmes sont exilées aux confins de la République et leur situation s'est encore dégradée depuis l'élection de l'ultraconservateur Raïssi. D'horribles crimes ont été commis : vitriol, lapidation ; la femme a été sacrifiée au nom de l'honneur, de la famille, de l'État. Cependant, les femmes n'ont jamais baissé les bras et sont les avant-postes du soulèvement.

La révolte de ces femmes qui ne supportent plus le voile est devenue une contestation du régime, gagnant toutes les villes, toutes les provinces. Au cri de « mort au dictateur », les Iraniens demandent le renversement du régime corrompu des mollahs, alors que 50 % à 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les femmes, les avocats, les enseignants sont réprimés. Les minorités sont dans une situation alarmante. La liberté d'association est entravée, celle de la presse inexistante. La République islamique, héritière d'un empire multiethnique, est réfractaire à tout particularisme.

Les cinéastes, les journalistes sont arrêtés arbitrairement. La population est excédée et aspire à plus de liberté. La succession du guide suprême, octogénaire à la santé chancelante, mais qui trouve tout de même l'énergie de condamner la communauté internationale, viendra. Les autorités recourent à la violence et tuent à chaque manifestation. Est-ce que ce mouvement de révolte portera une révolution ? Ces femmes font preuve d'un courage incroyable, et nous devons être à la hauteur. La France doit parler plus fort pour dénoncer cette répression sanglante. Les avoirs vont-ils être gelés et les interdictions de voyager mises en oeuvre, alors que le régime se sert des négociations sur le nucléaire pour obtenir le silence de la communauté internationale ?

La France doit défendre ceux qui se battent pour la liberté. (Applaudissements)

M. Pierre Laurent .  - « Femmes, vie, liberté ! » : tel est le cri qui retentit depuis trois semaines dans les rues iraniennes. Nous devons soutenir cet appel.

Le lâche assassinat de Mahsa Amini est devenu un symbole. Son crime : avoir mal porté le foulard, instrument de la soumission imposée par le pouvoir théocratique.

Depuis 1979, les femmes iraniennes sont exposées aux violences patriarcales d'un régime autoritaire. Cela s'est aggravé depuis l'arrivée au pouvoir de Raïssi en 2021. L'intelligence artificielle est désormais utilisée pour identifier les femmes « mal voilées ». La violence s'exerce sur toute la population, les jeunes, les Kurdes, les ouvriers, au profit du cercle d'oligarques prédateurs autour du pouvoir.

La répression est féroce : des dizaines de morts, des centaines d'arrestations arbitraires.

Cette révolte est un signe d'espoir pour les femmes kurdes en lutte en Turquie, pour les femmes d'Afghanistan, d'Arabie saoudite et du Golfe, pour les femmes victimes de viols conçus comme des armes de guerre, pour les femmes luttant contre les violences sexistes et la remise en cause de l'IVG, celles qui sont victimes des réseaux prostitutionnels révélés par le rapport de la délégation aux droits des femmes. C'est toute la domination patriarcale et sexiste qui est en cause. Les femmes iraniennes ne secouent pas seulement leur voile mais les fondements du régime. En 2009, 2017, 2018, 2019, d'autres mouvements de contestation avaient eu lieu.

Le peuple iranien ne veut plus de cette dictature. Urbanisé, sécularisé, il n'a cessé d'élever son niveau d'éducation, particulièrement les femmes, quand ses structures politiques se sont fossilisées.

La mise au ban de l'Iran par les États-Unis a nourri, et non combattu, la radicalisation répressive du régime. Tout le peuple paie une grave crise économique à laquelle s'ajoute le lourd tribut du covid. Un quart des jeunes est au chômage, la moitié de la population vit dans la pauvreté.

La solidarité avec les Iraniennes s'inscrit dans la lutte pour l'émancipation des femmes et pour un nouvel ordre mondial juste, dans lequel l'Iran serait en paix avec ses voisins. La France doit agir dans ce sens. Selon le proverbe iranien, « Quand la corde de l'injustice grossit outre mesure, elle se déchire ». Puisse-t-elle se déchirer au plus vite ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Laurent Lafon .  - La mort de Mahsa Amini a déclenché un mouvement global de contestation. Son nom est devenu un symbole. Dans le régime répressif en place depuis 1979, les femmes ne disposent pas de leurs droits fondamentaux. L'accès aux réseaux sociaux est restreint et la censure règne.

Le contournement de la censure est un crime. Des milliers de personnes ont été interrogées, des centaines emprisonnées pour avoir exprimé leur opinion : enseignants, artistes, journalistes, comme Farida Abdelka ou le chercheur suédo-iranien Ahmadreza Djalali, condamné à mort.

Les contestations ne cessent de prendre de l'ampleur. Les universités sont le théâtre de violents affrontements, les étudiants scandent qu'ils préfèrent la mort à la répression. Dimanche dernier, des étudiants de la prestigieuse université Sharif ont essuyé des tirs lors de l'intrusion de la police dans leur campus. Certains sont restés bloqués, avant d'être emmenés par dizaines avec leurs professeurs, cagoule noire sur la tête, dans des fourgons de police.

Étudiants et professeurs de nombreux pays ont exprimé leur soutien et leur inquiétude.

Iran Human Rights fait état de 90 morts et le ministère des renseignements revendique l'arrestation de neuf ressortissants étrangers.

L'avocate iranienne Sherin Ebadi a récemment demandé aux pays occidentaux de réduire les contacts avec l'Iran. Tel est le sens de notre demande. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Valérie Boyer .  - Depuis deux semaines, des femmes courageuses risquent leur vie. Je regrette que nous ne parlions pas davantage des femmes arméniennes tuées et filmées par les Azéris, comme Anoush Abetyan. Il ne peut y avoir de hiérarchie de l'horreur : le sang des Arméniens coule, comme celui des Ukrainiens et des Iraniens. Ne les abandonnons pas. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit.)

L'Union européenne et le Conseil de l'Europe enchaînent des communications pro-voile. Doit-on y voir la patte d'Erdogan, ou des Frères musulmans ? Les institutions démocratiques sont détournées pour défendre un enfermement dans le sexe, un interdit de liberté, un interdit d'égalité, un interdit de fraternité.

L'Europe ne saurait être le cheval de Troie des islamistes. Pourtant, aucune sanction n'a été envisagée à l'encontre du Conseil de l'Europe ou des associations qui promeuvent indignement le voile.

Certains, certaines, affirment que porter le voile serait une marque de liberté. Ces militants feraient bien d'écouter les Iraniennes et de lutter contre le communautarisme plutôt que d'abandonner les femmes d'Arabie Saoudite et du Maghreb, comme celles de nos quartiers.

Le voile est une forme de purification vestimentaire, l'uniforme de l'islamisme. Alors que des adolescentes se rendent à l'école en tenue islamique, le ministre de l'éducation nationale reste muet. L'école n'est plus un sanctuaire. (Mme Esther Benbassa proteste.) Là où la France s'y construisait, elle s'y détruit désormais.

L'école construit, l'islamisme détruit. Aujourd'hui, c'est à l'école que la France se défait.

En enlevant aux femmes leur visage, on leur enlève leur humanité.

M. Xavier Iacovelli.  - Et sur l?Iran ?

Mme Valérie Boyer.  - Nous avions défendu des amendements lors de la loi Séparatisme, que vous aviez qualifiés de « textiles ».

Nous ne pouvons accepter qu'une petite fille porte en France ce signe d'invisibilisation. Nous le devons à celles et ceux qui se réfugient en France pour leur liberté et risquent leur vie avec courage pour refuser le voile. « Femmes, vie, liberté ! », un beau slogan. Ayons du courage : soutenons les femmes iraniennes et refusons ces marques d'infériorisation dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Laurence Rossignol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Voilà quarante-trois ans que les Iraniennes et les Iraniens, après avoir fait tomber la dictature du Shah, vivent sous une autre dictature, que nous accueillons nos amis féministes, démocrates, syndicalistes, kurdes, homosexuels, poursuivis là-bas, et que nous les soutenons, pour ne pas s'habituer aux persécutions.

Quarante-trois ans que la République islamique d'Iran impose au monde sa haine des femmes et des Juifs. Chaque matin, nous regardons des vidéos et tremblons de peur, alors que des Iraniennes et des Iraniens risquent leur vie. La révolution féministe qui a émergé entraîne une insurrection générationnelle, et reçoit l'approbation de la population. Les femmes, obsession de l'islamisme, en sont aussi la principale menace. Parce que leur combat est universel, elles sont le ferment de la libération. Les Iraniens ne s'y trompent pas : personne n'est libre dans un pays où les femmes ne le sont pas.

Mes collègues ont eu des mots forts et beaux pour dire leur solidarité, leurs craintes devant la répression sauvage qui s'abat.

Cependant, en toute courtoisie, j'appelle à ne pas saisir le prétexte de la révolte en Iran pour nourrir nos discussions franco-françaises ou franco-européennes sur le voile islamique - je peux me le permettre, car je n'ai jamais hésité à qualifier ces oripeaux d'instrument de l'oppression des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Esther Benbassa, Mélanie Vogel et Nassimah Dindar applaudissent également.)

Toutes les femmes de la planète sont concernées, car les fous de Dieu ne sont pas tous islamistes. Ils sont aussi à la Cour suprême des États-Unis ou dans les favelas de Rio, à drainer les voix des classes populaires en faveur du fasciste Bolsonaro. Combattre les fous de Dieu est de notre responsabilité partout. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, du GEST, du RDPI et du groupe UC ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Hugues Saury .  - Malala Yousafzai avait 15 ans lorsqu'elle a reçu une balle dans la tête en allant à l'école. Amina Ali en avait 17 lorsqu'elle a été enlevée par Boko Haram. Mahsa Amini en avait 22 lorsqu'elle est morte dans les geôles iraniennes après avoir laissé échapper quelques mèches de cheveux de son voile. Toutes avaient en commun de vouloir vivre libres là où le pouvoir le leur interdisait, parce que femmes.

Mahsa Amini a suscité le courage admirable de plus de 60 personnes qui ont donné leur vie et de milliers d'autres qui risquent la leur dans les rues d'Iran. Alors que nos allégories de liberté ont les traits de femmes, leur lutte trouve chez nous un écho particulier.

Pour que chacun puisse vivre sans crainte et que les femmes ne meurent pas pour ce seul fait, l'Occident doit être cohérent face à un pays qui fait de l'oppression des femmes un marqueur politique. La radicalité, religieuse ou politique, n'a sa place ni dans nos principes ni dans nos traités ou nos lois. Ne laissons pas se répandre chez nous ce que les femmes iraniennes veulent voir disparaître chez elles.

Le radicalisme s'embarrasse peu des frontières : il existe en Europe et dans notre pays. Ne chérissons pas les causes dont nous déplorons les effets : le délai d'expulsion d'Hassan Iquioussen, la multiplication des atteintes à la laïcité à l'école, la campagne du Conseil de l'Europe « La liberté dans le hijab » ne sont que des exemples. (Mme Valérie Boyer approuve.)

Mais la condamnation unanime ne suffit pas : nous devons défendre nos principes. Vous engagez-vous, madame la ministre, à propager la voix des Iraniennes dans les instances nationales et internationales ? Vous engagez-vous à oeuvrer pour qu'aucun soutien - ni moral, ni économique, ni politique - ne soit offert aux partisans de ces idéologies ? Vous engagez-vous devant Malala Yousafzai, Amina Ali et Mahsa Amini à ne jamais tendre la main à ceux qui ont voulu les détruire ? Le courage des Iraniennes et des Iraniens appelle le nôtre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER ; Mme Valérie Boyer applaudit également.)

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je vous remercie pour vos intentions, largement convergentes entre elles et avec nos propres lignes.

Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini est morte sous les coups de la police des moeurs d'Iran. Une vie détruite, pourquoi ? Pour une mèche de cheveux ? Quelques jours plus tard, tant d'autres subissaient la même violence, avec la répression du régime d'Iran, de Qom à Mashhad, Téhéran, Chiraz et Ispahan, parce que les femmes osaient affirmer que leur dignité valait autant que celle d'un homme.

« Femmes, vie, liberté ! » : c'est ce cri que le régime cherche à étouffer par la violence, alors que les ONG font état de 100 victimes et plus de 1 000 arrestations. C'est aussi ce cri que la diaspora entonne en écho, de Paris à Londres, Rome, San Francisco ou encore à Erbil.

Dès le 19 septembre, la France a condamné la mort de Mahsa Amini et la violence employée contre les manifestants. Nous avons appelé au respect des droits de manifester et d'exercer le métier de journaliste. Les autorités iraniennes ont vu cela comme une forme d'ingérence et ont cru bon de le faire savoir à notre ambassade : faute d'ambassadeur, j'ai convoqué vendredi dernier le chargé d'affaires iranien pour lui dire ce que nous pensions de leurs méthodes.

Ce qui se joue, c'est la liberté, la fin de la répression contre des femmes et des hommes luttant pour leur dignité et que nous dénonçons, à Genève et dans toutes les enceintes internationales comme dans nos échanges bilatéraux. L'Iran a adhéré en 1975 au Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies.

Madame Billon, en effet, l'Iran a adhéré à la commission des Nations unies sur la condition de la femme, ce sur quoi nous n'avons pas de contrôle. Cet organe reste utile, car il produit des documents de référence sur la situation des droits des femmes dans chaque pays.

L'aspiration à la liberté s'exprime partout : les femmes d'Iran veulent être libres, et beaucoup d'Iraniens les soutiennent. Elles aspirent au respect de leur égale dignité et leur courage nous oblige. Nous les soutenons et continuerons à le faire.

Nous agissons en première ligne avec nos partenaires européens, en lançant des travaux préparatoires à des sanctions - gel des avoirs, interdiction de voyager - contre les personnes responsables des violences. Nous espérons, madame Carlotti, que cela sera décidé d'ici huit à dix jours.

Madame Vogel, l'Iran n'a pas encore accepté de texte sur les négociations nucléaires : l'arrêt de son programme serait souhaitable, vous le savez.

Nous continuons d'appeler l'Iran à mettre fin aux discriminations, aux mariages précoces, et lui demandons d'accorder aux femmes l'accès à leurs droits. L'oppression est brutale, enracinée dans les lois et les moeurs du régime.

Or aucune société ne peut se développer sereinement sans égalité entre femmes et hommes. Une société injuste avec les femmes l'est envers tous. Nous continuerons à dénoncer les arrestations de militants, cinéastes, étudiants, journalistes et les exécutions, y compris de mineurs, car telle est notre responsabilité et notre devoir moral et politique. Nous devons défendre nos valeurs. La femme est l'égale de l'homme, en Iran comme ailleurs. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, UC, du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Mme Annick Petrus, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - En 2017, la France s'est dotée d'une stratégie nationale de la mer et du littoral, pour six ans. La délégation sénatoriale aux outre-mer a souhaité l'évaluer, alors qu'elle est à la croisée des enjeux politiques, sécuritaires, économiques, énergétiques, scientifiques, communicationnels, climatiques et environnementaux.

Avec mes collègues rapporteurs Philippe Folliot et Marie-Laure Phinéra-Horth, j'ai constaté que notre stratégie nationale n'associait pas les outre-mer à la hauteur de leur potentiel. C'est pourquoi, pour la prochaine édition, les orientations devront être radicalement revues. Nous formulons vingt propositions dans notre rapport.

Il faut replacer les outre-mer au coeur de notre stratégie maritime, dont il faut rehausser les ambitions. Ensuite, il faut consolider notre souveraineté maritime, notamment sur les plans militaire et stratégique. Enfin, il faut en faire le moteur de la transition écologique des outre-mer.

M. Philippe Folliot, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le ministre, les outre-mer ne sont pas suffisamment considérées, alors qu'elles représentent 97 % de notre zone économique exclusive (ZEE) !

Nous gardons en mémoire nos échanges avec des marins pêcheurs de Guyane, agressés au quotidien. Nous avons constaté les difficultés relatives à l'exercice de la souveraineté : nous sommes face à un trou capacitaire pour surveiller notre ZEE. Ainsi, La Passion-Clipperton est laissée à l'abandon.

Pour notre pays, les outre-mer sont-ils importants ou non ? L'absence de réponse depuis des années est parlante. Ainsi, les forces de souveraineté sont passées de 8 000 agents en 2008 à 7 000 aujourd'hui. Dans le contexte géopolitique actuel, face aux enjeux de l'Indopacifique, il est urgent de passer des mots aux actes, qui ne pourront porter qu'avec un appui approprié à nos outre-mer.

Une réelle prise de conscience de ces enjeux est nécessaire : espérons que, demain, la volonté d'y répondre sera au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - Notre rapport, tout comme les précédents, met en lumière des problématiques propres aux outre-mer et trop méconnues au plan national.

Ainsi de la situation de nos ports : à l'exception de Port-Réunion, parmi les quatre meilleurs ports français, ils nécessitent un important effort de modernisation multimodale. Après la réforme portuaire de 2012, ces poumons économiques manquent de moyens pour s'adapter au trafic de porte-conteneurs, comme en Guyane où ils sont encore déchargés essentiellement par des grues de bord faute de portiques ou de grues de quai : le coût du fret s'en ressent.

Les ports sécurisent l'approvisionnement en biens et en matériaux de populations dépendant de l'extérieur. Un port flottant extérieur pour la Guyane ou l'extension du port de Mayotte sont autant de pistes dressées par le rapport, alors que ces ports sont souvent l'unique porte d'entrée de nos territoires.

J'évoque le sujet de la pêche : la situation des professionnels guyanais est catastrophique en raison d'une pêche illégale venue du Brésil et du Suriname. Il faut réévaluer nos moyens pour mettre la pression sur les navires étrangers : nos forces n'ont que 120 jours de présence dans les eaux guyanaises, contre 300 dans le canal du Mozambique.

La filière a perdu récemment Georges-Michel Karam, son chef de file, mais elle approvisionne toujours la population. Pour combien de temps encore ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI ; Mme Marie Mercier et M. Stéphane Artano, président de la délégation aux outre-mer, applaudissent également.)

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Je salue votre rapport. La prise en compte des outre-mer dans toutes les décisions doit, en effet, être améliorée. Redisons-le : la France doit son deuxième espace maritime mondial et sa présence unique sur les quatre océans à ses outre-mer.

Le premier enjeu des outre-mer dans notre stratégie maritime est la souveraineté. Nos espaces sont aussi des joyaux de biodiversité, s'étendant des deux pôles au lagon de Mayotte. Ces joyaux, que je connais tous, sont convoités et font face au changement climatique. Ils doivent être préservés.

En outre, les outre-mer sont très dépendants de la mer. La création de valeur, mon leitmotiv, passe par le développement d'une économie bleue et par des ports en bonne santé. Si la France ne peut assurer sa souveraineté dans ses espaces maritimes, inutile de parler d'environnement ou de développement. Assurer cette souveraineté, c'est pouvoir les surveiller.

La France a une présence militaire permanente dans ses territoires, y compris inhabités. Dans le canal du Mozambique, les enjeux de souveraineté justifient une présence plus forte qu'en Guyane.

La marine déploie depuis 2017 de nouveaux navires. Treize nouveaux bâtiments seront livrés d'ici le 1er janvier 2026, et les moyens aériens seront également renouvelés. Des drones viendront les compléter, le ministère des armées y travaille.

Nos vastes zones économiques exclusives (ZEE) donnent des droits à la France qu'il faut protéger contre les appétits extérieurs, mais qu'il faut aussi mieux connaître.

On cite souvent les 97 % d'espace maritime ultramarin. On parle moins des 80 % de la biodiversité française dans les outre-mer. La France prend des initiatives fortes pour protéger les récifs coralliens et les mangroves. Elle a déjà classé 30 % de ses espaces maritimes et terrestres en aires protégées. Les îles Éparses sont de magnifiques lieux d'observation du changement climatique. Avec la ministre de la recherche, je signerai bientôt une feuille de route pour y encourager la recherche.

Dans le cadre du plan France 2030, la connaissance et la protection des grands fonds marins sont au coeur des perspectives de développement de l'économie bleue, qui représente entre 5 et 10 % du PIB des outre-mer.

La pêche et le tourisme doivent s'adapter aux enjeux du 21e siècle, les ports accélérer leur transition écologique. Les bateaux de croisière ne seront accueillis que s'ils sont électrifiés.

Le secteur de la pêche est au coeur des enjeux d'autonomie alimentaire dans les outre-mer. Il est ahurissant que 80 % du poisson consommé aux Antilles soit importé. Les pêcheurs ultramarins doivent pouvoir pêcher, d'où notre combat pour le renouvellement des flottes. L'économie bleue outre-mer, ce sont aussi des secteurs en devenir, comme l'industrie navale et les énergies renouvelables en mer.

Il est difficile de résumer en quelques minutes 97 % de la puissance maritime française. Je vous remercie de la faire valoir par votre rapport. La création de valeur dans les outre-mer et la définition d'une feuille de route économique à forte nuance bleue pour chaque territoire, c'est la mission que le Président de la République m'a confiée. L'État accompagnera les territoires dans le développement d'une économie bleue résiliente, pour que les outre-mer soient réellement au coeur de la stratégie maritime de la France. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC et Les Républicains)

M. Stéphane Artano .  - Le port de Saint-Pierre-et-Miquelon est le dernier port d'intérêt national ultramarin directement géré par un service déconcentré de l'État. La gouvernance y est défaillante, les décisions manquent de cohérence et les infrastructures sont vieillissantes. Pourtant, le maintien des liaisons maritimes est vital pour le ravitaillement de la population.

L'absence de stratégie de l'État en matière d'économie bleue est frappante et condamne l'archipel au repli. En 2017, la France prévoyait des logiques de bassin, mais les projets n'ont jamais vu le jour. Un établissement public portuaire, voulu par Mme Girardin, n'est pas la solution : commençons par nous appuyer sur le conseil portuaire existant.

Je m'opposerai toujours aux droits d'anneaux de plaisance exorbitants ou à une taxe sur les passagers des ferries.

Quelle est la vision du Gouvernement de la place de la mer à Saint-Pierre-et-Miquelon ? Nos infrastructures dégradées seront-elles enfin remises à niveau ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Vous connaissez mon attachement à Saint-Pierre-et-Miquelon. La loi 3DS a habilité le Gouvernement à prendre une ordonnance pour y créer un grand port maritime, et 30 millions d'euros ont été engagés par l'État. Les discussions sur d'autres investissements seront menées dans le cadre du prochain contrat de plan.

Faut-il un grand port maritime ? Sous la forme d'une concession ? Nous devrons nous mettre d'accord ensemble.

La desserte maritime est un vrai sujet, en interne comme vers l'extérieur, en passagers comme en marchandises. Le droit est clair : à l'État la question des marchandises, à la collectivité territoriale celle des passagers. À la suite de la réunion du 7 septembre, il faudra peut-être envisager des évolutions. Le préfet a engagé un travail conjoint avec la collectivité territoriale pour expérimenter le transport de fret par les ferries de la collectivité, en lien avec nos partenaires canadiens.

Je me rendrai cet hiver à Miquelon.

M. Stéphane Artano.  - L'État a investi 15 millions d'euros dans un port de croisière sans tenir compte des demandes locales. C'était une décision de M. Valls, qui n'a pas tenu compte du conseil portuaire. Ces 15 millions d'euros auraient pu servir à préserver le port de commerce ou les digues.

Mme Marta de Cidrac .  - La préservation environnementale des milieux marins figure parmi les enjeux de notre stratégie maritime. Détentrice du deuxième domaine maritime mondial, la France dispose de nombreux atouts.

Toutefois, le statut de région ultrapériphérique est source de contraintes. Je pense au traitement des déchets contraint par des dispositions européennes inadaptées. Cela entraîne de sérieuses menaces, dans des écosystèmes insulaires particulièrement fragiles. Il est urgent d'agir.

Au-delà du développement de l'économie circulaire en outre-mer, comment faire entendre nos spécificités ultramarines au sein des instances européennes ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - La gestion des déchets outre-mer est un vrai sujet. Mayotte envoie des déchets en métropole, ce qui est ahurissant...

La hausse du niveau de la mer et l'érosion du trait de côte accroissent le risque de voir des déchets se retrouver dans la mer. Il faut traiter les décharges abandonnées sur les littoraux. Sur les 55 identifiées, 14 sont en outre-mer et nous mobilisons 30 millions d'euros.

Mais le sujet, ce sont d'abord les normes européennes. Je me rendrai à Bruxelles les 16 et 17 novembre prochains pour mettre en oeuvre l'article 349 du traité, sur la base d'un recensement précis des dispositions européennes inadaptées.

Ensuite, il faut travailler sur les combustibles solides de récupération (CSR), que ce soit en Guadeloupe ou à La Réunion, avec des économies d'énergie à la clé.

Enfin, il faut travailler sur l'économie circulaire. Un rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer est en cours d'élaboration par Mme Viviane Malet.

Mme Marta de Cidrac.  - Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour être un interlocuteur exigeant auprès des instances européennes.

M. Joël Guerriau .  - La stratégie maritime nationale doit assurer notre souveraineté et protéger notre patrimoine.

Il est facile d'oublier combien notre territoire s'étend sur les différents océans. Ces espaces font l'objet d'une compétition entre États, en particulier en Indopacifique, alors que le centre de gravité du monde se déplace.

La France peut-elle maintenir partout une présence et des capacités crédibles, comparables à celles de la Chine ou des États-Unis ? Non, nos moyens sont limités. Mais il y a une solution : la coopération, sur le modèle de l'accord récemment signé avec Singapour.

La France est le seul pays de l'Union européenne à disposer de territoires en Indopacifique, mais toute l'Europe y a des intérêts. Ne peut-on développer d'autres partenariats ?

Enfin, rassurez-nous sur le nouveau porte-avions, dont on dit qu'il ne se ferait pas...

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - La défense de notre souveraineté, et donc des territoires d'outre-mer, est une priorité. Pour partie, nous pouvons nous défendre seuls. La loi de programmation militaire prévoit des moyens outre-mer. En revanche, il faut équilibrer présence terrestre et maritime. La première est indispensable en Guyane ou sur les îlots du canal du Mozambique.

Le porte-avions se fera en coopération avec d'autres pays européens.

Je me rendrai à Bruxelles les 16 et 17 novembre pour parler de l'article 349, des pêches, mais aussi des régions ultrapériphériques (RUP) et défendre la biodiversité.

J'ai reçu il y a peu l'ambassadrice d'Australie à Paris. Elle est prête à coopérer sur ces sujets et vient d'ailleurs d'ouvrir un consulat général à Nouméa.

En ouvrant des consulats dans tous les outre-mer, nous appelons à défendre collectivement la richesse mondiale que représentent ces territoires.

M. Joël Guerriau.  - Je tiens beaucoup à la notion de partenariat, mais aussi à ce que notre porte-avions porte haut les couleurs de la France.

M. Joël Labbé .  - Les outre-mer représentent 80 % de la biodiversité française et accueillent 93 % de nos zones marines protégées. La valeur des récifs coralliens et des mangroves est inestimable. Or la plupart de nos aires marines n'interdisent pas le chalutage de grands fonds, pourtant dangereux.

Lors du One Planet Summit de 2021, le gouvernement français s'est donné un objectif de protection de 10 % de nos aires maritimes à l'horizon 2030, contre 39 % au Royaume-Uni et 24 % aux États-Unis actuellement.

Ces aires doivent bénéficier de véritables moyens. Or la Marine nationale et l'Office français de la biodiversité (OFB) n'ont qu'un agent pour 2 000 km2 d'océan...

À l'aube de la COP15 de Montréal, quels moyens le Gouvernement mettra-t-il en oeuvre pour protéger la biodiversité outre-mer ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Je partage l'objectif d'interdictions accrues dans les aires protégées, mais là encore, on se heurte à la limite de nos moyens. L'armée a obtenu 3 milliards d'euros de plus dans la loi de programmation militaire, nous ne pouvons faire plus.

Faut-il une interdiction totale d'exploitation ? Je préfère une exploitation raisonnée : fixons-nous des objectifs raisonnables que nous atteindrons dans la durée.

Le canal du Mozambique est le seul endroit où notre souveraineté terrestre est contestée, car nous signerons bientôt avec les Pays-Bas une convention pour régler la question d'un petit bout de frontière à Saint-Martin.

M. Dominique Théophile .  - Je salue l'excellent rapport de nos collègues. Au-delà des recommandations formulées, il rappelle la place de la pêche traditionnelle, malheureusement confrontée à des difficultés : vieillissement des professionnels, dégradation des conditions de travail, faibles rémunérations, baisse d'attractivité, vieillissement de la flotte de pêche.

Le soutien public à la flotte est en principe contraire aux règles européennes, mais Emmanuel Macron et Jean-Claude Juncker s'étaient engagés à l'autoriser dans les RUP. Monsieur le ministre, vous avez rencontré le commissaire européen à la pêche. Où en sont les négociations ? Le renouvellement de la flotte est attendu par la filière.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - La pêche et les emplois qu'elle induit relèvent de la souveraineté alimentaire. À Mayotte, les réglementations imposent aux pêcheurs en pirogue d'utiliser des engins de plage. Je me suis mis en colère, cela va changer rapidement.

Grâce au Président de la République, nous avons obtenu le droit à des aides pour certaines parties de la flotte. Mais les services de la Commission européenne ont imposé un inventaire précis, qui prendra cinq ans. Que fait-on en attendant ? J'ai dit au commissaire à la pêche que je préférais les pêcheurs aux poissons. Cessons de croire que les premiers sont les ennemis des seconds. Pendant ce temps, d'autres pêcheurs hauturiers, étrangers, ratissent tranquillement !

Notre lettre portant une demande précise de dérogation aux règles européennes, territoire par territoire, type de bateau par type de bateau, doit partir demain. On m'a promis qu'elle serait examinée par le conseil scientifique en novembre.

Une collectivité s'est dite prête à aller devant la justice européenne. Pas de bateaux, pas de pêcheurs. C'est une vraie injustice. J'ai plutôt confiance.

Je saisirai tous les parlementaires européens et ultramarins pour qu'ils appuient ma demande.

Mme Gisèle Jourda .  - Quelle place voulons-nous donner aux outre-mer dans notre stratégie nationale et internationale militaire ? Avec des forces de souveraineté sur tous les océans, la France possède une présence militaire globale, qui remplit des fonctions de protection, de prévention des conflits, de connaissance, d'intervention et de dissuasion. Mais les forces d'outre-mer sont en bas de la liste des priorités des armées. Fatigue des effectifs, précarisation : on risque la rupture capacitaire. Le rapport appelle à faire des outre-mer une priorité de l'actualisation de la loi de programmation militaire. Pouvons-nous compter sur vous, monsieur le ministre ? Est-il prévu de rééquilibrer nos capacités militaires outre-mer pour en faire de véritables points d'appui de notre stratégie face aux nouveaux enjeux géopolitiques ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Oui, vous pouvez compter sur moi. Je travaille avec mon prédécesseur, désormais ministre des armées.

La situation de la marine militaire n'est pas si dégradée.

Mme Gisèle Jourda.  - Les outre-mer deviendront-ils des points d'appui, notamment dans l'Indo-Pacifique ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Oui, M. Lecornu est en phase avec cette idée. La défense de l'Indo-Pacifique est militaire, mais elle passe aussi par le bien-être des populations. Notre action restera multiple.

Mme Michelle Gréaume .  - Ce rapport évoque différents enjeux -  sécuritaires, écoclimatiques, entre autres. Quelle souveraineté maritime pour la France sans un regard particulier sur ces territoires ? Comment donner toute leur place aux outre-mer sans répondre à leurs besoins ? Ce rapport ignore ceux qui sont en première ligne, les populations et les élus. Ces territoires manquent de moyens : il faudrait des engins amphibies d'exploration, des frégates de surveillance, des drones marins...

Comment mettre en oeuvre une nouvelle politique de la mer et une meilleure gouvernance des océans sans ouvrir son élaboration aux populations et sans renforcer les partenariats régionaux ?

La Cour des comptes nous recommande de développer les capacités d'expertise des outre-mer. Faudrait-il un organe dédié ?

L'abstention a été très forte lors des dernières élections, ce n'est pas bon signe. La mer n'est pas un nouvel eldorado ; il faut oublier la prédation au profit d'une conception rassembleuse, respectueuse des hommes et des éléments.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - La stratégie de la création de valeur outre-mer sera construite avec les élus, sans aucun doute - c'était le sens de l'appel de Fort-de-France.

Une étude prospective sur l'économie bleue dans les outre-mer est désormais finalisée. Elle sera partagée pour alimenter la discussion.

La stratégie nationale pour la mer et le littoral a inscrit parmi ses préoccupations le tourisme côtier, avec une vision ultramarine, ainsi que la défense des mangroves et le sujet de l'aquaculture.

Oui à l'association de la population via la responsabilisation et la différenciation ! Comptez sur moi.

M. Philippe Folliot .  - Notre collègue Nassimah Dindar souhaite vous interroger sur l'ouverture des outre-mer à leur environnement régional.

Des organisations internationales, auxquelles participe la France, existent. Quelle est la stratégie du Gouvernement en la matière ? Veut-il associer les collectivités territoriales ultramarines aux échanges régionaux dans le cadre de ces instances ?

Michel Rocard a marqué l'histoire en faisant sortir les outre-mer du lien exclusif avec la métropole.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - C'est un leitmotiv du Président de la République et de M. Darmanin : oui, il faut casser le lien univoque entre l'Hexagone et les outre-mer, qui doivent vivre dans leur environnement. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont ainsi déjà la capacité de nouer des accords de libre-échange.

Il nous faut ouvrir les territoires à leur environnement régional, notamment en ce qui concerne les accords commerciaux. Tous les élus sont d'accord.

J'ai rencontré la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ce matin, car cela se joue aussi avec les chefs d'entreprise. Ils déplorent des problèmes de normes, ce qui me renvoie à l'article 349 du Traité de l'Union européenne.

Création de valeur, insertion dans l'environnement régional, rôle des collectivités et des entreprises : ces questions sont au coeur de la feuille de route tracée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer - que je vous adresserai.

M. Philippe Folliot.  - Ces enjeux sont essentiels. Les choses bougent. Dans le sud de l'océan Indien, l'Île Maurice se rapproche de l'Inde, la Chine a des vues sur les Seychelles et la Tanzanie, Madagascar flirte avec la Russie. Il est important que les collectivités territoriales puissent être associées sur ces questions géostratégiques.

Il nous faut une vision globale. Voyez la situation des Comores et de l'immigration...

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

M. Guillaume Chevrollier .  - L'outre-mer concentre 80 % de notre biodiversité - or celle-ci est menacée par le dérèglement climatique. L'acidification des océans conduit à des épisodes récurrents de blanchissement des coraux ; entre 2009 et 2018, 11 700 km2 de corail ont disparu -  or ces écosystèmes ont un rôle de nurserie pour poissons, d'où un effondrement de la chaîne alimentaire, avec des répercussions sur la pêche et les activités humaines.

Selon le Giec, le réchauffement climatique risque d'entraîner la disparition de 70 à 99 % des récifs coralliens.

Notre ZEE représente 8 % des mers du globe. Depuis 2010, la France a renforcé la création d'aires marines protégées, qui représentaient 24 % de la ZEE dix ans plus tard. Il nous faut agir pour la protection de la biodiversité dans ces zones.

Le rapport de la mission d'information sénatoriale pointe le manque de moyens pour protéger ces zones. Quelles sont les actions du Gouvernement pour protéger cette biodiversité menacée ? Il s'agit de garantir notre souveraineté dans les outre-mer et de s'en donner les moyens.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Les outre-mer sont exemplaires en matière de protection de la biodiversité. L'objectif de classer 30 % de notre ZEE en aire marine protégée est déjà dépassé, avec l'extension de la réserve naturelle des Terres australes.

Un autre dossier est en cours pour la protection des îles Éparses. Le parc naturel marin de Mayotte est le plus grand de France.

La France poursuit ses efforts pour préparer la Conférence des Nations unies sur les océans de 2025, que nous organiserons avec le Costa Rica.

Dans la lignée du One Ocean Summit de Brest, je m'attache à ce que les outre-mer prennent toute leur place.

Je travaille avec Françoise Gaill et Olivier Poivre d'Arvor à un Giec des océans. J'ai demandé à M. Bougrain Dubourg, de la Ligue de protection des oiseaux, d'identifier dix actions exemplaires qui feraient la fierté de nos outre-mer : je donne déjà mon agrément à six d'entre elles.

Mme Victoire Jasmin .  - Je remercie la délégation aux outre-mer pour ce débat. Alors que la tempête Fiona a frappé la Guadeloupe les 23 et 24 septembre, quelle politique du littoral pour prendre en compte les effets du réchauffement climatique ? En outre-mer, les rives sont de plus en urbanisées, les aléas naturels violents et dévastateurs - je pense notamment aux algues sargasses.

La question de l'habitat littoral est essentielle. Il faut repenser l'application de la loi Littoral sur la zone dite des cinquante pas géométriques, avant son transfert à la collectivité régionale en 2025. Héritage du passé colonial, cette bande littorale fait encore partie du domaine de l'État et ne peut être cédée sans procédure particulière. Il faut reloger les familles sans droits ni titres, menacées par des risques naturels majeurs. L'action publique sur les cinquante pas géométriques doit être reconsidérée. Que comptez-vous faire ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Je connais bien le sujet. Le transfert de la zone des cinquante pas géométriques aux collectivités a été repoussé à 2025. Le sujet est particulièrement complexe à Saint-Martin.

D'ici là, nous avons deux choses à faire : finaliser la cartographie des zones, pour engager le processus de régularisation, et ensuite engager les démarches de relogement pour les personnes situées dans les zones dangereuses.

La semaine prochaine, j'irai à Saint-Martin avec ce message, puis en Guadeloupe en novembre. On délimite, puis on transfère, avant tout pour reloger.

Mme Lana Tetuanui .  - La France peine à valoriser l'immense potentiel de ses outre-mer. Je souscris aux recommandations du rapport pour faire face aux défis de demain, assurément maritimes. Dans la zone indopacifique, centre de gravité stratégique, économique et financier, la France a un statut particulier grâce à ses outre-mer et à sa ZEE. Les États-Unis y sont très mobilisés, face à l'expansionnisme de la Chine.

Une réunion des États insulaires de la zone a eu lieu à Washington, en présence du président Édouard Fritch. Les États-Unis confirment leur appui à ces États, si vulnérables face au réchauffement climatique. Envisagez-vous un renforcement de nos bases militaires dans les outre-mer, notamment en Polynésie ? Depuis l'arrêt des essais nucléaires, les moyens militaires ont été largement redéployés hors de notre territoire...

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - J'ai évoqué la réunion de Washington avec Édouard Fritch. Oui, il faut que la France soit présente, mais nos territoires ne peuvent prendre parti sur certaines questions, par exemple sur Taïwan. Depuis le Brexit, la France est la seule nation européenne présente dans la région.

Un renouvellement très important des moyens de la marine nationale est en cours. Entre 2017 et 2026, treize navires neufs auront été mis en service dans les territoires d'outre-mer, dont neuf dans la zone indopacifique. Quatre frégates y patrouillent. Au-delà des moyens, nous voulons renforcer les coopérations avec nos partenaires amicaux. Il nous faut multiplier les exercices militaires conjoints, lutter contre la pêche illégale, répondre aux enjeux climatiques, impliquer l'Europe dans la région - c'est l'enjeu du programme UE-PTOM, si la Commission maintient le financement.

Mme Annick Petrus .  - Le secteur de la pêche, à Saint-Martin, ne constitue pas encore une vraie filière agricole. Fin 2021, seuls 21 pêcheurs professionnels y exercent. Une part importante de l'activité reste artisanale, liée au loisir ou à la subsistance, et l'absence d'équipements de transformation nous rend dépendants d'Anguilla pour répondre à la demande locale.

La chambre consulaire de Saint-Martin a désormais la capacité réglementaire d'installer et d'animer un comité territorial des pêches. Un conventionnement est en cours.

Pour développer le secteur du nautisme, la collectivité termine un programme de formation aux métiers de la mer pour nos jeunes saint-martinois. L'État pourrait-il nous accompagner pour installer deux points de débarquement, une zone technique de pêche et pour la modernisation de la flotte ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Entre 2021 et 2027, le fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa) est passé de 700 000 à 3,8 millions d'euros rien que pour Saint-Martin.

L'aide au renouvellement de la flotte est un autre sujet. Le dispositif d'aide pour Saint-Martin n'avait pas été notifié à Bruxelles. Nous allons le faire d'ici la fin du mois, mais nous retrouvons le sujet des négociations avec Bruxelles. Saint-Martin doit rentrer dans le système d'aide global.

Mme Viviane Artigalas .  - Les îles Éparses, dans le canal du Mozambique, représentent 43 km2 de surface terrestre, mais leurs eaux s'étendent sur 640 000 km2, soit 6 % du territoire maritime français. C'est un sanctuaire exceptionnel pour la biodiversité marine. Toute pêche y est interdite et la présence militaire y est permanente.

Mais leurs ressources halieutiques, énergétiques et minières nourrissent les convoitises de Maurice et de Madagascar, et les îles Éparses sont devenues un enjeu de souveraineté. Dans le prolongement des efforts du président Hollande et de son homologue malgache, comptez-vous négocier une solution équilibrée pour répondre aux enjeux écologiques et interdire la pêche illégale ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Ces îles représentent une richesse extraordinaire. Le président Macron est sur la même ligne que le président Hollande : la défense de la souveraineté française sur ce territoire. La commission mixte avec Madagascar se réunira prochainement pour évoquer ce différend territorial. Une feuille de route sur la recherche dans les îles Éparses sera bientôt signée. L'armée française y est présente, et le Président n'entend pas baisser la garde, bien au contraire, mais rendre ces îles utiles pour la recherche.

Mme Viviane Artigalas.  - J'ai fait dans ces îles une tournée de souveraineté avec d'autres sénateurs. Ces îles précieuses sont convoitées : il faut rester vigilant et affirmer la souveraineté française.

M. Dominique de Legge .  - La France est présente sur l'ensemble des océans. Je rends hommage aux 8 500 militaires qui assurent ces missions, ainsi qu'au personnel civil.

Les eaux dont nous avons la charge nous amènent à être partenaires d'une quarantaine de pays, souvent en voie de développement. Comment l'Agence française de développement (AFD) coopère-t-elle avec nos forces de souveraineté, au profit des pays concernés, pour faire mieux accepter leur présence ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Je suis en étroite relation avec Philippe Le Houérou, le président de l'AFD. L'action dans le Pacifique est prioritaire. Avec Mme Colonna, nous sommes convenus de travailler à ces coopérations. Le sujet concerne notamment l'immigration : le Smic à Madagascar est à 40 euros, plus faible encore aux Comores ; à Saint-Domingue, un salarié du tourisme touche 400 euros, bien moins qu'en Guadeloupe. La France doit agir pour que ces pays voisins se développent, c'est aussi l'enjeu de l'insertion régionale. L'action de l'AFD doit être coordonnée avec nos objectifs de développement. Avec le président Le Houérou, nous travaillons à un système d'affacturage public pour apporter un bol d'air à la trésorerie des petites entreprises ultramarines.

M. Dominique de Legge.  - Je me réjouis de vos relations avec l'AFD, mais cela ne suffit pas. J'ai rendu ce matin un rapport sur l'engagement de nos forces de souveraineté. Nos difficultés avec les pays voisins pourraient être atténuées si la présence française était mieux coordonnée avec les moyens de l'AFD. J'entends votre engagement, mais il y a de nombreux progrès à faire.

Mme Vivette Lopez .  - La mer, ses richesses et les perspectives liées méritent de s'inscrire dans l'avenir de notre pays. La septième préconisation du rapport appelle à développer les classes « enjeux maritimes » dans les établissements scolaires. Notre jeunesse doit être poussée vers le large et sensibilisée aux enjeux maritimes, à l'âge où se créent les vocations.

Je salue le commandant du Marion Dufresne qui, en collaboration avec l'Ifremer, a mené une centaine de jeunes de Mayotte et de La Réunion à bord de son navire pendant un mois.

Les classes « enjeux maritimes » sont nées au lycée français de Barcelone pour faire prendre conscience aux élèves qu'ils font partie d'une grande nation maritime. Déjà 27 projets sont lancés à l'échelle nationale. Je constate avec regret que toutes les classes ne sont pas répertoriées. Quelles obligations comptez-vous prendre pour développer ces classes en outre-mer ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Les outre-mer montrent la voie en développant ces classes. Le projet Ecole Bleu Outremer que vous avez cité a été entièrement organisé par le ministère de l'outre-mer. Il est d'autant plus bienvenu qu'il a eu lieu dans le canal du Mozambique.

Un lycée de la mer devrait ouvrir à La Réunion en 2027, un lycée professionnel maritime à Mayotte en 2028.

Nous tentons de réformer notre système de soutien aux associations. Il faut demander à ma directrice adjointe de cabinet, qui réserve un bon accueil à toutes les demandes émanant du milieu scolaire.

M. Didier Mandelli .  - Je ferai le lien avec le projet de loi énergies renouvelables que nous examinerons bientôt, dont je suis le rapporteur.

De nombreux facteurs rendent la transition énergétique plus urgente encore dans les outre-mer qu'en métropole.

L'objectif fixé par la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 d'une autonomie énergétique des outre-mer en 2030 ne sera pas atteint. Les énergies renouvelables y représentent moins de 30 % du mix électrique - plus de 50 % en Guyane, mais moins de 10 % à Mayotte ou à la Martinique. L'Ademe estime qu'ils pourraient atteindre l'autonomie énergétique en 2035, à condition d'être accompagnés dans la durée.

Éolien offshore, énergie houlomotrice, énergie thermique des mers : malgré un vaste potentiel, les énergies marines renouvelables occupent une place marginale. Outre les difficultés techniques et financières, les technologies doivent être adaptées aux spécificités de chaque territoire.

Alors que les outre-mer s'attellent à la révision de leur programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), que prévoit le Gouvernement pour y accentuer le développement des énergies maritimes renouvelables ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Il faut d'abord signer les PPE ! Seule La Réunion l'a fait. Les territoires doivent arrêter de tourner en rond, et accélérer.

Les énergies renouvelables seront prises en compte de gré à gré ou sur des appels d'offres. Je me suis fâché avec le ministère de la transition énergétique, car ceux-ci n'étaient pas lancés : ils le seront bientôt. Toutefois, ils ne doivent pas cacher la nécessité de conserver une énergie bioliquide, avec une grosse usine, pour stabiliser les approvisionnements. Il faut accepter de payer une usine fonctionnant au minimum de ses capacités pour assurer la sécurité.

Lorsque je présidais la Commission de régulation de l'énergie, il a été décidé que, dans le cadre d'une PPE, les études seraient financées par la contribution au service public de l'électricité (CSPE) pour l'éolien en mer.

Les outre-mer peuvent être fiers de l'innovation en matière énergétique. Mais encore faut-il que les PPE soient votées, sans quoi les opérateurs n'avanceront pas !

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - L'échange a été très riche. Je remercie le ministre et nos collègues d'avoir abordé ces problématiques qui concernent en réalité la place de la France dans le monde, et je salue le travail d'évaluation et de proposition de nos rapporteurs.

L'ambition de la délégation est de replacer les outre-mer au coeur de la stratégie nationale, ce qui a fait défaut en 2017. Nous espérons que le Parlement sera à l'avenir associé à l'élaboration de la stratégie maritime et que les outre-mer y auront toute leur place.

Le Conseil national de la mer et des littoraux se veut un « parlement de la mer », mais cette instance n'a pas la légitimité du Parlement.

Il faut engager une révolution culturelle autour de l'océan.

L'espace maritime est au confluent des grands enjeux géopolitiques, sécuritaires, diplomatiques. Avec ses 23 000 km de frontières maritimes, la France est le seul pays présent sur les quatre océans.

Nous devons prendre en compte également les enjeux de communication, alors que 94 % du commerce mondial est maritime, et que 95 % des données passent par des câbles sous-marins, les enjeux énergétiques, les enjeux scientifiques et de recherche. Je vous renvoie au débat d'hier sur les abysses et au rapport de MM. Canévet et Rohfritsch.

Les enjeux climatiques et environnementaux ne sont pas les moindres : les outre-mer représentent 80 % de la biodiversité française.

L'éducation et la formation sont deux leviers indispensables pour encourager l'acculturation au fait maritime. Notre rapport avance plusieurs propositions à ce sujet, comme un brevet d'initiation à la mer ou une meilleure orientation des jeunes vers les métiers de la mer.

La conjonction de la double présidence française du Conseil de l'Union européenne et de la Conférence des RUP par la Martinique est à saisir. Les collectivités ultramarines souhaitent être davantage associées aux réunions de haut niveau par le ministère des affaires étrangères. Une approche coordonnée serait bénéfique.

Les outre-mer sont un levier pour la stratégie indopacifique, qui ne doit pas se limiter à une dimension militaire. Le secrétaire d'État à la mer a parlé hier d'Indo-Océanie, ce qui traduit peut-être une approche spécifiquement française de cette région qui apparaît comme le nouveau centre de gravité du monde.

Ce qui est vrai pour l'Indo-Pacifique est vrai pour la stratégie maritime : les outre-mer sont la clé de la réussite de la stratégie française. (Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.

Régime de réélection des juges consulaires (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, présentée par Mme Nathalie Goulet.

Discussion générale

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois .  - Nous examinons en urgence la proposition de loi déposée par Nathalie Goulet, que je remercie pour sa vigilance. Elle doit être adoptée avant les élections annuelles des juges consulaires des tribunaux de commerce qui ont été décalées en novembre. C'est la deuxième et la dernière fois, je l'espère, qu'il nous faut légiférer pour régler des difficultés liées à ces élections, après l'examen d'un texte à l'automne dernier pour régler des malfaçons de la loi Pacte. La loi du 12 octobre 2021, votée conforme à l'Assemblée nationale, a permis de réintégrer les anciens membres des tribunaux de commerce dans le vivier des candidats à l'élection des juges consulaires.

Le ministère de la justice fait part de difficultés dans le recrutement. Je vous rassure : je n'ai pas repéré de risque d'invalidation d'élection ni de disparition de tribunaux. Il n'y a eu, semble-t-il, aucun contentieux depuis les élections de 2019. L'enjeu est d'élargir le vivier de candidats.

Avant la loi Pacte, les cadres dirigeants salariés étaient éligibles aux fonctions de juges consulaires de par leur appartenance au corps électoral. Leur remplacement par les élus des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat y a mis un terme.

Or leurs compétences sont précieuses pour la résolution des litiges.

Les cadres dirigeants salariés représentent aujourd'hui plus de 40 % des juges consulaires dans les tribunaux de grande taille.

La commission a rétabli leur éligibilité, rappelant qu'ils suivent les mêmes règles déontologiques et disciplinaires que les autres juges des tribunaux de commerce. La commission a également supprimé l'article premier, par cohérence.

L'article 2 abordait un tout autre sujet, avec la création d'une cinquième cause de cessation des fonctions de juge consulaire en cas de refus de siéger sans cause légitime : la commission a estimé que cela n'était pas une disposition urgente et qu'une réponse disciplinaire était déjà possible. Nous l'avons donc supprimé. Ce sujet pourrait être traité dans le cadre du prochain projet de loi sur la justice du quotidien.

L'article 3, relatif aux conditions d'éligibilité des juges consulaires, constitue le coeur de la proposition de loi. Il autorise les juges en exercice et ceux ayant six ans d'ancienneté à se présenter à leur réélection sans condition de résidence. Aux termes de la loi du 11 octobre 2021, ils doivent justifier d'une domiciliation ou d'une résidence dans le ressort du tribunal où ils candidatent ou d'un tribunal limitrophe.

Retoucher si rapidement ces conditions en l'absence d'élément nouveau pourrait sembler injustifié, mais la Chancellerie a fait valoir que 307 juges, ayant perdu leur domiciliation à la retraite, seraient empêchés de se représenter. La proposition de loi maintient toutefois la condition de résidence pour les candidatures dans des tribunaux non limitrophes de celui dans lequel le candidat exerce.

La commission vous recommande d'adopter cette proposition de loi modifiée, grâce à laquelle les juridictions commerciales bénéficieront d'un vivier élargi de candidats.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - La proposition de loi de votre excellente collègue Mme Goulet porte sur la justice commerciale, un enjeu important pour notre économie. Les siècles d'existence de cette justice prouvent son efficacité, mais aussi son adaptabilité. De fait, elle a été maintes fois renouvelée.

Le rapport du comité des États généraux de la justice, auquel le président François-Noël Buffet a participé, ce dont je le remercie, souligne le rôle important joué par les tribunaux de commerce.

Le Gouvernement est très favorable à cette proposition de loi. Supprimer la condition de résidence pour les juges se présentant à leur réélection est opportun, car nombre d'entre eux cessent leur activité en cours de mandat et ne possèdent plus d'entreprise ni de résidence dans leur ressort d'élection : c'est le cas notamment dans les grandes régions, comme l'Île-de-France, le Sud et les Hauts-de-France.

En l'état du droit, les juges les plus expérimentés ne pourraient être réélus dans un ressort qu'ils connaissent pourtant charnellement, alors que ce sont ces juges dont nous avons grand besoin. L'adoption de cette proposition de loi, enrichie par la commission dont je salue le rapporteur, lèvera cet obstacle.

J'insiste sur l'importance d'une adoption rapide en vue d'une application aux prochaines élections consulaires, dont le premier tour se tiendra le 21 novembre prochain.

Je salue la coconstruction de ce texte avec le Conseil national des tribunaux de commerce et la Conférence générale des juges consulaires de France.

M. Guy Benarroche .  - Je salue le travail de Nathalie Goulet, qui veille à la sécurité juridique et à la pérennité des juridictions commerciales face à plusieurs négligences et oublis. Le temps presse, avec la tenue prochaine des élections consulaires.

Ces 130 tribunaux, qui traitent 140 000 affaires par an, ont subi d'importantes modifications dans la loi Pacte, censée être simplificatrice. Celle-ci a notamment écarté du corps électoral les cadres dirigeants salariés des entreprises, qui représentent 40 % des juges consulaires en exercice. Il est raisonnable de favoriser leur participation aux institutions du quotidien, a fortiori leur maintien en leur sein.

Face au manque de magistrats, la commission a aussi levé certaines conditions de résidence. La valorisation de l'expérience des anciens juges est un choix équilibré, mais nous devons éviter l'écueil d'une trop grande professionnalisation.

Le droit des entreprises fait face à des difficultés confirmées par les États généraux de la justice. Cette proposition de loi n'est qu'une petite pierre apportée à l'oeuvre colossale qui doit être accomplie. Le GEST votera ce texte, mais nous serons attentifs à la suite des efforts réalisés pour renforcer la confiance dans la justice et améliorer la justice du quotidien. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Gilbert Favreau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les tribunaux de commerce sont des institutions vénérables, créées en 1563 par le roi Charles IX. Cette proposition de loi actualise le régime de réélection des juges consulaires après sa modification par la loi Pacte.

La loi du 11 octobre 2021 avait apporté certaines corrections, mais d'autres restaient nécessaires. Il s'agit notamment de faciliter le renouvellement des juges consulaires.

Trois amendements, deux de suppression et un de modification, ont été adoptés par la commission des lois.

Les articles 1er et 2 sont certes supprimés, mais l'abandon du premier est compensé par la modification de l'article 3, tandis que le second n'est pas urgent.

La modification de l'article 3 autorise utilement la réélection sans condition de résidence de juges dans le tribunal où ils exercent ou celui d'un ressort limitrophe, ainsi que l'élection des personnels dirigeants salariés.

Les tribunaux de commerce manquant de juges se verront ainsi confortés, dans la perspective des élections prévues en fin d'année. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Menonville .  - Voilà un an, nous approuvions l'encadrement de la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce pour pallier les imperfections de la loi Pacte. La proposition de loi examinée aujourd'hui complète ces dispositions. Nous saluons l'engagement de Nathalie Goulet sur ce sujet.

Vieille de cinq siècles, la justice commerciale a été créée par le roi Charles IX sur l'initiative du chancelier Michel de L'Hospital, dont la statue domine notre hémicycle.

Nous approuvons les modifications opérées par la commission des lois pour centrer le texte sur les questions d'éligibilité et nous nous réjouissons de l'élargissement du vivier des candidats.

Je salue le travail de notre rapporteur, Thani Mohamed Soilihi. Le groupe INDEP votera cette proposition de loi.

M. Stéphane Artano .  - Comme le rappelait voilà un an notre collègue Maryse Carrère, nous ne devons pas considérer les dispositions techniques comme de seconde importance. Je salue la persévérance de Nathalie Goulet et la qualité des travaux de la commission.

La problématique de l'élection des juges consulaires peine à s'éteindre : il y a un an déjà, nous avions précisé des dispositions et corrigé des imperfections.

Si nous voterons cette proposition de loi, le RDSE regrette la répétition des textes, symptôme de l'inflation législative et des conditions trop hâtives du travail législatif. On a plusieurs fois parlé de rustine : mais quand une jante est trop abîmée, il faut la changer.

M. Dominique Théophile .  - Je remercie Nathalie Goulet d'avoir déposé cette proposition de loi technique, mais qui revêt une importance particulière, afin d'expurger la loi Pacte de ses dernières malfaçons.

Elle présente l'avantage d'élargir le vivier des candidats aux fonctions de juge consulaire, avec le retour des cadres dirigeants, et s'appliquera dès les prochaines élections, qui se tiendront entre le 21 novembre et le 4 décembre prochains. Les juges consulaires seront pour la première fois élus par les membres des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et d'artisanat.

Une fois le texte adopté, il conviendra de réformer la justice commerciale en profondeur. Considérée à tort comme périphérique, elle s'est améliorée avec la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, en 2016. Poursuivons ce travail : les propositions du comité des États généraux de la justice constituent une bonne base de travail.

Enfin, la justice commerciale manque de moyens ; il faut poser la question du maintien de sa gratuité en envisageant un droit de timbre barémisé à la charge du requérant. Toutes les pistes du comité des États généraux de la justice sont innovantes : nous en débattrons l'année prochaine.

Pour l'heure, le RDPI votera la proposition de loi.

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La justice commerciale est toujours plus centrale dans notre vie quotidienne : les giga-crises récentes le montrent.

Voilà trois ans, au moment de la loi Pacte, nous avions la crise sanitaire en tête. S'y ajoutent aujourd'hui la guerre en Ukraine et la crise climatique. Les dirigeants d'entreprise ont, eux aussi, ce contexte en tête, et la justice consulaire les accompagne dans ces difficultés.

La proposition de loi de Nathalie Goulet, rectifiée de façon bienvenue par le rapporteur, rétablit les cadres dirigeants salariés dans le corps électoral. Le groupe SER soutient ce texte, pour défendre la pérennité de la justice commerciale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Éliane Assassi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La proposition de loi de Nathalie Goulet corrige à la marge des erreurs commises sur l'élection des juges consulaires, sans modifier le fonctionnement des tribunaux de commerce, ce qui est problématique pour nous.

Au-delà de la forme, c'est bien sur le fond qu'il faudrait intervenir, alors que ce texte confirme la volonté de centralisation de la justice commerciale et que les salariés demeurent exclus du processus d'élection. Les risques de conflits d'intérêts sont forts dans un microcosme en autarcie, où tout le monde se connaît et fait des affaires ensemble. Est-ce là notre conception d'une justice impartiale ?

La France dispose de tribunaux paritaires et impartiaux, comme les tribunaux prudhomaux.

Malgré ces critiques, je salue le travail de Nathalie Goulet. Notre groupe votera ce texte, en attendant un véritable débat de fond sur la composition des tribunaux de commerce en France, qui n'a aucun équivalent en Europe et ne saurait nous satisfaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Philippe Bonnecarrère .  - J'ai une vision très favorable des tribunaux de commerce et, en tant qu'ancien praticien, ne partage pas totalement les réserves exprimées par la précédente oratrice.

Nous avons évoqué largement la composition du corps électoral ; il serait regrettable de se priver de cadres expérimentés et au fait de la vie des entreprises.

S'agissant de la déchéance de magistrats qui refuseraient d'exécuter leur activité, le cas me semble rare.

J'ai consulté les articles L. 724-1 et suivants du code de commerce : ils sont riches d'un impressionnant dispositif de déontologie. La structure faîtière déontologique a largement les moyens de résoudre les problèmes. Les incompatibilités sont nombreuses : ainsi, on ne peut être à la fois conseiller municipal et juge consulaire...

Enfin, il serait dommage de se priver de juges compétents pour des motifs de domiciliation.

Le groupe UC votera naturellement ce texte proposé par l'un de ses membres.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente.  - Je rappelle que les articles premier et 2 ont été supprimés par la commission.

Article 3

L'article 3 est adopté.

La proposition de loi est adoptée.

La séance est suspendue à 20 h 05.

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

Conférence des présidents

M. le président.  - Les conclusions adoptées par la Conférence des Présidents réunie ce jour sont consultables sur le site du Sénat.

En l'absence d'observations, je considère ces conclusions comme adoptées.

Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.

Conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ».

Mme Amel Gacquerre, au nom de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi sur quelques travées du groupe SER) Hier, le paracétamol, les masques et les puces ; aujourd'hui, la moutarde, l'huile de tournesol et le gaz. Les crises s'enchaînent, et notre pays se redécouvre vulnérable. Comment en est-on arrivé là ? Comment sortir d'une dépendance qui nous contraint ?

Notre commission, avec Sophie Primas et Franck Montaugé, a travaillé sur ces questions durant six mois. Le constat de notre perte transversale d'autonomie est alarmant, alors que la guerre touche l'Europe, que la frontière entre économies réelle et numérique se brouille, que les prix de l'énergie s'envolent et que la concurrence pour les talents fait rage. Reconstruire notre souveraineté, avec la transition écologique, doit être la priorité majeure de nos politiques publiques.

C'est pourquoi nous appelons au sursaut. Nos cinq plans reposent sur trois postulats.

D'abord, la France a besoin de l'Europe. Ainsi, nombre de nos recommandations, sur les télécommunications et l'industrie par exemple, concernent l'Europe. Quelque 99 % des câbles sous-marins de communication sont contrôlés par les Gafam : nous devons travailler à un réseau européen indépendant. De même, nos données personnelles doivent être stockées en Europe.

Ensuite, nous devons nous reposer davantage sur nos ressources plutôt que sur les importations - avec leurs pollutions induites. La France dépend entièrement de la Chine pour ses terres rares, et 80 % de notre lithium est importé d'Amérique du Sud. Recycler les biens industriels est essentiel.

La question des compétences est également fondamentale, alors qu'un tiers des employés de l'industrie partiront à la retraite d'ici à 2030 et que 50 % des emplois sont en tension  - dans la mécanique ou ingénierie, par exemple. Et disposons-nous des compétences nécessaires à notre filière nucléaire ?

Pour conclure, nous appelons à poursuivre l'effort de compétitivité de nos entreprises, qu'il faut protéger, particulièrement les PME, TPE, ETI et start-up. Assurons-leur un environnement compétitif sain, en commençant par faire respecter les normes de production européennes.

Nous avons transmis ces plans au Gouvernement et l'appelons à les mettre en oeuvre : il est urgent de reconstruire notre souveraineté ! (Applaudissements)

M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et UC, du RDSE et du RDPI, ainsi que sur le banc des commissions) Quelle est la politique de souveraineté industrielle, agricole et numérique du Gouvernement ? Les premières études relatives à notre dépendance aux intrants n'ont été réalisées qu'à la faveur de la crise covid. Tirons les enseignements de ces constats : en s'appuyant sur les comités stratégiques de filière, l'État pourrait faciliter les stockages d'intrants stratégiques.

Recomposer les chaînes de valeur est un impératif. Recyclons les matières premières : c'est un levier d'emploi et de décarbonation sous-employé.

Après la désindustrialisation, la dégradation du solde extérieur de notre agriculture témoigne d'une dépendance de la France. Le cheptel français se réduit chaque année. Si l'on veut nourrir notre population, il faut veiller à la compétitivité de notre production, à l'équité de la concurrence et au juste équilibre entre protection de l'environnement et souveraineté alimentaire. Que fera votre gouvernement à ce sujet ?

Nous plaidons pour un débat sur la localisation des données sensibles sur le territoire européen, dont l'actualité récente - je pense aux hôpitaux - nous rappelle la nécessité. Songez que 80 % des données générées en France sont hébergées aux États-Unis... Sur terre, planifions l'implantation de serveurs ; en mer, dotons-nous d'un réseau de câbles sous-marins ; dans l'espace, développons une constellation de satellites à l'échelle européenne.

Les brevets logiciels français devraient faire l'objet d'une attention particulière : est-ce le cas ? Je rappelle que les solutions de cloud du Gouvernement favorisent les acteurs américains. Les sujets numériques relèvent de la souveraineté tout court. Où en est-on ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC, ainsi que sur le banc des commissions)

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Je vous remercie et salue votre travail, colossal et utile. Vous cartographiez les forces et les faiblesses de notre industrie dans un rapport dense et de qualité.

Nous sommes en phase avec l'essentiel de vos préconisations, que le Gouvernement a, pour beaucoup, commencé à mettre en oeuvre.

Deux regrets, toutefois. Le premier est votre sévérité à l'égard du gouvernement actuel. Je vous cite : « Les fragilités de l'industrie sont dénoncées de longue date, mais renforcées à la faveur de l'inaction ou de la naïveté des pouvoirs publics ». Vous avez un ou deux quinquennats de retard : nous nous sommes attelés à la réindustrialisation il y a cinq ans...

Le second est que vous mentionnez peu l'attractivité de notre pays, première destination des investissements étrangers depuis trois ans. La souveraineté industrielle assure une base arrière solide pour notre indépendance, mais aussi pour conquérir le monde.

Je me réjouis de poursuivre le débat avec vous.

M. Daniel Gremillet .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur le banc des commissions ; M. Fabien Gay applaudit également.) Dans un pays, il y a deux enjeux : il faut que l'assiette soit pleine, et il faut de l'énergie pour qu'il y ait de la vie. Je salue votre travail, qui pose clairement la situation de notre économie. Le dossier énergétique, qui va bien au-delà de la crise actuelle, impacte l'ensemble des secteurs d'activité.

Quel que soit le secteur, l'énergie est un élément clé de la compétitivité. Nous vivons encore sur la stratégie énergétique bâtie par le général de Gaulle autour du nucléaire. Quelques chiffres : en 2009, le coût de l'électricité française était inférieur de 29 % à la moyenne européenne pour les entreprises, 30 % en incluant les ménages. En 2012, on était encore à 27 %, grâce au nucléaire et à l'hydraulique. En 2018, juste avant la pandémie, alors que nous étions à 0,18 euro du kWh en France, l'Allemagne était à 0,30 euro, presque le double.

Depuis 2020, l'essentiel de cet avantage s'est évaporé : sur le marché spot de lundi le MWh est à 300  euros en France, contre 243 euros en Allemagne. Tout ce que nous avons construit ces dernières années, avec des avancées sociales plus importantes que celles de nos voisins grâce à cette stratégie de l'énergie, est dans une situation de grande fragilité.

Je le redis : tous les secteurs sont concernés. Nous avons perdu des activités à cause du prix de l'énergie, qui met bien des entreprises en situation de précarité voire d'arrêt. Oui, monsieur le ministre, des mesures ont été prises, mais leurs conséquences sont très limitées et elles excluent encore énormément d'entreprises. La commission des affaires économiques ambitionne de relocaliser des entreprises dans nos territoires : nous savons que le prix de l'énergie est pour cela déterminant.

Il est temps de rassurer : quand le Président de la République annonce six EPR, il devrait en annoncer quatorze ; c'est de cela que nous avons vraiment besoin. (Mme Sophie Primas applaudit ; M. Daniel Salmon proteste.)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Je reconnais la précision technique de M. Gremillet. Oui, nous faisons face à des contraintes de court terme s'ajoutant à des enjeux capacitaires de moyen terme, et nous ne produisons pas assez d'électricité en France. Non, nous n'avons pas encore fait assez pour protéger l'industrie et nous y travaillons.

L'industrie française ne sera pas la victime collatérale de la guerre en Ukraine. Oui, notre fonds de soutien n'était pas assez ambitieux : nous espérons en doubler les plafonds à Bruxelles. Mais ce fonds corrige des pertes posteriori. Or l'enjeu est de réduire les coûts et les prix de l'énergie en amont. Les discussions à Bruxelles n'ont pas encore abouti, mais j'espère qu'elles permettront de plafonner le prix de l'électricité. Nous examinons un dispositif « à l'espagnole » et sommes mobilisés pour accompagner les entreprises aux niveaux européen, national et local.

Adressez-nous les entreprises de vos territoires qui rencontrent des difficultés : nos commissaires au redressement et à la productivité (CRP) peuvent les aider.

M. Daniel Gremillet.  - Que répondez-vous aux entreprises acculées et en rupture de contrat ?

Ensuite, il faut accélérer l'investissement. Je regrette que nous n'ayons pas un débat parlementaire sur les choix stratégiques, le nucléaire et l'hydroélectricité.

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; Mme Sophie Primas applaudit également.) Crise du covid, guerre en Ukraine, difficultés d'approvisionnement, désindustrialisation : autant de problématiques auxquelles notre pays est confronté, qui révèlent des fragilités dont nous souffrons depuis des années. Ce rapport en tire les conséquences et propose cinq corrections.

La part de l'industrie dans le PIB a été divisée par deux depuis 1974 ; 40 % de nos intrants sont importés contre 29 % il y a vingt ans. Quelque 900 produits importés sont à l'origine de 80 % de notre déficit commercial, qui va franchir les 100 milliards d'euros en 2022.

Notre agriculture est dépendante, tout comme notre industrie. La sécurisation de l'accès aux intrants est cruciale : non à la mono dépendance.

Nous souhaitons que les traités soient systématiquement ratifiés par le Parlement, avec un débat, pour des raisons de contrôle démocratique et de prise en compte de leurs conséquences. Il est nécessaire d'évaluer de manière continue dans le temps.

L'extraterritorialité de certaines législations étrangères est préoccupante, et nous ne disposons que de trop peu d'informations. Des amendes faramineuses ont été infligées à certains de nos fleurons : il n'est pas acceptable que des souverainetés étrangères empiètent sur la nôtre.

Des matériaux nécessaires doivent être importés, et ce n'est pas incompatible avec la souveraineté pourvu que nous diversifiions nos sources. Le nucléaire est une chance, mais nous avons malheureusement tourné le dos à cette énergie décarbonée que nous maîtrisions. Il est temps de réaliser les investissements essentiels nécessaires à notre souveraineté. Il faudra aussi développer les énergies renouvelables et réaliser des économies d'énergie grâce à la rénovation thermique et au développement de technologies plus sobres.

Il nous faut bâtir une souveraineté européenne conjuguant transition énergétique et défense de nos valeurs et de nos intérêts. Nous devons travailler de concert avec nos partenaires européens pour réformer le marché européen de l'énergie et revoir les règles de la concurrence pour créer des leaders mondiaux ; nous devons passer de l'innovation à la réussite industrielle. La France doit réarmer ses capacités industrielles, maîtriser les technologies de demain et développer l'ensemble des chaînes de valeur sur son territoire.

Notre modèle social n'est financé que par un haut niveau de performance économique, mais celui-ci fait défaut depuis plusieurs années. L'industrie, l'énergie et l'agriculture ont le même combat : innovation, compétitivité. Il est temps d'agir. (Applaudissements sur des travées du groupe UC et sur le banc des commissions ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - France 2030 a cartographié cinq secteurs de vulnérabilité : alimentaire, santé, électronique, métaux et chimie. Quelque 300 millions d'euros sont disponibles dans l'alimentation. Plus de 5 milliards d'euros sont destinés à notre souveraineté numérique. Le rapport de Philippe Varin, sur les métaux, propose de créer un fonds stratégique pour sauvegarder les ressources.

Nous devons protéger nos fleurons, et nous avons peut-être été trop longtemps naïfs. C'est pourquoi les contrôles ont été accrus de 20 % en 2021 : 328 dossiers ont été examinés, 124 ont été jugés sensibles, 67 ont été délivrés sous conditions. Nos statistiques sont finalement assez similaires à celles des Américains.

M. Joël Labbé .  - (Applaudissements sur le banc des commissions) Nos vulnérabilités et dépendances ont été révélées par la crise de la covid et la guerre en Ukraine. Les aléas climatiques et le contexte international viendront les aggraver. Il faut agir d'urgence, et nous remercions la commission de s'être saisie de ces questions.

Nous partageons une partie des éléments présentés par le rapport : la faiblesse des actions de l'État sur les secteurs stratégiques, l'indispensable développement du recyclage et des énergies renouvelables ou encore la nécessaire indépendance face aux Gafam.

Mais la crise écologique est insuffisamment prise en compte, et les préconisations du rapport ne permettent pas la résilience ou la création de systèmes vertueux, voire pérenniseront certaines de nos dépendances. La relance nucléaire n'est pas la solution pour notre souveraineté énergétique dans un monde de plus en plus incertain. Nous devons également aborder la question de l'approvisionnement en matières premières, celle des risques majeurs et celle des déchets.

Les réflexions sur la souveraineté dans un contexte de forte inflation invitent à prendre en compte la justice sociale : les tensions dont nous parlons se répercutent avant tout sur les plus pauvres.

Nous encourageons le Gouvernement à se saisir de ce rapport : il faut relocaliser l'alimentation, soutenir les projets alimentaires territoriaux et les filières de protéines végétales et renforcer la transparence sur l'origine des aliments. Mais pour contrôler les produits importés, il faut des moyens.

Rappelons le triste anniversaire du Ceta, entré en vigueur en septembre 2017 sans avoir été ratifié par notre assemblée. Il faut donner un coup d'arrêt à ces accords délétères.

Par ailleurs, remettre en cause la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » au nom de la souveraineté serait une erreur stratégique, notamment en ce qui concerne la réduction des engrais et pesticides, la biodiversité et les surfaces consacrées à l'agriculture biologique. L'agroécologie est une solution crédible pour relever les défis.

Ne remettons pas en cause le Pacte vert européen. Les engrais azotés sont une bombe climatique et les pesticides portent atteinte aux pollinisateurs, nécessaires à l'équilibre agricole. Nous attendons une prise de position forte du Gouvernement sur le Pacte vert, ainsi qu'un soutien exigeant au règlement Pesticides à l'étude au niveau européen. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Le recyclage des matières premières est essentiel pour une économie plus durable. Nous dépendons trop de l'étranger pour les batteries par exemple, mais nous souhaitons, avec le règlement lithium, qu'à terme, 90 % du lithium contenu dans les batteries vendues en Europe soit issu du recyclage.

Nous ne sommes pas d'accord sur le nucléaire : il s'agit d'une large part des solutions pour la production d'énergie à bas coût et bas carbone. Ce n'est pas la seule solution, et il faut défendre l'éolien et en particulier l'éolien en mer (M. Jean-François Rapin approuve), mais nous devons rendre la France autonome et accompagner les besoins futurs en électricité.

L'inflation en France est moindre qu'en Europe : la France a mieux protégé les ménages les plus modestes.

Pour ma part, j'ai voté, à l'Assemblée nationale, le Ceta. Il n'a certes pas été ratifié au Sénat, mais il l'a été à l'Assemblée nationale.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.  - Cela ne suffit pas !

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - On peut en faire un bilan provisoire : le Ceta est extrêmement favorable à l'économie française. (M. Fabien Gay proteste.)

M. Joël Labbé.  - (Hors micro) Nous nous entendons sur certains points, mais pas sur d'autres !

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Plan, reconstruire, souveraineté : ces mots sont ancrés dans les politiques publiques menées depuis 2017. La main invisible chère à Adam Smith ne résout pas tout : gouverner c'est prévoir, et prévoir c'est planifier.

Des choix ont été faits dans les années 1980 à 2000, avec les entreprises sans usines : nous voyons ce que cela a donné. Il est temps de reprendre le contrôle de notre destin et de recouvrer notre souveraineté, au niveau tant national qu'européen.

Le RDPI défend cet accroissement d'une souveraineté, fil rouge du Président de la République depuis 2017. (Mme Catherine Morin-Desailly ironise.) Nous devons être non des objets, mais des sujets de l'histoire, en maîtrisant notre avenir.

Les résultats sont tangibles et réels : avec la baisse de la CVAE, la France est la première destination de l'Union européenne en termes d'investissements étrangers, et l'on ouvre plus d'usines qu'il n'en ferme. La concurrence sino-américaine est vaincue pour le site de microélectronique de Crolles, en Isère, qui générera 1 000 emplois d'ici quatre ans.

Cela ne relève pas d'un affichage politique : ces mesures conduiront à une réindustrialisation massive de la France, avec 450 000 emplois industriels à la clé en 2030.

Il serait absurde que l'Union européenne, née par l'économie, ne s'assume pas en tant que puissance et soit l'idiot utile du village global. Des mesures ont été prises grâce à des coopérations poussées et à de nouvelles règles de politique commerciale, qui font que nous ne sommes plus ouverts aux quatre vents. Réciprocité : jadis un gros mot à Bruxelles, nous l'avons remis au goût du jour avec les clauses miroir et l'instrument de réciprocité sur les marchés publics.

Pour l'avenir, les sénateurs du RDPI seront au rendez-vous des recommandations du rapport : il faut explorer notre sous-sol ; nous devons non remettre en cause la stratégie Farm to Fork adoptée six mois avant la guerre en Ukraine - comme le redoute Joël Labbé -, mais trouver des ajustements ; mais aussi maintenir et consolider notre souveraineté nucléaire. Sur l'apprentissage, on atteindra le million de contrats signés, grâce à 5 milliards d'euros libérés dans le prochain budget.

Notre démarche doit être celle de l'intelligence économique : avec Marie-Noëlle Lienemann, nous pensons qu'il faut muscler notre jeu et mieux promouvoir nos intérêts, à l'image de ce qui se fait outre-Atlantique. Nous gagnerons à mener un travail transpartisan à ce sujet.

Des actions ont déjà débuté ; il nous faut accélérer. Après les douze travaux d'Hercule, voici les cinq plans du Sénat.

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Oui, nous pouvons travailler sur l'intelligence économique. Je rappelle que des actions préventives existent, avec le service de l'information stratégique et de la sécurité économique (Sisse) à Bercy. En cas de montée au capital ou même d'intérêt marqué d'investisseurs étrangers, nous pouvons intervenir avec le fonds French Tech Souveraineté pour sauvegarder nos entreprises stratégiques.

Je suis prêt à suivre les efforts que vous mènerez ici. La ligne est fine entre naïveté et protectionnisme : dessinons-la ensemble.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Sur l'intelligence économique, il faut une dynamique interministérielle, au-delà de Bercy, pour donner une impulsion supplémentaire. Je salue votre ouverture à la poursuite du travail.

Mme Florence Blatrix Contat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions) Je salue la qualité du travail de nos rapporteurs.

La pandémie a ramené au premier plan la souveraineté économique. Pour réduire notre dépendance, il nous faut d'abord définir les biens et services stratégiques.

La question de la souveraineté numérique se pose avec acuité. Je travaille avec Mme Morin-Desailly, pionnière en la matière, pour proposer la régulation des marchés, des grandes plateformes ou le renforcement du projet de boussole numérique, qui définit la stratégie européenne jusqu'à 2030.

La dépendance aux acteurs américains et chinois est incompatible avec nos valeurs et notre vision de la démocratie. Pour assurer notre souveraineté, sécurisons nos approvisionnements.

Les aides doivent être mieux ciblées, les institutions européennes doivent mieux protéger et promouvoir les productions européennes dans les accords commerciaux, et contribuer à l'émergence d'écosystèmes sectoriels.

Nous avons besoin d'un cloud européen souverain, d'un euro numérique qui ne soit pas généré par Amazon.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Très bien !

Mme Florence Blatrix Contat.  - Comment le Gouvernement compte-t-il limiter notre dépendance vis-à-vis de ces acteurs extra-européens ?

Il n'est de richesse que d'hommes, disait Bodin. Nous devons tenir compte des difficultés de recrutement du secteur du numérique, à tous les niveaux, du bac pro et du BTS.

Le cloud, l'intelligence artificielle, l'informatique quantique : comment le Gouvernement compte-t-il agir pour fournir à ces secteurs d'avenir les moyens humains nécessaires ? La puissance publique doit montrer l'exemple, je pense notamment au cloud santé.

Enfin, les infrastructures numériques et énergétiques sont complémentaires. Nos entreprises ont besoin d'un approvisionnement électrique stable, avec une visibilité sur les prix. L'indépendance énergétique est un sujet d'actualité : sans elle, pas de politique souveraine. Nous devons flécher les investissements vers les énergies décarbonées. Le projet national d'EDF, désormais 100 % public, sera central et devra être débattu au Parlement et dans le pays.

Le rapport trace un chemin, il nous faut désormais une volonté ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Je préférerais un cloud français ou européen, mais nous n'avons pas à ce stade de fournisseur non américain : Google et Microsoft sont seuls sur le marché.

Dans le cadre du projet de cloud souverain, cher à Bruno Le Maire et Jean-Noël Barrot, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) dresse une véritable muraille de Chine de protection des données européennes.

Enfin, l'apprentissage des mathématiques est essentiel, car nous avons besoin de davantage d'ingénieurs et d'ingénieures.

Mme Florence Blatrix Contat.  - Je ne suis pas convaincue par les modalités de votre cloud souverain. Faisons confiance aux acteurs français et européens, dont beaucoup sont hélas partis à l'étranger.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Très bien !

M. Fabien Gay .  - Au début des années 1990, les libéraux entrevoyaient la fin de l'histoire avec un capitalisme triomphant. La libéralisation de l'énergie, des transports et des communications ferait baisser les prix, l'État ne devait être ni interventionniste ni régulateur. Plus de limite aux profits et à l'exploitation, plus de frontières : il fallait se spécialiser dans les produits à haute valeur ajoutée selon les préceptes de Ricardo.

Serge Tchuruk, président d'Alcatel, rêvait d'une France sans usines. Pendant trente ans, nous avons assisté à notre désindustrialisation.

Mais la crise sanitaire et énergétique nous ramène à une triste réalité : l'arrêt de l'usine du monde,  la Chine, nous a privés de tout, même de biens de première nécessité. Notre affaiblissement est dans toute la chaîne de valeur. Nous dépendons de puces fabriquées à l'autre bout du monde.

Ce drame, nous nous le sommes auto-infligé ! La dérégulation a conduit à l'affaiblissement et à l'abandon de notre souveraineté.

Alors que nous avions tout pour développer le numérique, la France a vendu Alcatel Lucent à Nokia. Nous reproduisons les mêmes erreurs : le Health Data Hub aurait pu être une aubaine pour les développeurs français comme OVH, nous l'avons attribué à Microsoft, sans appel d'offres. Quel message !

Marie-Noëlle Lienemann propose un programme national d'intelligence économique. Sur les intrants alimentaires, faisons le bilan du libre-échange ! Ceta, Mercosur, Nouvelle-Zélande : on importe des produits dopés à des substances interdites dans l'Union européenne. Les efforts de nos agriculteurs ne paieront pas, car les consommateurs achèteront moins cher. Et le Ceta ouvre même la possibilité pour les investisseurs de saisir les tribunaux contre les États.

L'affaiblissement d'EDF au bénéfice d'opérateurs privés a dégradé notre parc nucléaire. Mais il n'y a pas de fatalité : nous pouvons revenir à la souveraineté en relocalisant, en investissant dans les secteurs stratégiques. Dans l'énergie, le numérique, le spatial, la santé, bâtissons, dans la coopération et la solidarité, de grands champions européens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Je reprends une partie de vos reproches : oui, cela fait trente ans qu'on désindustrialise, ou plutôt qu'on désindustrialisait. Mais la tendance s'inverse ; on crée trois fois plus d'usines en 2021 qu'on en détruit, et nous avons créé 50 000 emplois industriels depuis cinq ans. Ce n'est pas rien !

Il ne faut pas jeter le bébé de la concurrence avec l'eau du bain du libéralisme exacerbé. Orange est un grand champion : grâce à la concurrence, nous payons la téléphonie cinq fois moins cher qu'aux États-Unis. Oui, la France sans usines est une chimère. Il nous faut une colonne vertébrale industrielle dans tous les territoires, pour tous.

Ma feuille de route, c'est la réindustrialisation, avec un enjeu de formation, d'attractivité, de collaboration avec les élus, avec 54 milliards d'euros d'ici 2030. Sur l'industrie, nous avons le même maillot !

M. Fabien Gay.  - En tout cas, nous n'avons pas la même passion pour le libéralisme, c'est sûr !

Faisons le bilan de cette libéralisation forcée. Emmanuel Macron a présidé à la vente d'acteurs stratégiques à Nokia et à General Electric. Quant au plan de relance, nous peinons à en voir les effets réels dans les territoires. Vous dites que nous créons des emplois industriels, mais nous continuons à en perdre ! Leur facture énergétique est telle que Duralex ou Arc ne peuvent plus produire et mettent leurs ouvriers au chômage partiel ! Triste réalité du libéralisme...

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc des commissions) J'avais alerté sur la perte de la souveraineté numérique dès un rapport de 2013. Le numérique n'est pas une industrie, mais toutes les industries. Il représente un enjeu stratégique pour notre société. Or des acteurs extraeuropéens se sont imposés et présentent une menace systémique pour nos pays : ingérence, cyberattaques ou encore désinformation.

Il aura fallu la crise sanitaire pour en prendre conscience. Câbles, data centers, logiciels : le cloud représente des milliers d'emplois à très haute valeur ajoutée, mais le secteur est cannibalisé par des entreprises étrangères que nous continuons à encourager.

Du sursis au sursaut, du nom d'un autre de mes rapports sur la formation, reconquérons le numérique et régulons enfin le marché vers plus d'équité et de loyauté. Il faut protéger la donnée, actif stratégique, mais cette dimension est peu présente dans la boussole numérique. Quid du financement ? Des modalités ?

Il y a aussi les plans de relance : la commande publique doit être le premier levier vers un cloud européen. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

Depuis 2013, je plaide pour un Small Business Act à la française pour soutenir les technologies innovantes. Or la doctrine de responsabilité est inexistante aujourd'hui : il faut structurer le dialogue entre l'État actionnaire et les acteurs français du cloud. Cessons de dénigrer nos entreprises, comme l'ancien secrétaire d'État Cédric O, qui a confié nos données les plus sensibles à Microsoft ! Nous avons entendu le changement de discours de M. Le Maire, mais il faut aller plus loin.

Le récit de trois décennies de retard est insupportable et inexact. Nos entreprises se rebiffent : elles ont raison. Récemment, Hexatrust et Euclidia ont porté des revendications pour un cloud européen. Passons de la start-up nation au plan d'investissement de l'infrastructure nation. (Applaudissements sur le banc des commissions)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - La start-up nation, est-ce si mal ? Cela représente tout de même un million d'employés. La French Tech est un vrai succès. En attendant un champion français, la muraille de Chine protège nos données, en suivant les observations de l'Anssi. La French Tech, c'est 8 milliards d'euros de fonds levés cette année, dix fois plus qu'en 2017 ! Ce n'est pas rien !

Nous visons un objectif de 1 500 start-up industrielles, et de 100 nouvelles usines par an. Soyons fiers de la French Tech et de la start-up nation, c'est un moteur !

Les achats publics sont un élément essentiel de ma mission. Dans le cadre de France 2030, 50 % des 54 milliards d'euros doivent aller à nos PME ; elles répondent aux appels d'offres, et nous les aidons à innover.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Oui, la start-up nation représente des emplois. Mais à quoi bon si in fine, ces start-up sont vite rachetées, faute de plan de développement et d'infrastructures ?

Je l'ai dit et je le redis : la législation américaine fait que, sans privacy shield, nos données les plus sensibles sont fragilisées, quoi que fasse l'Anssi. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.) Plutôt que d'acheter des licences coûteuses, investissons dans les entreprises qui existent déjà pour construire progressivement cet écosystème.

Des entreprises demandent à vous rencontrer et à jouer leur partition. (Mme Florence Blatrix Contat applaudit.)

M. Stéphane Ravier .  - Je félicite les rapporteurs pour leurs propositions précises et leur travail de qualité. Pourvu que les actes suivent les rapports, monsieur le ministre !

Souveraineté vient du latin superus, qui signifie dessus : pour vous, c'est l'Union européenne qui est au-dessus, et c'est là que le bât blesse. Car pour notre Constitution, la souveraineté appartient au peuple et ne se partage pas. Le rapport aurait dû parler de la souveraineté économique française, incompatible avec le projet fédéraliste européen.

Les partisans de la mondialisation ont ridiculisé ce terme de souveraineté sans prendre la mesure de notre effondrement. Nous sommes devenus dépendants de l'étranger avec un déficit commercial de 71 milliards d'euros au premier semestre 2022. C'est la cigale et la fourmi à l'échelle de la nation !

Le rapport ne questionne pas notre soumission juridique à l'Union européenne. Sous couvert de libéralisme, à l'État stratège a succédé l'État obèse, trop impotent pour investir dans les secteurs clés. La Première ministre entend reconquérir la souveraineté : c'est l'aveu qu'elle a été perdue.

Notre pays est passé de deuxième à cinquième exportateur mondial et nous importons 50 % de nos denrées alimentaires, alors que la Chine et les États du Golfe rachètent des pans entiers de nos territoires.

Il faut un pouvoir régalien souverain pour endiguer la voracité des Gafam et combattre les vues des hyperpuissances privées sur nos données personnelles. Puisse la crise nous permettre de retrouver un véritable État stratège, indispensable à la reconquête de notre souveraineté.

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Monsieur Ravier, s'il est un sujet sur lequel nous divergeons, c'est le rapport à l'Union européenne. Elle n'est pas parfaite, mais si vous aviez été élu il y a trente ans, nous n'aurions pas l'euro ; si votre candidate avait été élue il y a cinq ans, nous en serions sortis... et serions aujourd'hui dans la même situation que les Britanniques ! Sans l'Europe, pas de plan de relance européen, d'achat groupé de vaccins, de réaction unifiée à la crise ukrainienne. Je suis fier que la France s'inscrive dans ce cadre européen de coopération.

Nous défendons les libertés - sans doute plus que vous ne le feriez -, nous renforçons l'autonomie et nous protégeons les Français depuis cinq ans. Nous n'avons pas à rougir de notre réponse à l'inflation et de notre bilan face à la crise sanitaire. Heureusement que notre président était à la manoeuvre, et pas le vôtre !

M. Henri Cabanel .  - Souveraineté économique en France et en Europe ; les rapporteurs ont ouvert un vaste débat. Indépendance, emploi, formation, savoir-faire, expertise sont autant d'enjeux.

La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ne sont pas à l'origine de tous les maux ! Pourtant, on accuse soit l'une, soit l'autre... Les Français ont conscience d'être bernés, alors que les décideurs n'assument pas les fautes du passé. L'absence de masque a révélé une absence d'anticipation et de culture de la prospective. Notre indépendance énergétique, industrielle et agricole s'est étiolée face à l'appel des sirènes de la délocalisation.

Nous ne voulons pas jeter la pierre, mais l'apporter à l'édifice.

En matière commerciale, l'Union européenne devra montrer sa détermination en protégeant la compétitivité de ses entreprises face aux pays émergents qui nous submergent. À quand le débat sur le Ceta ?

Ensuite, l'approvisionnement : protéines végétales, substances chimiques ou métaux critiques, la France importe plutôt que de produire. Nous le payons au prix fort.

Sur la protection de nos entreprises, notre expertise médicale et scientifique est riche, mais, découragés par la lourdeur des procédures, beaucoup d'entreprises s'expatrient. Il faut des simplifications administratives. J'ai réuni des chefs d'entreprise de différents secteurs, qui ont pointé du doigt des problèmes précis. Oublions les effets d'annonce. Sortons les sachants de leurs bureaux, qu'ils aillent dans les champs, les entreprises et les laboratoires !

Pour l'énergie, l'absence de prospective est criante. Nous votons 40 % d'énergies fossiles en moins d'ici à 2030, mais rouvrons dans l'urgence nos centrales à charbon alors que la moitié des réacteurs sont fermés...

Sur le numérique, l'Union européenne ne doit plus dépendre des Gafam.

Enfin, sur les métiers de demain, formation et orientation scolaire sont fondamentales.

Nous partageons les constats de ce rapport et attendons du Gouvernement une application attentive. Bercy ne doit pas décider seul : au politique de gouverner, sinon la France perdra le peu de souveraineté qui lui reste. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions ; M. Joël Labbé applaudit également.)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Quand je me compare, je me console ! Nous avons trop tendance à battre notre coulpe. Certes, nous n'avions pas anticipé la crise sanitaire, mais nous pouvons être fiers de la façon dont nous l'avons surmontée.

Ce rapport m'a plu, car il se tourne vers l'avenir et la réindustrialisation. Chaque semaine, je visite des usines et des entreprises dans les territoires. Certaines vont bien, d'autres, comme Arc ou Duralex, souffrent. Il faut les accompagner et aider les secteurs d'avenir à se développer.

Sur les simplifications administratives, je vous rejoins. Avec Bruno Le Maire, nous réfléchissons à l'opportunité de passer par la loi pour simplifier les installations industrielles. En attendant, j'ai demandé à cartographier le foncier partout en France.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission.  - Enfin !

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Nous travaillons avec les collectivités territoriales pour identifier des sites industriels clé en main, partout et pour tout.

M. Henri Cabanel.  - Ayons la culture de la prospective ! Il a fallu tous ces événements pour voir à quel point la France est dépendante. J'ai insisté sur la simplification, mais nous devons aussi évaluer les politiques mises en place et corriger les erreurs pour ne plus les répéter.

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - C'est vrai.

M. Serge Babary .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc des commissions) Le constat alarmant dressé par nos rapporteurs confirme les inquiétudes que nous exprimons, au sein de la commission des affaires économiques, depuis de nombreuses années. Notre économie est de plus en plus vulnérable et dépendante.

Je mettrai l'accent sur la souveraineté financière.

En matière de contrôle des investissements étrangers dans nos secteurs stratégiques, la loi Pacte a posé des jalons, mais nous devons aller plus loin en abaissant les seuils et en élargissant les contrôles à de nouveaux secteurs. Par ailleurs, nous devons protéger nos PME autant que nos sociétés cotées.

Selon le Mouvement des entreprises intermédiaires, 40 % de nos ETI ont été approchées par un fonds de pension dans le contexte de la pandémie. Pour nous prémunir contre cette prédation, nous devons renforcer la commande publique, l'ouvrir aux PME et soutenir les entreprises innovantes.

Il faut aussi favoriser le maintien de nos ETI sur les territoires en modernisant la transmission. Il s'agit d'un enjeu essentiel, alors que la moitié sont des entreprises familiales et qu'un quart des chefs d'entreprise ont plus de 60 ans. Je souscris à l'objectif du Gouvernement de faire émerger 500 nouvelles ETI dans les prochaines années, mais la question de la transmission reste entière.

Sur ces différents enjeux de souveraineté financière, nous avons besoin de réformes structurantes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc des commissions)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Vous trouvez ce rapport alarmant, je le trouve motivant. Les constats dressés, sévères mais justes, peuvent permettre d'aller de l'avant. La France a des atouts et, grâce aux mesures prises ces dernières années, nous avons déjà inversé certaines tendances.

Quand j'ai commencé ma carrière à Bercy, voilà trente ans, la politique industrielle était un gros mot : il n'y en avait que pour la politique macroéconomique ou la politique monétaire. La situation est bien différente désormais.

N'oublions pas que l'attractivité de la France fait partie de ses atouts. Vous parlez des fonds de pension, mais chaque semaine je rencontre des investisseurs opérationnels, américains ou asiatiques, qui souhaitent investir en France. Il faut le garder à l'esprit. La loi Pacte établit un bon équilibre ; le seuil de 10 % doit être évalué avant d'être pérennisé.

J'ai été pendant dix ans le numéro 2 d'une grande caisse de retraite québécoise, gros investisseur dans les PME et ETI du Québec. Il y a BPI France, mais nous manquons d'une grande initiative impliquant les investisseurs français. L'initiative Tibi va dans ce sens. Il nous faut trouver du capital de long terme, sans doute pas auprès de fonds de pensions à la française - je dis cela pour réveiller M. Gay...-, mais, par exemple, auprès des assureurs.

M. Serge Babary.  - Quand on sonne l'alarme, c'est pour préparer l'avenir. Nous relayons aussi ce que nous entendons sur nos territoires.

Les PME et ETI sont un peu laissées de côté. Les chefs d'entreprise ont le sentiment que les facilités bénéficient plutôt aux grandes entreprises. En Allemagne et en Italie, où nous nous sommes rendus, les entreprises travaillent en meute : c'est ce que nous devons développer.

M. Sebastien Pla .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions) Avec 80 milliards d'euros de chiffre d'affaires, l'agriculture française est la première en Europe. Mais cette donnée flatteuse cache d'inquiétantes évolutions : l'excédent de notre balance agricole repose sur la production vinicole, la moitié de nos produits agricoles sont importés, nous dépendons de l'étranger à 45 % pour les protéines végétales.

Depuis vingt ans, la production agricole recule. Nous avons perdu 25 % de parts de marché, et 10 000 exploitations agricoles disparaissent chaque année. Le métier n'attire plus, en raison des difficultés d'accès aux services publics, à la santé et au numérique en zone rurale, mais aussi de la faiblesse des revenus de ceux qui travaillent la terre. Les aides de la PAC, décorrélées de toute valeur ajoutée, assurent la majeure partie de leur revenu.

Nous devons redoubler de vigilance sur l'origine et la qualité des produits distribués. Des clauses miroirs dans les accords de libre-échange doivent être mises en place, de même qu'une taxe carbone aux frontières de l'Europe. On demande aux producteurs français de réaliser un exploit : adopter des pratiques durables coûteuses tout en rivalisant avec l'agriculture intensive, notamment américaine... C'est impossible !

De nouvelles politiques alimentaires et agricoles s'imposent. Nous devons faciliter le travail des exploitants, favoriser l'agroécologie et répondre à la pénurie de main-d'oeuvre. Nous devons réorganiser l'ensemble de la filière et cesser de surtransposer les normes européennes.

La France exporte des animaux entiers, des pommes de terre et du blé, mais importe de la viande découpée, des chips et de la farine : ce n'est pas logique.

Nous devons mener une politique de patriotisme alimentaire, sans oublier les capacités de transformation, indispensables pour trouver de nouveaux débouchés. N'oublions pas l'importance d'être fort sur le marché intérieur pour être compétitif à l'extérieur. Agissons, car le secteur agricole est en grand danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur le banc des commissions)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Mon collègue Marc Fesneau répondrait mieux que moi à vos remarques... D'ores et déjà, plus de 600 millions d'euros ont été dépensés dans le cadre de France Relance en faveur de la souveraineté alimentaire, et nous avons réduit de 5 % notre dépendance aux protéines végétales.

Faut-il fermer les frontières et entrer dans une logique d'autosuffisance ? Je ne le crois pas. L'agriculture française peut retrouver des couleurs à l'international, à condition d'investir et de travailler à être mieux identifiée. Partout dans le monde, on trouve dans les supermarchés un rayon italien ; la marque France n'est pas aussi bien mise en valeur, alors que les mêmes supermarchés vendent du Bordeaux ou du camembert.

M. Sebastien Pla.  - Nous avons de moins en moins d'agriculteurs, et notre excédent agricole repose en réalité sur les produits vinicoles. Quid des produits alimentaires ? Nous devons réduire l'impact carbone lié aux importations en même temps que notre dépendance aux marchés extérieurs.

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Le numérique est un enjeu incontournable. Je l'aborderai pour ma part dans sa dimension spatiale. En la matière, les cartes ne sont pas jouées et une souveraineté européenne demeure possible, comme l'a compris Thierry Breton.

Nos commissions des affaires économiques et des affaires européennes s'intéressent à la constellation européenne de satellites, essentielle pour des usages militaires mais aussi commerciaux : chirurgie, guidage et même couverture des zones blanches outre-mer.

La préférence européenne doit nous guider : les satellites devront être déployés par des lanceurs européens, depuis des bases européennes. Il s'agit de maîtriser nos télécommunications et de booster les industries européennes.

M. Jean-François Rapin.  - C'est cela, la souveraineté !

Mme Anne-Catherine Loisier.  - Il faut soutenir nos industries historiques et faire émerger les start-up du New Space, tout en soutenant les technologies numériques émergentes, comme le quantique.

La constellation autonome de satellites est une brique essentielle au modèle économique européen du XXIe siècle. Cette préférence européenne ne se fera pas sans engagement de l'industrie européenne, qui devra tenir la cadence et accueillir les nouveaux flux de connectivité. Nous devons faire vite : 2 700 satellites Starlink sont déjà sur orbite, 200 pour OneWeb et ceux d'Amazon vont être lancés par Ariane.

Par ailleurs, disposons-nous d'un rempart face la menace de l'extraterritorialité du droit américain qui pèse sur nos fleurons, du seul fait qu'ils réalisent des transactions en dollars ?

Je salue le travail de nos collègues, qui soulignent avec réalisme nos faiblesses comme nos atouts. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Le moment que je craignais est arrivé : je n'ai pas de réponse satisfaisante à vos questions... (Sourires) Plusieurs projets de constellation existent en Europe, dont un de Thales. La Commission européenne a également lancé un projet. Je m'engage à vous répondre précisément par écrit rapidement.

M. Jean-François Rapin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il est urgent de reconquérir notre souveraineté économique. La France ayant accepté de partager sa souveraineté avec les autres États membres de l'Union, cette reconquête se joue largement à l'échelle européenne.

Il aura fallu attendre la pandémie et le conflit ukrainien pour comprendre la menace pesant sur notre souveraineté. De ce point de vue, les deux électrochocs ont été salutaires.

La feuille de route tracée par les vingt-sept à Versailles en mars dernier ouvre un chantier au long cours. L'Union européenne en a fini avec la naïveté, enfin. Elle réarme ses politiques avec tous les outils dont elle dispose. Des projets importants d'intérêt européen commun ont été lancés, en dérogation aux règles sur les aides d'État, pour promouvoir l'innovation dans les batteries, le cloud ou l'hydrogène. L'Europe doit redevenir le leader mondial des semi-conducteurs.

La présidente von der Leyen promet de nouvelles actions. Textes majeurs de régulation du numérique, le DMA et le DSA constituent aussi des éléments de reconquête.

Un règlement sera bientôt adopté pour protéger le marché intérieur de la concurrence déloyale liée aux aides étrangères, tandis qu'un cadre commun a été mis en place pour filtrer les investissements étrangers.

Il faut aller plus loin, car une nouvelle vague de désindustrialisation, liée au coût de l'énergie, menace de freiner le rebond consécutif à la crise sanitaire.

L'Union européenne doit reconnaître le nucléaire comme pièce majeure de la transition énergétique. À cet égard, nous subissons le choix de nos voisins de produire leur électricité à partir du gaz, choix qui nuit à nos émissions, à notre compétitivité et à notre indépendance. Je salue le tournant à 180 degrés du Gouvernement sur le nucléaire.

En matière agricole, il ne faut pas sacrifier notre compétitivité sur l'autel de la transition écologique. Nous ne pouvons soutenir un projet de décroissance agricole.

En matière bancaire et financière, il nous faut consolider le dernier pilier de l'Union bancaire en construisant un système européen de garantie des dépôts.

Nous portons la voix de la France à Bruxelles et ne comptons sur le Gouvernement pour faire de même. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Je souscris à l'intervention de M. Rapin à 98,5 %. (Sourires)

Je remercie à nouveau les trois rapporteurs pour leur travail.

Dans cet hémicycle comme dans l'autre, à gauche comme à droite, à votre place comme à la mienne, nous portons tous le même maillot. Je ne parle pas de ceux qui, à l'extrême droite et à l'extrême gauche, n'aiment pas l'entreprise, soit qu'ils la méconnaissent, soit qu'ils aient, depuis des années, bâti leur succès sur le déclin de notre industrie.

La plupart des recommandations sont dans notre feuille de route. Une clarification, toutefois : oui à la protection, non au protectionnisme ! Nous devons pouvoir conquérir des marchés dans une logique de réciprocité loyale - c'est à juste titre que plusieurs d'entre vous ont insisté sur ce dernier terme.

Nous sommes attractifs pour les investisseurs internationaux. Choose France est un succès, et nous allons accélérer.

Nous parlons régulièrement de la commande publique. Nous avons voté des dispositions concrètes dans les lois Pacte, Asap et Climat- Résilience. Il faut les appliquer et rassurer les acheteurs publics. Oui, il faut acheter durable, innovant et local en circuits courts. Cela commence à ressembler à acheter français... Nous avons mobilisé la direction des achats de l'État et rencontré l'Union des groupements d'achats publics ; nous allons accélérer la formation.

Grâce à l'action menée depuis cinq ans, nous avons autant d'apprentis que l'Allemagne. Il faut aller plus loin et donner envie aux jeunes de rejoindre l'industrie.

La crise de l'énergie agit comme un nouveau choc pétrolier. Je le redis, l'industrie française ne sera pas la victime collatérale de la guerre en Ukraine. Mon rôle est de protéger nos entreprises et les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés, dans les régions, sont là pour les accompagner.

La charte signée ce matin avec les distributeurs d'énergie bénéficiera notamment à nos PME.

C'est la fin de l'énergie abondante : c'est pourquoi nous devons guérir notre industrie de sa dépendance aux hydrocarbures. La décarbonation sera notre nouveau fer de lance.

Enfin, France Relance et France 2030 portent les moyens de notre offensive stratégique, avec 50 000 emplois industriels nets créés depuis 2017. La désindustrialisation a été le fruit d'une cécité collective depuis trente ans : la réindustrialisation sera celui de notre vision commune. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE) Je vous remercie de ces échanges qui nous permettent de partager et d'approfondir les conclusions de notre rapport. Il est urgent, et même urgentissime, de définir une stratégie de l'énergie. Malgré vos paroles optimistes, monsieur le ministre, je ne vois pas de preuve de votre engagement.

Je déplore aussi que vous nous ayez fait légiférer dans la panique et dans le désordre : quinze jours cet été pour examiner le texte sur le pouvoir d'achat, ce n'est pas sérieux. En outre, il aurait fallu examiner d'abord une loi de programmation de l'énergie, et ensuite seulement des lois d'exécution. (Mme Catherine Morin-Desailly approuve.)

La politique de l'énergie ne s'improvise pas : elle exige vision, courage, constance et anticipation. La relance de la politique nucléaire reste au milieu du gué et la reconversion préélectorale du président n'y a rien changé. Les annonces de Belfort restent insuffisantes : ce n'est pas de six, mais de quatorze réacteurs dont nous avons besoin. Et la nécessité de développer l'hydrogène issu du nucléaire n'a pas été annoncée. Sur le nucléaire, il faut des moyens financiers et humains, mais aussi une perspective positive.

Sur le renouvelable, le Sénat vous presse d'agir depuis longtemps. Depuis 2020, notre commission a fait adopter trente mesures de simplification, dans les domaines de l'hydrogène, du biogaz, de l'éolien, du photovoltaïque.

Nous évoquons dans ce rapport deux impensés du renouvelable : le stockage et la dépendance minière. Ce débat d'experts doit enfin être partagé avec les citoyens. Il est certes important de recycler, mais posons-nous la question de l'extraction du lithium en France, et des conditions sociales et environnementales de cette extraction.

La prise de conscience est là. Nos vulnérabilités ne sont plus un tabou, et le débat est le préalable à la reconstruction. La souveraineté n'est ni repli, ni contrainte, ni décroissance, ni source de division, mais d'espoir, et c'est une affaire européenne.

Notre assemblée sait transcender les différences politiques comme le montre ce rapport rédigé à six mains et adopté à l'unanimité de notre commission. C'est un projet pour refaire société.

Je formule le voeu que vous continuiez à associer le Parlement, vous qui connaissez la vertu du débat parlementaire. Cela n'a pas toujours été le cas comme le montrent la tartuferie de la privatisation d'ADP et la vente des chantiers de l'Atlantique.

Le Sénat est prêt à s'engager pour notre souveraineté : j'espère que le Gouvernement saura être à l'écoute. (Applaudissements)

Prochaine séance demain, jeudi 6 octobre 2022, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 40.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 6 octobre 2022

Séance publique

À 10 h 30 et 14 h 30

Présidence : Mme Nathalie Delattre, vice-présidenteMme Valérie Létard, vice-présidente

Secrétaires : M. Joël Guerriau - Mme Françoise Férat

1. Vingt-neuf questions orales

2. Débat sur les conclusions du rapport « Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France » (Demande de la mission d'information « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l'erreur française »)

3. Débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l'organisation des soins de demain sur nos territoires ? » (Demande du RDPI)