Orientation et programmation du ministère de l'intérieur (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer .  - Ce projet de loi d'orientation et de programmation est très important pour le ministère de l'intérieur et l'ensemble des services concourant à la sécurité des Français. La sécurité, il faut d'ailleurs l'entendre au pluriel : lutte contre la délinquance, sécurité civile, cybersécurité. Ce texte porte également sur l'organisation des services de l'État dans les préfectures et sous-préfectures.

Plus de 15 milliards d'euros supplémentaires sont prévus sur cinq ans - une programmation déjà concrète, puisque le projet de loi de finances pour 2023, examiné par l'Assemblée nationale en ce moment même, est en phase avec elle.

Il n'y a pas de précédent à cette Lopmi. Certes, nous avons connu des lois d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) : la première introduisant la vidéosurveillance - Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur -, la deuxième mettant en oeuvre la révision générale des politiques publiques - Nicolas Sarkozy était Président de la République. Mais le ministère de l'intérieur n'a jamais bénéficié d'une programmation permettant de réfléchir à tous les enjeux d'aujourd'hui et de demain.

Nous prévoyons des stratégies et des moyens sur cinq ans pour répondre à cinq crises.

La première, persistante, est la crise terroriste. La menace demeure extrêmement prégnante sur notre sol. Plus de 39 attentats ont été déjoués depuis 2017. La menace se modernise et se technologise. Les attentats de demain seront commis, par exemple, au moyen de drones chargés d'explosifs.

Face à cette menace, le texte engage des moyens extrêmement importants. Je pense en particulier à la mise en oeuvre du réseau radio du futur, réseau unique remplaçant l'actuel système, éculé, et qui fonctionnera indépendamment des attaques terroristes. À cet égard, le Gouvernement a déposé un amendement visant à inscrire dans le texte les mesures qui devaient initialement être prises par ordonnance. Plusieurs sociétés françaises ont remporté le marché public, dont Airbus.

La deuxième crise est celle de l'ordre public. Les manifestations de papa, l'époque où le ministre ou le préfet s'accordait avec un service d'ordre, y compris pour des cortèges très nombreux, c'est terminé. Les manifestations sont devenues plus spontanées, moins déclarées, plus difficiles à chiffrer ; elles sont aussi plus dispersées sur le territoire, comme on l'a vu au moment des Gilets jaunes.

Nos services de renseignement étaient peu préparés à affronter ce phénomène, qui n'est pas propre à la France. Par ailleurs, nous avons trop peu de forces spécialisées dans l'ordre public : quinze escadrons de police et de gendarmerie ont été supprimés ces vingt dernières années. C'est ainsi que, lors de la crise des Gilets jaunes, les policiers municipaux ont parfois dû être mobilisés. Cette insuffisance d'agents aguerris a entraîné de graves difficultés pour les policiers eux-mêmes et pour les manifestants. Ma tâche est qu'il soit possible de manifester en toute sécurité, quand bien même il s'agit d'une manifestation contre les policiers.

Nous recréons donc onze escadrons, sept de gendarmerie mobile et quatre unités de CRS. Il s'agit aussi de faire face aux difficultés en outre-mer, où ce sont les gendarmes mobiles qui interviennent. En Nouvelle-Calédonie, à Mayotte ou en Guyane, par exemple, la puissance publique a besoin de plus de moyens humains.

Nous entendons professionnaliser davantage encore le maintien de l'ordre. Nous devons notamment être prêts pour le grand rendez-vous des jeux Olympiques de 2024.

La troisième crise à laquelle nous devons faire face est la crise cyber. La prochaine pandémie sera sans doute cyber. Les attaques se multiplient contre nos entreprises, y compris les petites, nos collectivités et nos services publics. Certaines sont le fait d'États menant une guerre qui ne dit pas son nom, d'autres de groupes terroristes ou délinquants. Songez que 50 % des escroqueries sont déjà cyber ! Cette proportion n'était que de 15 % il y a deux ans... Dans peu de temps, elle atteindra quasiment 100 %.

Au cours des jeux Olympiques de Tokyo, qui n'ont pourtant pas drainé un large public dans le contexte du covid, quelque 4 milliards de cyberattaques ont été constatées. Dans notre pays, la Coupe du monde de rugby et les jeux Olympiques entraîneront sans doute des dizaines de milliards de cyberattaques. Nous devons nous préparer à un scénario noir : une attaque terroriste par drone combinée à une attaque cyber visant nos hôpitaux, avec peut-être des milliers de morts.

Sur les 15 milliards d'euros de crédits supplémentaires que je sollicite du Parlement, 8 milliards sont consacrés à la cybersécurité. Il faut que la voiture numérique du gendarme aille aussi vite que celle du voleur.

La quatrième crise que nous affrontons est celle des violences, en particulier des atteintes aux personnes. Leur augmentation touche l'ensemble des pays occidentaux, même si je me réjouis de la baisse récente constatée dans notre pays, une baisse à deux chiffres en région parisienne.

Cette crise est liée aussi à une baisse des moyens d'investigation. Nous mettons beaucoup plus de policiers et gendarmes sur la voie publique, et les interpellations augmentent. Mais il faut aussi des moyens pour enquêter. Or nous manquons d'environ 5 000 officiers de police judiciaire (OPJ). Lorsque les Français, et parfois les policiers eux-mêmes, se plaignent qu'une personne n'est pas condamnée pour un vice de forme, le ministère de l'intérieur doit aussi balayer devant sa porte et fournir à la justice des procédures irréprochables.

Je précise que le ministre de l'intérieur n'a pas le pouvoir d'affecter d'autorité des OPJ, seulement d'ouvrir des postes. Nous ne pouvons forcer personne à postuler.

Des améliorations révolutionnaires sont prévues par ce texte : un policier pourra passer directement le bloc OPJ, sans attendre trois ans après sa sortie d'école, et un OPJ à la retraite pourra prêter main-forte aux équipes.

Dans la même logique, nous créons des assistants d'enquête, à l'image des greffiers qui secondent les magistrats. Ils aideront les policiers, qui actuellement se chargent de tout : accueillir le gardé à vue, appeler le médecin, répondre aux sollicitations de l'avocat et aux interrogations du procureur, faire des photocopies, taper à l'ordinateur - lorsque l'ordinateur fonctionne...

Nous préférons aider les policiers à remplir le formalisme nécessaire de la procédure plutôt que d'alléger cette dernière, comme le préconisent les démagogues. Les 3 000 postes que nous créons seront occupés par des fonctionnaires administratifs du ministère, qui monteront en compétences. Cette mesure révolutionnera le travail des OPJ.

En ce qui concerne les amendes forfaitaires délictuelles, vous m'aviez interrogé il y a quelques mois sur l'efficacité de l'amende pénale prévue en cas de consommation de stupéfiant, craignant une banalisation de l'infraction.

Comme nombre d'entre vous, j'ai été maire. Un soir que j'accompagnais les policiers dans le métro de Tourcoing, nous voyons un homme fumer un joint de cannabis. Le commissaire me demande : on fait comme d'habitude ou parce que vous êtes là ? Je réponds : comme d'habitude. Le joint est écrasé par terre, mais l'homme n'est pas interpellé... Les policiers m'expliquent que la procédure aurait été beaucoup trop lourde, pour que finalement le procureur leur dise ne pas pouvoir s'en occuper.

Une réponse possible est de légaliser.

M. Guy Benarroche.  - Et voilà !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Ce n'est pas la position du Gouvernement. (On s'en félicite sur plusieurs travées à droite, tandis qu'on ironise sur les travées du GEST.)

M. Loïc Hervé, rapporteur.  - Très bien !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - L'autre réponse, c'est l'amende forfaitaire. Elle permet d'apporter une réponse pénale, laquelle ne saurait se limiter au rappel à la loi. Depuis septembre 2020, 260 000 amendes ont été délivrées, avec un taux de recouvrement très élevé.

Grâce à cette mesure, policiers et gendarmes peuvent aussi contrôler l'identité de personnes troublant la tranquillité publique. Une autre amende forfaitaire est d'ailleurs en cours d'expérimentation, pour le délit d'occupation illicite d'un hall d'immeuble. Dans les Bouches-du-Rhône comme en Seine-Saint-Denis, cela fonctionne. Il ne s'agit pas de rendre la sanction pénale moins dure, mais de la rendre plus certaine. Condamner à des peines de prison qui ne sont jamais purgées ne sert pas la force de la loi...

C'est pourquoi une simplification d'envergure de la procédure pénale est prévue, consistant à transformer en amendes forfaitaires l'ensemble des peines de prison inférieures à un an, dont nous savons qu'elles ne sont pas exécutées. Le Conseil d'État a estimé que nous visions trop large. Nous nous rangeons à la position du rapporteur Loïc Hervé, consistant à dresser une liste d'infractions.

Le Sénat a enrichi le texte en ce qui concerne les rodéos et les atteintes aux élus.

Le garde des sceaux vous présentera prochainement les conclusions des États généraux de la Justice. Je ne me substituerai pas à lui : d'abord parce que ce n'est pas mon rôle, ensuite parce que vous seriez déçus...

Enfin, nous devons affronter la crise climatique. Notre modèle de sécurité civile, résilient et fondé sur des pompiers valeureux et un système de volontariat, est confronté à deux problèmes : les pompiers sont de plus en plus sollicités hors de leur domaine de compétence, par exemple pour pallier l'absence de médecin, et les crises climatiques, comme les mégafeux, ne font que commencer. Cet été, les feux ont été nombreux au nord de la Loire - Jura, Vosges, Finistère... -, dans des territoires où les pompiers n'étaient pas habitués à ces situations. Les phénomènes extrêmes comme Irma à Saint-Martin ou les crues dans la vallée de la Vésubie vont se multiplier. Cet été, le taux d'humidité était inférieur à 10 % dans les forêts de Gironde...

C'est pourquoi nous renouvelons notre flotte d'hélicoptères et renforçons les pouvoirs du préfet en cas de crise exceptionnelle.

J'aurai l'honneur de vous présenter en janvier prochain un texte sur l'immigration ; cette politique n'est donc pas négligée, mais nous avons tenu, comme le Sénat le souhaite, à soumettre aux parlementaires des textes resserrés - même si ce texte s'accompagne d'un long rapport annexé.

Nous poursuivons ainsi le réarmement du ministère de l'intérieur : 200 brigades de police et gendarmerie seront recréées, et une agence unique du numérique verra le jour dans un ministère naguère un peu arriéré dans ce domaine... En outre, pour la première fois depuis dix-sept ans, nous recréons des postes dans les sous-préfectures et les préfectures ; ces agents apportent une aide essentielle aux collectivités territoriales en matière d'ingénierie.

Je remercie le Parlement, qui a toujours soutenu, de façon quasi unanime, les forces de l'ordre et de sécurité civile. J'ai la responsabilité de diriger en votre nom des femmes et des hommes qui prennent des risques quotidiens pour nous protéger. Je me dois d'évoquer les 17 enterrements que j'ai présidés et les 3 400 agents blessés depuis le début de l'année. L'action de l'État, c'est celle de femmes et d'hommes de terrain qui risquent leur vie. Faisons de notre mieux pour les protéger. (Applaudissements sur les travées du RDPI, sur de nombreuses travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

Mme la présidente.  - Monsieur le ministre, je vous souhaite au nom de mes collègues un joyeux anniversaire... qui est aussi un changement de décennie ! (Applaudissements à droite, au centre et sur quelques travées du groupe SER)

Je déclare clos le scrutin pour l'élection d'un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois .  - La présence du ministre à nos côtés le jour de ses 40 ans est une marque de considération... Si le rapport annexé compte 90 pages, 115 amendements ont été déposés sur l'article premier : nous passerons donc ensemble une belle soirée d'anniversaire ! (Sourires)

Nous nous associons à l'hommage que le ministre vient de rendre aux forces de l'ordre.

La genèse de ce texte est longue : il fait suite au Livre blanc de la sécurité intérieure et au Beauvau de la sécurité, suivis avec compétence par notre collègue Henri Leroy.

Par rapport au projet de loi déposé en mars dernier, le texte que nous avons reçu est plus resserré.

Ministre délégué auprès de Jean-Louis Borloo, j'ai présenté une loi d'orientation et de programmation : je mesure donc l'importance d'un tel texte, qui engage l'État pour cinq ans. Il faut espérer que la programmation financière ne soit pas détricotée au jour le jour par Bercy... Au total, 15 milliards d'euros de crédits supplémentaires sont prévus, notamment, comme le ministre l'a expliqué, pour la digitalisation, la numérisation et l'intelligence artificielle.

La commission a entendu que la réforme de la police nationale tienne compte des spécificités de la police judiciaire (PJ), qui doit rester sous l'autorité fonctionnelle du procureur. Il serait utile d'envisager une organisation zonale, au-delà des limites départementales. La mission d'information créée au sein de la commission des lois présentera des préconisations à cet égard.

Sur l'initiative du groupe SER, nous avons insisté sur l'accessibilité des démarches dématérialisées notamment pour les personnes en situation de handicap.

Nous soutenons la politique du Gouvernement en matière d'investissement dans les nouvelles technologies.

En ce qui concerne le recours à la visioconférence pour la prise de plainte, il s'agit d'une simple faculté. Notre commission a d'abord considéré qu'elle ne pouvait concerner que les atteintes aux biens. Le ministre souhaite l'élargir à certaines atteintes aux personnes. Nous nous en remettrons à la sagesse du Sénat, mais, à titre personnel, je dois dire que le ministre m'a convaincu.

La commission a amélioré la réponse pénale en matière d'atteintes aux élus et de refus d'obtempérer, en hausse de respectivement 57 et 17 % sur un an, ainsi que de rodéos urbains.

Les groupes CRCE, SER et GEST ont déposé un très grand nombre d'amendements. La commission s'est efforcée d'être cohérente avec ses positions passées. Sur la formation des policiers et gendarmes, elle considère qu'il faut attendre les résultats de la mission d'information lancée par le président Buffet. C'est pourquoi nous ne donnerons que peu d'avis favorables aux amendements déposés... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC ; M. François Patriat applaudit également.)

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Pascal Allizard et Jérôme Bascher applaudissent également.) L'article 5, relatif au réseau radio du futur, et les articles 7 à 16 ont été approuvés dans leur ensemble : ils simplifient la procédure pénale et dotent nos forces de nouveaux outils juridiques.

Toutefois, la commission a modifié les dispositions touchant aux amendes forfaitaires délictuelles, en réintégrant certains éléments figurant dans la première version du texte.

La commission est bien sûr favorable au réseau radio du futur, mais elle a supprimé l'habilitation à procéder par ordonnances, prévue à l'article 5. Le Gouvernement a pris en compte nos observations et déposé un amendement qui nous satisfait.

En ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des enquêtes, il est nécessaire de réformer la filière investigation. Le recrutement de 5 500 assistants d'enquête permettra aux enquêteurs de se concentrer sur leur coeur de métier. La commission souhaite une évaluation dans trois ans de ce nouveau cadre d'emploi. En outre, elle a mieux encadré leur rôle en matière de transcription d'enregistrements : nous avons adopté à cet égard un amendement d'Alain Richard répondant à une préoccupation du Conseil d'État.

Le texte prévoit la possibilité de passer l'examen d'OPJ dès la sortie d'école. Nous avons souhaité étendre la qualité d'agent de police judiciaire aux élèves officiers de la gendarmerie.

En revanche, nous n'avons pas été convaincus par la généralisation de l'amende forfaitaire délictuelle à tous les délits punis de moins d'un an d'emprisonnement - soit 3 400 infractions pénales. Sur la consommation de stupéfiants, je me range à la démonstration du ministre. Mais la généralisation de l'amende forfaitaire n'est pas la panacée pour désengorger les tribunaux et lutter contre l'insécurité du quotidien. Nous privilégions une extension limitée à certains délits, comme les tags, la détention sans permis d'un chien d'attaque ou l'entrave à la circulation.

La commission est favorable à une sanction plus dure de l'outrage sexiste, encore trop peu réprimé sur le terrain.

Elle soutient aussi l'extension des pouvoirs du préfet en cas de crise d'une particulière gravité ; elle a même étendu le dispositif aux agences régionales de santé, qu'il n'y a aucune raison de maintenir à l'écart de cette unité de commandement.

M. Michel Savin.  - Très bien !

M. Loïc Hervé, rapporteur.  - Beaucoup reste à faire, mais les mesures proposées sont un pas dans la bonne direction. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du RDPI et du groupe Les Républicains)

M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte est le fruit d'un long cheminement. En 2018 déjà, la commission d'enquête du Sénat sur les forces de sécurité intérieure attirait l'attention sur le malaise policier : ses rapporteurs, François Grosdidier et Michel Boutant, proposaient un Livre blanc de la sécurité intérieure, suivi d'une loi de programmation...

Nous vous savons gré d'avoir mené à bien ces chantiers. Le Beauvau de la sécurité a ouvert la voie à des mesures importantes pour les policiers et gendarmes, notamment en matière de lutte contre les violences intrafamiliales et de prévention des crises.

Les 15 milliards d'euros prévus représentent un effort important, sans doute à la hauteur de l'enjeu.

En revanche, nous regrettons que le texte soit trop centré sur la sécurité et trop imprécis sur les missions des policiers et gendarmes. Nous nous inquiétons de l'état indigne du parc immobilier de la police et de la gendarmerie : rien dans le texte sur ce point, le rapport annexé laissant entendre qu'il faudra attendre la création d'un nouveau service. Il est pourtant urgent d'agir !

Nous déplorons aussi la mise en place précipitée de 200 nouvelles brigades de gendarmerie, car les collectivités territoriales risquent d'être sollicitées, alors qu'elles n'en ont pas les moyens. Nous avons déposé à cet égard un amendement commun avec la commission des lois.

Nous saluons à notre tour l'engagement contre la délinquance des forces de sécurité, notamment de la gendarmerie dont le statut militaire est gage d'efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Parmi ses grandes orientations, le texte prévoit le renforcement de la présence de nos forces dans la ruralité.

La relocalisation de certains services du ministère, l'objectif de doublement des forces de sécurité sur le terrain et le recours accru à la réserve opérationnelle vont dans le bon sens. Encore faut-il que les effectifs suivent. Nous avons adopté un amendement pour favoriser l'acquisition de compétences par les réservistes et leur fidélisation.

Le chapitre consacré au renforcement du maillage des forces de sécurité a trop maigri depuis le Livre blanc. Seule avancée concrète, la création de 200 brigades de gendarmerie, mais sans plus de précisions. La question de la répartition territoriale entre une police spécialisée et une gendarmerie polyvalente n'est pourtant pas anodine : il faut un ajustement fin sur la base de critères objectifs reposant sur la réalité de la délinquance, plutôt que les critères existants, trop simplistes.

En cas d'urgence, il faut aussi généraliser les protocoles départementaux police-gendarmerie : c'est l'objet de plusieurs amendements.

Les modalités de création des 200 brigades soulèvent plusieurs questions, comme l'a souligné l'Association des maires de France. Les annonces sur le terrain se sont succédé avant même l'examen de ce texte. Espérons que nos débats dissiperont les ambiguïtés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Alain Richard .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Voici un texte de grande importance, qui ouvre de façon tonique notre session et le second quinquennat du Président de la République.

Il définit le cadre des moyens de nos forces pour les cinq années à venir, avec une forte augmentation des crédits. Le texte, cohérent, offre un bon débouché aux débats approfondis auxquels ont donné lieu le Livre blanc sur la sécurité intérieure et le Beauvau de la sécurité.

La programmation ne peut concerner tous les ministères, sans quoi il deviendrait difficile de construire la loi de finances annuelle... Mais elle est bienvenue en matière de sécurité intérieure : elle nous servira de balise chaque année pour assurer le déploiement cohérent des moyens.

Ces moyens bénéficient bien sûr à la diffusion territoriale de la police et de la gendarmerie, mais aussi à la sécurité civile, ainsi qu'au support numérique du ministère, qui s'est fait attendre.

Des emplois sont recréés dans les préfectures, qui ont vu leurs moyens humains baisser depuis quinze ou vingt ans. Il y aura des enjeux de recrutement et de formation, autour desquels le ministère se mobilise.

Nous faisons le bon choix en ne suivant pas le projet initial du Gouvernement mais en adoptant une liste limitative d'infractions concernées par l'amende forfaitaire délictuelle. Il y avait un problème juridique mais aussi pratique : la capacité des agents à mémoriser 500 infractions... Si le dispositif se révèle efficace, nous pourrons ultérieurement l'étendre.

Le recrutement d'assistants d'enquête est bienvenu, comme la procédure simplifiée pour demander des actes de police scientifique.

La police judiciaire connaît une situation de tension ; la décision formelle concernant son organisation gagnerait à être prise au plus vite, sans affecter la liberté professionnelle des agents concernés. Le malaise de ces derniers vient aussi du sentiment d'insuccès qui découle de la complexification du code de procédure pénale, les pièges de procédure étant trop nombreux. Il faudrait donc que sa refonte soit menée le plus vite possible par des autorités juridiques indiscutables pour faciliter le travail des OPJ. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce projet de loi est en quelque sorte un texte 2.0 : depuis la version présentée en pleine campagne présidentielle, il a été réduit de moitié et expurgé de ses dispositions sur l'immigration, ce que je salue. Ne confondons pas causalité et corrélation.

Il n'est donc pas le texte sécuritaire le plus déséquilibré que nous ayons eu à examiner en dix ans. Cela tient à son architecture, autour de trois piliers : budgétaire, d'orientation et législatif.

Sur le plan budgétaire, nous nous félicitons des moyens supplémentaires accordés. Profitons de ce débat pour exprimer un soutien sans réserve aux forces de l'ordre qui ne comptent ni leurs heures, ni leurs efforts, du Creusot à Saint-Denis.

La plupart des candidats à la présidentielle s'étaient engagés à augmenter les moyens : nous ne ferons pas la fine bouche face à ces 15 milliards d'euros, même si nous resterons vigilants sur leur exécution.

En matière d'organisation, le rapport annexé est cohérent avec le Livre blanc et le Beauvau de la sécurité. La place du numérique parait légitime : sans tomber dans un « solutionnisme » technologique, donnons les moyens à la police de lutter contre la criminalité à armes égales. Nous saluons la volonté de rapprocher la police de la population, même si l'on pourrait aller plus loin. Reste des interrogations sur le continuum de sécurité : il faudrait préciser que les collectivités territoriales agissent en complément et non en substitution de l'État. Nous présenterons des amendements au rapport annexé pour préciser la place de la police, en particulier de la police judiciaire.

Sur la partie normative, nous saluons le travail de la commission. Non, le Sénat n'a pas durci le texte. Les rapporteurs ont apporté des éléments de cadrage sur le dépôt de plainte en visioconférence et sur l'amende forfaitaire délictuelle. L'alignement des sanctions visant la violence contre les élus sur celles visant d'autres dépositaires de l'autorité publique est bienvenu.

Notre groupe ne se satisfait pas pour autant du texte issu de la commission. Nous formulerons des propositions sur l'amende forfaitaire délictuelle, sur la création d'une juridiction spécialisée dans les violences sexistes et sexuelles, sur le refus d'obtempérer ou le rodéo urbain. La réponse ne réside pas dans le simple durcissement.

Le Sénat, bien conscient de l'état du pays, prônait le dialogue parlementaire avant même la majorité introuvable de juin 2022... (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

Mme Éliane Assassi .  - La Lopmi a été annoncée dès 2021 dans le prolongement de la loi relative à la sécurité globale, dont nous demandons l'abrogation. Plus de la moitié des crédits vont à la transformation numérique, alors que la formation des policiers exige plus de moyens.

Mon groupe a toujours refusé la stigmatisation des forces de l'ordre. Nous préférons cependant le dialogue et la pédagogie à la répression. Ne vous en déplaise, monsieur le ministre, la Lopmi éloigne les citoyens des forces de l'ordre, avec le dépôt de plainte en ligne par exemple.

En outre, le tout répressif rejette au loin la coopération entre police et justice. Simplifier la procédure pénale sans l'expliquer, n'est-ce pas considérer que nos agents ne peuvent la comprendre ?

Ce n'est pas un texte sur la justice, dites-vous ? Selon la Commission nationale consultative des droits de l'homme et le Conseil d'État, généraliser l'amende forfaitaire délictuelle prive les justiciables de la procédure pénale et la police de fonctions d'autorité judiciaire. La constatation d'examens par les OPJ sans justification éloigne aussi les juges : la police scientifique ne saurait s'autosaisir.

L'abaissement des conditions de recrutement des OPJ est regrettable, car cette fonction exige de l'expérience. Idem pour la création d'un statut d'assistant.

Cette Lopmi entraîne une « macdonaldisation » de la procédure pénale, alors que la mission première de la police est de servir le citoyen. Fantasmer des agents « augmentés », équipés d'exosquelettes, n'en fera pas de meilleurs policiers de proximité, exemplaires et dignes, voués au triptyque prévention, dissuasion, répression.

Notre mission est de restaurer une confiance perdue. Comment parlez-vous à la jeunesse populaire ? Nous déplorons les partenariats avec des entreprises privées, qui vont dans le sens d'une sécurité mercantile. Cette loi est l'antichambre de la départementalisation de la police judiciaire, qui permettra à l'exécutif d'interférer dans les enquêtes -  d'où la colère des magistrats et des enquêteurs.

Alors qu'à la crise sociale s'ajoutent la crise sanitaire et la guerre, la police doit apaiser et non ajouter de l'anxiété à l'anxiété. Votre approche ne répond pas à ce défi, nous rejetterons donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc des commissions.) Policiers et gendarmes ont besoin de soutien et d'accompagnement, et le rapport annexé en tient compte. Je ne suis pas sûre, toutefois, qu'il soit applicable sans modification législative. Je pense à la sécurité de grands évènements sportifs à venir... Mais nous pourrons toujours y revenir.

Un syndicat de police bien connu dit souvent que le problème de la police, c'est la justice... L'inverse est aussi vrai. L'investigation n'attire plus guère, ce qui augmente le stock d'affaires non traitées et de justice non rendue, d'où un sentiment d'injustice -  mais s'agit-il seulement d'un sentiment ?

En réponse, ce texte facilite l'investigation, qui sera plus présente dans la formation initiale. Je salue la proposition des rapporteurs d'attribuer la qualité d'OPJ aux élèves officiers de la gendarmerie, renfort appréciable. Ainsi, davantage de dossiers pourront être traités et les victimes seront mieux accompagnées.

Attention toutefois : le dépôt et le suivi de plaintes en ligne, formidable idée, est-il bien réaliste ? Je crains des déceptions...

Sur les violences intrafamiliales, devenu un contentieux de masse avec la libération de la parole, le rapport prévoit le doublement des enquêteurs et le recrutement de 200 intervenants sociaux. Je salue aussi la création du fichier de prévention de ces violences, pour empêcher leur réitération : son efficacité dépendra de la formation des forces de l'ordre et de leur capacité à repérer les signaux faibles. Un gendarme ne doit plus hésiter à demander le retrait de l'arme d'un chasseur dans un tel contexte. Les associations pourront accompagner plus efficacement les femmes victimes de violences en organisant le dépôt de plainte dans leurs locaux et en signalant les faits. J'imagine que cela se fera avec le concours d'un assistant de police judiciaire, d'où la création de ces postes. Bien sûr, nous resterons vigilants sur l'application de ces mesures.

J'ai eu l'occasion de me pencher sur l'utilisation du numérique par les magistrats ; je n'ai pas été dépaysée en m'intéressant aux policiers, Cassiopee pénalisant autant les uns que les autres. Créer une grande agence du numérique pour l'ensemble du ministère est une idée pertinente, mais uniquement si les leçons de l'échec de Scribe sont tirées.

Enfin, peut-être certains problèmes matériels pourraient-ils être réglés rapidement : certaines gendarmeries, dans l'Yonne par exemple, ne sont toujours pas fibrées. Je vous ai adressé une question écrite à ce sujet, restée sans réponse...

S'agissant du maillage territorial, je salue la création de brigades de gendarmerie, notamment mobiles.

Je note toutefois que vos services parlent souvent de la création de maisons France Services...

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Pas moi.

Mme Dominique Vérien.  - Je pense aux préfets. Il s'agit en réalité de la montée en compétences de structures déjà existantes.

Ce texte, s'il est bien appliqué, apportera une bonne réponse ; l'UC le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Roger Karoutchi.  - Très bien !