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Table des matières



Abus et fraudes au compte personnel de formation

Discussion générale

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Joël Guerriau

Mme Mélanie Vogel

Mme Nadège Havet

Mme Monique Lubin

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Nadia Sollogoub

Mme Véronique Guillotin

Mme Dominique Estrosi Sassone

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Corinne Imbert

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

M. Olivier Cadic

APRÈS L'ARTICLE 1er

Mise au point au sujet de votes

Droits de l'enfant

Discussion générale

M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'enfance

Mme Mélanie Vogel

M. Dominique Théophile

Mme Laurence Rossignol

Mme Laurence Cohen

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Esther Benbassa

Mme Maryse Carrère

M. Bernard Bonne

Mme Colette Mélot

M. Laurent Burgoa

Discussion de l'article unique

Mme Véronique Guillotin

M. Hussein Bourgi

Mme Michelle Meunier

M. Olivier Cadic

M. Xavier Iacovelli

Mme Laurence Rossignol

Mme Nassimah Dindar

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois

Mises au point au sujet d'un vote

Accompagnants d'élèves en situation de handicap et assistants d'éducation

Discussion générale

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure de la commission de la culture

Mme Samantha Cazebonne

Mme Sabine Van Heghe

Mme Céline Brulin

Mme Annick Billon

M. Bernard Fialaire

M. Philippe Mouiller

M. Jean-Pierre Decool

M. Thomas Dossus

M. Cédric Vial

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Françoise Gatel

M. Daniel Salmon

M. Philippe Mouiller

Interventions sur l'ensemble

Mme Sylvie Robert

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture

Mme Victoire Jasmin

Mme Annick Billon

M. Cédric Vial

Mme Céline Brulin

Équité territoriale face aux déserts médicaux et accès à la santé pour tous

Discussion générale

Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi

Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Mme Monique Lubin

Mme Laurence Cohen

Mme Nadia Sollogoub

Mme Véronique Guillotin

M. Philippe Mouiller, en remplacement de M. Jean-Claude Anglars

M. Daniel Chasseing

Mme Raymonde Poncet Monge

M. François Patriat

Mme Corinne Imbert

Discussion des articles

ARTICLE 1er

M. Dany Wattebled

M. Patrick Kanner

M. Jean-Luc Fichet

M. Jean-Jacques Lozach

M. Patrice Joly

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée

ARTICLE 2

ARTICLE 3

ARTICLE 4

APRÈS L'ARTICLE 4

ARTICLE 5

ARTICLE 6

Mme Angèle Préville

Mme Émilienne Poumirol

M. Daniel Chasseing

M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales

Ordre du jour du mardi 13 décembre 2022




SÉANCE

du jeudi 8 décembre 2022

39e séance de la session ordinaire 2022-2023

présidence de M. Alain Richard, vice-président

Secrétaires : Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Abus et fraudes au compte personnel de formation

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation (CPF) et à interdire le démarchage de ses titulaires, à la demande du RDPI.

Discussion générale

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je remercie le groupe RDPI et Martin Lévrier d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat et je salue le travail de Catherine Favre, à qui ce texte que je soutiens doit beaucoup.

La lutte contre les abus et la fraude au CPF doit nous réunir. Les députés ont adopté ce texte à l'unanimité et je suis sûre que ce sera le cas ici.

Cette proposition de loi apporte une réponse ferme aux détournements du CPF. Celui-ci, qui fête ses trois ans, est un succès populaire : il est connu de 95 % des actifs et 20 % ont ouvert leurs droits.

Hommes et femmes s'en servent tout autant ; les employés et les ouvriers plus que les cadres. Le CPF démocratise l'accès à la formation tout au long de la vie professionnelle.

Mais ce succès massif a ouvert la porte à des pratiques commerciales agressives ou abusives : appels, SMS et courriers intempestifs. Il s'agit parfois de diffusion de fausses informations, mais aussi d'usurpation d'identité et de détournement de droits. La Caisse des dépôts et consignations a donc intensifié ses contrôles. La fraude est évaluée à 43 millions d'euros en 2021, soit une multiplication par cinq en un an, ce qui nuit à l'image de l'outil et appelle une réponse ferme.

Le Gouvernement a agi pour y remédier, tout d'abord en renforçant les procédures d'authentification sur la plateforme « Mon compte formation », grâce à FranceConnect+. Le réseau de La Poste et les maisons France Services accompagnent les usagers.

Depuis le 1er janvier, le label Qualiopi est garant de la qualité des organismes de formation : 17 000 organismes sont sur la plateforme, contre 24 000 auparavant. Les deux tiers des certifications ont été éliminées du répertoire. Enfin, la Caisse des dépôts et consignations a déréférencé 60 % des offres sur la création et la reprise d'entreprise. Le CPF ne rime plus avec la formation de loisir, il est recentré sur l'emploi, la professionnalisation et la montée en compétences.

Reste à réguler la fraude et le démarchage. Ainsi, l'article 3 de la proposition de loi prévoit une procédure de vérification des organismes de formation, pour garantir leur qualité et leur honorabilité.

L'article 4 soumet les sous-traitants aux mêmes exigences que l'organisme donneur d'ordre : c'est nécessaire, car certains organismes ne proposent qu'un « portage Qualiopi » et agissent comme des sociétés-écrans. Cet angle mort est un nid à fraudes. Un décret précisera l'application de cet article, mais mon cabinet est d'ores et déjà en discussion avec la filière. Je rassure les formateurs individuels : une attention particulière leur sera portée, car on ne peut exiger d'eux autant que des autres acteurs.

Le Gouvernement est déterminé à empêcher tout détournement du droit à la formation. La proposition de loi fournit des leviers efficaces de lutte et de sanction, pour interdire le démarchage abusif, y compris sur les réseaux sociaux. Il n'y aura plus d'influenceurs promettant monts et merveilles, plus de messages détournant le CPF : l'amende, 75 000 euros pour une personne physique, et 375 000 euros pour une personne morale, est dissuasive. La Caisse des dépôts et consignations a en outre adressé des mises en demeure aux influenceurs concernés : un grand nombre y a déjà répondu.

L'article 2 donne aux services les moyens de partager leurs informations. Cette coordination est incontournable pour resserrer les mailles du filet et lutter efficacement contre les fraudeurs. L'État, la Caisse des dépôts et consignations et Tracfin doivent avoir les moyens de ne laisser aucun délit impuni.

L'article 2 bis offre également à la Caisse des dépôts et consignations la capacité de recouvrer plus rapidement les sommes indues, sans saisine préalable de la juridiction administrative.

Soyons satisfaits de ce travail collectif d'intérêt général. Protéger le CPF, c'est protéger la capacité des Français de choisir et de maîtriser leur parcours de vie.

Nous devrons compléter cette action, en ciblant davantage le CPF vers les métiers en tension et d'avenir. Je reçois aujourd'hui les partenaires sociaux à ce sujet, avec Olivier Dussopt.

Merci à tous les parlementaires qui se sont saisis de cette proposition de loi qui donnera corps à la protection du droit à la formation. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP)

M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Joël Guerriau et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.) La loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a démocratisé la formation professionnelle, en monétisant et en dématérialisant le CPF. Grâce à cette réforme audacieuse, le nombre de dossiers financés a doublé chaque année, passant de 500 000 en 2019 à 2,1 millions en 2021. Cela a également permis le rééquilibrage entre hommes et femmes et a principalement bénéficié aux moins de 40 ans et aux peu diplômés.

Toutefois, la réforme a une face sombre : l'activation de 19 millions de profils a ouvert la brèche à des pratiques frauduleuses, abusives et à des formations fictives. Les titulaires de comptes sont parfois victimes, parfois complices. La Caisse des dépôts et consignations évalue le préjudice à 40 millions d'euros, ce qui reste peu élevé au regard des 2,85 milliards d'euros des dépenses en 2021.

De plus, ces pratiques nuisent à l'image de la formation professionnelle. La proposition de loi des députés Bruno Fuchs, Sylvain Maillard et leurs collègues, adoptée par l'Assemblée nationale le 6 octobre dernier, améliore la lutte contre les abus. Je salue Catherine Favre, à l'initiative de la première version de cette proposition de loi, présente en tribune.

La direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), France Compétences et la Caisse des dépôts et consignations coopèrent pour lutter contre la fraude. Depuis le 25 octobre dernier, FranceConnect+ sécurise l'accès à la plateforme, même s'il faut veiller à ne pas exclure les personnes en difficulté avec le numérique. La première condamnation pour fraude au CPF a eu lieu le 20 septembre à Saint-Omer.

Il reste néanmoins des obstacles législatifs à lever. La loi du 17 mars 2014 a créé Bloctel. Celle du 24 juillet 2020 a rendu obligatoire la consultation par les centres d'appels de la liste d'opposition et alourdi les sanctions. Le consentement préalable explicite s'applique donc pour les mails et les SMS. Cela n'empêche cependant pas le démarchage abusif par téléphone.

L'article 1er de la proposition de loi interdit donc la prospection commerciale par téléphone, par SMS, par courriel et sur les réseaux sociaux, sauf formation en cours. Les agents de la DGCCRF peuvent constater ces infractions, sanctionnées de 75 000 euros pour une personne physique et de 375 000 euros pour une personne morale. Cela n'empêche pas toute communication, mais les règles sont clarifiées.

En outre, la proposition de loi renforce les moyens de la Caisse des dépôts et consignations, en donnant une base légale à la communication d'informations entre elle, France Compétences, les services de l'État, les organismes financeurs et ceux délivrant la certification Qualiopi. Elle autorise aussi Tracfin à transmettre des informations à la Caisse des dépôts et consignations et à l'Agence des services et de paiement. Cela permettra de gagner un temps précieux.

L'article 2 bis, inséré à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, donne à la Caisse des dépôts et consignations les moyens de recouvrer les sommes indûment versées. Le directeur général de la Caisse pourra ainsi délivrer une contrainte, dotée des effets d'un jugement. Le recouvrement se fera par retenue sur les droits inscrits ou futurs du titulaire.

L'article 2 prévoit que la Caisse des dépôts et consignations pourra obtenir de l'administration fiscale les informations contenues dans le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), ainsi que tous autres les éléments utiles.

L'article 3 modifie les conditions du référencement, qui pourra être refusé par la Caisse des dépôts et consignations. La Caisse pourra également contrôler les organismes déjà référencés. Les échanges de données avec les Urssaf et l'administration fiscale rendront ce contrôle effectif.

L'article 4 encadre le recours aux sous-traitants en leur imposant les mêmes certifications qu'à leur donneur d'ordre. Il faut être attentif cependant, dans l'élaboration du décret, aux travailleurs indépendants et aux micro-entrepreneurs. Nous comptons sur votre discernement, madame la ministre.

L'impact psychologique de la proposition de loi a déjà eu lieu : ne le laissons pas se dissiper. Je vous invite à l'adopter sans modification afin de ne pas retarder son entrée en vigueur. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et du RDSE ; Mme Nadia Sollogoub et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

M. Joël Guerriau .  - Voilà des mois que des appels incessants incitent les Français à souscrire indûment à des formations. Le CPF est un formidable outil : il permet, depuis 2015, de financer la formation continue, pour se perfectionner ou pour se reconvertir. Les Français s'en sont largement emparés.

Rançon du succès, les fraudes se multiplient. Bien des Français constatent que la qualité n'est pas au rendez-vous, voire que les fraudeurs encaissent le paiement sans dispenser de formation. Dans ce qui devient un Far West, il faut légiférer.

La proposition de loi pose le principe de l'interdiction de tout démarchage. Un maire m'expliquait ce matin que tous ses conseillers municipaux avaient été appelés pour leur proposer une formation inutile...

Elle met, ensuite, fin aux pratiques problématiques de portage Qualiopi, détournement de la certification. Désormais, tous les organismes de formation devront être référencés, avec les justificatifs nécessaires.

Enfin, les acteurs de la lutte contre la fraude voient leur coopération renforcée.

Nos concitoyens ne seront plus importunés et bénéficieront de formations de qualité : un consensus se dessine autour de ce texte équilibré. Les Indépendants le voteront. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme Mélanie Vogel .  - Les Françaises et les Français reçoivent en moyenne cinq appels non sollicités chaque semaine, largement dus à la fraude au CPF qui a augmenté de 450 % en un an. C'est insupportable et un consensus transpartisan a émergé.

Le GEST votera cette proposition, mais n'oublions pas l'environnement qui fait prospérer ces arnaques : la monétarisation et la désintermédiation, en particulier. Les écologistes s'y sont toujours opposés, et il faut aller plus loin : interdire la fraude sur un seul sujet ne règle pas le problème de fond, et Bloctel est peu efficace.

Le démarchage téléphonique n'est que la conséquence la plus visible de la vente de nos données personnelles. En vertu du règlement général sur la protection des données (RGPD), le consentement préalable n'est prévu que pour le démarchage automatisé, alors que les appels sont plus intrusifs.

L'Allemagne, l'Autriche, la Lituanie et la République tchèque ont fait le choix de l'opt-in, en inversant le principe actuel. Je défendrai deux amendements en ce sens.

La proposition de loi ne doit pas non plus nous faire perdre de vue la nécessaire transformation du droit à la formation en vue de la transition écologique : le Gouvernement prend un virage antisocial, en précarisant pour pousser chacun à accepter n'importe quel emploi. Nous pensons que la formation doit être au service de la transformation écologique : il faudrait un droit pour se reconvertir ; spécifiquement pour les métiers de la transition. Il faudrait aussi que chacun puisse apprendre, s'enrichir et progresser dans sa compréhension du monde même si cela n'est pas rattaché à une progression de carrière.

Il ferait meilleur vivre dans cette société plus ouverte, plus riche et plus intelligente. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC)

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Joël Guerriau applaudit également.) La fraude au CPF a fortement augmenté en 2021 et atteint 43 millions d'euros de préjudice : le nombre de notes transmises à l'autorité judiciaire par Tracfin a triplé, les montants financiers ont quintuplé.

La proposition de loi de l'Assemblée nationale reprend le texte de Catherine Favre. Les députés coauteurs rappellent que le succès remarquable du CPF s'est accompagné de pratiques agressives, voire abusives, poussant à l'achat de formations contre le gré des bénéficiaires, via des appels téléphoniques, des SMS, des courriels. Il est temps de réguler.

La commission des affaires sociales a adopté, à l'unanimité et sans modification, cette proposition de loi. Adoptons définitivement ce texte pour mettre fin à ce regrettable phénomène.

Martin Lévrier a rappelé le continuum de la lutte contre la fraude et de l'amélioration de la qualité professionnelle.

Le texte interdit le démarchage téléphonique par les organismes de formation, en l'inscrivant dans le code de la consommation, comme pour MaPrimeRénov', et dans le code du travail.

Il renforce les pouvoirs de la Caisse des dépôts et consignations dans la lutte contre la fraude et encadre le recours à la sous-traitance. Certains autoentrepreneurs auront toutefois du mal à remplir les exigences de Qualiopi ; notre rapporteur a alerté le Gouvernement et un décret est prévu pour adapter la réglementation à leurs spécificités.

Le texte devra s'appliquer dès le début de l'année 2023. Il faut dépolluer les pratiques illégales qui ont terni l'image du CPF. Nous voterons pour. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le CPF a été créé en 2015 par la loi relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, en remplacement du droit individuel à la formation (DIF). Son objet était de réformer la loi Delors de 1971, qui avait institué la possibilité d'un congé rémunéré de formation et obligé les entreprises de plus de dix salariés à y contribuer.

La loi votée en 2014, sous majorité socialiste, a jeté les bases d'une sécurité sociale professionnelle, avec le compte personnel d'activité (CPA), le CPF, le compte personnel de prévention de la pénibilité et le compte engagement citoyen. On sait le sort réservé par le Gouvernement à ces acquis sociaux, alors qu'avec la loi de 2014 nous avions renforcé la place des partenaires sociaux en faisant de la formation professionnelle un élément central du dialogue social. Nous sommes également attachés à la décentralisation de la formation professionnelle vers les régions.

En 2018, nous avons dénoncé la fragilisation de cet édifice et l'objectif de fluidification du marché du travail du Gouvernement. C'était la première réforme de la formation professionnelle qui ne faisait pas consensus depuis 1971. Elle a abouti à une recentralisation. Le Gouvernement s'est assis sur la démocratie sociale en monétisant le CPF contre l'avis des partenaires sociaux et en supprimant les intermédiaires au profit d'une plateforme. Nous étions inquiets de la pérennité des financements et des risques induits par la monétisation et la désintermédiation, et nous avions raison.

Un récent rapport du Sénat signale que le financement de France Compétences n'a pas été anticipé : son déficit pourrait être de 5,9 milliards d'euros en 2022.

La fraude au CPF était en germe dans la loi de 2018. On voit les résultats : entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022, les signalements de SMS indésirables ont été multipliés par quatorze et les déclarations de soupçon par onze ; 32 400 signalements ont été effectués auprès de la Caisse des dépôts et consignations ; le préjudice estimé s'élève à 27 millions d'euros pour la période mars 2020-mai 2022 ; les fraudes détectées par Tracfin sont passées de 8 à 43 millions d'euros entre 2020 et 2021, en hausse de 450 %.

Cette proposition de loi fait consensus et nous y souscrivons. Elle interdit le démarchage, étend le pouvoir des agents de la DGCCRF, favorise le recouvrement des indus par la Caisse des dépôts et consignations, impose le référencement sur Mon compte formation et étend certaines obligations aux sous-traitants.

Le groupe SER votera ce texte, mais nous sommes fatigués de ces usines à gaz. Halte au démantèlement de notre démocratie sociale et de notre droit du travail !

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - La proposition de loi, adoptée le 6 octobre à l'Assemblée nationale à l'unanimité, vise à mettre fin au démarchage incessant par des organismes parfois fictifs et à la fraude. Pas un jour sans son lot de SMS, de mails ou d'appels pour utiliser son CPF...

Cette situation insupportable s'explique par la monétisation du CPF lors de la loi Pénicaud -  du nom de cette ancienne ministre qui s'apprête à entrer au conseil d'administration de Galileo, acteur majeur de la formation initiale et continue...

Cette proposition de loi est une bonne nouvelle, mais il est regrettable d'avoir attendu quatre ans pour lutter contre ce fléau. La montée en puissance du CPF s'est accompagnée d'une hausse massive des fraudes : entre 2020 et 2021, le nombre de déclarations de soupçon a été multiplié par onze, celui des dossiers transmis à la justice, par trois.

L'opprobre est jeté sur l'ensemble des organismes de formation ; espérons que leur référencement permettra de faire le tri entre ceux qui sont sérieux et les autres.

Certains organismes ont des pratiques sectaires. Le dernier rapport de mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) fait état de 4 020 saisines en 2021, en hausse de 86 % entre 2015 et 2021. Il faut davantage former les contrôleurs.

Le projet de loi de finances pour 2023 va contraindre les salariés à assumer 20 à 30 % du coût de leur formation. Cette pénalisation de la formation, qui touchera les plus modestes et les privés d'emploi, est inacceptable : nous défendons une formation intégralement financée par les entreprises. En attendant, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Mmes Véronique Guillotin et Marie-Pierre Richer applaudissent.) La loi du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réformé le CPF, en monétisant les heures de formation.

Des chiffres s'affichent en gros caractères sur le site du ministère de l'économie et des finances : au 30 septembre 2021, 38,8 millions de titulaires d'un compte, 1 500 euros par compte et 2,86 millions de dossiers acceptés depuis novembre 2019. N'importe quel malfaisant a vite fait de comprendre que 36 millions de salariés n'ont pas mobilisé leur CPF, et qu'une gigantesque arnaque est possible.

Les premières fraudes furent simples : fausses formations et usurpation d'identité. Mais désormais on constate des inscriptions fictives, des incitations par des cadeaux. Derrière ces pratiques, il y a parfois des réseaux de criminalité organisée, qui s'étaient déjà distingués dans la fraude aux certificats d'économie d'énergie. Les saisies pénales s'élèvent à 3,5 millions d'euros, et la moitié des dossiers transmis font apparaître un lien avec le crime organisé.

Un exemple réel : la société A, créée en septembre 2020 par M. X, n'emploie aucun salarié et reçoit plus de 8 millions d'euros au titre du CPF sur la base de fausses attestations de stagiaires. L'essentiel est transféré à M. X et à ses proches, pour l'achat notamment de véhicules ou de montres de luxe. En 2021, la Caisse des dépôts et consignations met fin aux versements en raison des soupçons de fraude ; 2 millions d'euros d'avoirs sont saisis, mais 6 millions se sont envolés !

Nous voterons ce texte en l'état, car cela doit cesser rapidement. L'article 1er interdit la prospection commerciale, mais comment les acteurs du grand banditisme ont-ils accès au numéro des bénéficiaires ? Reste-t-il une possibilité de verrouillage quand tout circule dans le cloud ?

L'article 2, qui prône l'échange d'informations entre services, est de bon sens. Les outils informatiques auraient dû permettre depuis longtemps le recoupement de ces données.

Cette loi va dans le bon sens, mais elle vient un peu tard, alors que l'on est déjà débordé.

J'espère que les moyens de contrôle sont calibrés, mais ne répondez pas ici, des oreilles malveillantes pourraient écouter...

Nous avions décidé de surseoir à aller plus loin que Bloctel pour préserver des milliers de salariés honnêtes. Cette fois-ci, la question ne se pose pas : allons-y ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Pierre Richer et M. Martin Lévrier, rapporteur, applaudissent également.)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur des travées du RDPI) Le CPF a été réformé par la loi de 2018 afin de rendre le droit à la formation plus lisible et accessible. Chaque bénéficiaire pourrait se former sans intermédiaire et sur la base de droits libellés en euros.

Le nombre de bénéficiaires a fortement augmenté, à 19 millions, au profit notamment des femmes, des actifs moins qualifiés et des personnes en situation de handicap.

Le succès de cette réforme a été de rendre les Français plus libres d'évoluer professionnellement. Mais tout changement entraîne des effets de bord : hausse massive des fraudes, harcèlement téléphonique, par mail, ou sur les réseaux sociaux d'une ampleur considérable. Ces nuisances mettent à mal la crédibilité du système.

La proposition de loi rappelle que le CPF est un outil dédié aux Français, et non aux organismes de formation.

Le texte crée des barrages filtrants : interdiction de toute prospection commerciale ; sécurisation des échanges d'informations ; amélioration du recouvrement par la Caisse des dépôts et consignations ; renforcement du contrôle du référencement ; encadrement du recours à la sous-traitance.

Les solutions proposées semblent consensuelles. Cette proposition de loi, si nous l'adoptons sans modification, pourra s'appliquer sans délai. Le RDSE la votera. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Martin Lévrier, rapporteur, applaudit également.) Utilisable tout au long de la vie active, le CPF est un succès quantitatif : les effectifs doublent chaque année depuis 2019, pour atteindre deux millions de formations en 2021. Mais la monétisation a eu des effets pervers : usurpation d'identité, détournement des droits, appels intempestifs.

Avec ses 2,7 milliards d'euros, un cinquième du budget de France Compétences, le CPF attire une délinquance économique organisée, comme en témoignent les 440 enquêtes ouvertes par le service central du renseignement criminel de la gendarmerie. Selon Tracfin, les fraudes ont été multipliées par six en un an et le préjudice cumulé est estimé à 43,2 millions d'euros.

Le récent guide de prévention des arnaques du ministère des finances n'a pas été efficace et les campagnes de sensibilisation sont bien timides. L'action du Parlement est donc nécessaire.

Dès 2018, le Sénat avait exprimé des réserves sur la monétisation et la désintermédiation du CPF, que le Gouvernement qualifiait de « pari ».

La proposition de loi est la bienvenue pour contrer ces pratiques qui siphonnent les crédits de la formation professionnelle, politique déjà difficilement pilotable, comme l'illustrent les rallonges budgétaires votées régulièrement à France Compétences. Il n'y a pas un euro à perdre.

Je salue le travail des forces de l'ordre, qui ont réussi à démanteler plusieurs réseaux, comme à Cannes-Mandelieu, pour un préjudice de 8,2 millions d'euros.

Il faut en finir avec ces escroqueries pour redorer l'image du CPF. Nombre de Français ne prennent plus les appels au sérieux, risquant de se détourner du CPF, pourtant essentiel à leur carrière.

Le financement des formations est un enjeu pour réduire la fraude, notamment la revente des codes d'accès au CPF.

Comme l'a proposé le Sénat le 28 novembre dernier, lors de l'examen de la mission « Travail et emploi », le plafonnement de la prise en charge de certaines formations par le CPF serait l'occasion de maîtriser la fraude. J'espère que le Gouvernement, qui avait donné un avis de sagesse, retiendra cette mesure dans le 49.3.

Ce qui est gratuit n'a pas de valeur. Pour que les salariés aident la lutte contre la fraude et construisent un vrai parcours de formation, il faut un reste à charge encadré qui ne soit pas une barrière tarifaire. C'était le sens du rapport présenté par nos collègues Frédérique Puissat, Corinne Féret et vous-même, monsieur le rapporteur.

Bon nombre des 44 000 organismes de formation signalent la rigidité des conditions générales d'utilisation (CGU), auxquelles ils sont soumis et le court délai dont ils disposent pour se conformer à leur mise à jour : je n'ai pas déposé d'amendement sur ce point qui ne relève pas de la loi, mais je souhaitais vous alerter, madame la ministre. La mise à jour suppose un travail juridique qui n'est pas le coeur de métier des formateurs. Le renforcement du contrôle des formations éligibles, prévu par l'article 3, comprend les CGU : pourriez-vous renseigner les organismes sur ce point ? Il serait regrettable que l'excès de règles succède à l'excès de simplification.

Le groupe Les Républicains votera néanmoins ce texte en l'état. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Martin Lévrier, rapporteur, applaudit également.)

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Corinne Imbert .  - Ce texte constitue une avancée importante. Je n'ai pas déposé d'amendement, en vue d'une adoption conforme.

Néanmoins, au-delà du téléphone et des réseaux sociaux, j'alerte sur les dérives que l'on constate sur les plateformes en ligne, par la publicité directe ou la promotion effectuée au sein de vidéos, notamment de la part d'influenceurs vont jusqu'à promettre des formations permettant de devenir expert en placements financiers. Attention à ne pas laisser de failles, dans lesquelles les escrocs s'engouffreraient.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels .  - Nous partageons votre détermination à lutter contre ce type de dérives. Je rappelle l'action de la Caisse des dépôts et consignations, qui adresse des mises en demeure par voie d'avocat pour demander l'arrêt de toute publicité sur le CPF, l'information sur les sociétés avec lesquelles les influenceurs sont en lien et la diffusion d'un message rectificatif.

La Caisse des dépôts et consignations s'est également rapprochée de Meta ainsi que des agences d'influenceurs, pour supprimer des publications et créer un filtrage priori. Les influenceurs relevant des agences ont diffusé un message le 13 novembre dernier.

Ces pratiques doivent cesser. Nous continuerons à travailler avec Meta France pour obtenir la fermeture des comptes concernés.

M. Olivier Cadic .  - La proposition de loi est attendue, car la fraude au CPF a pris une dimension internationale. Ainsi, un conseiller des Français établis hors de France aux Émirats arabes unis m'a recommandé de contacter Mme Christelle Coiffier, une conseillère Pôle emploi qui s'est faite lanceuse d'alerte : des influenceurs profitent de l'image de Dubaï pour vendre du rêve et promouvoir des formations bidon, y compris pour devenir influenceur. Certains demandeurs d'emploi ont ainsi épuisé leurs droits, en vain. Mme Coiffier a reçu le soutien du député Stéphane Vojetta. La fraude internationale va de pair avec l'impunité. La table ronde de Bruno Le Maire va dans le bon sens, tout comme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

L'article 1er est adopté.

APRÈS L'ARTICLE 1er

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de la consommation est ainsi modifié :

1° L'article L. 221-16 est ainsi rédigé :

« Art. L. 221-16.  -  La prospection commerciale par voie téléphonique n'est autorisée que dans le cadre des sollicitations ayant un rapport direct avec l'objet d'un contrat en cours ou si le professionnel a reçu le consentement du consommateur au sens du 11 de l'article 4 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, et dans les conditions mentionnées à l'article 7 du même règlement. »

2° Les articles L. 223-1 à 223-7 sont abrogés.

Mme Mélanie Vogel.  - Instaurons le principe général de l'interdiction du démarchage téléphonique commercial. Nous l'avons récemment interdit pour l'isolation, puis pour l'assurance, mais tout le monde souffre du démarchage non consenti.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I.  -  Le code de la consommation est ainsi modifié :

1° L'article L. 221-16 est ainsi rédigé :

« Art. L. 221-16.  -  Sans préjudice des dispositions de l'article L. 221-12, le professionnel qui contacte un consommateur inscrit sur la liste d'autorisation mentionnée à l'article L. 223-4 par téléphone en vue de conclure un contrat portant sur la vente d'un bien ou sur la fourniture d'un service indique au début de la conversation, de manière claire, précise et compréhensible, son identité, le cas échéant l'identité de la personne pour le compte de laquelle il effectue cet appel et la nature commerciale de celui-ci.

« À la suite d'un démarchage par téléphone, le professionnel adresse au consommateur, sur papier ou sur support durable, une confirmation de l'offre qu'il a faite et reprenant toutes les informations prévues à l'article L. 221-5.

« Le consommateur n'est engagé par cette offre qu'après l'avoir signée et acceptée sur support durable. » ;

2° À l'intitulé du chapitre III du titre II du livre II, le mot : « Opposition » est remplacé par le mot « Autorisation » ;

3° L'article L. 223-1 est ainsi rédigé : 

« Art. L. 223-1.  -  La prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique est interdite à l'exception des sollicitations effectuées auprès des personnes inscrites gratuitement à une liste d'autorisation au démarchage téléphonique ou lorsque la sollicitation intervient dans le cadre d'une relation contractuelle existante à la date de l'appel et dont le sujet a un lien direct avec l'objet du contrat souscrit.

« Toute prospection commerciale de consommateurs par des professionnels, par voie téléphonique, ayant pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables est interdite à l'exception des sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours au sens du deuxième alinéa du présent article.

« L'alinéa précédent s'applique également aux sollicitations adressées aux personnes inscrites sur la liste d'autorisation au démarchage téléphonique.

« Tout professionnel saisit, directement ou par le biais d'un tiers agissant pour son compte, l'organisme mentionné à l'article L. 223-4 aux fins de s'assurer de la conformité de ses fichiers de prospection commerciale avec la liste d'autorisation au démarchage téléphonique :

« 1° Au moins une fois par mois s'il exerce à titre habituel une activité de démarchage téléphonique ;

« 2° Avant toute campagne de démarchage téléphonique dans les autres cas.

« Un décret, pris après avis du Conseil national de la consommation, détermine les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels la prospection commerciale par voie téléphonique peut avoir lieu, lorsqu'elle est autorisée en application du premier alinéa du présent article.

« Le professionnel mentionné au quatrième alinéa respecte un code de bonnes pratiques qui détermine les règles déontologiques applicables au démarchage téléphonique. Ce code de bonnes pratiques, rendu public, est élaboré par les professionnels opérant dans le secteur de la prospection commerciale par voie téléphonique. Il est, en tant que de besoin, précisé par décret.

« Tout professionnel ayant tiré profit de sollicitations commerciales de consommateurs réalisées par voie téléphonique en violation des dispositions du présent article est présumé responsable du non-respect de ces dispositions, sauf s'il démontre qu'il n'est pas à l'origine de leur violation.

« Tout contrat conclu avec un consommateur à la suite d'un démarchage téléphonique réalisé en violation des dispositions du présent article est nul. 

« Tout recueil du consentement à être démarché par voie téléphonique lors de la conclusion d'un contrat est nul. » ;

4° L'article L. 223-2 est abrogé ;

5° À l'article L. 223-3, les mots : « inscrits sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique » sont remplacés par les mots : « non-inscrits sur la liste d'autorisation au démarchage téléphonique ».

II. - Le présent article entre en vigueur le 1er juin 2024.

Mme Mélanie Vogel.  - Cet amendement inverse la présomption de consentement au démarchage : laissons aux personnes le choix de s'inscrire à un registre pour accepter le démarchage. Cet opt-in soulage des millions de personnes dans plusieurs autres pays européens.

M. Martin Lévrier, rapporteur.  - Ces amendements dépassent de loin le sujet du CPF. Je rappelle que la loi de 2021 complète le régime d'opposition en prévoyant que, avant tout démarchage, l'entreprise contacte Bloctel pour vérifier que son prospect n'y est pas inscrit, tout en alourdissant les sanctions en cas d'abus. La limitation du démarchage à certaines plages n'est pas encore entrée en vigueur.

Restons-en à un dispositif ciblé, qui entrera en vigueur immédiatement. Avis défavorable aux deux amendements.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Même avis.

L'amendement n°1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°2 rectifié.

Les articles 2, 2 bis, 3 et 4 sont successivement adoptés.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements)

Mise au point au sujet de votes

M. Mathieu Darnaud.  - Aux scrutins publics nos95 et 96, je souhaitais m'abstenir.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

La séance est suspendue quelques instants.

Droits de l'enfant

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l'enfant, à la demande du RDPI.

Discussion générale

M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi .  - Je reconnais une certaine émotion : trop longtemps, nous avons refusé de voir les enfants comme des sujets de droit à part entière. La délégation aux droits de l'enfant que ce texte propose de créer est attendue depuis plus de vingt ans.

Je remercie les associations et les personnalités engagées qui nous soutiennent et nous regardent aujourd'hui.

Je me réjouis de la récente création d'une telle délégation à l'Assemblée nationale, mais il n'est pas question ici de mimétisme. Avec plusieurs collègues sur tous les bancs, nous avons créé en 2018 un groupe informel sur ce sujet. J'avais demandé, en 2020, la création d'un groupe d'étude à la commission des affaires sociales, mais la présidente l'avait refusé.

En février 2003, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une proposition de loi tendant à la création d'une délégation parlementaire aux droits de l'enfant, présentée par Jacques Barrot, président du groupe UMP de l'époque, mais ce texte n'a jamais été examiné par le Sénat. Entre 2009 et 2019, Mmes Garriaud-Maylam, Doineau et Assassi ont aussi proposé la création d'une telle délégation. Cette idée rassemble, traversant les travées et le temps.

La proposition de loi que je vous propose est cosignée par des sénateurs de tous les groupes. On pourrait penser que cet arc républicain assurerait à lui seul le succès du texte, mais les choses ne sont jamais aussi simples au Sénat... J'entends les appels de Mme la rapporteure à rationaliser le nombre de délégations et de groupes d'étude - d'autant plus que ces arguments ne changent pas depuis vingt ans. Pourtant, hormis l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et la délégation aux droits des femmes, prévus par la loi, nous avons créé pas moins de cinq délégations depuis 2007 : délégation parlementaire au renseignement, puis en 2009 délégations aux collectivités et à la prospective, en 2011 délégation aux outre-mer et en 2014, délégation aux entreprises. Mais ce n'est jamais le moment pour la délégation aux droits des enfants !

Oui, nous avons déjà beaucoup travaillé sur l'enfance, mais il faut cesser de travailler en silo et mener un travail transversal. Ce n'est pas une proposition de loi symbolique. La création d'une délégation serait bien sûr un signal fort pour le monde de l'enfance, et son refus montrerait la Chambre haute sous un jour catastrophique. Mais l'enjeu est ailleurs : les délégations mènent un travail de fond, pour mieux légiférer.

Les départements sont en outre chefs de file dans ce domaine. Le Sénat, chambre des territoires, doit s'emparer de cette politique décentralisée. La délégation aux droits des femmes effectue un travail remarquable. (Mme Laurence Rossignol le confirme.)

Il y a trente ans, la France ratifiait la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). Les enfants ne sont pas que des petits êtres que nous devons protéger, ce sont des sujets de droit à part entière. Depuis, beaucoup a été fait : loi de 2002 sur l'autorité parentale, loi Bas de 2007, loi Rossignol de 2016, loi de 2019 interdisant les violences éducatives ordinaires.

Malgré tout, un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, 70 % des jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sortent sans diplôme, les enfants sont les victimes directes ou indirectes des violences intrafamiliales ou encore de l'inceste, 500 enfants de moins de six mois sont victimes chaque année du syndrome du bébé secoué, avec des séquelles irréversibles, 50 000 enfants sont victimes de violences physiques et psychologiques chaque année et 100 000 enfants ne sont pas scolarisés. Les envies suicidaires ont augmenté de 20 % depuis la crise sanitaire, et le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 18-25 ans.

Les enfants sont la proie d'agresseurs sur les réseaux sociaux, ils sont confrontés à la malnutrition et à l'obésité. L'inclusion des 400 000 enfants handicapés permet de vraies réussites, mais n'est jamais un long fleuve tranquille. Nous avons tous été sensibilisés au problème des enlèvements parentaux. Les mineurs non accompagnés sont un défi pour les départements. Un chiffre glaçant, enfin : tous les cinq jours, un enfant est tué par l'un de ses parents, selon l'Unicef.

La question des droits de l'enfant est transversale, mais chaque commission la traite séparément. Voilà vingt ans que cette délégation est attendue par tous. Parce que l'enfant doit être au coeur de notre société, et parce que le Sénat ne peut se détourner de cette politique décentralisée, faisons, ensemble, le choix de donner un cadre parlementaire à cette cause.

Parce que je sais que vous aspirez tous, ce soir, en rentrant dans votre circonscription, à avoir fait quelque chose d'utile, et parce que les droits de l'enfant ne sont pas mineurs, je vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception du groupe Les Républicains)

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois .  - Juin 2022, rapport d'information sur la lutte contre l'obésité ; juin 2021, audition de Jean-Marc Sauvé sur les violences contre les enfants dans l'église ; septembre 2021, audition d'Adrien Taquet ; mai 2021, proposition de loi sur le protoxyde d'azote ; février 2020, stratégie de protection de l'enfance ; février 2022, proposition de loi sur le harcèlement scolaire ; juillet 2022, audition de Claire Hédon ; octobre 2021, proposition de loi sur l'adoption ; janvier 2021, ratification de l'ordonnance sur le code de justice pénale des mineurs ; juin 2020, proposition de loi sur les violences conjugales ; début 2020, cycle d'auditions sur le code de justice pénale des mineurs. Ces travaux ont rassemblé les commissions des affaires sociales, des lois et des affaires économiques.

J'en viens aux travaux de la délégation aux droits des femmes : septembre 2022, rapport d'information sur les industries de la pornographie ; juin 2022, table ronde sur la régulation de l'accès aux contenus pornographiques en ligne ; avril 2022, table ronde sur la protection des mineurs face aux contenus pornographiques ; décembre 2021, audition de M. Adrien Taquet ; novembre 2021, table ronde sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan ; novembre 2021, audition de Mme Catherine Champrenault et de M. Gilles Charbonnier, magistrats ; novembre 2020, audition de M. Adrien Taquet ; juillet 2020, rapport d'information sur la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants au sein de la famille.

Enfin, les commissions permanentes ont procédé à bien des travaux en commun : septembre 2022, prévenir la délinquance des mineurs et éviter la récidive ; septembre 2021, mineurs non accompagnés, jeunes en errance ; février 2020, signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs.

Voici la liste fastidieuse, mais non exhaustive, des travaux du Sénat en lien avec l'enfance. Il y a trois ans, Éliane Assassi avait présenté une proposition de loi similaire à celle-ci ; déjà, la commission des lois - dont j'étais rapporteur - avait émis un avis défavorable et avait été suivie par le Sénat.

Je maintiens cet avis défavorable, sans qu'il faille l'interpréter comme un signal défavorable à la lutte pour les droits des enfants.

M. Xavier Iacovelli.  - C'est raté !

Mme Laurence Rossignol.  - Assumez !

Mme Muriel Jourda, rapporteur - L'absence de délégation ne nous empêche pas de travailler de manière transversale. Bientôt, les délégations aux droits des femmes et aux outre-mer se pencheront sur la parentalité outre-mer. Je ne pense pas, comme Clemenceau, que le meilleur moyen d'enterrer un problème soit de créer une commission ; mais cette délégation, dépourvue de rôle législatif, ne résoudra pas les problèmes.

Mme Laurence Rossignol.  - Et les autres délégations ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Si nous n'en avons pas besoin pour travailler sur l'enfance, y compris de façon transversale, à quoi servira cette délégation ?

Mme Laurence Rossignol et M. Michel Dagbert.  - Supprimez toutes les délégations, dans ce cas !

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Il ne s'agit que d'organiser différemment nos travaux - l'avis de sagesse qu'avait émis le Gouvernement lors de la précédente demande l'illustre. Le rapport rendu par Roger Karoutchi et Alain Richard en 2015 sur l'organisation du travail parlementaire avait appelé à l'arrêt de la polysynodie, c'est-à-dire à la fin de la création de multiples instances...

Mme Laurence Rossignol.  - Ta ta ta !

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Il avait été déposé sur le Bureau du Sénat. C'est d'ailleurs la conférence des présidents qui a décidé de créer cette délégation à l'Assemblée nationale.

Mme Laurence Rossignol.  - Et donc ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - J'invite donc ceux qui le souhaitent à s'adresser au Bureau du Sénat.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce serait plus démocratique ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Voilà qui remettrait le débat à sa place. Il ne s'agit pas des enfants, mais de l'organisation de notre travail. Le Sénat reste un soutien indéfectible de la cause des enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'enfance .  - (Applaudissements sur quelques travées du RDPI) Avant tout, je salue l'engagement sans faille de Xavier Iacovelli (M. Michel Dagbert applaudit) et remercie les auteurs de cette proposition de loi.

Beaucoup a été fait lors du précédent quinquennat, avec comme point d'orgue la loi de février 2022, et beaucoup a été fait dans votre assemblée. Mais les chiffres, et particulièrement le dernier révélé par l'Unicef, sont terribles et nous rappellent à la réalité : malgré les moyens et les acteurs engagés, des départements aux associations, les droits fondamentaux des enfants sont fragiles - sécurité, santé, logement, éducation - et ne sont pas assurés.

Nous devons, inlassablement, débattre et agir. Pour chaque politique publique, il faut intégrer les droits de l'enfant. L'ONU, l'an prochain, évaluera la France au regard de la convention internationale des droits de l'enfant. Le pays des droits de l'homme et des droits des femmes doit montrer qu'il est aussi celui des droits des enfants.

Le Président de la République a fait de l'enfance un sujet prioritaire du nouveau quinquennat. Au premier comité interministériel de l'enfance, autour de la Première ministre, les ministres concernés ont déterminé cinq chantiers prioritaires et quarante mesures, que je coordonnerai.

La première est la lutte contre les violences : Gérald Darmanin créera un officier de police judiciaire spécialisé et Éric Dupond-Moretti émettra une circulaire de politique pénale.

Il y a aussi la santé mentale des enfants, sur laquelle les présidents des départements font remonter leurs préoccupations. Le ministre de la santé a lancé hier des assises de la santé des enfants et de la pédiatrie, qui définiront au printemps des orientations très attendues.

Le numérique, enfin : nos enfants doivent être protégés sur internet. La loi Studer sur le contrôle parental sera bientôt effective et accompagnée d'une campagne de communication.

Au-delà, il faut renforcer notre action aux côtés des départements, pour faciliter l'accès des enfants handicapés aux dispositifs de droit commun. Cela passe par un accompagnement financier et un renforcement de la coordination des services de l'État, avec les préfets.

La loi de février 2022 autorise l'expérimentation de comités départementaux de la protection de l'enfance, réunissant l'ensemble des services déconcentrés. J'y crois beaucoup, pour améliorer l'offre, les contrôles et la qualité du parcours des enfants. Mes échanges avec les élus confirment mon souhait de débuter l'expérimentation dès janvier.

Je constate l'intérêt des parlementaires. L'Assemblée nationale a créé, en septembre, une délégation : j'ai salué cette initiative. Aucun ministre n'a le monopole de l'enfant, aucune instance parlementaire non plus. Les commissions des affaires sociales, des lois, ou encore de la culture et de l'éducation sont concernées.

J'ai à coeur de faire de l'enfance l'affaire de tous et de placer les politiques à hauteur d'enfant. Votre délégation aux droits des femmes joue un rôle précieux, et je m'appuie sur ses travaux sur la pornographie.

Cependant, créer une délégation relève de l'organisation interne du Parlement : je ne puis que m'en remettre à votre sagesse.

Je confirme ma volonté de travailler avec chacun, quelle que soit l'issue du vote. Je sais que nous sommes tous pleinement engagés sur le sujet de l'avenir de nos enfants, qui doit nous rassembler. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe CRCE ; Mme Laurence Rossignol applaudit également.)

Mme Mélanie Vogel .  - La question est simple : une délégation aux droits de l'enfant est-elle utile ou ne servirait-elle à rien ? (Mme Corinne Imbert et M. Bernard Bonne le contestent.)

Le GEST considère qu'elle serait utile. C'est une demande de longue date des associations. C'est que la situation des droits de l'enfant, en France, n'est pas glorieuse : inceste, sport, handicap, pénal... Tant de sujets doivent être vus du point de vue de l'enfant.

Ainsi, 60 000 enfants par an - deux par classe - sont victimes d'inceste. Nous ne savons pas traiter ce phénomène massif, et le nombre ne diminue pas, parce qu'on ne part jamais du point de vue des enfants victimes. Pourquoi ne parlent-ils pas ? On ne prend pas en compte le contexte. La réponse pénale ne suffit pas, hélas. La prison n'empêche ni l'inceste ni la récidive. On gère l'existant, les victimes brisées, les violeurs.

Nous ne pourrons construire de politique publique satisfaisante sans prendre en compte  le point de vue des enfants : c'est ce que permet une délégation, via un travail d'information, d'enquête et de recherche, au-delà du travail législatif.

Pourtant, la Commission des lois s'y oppose, au motif que la délégation aux droits des femmes traite déjà le sujet... Mais tous les enfants ne sont pas de futures femmes, et il n'y a pas que des femmes qui ont des enfants. En outre, les travaux, éparpillés entre commissions, ne bénéficient pas d'une vision d'ensemble.

Il ne faudrait pas multiplier les délégations, dites-vous. Le Sénat a pourtant créé, en 2014, une délégation aux entreprises : risquaient-elles, plus que les enfants, d'être l'angle mort de nos politiques publiques ? (MM. François Patriat et Michel Dagbert applaudissent.)

Alors que l'Assemblée nationale s'est dotée d'une délégation aux droits de l'enfant, montrons que le Sénat n'est pas, perpétuellement, opposé à toute avancée sociale ! (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes SER, CRCE, du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP)

M. Dominique Théophile .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP) Cette proposition de loi dresse le constat, largement partagé, que beaucoup de défis restent à relever pour assurer le respect des droits de l'enfant. Dès 2003, l'Assemblée nationale a adopté, sans qu'elle prospère, une proposition de loi de Jacques Barrot et de Dominique Paillé. Plus récemment, en 2019, le Sénat rejetait la proposition de loi du groupe CRCE, estimant déjà se saisir pleinement de ces sujets.

Si la position de la commission des lois n'a pas changé, le contexte politique n'est plus le même. Mme la ministre a rappelé les mesures prises par le Gouvernement. Je fais mien le constat d'Unicef France sur la persistance des inégalités, notamment dans les quartiers de la politique de la ville et dans les territoires d'outre-mer, qui empêchent bien des enfants d'avoir accès à la santé et à l'éducation.

Une délégation pourra mener des travaux approfondis ou transversaux sur des questions abordées de façon parcellaire - je pense à la santé mentale ou à la pauvreté infantile. Elle apporte de la visibilité aux travaux du Sénat ; en témoigne l'écho des récents rapports de la délégation aux droits des femmes.

Elle faciliterait les échanges avec l'Assemblée nationale et le Parlement européen, et améliorerait le suivi de l'application des lois, tout en alimentant la réflexion du Gouvernement.

Ces arguments ont présidé à la création d'une délégation à l'Assemblée nationale. Inscrivons cette initiative dans la loi : le groupe RDPI votera naturellement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mmes Véronique Guillotin, Cathy Apourceau-Poly et Laurence Cohen applaudissent également.)

Mme Laurence Rossignol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa et M. Xavier Iacovelli applaudissent également.) « La fragmentation des compétences illustre le caractère transversal de la question de l'égalité des droits. Elle peut entraîner un défaut préjudiciable à une vision globale. L'examen de textes successifs par différentes commissions peut ne pas pleinement permettre d'intégrer l'objectif d'égalité entre les sexes ». Voilà ce que disait la commission des lois en 1999, lors de la création de la délégation aux droits des femmes - par une proposition de loi, et non une décision du Bureau ! La commission des lois varie parfois...

Que voulez-vous démontrer, madame la rapporteure ? Que le Sénat examine les textes qui lui sont soumis, voire en propose ? C'est bien le moins ! Vous avez cité les rapports de la délégation aux droits des femmes, mais sachez que celle-ci aimerait bien ne plus être chargée, aussi, des droits des enfants. Y compris en délégation, les femmes méritent de s'émanciper de la charge mentale des enfants ! (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI)

La Société des Nations, qui a adopté la déclaration de Genève sur les droits de l'enfant il y a 98 ans, serait effarée par les propos entendus ici... (Mme Victoire Jasmin applaudit.)

Je ne suis pas née de la dernière pluie, et j'ai compris depuis longtemps que les débats de forme cachent des questions de fond. (Applaudissements sur travées du groupe SER et du RDPI) Il ne s'agit pas ici de l'organisation de nos travaux mais de la façon de traiter des droits de l'enfant.

Savez-vous ce que sont les droits de l'enfant ? Ce sont d'abord ses besoins, et les politiques publiques qui garantissent son bon développement, social et individuel. Créer une délégation aux droits de l'enfant, c'est affirmer la cohérence d'une stratégie décloisonnée, dans le respect de ses droits et de ses besoins. C'est nous doter d'une capacité d'expertise, et anticiper pour s'adapter aux transformations familiales - je sais que celles-ci électrisent cette assemblée, mais elles existent, il nous revient de les accompagner et garantir qu'elles respectent l'égalité des membres de la famille et les droits de l'enfant.

Créer cette délégation, c'est décloisonner les politiques publiques, aujourd'hui sectionnées entre l'éducation, la famille, le sport et la santé. Or le développement multidimensionnel d'un enfant, c'est la combinaison de différentes sphères de vie. On aimerait tellement que seule la famille ait la main sur son développement, mais ce n'est pas le cas ! Il y a aussi la ville, la nature, les loisirs, le sport, la culture, la citoyenneté... La protection contre les violences sexistes et sexuelles, contre les écrans, contre la pauvreté, c'est aussi la politique des droits de l'enfant.

Voilà le mouvement que nous, sénatrices et sénateurs modernes, entendons accompagner. Le Parlement est le chaînon manquant entre les associations et les politiques publiques. C'est bien la première fois que j'entends que le Parlement doit se dessaisir d'un sujet ! Non, nous voulons une délégation aux droits de l'enfant. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI ; Mme Colette Mélot applaudit également.)

Mme Laurence Cohen .  - « L'enfant a le droit au respect de sa dignité et de son amour-propre, au respect pour chaque minute qui passe », comme l'écrivait Janusz Korczak, inspirateur de la Convention des droits de l'enfant.

Le groupe CRCE s'inscrit dans cette vision. Rappelons que c'est notre proposition de loi, adoptée à l'unanimité par le Sénat, qui a donné lieu à la loi du 9 avril 1996 faisant du 20 novembre la Journée nationale des droits de l'enfant.

Nous soutenons la proposition de loi de Xavier Iacovelli, en espérant qu'elle ne subira pas le même sort que celle de notre groupe, rejetée le 20 novembre 2019.

En France, un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté - c'était 16 % il y a vingt ans. Ils sont des milliers à vivre dans la rue. Les inégalités en matière de santé, de logement, d'accès à l'éducation et aux loisirs demeurent. Les enfants étrangers, nés en France ou arrivés seuls ou avec leurs parents, sont dans une situation particulièrement précaires - placés dans des centres de rétention, expulsés avec leurs parents... Que fait l'État pour ces mineurs installés dans un campement à Ivry, qui manifestent devant le Conseil d'État ? Nous ne sommes pas dans la France de Zola : réveillons-nous, c'est inhumain !

La révision de la justice pénale des mineurs, entrée en vigueur, le 30 septembre 2021, remet gravement en cause l'ordonnance de 1945. Un enfant est un enfant.

Le Parlement doit être à l'initiative d'une veille et d'un contrôle assidu du respect des droits de l'enfant. Violences intrafamiliales, agressions sexuelles, incestes : montrons la détermination du Sénat. L'Assemblée nationale a agi fort à propos. Examiner des textes avec le travail spécifique d'une délégation ne peut être qu'un plus. La délégation aux droits des femmes, par exemple, apporte une expertise sans empiéter sur les travaux des commissions.

Je ne partage donc pas les propos de la rapporteure : c'est fuir ses responsabilités et donner une image rétrograde du Sénat. (Plusieurs applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI) La France, pays des droits de l'homme, doit se montrer sur ce point exemplaire. Une délégation aux droits de l'enfant serait un signal fort. J'espère que nos collègues hésitants nous suivrons dans le vote de cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Après ces présentations passionnées, nous voyons que nous illustrons les rédactions de notre enfance sur le thème du coeur et de la raison... Nous venons d'entendre la voix du coeur, il y a aussi une voix de la raison. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Mme Laurence Rossignol.  - Nous ne sommes que des femmes, dominées par l'émotion !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Incroyable...

M. Philippe Bonnecarrère.  - La défense des droits de l'enfant ne fait aucunement débat, de près ou de loin, sur nos bancs.

Mme Laurence Rossignol.  - Il n'y a jamais de débat.

M. Philippe Bonnecarrère.  - La préoccupation est la même, il n'y a pas de débat entre conservateurs et modernistes. (Applaudissements et « bravo » sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme Laurence Cohen.  - Si !

M. Philippe Bonnecarrère.  - Reste à savoir comment on traite les sujets pour avoir l'action publique la plus efficace. Deux options : flécher une délégation spécifique ou considérer que l'organisation parlementaire est déjà adaptée. Les deux points de vue se valent. Mme Vogel a parlé d'éparpillement - j'allais parler d'émiettement, car si vous créez une délégation sur chaque sujet transversal, vous êtes bien dans cet émiettement de l'action parlementaire ! Entre les débats dans l'hémicycle, le suivi des commissions et des délégations, nous courons tous après notre agenda. Il y a des limites à l'exercice.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Supprimons la délégation à la prospective...

M. Philippe Bonnecarrère.  - La multiplication des délégations n'est pas la réponse.

Je me méfie de l'effet d'affichage. Mme Cohen a conclu son propos en disant qu'il fallait envoyer des signaux. Multiplier les signaux, les journées mondiales de ceci ou de cela ne me semble pas pertinent : ce sont des logiques d'émotion et de communication.

M. Xavier Iacovelli.  - Vous ne m'avez pas écouté.

M. Philippe Bonnecarrère.  - Cela rejoint l'inscription de toutes les normes juridiques dans notre Constitution. Gare aux abus. Même si certains membres de notre groupe sont sensibles à l'idée...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est l'émotion !

Mme Laurence Rossignol.  - Sans doute des femmes...

M. Philippe Bonnecarrère.  - ... la majorité du groupe UC ne votera pas cette proposition de loi.

Dans leur rapport sur les méthodes de travail du Sénat, MM. Karoutchi et Richard invitaient à éviter la dispersion des sénateurs et la polysynodie des structures du Sénat.

Notre assemblée travaille beaucoup et conduit un contrôle soutenu sur les sujets les plus variés. M. Théophile plaidait pour un meilleur suivi de l'application des lois - cela vaut pour tous les sujets que nous examinons.

Notre assemblée n'a pas à rougir de son travail continu, de sa capacité à assurer la transversalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, tandis que Mmes Laurence Rossignol et Laurence Cohen signalent que l'orateur a dépassé son temps de parole.)

Mme Esther Benbassa .  - La création d'une délégation parlementaire aux droits de l'enfant se heurte une nouvelle fois au refus de la majorité de la commission des lois. Comme en 2019, vous justifiez votre rejet par des considérations sur le travail parlementaire.

Or nous avons été élus pour porter la voix de nos concitoyens et des collectivités. Les services de l'ASE sont saturés. En novembre 2021, un nourrisson de 13 mois a été battu à mort par ses parents malgré un signalement et une mesure de protection : ce drame aurait pu être évité.

L'inceste et la maltraitance se terminent trop souvent par des suicides ou des coups mortels. La responsabilité de l'État est immense.

Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) signale des dysfonctionnements profonds de l'ASE. La Défenseure des droits s'est alarmée de la situation des mineurs placés dans le Nord et la Somme. Les juges des enfants alertent sur la non-exécution des placements et des mesures d'assistance éducative, avec des délais excédant six mois. Les enfants sont laissés pour compte, l'État largement désengagé, au point que la protection de l'enfance n'est plus assurée dans certains territoires. Selon la Fondation Abbé Pierre, un quart des personnes SDF sont d'anciens enfants placés.

Et vous voudriez nous faire croire qu'une délégation n'est pas pertinente ? De l'éducation à la santé, les enfants ont une part entière dans nos politiques publiques. La délégation serait une fenêtre ouverte aux enfants, un organe d'action et de propositions. Je voterai cette proposition de loi, dont je remercie les auteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDPI ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Maryse Carrère .  - Lors de l'examen du projet de loi de finances, je pointais les difficultés des services d'aide à l'enfance, entre surcharge de travail et manque de personnel. Je rends hommage à ceux qui s'y dévouent.

Je salue l'initiative de Xavier Iacovelli. Certes, les objectifs poursuivis pourraient être atteints sans passer par la loi, comme ce fut le cas à l'Assemblée nationale, mais à défaut de décision de la conférence des présidents, cette proposition de loi est l'occasion d'un débat.

Qui, dans cet hémicycle, n'est pas favorable à ce que nous portions une attention particulière aux droits de l'enfant ? Nous sommes unanimes sur le sujet. Je pense à la loi du 21 avril 2021 de Mme Billon visant à protéger les mineurs de l'inceste, qui marqué une avancée significative.

Le Sénat défend les droits et l'intégrité des enfants depuis longtemps - la rapporteure a dressé la liste, non exhaustive, de ses récents travaux. Toutefois, je ne suivrai pas l'avis de la commission. D'ailleurs, certains membres du RDSE ont cosigné la proposition de loi. Pourquoi ne pas structurer nos travaux au sein d'une délégation, plutôt que de s'éparpiller ?

Personne ne dira que les autres délégations sont inutiles.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Quoique...

Mme Maryse Carrère.  - Ce sont des lieux de dialogue, d'analyse, de prospective. Leurs travaux, leur expertise nourrissent nos débats législatifs. Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et des groupes SER et CRCE)

M. Bernard Bonne .  - À l'occasion de la journée internationale des droits de l'enfant le 20 novembre dernier, l'Unicef a publié des chiffres alarmants : en France, un enfant est tué tous les cinq jours par ses parents, et les appels de victimes ou les signalements de maltraitance ont progressé de 45 % depuis 2019.

Malgré des avancées, la France n'a pas réussi à éradiquer les violences contre les enfants et à faire respecter leurs droits. Trois millions d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté. Aux inégalités s'ajoutent des violences physiques et morales - harcèlement, maltraitance, pédophilie, exploitation sexuelle.

La situation est encore plus dramatique dans le monde : la guerre, la misère, le changement climatique menacent des millions d'enfants.

La Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), adoptée le 20 novembre 1989, ratifiée en août 1990 par la France, garantit les droits inaliénables des enfants - droit à une identité, à la santé, à l'éducation, droit de s'exprimer, d'être protégé, ou encore de jouer. Entre 2014 et 2022, trois protocoles ont complété cet instrument.

En 2003, une telle proposition de loi avait été adoptée par l'Assemblée nationale, sans prospérer. Celle-ci reprend un texte d'Éliane Assassi, rejeté en séance le 20 novembre 2019.

Je regrette l'absence de concertation au sein de la commission des affaires sociales avant le dépôt de la proposition de loi.

M. Xavier Iacovelli.  - On en parle depuis 2020 !

M. Bernard Bonne.  - Inutile de légiférer sur cette question : laissons le Bureau décider, c'est son rôle.

J'étais rapporteur de la loi du 8 février 2022 relative à la protection de l'enfance : nous avions constaté le manque d'efficience de cette politique et fait des propositions concrètes. Si le texte se limitait à l'ASE, tous les acteurs auditionnés avaient plaidé pour une veille pérenne et indépendante sur les politiques publiques en la matière.

Je comprends que ces associations demandent au Sénat de créer une telle délégation, après la décision de l'Assemblée nationale. Mais le Sénat a déjà traité l'essentiel des sujets sur lesquels cette délégation souhaite se pencher, à travers des travaux de ses différentes commissions permanentes ou de sa délégation aux droits des femmes. C'est bien via les commissions permanentes que le Sénat exerce son droit de contrôle et d'évaluation. La commission des affaires sociales doit se saisir tout particulièrement de ces questions. La Cnil et la Défenseure des droits alertent sur l'urgence à protéger les enfants des dangers du numérique. Pourquoi ne pas créer une mission d'information sur l'application des lois de 2007, 2016 et 2022 ? (Mme Laurence Rossignol signale que le temps de parole de l'orateur est écoulé.)

Une société qui ne protège pas ses enfants transige avec ses valeurs les plus fondamentales. (Mme Corinne Imbert applaudit.)

Mme Colette Mélot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.) Au sein de cet hémicycle, notre intérêt pour les droits de l'enfant est unanime. Tous, nous voulons donner les moyens aux enfants de construire leur avenir. Tous, nous voulons les protéger des violences.

Malgré nos efforts, les défis restent considérables, notamment pour les enfants atteints de handicap ou les enfants migrants. C'est pourquoi l'initiative de Xavier Iacovelli mérite d'être saluée, et je remercie le groupe RDPI de l'avoir inscrite à l'ordre du jour.

M. Xavier Iacovelli.  - Merci !

Mme Colette Mélot.  - Ce texte vise à constituer une délégation parlementaire, de 36 membres, chargée du suivi de la politique de l'enfance et pouvant être saisie de projets ou de propositions de loi, sur demande du Bureau, d'une commission, d'un président de groupe ou sur sa propre initiative. Il prévoit aussi un rapport d'activité annuel, préconisant le cas échéant des améliorations législatives et réglementaires. Enfin, les délégations des deux chambres pourraient tenir des réunions communes.

En 2019, une initiative identique avait été repoussée. La création d'une délégation à l'Assemblée nationale le 13 septembre nous incite à revoir notre position de 2019. L'expertise des sénateurs serait utile, notamment à la lumière du rôle majeur que les collectivités territoriales jouent en faveur de l'enfance. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)

Mme Michelle Meunier.  - Très bien.

Mme Colette Mélot.  - La délégation pourrait adopter une approche différente des commissions permanentes, en privilégiant une démarche transversale. Elle donnerait aussi de la visibilité aux droits de l'enfant. La majorité du groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDPI, du RDSE et du groupe SER ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

M. Laurent Burgoa .  - Nous le savons : l'enfer est pavé de bonnes intentions. (Mme Laurence Rossignol s'exclame.)

La création d'une délégation relève d'une décision du Bureau. La loi du 15 juin 2009 a supprimé pas moins de cinq délégations dans un souci de rationalisation des travaux parlementaires.

M. Xavier Iacovelli.  - Nous en avons recréé trois depuis...

M. Laurent Burgoa.  - Cette proposition est révélatrice de ce que pourrait devenir notre vie parlementaire.

Mme Laurence Rossignol.  - Nous parlons d'enfants, là...

M. Laurent Burgoa.  - Nous ne manquons pas d'outils pour nous emparer des enjeux de notre société : propositions de loi, amendements, commissions d'enquête, rapports d'information. Plutôt que de discuter de la création d'une délégation, mieux vaut débattre de solutions concrètes à des difficultés précises. (Protestations à gauche)

M. Xavier Iacovelli.  - Nous sommes dans notre espace réservé !

M. Laurent Burgoa.  - Les auteurs de la proposition de loi se donnent le beau rôle. Mais ce travail transversal existe déjà - je songe au rapport d'information conjoint des commissions des lois et des affaires sociales sur les mineurs non accompagnés, qui comportait de nombreuses propositions. (Mme Laurence Rossignol s'exclame.) Évitons l'émiettement. Le groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat avait recommandé, en 2015, d'éviter une division trop importante de notre champ de travail.

En créant cette délégation, on se ferait plaisir, on communiquerait, mais rien ne changerait. Or les Français attendent des traductions concrètes dans leur quotidien. Ils sont las de voir que le travail parlementaire n'est pas repris par le Gouvernement. C'est parfois difficile à vivre, dans l'opposition, mais j'espère que l'exécutif entendra raison...

Je plaide pour un Sénat qui soit force de propositions, plutôt que de se renfermer sur lui-même. (M. Xavier Iacovelli proteste.) À multiplier les comités Théodule, nous perdrions en souplesse. La grande majorité du groupe Les Républicains votera contre ce texte.

Mme Laurence Rossignol.  - Il y en a donc quelques-uns qui voteront pour !

M. Laurent Burgoa.  - Ce n'est pas un vote contre les droits des enfants.

M. Xavier Iacovelli.  - De l'enfant !

M. Laurent Burgoa.  - Ne transformez pas notre point de vue en une position caricaturale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion de l'article unique

Mme Véronique Guillotin .  - Les délégations sénatoriales aux droits des femmes, aux entreprises, aux collectivités territoriales, ont été jugées utiles. Les droits de l'enfant ne mériteraient-ils pas une délégation ? Les travaux égrenés par la rapporteure montrent l'intérêt du Sénat pour le sujet, tout comme le plaidoyer de Bernard Bonne. Si cette proposition de loi peut lever un frein, je la voterai, et incite tous ceux qui veulent s'emparer de sujets sociétaux à faire de même. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE)

M. Hussein Bourgi .  - À chaque débat sociétal - mariage pour tous, adoption, PMA - la majorité sénatoriale a invoqué l'intérêt supérieur de l'enfant. Je regrette l'absence de ses membres en séance. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI)

Ce serait faire injure à la commission des affaires économiques de prétendre que personne ne se penchait sur les entreprises ou la prospective avant la création des délégations dédiées... (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI) Ce n'est pas parce que des travaux ont déjà lieu qu'il est interdit de créer une délégation !

Rendez-vous est pris : dans quelques mois ou quelques années, un membre de la majorité sénatoriale reprendra cette proposition à son compte pour réparer l'erreur que nous allons peut-être commettre. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Mme Michelle Meunier .  - Je voterai cette proposition de loi avec enthousiasme. Sur le terrain, dans nos territoires, nous saluons la coopération, le travail commun, le regard croisé des acteurs de l'enfance ; c'est souvent l'occasion de citer le proverbe africain : « Il faut tout un village pour élever un enfant. »

Je regrette vivement que notre Haute Assemblée rate à nouveau ce rendez-vous. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI)

M. Olivier Cadic .  - Nouvellement élu au Sénat, j'avais interrogé la secrétaire d'État à la famille, Laurence Rossignol, sur le petit Bastien, mort dans le lave-linge familial. Ce drame bouleversant mettait en lumière les carences de notre système. Il existe beaucoup d'autres Bastien et nous peinons à recenser tous les infanticides.

La maltraitance dépasse les frontières ; à l'étranger, les familles françaises échappent parfois à la protection de l'enfance. Certains enfants perdent tout contact avec l'un des parents -  je vous renvoie au travail de Richard Yung sur les enfants franco-japonais. Les consulats, faute de moyens, ne peuvent jouer le rôle de l'ASE, même si l'aide aux victimes de violences familiales se développe.

C'est à sa capacité à protéger les plus faibles que l'on reconnaît une société civilisée. Une délégation aux droits de l'enfant s'impose. Je remercie M. Iacovelli de son initiative et d'avoir cité la proposition de Mme Garriaud-Maylam. Je voterai ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

M. Xavier Iacovelli .  - Je remercie tous ceux qui ont soutenu cette proposition de loi et souscris à leurs propos.

Certains ont parlé, avec mépris, de texte « d'affichage », de proposition « de coeur ». Non, c'est une proposition de raison. La liste des travaux énumérés par la rapporteure montre que nous avons besoin de coordonner nos travaux et de privilégier la transversalité. Inutile de dénaturer nos initiatives avec mépris pour tenter de dissimuler votre malaise !

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Ne parlez pas pour nous !

M. Philippe Bonnecarrère.  - Il n'y avait aucun mépris dans mes propos.

M. Xavier Iacovelli.  - On m'a aussi parlé de temporalité. Certains s'alarment de la création d'une délégation, à l'initiative de l'opposition, à neuf mois des sénatoriales...

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Qui a dit ça ?

M. Xavier Iacovelli.  - Si c'est ce qui vous inquiète, engageons-nous pour octobre ou novembre 2023 ! La question des droits de l'enfant n'est pas une question partisane. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI)

M. Bonne préférerait un groupe de travail au sein de la commission des affaires sociales ? Je l'ai demandé en 2020, il m'a été refusé !

J'espère que les consignes de vote transmises par chacun seront respectées, car j'ai reçu des soutiens dans tous les groupes, y compris de la majorité. J'invite chacun à voter cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI et du RDSE)

Mme Laurence Rossignol .  - Les représentants de majorité sénatoriale nous invitent à parler non des droits de l'enfant mais du fonctionnement de nos travaux. Soit.

À la fin de la discussion générale, nous étions 34 en séance, dont 29 sénateurs favorables à cette proposition de loi. Six des huit groupes y sont favorables, un groupe est partagé, un groupe est majoritairement hostile. Et pourtant, notre système de scrutin public va sans doute aboutir au rejet du texte... Puisque nous parlons du fonctionnement de nos travaux, voilà un beau sujet ! (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI)

Mme Nassimah Dindar .  - Je suis, pour ma part, très favorable à cette proposition de loi, que je voterai. Les départements attendent que nous travaillions sur ce sujet. L'université de La Réunion a organisé, avec le conseil départemental et les associations de la zone océan Indien, un colloque sur les droits de l'enfant. Les chiffres sont alarmants, de la scolarité aux grossesses précoces.

Cher Xavier Iacovelli, il n'y a pas de mépris de la part de mes collègues du groupe UC. J'ai eu des discussions nourries avec eux ; beaucoup sont préoccupés par la forme, c'est pourquoi ils s'abstiendront ou voteront contre. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois .  - Je remercie Mme Dindar, j'allais tenir un propos similaire. Certains ont parlé de mépris de la majorité sénatoriale.

M. Xavier Iacovelli.  - Non, de certains orateurs !

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Je ne peux pas entendre ce reproche adressé à la majorité sénatoriale.

Mme Laurence Rossignol.  - Vous n'étiez pas là !

M. Xavier Iacovelli.  - Écoutez les discours, c'était bien du mépris !

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Je ne peux pas entendre que la forme cacherait le fond...

Mme Laurence Rossignol.  - Je le maintiens.

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - ... que la majorité se désintéresserait de la protection des enfants...

Mme Laurence Rossignol.  - Regardez les travées de la majorité !

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Les nombreux travaux de la commission des lois ont été rappelés. Le dernier en date, sur les agressions sexuelles contre les mineurs, marque une grande avancée dans la défense des enfants.

Mme Laurence Rossignol.  - Pourquoi êtes-vous sur la défensive ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Je ne suis pas sur la défensive, mais je n'aime pas les procès d'intention. (M. Laurent Burgoa renchérit.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Regardez vos travées !

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Le véhicule n'était pas le bon, mais, sur le fond, la discussion est ouverte.

M. Xavier Iacovelli.  - Prenez un engagement !

À la demande du groupe Les Républicains, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n° 97 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l'adoption 153
Contre 178

L'article unique n'est pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue à 13 h 15.

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

La séance reprend à 16 heures.

Mises au point au sujet d'un vote

Mme Jocelyne Guidez.  - Lors du scrutin n°97, Denise Saint-Pé et moi-même souhaitions nous abstenir.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique du scrutin.

Accompagnants d'élèves en situation de handicap et assistants d'éducation

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées .  - À cette heure, 430 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés dans l'école de la République, en classe ordinaire, en augmentation de 6 à 10 % chaque année. C'est une satisfaction pour ces enfants, qui sont à leur place sur les bancs de l'école, et pour ceux qui les accompagnent.

Cette réussite, nous la devons à la mobilisation de tous, notamment de l'État, dans le cadre de la loi de 2005 et de l'école inclusive voulue par le Président de la République.

Le Gouvernement engage des moyens importants et croissants pour accueillir ces élèves dans de bonnes conditions. C'est ainsi que 132 000 accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sont mobilisés. À la rentrée 2022, 4 000 ont été recrutés, et 4 000 supplémentaires le seront en 2023. Leur nombre a augmenté de 50 % entre 2017 et 2022. On compte désormais un AESH pour huit enseignants : c'est le deuxième métier de l'éducation nationale.

Cette proposition de loi entend améliorer l'inclusion scolaire en renforçant leur stabilité professionnelle. Le métier doit être plus attractif, et donc ne plus être précaire. J'y souscris.

Depuis 2017, de nombreuses mesures ont été prises : le CDD d'au moins trois ans, le CDI au bout de six ans, la formation initiale de 60 heures, le droit à la formation professionnelle et aux prestations d'action sociale, la grille indiciaire ou encore les référents AESH. Leur rémunération progresse, grâce aux amendements à la mission « Enseignement scolaire » qui revalorisent le salaire net de 10 %, pour 80 millions d'euros en 2023. S'y ajoute l'extension de la prime REP (réseau d'éducation prioritaire)-REP+, pour 74 millions d'euros.

Cette proposition de loi poursuit ces avancées, avec un CDI sécurisant les personnes dans leur emploi dès trois ans, au lieu de six. Le métier sera plus attractif, alors qu'on peine à recruter et à fidéliser. Ce progrès, concret et rapidement applicable, est attendu.

Je précise toutefois que certains éléments sont déjà satisfaits par la loi visant à combattre le harcèlement scolaire, qui prévoit le CDI obligatoire pour les assistants d'éducation (AED) au bout de six ans. Le décret du 9 août 2022 produira ses pleins effets à la prochaine rentrée, et le versement de la prime REP-REP+ est prévu.

L'aide humaine que constituent les AESH doit s'inscrire dans le cadre du droit à la scolarisation des élèves en situation de handicap. Ce n'est pas une option. Ces personnels sont irremplaçables pour notre école.

Mais rappelons aussi l'esprit de la loi de 2005 sur l'adaptation à chaque handicap : tous les élèves n'ont pas besoin d'un accompagnement individuel. La croissance continue du nombre des AESH ne peut donc être la seule réponse. Nous devons aussi progresser sur le numérique, les méthodes pédagogiques, la formation des enseignants, sans oublier l'organisation administrative.

Dans la foulée de la conférence interministérielle sur le handicap du 6 octobre dernier, s'est ouverte la réflexion sur l'école inclusive, avec l'ensemble des acteurs, dont les départements et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Les parlementaires y sont associés. Ce travail aboutira au printemps 2023, avec la conférence nationale du handicap.

La stabilité professionnelle et les conditions de revenus des AESH sont déterminantes pour la scolarisation des enfants en situation de handicap. L'attractivité du métier en dépend aussi.

Le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions)

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure de la commission de la culture .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.) C'est la deuxième fois en quelques mois que notre commission de la culture se penche sur les AESH, chevilles ouvrières de l'école inclusive. Nous avions lancé une première alerte avec Annick Billon et Max Brisson dans le cadre de la mission d'information portant sur le bilan des mesures éducatives du dernier quinquennat.

La proposition de loi de Michèle Victory permet d'avancer. La situation des 120 000 AESH - des femmes à 93 % - se caractérise par une précarité institutionnalisée dénoncée par Max Brisson. Ainsi, 80 % sont en CDD, et seuls 2 % sont employés à temps complet, la quotité moyenne étant de 62 %. Ce temps partiel subi leur impose de chercher d'autres métiers. La rémunération mensuelle moyenne n'est que de 850 euros nets - sous le seuil de pauvreté ! Enfin, les lacunes de la formation conduisent certains à s'autoformer.

À cette précarité de l'emploi, s'ajoute la dégradation constante des conditions de travail. La généralisation des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial) marque un tournant dans cette aggravation. Il faut mettre un terme à la gestion fondée sur la flexibilité, replacer la qualité de l'accompagnement au coeur du dispositif et renforcer le cadrage national. Être soumis au Pial, c'est être extrêmement flexible : affectation dans différents établissements, nombreux déplacements non défrayés, changements fréquents et non concertés d'emploi du temps, etc. Le droit à la pause méridienne et au fractionnement des congés n'est pas respecté. Les AESH eux-mêmes se décrivent comme corvéables et relégués au dernier rang.

Qu'est-ce qui les fait tenir ? Ils le disent : c'est un beau métier, et sans AESH, pas d'école inclusive. Ce métier, si peu attractif, est de plus en plus nécessaire, avec une hausse de 11 % par an des notifications d'aide humaine de la MDPH, deux fois supérieure aux notifications de reconnaissance de handicap.

En commission, nous avons vu que la prise en charge globale de l'enfant pose la question du partage des responsabilités. Nous y travaillerons.

Malgré une hausse de 35 % du nombre d'AESH en cinq ans, l'école inclusive n'est pas encore une réalité pour tous. Certains besoins ne sont pas couverts. Des familles se tournent alors vers des AESH privés. Un nouveau marché se développe, provoquant une rupture d'égalité et renforçant les inégalités sociales.

J'en viens aux 65 000 assistants d'éducation (AED), eux aussi précaires. La fonction devait être un tremplin vers les concours de conseiller principal d'éducation (CPE) et de professeur. Mais le taux de réussite aux concours n'est que de 15 % et les étudiants ne représentent que 30 % des effectifs. Faut-il en faire un véritable métier ou mieux garantir ses débouchés ? Madame la ministre, une concertation est nécessaire. Rémunération au Smic, grille indiciaire inexistante, absence de formation comme de perspectives professionnelles : les sujets sont multiples.

La proposition de loi se veut une première étape, modeste, vers l'amélioration et la reconnaissance du service rendu.

L'article 1er permet le recrutement d'AESH en CDI dès trois ans d'exercice, contre six actuellement. Alors que la majorité des AESH enchaîne les contrats courts, ce sera un gage de stabilité, de sécurisation et de reconnaissance, et une étape dans la professionnalisation et l'attractivité du métier.

Où placer le curseur ? L'Assemblée nationale proposait trois ans, ce qui laisse le temps d'évaluer sans rigidifier. Pourquoi pas dès un an ? En tout cas, l'effectivité de la formation initiale est une condition sine qua non de la montée en compétence.

La CDIsation accélérée laisse un long chemin à parcourir. Nous appelons le Gouvernement à lancer une réforme structurelle dans le cadre de l'acte II de l'école inclusive, car bien des sujets sont de niveau réglementaire : quotité de travail, articulation avec le temps périscolaire, revalorisation de la grille indiciaire, remboursement des frais de transport, renforcement de la formation, révision des Pial.

L'article 2 ouvre le CDI aux AED, après six ans de CDD. L'article 10 de la loi du 2 mars 2022, modifié par le Sénat et l'amendement de Toine Bourrat, le satisfait, mais la commission n'a pas souhaité le modifier, compte tenu de la réticence de certains recteurs et chefs d'établissements à CDIser les AED. Le décret est sans ambiguïté, mais peut-être une circulaire ministérielle est-elle nécessaire, madame la ministre, pour réaffirmer ce principe ?

J'espère que le débat confirmera le consensus autour de ce texte, que la commission a adopté à l'unanimité et sans modification. Il appelle cependant des avancées supplémentaires dans un avenir très proche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Samantha Cazebonne .  - Les AESH et les AED sont des pièces maîtresses de l'école inclusive, mais des pièces précaires, menaçant la solidité de ce magnifique édifice. L'école inclusive s'entend comme l'exercice du droit fondamental à l'éducation de tous les élèves, quel que soit leur handicap.

Le problème central est la précarité, avec 80 % des AESH en CDD et une rémunération moyenne de 850 euros nets par mois. Le devenir des AED, recrutés au Smic et en CDD, est incertain.

Ces personnels, en grande majorité des femmes, aiment leur métier. C'est souvent une vocation.

Le Gouvernement a beaucoup investi depuis cinq ans, et le budget pour l'école inclusive a augmenté de 66 %. En outre, la loi de 2019 pour l'école de la confiance amorce la reconnaissance des AESH comme membres à part entière de l'équipe éducative. Elle autorise leur CDIsation après six ans et ouvre la voie à l'exercice de fonctions pédagogiques pour les AED.

Enfin, le budget 2023 finance la création de 4 000 postes d'AESH et une hausse de leur rémunération de 10 %. Le ministre a aussi annoncé l'extension de la prime REP-REP+ dans le primaire et le secondaire.

Ce texte poursuit le travail, mais il faudra aller plus loin sur la rémunération, la formation, l'articulation avec le périscolaire et la CDIsation des AESH au bout d'un an.

Le RDPI votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; Mme Annick Billon applaudit également.)

Mme Sabine Van Heghe .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je salue la qualité du travail de la rapporteure, et l'adoption unanime en commission qui a suivi.

La CDIsation des AESH après un seul CDD est indispensable. Les 132 000 AESH jouent un rôle fondamental. Combien d'enfants seraient en échec total sans eux ?

Le CDI est la norme dans notre pays, il permet de se loger et d'emprunter, or seuls 20 % des AESH en bénéficient. Leur rémunération est inférieure au seuil de pauvreté et leurs conditions de travail sont difficiles - temps incomplet, affectations de dernière minute, déplacements importants, peu pris en charge. Certains AESH se forment sur leurs propres deniers, ou grâce aux parents. Le taux de démission est de 10 % après deux ou trois ans seulement. Les 4 000 postes prévus sont insuffisants au regard des besoins qui ont augmenté de 12 % entre 2020 et 2021. Attention au recours aux AESH privés et à la rupture d'égalité.

Le Gouvernement doit sortir ces accompagnants de la précarité. Nous soutenons la demande de la rapporteure d'une réforme structurelle dans le cadre de l'acte II de l'école inclusive, annoncé par le ministre.

Les sénateurs socialistes ont déposé de nombreux amendements au PLF pour améliorer les conditions d'exercice du métier d'AESH : 20 millions d'euros supplémentaires pour les rémunérations, alignement de la prime REP-REP+ sur celle des autres personnels de l'éducation nationale, ouverture de 10 270 postes au lieu des 4 000 prévus. Nous attendions un signal du ministre, mais nous nous sommes heurtés au veto de la majorité sénatoriale et du Gouvernement. Mais si le Gouvernement est favorable à la CDIsation au bout d'un an, pourquoi n'amende-t-il pas ce texte ?

S'agissant des 65 000 AED, leur CDIsation au bout de six ans est déjà prévue par la loi de février 2022, grâce au Sénat. Mais certains recteurs et chefs d'établissement semblent réticents et seulement un cinquième des AED concernés ont été CDIsés. Il est donc impératif que le Gouvernement en réaffirme le caractère obligatoire.

Leurs conditions de travail sont difficiles, leur rémunération insuffisante, leur formation inexistante : le Gouvernement doit engager une réflexion sur l'avenir professionnel des AED. Lors des débats sur le PLF pour 2023, nous avons proposé l'alignement de la prime REP-REP+ ainsi que de leur rémunération dans l'enseignement agricole. Nous regrettons que ces amendements aient été rejetés par la majorité sénatoriale, avec l'accord du Gouvernement.

Certes, cette proposition de loi ne résoudra pas tout, mais c'est un premier pas. Le groupe SER la votera avec enthousiasme et lucidité. C'est un appel au Gouvernement pour qu'il agisse vite et fort pour l'éducation de nos enfants. Octroyons des conditions de travail dignes à ces personnels ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.)

Mme Céline Brulin .  - Nous voterons cette proposition de loi, mais regrettons que les députés de la majorité présidentielle, épaulés par les députés Les Républicains, en aient amoindri la portée. Il reste encore du chemin à parcourir avant que tous ces personnels aient un statut digne, dans la perspective de l'école inclusive pour tous.

Trop de familles restent sans solution. Longtemps, les moyens ont été insuffisants. Mais aujourd'hui, des postes créés ne sont pas pourvus - c'est le cas dans mon département de la Seine-Maritime. Les conditions de travail et de rémunération en sont la cause.

L'inclusion des élèves en situation de handicap constitue pourtant une obligation de résultat pour l'État. Le recrutement des AESH en CDI au bout de trois ans au lieu de six constitue une avancée, mais ce n'est malheureusement qu'une possibilité et cela ne mettra pas fin à la précarité.

Depuis l'été dernier, la CDIsation est possible pour les AED au bout de six ans. Pourtant, seuls 1 000 des 5 000 concernés ont bénéficié de cette mesure. On peut craindre qu'il en aille de même pour les AESH... Adoptons cette proposition de loi, mais continuons à travailler pour améliorer leur sort.

Pouvons-nous accepter que la deuxième profession de l'éducation nationale soit rémunérée en dessous du seuil de la pauvreté ? Le Conseil d'État a condamné l'État : la prime REP-REP+ sera versée aux AESH à partir du 1er janvier 2023, mais à un montant inférieur aux autres professionnels de l'éducation nationale. Même après la revalorisation de 10 % annoncée, la rémunération des AESH restera inférieure au seuil de pauvreté...

La création des Pial répond à une logique de mutualisation entre les établissements et n'a pas amélioré la situation des AESH, bien au contraire.

À l'aube de l'acte II de l'école inclusive, annoncé par le ministre de l'éducation nationale, et alors que se pose la question de l'accompagnement global des élèves en situation de handicap, les AESH doivent être intégrés à la fonction publique, ce qui permettra des passerelles entre l'État et les collectivités. Un tel cadre national réduira les disparités départementales et favorisera l'intégration des AESH dans les équipes éducatives (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Bernard Fialaire et Laurent Lafon, président de la commission, applaudissent également.)

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le texte que nous examinons vise à lutter contre la précarité des AESH et des AED.

Lors de la dernière rentrée, on comptait 132 000 AESH, dont 93 % de femmes. Ils connaissent des conditions de travail précaires, en raison de leurs conditions de recrutement - 80 % de CDD -, des temps partiels subis - 2 % de temps pleins -, de leur rémunération - 850 euros mensuels en moyenne -, ou encore de leur formation - qui s'apparente plutôt à une boîte à outils.

La formation initiale et la formation continue font défaut. Certains AESH sont contraints de s'autoformer ou de demander aux familles de payer... J'ai déposé deux amendements d'appel pour entamer un échange sur ce sujet, madame la ministre.

Les discussions du PLF ne nous ont pas satisfaits : les Pial, l'accompagnement de plusieurs enfants, les frais de déplacement non pris en charge, la multiplication des tâches hors mission, autant de motifs d'insatisfaction. Ces conditions de travail dégradées conduisent à des arrêts maladie et à des démissions.

En dix ans, le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a augmenté de 60 % dans le primaire et de 150 % dans le secondaire. Certes, cette année, 4 000 AESH supplémentaires ont été recrutés. Mais certains enfants en situation de handicap ne sont toujours pas, ou mal, accompagnés. Les familles qui le peuvent en viennent à recourir à des AESH privés...

Les AED connaissent également des conditions de travail précaires. Leur statut n'a pas évolué depuis 2003. Alors qu'il avait été initialement pensé pour des étudiants, l'âge moyen est de 30 ans. Beaucoup aspirent à se professionnaliser et à sécuriser leur parcours. Ils sont essentiels au fonctionnement des établissements, notamment sur la question du harcèlement scolaire.

Ce texte est une première étape. Trop de dispositions relèvent du domaine réglementaire. L'éducation nationale doit entamer un travail de fond. Le ministre a annoncé un acte II de l'école inclusive : nous nous en réjouissons et suivrons avec attention ces travaux.

Je salue le travail de notre rapporteure sur ce texte. La création d'une mission d'information apportera peut-être des réponses complémentaires.

Le groupe UC votera ce texte avec enthousiasme, en espérant qu'il sera le point de départ de nouvelles évolutions au bénéfice des AED et des AESH. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco et MDaniel Chasseing applaudissent également.)

M. Bernard Fialaire .  - En politique, la vertu exige de mettre en cohérence son éthique de conviction avec son éthique de responsabilité. C'est pourquoi nous n'avons pas déposé d'amendement, afin de permettre l'adoption conforme de ce texte. Plutôt que la quête du grand soir, le RDSE rejoindra lui aussi cette modération sénatoriale et votera cette proposition de loi.

L'intégration des enfants handicapés au sein de l'école est une belle idée. Ces enfants peuvent s'y épanouir et les autres s'enrichir à leur contact. Pour les accompagnants c'est un complément de revenu familial utile et qui a du sens.

Mais tout n'est pas idyllique : la précarité de ces emplois peut faire souffrir ceux qui les occupent.

Certains handicaps sont peut-être trop lourds pour l'inclusion scolaire. Celle-ci finit par faire souffrir les enfants concernés, les enseignants et les autres enfants. Les associations nous alertent sur les besoins de places en instituts médico-éducatifs (IME), madame la ministre. En associant les IME et l'école inclusive, nous répondrons aux besoins des familles.

Je suis favorable à ce que les départements et leurs MDPH prennent la main sur la gestion des AESH, pour une gestion de proximité du handicap plus cohérente. L'éducation nationale doit être plus ouverte aux collaborations avec les collectivités locales.

M. Philippe Mouiller .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MJean-Pierre Decool applaudit également.) Ce texte vise à CDIser les AESH au bout de trois ans et les AED au bout de six ans. En 2022, on comptait plus de 135 000 AESH et plus de 22 000 AED, pour 400 000 enfants accueillis.

Les moyens alloués à ces missions sont importants, mais il y a un décalage entre cette progression et le nombre croissant d'enfants dont les besoins sont mal couverts. Dans tous nos territoires, certaines situations sont satisfaisantes, mais de trop nombreux jeunes ne reçoivent pas l'aide à laquelle ils ont droit.

La rémunération des AESH est très faible, de 850 euros en moyenne. Ils ne bénéficient pas de formation adaptée et ne sont pas toujours intégrés à l'équipe éducative. Le dialogue est parfois difficile entre tous les acteurs du handicap. Certains AESH découvrent seulement une semaine avant la rentrée scolaire l'établissement où ils travailleront, l'enfant qu'ils accompagneront durant un an et même son type de handicap. Comment peuvent-ils faire ?

Les Pial auraient dû permettre une meilleure coordination, mais la réalité est tout autre : dans beaucoup de départements, ils servent à gérer la pénurie. L'idée était bonne, mais le manque de moyens nuit à l'intention.

Une véritable réforme s'impose, avec pour objectif de mettre une analyse globale du parcours de l'enfant au centre du dispositif. L'éducation nationale est-elle la meilleure gestionnaire de l'inclusion scolaire ? Ne faut-il pas s'appuyer davantage sur le secteur médico-social ? Comment rendre le métier d'AESH attractif ?

Le groupe Les Républicains s'est interrogé sur son vote : favorable, il risque de pérenniser un système défaillant. Nous voterons pourtant cette proposition de loi, pour envoyer un signal positif aux agents concernés. Nous exprimons cependant des réserves : les moyens sont sur la table, mais le résultat n'est pas satisfaisant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Rachid Temal et Mme Michelle Meunier applaudissent également.)

M. Jean-Pierre Decool .  - L'école inclusive vise à assurer une scolarité de qualité pour tous les élèves, partout et pour tous. Cette belle ambition est l'une des priorités du Président de la République.

Les AESH en sont la pierre angulaire, mais ils vivent aujourd'hui une situation de grande précarité. En moyenne, ils perçoivent 850 euros par mois, en deçà du seuil de pauvreté, étant souvent contraints d'exercer d'autres emplois. L'inflation ne fait qu'aggraver les choses.

Le 22 janvier 2022, cette proposition de loi a été votée par l'Assemblée nationale. Jeudi dernier, la commission de la culture a adopté le texte à l'unanimité. Je salue cette approche collégiale et transpartisane du Parlement.

L'article 1er offre la possibilité d'un recrutement en CDI des AESH au bout de trois ans. C'est une avancée modeste, mais elle va dans le bon sens. Une disposition introduite au Sénat dans la loi contre le harcèlement scolaire a déjà permis aux AED d'être CDIsés à l'issue de deux CDD, mais certains chefs d'établissement s'y opposent.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une revalorisation salariale et une augmentation des effectifs, à hauteur de 4 000 postes. Près de 44 % des élèves en situation de handicap ne bénéficient pas d'un accompagnement humain, pourtant essentiel. Derrière ce taux abstrait, ce sont des milliers de jeunes dépourvus de la présence d'un accompagnant.

Les enjeux sont immenses. La grande disparité entre les territoires nous interpelle : une harmonisation est nécessaire.

Notre groupe votera ce texte. Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin et organisons un débat d'ampleur. Nous serons attentifs aux travaux de la future conférence nationale du handicap. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDSE ; M. Joël Guerriau acclame l'orateur.)

M. Thomas Dossus .  - La situation des AESH est un scandale absolu. Plus de 130 000 femmes exercent une mission indispensable : sans leur travail, ces élèves ne pourraient suivre une scolarité normale. Nous parlons bien là d'un élément non négociable du pacte républicain. Les AESH exercent dans des conditions indignes, signe du mépris de l'État employeur : leur salaire moyen est en dessous du seuil de pauvreté.

Ces personnels ne peuvent travailler à temps plein, à cause de trop grands Pial. Les AESH passent en moyenne 24 heures aux côtés des élèves qu'elles accompagnent ; le reste du temps, elles sont sur les routes. Seulement 2 % des AESH sont à temps complet ; 80 % d'entre elles accumulent les CDD.

Ajoutons une faible formation, des disputes bureaucratiques autour de la prise en charge du temps extrascolaire et une exclusion fréquente de l'équipe pédagogique.

Le système présente les premiers signes d'un effondrement. Il y a deux fois plus d'enfants qui auraient besoin d'accompagnement que d'AESH, à tel point que les familles qui le peuvent ont recours à des AESH privés : c'est une rupture d'égalité insupportable.

La situation des AED est moins critique, mais mérite d'être examinée : si cet emploi était destiné à permettre l'entrée dans le monde de l'enseignement, notamment vers les métiers de CPE, moins d'un tiers d'entre eux sont des étudiants : AED devient un métier, et non pas ce tremplin que ce devait être à l'origine. Voilà comment on traite les agents de l'éducation nationale !

Le premier problème est celui du statut. Revenons en décembre 2021 : le groupe socialiste de l'Assemblée nationale dépose un texte prévoyant le recrutement des AESH en CDI avec un coefficient de pondération de 1,2 afin de reconnaître le temps de préparation indispensable durant les vacances d'été. Avec les AED, elles auraient perçu la prime REP-REP+.

Le texte qui nous est présenté a été vidé de sa substance à l'Assemblée nationale par la majorité présidentielle - alors très majoritaire - qui considérait que cela allait trop loin. Les dispositions concernant la pondération et l'encadrement ont été supprimées ; nous en sommes réduits à espérer que la ministre confirme l'application de la législation existante en séance.

Nous voterons ce texte, mais nous regrettons les manoeuvres politiciennes qui l'ont vidé de sa substance. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Cédric Vial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Notre pays est souvent tenté par la division et la polémique, mais le droit fondamental à l'éducation pour tous les enfants, quel que soit leur handicap, fait consensus. Depuis la loi de 2005 prise à l'initiative de Jacques Chirac, il est devenu une priorité nationale.

Depuis 2013, le principe de l'inclusion de tous les enfants figure dans le code de l'éducation.

Cette proposition de loi, adoptée par la commission de la culture à l'unanimité, ne constitue pas une grande avancée ; mais c'est un premier pas dans la bonne direction et un message positif aux AESH, dont les conditions de travail sont difficiles. Les élus Les Républicains voteront ce texte conforme, afin qu'il puisse être rapidement mis en oeuvre sans se perdre dans une navette à l'issue incertaine.

Je remercie Marie-Pierre Monier pour son travail : les auditions qu'elle a menées nous ont permis d'approfondir le sujet. Je mènerai prochainement une mission spécifique au nom de notre commission, ce dont je remercie Laurent Lafon et Max Brisson.

Le chiffre a quadruplé ces dernières années : 430 000 enfants en situation de handicap scolarisés, cela représente 3,5 % des effectifs, soit un enfant par classe. Le ministre de l'éducation nationale emploie 130 000 AESH : au sein de l'éducation nationale, c'est le deuxième métier - j'emploie ce mot à dessein, car il est temps qu'il le devienne. Il est temps de passer d'une logique quantitative à une approche qualitative, de mettre de la justice, de l'ordre et de l'organisation dans ce service.

Les aides humaines sont essentielles, mais d'autres leviers peuvent être activés, comme l'adaptation du matériel pédagogique et des espaces d'enseignement, ou les nouvelles méthodes d'enseignement.

Le lien avec le secteur médico-social est fondamental et constitue une condition de la réussite de ces dispositifs.

Il faut un cadre national pour le recrutement de ces enfants. Le système s'appuie sur des agents nombreux, mais insuffisamment accompagnés pour être formés, dans une précarité indigne de l'État.

L'accélération de la CDIsation permettra d'avancer, mais le Conseil d'État est revenu sur la compétence unique de l'État sur l'inclusion scolaire. Cette décision est lourde de conséquences pour les AESH.

J'ai appris du ministre de l'éducation nationale, ce matin, qu'une circulaire serait rapidement prise pour prévoir un employeur unique et un contrat unique pour les AESH. C'était une attente forte des assistants et des collectivités, mais il faut maintenant travailler à la professionnalisation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme la rapporteure applaudit également.)

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Françoise Gatel .  - Je salue l'initiative du groupe SER et la mission lancée par la commission de la culture - j'en remercie Laurent Lafon, Max Brisson et Cédric Vial.

Lors de la loi 3DS, nous avons travaillé sur l'efficacité de l'action publique. La décision d'accompagnement des élèves handicapés relève des MDPH, qui la notifient à l'éducation nationale, laquelle demande des crédits à l'Agence régionale de santé (ARS)... Pendant ce temps, les communes sont laissées dans un vide sidéral, faute de ressources.

Il faut améliorer l'organisation du système pour sécuriser cette profession et la rendre plus attractive. Nous devons poursuivre la réflexion sur un transfert aux départements, sous réserve du volontariat et d'un transfert de moyens, de cette compétence : cela permettrait la création de services mutualisés, mis à disposition de l'éducation nationale comme des communes. Nous connaissons tous des communes situées loin des villes, qui doivent trouver du personnel pour une pause déjeuner d'une heure et demie, ce qui est tout simplement impossible. Nous continuerons ces travaux dans le cadre du groupe de travail.

M. Daniel Salmon .  - Je salue la proposition de loi, mais je souhaite faire un pas de côté. Nous constatons une explosion des dossiers déposés dans les MDPH pour des troubles du comportement et de l'apprentissage. Les études s'empilent, et nous en connaissons les causes : temps passé devant les écrans et perturbateurs endocriniens. Aujourd'hui, nous cherchons des budgets et des équilibres. Je propose que les responsables paient, et que ceux qui abîment la santé des enfants soient taxés. Il faut traiter le problème à la source. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme émilienne Poumirol applaudit également.)

M. Philippe Mouiller .  - Si, au Sénat, on considère que le handicap est le résultat d'une maladie, tout est à refaire ! Il s'agit d'une situation. (M. le président de la commission le confirme ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mme Billon, M. Lafon, Mme de La Provôté, MM. Hingray, Kern, Laugier et Levi et Mme Morin-Desailly.

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ce décret précise les conditions dans lesquelles les accompagnants des élèves en situation de handicap, recrutés sur contrat à durée indéterminée, bénéficient d'une formation continue répondant aux objectifs fixés dans le cahier des charges national susmentionné.

Mme Annick Billon.  - Cet amendement d'appel insiste sur la formation initiale et continue. D'un département à l'autre, la formation est à géométrie variable.

La CDIsation est un pas important pour ce métier, mais elle nécessite une formation initiale et continue solide.

Nous en avons discuté en commission et nous partageons le constat : nous sommes tous d'accord pour faire un premier pas, mais il ne suffit pas ; madame la ministre, en quoi constituera l'acte II ? Tous les amendements du PLF améliorant la situation des AESH ont été balayés d'un revers de main. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure.  - En effet, les formations diffèrent beaucoup selon les départements. Mais le code de l'éducation prévoit déjà ce que vous proposez ! Ce qui pose problème, c'est moins la loi que son application. Les services académiques doivent veiller à la formation des AESH et à la qualité des modules proposés. Retrait de cet amendement d'appel.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée.  - Je remercie les intervenants pour la richesse des débats. Nous sommes unanimes sur le fait que les AESH sont précieux, qu'il faut conforter leur statut et renforcer l'attractivité du métier pour plus de sérénité.

Nos débats ont largement dépassé la question des AESH. Vous avez parlé de la prochaine conférence nationale du handicap. Des groupes de travail sont à l'oeuvre au ministère de l'éducation nationale pour ce deuxième acte de l'école inclusive, et des parlementaires y participent.

Nous voulons rapprocher le médico-social de l'éducation nationale. De grands pas ont été faits : il y a deux fois et demie plus d'enfants en situation de handicap qui entrent dans le secondaire - comme dans le primaire - et la proportion de ceux qui passent le brevet et le baccalauréat augmente. Même si l'école inclusive a beaucoup de défauts, elle est une réussite. Nous avons besoin de vous pour la poursuivre.

La formation est essentielle, tant pour les AESH que pour les enseignants et les agents des collectivités, afin de sensibiliser chacun au handicap et à la manière de se comporter dans certaines situations.

Les AESH ont besoin de formations. À la prise de poste, 60 heures sont dispensées, puis une formation continue est inscrite dans la fiche de poste. L'accès à la formation continue doit être renforcé, avec des formations communes entre les enseignants et les AESH, pour renforcer l'intégration de ces derniers dans les équipes éducatives. Il faut s'assurer de l'accès effectif des personnels à ces formations, et l'éducation nationale y travaille. Le code de l'éducation permet déjà aux AESH de préparer leur entrée dans le métier et de suivre une formation continue : retrait ou avis défavorable.

M. Cédric Vial.  - Merci, chère Annick Billon, de soulever la question de la formation : avec la généralisation de l'inclusion, chaque enseignant est confronté à la présence dans sa classe d'enfants en situation de handicap.

Les agents des collectivités n'ont pas même de statut spécifique : ils sont souvent adjoints techniques ou d'animation. Ils devraient aussi avoir accès aux formations de l'éducation nationale. Certains rectorats le permettent, mais ils n'en informent pas les maires : il faut davantage communiquer.

Vous avez parlé de formation à la prise de poste, mais celle-ci arrive tardivement, au cours de la première année (Mme la rapporteure le confirme) : les AESH sont laissés plusieurs mois sans formation. Il faut que la formation ait lieu avant la prise de poste.

Mme Annick Billon.  - Je retire mon amendement. Il ne peut y avoir de professionnalisation sans formation. Lors de nos auditions, nous avons vu que la situation à cet égard était très différente selon les départements. Certains avancent, d'autres non. Il faut appliquer la loi. Nous resterons mobilisés sur ces sujets : nous partageons les mêmes constats dans cette assemblée, et nous avons déjà fait des propositions à la commission de la culture. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)

L'amendement n° 2 rectifié est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Billon, M. Lafon, Mme de La Provôté, MM. Hingray, Kern, Laugier et Levi et Mme Morin-Desailly.

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° À la première phrase du cinquième alinéa, après les mots : « formation spécifique », sont insérés les mots : « , initiale et continue, ».

Mme Annick Billon.  - Cet amendement reprend la même thématique. Nous aurions aussi pu parler de la rémunération. Nous avançons d'un pas ; j'anticipe sur la demande de retrait. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

L'amendement n° 1 rectifié est retiré.

L'article 1er est adopté.

L'article 2 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

Mme Sylvie Robert .  - Je remercie Marie-Pierre Monier pour son travail. Je remercie les collègues, car nous allons vers un vote conforme. J'ai une pensée pour Michèle Victory.

Cette proposition de loi est un premier pas. Nous devons aller plus loin sur le statut, la formation et la rémunération. Cette proposition de loi est une preuve de notre reconnaissance pour ces professionnels qui construisent l'école inclusive.

Nous avons senti la volonté du ministre de l'éducation nationale d'aller plus loin, mais malheureusement, nos amendements au projet de loi de finances ont été rejetés. Il faut des gages, et rapidement. Le Sénat continuera le travail.

Cette proposition de loi n'est qu'un début, mais nous avons franchi une belle étape. Je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture .  - Je me réjouis du vote de cette proposition de loi, à l'unanimité, je l'espère. Nous sommes tous un peu frustrés de ne pas avoir pu l'enrichir, de peur de repasser par la navette. Il ne faut pas non plus que les sénateurs soient freinés dans leurs initiatives par cette crainte...

Je remercie la rapporteure. Son constat est inquiétant : malgré les efforts faits, le résultat n'est satisfaisant ni pour les familles, ni pour les enfants, ni pour les AESH.

Nous connaissons les forces et les faiblesses de l'éducation nationale, capable de gérer 130 000 personnes, mais qui peine à fournir un service égal sur tout le territoire.

Mme Victoire Jasmin .  - J'ai, à cet instant, une pensée pour les familles. J'espère que nous pourrons aller plus loin. Depuis 2005, l'inclusion des enfants en milieu scolaire est prévue, mais beaucoup d'enfants ne peuvent pas aller à l'école car cette dernière n'est pas adaptée à tous les handicaps. Les familles attendent des réponses, comme les AESH.

Mme Annick Billon .  - Le groupe UC votera bien entendu la proposition de loi, première reconnaissance des AESH et des AED, qui les intègre mieux dans les équipes éducatives.

On ne s'improvise pas accompagnant alors que les handicaps sont très différents.

La profession s'est féminisée et, comme souvent, les conditions de travail et de rémunération se sont dégradées. Nous devons agir pour elles.

J'ai été contactée par un chef d'établissement, sur la pause méridienne : il m'indiquait que les collectivités pallient la décision du Conseil d'État, mais qu'en est-il des établissements privés sous contrat ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Cédric Vial .  - Ce consensus, sur toutes les travées, c'est l'honneur du Sénat. Cette loi est presque une carte postale envoyée aux AESH, pour leur dire que nous pensons à eux. Toutefois, le problème global reste entier, et nous comptons sur la réforme du statut et de l'accompagnement. On ne peut avoir 130 000 personnes sans cadre de métier.

Nous n'échapperons pas non plus à la question, pas seulement sémantique, de savoir si l'AESH s'inscrit dans un accompagnement de la scolarité ou du handicap.

Mme Françoise Gatel.  - Absolument !

M. Cédric Vial.  - Quel accompagnement voulons-nous pour nos enfants ? (M. Philippe Mouiller et Mme Françoise Gatel applaudissent.)

Mme Céline Brulin .  - Tout le monde reconnaît les améliorations nécessaires, je m'en réjouis. En particulier, la formation doit intégrer l'ensemble du personnel enseignant, pour inclure les AESH dans la communauté éducative.

Un mot sur les rémunérations : madame la ministre, vous avez rappelé que c'était la deuxième profession du ministère. Il est inconcevable qu'elle reste sous le seuil de pauvreté, et la possibilité de CDIser les AESH doit devenir réalité.

Certes, le décret ne remonte qu'à l'été, mais le faible nombre d'AED CDIsés justifie la diffusion de consignes sur le terrain.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.

Équité territoriale face aux déserts médicaux et accès à la santé pour tous

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à rétablir l'équité territoriale face aux déserts médicaux et garantir l'accès à la santé pour tous, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.) Les déserts médicaux préoccupent tous les Français. Environ 11 % d'entre eux, soit six millions de personnes, n'ont pas de médecin traitant ; c'est le cas également pour 657 000 personnes en affection de longue durée (ALD). Les habitants des zones sous-denses verront la situation continuer à se dégrader jusqu'en 2024, avec une diminution puis un retour au niveau actuel, insuffisant, à 2030. La croissance démographique et le vieillissement accroissent les besoins.

La pénurie de médecins est profonde. Les gouvernements successifs, avec l'ordre des médecins, ont diminué l'offre, de 10 000 médecins formés par an dans les années 1970 à 3 500 dans les années 1980 et 8 500 actuellement.

Le numerus apertus pose question : l'augmentation du nombre d'étudiants atteignant la deuxième année de médecine n'est que de 10 %. Les médecins sont issus des classes sociales supérieures et des métropoles, ce qui nuit à une répartition équilibrée.

Il n'y a pas de réponse miracle : il faut des mesures coordonnées pour améliorer l'accès aux soins, de manière pérenne. Répondre aux déserts médicaux doit se faire en trouvant un équilibre avec tous les acteurs - médecins, étudiants, collectivités...

La quatrième année exercée en zone sous-dense y déploierait 3 500 à 4 000 jeunes médecins, soit 35 à 40 par département. En réponse aux craintes des étudiants, nous proposons une année de professionnalisation respectueuse de leurs souhaits de vie et rémunératrice. Elle ne sera pas un simple stage, et sa mise en oeuvre sera négociée avec les organisations syndicales étudiantes, notamment.

Cette année doit avoir un intérêt pédagogique : elle fera l'objet d'un accompagnement par des médecins maîtres de stage universitaires. L'échelle pertinente est le département, selon le Haut Conseil pour l'assurance maladie.

Les étudiants choisiront leur futur lieu d'exercice sur une liste départementale fixée par une commission départementale d'affectation et d'accompagnement. Y participeront des représentants des universités, de l'ordre des médecins, des agences régionales de santé (ARS) départementales et des élus locaux. Les départements accompagneront les étudiants, puis les jeunes médecins -  c'est le cas dans les Pyrénées-Atlantiques avec Présence médicale 64.

Un tiers des généralistes demeurent isolés : nous sommes loin des ambitions de Ma santé 2022. Nous proposons donc de rendre l'exercice coordonné obligatoire, de même que les protocoles de partage des tâches entre le médecin traitant et les autres professionnels de santé.

Cet exercice devra être souple, de la simple convention d'équipes de soins primaires à la maison de santé pluriprofessionnelle. Cela dégagera du temps médical tout en diversifiant les actes, avec un exercice mixte - un temps partiel en libéral et un temps partiel salarié en hôpital.

À l'article 3, nous rétablissons l'obligation de garde pour les médecins libéraux. Sa suppression en 2002 par Jean-François Mattei marque l'érosion de l'offre : en 2021, seuls 38 % des médecins -  toujours les mêmes  - participaient à la permanence des soins ambulatoires (PDSA), laissant l'hôpital, engorgé, comme seul recours pour nombre de nos concitoyens.

Face à une population délaissée, réinstaurer l'obligation de garde, par bassin de vie, est indispensable, en concertation avec les professionnels et les établissements de santé.

Les aides à l'installation se multiplient, mais le résultat n'est pas à la hauteur. Il faut la réguler, en étendant aux médecins libéraux ce qui existe déjà pour les sages-femmes, les infirmiers et les kinésithérapeutes. Au Canada, cette mesure a été efficace. Ainsi, un nouveau médecin libéral ne pourra être conventionné qu'à la cessation d'activité d'un médecin de la même zone, hors zones tendues. Cela prépare l'avenir, tout en étant peu contraignant au regard des nombreux départs en retraite à venir.

Enfin, ces aides doivent bénéficier de la même manière à la médecine salariée et à la médecine libérale.

Comment pouvons-nous accepter le renoncement aux soins et la perte de chances, et renier la promesse républicaine de l'égal accès aux soins ? C'est notre devoir que d'apporter une solution. L'effondrement du système de soins suppose une grande loi santé, madame la ministre, mais celle-ci ne semble pas être à votre agenda.

Chers collègues, si vous partagez cette ambition, votez ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Le constat est connu : les difficultés de la démographie perdureront encore une décennie, le temps des effets de la fin du numerus clausus et pourvu que le Gouvernement donne des moyens aux universités pour la formation. De 2010 à 2021, la France a perdu 5 000 médecins alors qu'elle gagnait 2,5 millions d'habitants. De plus, l'âge moyen de la population a augmenté de 2 ans et la prévalence des maladies chroniques a augmenté de 2 points.

Les 10 % de la population les moins bien dotés ont accès à 1,5 consultation par an, contre 3,4 en moyenne. Quelque 72 % de la population est en zone sous-dense, et la responsabilité est partagée.

Il faut garantir l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire. L'article 1er de la proposition de loi prévoit une année de professionnalisation à l'issue du diplôme d'études supérieures (DES) de médecine générale. Ce n'est pas une année de stage, mais une année complémentaire d'exercice médical assortie de conditions spécifiques et d'une rémunération négociée.

Elle sera obligatoirement réalisée en zone sous-dense : il faut tenir un discours de franchise en demandant une contribution des diplômés à l'effort collectif. Les jeunes médecins choisiront librement leur affectation sur des listes départementales, établies avec les professionnels de santé et les élus. Ceux-ci doivent prendre leur part à l'accueil, au logement et à l'accompagnement familial et personnel.

En contrepartie, l'année doit enrichir le parcours des étudiants. Les jeunes médecins auront un statut spécifique négocié avec les organisations syndicales qui doit différer de celui d'interne et de docteur junior, avec une rémunération attractive.

L'article 2 favorise la coordination entre professionnels de santé et l'élaboration de projets répondant aux besoins des territoires. En effet, seules 220 équipes de soins primaires (ESP) sont recensées depuis 2016, alors que la coordination est essentielle. L'exercice collectif est attractif pour les jeunes médecins : amplifions la tendance pour gagner du temps.

Les ESP sont confortées dans leur souplesse et leur complémentarité avec les maisons de santé et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) : une simple convention suffira.

L'article 3 rétablit l'obligation de la PDSA. En effet, le volontariat individuel n'assure plus une couverture satisfaisante. La démographie médicale déclinante et le désengagement de certains concentrent l'effort sur les volontaires -  en 2021, seuls 38 % des médecins y participaient.

Le Conseil national de l'ordre fait état de la progression des zones blanches, chaque année. La continuité de la PDSA est indispensable à la prise en charge et au désengorgement des urgences, dont on craint l'embolie en cette fin d'année. Nous proposons l'obligation de continuité de la permanence, sans imposer une contrainte individuelle. Les ARS, en lien avec l'ordre des médecins, évalueront les besoins et appliqueront l'obligation dans chaque territoire.

L'article 4 crée un conventionnement sélectif dans les zones surdotées : un médecin ne pourra être conventionné que si un praticien déjà installé cesse son activité. Nul ne prétend que ce mécanisme sera un remède miracle. Celui-ci s'insère dans un dispositif global et évite l'accroissement des différences entre les territoires. Il ne découragera nullement les vocations médicales : ce conditionnement est un dispositif de bonne politique publique.

L'article 5 propose que la distinction entre exercice libéral et exercice dans les maisons de santé ne puisse suffire à fonder des différences dans l'octroi des aides conventionnelles visant à encourager l'installation des professionnels ou le maintien de leur activité dans des zones sous-dotées. Ces aides ne sont pas systématiquement défavorables aux centres de santé, mais les médecins libéraux sont favorisés. Mettons un terme à cette inégalité de traitement, au détriment des centres de santé.

À titre personnel, je suis favorable à cette proposition de loi. Le texte demande des efforts proportionnés aux médecins et aux étudiants, et favorise la coordination de tous les acteurs. C'est seulement avec des efforts conjugués que nous pourrons préserver l'accès aux soins partout.

Toutefois, la commission des affaires sociales n'a pas adopté cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Sur l'initiative du groupe SER, votre assemblée examine une proposition de loi luttant contre les déserts médicaux. Les initiatives parlementaires se multiplient pour favoriser l'accès aux soins, pour tous et partout.

Je reste une professionnelle de santé. Comme vous, je sais les difficultés des Français pour avoir accès à un médecin.

Permettez-moi d'être un peu taquine : je regrette que le Gouvernement de François Hollande n'ait pas supprimé le numerus clausus entre 2012 et 2017. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Mme Annie Le Houerou, rapporteure.  - Regardez les chiffres !

M. Bernard Jomier.  - C'est faux !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Nous aurions gagné un temps précieux et mieux anticipé les évolutions de la démographie médicale. Ceux qui prônent aujourd'hui l'obligation auraient pu alors la proposer... En France, 6 millions de Français n'ont pas de médecin traitant, dont 650 000 ont des affections de longue durée ; 87 % du territoire est une zone de sous-densité médicale. Les délais d'attente s'allongent, et les professionnels de santé perdent le sens de leur métier.

Le PLFSS 2023 apporte de nouvelles réponses, notamment l'allongement à quatre ans du DES de médecine générale.

Le Gouvernement regrette les mesures de coercition présentes dans votre proposition de loi. Réguler le vide n'apportera rien. On ne donne pas envie en obligeant.

L'article 1er prévoit une obligation de présence en zone sous-dense. Nous souhaitons plutôt inciter les étudiants à s'installer dans ces zones, sans les y contraindre. Il faut donner confiance dans l'exercice ambulatoire, y compris en zones sous-dotées.

La mission que j'avais lancée avec François Braun étudiera les nouvelles modalités pédagogiques de la quatrième année de médecine générale et les modalités de répartition des terrains de stage.

Le Gouvernement n'est pas favorable à l'obligation prévue à l'article 2 pour l'exercice libéral de la médecine générale de premier recours sous la forme d'équipes de soins primaires. Les professionnels ne seraient pas engagés dans un projet collaboratif, mais dans une reconnaissance uniquement administrative. L'encouragement à l'exercice coordonné est bien ma priorité. J'ai rencontré de nombreux professionnels regroupés au sein d'une CPTS ou d'une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP). Certaines structures fonctionnent bien - là où les professionnels en étaient à l'initiative -, toutes sont différentes.

Le taux de couverture par la PDSA varie selon les territoires. Cette disparité pose la question de l'équité entre médecins, ceux en zone sous-dense assurant plus de gardes. Réintroduire une obligation de PDSA ne réglerait pas la difficulté. La responsabilité collective, introduite par un amendement gouvernemental au PLFSS, nous semble préférable.

Le Gouvernement n'est pas non plus favorable à l'article 4 : ne limitons pas le conventionnement des médecins en fonction de leur zone d'installation.

Les aides à l'installation sont nombreuses et sources de confusion. C'est pourquoi le PLFSS défend le principe d'un guichet unique au profit des professionnels de santé.

Les aides conventionnelles allouées aux centres de santé relèvent de négociations avec l'assurance maladie, qui peut financer trois médecins à temps plein en centre de santé, sous réserve que celui-ci reste ouvert pendant cinq ans et participe à la permanence des soins.

Nous devons agir collectivement, tous ensemble. Fournissons des réponses concrètes, mais les mesures coercitives ne sont pas la solution. C'est en nous fondant sur la mobilisation des acteurs que nous pourrons agir. Rassurez-vous, voilà l'ambition du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mmes Nadia Sollogoub et Véronique Guillotin applaudissent également.)

M. Patrick Kanner.  - Nous ne sommes pas du tout rassurés !

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi est le fruit du travail du groupe SER. Certaines de ses dispositions ont été présentées au cours d'autres textes, dont les réponses nous semblent insuffisantes : nous sommes confrontés à une crise durable pour accéder aux médecins. Dans les années 1970, 10 000 médecins étaient formés chaque année, contre 4 000 - dont 2 000 généralistes - en 2004, avant une remontée avec 9 000 médecins dont 4 000 généralistes entre 2011 et 2016, et une nouvelle baisse des postes en dessous de 3 400 généralistes formés par an entre 2017 et 2021.

En 2022, nous formons 9 024 médecins dont 3 634 généralistes.

Il y a eu plus de 67 % de réduction en cinquante ans, alors que la population a augmenté de 21 %, passant de 50 à 65 millions d'habitants. Le vieillissement de la population et la dépendance, ajoutés au départ à la retraite des baby-boomers et au temps nécessaire pour s'installer, comptent également. Il faut dix ans pour former un médecin : la situation est critique.

Nous en voyons les effets à Canenx-et-Réaut, Retjons ou Cère dans les Landes, en passant par Moncontour dans les Côtes-d'Armor ou Bax en Haute-Garonne... Vous pourriez tous me citer des communes dans vos départements. Des efforts considérables sont réalisés par les élus locaux, mais l'adoption du PLFSS ne répond pas au problème : la création d'une quatrième année dans le DES crée une situation floue. Dès son annonce, cette mesure a eu des effets délétères : un étudiant en médecine sur trois pense arrêter ses études, selon une enquête de l'Association nationale des étudiants en médecine de France. Le remède est parfois pire que le mal : évitons par-dessus tout une crise des vocations.

Tout le territoire sera dans une situation de sous-densité chronique. Nos concitoyens ont peur de ne pas trouver les rendez-vous nécessaires et de perdre des chances de guérison, et les médecins voient les listes de patients s'allonger tandis que les élus locaux multiplient les projets pour attirer les médecins.

Chacun de nous est concerné, et le groupe SER a travaillé à partir de ces constats partagés. Nous avons également consulté les associations d'élus et les organisations représentatives des médecins. Nous avons investi à la fois le cadre pédagogique et l'apport de santé publique, comme le signalait Bernard Jomier.

L'année de professionnalisation est l'une de nos propositions phares, qui donne reconnaissance et rémunération à sa juste valeur. Veillons à offrir aux jeunes médecins de bonnes conditions de vie et d'exercice.

Cette proposition de loi ne réglerait pas tout, mais elle permettrait de déployer immédiatement 4 000 médecins dans tout le territoire.

Notre proposition de loi bénéficie d'un article sur les conditions de l'exercice libéral et salarié, grâce au travail de Patrice Joly.

Elle vise à établir une organisation du parcours de soins pour faciliter la prise en charge de chaque patient, dans chaque territoire. La meilleure coordination entre les professionnels dégagera du temps en priorité pour les patients sans médecin traitant ou souffrant d'une affection de longue durée (ALD).

Nous voulons rétablir l'obligation de garde des médecins et assurer la permanence des soins. Depuis 2002, le service rendu se dégrade, et le volontariat n'est plus suffisant.

Avec cette proposition de loi, nous apportons des réponses concrètes, efficaces et pragmatiques pour répondre à ce problème des déserts médicaux qui nous taraude tous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Laurence Cohen .  - Je remercie nos collègues Poumirol et Le Houerou, ainsi que l'ensemble du groupe SER pour cette proposition de loi. Nous avons débattu de ce sujet à plusieurs reprises, notamment lors du PLFSS 2023. Contrairement aux propositions du Gouvernement et du groupe Les Républicains, qui instaurent une dixième année d'études de médecine en stage dans les déserts médicaux, ce texte propose une année de professionnalisation obligatoire dans un désert médical, avec un encadrement par un maître de stage universitaire, et une rémunération à 3 500 euros bruts par mois. Les modalités de mise en oeuvre seront discutées en concertation avec les organisations syndicales.

Face au manque de médecins généralistes, le texte met en place une organisation coordonnée du parcours de soins de premiers recours.

Pas moins de 6 millions de nos concitoyens se retrouvent sans médecin traitant, y compris des malades en affection de longue durée : les équipes de soins primaires sont une première réponse pour y remédier.

La proposition de loi rétablit la garde des médecins libéraux, supprimée par le décret Mattei de 2003. C'est ce que notre groupe défend depuis 2019 et notre proposition de loi de mesures d'urgence pour la santé et les hôpitaux.

Nous défendons la régulation de l'installation des médecins dans les zones surdenses.

Enfin, la proposition de loi revient sur les disparités entre les maisons et les centres de santé. Il est inacceptable que l'aide financière accordée à l'installation des médecins libéraux et des maisons de santé s'élève à 50 000 euros, alors qu'elle est de 30 000 euros pour les centres de santé. Ces derniers sont gérés par des organismes publics ou privés à but non lucratif et les professionnels y exercent leur activité de manière salariée, ce qui correspond à la volonté de nombreux médecins.

Pour une politique ambitieuse, nous proposons de supprimer le numerus apertus et d'augmenter les moyens des universités de médecine -  mais c'est au Gouvernement de prendre la main.

Nous voterons cette proposition de loi.

J'ajoute, en conclusion, que la psychiatrie connaît une grave crise. Je tiens à vous alerter, madame la ministre, sur la situation des hôpitaux psychiatriques de Saint-Maurice : intervenez pour que la direction revoie sa copie. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remplace Élisabeth Doineau, souffrante.

L'accès aux soins est l'un des principaux sujets de préoccupation des Français. Le constat est partagé. De nombreux rapports montrent l'ampleur des difficultés, liées au manque d'anticipation des pouvoirs publics face au vieillissement de la population et au changement de pratique des jeunes médecins. D'un côté, il faut plus de temps médical, et de l'autre, moins de temps médical par praticien.

La proposition de loi tente de répondre au problème de la désertification médicale, mais ses solutions ne sont pas les bonnes ; elles pourraient même être contreproductives.

Je ne suis pas opposée sur le fond à l'article 2, car je suis favorable à la coordination entre les professionnels. Cependant, celle-ci ne se décrète pas : elle suppose une participation active des principaux concernés.

L'article 3 soulève le sujet essentiel de la permanence des soins ambulatoires. Cette dernière recule fortement, ce qui accroît la tension sur les urgences. Néanmoins, y obliger les professionnels contribuerait à leur épuisement. La réponse serait plus néfaste que le problème initial.

L'article 4 pose le principe d'une arrivée de médecin conventionné pour un départ dans les zones surdotées, mesure qui ne s'appliquera qu'à la marge.

Il est difficile de se retrouver dans le maquis des aides. Je ne suis pas opposée à l'article 5 et à l'alignement des aides des centres de santé sur celle des maisons de santé pluridisciplinaires, mais l'exercice salarial diminue d'un tiers le temps médical disponible : attention à ne pas encore le réduire.

La critique est aisée, mais l'art est difficile. Quelles sont les solutions ? Nous avons déjà un arsenal d'outils, difficile à mettre en oeuvre. Je pense aux assistants médicaux, aux infirmiers en pratique avancée (IPA). Le partage des tâches doit être privilégié. La coordination des soins et la complexité des situations l'imposent. La télémédecine peut également être utile.

Je crois en la territorialisation des politiques de santé. Le département serait le meilleur échelon pour endosser la responsabilité de l'accès aux soins, avec l'aide des ARS.

Nous ne pouvons rester sourds aux demandes des médecins de revaloriser le tarif des consultations, qui est l'un des plus faibles d'Europe.

La prévention est également essentielle. Plus de prévention, c'est une meilleure santé et donc moins de besoins médicaux.

On ne peut se contenter de traiter la seule médecine de ville. Il faut une refonte globale, graduée entre la ville et l'hôpital.

Le Gouvernement a lancé le volet santé du Conseil national de la refondation (CNR) : attendons ses conclusions.

Assumons un discours de vérité : la prochaine décennie sera difficile. La coercition ne répondra pas à la pénurie. À l'inverse, la coopération peut nous aider à passer le cap.

La majorité du groupe UC ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi dresse un constat partagé : le recul de l'accès aux soins et le déclin de la permanence des soins, qui inquiètent élus, patients et professionnels de santé.

En vingt ans, nous avons perdu 18 % de généralistes et 9 % de spécialistes. Nombre de médecins partiront bientôt à la retraite, alors que les besoins augmentent et que les jeunes médecins désirent mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle.

Nous avons donc un problème de pénurie, plus que de répartition.

À la fin des années 1980, la pénurie a été instaurée pour réguler les dépenses de santé... En témoigne le slogan des années 1990 : « La sécu c'est bien, en abuser ça craint. » Pourtant, tous les gouvernements ont poursuivi cette politique mortifère pendant plus de deux décennies.

La transformation du numerus clausus en numerus apertus ne portera ses fruits que dans dix ans. Combien de médecins supplémentaires pouvons-nous espérer en 2030, madame la ministre ?

La proposition de loi propose de renforcer les contraintes face à la pénurie : à l'article 1er, stage obligatoire dans les déserts médicaux ; à l'article 2, obligation de création d'équipes de soins primaires ; à l'article 3, obligation de garde ; à l'article 4, régulation à l'installation.

Or nous devons tous prendre conscience que la médecine générale n'est plus attractive : c'est l'avant-dernière spécialité choisie à l'issue des épreuves classantes nationales (ECN). Les raisons sont multiples : contraintes administratives, charge de travail grandissante, perspectives de carrière en berne...

Les professionnels font face à une situation dégradée : n'aggravons pas les contraintes. C'est avec eux, et non contre eux, que les solutions seront trouvées. Misons sur la responsabilité collective, notamment pour la permanence des soins.

Cette proposition de loi ne résout pas nos problèmes.

Serrons les rangs, instaurons la confiance, déchargeons les professionnels des tâches administratives, levons les freins et favorisons le développement des MSP, les assistants médicaux, la télémédecine, les IPA...

C'est ainsi que nous pourrons améliorer l'accès aux soins. Le RDSE votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC ; Mme Corinne Imbert applaudit également.)

M. Philippe Mouiller, en remplacement de M. Jean-Claude Anglars .  - Je remplace mon collègue de l'Aveyron, Jean-Claude Anglars.

Les déserts médicaux ne sont pas un problème récent. Environ 30 % de la population y vit, mais il faudrait préciser les chiffres selon les spécialités. La question de la juste rémunération de l'acte médical se pose, mais il faut également poser celle de l'inégal accès aux spécialistes, et pas seulement à la médecine générale.

L'instauration d'une année de professionnalisation obligatoire en désert médical en fin de formation a déjà été abordée. Une départementalisation des affectations mérite d'être étudiée, même si le cadre des CHU est régional.

Contrairement à la proposition de loi adoptée le 18 octobre sur la formation des internes, cette proposition de loi ne fait pas de la médecine générale une spécialité à part entière.

Ensuite, il ne semble pas nécessaire de supplanter les discussions entre les professionnels et les autorités sur l'obligation de garde.

Enfin, la régulation à l'installation et le rééquilibrage des cotisations sociales ont déjà été débattus et rejetés lors de l'examen du PLFSS.

Cette proposition de loi s'inspire des solutions trouvées dans certains territoires. La politique d'attractivité expérimentée en Aveyron depuis 2010 a rencontré un certain succès.

Dans ce département rural caractérisé par le vieillissement de la population et l'éloignement des hôpitaux, la permanence des soins de proximité a permis de penser le problème de manière globale. Avec le concours de l'ordre des médecins et de l'ARS, nous avons facilité l'installation des stagiaires et avons été précurseurs dans l'implantation de maisons de santé pluridisciplinaires et de réseaux de santé. Nous avons ainsi accueilli la première CPTS d'Occitanie.

Il est nécessaire de répondre aux envies des jeunes praticiens, qui ne veulent plus être isolés. Le développement des stages et le statut de médecin maître de stage ont favorisé l'installation de jeunes médecins en Aveyron, tout comme la formation de médecins sapeurs-pompiers.

Le succès de la lutte contre les déserts médicaux repose également sur un soutien concret à l'installation. En Aveyron, quatorze ans après les premières mesures, 9 % des internes stagiaires restent dans le département, contre 1 % en moyenne pour les territoires ruraux. Depuis 2011, il y a eu 105 installations pour 107 départs. Certes, l'Aveyron est un beau département, mais ces chiffres s'expliquent par l'émergence d'écosystèmes favorables à l'installation des jeunes médecins.

Cette proposition de loi arrive à la fois trop tôt par rapport aux concertations en cours, et trop tard, car nous avons déjà eu ces débats. Le groupe Les Républicains votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Nadia Sollogoub et Véronique Guillotin applaudissent également.)

M. Daniel Chasseing .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le Sénat examine un nouveau texte contre les déserts médicaux, après la proposition de loi Retailleau et le PLFSS. Cette proposition de loi arrive à contretemps, mais le problème reste entier. Une autre initiative transpartisane vient d'être déposée à l'Assemblée nationale. Ces enjeux affectent nos territoires ruraux, et le Sénat doit en débattre.

Le déficit chronique de médecins est le résultat de plusieurs décennies d'inaction, et le numerus apertus ne le résorbe pas assez vite.

L'article 1er de ce texte ajoute une année de professionnalisation dans le cursus des étudiants de médecine générale, obligatoirement réalisée sous l'encadrement d'un maître de stage universitaire dans un désert médical. Cela va dans le bon sens, mais il peut être difficile de trouver un maître de stage universitaire loin d'un CHU. Je propose qu'une année, ou six mois au moins, puissent être réalisés auprès d'un médecin traitant référent.

Le texte prévoit de rémunérer les étudiants 3 500 euros nets par mois. J'ai proposé pour ma part l'équivalent de dix consultations par jour, soit 5 000 euros par mois. Compte tenu des frais de déplacement, cela revient au même.

L'organisation de ce système en lien avec le conseil départemental est pertinente, car les conseillers connaissent le territoire.

Il est bon de favoriser la coordination entre les professionnels de santé, comme le fait l'article 2. Les CPTS sont pertinentes.

L'article 3 rétablit l'obligation de garde pour les médecins libéraux, qui est contraignante mais nécessaire pour garantir l'accès aux soins partout en France.

L'article 4 instaure un conventionnement sélectif, c'est-à-dire conditionné à ce qu'un médecin libéral déjà installé cède sa place. Nous y sommes favorables, car il répond à un besoin exprimé par les élus ruraux.

En revanche, l'article 5 pose problème, car il prévoit l'égalité de traitement entre médecins libéraux et salariés. Or l'exercice n'est pas le même. Les médecins libéraux prodiguent plus de présence et de soins, et sont les plus à même de lutter contre les déserts médicaux. Je propose de supprimer cet article.

La proposition de loi a le mérite de remettre ce sujet au coeur du débat. Notre groupe déterminera son vote en fonction des ajustements proposés. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) C'est la deuxième fois que nous débattons des zones sous-denses en quelques mois, preuve de l'urgence. Un médecin sur deux ne prend plus de nouveau patient, alors que 660 000 personnes souffrant d'une affection de longue durée n'ont pas de médecin traitant et que 30 % de la population habite en zone d'intervention prioritaire.

Les zones rurales sont particulièrement touchées et subissent le non-remplacement des médecins, la fermeture des services d'urgence ou des maternités, avec 60 % des habitants ayant des difficultés d'accès à la médecine générale, selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Six millions de personnes, souvent précaires, se retrouvent sans médecin traitant.

Les inégalités territoriales se creusent, et nous devons vite agir, car la fin du numerus clausus ne portera pas ses fruits avant une décennie. Il faut des mesures plus contraignantes de planification de l'offre.

Le Gouvernement ne propose que des demi-mesures. Le PLFSS prévoit un stage long en zone sous-dotée, mais qui peut croire que cette solution est suffisante ? Le premier cycle devrait être raccourci. Il est dommage d'ajouter une dixième année sans refonte des cycles. Que l'année de stage se fasse prioritairement en zone sous-dense ne peut s'entendre que si des mesures de régulation s'appliquent à tous les médecins, et non seulement aux jeunes.

Conditionner le conventionnement des médecins en zone surdotée au remplacement des départs pourrait être efficace, tout comme l'obligation de participer à la permanence des soins. Seulement 38 % de médecins volontaires y participent actuellement, contre 67 % il y a sept ans. Voilà le résultat du laisser-faire.

Il faut des mesures de long terme. Pour réduire les déserts médicaux, décentralisons les premières années de médecine, comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) le recommande. La méta-analyse de la Drees montre que l'origine géographique et sociale des étudiants est un déterminant majeur du lieu d'installation. Être originaire d'une zone rurale accroît l'intérêt d'y exercer.

Il faut des solutions rapides. Le GEST votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. François Patriat .  - Chercher désespérément un rendez-vous, devoir se rendre aux urgences faute de médecins disponible : nous avons tous vécu ce genre de situation, car l'accès aux soins devient un parcours du combattant.

Il faut trouver un équilibre entre coercition et laisser-faire, entre incitation et obligation. Or le texte proposé est très coercitif. Quatre articles sur cinq sont des obligations : année de professionnalisation en zone sous-dotée, équipes de soins primaires, gardes, installation en libéral dans des zones précises.

Cela comporte le risque d'une fuite vers l'étranger, d'un désintérêt pour les études de médecine générale, ou d'une submersion des médecins libéraux restants.

Il n'est pas acceptable que certains de nos concitoyens soient contraints d'aller aux urgences faute de médecin disponible en soirée. Rappelons que 11 % des Français n'ont pas de médecin traitant, qu'ils sont 1,6 million à renoncer aux soins chaque année, et que 45 % des médecins libéraux sont en burn-out ! Aller contre la volonté des médecins n'est pas une solution.

Nous avons déjà proposé de nombreuses mesures : suppression du numerus clausus, exonération de cotisations retraite pour favoriser le cumul emploi-retraite, participation à la permanence des soins. Laissons-leur le temps de prendre effet.

Si la responsabilité collective ne suffisait pas, il faudrait envisager des gardes obligatoires le soir, mieux rémunérées...

Plusieurs pistes de réflexion ont été proposées par Mme Schillinger et M. Mouiller dans leur dernier rapport, comme le renforcement du lien entre les collectivités et les facultés, l'utilisation accrue de la télémédecine et les contrats locaux de santé.

Il faut privilégier la concertation. C'est l'objet des CNR territoriaux sur la santé. J'ai assisté à celui de Dijon la semaine dernière : tout le monde souhaite un meilleur accès aux soins, une meilleure répartition entre ville et hôpital, une plus grande coordination entre les professionnels.

Cherchons ensemble des solutions, sans décourager les médecins libéraux.

Le texte est trop contraignant : nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.) Ce sujet revient régulièrement dans nos travaux, notamment lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale. L'accès aux soins est un sujet de préoccupation essentiel de nos concitoyens et des élus locaux. Désormais, même les centres urbains manquent de généralistes. Ruraux et urbains : tous concernés !

Les causes sont multiples et complexes, les élus se sentent désarmés.

Nous n'en serions peut-être pas là si le Gouvernement avait publié le décret d'application de la loi Santé de 2019 prévoyant six mois de stage auprès d'un généraliste en zone sous-dense. Je vous renvoie à l'avis 140 du Comité consultatif national d'éthique, pour qui ce défaut d'application de la loi n'est pas acceptable.

L'article 1er prévoit une année de professionnalisation à la suite du troisième cycle. Loin d'y être opposée, la majorité a adopté un dispositif similaire dans la proposition de loi Retailleau instaurant une quatrième année de médecine générale ; la rédaction est plus solide juridiquement.

L'article 3 rétablit l'obligation des gardes pour les médecins libéraux, et l'article 4 régule les installations.

Notre famille politique est attachée au caractère libéral de la médecine. En 2022, la notion de zone « surdotée » semble dépassée. Attention aux effets collatéraux sur l'attractivité de la médecine générale.

Alors que des négociations conventionnelles se sont ouvertes avec l'assurance maladie, il faut préserver la sérénité du dialogue. Le vote unilatéral d'une mesure de coercition serait un mauvais signal.

L'article 5 concerne les centres de santé. Les médecins libéraux et les médecins salariés n'ont pas les mêmes contraintes ; à ce titre, nous estimons qu'ils n'ont pas à être aidés de la même façon. Ces centres de santé ne sont pas la panacée, certains peinent à recruter. Une aide à un médecin salarié ne doit pas être une subvention déguisée à un centre...

La majorité sénatoriale travaille depuis longtemps sur ces questions, et a voté plusieurs mesures, pour favoriser le cumul emploi-retraite, dégager du temps médical, favoriser l'exercice pluridisciplinaire.

Sans dogmatisme, avec le bon sens qui caractérise notre Haute Assemblée, nous continuerons à plaider en faveur d'une nouvelle loi santé, prise en concertation avec les acteurs. Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte : faisons confiance aux négociations conventionnelles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

Discussion des articles

ARTICLE 1er

M. Dany Wattebled .  - Un de mes amendements, jugé irrecevable au titre de l'article 40, proposait qu'un maire puisse mettre des agents municipaux à disposition d'un cabinet médical ou d'une maison médicale, comme on le fait auprès des bureaux de Poste.

Les élus locaux ne sont pas logés à la même enseigne. Une commune propose 50 000 euros de prime à l'installation d'un médecin ; un département, 90 000 euros d'investissements, la prise en charge des factures, du secrétariat, et un salaire - on sort de la médecine libérale. Même l'État met à disposition des assistants médicaux.

Le maire de Grand-Fort-Philippe, M. Clinquart, présent en tribune, a mis à disposition deux agents communaux pour soulager les médecins de la charge administrative. L'intention est louable, mais il a été condamné pour détournements de fonds : triple peine ! D'où l'intérêt de mon amendement...

M. Patrick Kanner .  - Madame la ministre, vos mots à l'égard de M. Hollande étaient peu aimables, et je n'aurai donc pas de mots aimables pour l'exécutif. Le 18 novembre 2021, j'avais interrogé M. Castex sur la date de parution du décret d'application de la loi de 2019. Il m'avait répondu : au printemps prochain... Comment expliquez-vous cette incurie gouvernementale qui laisse la loi inappliquée ?

Dans le PLFSS, vous avez repris l'idée d'une année d'études supplémentaire, à effectuer en zone sous-dense. Chat échaudé craint l'eau froide : allons-nous là aussi attendre les mesures réglementaires pendant des mois, des années ? Je crains un enfumage du Parlement. Votre éclairage sera important, madame la ministre.

M. Jean-Luc Fichet .  - Il y a les déserts médicaux, et le désert sur les travées de la droite... Elle travaille depuis des années, selon Mme Imbert, mais rien n'avance ; pis, l'offre de soins diminue.

Nous respectons la profession libérale, mais la demande change : les Français ont besoin d'une médecine plus pointue, et les professionnels doivent y répondre.

On ne parle pas assez des contraintes pour les maires de ces investissements, sans aucune visibilité. Depuis des années, on se contente de mesurettes, faute du grand projet de loi Santé attendu depuis maintenant six ans. Je félicite donc la rapporteure pour son travail sur un texte mesuré et équilibré.

M. Jean-Jacques Lozach .  - Mme la ministre qualifie la situation de « préoccupante » ? Doux euphémisme ! Elle est dramatique, pour 87 % du territoire national et pour six millions de Français. Et les projections montrent qu'elle se dégrade : le solde entre les médecins qui s'installent et ceux qui partent est négatif. Il est temps de prendre des mesures ambitieuses, audacieuses.

Les mesures incitatives ne marchent pas, on le voit dans les zones de revitalisation rurale, malgré les 50 000 euros de prime à l'installation et l'exonération fiscale totale pendant cinq ans.

Il y a urgence, car l'accès au soin est un besoin fondamental. C'est la crédibilité de la parole publique qui est en jeu.

M. Patrice Joly .  - Deux de mes quatre amendements ont été déclarés irrecevables.

Le premier supprimait le forfait urgence patient. En effet, des millions de Français, faute de médecin référent, n'ont d'autre solution que de se rendre aux urgences et sont sanctionnés.

L'autre portait sur l'intérim médical, qui épuise financièrement les établissements et ne permet pas un fonctionnement correct des équipes. Limiter la durée de l'intérim améliorerait la répartition sur le territoire et favoriserait l'installation.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée .  - En 2022, 3 388 postes d'interne en médecine générale ont été ouverts ; en 2027, ce sera 4 635, en hausse de 26 %.

Nous anticipons, et notre modèle démographique prend en compte la pyramide des âges. Mais il faut aussi tenir compte de l'évolution du mode d'exercice et du temps de travail, et travailler sur le transfert de tâches et le numérique, pour construire un modèle différent. Cette anticipation vaut pour toutes les professions de santé, car nous manquons aussi d'infirmiers et d'aides-soignants. C'est un enjeu du CNR.

J'étais, lundi, dans l'Aveyron. Mon ministère est chargé de l'organisation territoriale : notre méthode est de remontrer en partant des territoires. Les CNR territoriaux ont collecté des propositions émanant de tous les territoires. Nous les accompagnerons, mais nous mettrons aussi à la disposition de tous une boîte à outils de solutions innovantes. Ce que j'ai vu à Saint-Georges-de-Luzençon ne pourrait être appliqué en Île-de-France, plus grand désert médical de France...

Monsieur Wattebled, nous sommes en train d'expertiser votre amendement avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) : effectivement, le maire pourrait peut-être mettre du personnel à disposition. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

En matière de loi Santé, il y a tout de même eu celle de 2019...

Nous sommes dans le mur : 87 % de la France est un désert médical. Ce n'est qu'ensemble, avec les élus, les professionnels de santé et les usagers, que nous trouverons des réponses, et non dans la coercition. (Mme Nadia Sollogoub applaudit)

Mme la présidente.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Decool, Wattebled, Guerriau et Grand, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Malhuret et Louault, Mme Perrot, M. Bonhomme et Mme Dumont.

Alinéa 2, seconde phrase

Après le mot :

universitaire

insérer les mots :

pendant un semestre et auprès d'un médecin traitant pendant l'autre semestre de l'année de professionnalisation

M. Daniel Chasseing.  - L'année de professionnalisation est un moyen efficace de lutter contre les déserts médicaux. Cependant, nous allons manquer de maîtres de stage universitaires, notamment dans les territoires ruraux où les médecins, débordés, n'auront pas le temps de se former. C'est pourquoi je propose que pour cette dixième année d'études, le médecin junior puisse effectuer six mois auprès d'un médecin traitant, qui sera son référent. Il pourra effectuer des remplacements, voire s'associer dans un second temps.

Mme la présidente.  - Amendement n°7 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Decool, Wattebled, Guerriau et Grand, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Malhuret et Louault, Mmes Perrot et F. Gerbaud, M. Bonhomme, Mme Dumont et M. Lefèvre.

Alinéa 2, seconde phrase

Après le mot :

universitaire

insérer les mots :

ou d'un médecin traitant

M. Daniel Chasseing.  - Celui-ci prévoit que la dixième année peut être encadrée par tout médecin traitant.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure.  - Avis défavorable. Le statut de maître de stage universitaire assure la qualité de l'encadrement des jeunes médecins. Le nombre de maîtres de stage universitaires continue de croître, grâce aux efforts conjugués des universités et des collectivités territoriales. Ne scindons pas l'année de professionnalisation, privilégions l'exercice long.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Avis défavorable aux deux amendements. Le Gouvernement veille à la qualité de l'encadrement pédagogique des futurs professionnels de santé.

M. Bernard Jomier.  - Soyons attentifs au message envoyé aux jeunes médecins, qui demandent un encadrement par un maître de stage universitaire. Ne brutalisons pas les internes, qui sont en souffrance, soumis à des rythmes très élevés et mal rémunérés. Cette année supplémentaire n'est pas une année d'internat, mais de professionnalisation, avec une rémunération plus élevée.

Madame la ministre, on ne fera évoluer le rôle des maires qu'en modifiant la loi sur leur compétence, ce que le Gouvernement a plusieurs fois refusé, notamment dans la loi 3DS. L'expertise d'un simple amendement n'y suffira pas : il faut légiférer pour reconnaître le rôle des collectivités territoriales en matière de santé.

Enfin, nous sommes toujours dans une politique de l'offre : vous poursuivez la restriction avec un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) de ville et un Ondam hospitalier inférieurs à l'inflation.

M. Daniel Chasseing.  - Je rejoins M. Jomier sur la rémunération - je proposais d'ailleurs 5 000 euros par mois.

Cependant, en milieu rural, les médecins, qui ont déjà une patientèle considérable et ne peuvent se former pour devenir maître de stage universitaire, pourraient au moins encadrer un interne déjà expérimenté pour les six derniers mois. Il serait présent en cas de difficulté. Dans la vraie vie, ce serait bien. Je retire, cependant, mes amendements.

L'amendement n°8 rectifié est retiré, ainsi que l'amendement n°7 rectifié.

Mme la présidente.  - Amendement n°13, présenté par Mme Poumirol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 10

Remplacer les mots :

départemental de l'Association des maires de France

par les mots :

des communes du département

Mme Émilienne Poumirol.  - L'accompagnement et l'aide à l'installation doivent relever d'une commission départementale. Plutôt que des membres de l'Association des maires de France (AMF), nous proposons de mentionner simplement un représentant des communes, car il existe plusieurs associations de maires.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure.  - La commission ayant rejeté le texte, elle a émis un avis défavorable à l'amendement. Personnellement, je considère que ce remplacement est souhaitable. Les collectivités jouent un rôle important dans la politique d'attractivité. Nous voulons, avec cet amendement, être les plus ouverts possible.

M. Jean-Luc Fichet.  - Absolument !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Votre amendement est satisfait, car l'AMF représente chaque commune du département. En outre, le Gouvernement a confié une mission sur la quatrième année à quatre personnalités qualifiées, qui ont auditionné les associations d'élus locaux. Retrait ou avis défavorable.

L'amendement n°13 est adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 1er, modifié, est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°98 :

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 293
Pour l'adoption   97
Contre 196

L'article 1er n'est pas adopté.

ARTICLE 2

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°99 :

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 297
Pour l'adoption   99
Contre 198

L'article 2 n'est pas adopté.

ARTICLE 3

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°100 :

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 315
Pour l'adoption 142
Contre 173

L'article 3 n'est pas adopté.

ARTICLE 4

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 4 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°101 :

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 315
Pour l'adoption 120
Contre 195

L'article 4 n'est pas adopté.

APRÈS L'ARTICLE 4

Mme la présidente.  - Amendement n°14, présenté par M. P. Joly.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I.  -  Après l'article L. 4131-6 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 4131-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 4131-6-....  -  La signature par un médecin, généraliste ou spécialiste, installé dans une zone caractérisée par une offre de soins particulièrement élevée au sens du 2° de l'article L. 1434-4, d'une convention prévue par l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale est subordonnée à l'exercice préalable de son activité, pendant au moins douze mois en équivalent temps plein dans une zone autre que celles évoquées aux 1° et 2° de l'article L. 1434-4 du présent code. Cette durée peut être accomplie, selon le choix du médecin, de manière continue ou par intermittence et à un rythme qu'il détermine.

« Dans l'une des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l'accès aux soins au sens du 1° de l'article L. 1434-4 cette durée est réduite à six mois. Cette durée peut être accomplie, selon le choix du médecin, de manière continue ou par intermittence et à un rythme qu'il détermine. Le cas échéant, la période accomplie dans cette zone est prise en compte pour le calcul de la durée mentionnée au premier alinéa si le médecin concerné s'installe ultérieurement dans une zone relevant du 2° de l'article L. 1434-4.

« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article. »

II.  -  Les dispositions du I ne sont pas applicables aux médecins qui, à la date de publication de la présente loi, remplissaient les conditions mentionnées au I de l'article L. 632-2 du code de l'éducation.

M. Patrice Joly.  - Le manque d'accès aux soins a des conséquences dramatiques : dans certains territoires, l'espérance de vie est diminuée de quatre à cinq ans ; si l'on ajoute les inégalités sociales, on atteint un différentiel de treize ans !

L'insécurité est totale, surtout dans les territoires ruraux à la population vieillissante.

Cette proposition n'est pas de coercition, mais de régulation. Les mesures incitatives, pourtant très avantageuses, ne suffisent pas. Cet amendement prévoit que les jeunes médecins qui veulent s'installer en zone surdotée à l'issue de leur formation doivent, sur leurs trois premières années d'exercice, effectuer au moins douze mois en zone normale, ou six mois en zone sous-dotée. Ce peut être de manière fractionnée, pour tenir compte de leur situation familiale.

Aux médecins qui ne sont pas en contact avec les patients -  en laboratoire ou en assurance par exemple  - , il sera demandé d'exercer six mois en zone sous-dotée avant de commencer leur activité.

On considère, à tort, que 13 % des territoires sont en zone surdotée, car la pénurie de médecins est générale ! Cependant, il faut travailler sur cette définition. Il faudrait considérer comme surdotée toute zone étant mieux dotée que la moyenne. Sortons des approches théoriques.

Mme la présidente.  - Amendement n°15, présenté par M. P. Joly.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I.  -  Après l'article L. 4131-6, il est inséré un article L. 4131-6-... ainsi rédigé :

« Art. L. 4131-6-....  -  L'exercice de la médecine à tout autre titre que ceux mentionnés à l'article L. 4131-6 est subordonné à l'exercice préalable de la médecine générale, pendant six mois en équivalent temps plein, dans l'une des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l'accès aux soins au sens du 1° de l'article L. 1434-4. Cette durée doit être accomplie de manière continue dès l'obtention du diplôme.

« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article. »

II.  -  Les dispositions du I ne sont pas applicables aux médecins qui, à la date de publication de la présente loi, remplissaient les conditions mentionnées au I de l'article L. 632-2 du code de l'éducation.

M. Patrice Joly.  - Défendu.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure.  - L'amendement n°14 propose un mécanisme plus contraignant que celui prévu par l'article 4, mais n'éviterait pas la surconcentration en zone surdotée. Retrait ou avis défavorable.

Avis défavorable également à l'amendement n°15 : la médecine générale est une spécialité, qui suppose une formation spécifique, et ne peut s'exercer au pied levé.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Avis défavorable à l'amendement n°14. La contrainte à l'installation n'est pas la solution : elle conduirait de nombreux médecins à retarder leur installation ou à trouver des solutions de contournement. Le conventionnement coercitif, instauré en Allemagne, a des résultats négatifs.

Il est au demeurant difficile d'identifier des zones surdenses, en particulier pour les médecins généralistes, alors qu'on estime que 87 % de la France est un désert médical et que les difficultés démographiques touchent tout le territoire. En outre, de nombreux médecins partiront en retraite d'ici cinq ans.

Avis défavorable à l'amendement n°15 également. Une obligation d'exercice en médecine générale pour l'ensemble des nouveaux diplômés qui n'exerceraient pas devant les patients reviendrait à nier la spécificité de la médecine générale. Tous les étudiants ne sont pas au chevet des patients durant leurs études - c'est le cas de la spécialité santé publique. Par ailleurs, nous n'entendons pas contraindre la liberté d'installation.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Relativisons. D'après la Drees, il y a une gradation dans la densité médicale : 30 % du territoire est en zone d'intervention prioritaire (ZIP), 40 % en zone d'action complémentaire (ZAC). Il y a donc 30 % du territoire qui n'est ni ZIP ni ZAC ! Les inégalités territoriales se creusent, d'où la nécessité d'agir pour l'équité territoriale.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°14 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°102 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 276
Pour l'adoption     7
Contre 269

L'amendement n°14 n'est pas adopté.

L'amendement n° 15 n'est pas adopté.

ARTICLE 5

Mme la présidente.  - Amendement n°6 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Decool, Wattebled, Guerriau et Grand, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Malhuret et Louault, Mmes Perrot et F. Gerbaud, M. Bonhomme et Mme Dumont.

Supprimer cet article.

M. Daniel Chasseing.  - L'article 5 pose la question de l'égalité de traitement entre médecins libéraux et salariés en matière d'aides publiques.

Les médecins libéraux prennent des risques en s'installant dans des maisons de santé pluridisciplinaires : ils paient une secrétaire, versent un loyer et gèrent la maison de santé en association. Reconnaissons que les statuts sont différents, que le volume de travail des médecins libéraux permet de prodiguer davantage de soins. Si le salariat répond aux aspirations de nombreux médecins, seule la médecine libérale est en mesure de résoudre les difficultés d'accès aux soins, notamment en zone rurale. Encourageons-la.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure.  - La commission a émis un avis favorable à cet amendement de suppression -  je le regrette, à titre personnel. Les modes d'exercice libéral et salarié ont leurs singularités. L'incitation s'élève à 50 000 euros pour une installation en libéral, contre 30 000 euros pour le premier équivalent temps plein (ETP) au sein d'un centre de santé.

À titre personnel, je considère que l'exercice salarié de la médecine contribue à l'offre de soins de premier recours au même titre que l'exercice libéral. Les aides ne doivent pas être discriminantes.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Avis favorable.

Il faut répondre aux aspirations des jeunes médecins, tant libéraux que salariés. Il n'y a pas de hiérarchisation des modes d'exercice.

Il y a bien une transposition des dispositions de la convention nationale médicale aux centres de santé : sous condition de maintenir le centre de santé pendant cinq ans et de participer à la PDSA, il bénéficie de 30 000 euros par ETP de médecin généraliste salarié.

M. Patrice Joly.  - Je croyais que nos collègues étaient pour la liberté ! L'article 5 favorise justement le libre choix des jeunes médecins en assurant la neutralité des aides à l'installation, quel que soit le mode d'exercice choisi.

Mme Émilienne Poumirol.  - La liberté d'installation est effectivement un principe important. Il nous a paru anormal de discriminer entre exercice libéral et exercice en centre de santé : les deux modes ne sont pas opposés mais complémentaires. Nous permettons à chaque jeune médecin de choisir celui qui lui convient, en fonction de ses aspirations.

Les centres de santé reçoivent 30 000 euros par ETP, puis 20 000 euros pour le second, avec une limite à trois médecins. Pour une maison de santé pluriprofessionnelle, la subvention s'élève à 50 000 euros par médecin, quel que soit leur nombre. Supprimons ce différentiel, pour assurer la liberté de choix.

Mme Laurence Cohen.  - Ne méconnaissez pas l'appétence pour les centres de santé ! Les jeunes médecins veulent y travailler car ils privilégient un mode d'exercice en équipe, sans charge administrative, sans dépassement d'honoraire, sur le modèle de l'hôpital.

Encourageons les jeunes médecins à s'installer là où ils le souhaitent. Il est de plus en plus difficile de recruter, y compris en salarié. Cessons d'idéaliser l'exercice libéral, gommons ces discriminations pour encourager tous les modes d'exercice qui concourent au maillage du territoire.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Certes, les médecins libéraux prennent des risques en matière de capital. Mais dire qu'ils consentent des sacrifices, comme on le lit dans l'exposé des motifs de l'amendement, je trouve cela choquant.

Certes, leur volume de travail est supérieur. Mais de là à conclure que seule la médecine libérale serait capable de résoudre les problèmes d'accès aux soins, alors qu'elle a laissé prospérer les déserts médicaux, et que l'offre en secteur 1 ne cesse de diminuer, non !

Conscients de l'aspiration à un temps de travail moindre, certains territoires facilitent l'ouverture de centres de santé ; le département de Saône-et-Loire est parvenu à recruter 70 médecins salariés ! Rien n'empêche les soignants de faire des heures supplémentaires et de dispenser autant de soins que les médecins libéraux - d'autant que ces derniers ne travaillent plus comme avant.

Si nous voulons lutter contre les déserts médicaux, toutes les solutions doivent être envisagées. Le niveau d'aides doit être le même, car la solution passe aussi par le salariat.

M. Daniel Chasseing.  - Je ne suis pas contre les médecins salariés, mais pour la liberté d'installation.

Mme Laurence Cohen.  - Nous aussi !

M. Daniel Chasseing.  - Je souhaite favoriser l'installation des médecins libéraux. Je retire le mot sacrifice, mais dans une MSP, le médecin ne compte pas ses heures, il s'occupe de la gestion, de la coordination avec les paramédicaux... C'est à encourager !

Bien sûr, les départements peuvent créer des centres de santé dans des zones tendues - je ne nie pas cet apport. Mais je souhaite conserver la distinction actuelle dans la dotation publique, pour favoriser l'installation de médecins libéraux.

Mme Véronique Guillotin.  - Je voterai l'amendement de M. Chasseing. Il n'y a ni comparaison ni concurrence entre les MSP et les centres de santé.

Les centres de santé sont eux aussi aidés. Le mode d'exercice est différent : d'un côté, le salariat, et de l'autre, un exercice libéral avec de nombreuses charges. Ce n'est pas comparable. (M. Bernard Fialaire applaudit.)

M. Bernard Jomier.  - Je partage la préoccupation des auteurs de la proposition de loi : il faut traiter de la même façon les différents modes d'exercice, qui relèvent aussi d'un choix de vie.

Ces aides devront être discutées dans la nouvelle convention. Elles ne sont pas totalement efficaces, mais ne sont pas optimales.

Il faut aussi se pencher sur le destinataire de l'aide : ce n'est pas la même chose de la verser au professionnel de santé ou à la structure dans laquelle il exerce.

Attention, enfin, car certains centres de santé peu sympathiques pratiquent une forme d'optimisation de ces aides. (Mme Laurence Cohen acquiesce.) De grands groupes privés low cost en profitent pour augmenter leurs bénéfices, au détriment de la qualité des soins et de la qualité de l'exercice...

M. Jean-Luc Fichet.  - Madame la ministre, vous soutenez qu'il faut partir de la demande des médecins. Mais les jeunes médecins demandent à exercer comme salariés !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Pas seulement !

M. Jean-Luc Fichet.  - Les médecins libéraux seraient épuisés, écrasés par les charges, pas assez payés - mais vous considérez qu'ils peuvent très bien continuer au-delà de la retraite ! Les centres de santé permettent de diversifier l'offre, à condition que les aides soient équitables. Mais là, vous dites que ce n'est pas la même chose, que les besoins ne sont pas les mêmes... Ces arguments sont contradictoires !

L'amendement n° 6 rectifié n'est pas adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 5 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n° 104 :

Nombre de votants 320
Nombre de suffrages exprimés 308
Pour l'adoption  95
Contre 213

L'article 5 n'est pas adopté.

ARTICLE 6

Mme la présidente. - Tous les articles ayant été supprimés, le rejet de l'article 6 entraînerait le rejet du texte. C'est donc le moment de vous exprimer sur l'ensemble de la proposition de loi.

Mme Angèle Préville .  - Il ne restera rien de ce texte : j'exprime ma déception. Nous connaissons une situation désastreuse. Chaque Français est confronté à la difficulté d'avoir accès à un médecin.

Je suis élue d'un territoire rural, et les Français ne comprennent pas que nous n'agissions pas. Pourquoi tant de difficultés à résoudre cette situation ?

Les moyens déployés dans les facultés de médecine sont-ils suffisants ? L'accès aux études de médecine est-il facilité ? Combien d'enfants d'ouvriers et d'agriculteurs deviennent-ils médecins ?

Les élus consacrent beaucoup d'énergie pour bricoler des solutions. Madame la ministre, dire que les territoires doivent s'organiser, ce n'est pas acceptable.

Nombre d'entre vous ont parlé de coercition, je parlerai de devoir. Un étudiant coûte à l'État... (L'oratrice est interrompue par les protestations sur les travées du groupe Les Républicains, tandis que M. Jean-Pierre Sueur l'applaudit.)

Mme Émilienne Poumirol .  - Je suis moi aussi déçue. Le travail du groupe SER est nié, après de nombreuses auditions. Je pensais que nous aurions pu discuter ensemble de ce problème majeur pour notre pays, au Sénat, chambre des collectivités territoriales. Les élus locaux et nos concitoyens sont inquiets.

Par la technique du scrutin public, pour lequel la présence n'est pas obligatoire, les quelques sénateurs Les Républicains présents ont pu emporter le vote !

Notre texte n'est pas plus contraignant que l'article 23 que vous avez introduit dans le PLFSS, à la suite de la proposition de loi Retailleau. Vous imposez un stage rémunéré comme un stage d'internat alors que nous proposons de négocier la rémunération.

Dans notre article 2, nous parlons d'un exercice coordonné, et non d'une obligation. L'Ordre des médecins s'est prononcé pour instaurer une obligation à partir de 2026 ; nous ne sommes pas plus coercitifs que lui. Seules 220 ESP ont été créées en France.

À l'article 3, sur la PDSA, nous parlons non de garde individuelle obligatoire, mais de définir des zones pertinentes pour tous avec les ARS et avec les CPTS.

Mme la présidente.  - Je suis obligée de vous interrompre, car vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Daniel Chasseing .  - Tous les sénateurs qui sont dans des territoires ruraux rencontrent des soucis. Le numerus clausus a disparu trop tardivement, et les problèmes dureront au moins jusqu'en 2030.

J'étais d'accord avec la plupart des articles de la proposition de loi, si ce n'est que je privilégiais une rémunération plus importante pour les docteurs juniors : je suis pour davantage de médecins libéraux. La coordination va dans ce sens.

Il faut essayer d'avoir un accès aux soins non programmés avec les CPTS.

Mme Laurence Cohen.  - Arrêtons les petits pas, et soyons audacieux !

M. Daniel Chasseing.  - Les professionnels doivent accepter les gardes.

Mme Laurence Cohen.  - On attend, on attend...

M. Daniel Chasseing.  - Je suis favorable au conventionnement sélectif de l'article 4, mais, s'agissant de l'article 5, je suis pour que les médecins libéraux soient favorisés.

Mme Laurence Cohen.  - C'est déjà ce qu'on fait !

M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales .  - Je remercie les collègues du groupe SER pour leurs travaux. Nous relirons le rapport avec intérêt, et il inspirera les débats futurs.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 6 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n° 105 :

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 303
Pour l'adoption 100
Contre 203

L'article 6 n'est pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Prochaine séance, mardi 13 décembre 2022 à 9 h 30.

La séance est levée à 20 h 05.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 13 décembre 2022

Séance publique

À 9 h 30, 14 h 30, 17 h 30 et, éventuellement, le soir

Présidence : M. Pierre Laurent, vice-président, M. Gérard Larcher, président, M. Vincent Delahaye vice-président

Secrétaires : M. Loïc Hervé - Mme Jacqueline Eustache-Brinio

1Questions orales

2Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (procédure accélérée) (texte de la commission, n°187, 2022-2023)

3Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la politique de l'immigration