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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Mise au point au sujet de votes

Démission d'un sénateur

Commission (Nomination)

Modifications de l'ordre du jour

Gestion de l'eau dans une perspective économique et écologique

Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe Les Républicains

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

M. Henri Cabanel

M. Philippe Mouiller

M. Daniel Chasseing

M. Daniel Breuiller

Mme Nadège Havet

M. Hervé Gillé

Mme Marie-Claude Varaillas

Mme Amel Gacquerre

M. Alain Cadec

M. Franck Montaugé

M. Jean-Paul Prince

M. Cédric Vial

M. Joël Bigot

M. Jean-Marc Boyer

Mme Anne Ventalon

M. Laurent Duplomb

M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains

Instauration des zones à faible émission

M. Philippe Tabarot, pour le groupe Les Républicains

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

M. Michel Savin

M. Joël Guerriau

M. Jacques Fernique

Mme Nadège Havet

M. Gilbert-Luc Devinaz

M. Gérard Lahellec

M. Jean-François Longeot

Mme Nathalie Delattre

Mme Laurence Garnier

Mme Angèle Préville

Mme Christine Herzog

Mme Elsa Schalck

Mme Martine Filleul

Mme Laure Darcos

M. Stéphane Le Rudulier

Mme Brigitte Micouleau

Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains

Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d'un Grenelle sur les salaires

M. Thierry Cozic, pour le groupe SER

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

M. Franck Menonville

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Michel Dagbert

Mme Isabelle Briquet

Mme Laurence Cohen

M. Olivier Henno

M. Christian Bilhac

Mme Pascale Gruny

M. Franck Montaugé

Mme Annick Jacquemet

M. Pascal Allizard

Mme Corinne Féret

Mme Catherine Belrhiti

Mme Chantal Deseyne

Mme Florence Lassarade

M. Guillaume Chevrollier

M. Thierry Cozic, pour le groupe SER

Demande de création d'une commission spéciale

Avis sur une nomination

Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise

Mme Martine Berthet, au nom de la délégation aux entreprises

M. Jacques Le Nay, au nom de la délégation aux entreprises

Mme Florence Blatrix Contat, au nom de la délégation aux entreprises

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

M. Thomas Dossus

M. Jean-Baptiste Lemoyne

M. Rémi Cardon

Mme Céline Brulin

Mme Françoise Férat

M. Henri Cabanel

M. Stéphane Sautarel

M. Emmanuel Capus

Mme Florence Blatrix Contat

M. Jean-Pierre Moga

M. Guillaume Chevrollier

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises

Ordre du jour du mercredi 11 janvier 2023




SÉANCE

du mardi 10 janvier 2023

43e séance de la session ordinaire 2022-2023

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté.

Mise au point au sujet de votes

M. Henri Cabanel.  - Lors des scrutins 98 à 104 sur la proposition de loi visant à rétablir l'équité territoriale face aux déserts médicaux, M. Jean-Pierre Corbisez souhaitait voter pour.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique des scrutins.

Démission d'un sénateur

M. le président.  - M. Philippe Nachbar a fait connaître à la présidence qu'il démissionnait de son mandat de sénateur de la Meurthe-et-Moselle, à compter du samedi 31 décembre 2022 à minuit.

En application de l'article L.O. 320 du code électoral, il a été remplacé par Mme Véronique Del Fabro, dont le mandat de sénatrice a commencé le dimanche 1er janvier 2023, à 0 heure.

Commission (Nomination)

M. le président.  - J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Modifications de l'ordre du jour

M. le président.  - La Conférence des Présidents a inscrit le prochain débat d'actualité à l'ordre du jour du mercredi 11 janvier à 16 h 30.

Après concertation avec les groupes politiques, ce débat porterait, sur proposition du Président du Sénat, sur le thème suivant : « La crise du système de santé », sous la forme d'une discussion générale d'une heure.

Par ailleurs, sur proposition du Président du Sénat et en accord avec le Gouvernement et les groupes politiques, nous pourrions fixer les explications de vote et le scrutin public solennel sur le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes au mardi 24 janvier à 14 h 30 et sur le projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 au mardi 31 janvier à 14 h 30.

En conséquence, nous pourrions prévoir la suite de l'examen de la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, le mercredi 1er février au soir.

Par courrier en date du 17 décembre dernier, M. Guillaume Gontard, président du GEST, a demandé l'inscription à l'ordre du jour de l'espace réservé à son groupe du jeudi 2 février de la proposition de loi visant à renforcer l'action des collectivités territoriales en matière de politique du logement et de la proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la Première Guerre mondiale.

Pour l'examen de ces deux textes, les commissions se réuniraient le mercredi 25 janvier matin et nous pourrions fixer le délai limite de dépôt des amendements de séance au lundi 30 janvier à 12 heures.

Par ailleurs, à la demande du GEST, nous pourrions prévoir une discussion générale de 45 minutes.

Il en est ainsi décidé.

Gestion de l'eau dans une perspective économique et écologique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la gestion de l'eau dans une perspective économique et écologique.

Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Paul Prince applaudit également.) L'année 2022 a été l'année la plus chaude enregistrée en France. La première victime en a été l'eau, ressource vitale économiquement et biologiquement, qui se raréfie et est souillée par nos usages.

Avec Cécile Cukierman, Alain Richard et Jean Sol, nous avons travaillé dans le cadre de la délégation sénatoriale à la prospective sur la quantité et la qualité de l'eau d'ici 2050. Nos huit recommandations seront présentées à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable le 18 janvier.

Sur le plan économique, l'eau doit faire l'objet d'une politique plus ferme d'intervention et d'investissement.

Les collectivités territoriales affrontent des coûts croissants d'entretien et de rénovation des réseaux. Elles ne peuvent y faire face seules. Leurs moyens doivent être renforcés.

Leur liberté doit aussi être défendue : le Sénat s'est montré favorable au transfert facultatif de la compétence eau vers les intercommunalités. L'eau répond à une logique de bassin versant et non de périmètre intercommunal. Le transfert de compétences a globalement renchéri les coûts pour les usagers. La compétence eau devrait être laissée aux communes sauf à ce qu'elles décident volontairement de son transfert.

Nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur les moyens des agences de l'eau. Celles-ci reçoivent 2 milliards d'euros, à 80 % en provenance des redevances des usagers, mais leurs compétences ne cessent de s'étendre. Au Sénat, le Gouvernement a pris en janvier dernier l'engagement de renforcer leurs moyens, après leur avoir fait subir ponctions et écrêtage. Il ne faudrait pas que l'on passe « l'eau paie l'eau » à « l'eau paie l'État ».

Autre enjeu : la sécurité écologique. L'eau doit être gérée de façon plus vertueuse, car elle n'est pas infinie. La France bénéficiait en moyenne de 510 milliards de m3 de précipitations annuelles inégalement réparties sur le territoire, dont 35 milliards de m3 prélevés, et 5 milliards de m3 consommés ; en stock, l'eau représente 2 000 milliards de m3, dont 12 milliards sont remisés artificiellement ; mais ces chiffres sont devenus faux avec le réchauffement climatique.

Nous devons réfléchir en fonction d'une consommation rationalisée.

Il faut agir sur la demande avec des mécanismes incitatifs actuellement absents, pour l'agriculture notamment, qui consomme les deux tiers de l'eau.

Il faut également agir sur l'offre, avec la création de moyens collectifs de retenue et de stockage d'eau et le développement de l'assainissement. L'application des dispositifs doit être locale, en fonction de projets de territoire. C'est indispensable pour que nos concitoyens prennent conscience de la nécessité d'un effort de solidarité et pour l'équité du prix de l'eau.

Il est nécessaire de penser l'eau comme un bien commun, un patrimoine commun de la Nation. Une stratégie de sobriété sera la plus efficace et la moins coûteuse.

Il faudra un panel de solutions variées pour préserver l'eau, ressource la plus précieuse du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Dialoguer, écouter, débattre, agir : nous devons faire tout cela en même temps, alors même que le changement climatique bouleverse notre monde. Je salue l'initiative du Sénat pour ce débat.

L'eau est un sujet éminemment stratégique. En France, elle est tenue pour acquise, courante et peu chère. Mais pour la préserver, nous devons y apporter le plus grand soin.

Le changement climatique entraîne de nombreux bouleversements : la sécheresse prolongée de 2022 a été ressentie par de très nombreux Français dans leur quotidien. Ils ont pris conscience à quel point l'eau était une ressource précieuse, un patrimoine commun de la Nation à préserver.

Une mission d'inspection a été diligentée et rendra ses conclusions au 1er semestre 2023.

Nous n'avons pas attendu 2022 pour agir. La politique de l'eau est fortement outillée et l'organisation française par bassin est exemplaire : nous pouvons collectivement en être fiers.

La prise de conscience de l'opinion publique est une opportunité pour mobiliser l'ensemble des acteurs dans une même dynamique. La raréfaction de l'eau rend la question du partage entre les différents usages de plus en plus cruciale. Il faut y répondre de façon constructive. Nous devons investir pour économiser l'eau, dans une logique circulaire.

Je sais que le Sénat est particulièrement attentif à la gestion de l'eau. Les territoires sont en première ligne sur ces enjeux et j'ai une pensée pour tous les services de l'État et des collectivités, particulièrement éprouvés lors de l'été 2022.

J'ai pris connaissance de votre rapport de novembre 2022. Mme Belrhiti l'a évoqué : il soulève plusieurs préoccupations. Quels seront les moyens des collectivités territoriales pour agir sur le grand cycle de l'eau ? Quelle cohérence entre les échelons ? Comment faire face aux freins notamment réglementaires à l'innovation en matière de récupération des eaux usées ? Ces questions sont abordées dans le cadre de la planification écologique portée par la Première ministre. Avec Christophe Béchu et Agnès Firmin Le Bodo, nous avons lancé un chantier le 29 septembre, avec l'objectif de coconstruire un plan d'action dans le consensus et de repolitiser le sujet de l'eau. Mais il ne s'agit pas de refaire les assises de l'eau. Les engagements ont été pris et nous les tiendrons.

Nous nous sommes appuyés sur le Comité national de l'eau (CNE) et les comités de bassin. Je salue la richesse des réflexions et les propositions concrètes formulées.

Le plan d'action ne sera pas seulement celui de l'État, il sera collectif. Je compte sur les collectivités territoriales pour s'associer à sa mise en oeuvre. Il sera présenté le 26 janvier au Carrefour des gestions locales de l'eau, avec des mesures tant de court que de long terme.

Le plan traitera des enjeux de gouvernance et de financement, selon les quatre axes suivants : limiter le gaspillage et renforcer la sobriété ; partager la ressource dans la concertation ; permettre l'accès sécurisé à une eau potable de qualité ; retrouver un grand cycle de l'eau fonctionnel qui protège les écosystèmes.

La ressource en eau est précieuse. Nous devons repolitiser les enjeux territoriaux, en particulier celui du partage de la ressource.

Je serai ravie de vous présenter les ambitions de ce plan. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Henri Cabanel .  - On oppose souvent écologie et économie, alors que le changement climatique mêle ces enjeux. Nous devons revoir nos modes de production et de consommation. Dans le Sud, des communes sont régulièrement privées d'eau potable. Comment améliorer le partage de l'eau dans un contexte de croissance démographique ?

En agriculture, il devrait y avoir une formation obligatoire sur les moyens d'économiser l'eau, notamment pour optimiser l'irrigation. Quant à l'eau potable, les efforts de sensibilisation n'empêchent pas des comportements comme le lavage de voitures ou les chasses d'eau trop importantes.

Seriez-vous favorable à l'interdiction de vente des terres agricoles irriguées en vue de leur urbanisation ? La réutilisation des eaux usées est aussi une solution, mais demande une mise en oeuvre concrète dans les territoires. Qui financera ?

Quel est le bilan des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) ? Quid des retenues collinaires ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - La semaine dernière, j'ai reçu le CNE, qui m'a fait de riches propositions.

En matière de sobriété, nous devons lutter davantage contre les fuites. Les agriculteurs et les industriels peuvent être plus performants. De nombreuses solutions existent. Elles seront accélérées par le plan que nous portons avec Christophe Béchu.

Nous devons faire de la sobriété une politique publique prioritaire et mieux informer les Français sur les bons gestes. Les collectivités territoriales doivent réfléchir à mieux conjuguer moins d'eau et plus de besoins.

La rédaction de PTGE est une des solutions. Une instruction complémentaire à celle du 7 mai 2019 est en cours de signature, pour accélérer leur mise en place.

Les retenues collinaires doivent être étudiées au cas par cas. Il n'est pas question de les généraliser.

M. Henri Cabanel.  - Revenons sur l'irrigation agricole. Nous devons former à la bonne utilisation de l'eau les agriculteurs qui réclament l'irrigation de leurs terres.

Des expérimentations sont en cours sur les eaux usées ; il faut davantage les développer.

M. Philippe Mouiller .  - Notre indépendance alimentaire repose sur la sauvegarde de notre agriculture, qui doit produire en quantité suffisante. Il faut pouvoir continuer à irriguer, même en période de sécheresse, laquelle commence souvent dès le printemps. Toutefois la ressource en eau se raréfie, notamment dans les Deux-Sèvres. Des retenues de substitution y ont été prévues il y a une dizaine d'années, en accord avec les différents acteurs. Les agriculteurs ont modifié leurs productions pour les adapter à un moindre apport en eau. Mais, le 29 octobre dernier, une manifestation violente a été organisée à Sainte-Soline, avec sabotages et intimidations.

Quelles mesures entendez-vous prendre pour que ce projet aille à son terme et pour développer ce type d'investissements ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement condamne fermement les violences et dégradations à Sainte-Soline. Les installations qui y sont prévues sont adaptées à une gestion durable et équilibrée de la gestion de l'eau. Le protocole a été signé en 2018 en présence d'élus de toutes sensibilités. L'État a proposé un cadre de concertation, qui a permis d'arriver à un projet équilibré.

Les études confirment que les réserves de substitution sont pertinentes dans ce bassin. Elles ont été conditionnées à des contreparties de la part des agriculteurs. Des garanties sur les prélèvements ont été données. Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en 2018, les gains de débit sont réels et les conditions de remplissage sont contrôlées.

Le Gouvernement sera très attentif à la situation. Le projet est validé, il sera mis en oeuvre.

M. Daniel Chasseing .  - Le 25 novembre dernier, la Corrèze a été mise en état de vigilance : l'état de sécheresse s'est étendu de l'été à l'automne. Cette problématique pèse sur notre souveraineté alimentaire, tandis que notre pays perd des parts de marché dans l'agroalimentaire.

Que prévoyez-vous pour l'agriculture, pour l'irrigation et une meilleure gestion de l'eau via des retenues collinaires ?

Les enjeux énergétiques et économiques sont prégnants : je pense à la petite et à la grande hydroélectricité. Comme je l'ai dit aux dernières questions d'actualité, la question est d'autant plus brûlante avec la baisse de capacité nucléaire. La hausse des prix de l'électricité met en difficulté de nombreuses PME. Pour sortir de la dépendance énergétique, la petite et la grande hydroélectricité font partie de la solution. Que prévoit le Gouvernement ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Effectivement, le changement climatique aura un impact fort sur notre agriculture. Une feuille de route a été présentée en mars dernier, évoquant un panel de solutions.

Les agences de l'eau et FranceAgriMer accompagnent l'adaptation de l'agriculture. Le plan de relance y participe aussi, avec 170 millions d'euros pour améliorer l'irrigation, notamment le goutte-à-goutte en arboriculture et les projets hydrauliques collectifs.

Nous avons construit le Varenne agricole autour de trois piliers : anticiper grâce à de nouveaux outils ; renforcer la résilience par une approche globale et accéder à une vision partagée et raisonnée de l'accès à la ressource en eau.

M. Laurent Duplomb.  - Cela ne veut rien dire !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Les plans d'adaptation des filières y concourent.

Les chambres régionales d'agriculture réfléchissent à des projets territoriaux. La diffusion des solutions doit se généraliser dans toutes les exploitations.

Je répondrai plus tard sur l'hydroélectricité.

M. Daniel Breuiller .  - L'eau est un bien commun inaliénable. On a longtemps cru qu'en France elle serait toujours disponible, mais en 2022, 80 % des départements ont été soumis à des restrictions. Le cycle même de l'eau est atteint : la transformation qualitative de l'eau est réelle, imposant des changements de pratique.

L'agriculture est souvent montrée du doigt, mais elle est aussi une part de la solution, par le choix de cultures plus économes.

Les conflits d'usage sont parfois dramatiques, comme à Sivens, avec la mort de Rémi Fraisse, ou aujourd'hui autour des bassines. Assimiler les manifestants à des écoterroristes ne sert à rien.

Il faut mieux partager les connaissances scientifiques. Quelles modifications le Gouvernement soutient-il pour améliorer le partage de l'eau et sa préservation, notamment en limitant les usages superflus ou de confort ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - L'approvisionnement en eau potable est notre priorité. Une centaine de collectivités ont connu des difficultés cet été. Nos retours d'expérience auprès du CNE permettront d'anticiper l'été prochain. Nous allons mettre à jour le guide national sécheresse ainsi que les arrêtés-cadres et plans Orsec eau.

J'ai demandé aux préfets d'accompagner les collectivités les plus fragiles. Nous allons développer l'interconnexion des ressources, et 100 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour les agences de l'eau.

M. François Bonhomme.  - Ce n'est pas grâce à vous !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Les préfets réuniront rapidement les comités ressources en eau. Les entreprises consommatrices d'eau feront l'objet d'inspections. Disponibilité et besoin des différents usages : tels sont les axes de notre plan.

M. Daniel Breuiller.  - Le débit moyen des fleuves pourrait, en 30 ans, baisser de 30, voire 50 %. Nous risquons de vivre en état de sécheresse permanent. Il faut développer des travaux académiques pour nourrir la réflexion des élus et des ONG.

Mme Nadège Havet .  - L'eau est un bien fondamental. L'été dernier, nous avons connu la sécheresse et des restrictions sévères. La France métropolitaine a perdu 14 % de sa ressource par rapport à 2001. Il faut aller plus vite et plus loin, après les assises de l'eau et le Varenne agricole.

Le rôle joué par les élus locaux est fondamental. Nous devons parvenir à un consensus. Il faut faire un effort de démocratisation comme de communication.

Une planification écologique pour l'eau est nécessaire : moins 10 % en 2025, moins 25 % en 2035 ; tels sont les objectifs de baisse des prélèvements. Pouvez-vous préciser la méthodologie du Gouvernement ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - La politique de l'eau est structurée et bien organisée.

Mais il nous faut aller plus loin face au dérèglement climatique : 81 % des espèces d'eau douce se sont effondrées, 30 % des eaux souterraines ne sont pas en bon état chimique.

Notre chantier de planification favorisera la sobriété, une meilleure gouvernance, un meilleur accès à l'eau potable et la restauration des cycles de l'eau.

J'ai mobilisé toutes les parties prenantes, pour créer le consensus et repolitiser le projet.

Je salue la qualité des propositions issues du terrain. Fin janvier, le Carrefour des gestions locales de l'eau, à Rennes, sera l'occasion pour le Gouvernement d'exposer ses propositions.

M. Hervé Gillé .  - Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat.

Gestion de l'eau et des énergies, ces sujets brûlants sont liés à travers l'hydroélectricité. Le renouvellement des concessions est une question majeure. La France a reçu deux mises en demeure, en 2015 et 2019, de la part de la Commission européenne. La France est le troisième pays en puissance installée et 150 concessions arrivent à échéance l'année prochaine.

La décision verticale de mise en concurrence rencontre de nombreuses oppositions. Entre pertes d'emploi, mise en danger et difficultés d'approvisionnement, inégalités entre collectivités territoriales, les risques sont nombreux. L'Occitanie a demandé dès novembre que la France demande une dérogation à ce sujet. Comment le Gouvernement négocie-t-il avec Bruxelles ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - La Commission européenne a engagé un contentieux avec la France à propos de l'absence de mise en concurrence lors du renouvellement des concessions. Cela nuit aux investissements et inquiète la population.

Le Gouvernement envisage plusieurs scénarios. Pour le très court terme, l'article 16 quinquies du projet de loi d'accélération des énergies renouvelables prévoit que les investissements assurant la pérennité des ouvrages soient assurés, même si la concession arrive à échéance. Le Gouvernement sera sensible ou potentiel technique des entreprises et à leur implantation locale, tout comme au soutien à l'étiage - qui consiste à soustraire de l'eau au turbinage pour améliorer le niveau de l'eau.

Des projets comme des stations de transfert d'énergie par pompage (Step) pourront aussi contribuer au maintien de l'étiage.

M. Hervé Gillé.  - Nous suivrons le sujet avec attention, notamment en Gironde, où la Garonne a eu besoin de soutien à l'étiage cette année.

Mme Marie-Claude Varaillas .  - Depuis 1964, les agences de l'eau mènent un combat permanent pour la bonne qualité de l'eau. Mais leurs effectifs baissent de 20 %, et leurs moyens diminuent depuis 2018, avec l'instauration des plafonds mordants...

M. François Bonhomme.  - Même avant !

Mme Marie-Claude Varaillas.  - Le transfert de la compétence eau et assainissement, obligatoire en 2026 pour le bloc communal, s'ajoute aux difficultés des petites collectivités, pour qui le renouvellement des réseaux est trop onéreux. Que prévoyez-vous pour les aider ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Les solutions se doivent d'être efficaces pour répondre à la baisse de niveau des nappes. Les agences de l'eau ont vu leur plafond annuel de recettes stabilisé. Tout en maîtrisant la fiscalité des ménages, nous avons trouvé des solutions budgétaires, avec le plan de relance, à hauteur de 250 millions d'euros, puis l'augmentation, deux années de suite, du plafond des dépenses de 100 millions d'euros, puis une nouvelle hausse de 50 millions d'euros pour 2023 en loi de finances.

Le plan Eau, annoncé fin janvier, préparera les actions d'adaptation au changement climatique.

Mme Marie-Claude Varaillas.  - En réduisant les moyens des agences de l'eau, vous transférez la charge vers les collectivités et donc vers les contribuables.

M. François Bonhomme.  - Qui l'a voté ?

Mme Marie-Claude Varaillas.  - La solidarité doit s'exprimer, car l'eau est un bien commun. Seul un grand service public national de l'eau pourra répondre aux défis.

Mme Amel Gacquerre .  - L'été 2022 a marqué un tournant : les Français ont pris conscience des effets du changement climatique et des conflits d'usage, marqués par l'arrêt de certaines productions et de certaines centrales électriques. La gestion de l'eau subit un effet ciseau, entre les besoins en hausse de l'agriculture et de l'industrie et des nappes phréatiques qui peinent à se reconstituer. Il faut donc s'organiser.

Cela suppose une gestion stratégique et une planification transversale. N'attendons pas les tensions pour agir. Que propose le Gouvernement pour améliorer la concertation et organiser le partage de l'eau, et dans quels délais ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - La loi sur l'eau de 1992 établit le principe d'une gestion équilibrée de l'eau. L'article L. 201-1 précise que l'utilisation de l'eau et sa valorisation économique dans le respect des équilibres naturels sont d'intérêt général. L'article L. 211-1 détaille les différents intérêts ou usages à concilier et fixe les priorités légales à satisfaire : la santé, la salubrité publique, la sécurité civile et l'alimentation en eau potable.

Les instances de concertation sont définies : schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) et projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE).

Le plan Eau abordera le partage de la ressource et la gestion des conflits d'usage. Les collectivités doivent pouvoir se saisir de ces enjeux. Il nous faut investir pour mieux économiser et partager l'eau.

M. Alain Cadec .  - L'or bleu fait partie de notre quotidien : nous en oublions combien l'eau est précieuse, autant pour notre vie que pour l'économie. En 2022, la Bretagne a été placée en état d'alerte des mois durant. Le sol y compte peu de nappes phréatiques, et l'absence de précipitations a mis à mal les réserves. Plus de 130 000 m3 d'eau potable y sont prélevés chaque année : 65 % pour les particuliers, 15 % pour les agriculteurs, 20 % pour l'industrie.

Quels moyens l'État a-t-il prévus pour maintenir l'approvisionnement ?

Bassin versant, région, intercommunalité : quel est le bon niveau de gouvernance, et avec quels moyens ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - J'ai suivi avec attention la situation de la Bretagne. Désormais, aucun territoire n'échappe à la sécheresse. C'est une de mes priorités.

Le comité d'anticipation et de suivi hydrologique et les préfets ont été réunis dès avril et le plafond de dépenses des agences de l'eau a été relevé de 100 millions d'euros en juin. Mais la crise était hors normes cette année, mettant en grande difficulté des centaines de communes rurales et des éleveurs, notamment.

Les écosystèmes ont souffert. Les gradations dans les restrictions et les exemptions ont suscité des incompréhensions. Nous devons en tirer des enseignements, car ces événements sont appelés à se reproduire.

Le retour d'expérience confié aux inspections générales des ministères concernés fera l'objet d'un rapport au premier trimestre. J'ai demandé aux préfets d'accompagner les collectivités vers une meilleure résilience, car la situation pluviométrique invite à la plus grande vigilance.

M. Franck Montaugé .  - Malgré des avancées, sur l'assurance agricole notamment, le Varenne de l'eau n'a pas abouti sur la question de la ressource en eau et de ses usages.

En mai 2022, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a publié un rapport d'évaluation sur les PTGE, qui regroupent agriculteurs et usagers de l'eau dans une approche collective de la gestion de l'eau à l'échelle du bassin versant ; je pense au PTGE de la Midouze, dans le Gers.

Le Gouvernement entend-il inciter les territoires à développer des PTGE ? Ce serait bienvenu, car le sujet exige dialogue et compréhension mutuelle.

Cinq à six ans, c'est beaucoup trop, même si le travail est de qualité. Comment simplifier et accélérer les processus d'élaboration des PTGE ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Le PTGE est un outil contractuel qui participe à une gestion équilibrée de la ressource et à la maîtrise des prélèvements, dans le respect de la directive-cadre sur l'eau. L'instruction du Gouvernement du 7 mai 2019 a donné un nouvel élan à la gestion partagée de l'eau.

Dans le dialogue, le PTGE aboutit à un programme d'actions qui organise ce partage, avec un panier de solutions, comme la sobriété, des solutions fondées sur la nature, et, parfois, le stockage.

À la suite du Varenne agricole de l'eau, une instruction complémentaire intégrant des pistes d'améliorations est en cours de signature. Elle présente les points fondamentaux pour le succès des PTGE, du cadrage jusqu'à l'accompagnement par les services de l'État. Elle est concertée avec les organisations agricoles et les ONG dans le cadre du CNE. Les PTGE n'ont pas vocation à être généralisés : nous souhaitons surtout qu'ils soient efficaces.

M. Franck Montaugé.  - L'eau doit être une grande cause nationale et faire l'objet d'un plan Marshall. Le Gouvernement prévoit des mesures d'exception pour la production d'énergie : qu'il fasse de même pour l'eau, notamment à usage agricole !

M. Jean-Paul Prince .  - Nos cours d'eau sont équipés de nombreux ouvrages, barrages, seuils et moulins, menacés un temps de destruction intégrale au nom de la continuité écologique prônée par le droit européen.

La loi Climat et résilience a préservé certains ouvrages. Toutefois, la Commission européenne entend supprimer les obstacles sur 25 000 km de cours d'eau dans l'Union avant 2030.

Or ces ouvrages sont une source de production énergétique propre, non intermittente, un appoint bienvenu dans le mix français. Correspondant à l'équivalent d'une centrale nucléaire, le potentiel des petites centrales est largement inexploité.

Les seuils, barrages et retenues sont aussi des atouts pour prévenir inondations et sécheresses. Lors d'une récente intervention au Sénat, le président de l'agence de l'eau Loire-Bretagne nous l'avait rappelé.

Plutôt que de les détruire, les agences de l'eau feraient mieux d'investir pour valoriser les barrages sur le plan énergétique et d'entretenir les canalisations. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - La politique de restauration de la continuité écologique concilie la restauration des fonctionnalités des cours d'eau avec le déploiement de l'hydroélectricité, la préservation du patrimoine ou encore les sports d'eaux vives. Elle ne vise pas la destruction des ouvrages.

Nous avons identifié les 11 % de cours d'eau prioritaires pour la restauration écologique et prévu des interventions sur environ 5 000 des 25 000 obstacles à l'écoulement qu'ils comptent. Ce peut être l'aménagement des ouvrages - passes à poisson, rivières de contournement, abaissement du seuil - ou leur suppression. Depuis 2012, 1 400 ouvrages ont été effacés, soit moins de 6 % des ouvrages obstacles sur les cours d'eau prioritaires, et 1 % de l'ensemble. Il y va de la reproduction des poissons migrateurs et de l'amélioration générale des fonctionnalités de la rivière, de sa biodiversité, de sa qualité.

La politique de restauration de la continuité écologique n'a pas entravé le développement de la petite hydroélectricité, avec plus de 150 000 MW supplémentaires entre 2018 et 2021. La programmation pluriannuelle de l'énergie fixe l'objectif d'augmenter nos capacités hydroélectriques.

M. Cédric Vial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons besoin d'eau, et nous en avons. Mais le contexte climatique change. Il pleuvra toujours autant, selon le GIEC et l'étude Explore 2070, mais les pluies diminueront de 16 à 23 % en été. Nous aurons donc parfois trop d'eau à certains moments, avec des risques de crues. Nous aurons de l'eau si nous savons la gérer.

M. Daniel Gremillet.  - Exactement !

M. Cédric Vial.  - Pourquoi est-il vertueux pour un particulier de stocker l'eau de pluie dans une citerne, mais pas dans une retenue colinéaire à des fins agricoles, touristiques ou industrielles ? (« Bravo » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mettez les travaux scientifiques au-dessus de l'idéologie. Les travaux de l'Opecst et de la délégation à la prospective du Sénat nous incitent à mieux gérer la ressource, à créer des retenues collinaires, à favoriser le stockage domestique, à réutiliser les eaux usées. On peut aussi produire de la neige, créer des espaces végétalisés... C'est ainsi que nous préserverons le débit des cours d'eau et la biodiversité.

Appuyez-vous sur les acteurs de proximité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Je me suis exprimée sur la nécessité de regarder au cas par cas les différents projets.

M. Laurent Duplomb.  - Pourquoi au cas par cas ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Le changement climatique modifie le cycle de l'eau. En montagne, les chutes de neige sont moins importantes, car les glaciers reculent. Cela entraîne des conséquences importantes pour les territoires de montagne et ceux en aval ; elles sont visibles sur les domaines skiables, y compris dans les Alpes. La sécheresse de 2022 a également durement affecté de nombreuses communes de montagne.

En montagne, l'étiage est en hiver et non en été. De nombreuses stations de ski ont besoin de stocker de l'eau pour faire de la neige.

M. Laurent Duplomb.  - Ce n'est pas la question !

M. François Bonhomme.  - Vous ne lisez pas la bonne fiche !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Je vous ai déjà répondu sur Sainte-Soline. Je ne vais pas refaire la même réponse !

M. François Bonhomme.  - Ce sont des lieux communs !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Sur les retenues d'eau, je l'ai dit, nous regarderons avec bienveillance les projets qui respectent les critères écologiques. M. Vial a évoqué l'eau en montagne, j'ai pensé intéressant de vous répondre sur les domaines skiables. (M. Laurent Duplomb proteste.)

M. Joël Bigot .  - N'en déplaise au Président de la République, la gestion de la ressource en eau est largement prévisible. Le rapport de la délégation à la prospective montre l'urgence de repolitiser la question. Sans précipitations massives dans les prochains mois, le bassin de la Loire risque de nouvelles pénuries.

Les collectivités territoriales et les agences de l'eau sont en première ligne, mais l'État ne doit pas être en retrait de cette politique publique : il doit accroître les investissements. Aux Ponts-de-Cé, une usine de retraitement des eaux très efficace assure une eau de très grande qualité et un taux de fuite de 7 %, contre 20 à 25 % en moyenne nationale. Mon territoire fait toutefois figure d'exception. Prévoyez-vous un plan massif d'investissement dans la gestion de l'eau, pour améliorer la qualité et lutter contre le gaspillage ?

Il faut aussi être plus sobre. Or les préfectures disent ne pas être assez outillées pour informer la population et l'inciter à économiser l'eau.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Le financement du service public de l'eau se fonde sur le prix de l'eau et le montant des subventions publiques. L'augmentation du prix de l'énergie et des réactifs comme le chlore impacte fortement le prix de l'eau et nos capacités d'investissement.

L'État est aux côtés des collectivités territoriales pour les aider à investir. Ce sera l'un des axes du plan Eau, qui sera présenté d'ici la fin janvier. La Banque des territoires sera mobilisée.

Ensuite, nous limitons le coût de l'accès à l'énergie pour les gestionnaires de services d'eau et assainissement. Je pense au bouclier tarifaire, à l'amortisseur ou encore au filet de sécurité.

L'augmentation durable du prix de l'eau pose la question de l'accès des citoyens à la ressource. Il faudra renforcer les aides aux plus fragiles, via la tarification incitative et solidaire. Les collectivités sont compétentes pour instaurer une tarification sociale ; des mesures réglementaires faciliteront la modulation.

M. Jean-Marc Boyer .  - Le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement en 2026 préoccupe les maires. Il entraîne une perte de pouvoir des élus communaux. Plusieurs propositions de loi ont été déposées pour conserver au transfert un caractère facultatif. Il s'agit de garantir le libre choix des élus et de conforter la commune comme cellule de base de la démocratie locale, en lui laissant la libre décision d'un transfert.

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Jean-Marc Boyer.  - Selon l'antériorité de l'organisation territoriale, l'appréciation diffère entre compétences obligatoires et facultatives.

Enfin, il faut une différenciation en fonction des territoires : la gestion de l'eau est très différente en plaine, en montagne ou en zone humide.

Pourquoi ne pas maintenir les compétences eau et assainissement comme facultatives dans les intercommunalités ? Cela permettrait de répondre à vos objectifs : réduire le gaspillage, partager la ressource et sécuriser l'accès à l'eau potable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Le transfert de cette compétence aux intercommunalités, fixé par la loi NOTRe pour 2020, a déjà été reporté à 2026. Ne revenons pas en arrière. Cette disposition est essentielle pour garantir un service public efficace. (On le conteste sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme.  - Pourtant, cela a toujours existé !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Les petites communes n'ont pas une capacité d'investissement suffisante, on l'a vu cet été. Il faut également pouvoir recruter des agents techniques de bon niveau, ce qui suppose des structures de taille suffisante. Je m'appuie sur le rapport de la Cour des comptes de juin 2016, qui insiste sur la rationalisation des moyens. Il faudra des collectivités ayant les moyens de porter des projets, à la bonne échelle.

Au demeurant, les collectivités territoriales peuvent garder un prix de l'eau individualisé par secteur lors de l'entrée dans l'EPCI, ou des syndicats d'eau et d'assainissement.

Le Sénat a contribué au débat. Nous avons trouvé un équilibre. Il faut de la stabilité dans les décisions. Aidons les collectivités à organiser ces transferts, plutôt que de refuser le changement ! (MMLaurent Burgoa et Jean-Marc Boyer protestent.)

Mme Anne Ventalon .  - Le financement est au coeur de la gestion de l'eau. L'Ardèche a souffert d'une sécheresse intense entre mai et novembre dernier, qui a affecté tous les usages : eau potable, agriculture, industrie, loisirs...

Malgré les mesures de restriction, cette pénurie historique ne sera bientôt plus exceptionnelle. Communes et intercommunalités devront investir fortement, alors que le désengagement des agences de l'eau les contraint déjà à recourir à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).

Malgré un plafond de redevances annuel de 2,2 milliards d'euros et les 100 millions d'euros pour l'investissement annoncés par la Première ministre, les agences de l'eau ne sont plus suffisamment dotées. Elles financent à 80 % l'Office français de la biodiversité (OFB), ce qui représente une ponction de 15 % de leur budget. Comment sortir de cet effet ciseau ? Comment les aider à adapter les infrastructures au réchauffement et à protéger la biodiversité sans augmenter les factures d'eau des particuliers ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Les agences de l'eau sont des outils anciens et indispensables à la mise en oeuvre territoriale de la politique de l'eau. Nous devons avoir des solutions efficaces pour pallier les déficits structurels des nappes.

Malgré l'engagement du Gouvernement de limiter la fiscalité sur les ménages, nous avons trouvé des marges budgétaires. Je salue le travail des 1 500 agents des agences de l'eau. J'ai souhaité que celles-ci disposent de moyens : la loi de finances pour 2023 maintient leur plafond d'emplois, après dix ans de baisses.

N'opposons pas biodiversité, grand et petit cycles de l'eau. Je regarderai avec attention le rapport sur le financement de la stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB).

Nous préparerons les prochains programmes d'intervention pour 2025-2030, notamment grâce au plan Eau, qui sera annoncé fin janvier. Ne doutez pas de l'ambition du Gouvernement de doter les agences de l'eau de moyens suffisants.

M. François Bonhomme.  - Nous voilà rassurés...

M. Laurent Duplomb .  - Après le covid et la pénurie de masques, la guerre en Ukraine et les pénuries d'huile et moutarde, l'envol des prix de l'électricité et les risques de coupures, vous vous apprêtez à reproduire sur la gestion de l'eau les mêmes erreurs obscurantistes que vos prédécesseurs sur le nucléaire.

Alors que nous vous alertons sur la perte de notre souveraineté alimentaire, vous vous obstinez à vouloir sanctuariser la ressource en eau, en faisant croire, dans votre délire catastrophiste, que l'eau serait une ressource épuisable et non renouvelable - comme si on se prémunissait contre les manques à venir en ne la stockant pas !

Interdire dogmatiquement l'usage de l'eau pour l'agriculture et donc pour l'alimentation humaine est suicidaire

Le Varenne de l'eau nous avait donné de l'espoir, mais c'était sans compter sur notre technocratie abrutissante qui en a fait une supercherie.

Quand les Français ne pourront plus manger à leur faim en raison de vos décisions, ils chercheront des responsables ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jacques Fernique.  - C'est incroyable !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - La raréfaction de la ressource nous conduit à gérer l'eau plus efficacement, en anticipant les effets du changement climatique. C'est tout l'objet de ce chantier, qui aboutira à un plan Eau collectif, présenté à la fin du mois : la sobriété et le partage des usages figureront parmi les annonces. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

La réflexion a été nourrie de la concertation menée avec les acteurs, mais aussi des travaux du Sénat.

Toutes les solutions d'économies d'eau doivent être étudiées. Il n'est pas question de généraliser les retenues collinaires. Toutefois, si des projets respectent les critères exigeants que nous fixons, ceux-ci seront autorisés - je pense notamment à Sainte-Soline.

Le stockage hivernal, lorsqu'il est soutenable pour les milieux, qu'il s'inscrit dans un projet territorial concerté, qu'il est conditionné à un usage plus sobre et participe d'un meilleur partage de la ressource, ne doit pas être écarté. Les réserves de substitution font partie du panel de solutions.

M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Les interventions démontrent que notre gestion de l'eau est à revoir de fond en comble. Le Sénat a beau avoir multiplié les initiatives et tiré la sonnette d'alarme, les problèmes demeurent.

Le rapport de MM. Tandonnet et Lozach, en 2016, évaluait les fuites des canalisations d'eau potable à un milliard de mètres cubes par an. Cela relativise le tollé des écologistes radicaux, puisque cela représente plus de 2 000 réserves de substitution !

M. Laurent Duplomb.  - Très bien !

M. Rémy Pointereau.  - Au Sénat, nous avons souvent raison trop tôt, c'est notre croix...

L'eau n'est pas une ressource qui se crée, mais qui se gère. Imitons l'Italie, l'Espagne ou le Portugal, qui réutilisent les eaux usées !

Tant d'acteurs gravitent autour de la politique de l'eau que c'est un labyrinthe crétois pour comprendre qui décide, entre les Sage, les comités de bassins, les agences de l'eau XXL, le préfet coordinateur de bassin, les associations environnementales... L'État a créé un émiettement des responsabilités. Budgétivore, il a réduit les budgets consacrés à l'eau. Du principe « l'eau paye l'eau », nous sommes passés à « l'eau paye l'État » !

Nous avions bien tenté de relever le plafond mordant des agences de l'eau lors du PLF, mais le Gouvernement a répondu : cause toujours ! Pourtant, cela aurait amélioré le financement de la ressource eau.

Les choses n'avancent pas sur ce sujet crucial. Il convient d'élaborer une loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) 2. Y êtes-vous favorable ?

Nous pouvons vous suggérer des pistes : créer de nouveaux barrages, faciliter la petite hydroélectricité sur nos rivières et moulins, simplifier les instances, favoriser la réutilisation des eaux usées... Cessons d'imposer les douze travaux d'Hercule aux agriculteurs pour réaliser une retenue. Rappelons aux écologistes radicaux que l'agriculture, même biologique, suppose de l'eau, surtout si nous voulons conserver notre indépendance alimentaire plutôt que d'importer du maïs OGM !

Une réforme s'impose, avec un nouveau cadre, plus lisible. Madame la ministre, transformez le verbe en action ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

La séance est suspendue quelques instants.

Instauration des zones à faible émission

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'instauration des zones à faible émission (ZFE), à la demande du groupe Les Républicains.

M. Philippe Tabarot, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) ZFE : trois lettres qui ne sont pas la promesse d'un fleuve tranquille, tant la mesure est inflammable...

La population est-elle consciente des restrictions de circulation vouées à se multiplier d'ici 2025, alors que 60 % des sondés ignorent ce qu'est une ZFE ? Pourtant, 40 % du parc automobile actuel y sera prochainement interdit, et seuls les véhicules les moins polluants pourront accéder aux centres-villes.

Certes, la préservation de la santé et la décarbonation des transports sont des motifs légitimes. Le Gouvernement a amplifié le mouvement, en prétendant mettre au pas, d'ici 2025, 45 agglomérations de plus de 150 000 habitants.

Mais entre hésitations et reports, les ZFE s'apparentent aujourd'hui à un rituel sacrificiel, tant elles entraînent défiance et désespérance.

Pourquoi ? La transition écologique ne peut aller de pair avec la perte de notre souveraineté économique et énergétique et le rejet social. Vous avez omis de prévoir l'acceptabilité de la mesure en starifiant une vision anti-voiture. Figé dans un sectarisme bureaucratique, vous chassez la classe moyenne de nos villes, au risque de fabriquer des gilets jaunes.

Entre les marchands de peur et les tenants du laisser-faire, nous privilégions une vision équilibrée : l'équilibre est un effort et un courage de tous les instants, disait Albert Camus.

Le Sénat multiplie les propositions pour encourager un sursaut de mobilité : TVA à 5,5 % pour les transports, modernisation de nos infrastructures. Rapporteur du projet de loi Climat et résilience, j'avais alerté sur les ZFE, qui se sont transformées en zones de forte exclusion, miroirs d'une écologie antisociale. Barbara Pompili ne nous a pas écoutés quand nous proposions une approche territorialisée et souple, faisant confiance aux élus locaux, plutôt que des mesures punitives.

Le calendrier imposé aux collectivités territoriales est trop contraint.

Nous avions proposé de revoir le schéma de restrictions, de mieux encadrer les livraisons, de décaler la mise en oeuvre, prévu des dérogations et une minorité de blocage. Nous avions aussi pointé l'absence de moyens de contrôle, loin d'être opérants en 2023. En témoignent les déclarations de certaines métropoles, comme Nice, qui refuse d'affecter ses policiers municipaux aux contrôles.

En CMP, nous avions obtenu un PTZ pour l'achat d'un véhicule propre : ce fut bien le seul soldat sauvé... Face à la contestation, vous semblez enfin entendre nos propositions. Sans véhicules propres à un prix abordable, sans réseau suffisant de transports en commun, et tant que les tarifs augmenteront, la ZFE exclut.

Le Gouvernement change enfin de braquet, réunissant les exécutifs locaux et annonçant une aide par le fonds vert. L'Assemblée nationale lance une mission flash. Le décret du 24 décembre prévoit un régime de dérogation, que proposait le Sénat.

Nous prônons des ZFE faites avec les territoires, et non contre eux. Avec mes collègues Les Républicains, je vous invite à privilégier une méthode respectueuse des Français : informer, écouter et accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - J'aurais pu souscrire pour une grande part au discours de Philippe Tabarot. Je ne suis pas en opposition frontale avec le Sénat. Au contraire, je viens expliquer une mesure qui a souffert d'un défaut de pédagogie.

Les textes prévoient une réforme progressive et territorialisée. L'objectif des ZFE est de répondre à la pollution atmosphérique.

M. Daniel Breuiller.  - Exact !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Le rapport du Sénat de 2015, qui fait autorité, évalue le coût de la pollution de l'air à 100 milliards d'euros par an. Je salue le travail du président Husson. En 2021, on estime le nombre de décès dus aux particules fines à 40 000 ; aux oxydes d'azote, à 7 000. Les plus fragiles sont les premières victimes. Les ZFE ne visent pas à entraver, mais bien à protéger.

La qualité de l'air s'est améliorée, mais nous avons encore à faire : l'État a été condamné par le Conseil d'État pour dépassement de seuils qui, je le rappelle, sont fixés par l'Union européenne et l'OMS. Réduire les émissions de polluants s'inscrit dans un plan national, dont font partie les ZFE. Ce n'est pas une invention française ! Pas moins de quatorze pays européens y ont recours, dans 270 villes ou agglomérations.

La loi Climat et résilience a prévu un calendrier progressif : mise en place au 1er janvier 2023 pour les dix métropoles dépassant les seuils, avec le choix des modalités, pour inclure les motards par exemple ; 1er janvier 2025 pour les 43 agglomérations de plus de 150 000 habitants. Le décret d'application du 24 décembre précise les conditions de dérogation pour la dizaine d'agglomérations éligibles.

Depuis le 1er janvier dernier, l'interdiction concerne les vignettes Crit'Air 5, les diesel de plus de 22 ans, soit 6 % du parc ; en 2024, ce sera au tour des véhicules Crit'Air 4, les diesel de plus de 17 ans ; en 2025, les Crit'Air 3, avec quelques voitures essence. Les ZFE n'ont pas pour but de réduire le nombre de voitures, mais de diminuer la circulation des modèles polluants. Il s'agit de favoriser le remplacement des moteurs, d'où les nombreuses aides à la conversion - bonus écologique, prime à la conversion, microcrédit, prêt à taux zéro...

M. François Bonhomme.  - Cela ne marche pas !

M. Christophe Béchu, ministre.  - À compter du second semestre, le leasing à 100 euros concrétisera la promesse de campagne du Président de la République. C'est tout l'argument de la souveraineté : pas de soutien massif à l'acquisition de véhicules électriques à petit prix tant que nous ne les produisons pas sur le sol européen. C'est toute la cohérence de la planification écologique : nos aides doivent aller vers les filières française et européenne.

Voilà le cadre global. Cela dit, les collectivités territoriales maîtrisent le calendrier de mise en oeuvre - jours, horaires, dérogations pour les artisans, modalités de contrôle, dont les recettes leur reviendront.

Fin octobre, j'ai réuni les agglomérations concernées pour monter des groupes de concertation. La prochaine réunion aura lieu jeudi : y seront conviés les maires et les chefs d'entreprise. Nos échanges de cet après-midi nous permettront d'avancer sur ce sujet. (MM. Bernard Buis, Joël Guerriau et Pierre Louault applaudissent.)

M. Michel Savin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La mise en place de ZFE pénalise les habitants des territoires peu denses, souvent mal desservis : en montagne notamment, impossible de se passer de voiture. Or ces habitants seront amenés à se rendre dans les ZFE, pour travailler, se soigner, faire des courses... Nombre d'automobilistes n'ont pas les moyens de changer de véhicule. Il serait injuste qu'ils soient sanctionnés. Ce sont ceux que vous appelez les plus fragiles.

Dans un esprit constructif, nous proposons de conditionner l'activation des ZFE à la création de parkings relais, desservis par des transports en commun performants. Le Gouvernement prévoira-t-il des aides financières aux collectivités pour financer de tels aménagements ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Je souscris à l'analyse : il ne faut pas donner l'impression qu'on cherche à limiter la mobilité des moins aisés. Le risque existe de revenir aux octrois du Moyen-Âge !

À l'Assemblée nationale, le RN propose de supprimer les ZFE et LFI de les suspendre. Je préfère l'accompagnement solidaire des habitants. Jean-Luc Moudenc a accepté d'animer un groupe de travail sur les mesures sociales nécessaires, avec une vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg.

L'exemple de Strasbourg nous intéresse : vingt fois par an, l'ensemble des véhicules pourront accéder à la ZFE.

La question des parkings relais est essentielle. Dans le cadre du fonds vert, des financements à hauteur de 150 millions d'euros, valorisés par Mme Lavarde (Mme Christine Lavarde rit), iront aux ZFE. Les collectivités en dépassement de seuil toucheront 15 millions d'euros pour financer la construction de parkings relais. Ces fonds pourront financer des parkings en entrée ou sortie de ville, connectés à des transports en commun ou d'autres types de mobilités.

M. Michel Savin.  - Les collectivités attendent un engagement de l'État. Sans alternatives à la voiture, les ZFE ne seront pas acceptées dans les territoires ruraux ou de montagne. Veillons à ne pas créer de dysfonctionnements, voire une fracture entre territoires qui aggraverait la rupture sociale ! (M. Yves Bouloux approuve.)

M. François Bonhomme.  - Absolument !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Ne regardons pas la carte de France des 43 ZFE comme si elle était déjà pleinement effective. En pratique, les véhicules concernés sont, pour l'essentiel, les Crit'Air 4 et 5. On est bien loin de ce que d'aucuns décrivent. Nous privilégions la pédagogie et l'accompagnement.

M. Joël Guerriau .  - Garantir la qualité de l'air suppose de réduire nos émissions polluantes.

Le Sénat a réfléchi de façon intense aux ZFE. La question est complexe, il faut des solutions efficaces.

Depuis dix jours, de premières restrictions sont entrées en vigueur dans certaines zones, dont la Loire-Atlantique. À quand les premiers retours d'expérience ?

Comment le parc automobile français évoluera-t-il ? La fin de la vente des véhicules thermiques est prévue pour 2035, mais ne se heurte-t-on pas aux réalités techniques et entrepreneuriales françaises ? Les voitures hybrides rechargeables sont-elles si vertueuses sur longue distance ? Quant au maillage des bornes de recharge électrique et hydrogène, il est loin d'être suffisant.

Quelles sont les prochaines étapes envisagées ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Le déploiement des bornes de recharge est rapide : de 82 000 actuellement, leur nombre atteindra 100 000 dans le courant du premier semestre. Au total, on en compte 1,2 million en intégrant les entreprises et les parkings, et de nouvelles obligations vont être instaurées.

S'agissant de la recharge rapide sur longues distances, des appels à projets spécifiques ont été lancés, et quelque 70 projets validés en ZFE.

L'Union européenne s'est prononcée pour la fin des moteurs thermiques. Il ne faut donner aucun signal contraire, afin que la R&D développe des alternatives au thermique.

Nous devons sortir de la naïveté. Sous couvert de transition écologique, le président Biden subventionne l'industrie américaine. L'électrification de notre parc doit s'accompagner d'un souci de souveraineté nationale et européenne.

M. Jacques Fernique .  - La pollution de l'air est responsable de plus de 40 000 décès prématurés par an - environ 500 morts à Strasbourg. Les ZFE relèvent d'abord de l'écologie protectrice.

M. Daniel Breuiller.  - Exactement !

M. Jacques Fernique.  - Le dispositif est éprouvé en Europe, avec 270 zones effectives. Ne pas suivre cet exemple serait absurde, comme l'explique le président de la Métropole de Lyon.

L'implication de l'État n'est pas à la hauteur. Nous avons besoin d'une campagne nationale forte pour promouvoir les ZFE. Non, il ne s'agit pas d'initiatives locales disparates et hasardeuses !

Nous avons besoin de clarté et de moyens suffisants. Strasbourg a décidé d'abonder ses aides, déjà fortes, pour tenir compte de l'inflation. La SNCF aussi doit être au rendez-vous, pour un choc d'offre de transports collectifs. Or ce n'est pas ce que ressentent les Bas-Rhinois, qui subissent suppressions et retards de trains.

L'État n'a pas non plus tenu son engagement d'assurer en 2022 un système de contrôles automatisés. Il est temps de se reprendre. L'essentiel du produit des amendes doit aller aux collectivités ; Lyon attend des décisions et un calendrier précis en la matière.

Ne laissons pas les ZFE se décrédibiliser en n'assurant pas le respect des règles ! (M. Daniel Breuiller applaudit.)

M. Christophe Béchu, ministre.  - Une campagne d'information et de pédagogie aura lieu au deuxième trimestre.

Le PTZ a été mis en place l'année dernière, il ne manque plus que la garantie de l'État. Nous avons relevé les plafonds d'aide, notamment sur la prime à la conversion, en visant les cinq premiers déciles. La surprime ZFE peut atteindre 3 000 euros, et le microcrédit peut aller jusqu'à 8 000 euros. Ces mesures concernent aussi le marché de l'occasion et les véhicules thermiques Crit'Air 1.

Le contrôle sanction automatisé ne sera pas disponible avant le second semestre 2024. C'est un marché national passé en collaboration avec l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai), le dispositif reposant sur la lecture de plaques d'immatriculation. Nous aboutirons à un projet sur étagère dont les collectivités territoriales pourront se saisir.

Mme Nadège Havet .  - Les ZFE, qui existent depuis les années 1990 dans plusieurs pays européens, ont été rendues obligatoires par deux lois de 2019 et 2021. Les véhicules les plus polluants doivent être progressivement remplacés au profit notamment de mobilités actives et collectives.

Onze métropoles sont entrées dans le dispositif. D'ici 2025, les 43 agglomérations de plus de 150 000 habitants, dont Brest, devront avoir créé leur ZFE. Cela suppose une information claire.

Un référent interministériel va être nommé et une campagne de communication est prévue. Il faudra harmoniser les règles, notamment pour la logistique et le transport.

Quelle est la composition des groupes de travail  et leur agenda ? Comment les particuliers, entreprises et collectivités seront-ils aidés ? Quelles sont les aides à l'acquisition d'un véhicule moins polluant ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Deux groupes de travail sont prévus ; ils se réuniront pour la première fois après-demain, jour de la nomination du coordinateur interministériel. Quand on transfère une responsabilité aux élus locaux, il n'est pas absurde de leur demander leur avis. Tous les deux mois, ces groupes se pencheront sur différents sujets, jusqu'en juin. Le niveau des aides et le type d'accompagnement des collectivités seront au coeur des débats.

Les habitants d'une ZFE ont droit à un PTZ depuis le 1er janvier dernier ainsi qu'à une surprime à la conversion. Ces mesures s'ajoutent aux aides classiques à l'électrification du parc. Le bonus écologique est porté à 7 000 euros pour les deux premières classifications. Enfin, le microcrédit, de 8 000 euros au maximum, peut être cumulé avec les autres aides, notamment pour ceux qui travaillent dans une ZFE sans y habiter.

M. Gilbert-Luc Devinaz .  - Depuis des années, nous savons que la pollution atmosphérique a des conséquences néfastes sur la santé humaine : 40 000 décès prématurés par an. Dans le Grand Lyon, plus de 15 000 personnes sont exposées à un niveau excessif de dioxyde d'azote. Il y a urgence à agir, or la France est à la traîne.

Les collectivités territoriales ont besoin du soutien de l'État pour faire réussir les ZFE. Le Gouvernement prévoit-il un plan de communication national pour sensibiliser nos concitoyens ?

Va-t-il rendre ce dispositif effectif en déployant un contrôle ? Instiller de la souplesse en faveur des populations éloignées des centres urbains, qui n'ont pas de transports en commun à disposition ni les moyens de changer de véhicule ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - La communication est théoriquement obligatoire dans les mois qui suivent la mise en place d'une ZFE dans une agglomération. Nous prévoyons en outre une campagne nationale beaucoup plus forte, au second semestre 2023, pour expliquer la finalité de la mesure, qui n'est pas d'exclure. J'y associerai le groupe des 43 présidents d'intercommunalité concernés.

Nous voulons construire des dispositifs de contrôle clé en main que les collectivités territoriales pourront mobiliser si elles le décident. Les agents de surveillance de la voie publique (ASVP) sont habilités à sanctionner le non-respect du dispositif. Pour ce qui est de l'automatisation, nous devons suivre certains processus.

L'enjeu est d'éviter l'exclusion. D'où les dérogations prévues : personnes en situation de handicap, véhicules anciens, utilitaires. C'est aussi le sens de l'initiative strasbourgeoise, que nous suivons de près.

M. Gérard Lahellec .  - Les ZFE concernent principalement les métropoles, mais la pollution atmosphérique touche tout le monde.

Ce dispositif pousse à l'interdiction des véhicules polluants, souvent détenus par des ménages à faibles ressources et qui n'ont pas d'autre moyen de transport pour se rendre au travail ou se soigner.

Nous ne pouvons nous contenter d'interdire : il faut soutenir la transition des mobilités.

Dans la transition énergétique, le coût est déterminant. Voyez l'exemple de la performance économique du fret ferroviaire. Avec la flambée du coût de l'électricité, il est plus avantageux de faire rouler des locomotives au diesel. Je le vois sur les liaisons Rennes-Sud-est et Rennes-Lille, pour des marchandises transitant par les villes.

Ne faut-il pas envisager des dispositifs spécifiques pour soutenir les projets vertueux ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Vous me contraignez à citer une nouvelle fois un rapport sénatorial... Je songe à l'excellent rapport sur le fret ferroviaire, dont il ressort que la question du coût n'est pas déterminante. Le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) sera l'occasion de mesurer notre degré d'ambition en la matière.

Les questions sont nombreuses. Avec plus de cent entreprises de fret, la non-automatisation des accrochages des wagons est un frein au développement du fret ferroviaire - en même temps qu'une cause de troubles musculo-squelettiques pour les agents. Je pense également aux fameux RER métropolitains ou à la régénération du réseau, qui concerne aussi le fret. Je vous donne rendez-vous dans quelques semaines pour évoquer plus avant le ferroviaire.

M. Jean-François Longeot .  - L'instauration des ZFE vise un objectif clair de santé publique. Chacun connaît les effets de la pollution sur la santé humaine. Mais la multiplication à venir de ces zones suppose une acceptation sociale : si elles sont rejetées, elles ne pourront être imposées.

Or dans une partie des métropoles, en particulier dans les périphéries à dominante pavillonnaire, les réseaux de transports en commun sont insuffisamment développés.

Autre obstacle : l'équation financière. De fait, les aides prévues ne sont pas suffisantes pour des millions de ménages modestes. La baisse attendue des prix des véhicules électriques se concrétise lentement.

La question est donc simple : comment le Gouvernement compte-t-il améliorer l'accompagnement des ménages les plus modestes ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Je vous rejoins sur tout, sauf pour dire que la question est simple...

L'écologie punitive est l'ennemie de l'écologie. Toute politique de transition écologique menée contre les Français est impossible.

M. Laurent Duplomb.  - C'est pourtant ce qui se passe !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Certains demandent une mise en place immédiate des radars ; d'autres appellent à ne jamais en installer.

Nous misons sur l'accompagnement, ainsi que sur la montée en puissance du marché des véhicules électriques de seconde main. L'âge moyen de l'acheteur de véhicules neufs est de 57 ans... Le reste à payer pour un véhicule neuf n'est pas accessible à de nombreux ménages. Il faut aussi produire des véhicules de plus petit gabarit.

Le réseau de transports en commun ne sera jamais une alternative à la voiture dans les zones non denses. Faire rouler des cars à vide serait une aberration, y compris écologique.

Mme Nathalie Delattre .  - Les ZFE souffrent d'un manque de lisibilité et de prévisibilité, qui pénalise notamment les transporteurs.

Les situations diffèrent selon les métropoles. Ainsi Grenoble interdit déjà la circulation de certains véhicules utilitaires légers. Une harmonisation à l'échelle nationale s'impose.

L'État doit aider les professionnels qui rencontrent des difficultés structurelles pour s'adapter. Les alternatives sont réduites, notamment pour les véhicules lourds, les coûts d'acquisition élevés, les délais de livraison longs.

Des délais doivent être prévus pour l'entrée en vigueur des règles. Comme pour la transition énergétique des logements, il faudrait des organismes tiers financeurs pour le renouvellement des flottes.

M. Christophe Béchu, ministre.  - Les artisans bénéficient d'aides spécifiques : 9 000 euros pour la prime à la conversion et une surprime ZFE de 3 000 euros.

Pour les poids lourds, un appel à projets de l'Ademe permet d'accompagner jusqu'à 150 000 euros la mutation des flottes. L'Ademe et le Cerema, ainsi que le secteur de la logistique, travaillent ensemble pour s'adapter. Notons que le parc professionnel est en moyenne plus jeune que le parc des véhicules particuliers.

Un tiers financement va être mis en place pour la rénovation thermique des bâtiments des collectivités territoriales. Pour le renouvellement des véhicules lourds, la question est ouverte.

Mme Laurence Garnier .  - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Nantes devra mettre en place une ZFE au plus tard au 31 décembre 2024. Mais, dès le 1er janvier 2025, la dérogation pour l'atterrissage des avions tombera, et de nombreux avions survoleront la ville... Le Président de la République a choisi d'abandonner le transfert de l'aéroport à l'écart de la ville. Les Nantais vont en payer les conséquences. N'aurons-nous qu'une ZFE en trompe-l'oeil, dans laquelle les particules des avions remplaceront celles des véhicules ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Votre question me surprend... J'attendais plutôt des questions sur les ports, par exemple -  notamment sur l'électrification. Pour le secteur aérien, je ne puis encore vous répondre. Je suis ouvert à ce que nous travaillions ensemble sur l'aéroport Nantes Atlantique.

Nous voulons des impacts effectifs. Les territoires déjà obligés d'instaurer une ZFE dépassaient les seuils, ce qui n'est pas le cas de Nantes. Le Gouvernement s'attelle avec la même ardeur à la lutte contre toutes les pollutions.

À Paris, près de 100 000 habitants sont sortis des seuils de pollution, preuve que le dispositif est efficace.

Mme Laurence Garnier.  - Vous prônez la pédagogie, mais il sera difficile d'expliquer aux Nantais qu'il y a les bonnes particules fines, celles des avions, et les mauvaises, celles des voitures !

M. Christophe Béchu, ministre.  - La santé des habitants est notre premier souci : nous examinerons de près les teneurs en particules fines et en dioxyde d'azote.

Mme Angèle Préville .  - Nécessaires, les ZFE supposent d'anticiper. Car si elles sont bonnes pour la qualité de l'air et la décarbonation de notre mode de vie, elles sont une mauvaise nouvelle pour tous ceux qui n'ont d'autre moyen que leur voiture pour se déplacer.

Dans certaines villes, l'offre de transport en commun s'est réduite, en raison notamment des coûts de l'énergie et des difficultés à recruter des chauffeurs.

Tout citoyen doit pouvoir se déplacer. Avez-vous songé à des concertations citoyennes pour élaborer des solutions ? Comment l'État compte-t-il aider les collectivités territoriales à développer des alternatives au tout-voiture, notamment de véritables pistes cyclables et des cheminements piétons ? Enfin, les vignettes Crit'Air n'intègrent ni la masse ni la consommation du véhicule...

M. Christophe Béchu, ministre.  - En effet, les transports en commun n'ont pas retrouvé les niveaux de fréquentation d'avant-pandémie, même à offre constante. Et ce n'est pas seulement la faute des collectivités. Certains Français ont peur de se retrouver à touche-touche avec d'autres personnes.

Les besoins d'investissement sont importants. Le plan Vélo s'élève à 250 millions d'euros pour cette année, soit un doublement, et le plan Covoiturage, à 200 millions. Ce dernier dispositif donne des résultats parfois spectaculaires.

Les infrastructures font l'objet de la planification écologique. Doit-on relever le versement transport ? La TVA à taux réduit sur les transports en commun me semble aussi une excellente solution pour le pouvoir d'achat comme le soutien à l'investissement dans les territoires.

Mme Angèle Préville.  - Je n'incriminais nullement les collectivités ! Un choc d'offre est nécessaire. Les pistes cyclables, en particulier, ne sont pas assez sûres.

M. Christophe Béchu, ministre.  - Il est rare qu'on décide d'une piste cyclable au niveau du ministère. Les besoins financiers sont couverts par le plan Vélo, c'est parfois la volonté politique qui fait défaut.

Mme Christine Herzog .  - Le rapport d'information que j'ai cosigné en mai avec Martine Filleul sur la logistique urbaine durable traitait de la mise en place des ZFE : avec quel argent, selon quel délai, pour qui ?

Le renouvellement des parcs implique la suppression d'une partie des véhicules. Mais comment se passer d'un véhicule ? Un jeune qui entre dans la vie active prévoit 5 000 euros pour son véhicule, quand véhicule électrique coûte entre 20 000 et 30 000 euros. Et comment financer les bornes de recharge ? Quel avenir pour les stations-services ? Y aura-t-il un modèle universel de batterie ? La question se pose particulièrement dans les zones frontalières comme la Moselle.

Les Français ont besoin de savoir : il faut sortir de la science-fiction et revenir au réel !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Il nous faut une offre de véhicules de seconde main et des modèles mieux adaptés.

Les petites stations-service indépendantes, notamment en milieu rural, bénéficient de subventions jusqu'à 70 % pour s'équiper en bornes de recharge.

Nous travaillons aussi sur la haute recharge. Les standards sont définis au niveau européen. La plus grande station de recharge rapide ouvrira en avril à Madeleine-Tronchet, avec 500 postes.

Nous travaillons au branchement de dispositifs de recharge rapide sur des sites de production d'énergies renouvelables. Des solutions sont examinées ; je pense en particulier à une entreprise, dont la proposition est très convaincante.

Mme Elsa Schalck .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'acceptabilité sociale du dispositif est cruciale. Il faut anticiper, renforcer l'accompagnement et agir de manière progressive, et non à marche forcée, pour éviter que la ZFE ne se transforme en zone à forte exclusion.

Pour les plus modestes, le reste à charge est trop lourd. Idem pour les artisans et les entreprises. Gare à l'aggravation de la césure entre le milieu rural et la ville.

Les ZFE risquent d'être restrictives et punitives. À Strasbourg, la mesure a été appliquée de manière uniforme, et la totalité des véhicules diesel, soit 38 % du parc, ne pourront plus circuler en 2028.

Une Porsche essence sera classée Crit'Air 1, une Clio consommant beaucoup moins Crit'Air 4... Il faut faire évoluer le système des vignettes, qui suscite l'incompréhension ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Christophe Béchu, ministre.  - La vignette Crit'Air se fonde sur les émissions de dioxyde d'azote et de particules fines. D'autres critères seront pris en compte, mais au niveau européen ; je pense à la pollution liée à l'abrasion des pneus lors du freinage et à la masse des véhicules. Attendons que la norme Euro 7 aboutisse pour nous interroger sur une réforme des vignettes. Quoi qu'il en soit, il est peu probable qu'un véhicule classé 5 se retrouve classé 1... Mais il est vrai que certains véhicules considérés comme propres ne le sont pas tant que cela.

Nous devons assumer notre discours, tenir le calendrier prévu, faire preuve de pédagogie et assurer l'accompagnement. Nous nous appuierons sur les élus et tiendrons compte des retours d'expérience, car les comparaisons entre territoires sont intéressantes.

Mme Martine Filleul .  - Quarante mille décès par an attribués aux particules fines, c'est trop, pour ne pas dire insupportable. Mais comment faire sans alternative à la voiture ? Les artisans sont inquiets, car les véhicules utilitaires électriques sont rares et onéreux, le rétrofit coûte souvent plus cher que le véhicule lui-même et tout le parc actuel serait exclu des ZFE.

Un rapport de l'Assemblée nationale proposait un guichet unique pour centraliser les aides, et le report de certaines mesures. Allez-vous en tenir compte ? Avez-vous d'autres pistes pour les petits artisans ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Le Gouvernement n'a instauré aucune obligation spécifique pour les utilitaires. Certaines collectivités ont souhaité harmoniser les mesures pour les véhicules légers et pour les utilitaires... Le Gouvernement ne pousse pas en ce sens. Je comprends la cohérence souhaitée par les élus, mais une forme de souplesse est possible.

Le parc de véhicules des artisans est plus récent. De nombreuses questions se posent, par exemple en matière de dépannage. Les concertations à venir en tiendront compte.

Mme Martine Filleul.  - Il faut rendre les dérogations homogènes et transitoires pour les véhicules des professionnels, qui n'ont pas de solution alternative crédible.

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Les chefs d'entreprise franciliens s'inquiètent des difficultés économiques à venir. Nous craignons que ces restrictions n'entrainent un naufrage économique dans le secteur du BTP. Alors que l'offre manque et que la durée d'amortissement des véhicules du BTP est longue, il faut faire preuve de réalisme.

Le Gouvernement est-il prêt à aider davantage ces professionnels, alors que 900 000 véhicules polluants doivent être remplacés dans les entreprises artisanales du bâtiment ? Des dérogations de circulation seront-elles prévues, d'autant que la question des infrastructures de recharge adaptées se pose avec acuité ? Le défi est immense.

M. Christophe Béchu, ministre.  - Aucun durcissement n'a été décidé lors de la réunion interministérielle du 25 octobre. Pour les Crit'Air 3, le Gouvernement a prévu une entrée en vigueur des mesures de restriction au 1er janvier 2025. Toute mise en place anticipée sera le fait des collectivités. J'entends bien que plus nous durcissons les mesures, plus il faudra de véhicules propres ; il faut donc laisser le temps aux filières de s'organiser. C'est ce que nous faisons. Je ne peux revenir sur des décisions que je n'ai pas prises.

Mme Laure Darcos.  - Merci de votre réponse, et de nous aider à la relayer auprès de la métropole du Grand Paris...

M. Stéphane Le Rudulier .  - Le prix moyen du mètre carré dans le coeur de Marseille atteint 3 654 euros : c'est inaccessible aux classes populaires et moyennes, contraintes à se loger en périphérie. Les ZFE créeront un fossé entre ceux qui peuvent se permettre de changer de véhicule et les autres, privés d'accès au centre urbain.

Car le coût de changement d'un véhicule reste trop élevé, malgré les aides. Les ZFE renforceront la ségrégation spatiale entre urbains et habitants des zones périphériques. C'est inconcevable. L'exclusion sociale ne peut être la conséquence d'une politique écologique !

Réduire la pollution de l'air est un objectif louable, mais peut-on demander à un particulier de payer 10 000 à 30 000 euros pour acheter un véhicule propre ? C'est un an de salaire ! Comment concilier ambition écologique et progrès social pour les classes moyennes et populaires, sans écologie punitive ? L'écologie, oui, mais l'écologie pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Béchu, ministre.  - Nous partageons la conclusion : il faut des mesures d'accompagnement.

Cependant, vous conviendrez que la situation des transports en commun dans la métropole de Marseille peut être améliorée. Vous n'ignorez pas les demandes de crédits formulées par Martine Vassal pour accompagner la mise en place d'alternatives à la voiture.

Le leasing conciliera impératif écologique et tarifs soutenables : avoir un véhicule écologique à 100 euros par mois, sans plein d'essence, cela répond à de nombreuses situations. À la condition que ce ne soient pas des voitures chinoises fabriquées grâce au charbon...

Avec ce débat, vous jouez un rôle utile de lanceurs d'alerte, mais attention à ne pas présenter les ZFE comme un dispositif déjà applicable à tous les véhicules : il n'en concerne que certains, et sera mis en place progressivement pour permettre la structuration d'une offre de seconde main et de leasing, conformément aux promesses du Président de la République. Favorisons la pédagogie.

Mme Brigitte Micouleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Certes, les ZFE limiteront l'accès des véhicules les plus polluants au centre des agglomérations, notamment à Toulouse.

Mais la loi d'orientation des mobilités (LOM) qui prévoit les ZFE a été votée avant les bouleversements mondiaux que nous avons connus. Le système Crit'Air n'est pas satisfaisant et pénalise les ménages modestes. Il doit évoluer car certains véhicules Crit'Air 3 et 4, bien entretenus, polluent moins que les gros SUV bénéficiant du Crit'Air 1. Certains roulent peu. Pourquoi ne pas faire évoluer le contrôle technique pour permettre à ces véhicules moins polluants, après un examen approfondi, de rouler en ZFE ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Vous me proposez, en somme, de réécrire le texte... Le système des vignettes repose sur des critères objectifs et simples. Si, demain, nous imposons un passage par le garagiste, on dénoncera une forme de taxe pour prolonger la durée de vie du véhicule !

Il n'est pas question d'inciter à jeter un véhicule qui fonctionne encore, sachant qu'il faut deux tonnes de pétrole pour le fabriquer. D'où l'intérêt du retrofit, qui consiste à changer la motorisation du véhicule, avec un reste à payer moins élevé.

L'enjeu n'est pas l'appréciation des émissions des véhicules mais les particules fines et le dioxyde d'azote - et là, c'est le diesel qui pose problème. Il faut donc accélérer la mutation du parc, via les ZFE, avec de la pédagogie et un accompagnement.

Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec ce débat, j'ai eu l'impression de revivre le paradoxe de la poule et de l'oeuf. La ZFE doit-elle entraîner l'adaptation de notre parc roulant, ou aurait-il fallu faire l'inverse ?

Quoi qu'il en soit, la loi a été votée ; désormais, il convient de l'appliquer au mieux. C'est un enjeu vital, car la pollution de l'air réduit de 2,2 ans l'espérance de vie et entraîne des milliers de morts chaque année.

Cependant, nous ne sommes pas prêts, faute de réseau de transports en commun performants desservant les zones périurbaines.

Le système d'aides en place pénalise ceux qui sont hors ZFE puisque les aides majorées concernent les habitants de la ZFE, qui sont aussi ceux qui ont le plus de moyens. Pourquoi ?

Notre parc roulant n'est pas prêt, faute de véhicules de substitution. L'objectif de 100 000 bornes de recharge sera atteint en 2023, dites-vous - mais avec deux ans de retard !Vous nous annoncez aussi des opérations de communication à partir de 2023, mais là aussi il est trop tard : c'est en 2018 que l'État et quinze métropoles se sont engagés !

Le Sénat a pourtant proposé des solutions. Pourquoi l'État refuse-t-il d'intégrer le leasing dans le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ? Pourquoi le PTZ a-t-il été mis en place si tardivement ?

Pourquoi s'intéresse-t-on si peu aux particules émises par le freinage, responsables de 80 % des émissions, qui concernent aussi bien les véhicules électriques que thermiques ? La start-up française Tallano technologies, qui travaille sur ce problème, a réussi à diffuser sa technologie en Asie, mais pas en France. Pourquoi un tel retard ?

C'est un vrai enjeu de santé publique, d'autant que les métros et les RER sont particulièrement concernés. Je sais que la France s'intéresse aux négociations sur la norme Euro 7, mais il faut accélérer.

Vous ne pouvez pas reprocher aux collectivités d'aller trop vite, monsieur le ministre. L'enjeu sanitaire nous concerne tous. Si certaines collectivités ont décidé d'aller vite, il faut les accompagner car nous en bénéficierons tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d'un Grenelle sur les salaires

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d'un Grenelle sur les salaires » à la demande du groupe SER.

M. Thierry Cozic, pour le groupe SER .  - Nous allons débattre du partage équitable de la richesse dans notre pays, qui doit faire l'objet d'un Grenelle des salaires. La France manque de bras, et le pouvoir politique a sa part de responsabilité. Comme le dit Camus, « mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ». Notre première responsabilité est de nommer ce qui traverse le monde du travail.

La fonction première du travail est de permettre de gagner sa vie, tout en donnant du sens. Lorsque le salaire ne permet pas de vivre dignement ou est privé de sens, le corps social craque.

Aujourd'hui, la plupart des candidats à l'emploi sont attachés au salaire, mais attendent aussi de l'entreprise le respect de l'environnement, du dialogue social et de la vie familiale. Lorsque les temps de transport sont à rallonge, les loyers prohibitifs, seule la rémunération peut rendre le travail acceptable.

La valeur travail n'est ni de droite ni de gauche, mais universelle. S'intéresser au salaire revient à s'intéresser au fruit du labeur : c'est une question éminemment politique.

Le niveau des salaires peut être relié à la répartition de la valeur ajoutée entre salaires et capital. Or depuis les années 1980, la part des salaires est grignotée par des profits toujours plus élevés, au bénéfice des détenteurs du capital.

Les modes de vie modernes créent une nouvelle économie, avec l'intelligence artificielle, les impressions 3D ou encore les nano et biotechnologies. Cela a-t-il un effet sur les rémunérations ? Beaucoup d'économistes en doutent.

La cause principale de la pénurie de main-d'oeuvre, ce sont les salaires trop bas, en particulier dans la restauration.

L'exécutif chante les louanges de la loi de l'offre et de la demande pour toute politique libérale, comme la dérégulation des salaires des grands patrons, mais s'y oppose quand celle-ci profite aux travailleurs modestes.

J'entends déjà dire que notre modèle social n'encourage pas le retour à l'emploi ; mais la pénurie de main-d'oeuvre touche aussi les pays sans droits sociaux comme les États-Unis, avec cinq millions de démissions en trois mois - le big quit.

Une fable s'est insinuée dans le débat public depuis un an : dans l'hôtellerie-restauration, les salaires auraient augmenté de 16 %. La hausse réelle est de 4 % ! Or ce chiffre est constamment invoqué par la majorité gouvernementale et le patronat.

Il faut surtout une juste répartition de la richesse entre travail et capital. Voyez Total, qui dégage 17 milliards de dollars de bénéfices, mais refuse les revalorisations demandées par les salariés des raffineries. Mi-septembre, alors que les raffineries étaient bloquées, le groupe déclarait vouloir partager les bénéfices avec ses actionnaires en leur versant 2,6 milliards d'euros. Les revalorisations demandées par les salariés s'élevaient à 150 millions d'euros...

Ainsi, on fait des concessions pour les revenus du capital, mais pas pour les revenus du travail. Or c'est le principal point de friction dans nos sociétés : les inégalités de revenu sont les plus mal acceptées, alors que la productivité des salariés français est 15 % plus élevée que la moyenne européenne.

Il faut plus de justice, sans dogmatisme ni tabou. Réunissons un Grenelle des salaires, au lieu de nous cantonner à des postures partisanes. Nos concitoyens nous pressent d'agir, soyons collectivement à la hauteur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels .  - La guerre en Ukraine, crise la plus profonde que nous ayons connue depuis la Deuxième Guerre mondiale, a attisé la crise énergétique et causé une envolée du prix des matières premières. Elle ravive le spectre d'une boucle inflationniste des prix et des salaires.

La question du pouvoir d'achat s'est installée dans le débat public. La rémunération du travail est-elle juste et suffisante ? Faisons-nous assez pour qu'un salaire permette une vie décente ?

Je remercie les sénateurs SER d'avoir eu l'initiative de ce débat et vous prie d'excuser l'absence du ministre du travail, Olivier Dussopt.

La France a le système le plus protecteur d'Europe pour les bas salaires. C'est une exception : tous les pays européens n'ont pas de salaire minimal, et seuls cinq d'entre eux ont mis en place un mécanisme d'indexation automatique du salaire minimal.

La protection est triple. D'abord le Smic est indexé sur l'indice des prix pour les 20 % de Français les plus modestes. Ensuite, il est augmenté chaque année de la moitié du gain de pouvoir d'achat des salariés et employés. Enfin, sa revalorisation intervient tous les 1er janvier, mais aussi dès que la hausse des prix dépasse 2 % depuis la dernière revalorisation.

Ce système, ajouté aux dispositions du code du travail sur les négociations salariales et aux invitations du Gouvernement à l'engagement de ces négociations par les entreprises, favorise la diffusion des revalorisations.

Selon la Direction de l'animation de la recherche, des études et de la statistique (Dares), entre septembre 2021 et septembre 2022, le salaire mensuel de base a augmenté de 4,4 % pour les ouvriers, de 4,6 % pour les employés et de 2,7 % pour les cadres.

Le Gouvernement a mis en place une série de mesures protégeant le pouvoir d'achat, à commencer par le bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité, qui nous a donné le niveau d'inflation le plus bas en Europe. Ces mesures massives ont eu un effet très important sur le pouvoir d'achat.

Cela vous permet de mesurer à quel point nos citoyens ont été protégés.

La valeur travail est au coeur de notre projet. Mais il ne revient pas à l'État de décréter l'ampleur de la hausse des salaires : c'est le rôle du dialogue social. Certes, l'État doit accompagner les partenaires sociaux, sans jamais s'y substituer. Il doit respecter l'équilibre entre les parties : la concertation doit primer.

Chaque semestre, le comité de suivi des salaires, présidé par le ministre du travail, réunit les représentants des organisations syndicales et patronales. La dernière réunion a eu lieu en novembre 2022. Le nombre de branches affichant des minima inférieurs au Smic est passé de 112 à 57 entre mai et décembre. En novembre, seules quatre branches étaient dans ce cas depuis plus d'un an, contre une vingtaine auparavant.

Le Grenelle des salaires convoque l'histoire glorieuse de la gauche, marquée par le Grenelle de 1968. Mais à l'époque, l'économie était radicalement différente : les partenaires sociaux pouvaient décréter des hausses de salaire, chaque salarié voyait sa progression déterminée par une grille, le chômage ne dépassait pas les 4 %, la croissance était effrénée. On peut le regretter, mais ce n'est plus la réalité.

Alors, un Grenelle des salaires, pour quoi faire ? Le comité de suivi des salaires mène déjà ce travail. Le Gouvernement a fait le choix de poursuivre le dialogue social dans ce cadre. (Protestations sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER)

M. Franck Menonville .  - Le marché du travail fait face à deux problèmes. D'abord, le différentiel trop important entre le salaire net et le salaire brut. Il en résulte un coût du travail trop lourd pour nos entreprises et un salaire trop faible pour les employés.

Ensuite, les difficultés des entreprises à recruter, alors que le chômage reste à des niveaux parmi les plus élevés en Europe. Cela s'explique par des difficultés de mobilité, et par l'existence de publics très éloignés de l'emploi. Le retour à l'emploi est insuffisamment encouragé.

Certes, les règles d'indemnisation de l'assurance chômage sont désormais plus incitatives au retour à l'emploi, mais le chemin vers le plein emploi reste long. De nouvelles mesures sont nécessaires afin de créer un cercle vertueux : plus il y a d'emploi, plus il y a de cotisations, et moins il y a d'indemnisation.

La rémunération du travail ne doit pas se faire au détriment de la compétitivité des entreprises. Madame la ministre, quelle est votre stratégie pour réduire l'écart entre le salaire brut et le salaire net et mieux valoriser le travail ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Le Gouvernement est très attaché au soutien apporté aux salaires : c'est l'une des conditions pour parvenir au plein emploi.

Entre 2018 et 2020, près de 5 millions de personnes ont reçu une prime de partage de la valeur (PPV), pour un montant compris entre 2  et 3 milliards d'euros. En 2022, 2,4 milliards d'euros ont été distribués. Ajoutons-y 0,9 milliard d'euros au titre de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat.

Il y a ensuite la prime d'activité, au titre de laquelle un salarié au Smic à temps complet reçoit un supplément de 225 euros.

Enfin, le Smic est régulièrement revalorisé, ce qui est très protecteur. Les écarts de salaire sont faibles dans notre pays, en comparaison de nos voisins européens. Les inégalités salariales ont peu progressé durant les vingt-cinq dernières années. Entre 1996 et 2020, le salaire médian a augmenté de 16 % en euros constants. Ceux du premier et du neuvième déciles ont respectivement augmenté de 18,5 et de 19 %.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Cela fait deux ans que l'inflation rogne le pouvoir d'achat des ménages les plus pauvres. L'indice des prix à la consommation a augmenté de 6,7 %. En 2023, l'Insee prévoit 7 % d'inflation au premier semestre, et une hausse de 13 % des prix alimentaires, ainsi qu'un nouveau recul du pouvoir d'achat disponible brut. Aucune revalorisation ne peut compenser cela.

C'est d'autant plus intenable que les ménages ruraux et pauvres sont les premiers touchés par l'augmentation des prix de l'énergie et de l'alimentation. Les prix des produits de base ont augmenté de 16 % dans les grandes surfaces : ce n'est pas l'augmentation du Smic qui le compensera.

Il convient donc de redéployer les aides qui profitent d'abord aux grands groupes au bénéfice des TPE, et de bloquer les prix des produits de première nécessité. Madame la ministre, à quand des études sérieuses sur l'impact positif de la hausse importante du Smic ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Lors de mon intervention liminaire, j'ai essayé de vous apporter le plus d'éléments chiffrés possible, émanant d'études sérieuses.

Selon l'OCDE, à la fin de l'année 2022, le pouvoir d'achat des Français avait augmenté de 2 % par rapport à fin 2019 : c'est la conséquence de la revalorisation du Smic et de la hausse de l'emploi. Les mesures en faveur du pouvoir d'achat expliquent aussi cette situation. En 2022, le salaire des ouvriers et employés a augmenté de 4,5 % contre 2,7 % pour les cadres et professions intermédiaires. Le salaire réel des ouvriers et employés a baissé de 1,2 % environ contre 3 % pour les cadres et professions intermédiaires. Voilà des éléments chiffrés et objectifs.

M. Michel Dagbert .  - La question des retraites est au coeur de l'actualité, mais elle ne doit pas occulter le débat sur les salaires. Depuis plus de cinq ans, votre ministère s'attache à favoriser le retour au plein emploi, un objectif devenu atteignable. Il s'agit de faire en sorte que le travail puisse aussi être un vecteur d'épanouissement.

Il convient d'assurer à chacun un salaire qui permette de vivre décemment. C'est l'objectif du comité de suivi des salaires. En la matière, la négociation et la concertation, dans le respect du paritarisme, jouent un rôle clé.

Depuis la dernière réunion de suivi, avez-vous des éléments sur les négociations de branche ? À quelle échéance les branches dont les minima sont inférieurs au Smic cesseront-elles ces pratiques ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Le comité de suivi des salaires se réunit deux fois par an, avec l'objectif que les 171 branches engagent des négociations salariales. L'augmentation passagère du nombre de branches pratiquant un salaire inférieur au Smic est un problème transitoire : la plupart d'entre elles se sont adaptées au suivi de l'inflation. Le nombre de branches non conformes est ainsi passé de 143 à 57 en 2022.

Bien sûr, la revalorisation du Smic au 1er janvier mettra à nouveau 133 branches en situation de non-conformité ; elles ont 45 jours pour résoudre ce problème. Mais il n'y a que quatre branches dont les minima salariaux sont structurellement inférieurs au Smic. Faisons confiance aux partenaires sociaux et à la négociation collective.

Mme Isabelle Briquet .  - La question du salaire ne peut s'envisager sans aborder celle du salaire différé que sont les cotisations. Il fait partie de l'attractivité des métiers, notamment les plus pénibles.

Depuis le début de la session parlementaire, le Gouvernement y a consacré deux textes, via la réforme de l'assurance chômage et les retraites. Si cette part du salaire est pour le Gouvernement une simple marge de manoeuvre économique, les cotisations sociales sont essentielles au fonctionnement de notre système collectif et sont le ciment intergénérationnel de notre pays.

Or par entêtement idéologique, le Gouvernement réduit leur part dans le salaire, multipliant les exonérations de cotisations ou les primes financées par la TVA et la CSG - donc par les travailleurs eux-mêmes.

Notre système de protection sociale mérite d'être renforcé, notamment pour les métiers pénibles. Quelle est votre position sur la question des salaires différés ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Les exonérations de cotisations, compensées par l'État, ont été l'un des leviers du retour à l'emploi, avec 1,5 million d'emplois créés. C'est par le travail que l'individu assure son pouvoir d'achat et trouve sa place dans la société : telle est la philosophie au coeur de notre projet politique.

Mme Isabelle Briquet.  - Votre réponse n'est pas adaptée à ma question. Notre système social doit protéger les travailleurs, et non les maintenir dans la pauvreté. J'aurais apprécié une réponse plus précise. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Mme Laurence Cohen .  - Je salue l'initiative du groupe SER. La forte inflation a donné lieu à de nombreuses luttes pour l'augmentation des salaires. Il est inacceptable de ne pas pouvoir vivre dignement de son travail dans la septième puissance économique du monde. On compte plus d'un million de travailleurs pauvres dans notre pays ; les femmes représentent 60 % des travailleurs au Smic, 80 % des salariés à temps partiel et 97 % des emplois d'aide à domicile.

Fin juillet, Bruno Le Maire demandait aux entreprises d'augmenter les salaires. Il n'a pas été entendu puisque ceux-ci n'ont progressé que de 2,5 % en 2022, soit bien moins que l'inflation. Pendant ce temps, le versement des dividendes a augmenté de 32 % au deuxième trimestre pour atteindre 44 milliards d'euros.

Quand allez-vous revaloriser les salaires, en particulier dans les 120 branches où le salaire minimum est inférieur au Smic, et augmenter de 10 points le traitement des fonctionnaires, madame la ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - L'État ne décide pas du niveau des salaires. Accordons-nous sur ce principe.

Un rapport de Christine Erhel et Sophie Moreau-Follenfant remis en décembre 2021 au ministre du travail souligne que la pauvreté est d'abord causée par les conditions de travail : horaires atypiques, contrats courts. En 2019, le taux de pauvreté était de 14,6 % pour l'ensemble de la population, de 6,9 % pour les seuls salariés, mais de 15,1 % pour les salariés à temps partiel et même de 24 % pour ceux dont la quotité travaillée était inférieure ou égale à 50 %.

Le pouvoir d'achat des ménages a augmenté de 2 % par rapport à fin 2019, grâce aux mesures du Gouvernement. C'est là l'un des atouts du système protecteur du Smic que j'ai décrit.

Le salaire horaire net moyen atteint 16,30 euros en 2020. Le salaire médian reste à peu près constant, à 2 500 euros.

Mme Laurence Cohen.  - Il est difficile de vivre avec un Smic à 1 329,05 euros. Votre rôle est de faire appliquer la loi : cela aiderait les salariés et alimenterait nos caisses de sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Olivier Henno .  - La revalorisation du salaire des enseignants est une question essentielle. Le Président de la République, durant la campagne, promettait une revalorisation de 10 % « de manière inconditionnelle ».

Malheureusement, ce n'est toujours pas une priorité nationale ; or un pays qui n'investit pas dans l'éducation est promis au déclin. En dix-sept ans, le nombre de candidats au Capes a été divisé par quatre. De plus, le niveau des élèves ne cesse de baisser, comme le ministre de l'éducation nationale l'a lui-même reconnu. Enfin, en Allemagne, le salaire des professeurs a augmenté de 30 % en quinze ans, alors qu'il stagnait chez nous.

Quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ? Allez-vous engager des discussions avec les syndicats, et selon quel calendrier ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Nous partageons pleinement vos préoccupations : il faut garantir l'attractivité de ces métiers et reconnaître leur engagement.

Nos enseignants ont une rémunération peu conforme à leur niveau de diplôme et de responsabilité. C'est pourquoi le Président de la République s'est engagé à poursuivre les revalorisations du Grenelle avec une augmentation de 10 %, inconditionnelle, pour les enseignants.

C'est la mesure socle. Des compléments seront prévus pour les enseignants acceptant de s'engager dans des missions supplémentaires, avec des augmentations allant jusqu'à 20 %.

L'objectif est double : augmenter les salaires, mais aussi transformer notre école. Ces hausses seront effectives à partir de septembre 2023, après concertation avec les partenaires sociaux.

M. Olivier Henno.  - Merci pour votre réponse, madame la ministre. En l'occurrence, c'est bien l'État qui décide : il est urgent de revaloriser le salaire de ceux qui exercent ce beau métier.

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le 1er juin 1968, les Accords de Grenelle entérinaient une hausse des salaires de 10 % et une augmentation du Smic de 35 % à Paris et de 38 % en province.

La situation financière des salariés modestes s'est dégradée. Perte des APL (aides personnalisées au logement), disparition de la déduction d'intérêts d'emprunt pour l'acquisition de la résidence principale, augmentation du coût des mutuelles santé, perte des aides de la CAF. L'écart entre les bas salaires et les minima sociaux se resserre. En outre, les salaires réels baissent à cause de l'inflation. Il faut engager des négociations pour revaloriser les salaires des plus précaires.

Faisons pour les salariés la même chose que pour les banquiers qui voient leurs taux d'intérêt alignés sur l'inflation.

Allez-vous organiser la réunion attendue, madame la ministre ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes CRCE et SER)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Le comité de suivi des salaires, présidé par Olivier Dussopt, se réunit deux fois par an et se concentre sur les branches qui ne respectent pas le nouveau niveau du Smic, comme les pompes funèbres ou les casinos.

En outre, nous soutenons le pouvoir d'achat par plusieurs mesures comme la prolongation du bouclier tarifaire pour l'électricité et le gaz. C'est très concret : la facture mensuelle de gaz augmente de 25 euros au lieu de 200 euros, celle d'électricité de 20 euros au lieu de 180 euros.

Mme Pascale Gruny .  - Le candidat Macron avait promis une augmentation de 10 % pour tous les enseignants sans contrepartie, dès janvier 2023. Nous avons assisté à un cafouillage la semaine dernière, lorsque le ministre Pap Ndiaye a affirmé le contraire.

Une hausse de 10 % en moyenne, comme cela a été annoncé, c'est différent d'une hausse de 10 % pour tous. En outre, cette augmentation ne serait pas inconditionnelle, car liée à des tâches nouvelles. Qu'en est-il ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - L'engagement et les responsabilités des enseignants ont largement été salués par le Président de la République et le Gouvernement. En Sorbonne, le 25 août dernier, le Président a expliqué sa volonté d'augmenter de 10 % leur rémunération de manière inconditionnelle : c'est la revalorisation socle pour certains enseignants. S'y ajoute le pacte, qui propose une rémunération supplémentaire au regard de missions actuelles ou nouvelles. La rémunération de certains enseignants pourrait s'en trouver revalorisée de 20 %.

Cela fait l'objet de concertations avec les partenaires sociaux, pour une entrée en vigueur en septembre 2023.

Mme Pascale Gruny.  - Ce ne sera donc pas 10 % pour tous. Quant au pacte, il prévoit des conditions : on comprend que la promesse de campagne est devenue un mensonge. Une augmentation de 10 % coûterait 3,6 milliards d'euros en année pleine ; or le budget pour 2023 ne prévoit que 1,9 milliard, auquel s'ajoute une enveloppe de 300 millions. Le compte n'y est pas.

Nos enseignants sont parmi les moins bien payés. Le « quoi qu'il en coûte » et le « en même temps », c'est pour qui ? Pourquoi ? Que des mensonges ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Montaugé .  - La conférence salariale que nous appelons de nos voeux doit aussi prendre en compte la valeur sociétale du travail. La valeur travail doit rester au centre de notre projet collectif national, particulièrement pour les jeunes travailleurs et ceux qui exercent des métiers de première ligne.

Comment allez-vous redonner à la valeur travail toute sa place ? Le salaire n'est pas le seul outil. Quelle est votre conception du travail ? Doit-il être limité à ses formes classiques ? Ne faut-il pas le penser autrement ? Comment l'articuler avec le changement climatique, enjeu majeur ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Je vous remercie pour cette question, qui me permet d'évoquer les travailleurs de la seconde ligne au cours de la crise : le pays doit beaucoup à ces quatre millions de travailleurs.

M. Franck Montaugé.  - Ce n'est pas la question !

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Le rapport Erhel - Moreau-Follenfant montre qu'ils sont payés 30 % de moins que les autres salariés, et que leur travail est davantage morcelé.

En 2019, le taux moyen de pauvreté était de 14,6 % pour l'ensemble de la population et de 6,9 % pour les seuls salariés. Le travail est donc un bouclier contre la pauvreté. Mais le taux de pauvreté des travailleurs à temps partiel est de 15,1 %, et même de 24 % quand ils travaillent moins d'un mi-temps.

Il s'agit donc moins d'augmenter les salaires, que de créer les conditions pour qu'ils obtiennent un temps plein. France Travail et la réforme du bonus-malus y contribueront.

M. Franck Montaugé.  - Je ne suis pas sûr que vous ayez compris ma question. Je suis d'une génération qui a vécu la dévalorisation des métiers manuels et des études courtes. Le manque de reconnaissance de ces métiers est considérable et ne se limite pas au salaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Annick Jacquemet .  - En 2019, selon l'Insee, le niveau de rémunération du travail des femmes était de 22 % inférieur à celui des hommes. C'est inacceptable.

Les femmes sont plus souvent à temps partiel. Elles n'occupent pas non plus les mêmes emplois ni ne travaillent dans les mêmes secteurs d'activité. De plus, alors que le principe de salaire égal à travail égal entre hommes et femmes est inscrit dans le code du travail depuis 1972, des écarts injustifiés persistent.

Malgré la création de l'index de l'égalité professionnelle dans les entreprises de plus de 50 salariés, la situation est toujours insatisfaisante. Cet écart de salaire amplifie d'autres inégalités : les retraites des femmes sont inférieures de 40 % à celles des hommes.

Comment remédier plus efficacement aux différences salariales entre femmes et hommes ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Ce sujet de société est essentiel. L'égalité entre les femmes et les hommes est une obligation des entreprises. Or la différence salariale inexpliquée est encore de 9 %.

Le Gouvernement a souhaité en faire une grande cause du quinquennat précédent, renouvelée en 2022.

L'index de l'égalité professionnelle impose une obligation de résultat et non plus de moyens : c'est un changement majeur. Nous constatons que cela modifie les comportements.

L'inspection du travail est largement mobilisée, par exemple sur les retours de congé maternité. Elle adopte dans un premier temps une approche pédagogique, mais sanctionne de plus en plus les entreprises. L'adoption de la directive transparence salariale permettra de renforcer ces exigences.

Nous avançons aussi sur la question de la formation, des contrats courts, des pensions alimentaires, même s'il reste encore à faire.

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis plusieurs années, l'économie française est à la peine. Déjà en 2018, les gilets jaunes alertaient l'opinion sur la paupérisation de franges entières de la population. J'entends fréquemment sur le terrain que le travail ne paie plus : ce sont ceux qui se lèvent tôt et travaillent sans compter leurs heures qui le disent.

Le poids des normes et des charges laisse peu de marge de manoeuvre pour augmenter les salaires. Des secteurs entiers peinent à recruter en raison du niveau des salaires, par exemple dans le soin ou l'enseignement.

La crise sanitaire et la crise en Ukraine ont entraîné des difficultés supplémentaires. Entre inflation et hausse des taux d'intérêt, on assiste à un appauvrissement général, en particulier dans les territoires éloignés des métropoles. Les Français attendent des hausses de salaire et sont inquiets pour leur retraite.

Comment redonner de l'espoir à tous les actifs qui veulent pouvoir vivre dignement du fruit de leur travail et réduire ces fractures françaises ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Vous attendez de l'État, bien au-delà des questions salariales, un engagement qui, peut-être, le dépasse. Ce sont avant tout les branches et les entreprises qui doivent travailler sur l'attractivité des métiers.

Les comportements, au cours des différentes crises, ont muté de façon accélérée. Les aspirations des Français, qui ont eu le temps de prendre du recul et d'imaginer d'autres parcours de vie pendant les confinements, ont changé.

Les branches ont engagé des évolutions : les rémunérations augmentent de 7 % dans le secteur HCR (hôtellerie, cafés, restauration) et de 6 % dans le transport routier. Les branches travaillent sur le sourcing de nouveaux profils, l'accompagnement et la sécurisation des carrières, la santé au travail.

C'est un enjeu pluriel. Il concerne l'amélioration de la rémunération, mais pas seulement. Il y a aussi les mesures de pouvoir d'achat et la revalorisation du Smic.

M. Pascal Allizard.  - Merci pour cette réponse technique et appliquée !

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - C'est assez misogyne !

M. Pascal Allizard.  - On pouvait aussi attendre une vision stratégique et une réponse sur l'aménagement du territoire.

Mme Corinne Féret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les crises sanitaires et économiques se succèdent. Nous reconnaissons l'utilité sociale des travailleurs précaires. Mais un sentiment de déclassement accable des millions de Français. Face à une inflation à 6 %, ils survivent grâce à des primes, des allocations, des chèques.

Ces dernières années, le salaire des 10 % les mieux payés a augmenté trois fois plus vite que celui des 10 % les moins bien payés. Nous pouvons nous interroger légitimement sur un meilleur partage des richesses et sur la valeur du travail.

Il y a urgence à revaloriser les salaires, et non les primes aléatoires ou les rachats de RTT, qui n'impliquent finalement que les salariés eux-mêmes.

En novembre dernier, lors de la première réunion nationale interprofessionnelle sur le partage de la valeur ajoutée, le Gouvernement a orienté le travail des partenaires sociaux sur l'actionnariat salarié par exemple. Et les salaires, dans tout cela ?

Madame la ministre, vous défendez la valeur travail. Certes, l'augmentation des salaires se décide par branche. Mais quand engagerez-vous enfin un vrai dialogue social sur la question des salaires ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Le rapport au travail change. Les crises ont fait évoluer de façon accélérée les aspirations de nos concitoyens.

Les assises du travail ont vocation à accompagner ces évolutions, selon trois thématiques : le rapport au travail, la santé au travail et la démocratie au travail. Ces assises réunissent des partenaires sociaux, des universitaires, des personnalités qualifiées, des spécialistes des ressources humaines et formuleront des propositions en mars.

L'enjeu est systémique et sociétal et va au-delà de la question de la rémunération.

Mme Corinne Féret.  - Mais comment pouvez-vous, avec une inflation à plus de 6 %, rester ainsi figée ? Les Français doivent pouvoir vivre dignement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST)

Mme Catherine Belrhiti .  - Les inégalités salariales entre hommes et femmes connaissent une trop lente décrue. En 2020, le salaire des femmes était 28 % inférieur à celui des hommes. Un tiers de cet écart s'explique par la durée du travail. Mais les postes les mieux payés sont moins accessibles aux femmes. Comment lutter contre les violences intrafamiliales si les femmes n'ont pas la même indépendance économique que leur conjoint ?

Le Président de la République a déclaré l'égalité entre les femmes et les hommes grande cause du quinquennat. Il est temps d'agir et d'exiger des résultats à la hauteur des engagements. L'égale rémunération des femmes et des hommes est un pilier central de la justice sociale.

Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il adopter ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Je veux réaffirmer la profonde volonté du Gouvernement d'atteindre une égalité de rémunération effective et concrète pour toutes les Françaises. Les inégalités fondées sur le sexe n'ont pas leur place dans notre société.

J'ai évoqué tout à l'heure l'index de l'égalité professionnelle. Cette obligation de transparence a montré que certaines entreprises étaient non vertueuses.

La loi de décembre 2021 sur l'égalité professionnelle fera évoluer concrètement l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment dans les instances dirigeantes des entreprises de plus de 1 000 salariés. Cela provoquera un effet de ruissellement et promouvra de nouveaux modèles.

Ces bonnes pratiques sont des fers de lance pour les jeunes générations. Certaines filières sont encore trop genrées, comme le numérique et l'énergie, qui sont des filières bien rémunérées.

Mme Catherine Belrhiti.  - Les engagements et les efforts ne sont pas contestables, mais il faut un cadre d'application concret.

Mme Chantal Deseyne .  - Face à la hausse des prix, Bruno Le Maire a demandé aux entreprises une augmentation des salaires, et s'est réjoui de la hausse de salaire des ouvriers et employés de 4,4 %. Mais avec une inflation à 5,7 %, le salaire horaire baisse de 1,3 % en euros constants.

Peu d'entreprises sont en capacité d'augmenter les salaires, car leurs marges de manoeuvre sont réduites face à l'inflation, tout particulièrement les TPE-PME.

De nombreux économistes recommandent plutôt de baisser la pression fiscale sur les entreprises et les ménages. Notre groupe demande une baisse du coût du travail. Le Gouvernement a choisi la voie des aides ponctuelles. Quelles évolutions envisagez-vous ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Le Gouvernement privilégie la confiance dans le dialogue social. Depuis le 1er octobre 2021, le Smic a été revalorisé de près de 10 %, soit bien plus que l'indice des prix. Son indexation est un des mécanismes les plus protecteurs en Europe. Cependant, les salaires réels s'ajustent sur les prix avec un décalage de plusieurs mois.

Le Gouvernement a impulsé une dynamique, notamment grâce au comité de suivi des salaires, dans les branches dont les minima conventionnels sont encore inférieurs au Smic.

La prime de partage de la valeur a été pérennisée. Au 20 décembre 2022, plus de 245 000 établissements ont versé 2,4 milliards d'euros de primes.

Mais le Gouvernement n'est pas favorable à la baisse des cotisations patronales pour les entreprises accordant une revalorisation salariale. Le mécanisme serait complexe, peu lisible, avec un coût très élevé, et créerait des effets d'aubaine et de seuil.

Mme Chantal Deseyne.  - Le Smic est un filet de sécurité, mais la France ne brille guère en matière de rémunération du travail : sur 100 euros, il n'en revient que 46 au salarié. On peut encore faire des efforts.

Mme Florence Lassarade .  - Au 1er janvier, le Smic a augmenté de 1,8 %. Dans son rapport de novembre, le groupe d'experts sur le Smic a insisté sur les conséquences négatives de l'augmentation du Smic, notamment pour les salariés les plus modestes qui voient leur impôt augmenter et leurs aides sociales diminuer. Cela induit également un tassement de la hiérarchie des salaires, source de frustrations.

Le problème est que les salaires augmentent plus vite que la productivité. Nous risquons une perte de compétitivité et du sous-investissement. Madame la ministre, quelle est votre position sur le sujet ?

Des experts proposent d'indexer le Smic sur la moyenne des évolutions de minima salariaux d'un panel de branches représentatif : qu'en pensez-vous ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Le mécanisme français d'indexation du Smic est l'un des systèmes les plus protecteurs en Europe : il est indexé sur l'inflation, mais augmente aussi de la moitié de la hausse du pouvoir d'achat des ouvriers et employés. Il a été revalorisé trois fois en 2022. Sur un an, la hausse est de 6,6 % contre 5,9 % d'inflation en novembre. Le pouvoir d'achat des salariés les plus modestes a donc été préservé.

Ces hausses se transmettent ensuite à tous les salariés, avec une augmentation de 4,5 % pour les salariés et ouvriers et de 2,7 % pour les cadres. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, le salaire minimum a moins augmenté que l'inflation. L'écart atteint notamment 10 points aux Pays-Bas, 5 points en Espagne et en Allemagne.

À partir du second semestre 2023, la Banque de France prévoit une baisse de l'inflation.

M. Guillaume Chevrollier .  - Le Smic bénéficie d'une augmentation automatique au 1er janvier. Il est désormais de 1 353 euros net, en hausse de 24 euros. Il a également connu deux hausses exceptionnelles au cours de 2022. C'est certes nécessaire pour le pouvoir d'achat, mais cela n'est pas sans conséquence pour les chefs d'entreprise et les branches.

Dans le rapport du groupe d'experts sur le Smic, des difficultés ont été soulignées, notamment pour les TPE et les PME dont la masse salariale augmente de manière imprévue et pérenne. Les branches doivent alors engager de nouvelles négociations. Certains proposent que le seuil de revalorisation de 2 % d'inflation soit porté à 3 %, pour favoriser la qualité des négociations.

Envisagez-vous de modifier les modalités d'indexation du Smic ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.  - Nous sommes l'un des cinq pays à avoir un Smic doublement indexé. Le Smic est revalorisé en cours d'année quand la hausse des prix dépasse 2 %. Le groupe d'experts propose de porter ce seuil à 3 % et de supprimer l'indexation sur la hausse du pouvoir d'achat des ouvriers et employés. Un emballement de l'inflation ne ferait que des perdants, mais une telle boucle prix-salaires n'est plus à craindre, dans la mesure où l'inflation devrait baisser au second semestre 2023. Nous privilégions donc la protection des salariés les plus modestes et ne modifierons pas les règles en vigueur.

M. Thierry Cozic, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE) Vous nous dites qu'il ne faut pas revenir au passé, et donc à 1968. Je reviendrai au XVIIIe siècle et à un exemple repris par Marx dans Le Capital (Mme Laurence Cohen applaudit, tout sourire) : à la fin du XVIIIe siècle et pendant les vingt premières années du XIXe, les fermiers et les landlords rivalisèrent d'efforts pour baisser les salaires à leur minimum absolu, le manque étant compensé par l'assistance paroissiale. Comme aujourd'hui : prime d'activité, prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, indemnité inflation, voilà votre arsenal.

Le montant des salaires est insuffisant pour vivre, les travailleurs sont soumis à la contingence de ces aides. Nous n'avons pas le même dialogue social : nous parlons salaires, vous parlez primes.

Les salariés touchent 84 % de salaires pour 16 % de primes, l'équivalent d'un treizième et d'un quatorzième mois, alors que cela devrait être intégré au salaire. C'est une aubaine pour les entreprises, mais les travailleurs perdent sur tous les plans : leurs revenus deviennent aléatoires ; leur progression de carrière est ralentie ; ils cotisent moins pour leur retraite. Idem pour les fonctionnaires, dont la rémunération est composée d'un quart de primes.

Ces primes de pouvoir d'achat posent les travailleurs en état de besoin. Mais ne sommes-nous que cela ? Le salaire permet aussi de reconnaître le travailleur, qu'il soit en emploi ou non, comme un producteur de valeur économique.

Les mouvements sociaux de l'automne-hiver 2021 dans la grande distribution en témoignent : à une demande d'augmentation des salaires de 5 %, les patrons ont proposé une augmentation de 1 à 2 %, avec des primes et des remises en magasin. Dans le privé, toutes les primes augmentent au détriment des salaires, ce n'est pas admissible.

Il nous faut donc un Grenelle des salaires, pour trouver une réponse systémique aux demandes des travailleurs. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST)

Demande de création d'une commission spéciale

M. le président.  - La proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, présentée par M. Jean Bacci et plusieurs de ses collègues, a été publiée ce jour.

En application de l'article 16 bis, alinéa 3, du Règlement, M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, ont saisi le Président du Sénat d'une demande de constitution d'une commission spéciale sur cette proposition de loi.

Cette demande a été affichée et notifiée au Gouvernement, ainsi qu'aux présidents des groupes politiques et des commissions permanentes.

Elle sera considérée comme adoptée sauf si, avant la deuxième séance qui suit cet affichage, soit à l'ouverture de la séance du jeudi 12 janvier, le Président du Sénat est saisi d'une opposition par le Gouvernement ou le président d'un groupe.

La séance est suspendue à 19 h 25.

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Avis sur une nomination

Mme la présidente.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable (19 voix pour, aucune voix contre) à la nomination de M. Éric Lombard aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. (M. Jean-Baptiste Lemoyne s'en félicite.)

Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport « Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise », à la demande de la délégation aux entreprises.

Mme Martine Berthet, au nom de la délégation aux entreprises .  - La responsabilité sociale des entreprises (RSE) s'inscrit dans une nouvelle grammaire de l'économie, affecte les modalités de production et de commercialisation et constitue un enjeu de pouvoir au sein des entreprises cotées. Le rapport de la délégation aux entreprises de juin 2020 avait souligné le caractère foisonnant de la soft law internationale des normes et labels, et appelé à une harmonisation et au recentrage sur les informations extrafinancières significatives.

Le choc de complexité en matière de RSE relevé dans notre rapport de 2022 est un défi pour les grandes entreprises, et encore plus pour les PME, qui sont concernées directement ou indirectement, car elles font partie de la chaîne de valeur. Personne n'a chiffré le coût humain ou financier pour ces entreprises, alors qu'elles sont obligées de fournir de plus en plus de données : 130 items selon le Groupe consultatif européen sur l'information financière, l'Efrag (European Financial Reporting Advisory Group), auxquelles s'ajoutent des obligations spécifiques à chaque branche.

N'ajoutons pas une inflation réglementaire à l'inflation monétaire, sinon ce mille-feuille sera indigeste. Notre rapport préconise un principe de proportionnalité, fonction de la taille de l'entreprise, et le respect de la confidentialité de sa stratégie. Nos PME doivent être à armes égales avec les entreprises extraeuropéennes : c'est une condition de durabilité de leur compétitivité.

M. Jacques Le Nay, au nom de la délégation aux entreprises .  - Les normes sont un enjeu essentiel de souveraineté. Pour les entreprises, c'est la notation, et donc l'accès au crédit et au marché. Avec la RSE, les entreprises doivent publier de nombreuses informations. L'Europe a perdu la bataille des normes comptables, elle doit gagner celle des normes extrafinancières, d'autant plus qu'elle est en avance en la matière.

Dans notre rapport, nous pointons trois défis. D'abord, celui d'un standard unique des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Le dialogue entre les trois entités que sont l'Efrag, le Bureau international des normes comptables, l'IASB (International Accounting Standards Board), et le gendarme américain de la bourse doit aboutir à des normes et recommandations communes.

Ensuite, il faut que l'évaluation de l'entreprise tienne compte de son comportement envers l'environnement, de son éthique sociale, de son engagement sociétal et de son gouvernement d'entreprise. Il n'y a pas d'un côté l'information financière, et de l'autre l'information extrafinancière. Il faut sortir de la conception friedmanienne de l'entreprise.

Le troisième défi est de reconquérir notre souveraineté en matière de notation, alors que les agences de notation européennes sont toutes passées sous contrôle américain. La nouvelle directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) permet une harmonisation européenne bienvenue. L'Agence européenne des marchés financiers (AEMF) doit devenir le point d'accès européen unique pour les données financières et extrafinancières des sociétés cotées.

Mme Florence Blatrix Contat, au nom de la délégation aux entreprises .  - La RSE doit être un atout pour chaque entreprise, car elle porte en elle l'exigence de transition climatique.

Le rapport Perrier de mars 2022 propose d'instaurer une comptabilité carbone. Quelles suites ont été données à cette proposition ? Le Medef préconise, dans son code de gouvernance rénové, que la RSE soit au coeur des missions du conseil d'administration des entreprises cotées et devienne un élément important de la rémunération de leurs dirigeants, mais se contente d'une publication des orientations stratégiques pluriannuelles tous les trois ans et ne fait de la formation des salariés administrateurs aux enjeux de RSE qu'une simple possibilité. Or cela doit être une obligation.

Pour être durable, la démarche RSE doit être crédible. Or une enquête média a confirmé nos craintes. Le rapport de l'Inspection générale des finances sur l'investissement socialement responsable (ISR) appelait à une réforme. Où en est-elle ? Les fonds « super verts » investissent toujours dans les énergies fossiles, en contradiction avec les normes européennes. La finance verte ne doit pas être du greenwashing. Cela interroge sur la crédibilité des engagements climatiques de certaines entreprises, et remet en question le modèle de l'audit.

Les professionnels du chiffre seront-ils capables d'évaluer la sincérité d'engagements sociaux ou environnementaux ? Quel rôle donner aux experts-comptables ?

Un vaste chantier de formation à la RSE doit s'ouvrir pour tous ceux qui se destinent au monde de l'entreprise. J'espère que ce sujet sera porté au-delà de ce débat. Il est important pour nos entreprises.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - Je vous souhaite une très bonne année, pleine de santé et de joie.

Je vous remercie d'avoir commis ce rapport très intéressant sur un sujet essentiel pour la compétitivité de nos entreprises. Pour avoir été secrétaire d'État chargée de l'économie sociale et solidaire, je sais tout le bien qu'on dit de la RSE, mais aussi le peu d'empressement qu'on met à agir en la matière ! Votre mobilisation démontre l'importance du sujet.

Je ne pourrai malheureusement pas apporter des réponses exhaustives à chaque question, mais je m'engage à vous répondre ultérieurement plus en profondeur.

La France et l'Europe avancent à grands pas sur la RSE. Il nous faut préserver notre avance et accompagner toutes nos entreprises, y compris les PME, dans un souci de proportionnalité.

Mme Martine Berthet.  - Madame la ministre, nous souhaiterions être associés à la rédaction des ordonnances de transposition de la directive européenne, pour éviter tout risque de sur transposition. C'est important pour les entreprises.

M. Thomas Dossus .  - La RSE prend en compte les engagements de développement durable des entreprises, environnementaux, sociaux et de gouvernance. Elle dépasse les enjeux purement financiers et comptables.

L'entreprise, par nature, n'est guère sensible à ces enjeux. La RSE s'adresse aux consommateurs, aux investisseurs et au monde associatif. La société a des attentes de plus en plus fortes vis-à-vis des entreprises, pour un bilan environnemental et social positif. La rationalité économique ne doit pas être l'ennemi du vivant.

Nous sommes passés d'un mouvement volontaire à des exigences renforcées, notamment par l'édification de normes et de référentiels communs. L'Union européenne, en pointe, est à l'origine de la déclaration de performance extrafinancière (DPEF) pour les grandes entreprises en 2013, complétée par la directive NFRD (Non Financial Reporting Directive) en 2018, qui inclut des informations extrafinancières relatives aux questions environnementales, sociales et de personnel, de respect des droits de l'Homme et de lutte contre la corruption.

L'Union européenne a assujetti les grandes entreprises au devoir de vigilance et mis en avant le concept de double matérialité dans la directive CSRD : l'entreprise devra non seulement examiner les conséquences de la dégradation des conditions sociales et environnementales sur ses activités, mais aussi la manière dont celles-ci influent sur ces mêmes conditions, dans une double relation de cause à effet.

Les nouvelles obligations prévues en matière de reporting inquiètent les entreprises. C'est pourquoi les rapporteurs préconisent une proportionnalité des exigences de RSE selon la taille de l'entreprise. Ils souhaitent renforcer l'AEMF, harmoniser les normes et introduire la notion d'offre écologiquement la plus avantageuse dans le code des marchés publics. Ces ajustements sont bienvenus.

Si le reporting est nécessaire, nous sommes convaincus qu'il faut surtout transformer nos modes de production, de consommation et de gouvernance. Communiquer, comme Total, sur une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 tout en recherchant de nouveaux gisements fossiles est d'une hypocrisie rare. La RSE ne pourra seule changer les règles et réguler l'impact de l'activité économique sur nos vies : il faut une réelle contrainte publique.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - La France a été motrice dans les coalitions internationales comme la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD) ou la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) - un travail de titan !

Ces coalitions sont souvent impulsées et alimentées par la France. J'y ai contribué durant deux ans. Nous devons toutefois être vigilants, car trop de coalitions tuent les coalitions... Depuis Bercy, nous veillons à ne pas multiplier les déclarations d'intention et à privilégier les actes fermes.

Oui, la taille des entreprises importe. La directive CSRD s'applique aux entreprises de plus de 250 salariés. Je suis acquise au principe de proportionnalité ; il faudra veiller à ce qu'il soit effectif dans les actes délégués.

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Ce sujet est très tendance, mais le Sénat manifeste sa constance avec ce deuxième rapport. Depuis les premiers travaux dans les années 1950 puis la prise de conscience de Rio dans les années 1990, on observe une ébullition. La France y a pris toute sa part avec la loi relative aux nouvelles régulations économiques, dite NRE, les lois Grenelle 1 et 2, la loi Pacte et le statut de société à mission.

Face au risque de l'affichage, que pointe le rapport Rocher, il est nécessaire de revenir à l'essence de la RSE. L'entreprise n'est pas une fin en soi, mais un moyen : ses responsabilités sont la contrepartie des libertés économiques dont elle jouit. Elle évolue dans un environnement sur lequel elle a un impact - d'où le concept de double matérialité. Par exemple, les entreprises ont un impact sur l'emploi des seniors. Il est regrettable qu'il faille menacer de quotas pour faire bouger les lignes... D'où l'importance des chantiers annoncés par le Président de la République sur le partage de la valeur et la rémunération des dirigeants.

Comment passer de principes généraux et généreux à la mise en oeuvre, sans angélisme, dans la compétition mondiale ? Nous devons accompagner les entreprises pour plus de proportionnalité, de simplicité et de progressivité. Retarder l'application de la directive CSRD pour les PME n'est pas leur rendre service, et je regrette la suppression par le Sénat de l'article 8 du projet de loi Ddadue...

La directive affirme le principe de double matérialité, à rebours de la vision américaine. Ce conflit est au coeur des enjeux normatifs. Ne soyons pas naïfs : nous sommes en guerre économique - en témoigne l'Inflation Reduction Act. La directive CSRD exempte les entreprises de la publication de certaines informations dans le cas où des intérêts commerciaux majeurs sont en jeu. Il faut prendre en compte l'équité dans la concurrence. Je regrette que la directive ne prenne en compte que les entreprises ayant des filiales ou des succursales dans l'Union. Nous devons inclure toutes les entreprises étrangères dans notre devoir de vigilance.

Encadrons aussi l'activité des agences de notation, majoritairement sous contrôle américain, pour plus de transparence. Il faut une supervision par l'AEMF.

Conservons notre avance. Qui a voté contre la norme ISO 26000 en 2010 ? Les États-Unis et Cuba, pour une fois côte à côte ! Conservons les valeurs qui sont au coeur de la RSE : la dignité de l'homme et le respect de l'environnement. C'est Proudhon et Léon XIII, avec Rerum Novarum, qui en sont les inspirateurs ! Il y a des enjeux supérieurs, et les objectifs de développement durable (ODD) sont l'affaire de tous. Nous sommes tous des pays en voie de développement durable.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Comme c'est joli !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Retroussons-nous les manches.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Oui, nous sommes tous des pays en voie de développement durable. Même si la France n'est pas en reste, continuons à progresser...

Il faut établir une corrélation entre la rémunération des dirigeants et la performance extrafinancière des entreprises.

De même que la formation des conseils d'administration et des comités de direction, la formation des administrateurs et mandataires sociaux est un levier essentiel. Je l'évoque régulièrement avec le Medef.

Le Président de la République a proposé, lors de la campagne présidentielle, une corrélation entre la rémunération des dirigeants et la performance extrafinancière. Nous pouvons y parvenir à travers le droit souple, comme le code Afep-Medef. Le Medef et l'Afep se sont engagés à réfléchir en ce sens. Je vous tiendrai informés.

M. Rémi Cardon .  - Je remercie les rapporteurs pour leurs propositions si pertinentes, notamment sur la différence de traitement pour les TPE. La RSE est un sujet complexe et paradoxal. La déferlante de normes inquiète ; c'est un fourre-tout, entre simple conformité à des référentiels et politiques sociales engagées -  par exemple, des congés de paternité de plusieurs mois, comme les féministes n'osent en rêver !

La RSE est définie au niveau européen comme l'intégration volontaire -  j'insiste  - par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales. Le champ des possibles est donc immense. Des zones de non-droit perdurent, d'où de grandes inégalités.

Qu'en est-il de la refonte du code des marchés publics ? J'aurais souhaité que cette proposition figure en meilleure place dans le rapport. L'État doit se montrer exemplaire en favorisant les entreprises les plus vertueuses. Si l'on attend que les entreprises s'y mettent spontanément, nous attendrons longtemps. Qui aurait prédit que le non-partage des superprofits se transformerait en superdividendes ? Madame la ministre, il est encore temps d'agir.

Il faut nous interroger sur la pertinence même de la RSE. Les grands groupes peuvent se montrer généreux en matière de RSE tout en pratiquant l'optimisation fiscale. Une entreprise doit-elle agir pour ses seuls salariés ou financer, par la fiscalité, les services publics pour l'ensemble de la société ? Une fiscalité plus juste et effective des entreprises éviterait bien des conflits sociaux...

D'où l'intérêt d'intégrer aux critères de notation des entreprises leur contribution fiscale. Les PME obtiendraient une bien meilleure note que les grands groupes ! Nous éviterions aussi des démarches court-termistes. L'exemple le plus probant est le limogeage du PDG de Danone, malgré sa politique sociale exemplaire, qui n'était pas du goût des actionnaires.

N'y a-t-il pas danger à laisser ces entreprises financer des services sociaux supralégaux au détriment du plus grand nombre ? Je vous invite à prendre du recul.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Dans les années 2000, on ne parlait pas encore de RSE, mais de développement durable. Chaque entreprise faisait à son idée, les vérifications étaient rares. En 2014, les choses sont devenues plus sérieuses, avec la déclaration de performance extrafinancière, qui a exigé des entreprises européennes de plus de 500 salariés qu'elles publient des informations relatives aux questions environnementales, sociales, de personnel, de respect des droits de l'Homme et de lutte contre la corruption -  déjà, un peu moins « fourre-tout ».

La grande révolution de la CSRD sera de travailler à partir des 80 mêmes indicateurs, ce qui autorisera les comparaisons. Que certaines entreprises communiquent plus spécifiquement sur certains critères ne me choque pas : nous laissons une certaine liberté, je ne vois pas de paradoxe.

M. Rémi Cardon.  - Votre gouvernement a choisi de décerner un prix Choose France à la société Procter & Gamble d'Amiens, malgré ses pratiques d'optimisation fiscale notoires qui privent les salariés d'une juste prime d'intéressement et de participation. Sans doute une subtilité du « en même temps » macronien...

Mme Céline Brulin .  - Merci aux rapporteurs pour leur travail, qui met en lumière un décalage entre les discours et les actes. La France est fort mal classée dans le rapport mondial sur le développement durable en raison de son niveau d'importations, qui représentent la moitié de son bilan carbone. Agir pour les relocalisations industrielles, comme dans le secteur pharmaceutique, est une nécessité.

En 2017, avec la loi sur le devoir de vigilance, la France a été pionnière pour définir la responsabilité des entreprises en matière de préservation des droits humains et de l'environnement dans leurs chaînes d'approvisionnement. Mais la directive approuvée par le Conseil en décembre dernier n'inclut ni l'usage qui est fait des produits commercialisés, ni les activités des clients, ni même les exportations d'armes ; les banques sont quasiment exemptées.

Il est urgent d'encadrer l'activité RSE des entreprises multinationales. Ce rapport fait d'utiles recommandations, comme une meilleure formation des membres des conseils d'administration et comités de direction, un module pour les étudiants et des mesures de progressivité.

La RSE ne doit pas se limiter à la lutte contre le changement climatique, mais inclure les aspects sociaux et de gouvernance des entreprises. À rebours des ordonnances Macron qui ont affaibli la représentation des salariés, nous souhaitons une consultation obligatoire du comité social et économique sur les orientations de l'entreprise : les salariés pourraient ainsi s'opposer à des projets de délocalisation ou promouvoir la diversification de la production. Dans l'Eure, Compin délocalise des productions et licencie la moitié des salariés du site d'Évreux, alors qu'il a des marchés régionaux !

L'introduction dans le code de la commande publique d'un droit de préférence en faveur des entreprises vertueuses serait bienvenue. Les appels d'offres par des collectivités territoriales XXL ou des groupements hospitaliers gigantesques défavorisent les PME locales... Les règles européennes de concurrence empêchent d'utiliser pleinement le levier de la commande publique. L'État actionnaire n'est pas exemplaire : ainsi, il accompagne Renault dans sa stratégie de démantèlement.

Comment se satisfaire que les TPE accèdent à une énergie à 280 euros le MWh, cinq à six fois le coût de production en France ? Si nous sommes diamétralement opposés à Milton Friedman, qui ne voit que le profit, nous considérons aussi que l'État a une responsabilité vis-à-vis des entreprises, notamment au regard du coût de l'électricité.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Ironie du sort, j'ai choisi de venir devant vous, plutôt que de participer au débat sur les aides énergétiques à l'Assemblée nationale... Je n'évoquerai donc pas le sujet.

Sur l'empreinte carbone et les importations, vous avez trois fois raison. Bruno Le Maire présentera dans les prochaines semaines un projet de loi robuste pour une réindustrialisation verte. C'est le meilleur moyen de réduire notre bilan carbone.

La France est motrice en matière de droit de vigilance. C'est la loi Potier de 2017 qui a fait avancer l'Europe dans ce domaine ; désormais, les Allemands nous emboîtent le pas.

Au risque de vous surprendre, je ne suis pas très éloignée de vos propositions sur le CSE. Que les salariés soient parties prenantes des orientations des entreprises est très intéressant. (M. Thomas Dossus s'en félicite.)

À l'article 35 de la loi Climat et résilience, le Conseil d'État avait retoqué la notion d'offre écologiquement la plus avantageuse, qu'il considérait comme contraire au droit européen. Je le regrette.

Mme Françoise Férat .  - Je veux féliciter la délégation aux entreprises pour ce travail. La RSE est au coeur de la vie de nos entreprises. Désormais, plus aucun pan de leur activité n'y échappe.

ETI et PME, en revanche, n'ont pas les moyens humains et financiers de mettre en oeuvre une stratégie RSE ambitieuse.

Le défi de la transition écologique ne peut être que l'affaire des collectivités territoriales. Il doit impliquer les habitants et les entreprises, qui doivent proposer des biens et services durables. En économie, c'est souvent l'offre qui crée la demande : des produits responsables trouveront preneurs.

La disparition de la taxe professionnelle (TP) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) distend les liens entre territoires et entreprises. La RSE permet de retisser ce lien.

La norme internationale ISO 26000 prévoit des obligations en matière de communauté et de développement local. Il est urgent de mettre en oeuvre un choc de simplification, en respectant nos obligations européennes, notamment vis-à-vis de la directive CSRD. Nous avons besoin d'un référentiel RSE adapté aux ETI et PME.

Il faut aussi promouvoir un modèle de RSE complet, au-delà de la seule responsabilité environnementale.

Enfin, les pouvoirs publics doivent prendre leur part. Je salue l'idée, avancée par le rapporteur, d'un droit de préférence en faveur des entreprises ayant une stratégie RSE.

La RSE doit être accessible à l'ensemble des entreprises, elle doit devenir une réalité sur le terrain. Elle deviendra ainsi un atout pour nos entreprises et notre économie.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Le Gouvernement est attaché à deux fondamentaux : proportionnalité et progressivité.

La directive CSRD, qui devra être transposée avant juillet 2024, ne permet pas de revenir sur le périmètre des entreprises concernées. Mais j'ai personnellement veillé, au cours de la présidence française du Conseil européen, à ce que les critères et obligations soient proportionnés. Les PME qui n'ont pas émis d'actions ou d'obligations sur les marchés réglementés ne sont pas concernées. En outre, les PME cotées seront exemptées de toute obligation si elles sont couvertes par le rapport de durabilité de leur société mère.

La France veillera au respect de la confidentialité de certaines informations, notamment quand la position concurrentielle des entreprises serait menacée.

En 2025, les entreprises de plus de 500 salariés seront concernées par la directive, en 2026 les entreprises de 250 à 500 salariés, et en 2027 les PME cotées, avec une possibilité de report d'une année ; enfin, en 2029, les filiales des grandes entreprises extraeuropéennes. Nous avons donc cinq ans pour accompagner les PME et toutes les entreprises.

M. Henri Cabanel .  - La RSE, où comment assumer ses responsabilités face à la société. La notoriété de l'ISO 26000, adoptée en 2010 après cinq ans de travail, laisse cependant à désirer : 39 % des maires de mon département ne savent pas ce que c'est... Et aucun des dix-sept étudiants en master 2 de droit que j'ai récemment rencontrés ne sait ce qu'elle recouvre. Il faut enfoncer le clou.

Comme l'a souligné la délégation aux entreprises dans son rapport de 2020 sur la RSE, l'exemplarité est la clé, en matière de droits de l'Homme par exemple ou de droit des consommateurs et de l'environnement.

La RSE a été étendue aux PME et ETI, avec cinq critères évalués au lieu de sept.

Certes, comme la délégation aux entreprises l'a rappelé, nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours : certaines entreprises préfèrent l'image aux actes. C'est le purpose washing.

De plus, après le covid et la crise économique, certaines entreprises se sont désengagées. Or l'enjeu d'image est primordial, et nous voyons des groupes qui se sont servis de ce label le dénigrer désormais.

La France doit donc défendre la norme ISO 26000, à laquelle les Américains ont toujours été hostiles, créant la norme B-Corp, moins robuste et crédible. Pour certaines entreprises, c'est un vrai chant des sirènes.

Un autre danger est aussi celui de l'espionnage sous couvert de notation. L'Europe doit défendre sa vision humaniste des entreprises. La norme ISO 26000 est la seule norme méthodologique reconnue internationalement.

Enfin, je vous annonce, madame la ministre, que mon cabinet parlementaire a reçu hier le label Engagé RSE au niveau exemplaire. Nous sommes le seul cabinet dans ce cas. (M. Jean-Baptiste Lemoyne l'en félicite.)

Je remercie l'Afnor, qui nous a fait confiance en 2015. Mon projet : créer la RSE des élus. Des maires et élus ont déjà souhaité s'associer à cette démarche. Qui mieux que nous, chers collègues, peut et doit s'engager aujourd'hui ? Voilà le sens de l'exemplarité, le défi est lancé ! (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Chiche, monsieur le sénateur ! Acceptez-vous de nous en dire plus sur ce label ? Je suis très sensible à l'exemplarité. Votre initiative est pertinente.

Les étudiants de master, dites-vous, ne connaîtraient pas la RSE, alors que les formations fleurissent dans les écoles... Il faudrait renforcer la formation universitaire, comme le préconise le rapport de la délégation aux entreprises.

Notons cependant que de nombreuses entreprises pratiquent la RSE comme M. Jourdain, sans le savoir, et notamment les PME. Lorsqu'une entreprise aide une association, c'est de la RSE.

Je crois cependant que l'outil fera l'artisan : nous devons avancer ensemble en Europe sur les 80 indicateurs macrosectoriels avant d'avancer par secteur. Certes, si l'outil est un peu lourd, il doit être adapté aux PME.

M. Henri Cabanel.  - L'outil est indispensable, mais il faudra avoir la philosophie correspondante. En tant qu'agriculteur, je me suis engagé dans le bio, et j'ai vu certains chercher à obtenir le label pour ses retombées financières. C'est la même chose pour la RSE.

Je suis à votre disposition pour échanger sur notre label.

M. Stéphane Sautarel .  - Je salue le travail de la délégation des entreprises sur la RSE, qui s'inscrit dans la durée. La RSE doit être à la portée de toutes les entreprises et adaptée à leur taille. Mais c'est aussi un état d'esprit : le rôle des conseils d'administration est essentiel.

La RSE, c'est d'abord la sincérité et l'exemplarité. Le cadre juridique peut aider à poser cette sincérité. La RSE dépasse l'entité économique au profit d'un intérêt collectif. C'est un moyen de s'engager, avec des tiers certificateurs garantissant cet engagement.

Lors de la préparation de la loi Pacte, Nicole Notat et Jean-Dominique Senard ont publié un rapport intéressant sur l'entreprise comme objet d'intérêt collectif, qui vise à asseoir la sincérité de cette approche humaniste.

La loi Pacte ambitionnait de donner aux entreprises les moyens d'innover et créer des emplois, mais elle n'a pas donné tous ses effets. Il faut l'évaluer.

La raison d'être d'une entreprise est de créer un futur désirable pour le collectif, justifiant la coopération et visant l'innovation. Cela renforcerait l'engagement des salariés tout en étant porteur de sens.

La RSE se lit à travers trois niveaux d'engagement : les impacts sociaux et environnementaux, la réflexion sur l'environnement à long terme, et le statut de société à mission.

De nombreuses entreprises veulent désormais faire partie de la solution. Il existe une opportunité historique d'ouvrir la voie à de nouvelles formes d'entreprise, pour un capitalisme du XXIe siècle qui place l'intérêt des humains et de la planète au coeur de ses finalités.

La loi doit y aider. Les pouvoirs publics pourraient partager leur définition de l'intérêt général aux entreprises, changeant radicalement l'organisation française, avec une approche fondée sur la confiance et non plus sur la défiance. La performance durable serait donc signe d'excellence. J'espère, madame la ministre, que vous prendrez en compte les cinq propositions du rapport.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Il est des lois votées à 5 h 12 le 22 mai 2019, qu'on n'oublie pas... Après plus de trois ans, le temps de l'évaluation de la loi Pacte est peut-être venu. Je n'ai pas attendu trois ans pour faire avancer la loi, notamment son chapitre III relatif à la raison d'être des entreprises.

Vous avez employé plusieurs fois le terme de sincérité, auquel je suis très sensible. Elle n'exclut pas le contrôle. J'ai missionné sur le sujet Bris Rocher, dont certaines propositions, très pertinentes, sont également portées par votre commission.

La crise covid a retardé la première vague de bilans. Nous commençons juste à recevoir les rapports des organismes tiers indépendants (OTI) sur les entreprises, et notamment leurs missions et leur raison d'être. Dans quelques semaines, nous en aurons reçu un grand nombre.

M. Emmanuel Capus .  - La notion de RSE est essentielle, mais la culture RSE traverse une période difficile avec la crise sanitaire et la hausse des coûts de l'énergie. De nombreuses entreprises sont inquiètes. Au même moment, certains affirment que la notion de raison ne serait que de l'esbroufe, de l'écoblanchiment ou purpose washing...

La complexité des obligations alerte sur l'accessibilité de la RSE. Loin d'être superflue, elle est un atout majeur pour gagner en compétitivité. Elle permet de renforcer le tissu économique local. Nous devons la revoir d'un oeil neuf, en adaptant la réglementation aux enjeux actuels.

C'était l'objet d'une proposition de loi du groupe INDEP inspirée du rapport de notre collègue Vanina Paoli-Gagin au nom de la mission d'information sur l'excellence de la recherche-innovation. Nous prônons un élargissement des critères pour inciter les grands groupes à collaborer avec les start-up et PME innovantes.

La notion de responsabilité territoriale des entreprises permet d'aborder le territoire d'implantation de l'entreprise comme un axe fort de valorisation. Selon ESS France, les missions essentielles des entreprises sont la création d'emploi, la prise en compte de la transition écologique et le développement local. L'interdépendance croissante au niveau territorial doit inspirer une approche globale.

Les salariés sont en attente de formations pour donner du sens à leur travail et participer plus activement à leur entreprise. La formation permet de changer les mentalités.

Notre rôle est de bâtir un environnement propice à la bonne santé des entreprises. Je souhaite, au nom du groupe INDEP, que la notion de territorialité soit davantage prise en compte dans la RSE.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Je ne peux qu'adhérer entièrement à votre discours, frappé au coin du bon sens.

La culture de certains de nos voisins européens en matière de RSE, en particulier en Europe de l'Est, est balbutiante. Il y a cependant une volonté européenne de défendre notre modèle capitaliste européen.

Mme Brulin rappelait les obligations de vigilance en matière de droits de l'Homme. Nous devons partager ces pratiques au niveau européen, ce qui est un combat titanesque.

J'ai parlé d'Europe, mais vous m'exhortez à ne pas oublier le local. Nous pourrions travailler avec le Trésor sur des indicateurs territoriaux dans le cadre de la performance extrafinancière des entreprises.

Mme Florence Blatrix Contat .  - Je remercie le président Serge Babary d'avoir proposé ce débat. La RSE est essentielle pour l'économie et pour les entreprises, dans un monde en mutation auquel il faut s'adapter.

La France et l'Europe sont confrontées à trois défis : compétitivité, transition écologique et énergétique, et capital humain. Les entreprises peinent à conserver leurs cadres ou à attirer les meilleurs diplômés par la seule promesse de la stabilité ou d'une bonne rémunération. Le bien-être, la quête de sens doivent être au coeur des politiques de recrutement, comme la pandémie l'a montré.

Les entreprises françaises disposent d'atouts solides en la matière. La France a été précurseur en matière de RSE. La notion a essaimé partout. Les grands groupes communiquent beaucoup sur cette démarche, mais il faut faire plus et mieux. La RSE doit devenir partie intégrante du business model de l'entreprise.

L'accélération normative est très importante. Depuis le 1er janvier 2023, les entreprises de plus de 500 salariés doivent réaliser un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre exigeant et précis.

La directive CSRD harmonise le reporting et élargit le périmètre des entreprises soumises à la publication d'informations extrafinancières : 500 000 sociétés européennes seront désormais concernées, soit cinq fois plus qu'aujourd'hui. Voilà qui affecte largement nos PME.

Nous avons proposé que cette information extrafinancière soit harmonisée sous le contrôle d'une autorité publique européenne. Il faut aller au-delà du contrôle formel des PME, pour les accompagner vraiment. Il faut aussi accompagner les auditeurs des PME, qui n'ont pas les moyens des Big Four pour contrôler la RSE.

La RSE n'est pas un effet de mode, mais un vrai levier pour notre économie. Les entreprises françaises et européennes doivent se doter de cet atout majeur.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Les commissaires aux comptes auront en effet un rôle important dans l'application de la CSRD. La Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) est déjà très active pour former les professionnels, la performance extrafinancière faisant appel à de nouvelles compétences.

Je travaille avec le ministre de la justice pour faciliter l'accès aux stages préparatoires au métier de commissaire aux comptes (CAC). Cela pourrait passer par une admission par dossier et non plus par concours, afin d'attirer des professionnels du développement durable.

La France défend une réglementation qui encadre l'activité des agences de notation. La Commission européenne devrait proposer dans les prochains mois un texte en ce sens à l'Autorité européenne des marchés financiers (Esma).

M. Jean-Pierre Moga .  - La RSE, d'abord facultative et volontaire, s'est établie dans le courant des années 2000. C'est un contre-pied à la libéralisation et à la financiarisation de l'économie dans les années 1980. Mais elle appelle un certain nombre de questionnements.

Quels doivent être les rôles des actionnaires ? Doivent-ils poursuivre autre chose que la rentabilité financière ? Les entreprises doivent-elles compenser les externalités négatives de leur activité, ou générer des externalités positives ?

La RSE a permis de conceptualiser la manière dont les entreprises agissent sur leur écosystème.

J'aborderai un seul aspect de cette influence croissante : l'impact spectaculaire de la RSE sur la finance. En témoigne la part croissante de l'épargne des ménages et des entreprises orientée vers des activités vertueuses. Pour cela, les investisseurs doivent disposer de l'information nécessaire. Cette documentation doit être harmonisée.

La taxonomie européenne est trop restrictive. Pour cette raison, les entreprises de nombreux secteurs ont du mal à trouver des financements. Ainsi de l'industrie européenne de défense, qui contribue pourtant à la défense de nos intérêts vitaux.

Une surconcentration de l'épargne dans les secteurs « verts » pourrait ainsi conduire au sous-financement d'autres secteurs. Dans quelle mesure le Gouvernement peut-il favoriser l'accès des entreprises stratégiques à l'épargne privée ? (Mme Françoise Férat applaudit.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure) est désormais connu, mais ce ne fut pas toujours le cas.

Le cadre européen s'inspire du premier cadre français, établi en 2015 par la loi de transition énergétique pour la croissance verte. En 2021, la loi Énergie Climat a précisé ce cadre. Le reporting prévu par le règlement SFDR est encore plus ambitieux. Cependant, il mériterait d'être renforcé et précisé -  la Commission l'envisage. Ainsi, nous éviterons que des actifs non pertinents soient inclus dans la taxinomie verte.

Concernant le risque d'éviction des financements de certains secteurs comme l'industrie de défense, je vous répondrai par écrit, faute de temps.

M. Guillaume Chevrollier .  - Depuis plus de vingt ans, la France s'attache à développer la RSE. La loi du 15 mai 2001 a posé les premiers fondements. Les entreprises cotées devaient alors publier un certain nombre d'informations dans leur rapport annuel. Avec les lois Grenelle 1 et 2, la RSE s'est démocratisée et élargie à d'autres entreprises. Ses exigences se sont renforcées, au niveau tant national qu'européen.

La commande publique joue aussi un rôle : c'est ainsi que la loi relative au gaspillage et à l'économie circulaire de 2020 prévoit des obligations de réemploi et de reconditionnement. Les objectifs ambitieux de la loi Climat et résilience se sont traduits dans le plan national pour des achats durables 2022-2025.

La RSE n'a pas été qu'un simple outil de communication, c'est aussi un levier de résilience. Les critères ESG sont nécessaires pour envisager les transitions.

Mais nous craignons un choc de complexité, notamment au regard de la nouvelle directive CSRD. Quelque 50 000 PME devront se soumettre à ses obligations, alors qu'elles n'ont pas encore l'ingénierie nécessaire. N'imposons pas la RSE à marche forcée, ce serait contre-productif ; proportionnons nos exigences à la taille des entreprises.

Enfin, la bataille normative avec les États-Unis est cruciale - les critères américains ne sont pas ceux de l'Europe. Nous avons besoin de normes européennes.

Le modèle français repose sur un petit capitalisme familial, fort présent en Mayenne, encourageant le lien avec le territoire et la bienveillance à l'égard des salariés. Les entreprises françaises n'ont pas attendu la RSE pour être vertueuses. Il faut les encourager, non les pénaliser.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - La France est plutôt en avance, en effet. C'est une bonne raison pour rationaliser la RSE au niveau européen. Beaucoup d'ETI et de PME ont des pratiques responsables qu'il faut valoriser, justement grâce à la directive CSRD, qui est un outil de compétitivité.

Le champ de la directive ne concerne que les entreprises cotées : nos PME non cotées ne seront pas contraintes par les 80 indicateurs, et elles sont, par ailleurs, plutôt en avance. Notre code du travail est assez exigeant, de même que notre réglementation environnementale, et nous sommes en avance sur la gouvernance. Nous tirons notre épingle du jeu.

Au regard de la taille de l'entreprise, la progressivité et la proportionnalité sont acquises. Ne reculons pas.

Mme la présidente.  - Je vous invite à conclure ce débat.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - Je souhaite remercier les auteurs de ce rapport ainsi que le président Babary. Je salue votre détermination. Malgré les divergences politiques, nous partageons les mêmes constats et les mêmes objectifs.

Nous construisons des outils, sans savoir s'ils seront parfaitement pertinents face aux enjeux, notamment climatiques.

La réglementation extrafinancière représente un choc de complexité pour nos PME. La majorité d'entre elles ne sont pas concernées directement, mais le seront indirectement. D'abord, parce que la transition impose un véritable changement de modèle. Ensuite, parce qu'elles devront répondre aux demandes de leurs consommateurs, mais aussi de leurs salariés : les plus jeunes ont de nouveaux critères qui ne se limitent pas à la performance financière. Attention à ne pas créer un système à deux vitesses, avec des PME attirant les talents, et des PME restant sur le bord du chemin. Nous devons engager les PME sur la voie de la RSE. Enfin, parce que les donneurs d'ordre de nombreuses PME leur demanderont des informations.

J'ai donc demandé à la Direction générale des entreprises (DGE) de consolider la plateforme Impact.gouv.fr, que j'ai créée l'année dernière, pour en faire un outil de référence, afin d'accompagner les entreprises. Je vous invite à consulter le site. Une nouvelle version de la plateforme sera bientôt proposée. J'aurai à coeur de vous en reparler.

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises .  - Je souligne la qualité de nos échanges qui justifie que nous portions nos propositions devant vous.

Dès 1972, le PDG de Danone, Antoine Riboud, expliquait aux assises nationales du CNPF que la responsabilité des entreprises ne s'arrêtait pas au seuil des usines et des bureaux. Trente ans plus tard, la Commission reprenait cette idée dans son Livre vert de juillet 2001. La France a ainsi été pionnière.

Les normes concernent d'abord les grandes entreprises, puis les PME, comme l'a montré Martine Berthet. Le chef d'entreprise est souvent bien seul. A-t-on chiffré le coût de ces normes, qui risquent d'effriter la compétitivité de nos entreprises, notamment si leurs concurrents non européens s'en exonèrent ?

La RSE est certes un atout, même si la finance verte reste encore bien grise, comme le rappelait Florence Blatrix Contat.

La simplification de l'administration et des normes financières doit redevenir une politique publique. Les entreprises attendent un choc de simplification. La loi Pacte a proposé un statut RSE pour les PME : encourageons cette démarche, notamment auprès des investisseurs.

Je me réjouis que le Club des juristes ait rejoint nos conclusions sur l'activisme actionnarial. Il faudrait que l'Autorité des marchés financiers (AMF) prévoie que tout investisseur prenant des positions en vue d'influencer la stratégie d'un émetteur déclare son niveau de participation. L'affaire Danone nous revient en mémoire...

Une harmonisation mondiale est nécessaire, sans sacrifier la double matérialité. Ce dossier doit être porté au plus haut niveau de l'État et défendu par le Conseil européen. La Commission européenne doit aussi agir, pour ainsi reconquérir notre souveraineté européenne.

C'est à ces conditions que la RSE deviendra un atout pour chacune de nos entreprises, quelle que soit sa taille. (Applaudissements)

Prochaine séance demain, mercredi 11 janvier 2022, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 20.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 11 janvier 2023

Séance publique

À 15 heures, à 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Pascale Gruny, vice-président M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : Mme Victoire Jasmin - M. Pierre Cuypers

1. Questions d'actualité

2. Débat d'actualité sur le thème « La crise du système de santé »

3. Débat sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales (demande de la commission des finances)

4. Débat sur la politique du logement dans les outre-mer (demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer)