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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Accueil d'une nouvelle sénatrice

Questions d'actualité

Réforme des retraites (I)

M. Jean-Claude Requier

Mme Élisabeth Borne, Première ministre

Réforme des retraites (II)

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion

Difficultés des boulangers face à la crise énergétique (I)

M. Franck Menonville

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Hausse des factures d'électricité

M. Jean-François Husson

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Difficultés des boulangers face à la crise énergétique (II)

Mme Catherine Morin-Desailly

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Service universel de La Poste (I)

Mme Marie-Claude Varaillas

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications

Soutien aux TPE et PME face à la hausse du prix de l'énergie

M. Didier Rambaud

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Réforme des retraites (III)

Mme Monique Lubin

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion

Marché de l'électricité dans l'Union européenne

Mme Sophie Primas

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique

Chlordécone aux Antilles

M. Victorin Lurel

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

Crise du système de santé

M. Alain Milon

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention

Service universel de La Poste (II)

M. Pierre-Antoine Levi

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications

Influence française en Afrique

M. Hugues Saury

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Pénurie de médicaments

Mme Émilienne Poumirol

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention

Filière automobile électrique

Mme Christine Lavarde

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

TVA pour la filière équine

M. Jean Pierre Vogel

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Crise du système de santé

Mme Patricia Schillinger

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

M. Bernard Jomier

Mme Laurence Cohen

Mme Jocelyne Guidez

M. Stéphane Ravier

M. Jean-Yves Roux

Mme Catherine Deroche

M. Daniel Chasseing

Mme Mélanie Vogel

M. Jean-Luc Fichet

Mme Nadia Sollogoub

Mme Corinne Imbert

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Avis sur une nomination

Lutte contre la fraude et l'évasion fiscales

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics

M. Rémi Féraud

M. Éric Bocquet

Mme Sylvie Vermeillet

M. Jean-Claude Requier

M. Antoine Lefèvre

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Daniel Breuiller

M. Didier Rambaud

M. Victorin Lurel

M. Michel Canévet

M. Stéphane Le Rudulier

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Politique du logement dans les outre-mer

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Guillaume Gontard, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Marie-Claude Varaillas

Mme Nassimah Dindar

M. Stéphane Artano

Mme Micheline Jacques

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Daniel Salmon

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

Mme Victoire Jasmin

Mme Viviane Malet

Mme Catherine Conconne

Mme Annick Petrus

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

M. Victorin Lurel, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Ordre du jour du jeudi 12 janvier 2023




SÉANCE

du mercredi 11 janvier 2023

44e séance de la session ordinaire 2022-2023

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Accueil d'une nouvelle sénatrice

M. le président.  - Je vous adresse mes meilleurs voeux et je salue la présence de Véronique Del Fabro, sénatrice de Meurthe-et-Moselle. (Applaudissements)

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.

Réforme des retraites (I)

M. Jean-Claude Requier .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur des travées du groupe INDEP) Avec la réforme des retraites, il y a de quoi faire sauter plusieurs gouvernements, disait Michel Rocard. C'est avec courage que, madame la Première ministre, vous vous y attelez. Vous avez beaucoup consulté, partis politiques et syndicats. Lorsque vous m'avez reçu à Matignon avec Henri Cabanel, nous vous avons fait part de nos interrogations au cours d'une discussion franche et ouverte, sur tous les sujets : pénibilité, carrières longues, emploi des seniors, régimes spéciaux, pensions minimales...

Vous avez dévoilé hier votre projet, avec un report de l'âge légal de départ à 64 ans au lieu des 65 ans envisagés. Pourquoi ne pas maintenir l'âge à 62 ans et moduler la durée de cotisations ? Ne serait-ce pas plus équitable ? Faisons une réforme dans la tradition radicale, mais sans radicalité ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Élisabeth Borne, Première ministre .  - Meilleurs voeux à tous.

Le système de retraite par répartition est au coeur de notre modèle social. Les Français y sont profondément attachés, moi aussi. Mon Gouvernement entend le préserver, car la baisse du nombre d'actifs par rapport à celui des retraités le menace.

Mon projet garantit son avenir. C'est un projet d'équilibre, qui n'augmente pas les impôts ni ne réduit les pensions. Le seul chemin est de travailler plus longtemps, progressivement. L'âge légal de départ à la retraite sera donc porté à 64 ans en 2030. Nous allons également accélérer la mise en place de la réforme Touraine pour atteindre 43 années de cotisations en 2027. Cela rejoint le dispositif voté par le Sénat depuis plusieurs années. L'âge de la décote sera fixé à 67 ans (M. Fabien Gay proteste), ce qui bénéficiera notamment aux femmes.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Et l'égalité salariale ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Je suis bien consciente des difficultés pour nos compatriotes, mais c'est un projet de justice (vives protestations à gauche) : départ anticipé pour celles et ceux qui ont commencé à travailler plus tôt ; meilleure prise en compte des carrières des femmes ; meilleure reconnaissance de la pénibilité des métiers. Un départ à 62 ans sera toujours possible pour les personnes en invalidité, en incapacité ou en inaptitude. (Protestations à gauche) Au total, quatre Français sur dix pourront partir avant 64 ans. Et nous fermerons la plupart des régimes spéciaux, car le même métier doit donner la même retraite.

Notre projet est aussi porteur de progrès sociaux. (Exclamations ironiques à gauche) Celles et ceux qui ont des métiers difficiles pourront partir avant 64 ans. La retraite ne pourra être inférieure à 85 % du Smic, soit une hausse de 100 euros par mois dès 2023. Nous avons entendu les organismes syndicaux et patronaux : la revalorisation de la retraite minimale concernera bien les retraités actuels. Au total, près de deux millions de Français verront leur pension revalorisée dès 2023, notamment des femmes, des commerçants, des artisans. Nous voulons rendre aux salariés proches de la retraite toute leur place en entreprise, notamment avec un cumul emploi-retraite plus avantageux.

Nous voulons convaincre, améliorer le projet avec le Parlement, pour construire un système juste, équilibré et porteur de progrès social. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP et UC)

M. Jean-Claude Requier.  - Au Sénat, le débat ira à son terme, car il n'y aura ni 49.3 ni question préalable. Le RDSE y prendra toute sa part.

Appelé comme contrôleur général des finances, Turgot a proposé des réformes audacieuses : la réforme plutôt que la révolution. Il n'y a pas eu de réforme ; quelques années plus tard, il y eut une révolution. J'espère que cette réforme n'amènera pas la révolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe SER, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et UC)

Réforme des retraites (II)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Votre projet repousse de deux ans l'âge de départ à la retraite. Vous avez balayé toutes les solutions alternatives. Mais il n'y aurait pas eu de problème de déficit si le fonds de réserve des retraites n'avait pas été siphonné. 

Vous vous apprêtez à copier la contre-réforme de 2010 qui, selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), a fait perdre un an de retraite à la génération 1980. En cumulant toutes les réformes depuis 2010, plusieurs générations perdront jusqu'à vingt mois de durée de retraite.

Vous allez empiéter sur les années de vie à la retraite en bonne santé, alors que l'écart est de dix ans entre les CSP. Votre réforme s'attaque au droit au repos de tous, mais vous cognez plus durement sur les catégories populaires, alors que vous réduisez les droits au RSA et au chômage. L'attaque est frontale. Vous proposez de travailler plus et de perdre sa vie à la gagner, tout en détruisant notre planète.

Combattons cette réplique de la réforme inégalitaire de 2010. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes CRCE et SER)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - Faut-il faire une réforme des retraites ? Oui, ainsi que le dit le rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR).

Premièrement, le régime est déficitaire dès 2023, avec une perte de 1,8 milliard d'euros en 2027 et de 25 milliards d'euros en 2040. Il faut préserver un système par répartition, d'autant que ces chiffres reposent sur la présomption, optimiste, du plein emploi.

Deuxièmement, le niveau de vie des retraités doit être maintenu.

Troisièmement, à la fin des années 1970, il y avait trois actifs pour un retraité. Le rapport est désormais d'1,5 pour un : cela ne tient pas. Il faut réparer, avec des mesures sur la pénibilité et les carrières longues.

La responsable de votre parti a appelé à ce que l'Assemblée nationale se transforme en ZAD. Ce n'est pas notre conception de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées du RDSE)

Mme Raymonde Poncet Monge.  - La réponse vous sera donnée le 19 janvier par les Français, les syndicats et les partis de gauche et écologistes. (Huées sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que du RDPI ; applaudissements à gauche)

Difficultés des boulangers face à la crise énergétique (I)

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Sept boulangers ont cessé leur activité dans mon département de la Meuse à cause de la hausse des coûts de l'énergie. D'autres ont augmenté leurs prix. La situation devient intenable.

Des mesures ont été annoncées le 4 janvier. En effet, 80 % des boulangeries ne peuvent prétendre au bouclier tarifaire, car elles dépassent le plafond de 36 kVA (kilovoltampères). Il y a certes l'amortisseur électricité, mais 180 euros par MWh, ce n'est pas assez protecteur. Les conditions d'éligibilité ne sont pas adaptées et les démarches complexes. Les accompagnements annoncés vont certes dans le bon sens, mais sont insuffisants.

Le Gouvernement entend-il créer un mécanisme plus protecteur ? Il faudrait commencer par lever le plafond de 36 kVA. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe SER)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique .  - Sur les 2,1 millions de TPE, 1,5 million sont protégées par les tarifs régulés, car leur puissance électrique est inférieure à 36 kVA. Aucun autre pays européen ne propose une telle protection à ses entreprises.

Étendre la mesure aux 600 000 TPE restantes aurait coûté 3 milliards d'euros. Certes, cela aurait profité aux boulangers, mais aussi à des entreprises n'en ont pas besoin.

Nous avons donc fait un choix différent : après négociation avec les fournisseurs, la facture ne dépassera pas 280 euros par MWh en moyenne sur 2023.

Les boulangers sont pris en tenaille entre l'augmentation des coûts de la farine et de l'électricité. Ils pourront aussi demander le report des charges et de nouvelles subventions en cas de besoin. Nous avons pris toutes les dispositions nécessaires pour protéger une profession à laquelle nous sommes attachés. Ma porte et celle d'Olivia Grégoire restent ouvertes. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Hausse des factures d'électricité

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'entends votre autosatisfaction, monsieur le ministre, mais il y a quelques instants encore, un chef d'entreprise me rapportait que les acteurs économiques ne comprennent pas l'absence de vision stratégique du Gouvernement. Vous parlez de 280 euros par MWh, mais c'est déjà 350 % d'augmentation ! Le risque, c'est un mur de faillites.

Le Gouvernement a-t-il pris toutes les mesures pour répondre aux besoins des entreprises qui font vivre la maison France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique .  - On n'est jamais certain d'avoir pris toutes les mesures. Ce n'est pas la première crise que je gère. Lors de la crise sanitaire, nous avons protégé le monde économique avec le « quoi qu'il en coûte », car la production s'était effondrée avec un risque de faillites et de chômage de masse.

Face à la crise énergétique, le « quoiqu'il en coûte » n'est pas la solution. Dans un contexte inflationniste, ce serait jeter de l'essence sur le feu.

M. Jean-François Husson.  - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous travaillons au contraire à réduire l'inflation, au bénéfice des entreprises et des ménages.

Nous avons choisi une voie plus difficile, mais c'est souvent la meilleure. (Brouhaha ironique sur les travées du groupe Les Républicains) Nous ciblons les entreprises qui en ont le plus besoin. Les TPE bénéficient de nombreuses mesures d'aide : tarifs préférentiels, report de charges, numéro d'appel... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Un numéro vert !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous discutons avec les PME, ainsi que les ETI qui sont exposées à la concurrence internationale et ne peuvent donc augmenter les prix. Nous travaillons à la protection immédiate de ceux qui ont besoin, à moyen terme pour réduire l'inflation et à long terme sur une politique de l'offre favorable à notre compétitivité. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du RDSE)

M. Jean-François Husson.  - Monsieur le ministre, vous voulez parler avec les fournisseurs d'énergie ? Vous en avez un sous la main : EDF. Mettez-vous au travail ! Nous payons les choix funestes faits depuis dix ans en matière de nucléaire ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

Nous avons besoin d'une vision énergétique stratégique. Il faut travailler sur les énergies renouvelables et l'autonomie énergétique. Cela améliorera notre balance commerciale.

TPE, PME, ETI, grandes entreprises : toutes ont besoin d'un soutien adapté. La France a besoin d'un État fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Difficultés des boulangers face à la crise énergétique (II)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains) Récemment, la baguette française était inscrite au patrimoine mondial immatériel de l'Unesco. Serait-elle menacée ?

Les maires nous alertent sur les graves difficultés rencontrées par les boulangers dont les factures d'électricité explosent. Certes, ils peuvent bénéficier de l'amortisseur, du report de leurs charges, de l'étalement du paiement de leurs factures, du plafonnement des tarifs. C'est une bonne chose, mais ces dispositifs sont complexes et ne s'appliqueront qu'à la fin du mois. Or la hausse des matières premières atteint 30 % et ne peut être répercutée sur les prix. De nombreux boulangers sont au bord du dépôt de bilan. C'est dramatique pour nos territoires, car la boulangerie est souvent le dernier commerce qui reste en zone rurale. Je vous appelle à travailler de concert avec les régions qui ont la compétence économique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique .  - Que M. Husson se rassure (exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) : je n'ai pas de goût pour la fainéantise, et je reçois EDF au moins chaque semaine.

Madame Morin-Desailly, nous demandons aux boulangers d'aller sur leur site dédié ou sur impots.gouv.fr afin de se déclarer comme TPE et d'indiquer qu'ils souhaitent bénéficier du tarif moyen garanti. Leurs anciens contrats seront immédiatement résiliés. Si cela ne suffit pas, il y a le guichet unique, l'amortisseur et le report des charges.

Reste les ETI, exposées à la concurrence internationale. À Charleville-Mézières, une entreprise fabrique des plateaux en aluminium pour refroidir les voitures écologiques. Son client allemand refuse toute augmentation de prix, menaçant de se fournir ailleurs. Notre industrie ne doit pas sortir affaiblie de cette crise énergétique. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Colette Mélot applaudit également.)

Service universel de La Poste (I)

Mme Marie-Claude Varaillas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) J'aurais pu vous adresser ma question par La Poste, monsieur le ministre, mais j'aurais dû prendre mon mal en patience avec le timbre vert, livré à J+3, ou scanner ma lettre et la télécharger sur le site internet de La Poste, autorisant cette dernière à lire ma correspondance confidentielle.

Le timbre rouge n'est plus et vous entendez faire passer cela « comme une lettre à La Poste » -  expression vouée à disparaître  - , alors que c'est un pas de plus vers la désagrégation du service public.

Or la fracture numérique touche 13 millions de Français.

En outre, dans 70 communes, la réduction de la tournée du facteur va être expérimentée. Or un facteur noue des liens humains avec les habitants, notamment les plus fragiles. Tout ce qui nuit aux liens sociaux abîme la démocratie. La machine à exclure tourne à plein régime.

Quand allez-vous arrêter cette casse du service public et entendre qu'il n'est pas voué à être rentable ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ainsi que du GEST, du RDSE et sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications .  - Nous sommes très attentifs à l'évolution de la politique courrier du groupe La Poste. Les récentes évolutions ont suscité des inquiétudes légitimes chez certains.

Cela dit, les usages ont évolué : un Français envoyait 45 lettres prioritaires en 2010, cinq en 2021. (M. Pierre Laurent proteste.) Par ailleurs, ces évolutions permettraient d'économiser 60 000 tonnes de CO2 par an (protestations à gauche et sur quelques travées du groupe Les Républicains), grâce à l'arrêt du transport aérien pour le courrier dans l'Hexagone.

Les timbres rouges achetés avant la fin de l'année restent valables. De plus, la présence du facteur six jours sur sept n'est pas remise en cause. Tout usager pourra se faire conduire au bureau de poste à tout moment par un facteur. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE) La lettre Services Plus et la lettre verte restent disponibles.

Madame la sénatrice, l'expérimentation que vous avez évoquée ne remet pas en cause la présence du facteur tous les jours. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marie-Claude Varaillas.  - Après l'hôpital, le rail, l'énergie, la disparition du timbre rouge symbolise le démantèlement de nos services publics, patrimoine de ceux qui n'en ont pas. C'est l'ensemble du système de solidarité qui est remis en cause, sous les injonctions de Bruxelles. Allez-vous enfin entendre les Français ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; Mme Sonia de La Provôté applaudit également.)

Soutien aux TPE et PME face à la hausse du prix de l'énergie

M. Didier Rambaud .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) L'année change, les défis demeurent. Nous sommes tous interpellés par les élus locaux sur la crise énergétique. Être entrepreneur demande beaucoup de sang-froid et d'abnégation, plus encore par les temps qui courent.

À l'image des boulangers, rares survivants du commerce de proximité, particulièrement touchés, de nombreux professionnels n'arrivent pas à identifier les aides auxquelles ils peuvent prétendre ni les décrypter.

Une voix à gauche.  - Parce que ce n'est pas clair !

M. Didier Rambaud.  - Les aides disponibles sont considérables, mais sont-elles efficaces ? Sont-elles suffisantes ? Suffisamment connues ? Comment l'État entend-il accompagner les professionnels pour faciliter leurs démarches ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; plusieurs « Allô, allô » sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - Nous nous adaptons à une situation particulièrement difficile en mobilisant 12 milliards d'euros. Plus vous êtes petit, plus vous êtes exposé, plus vous êtes protégé. Comme près de 80 % des boulangers dépassent les 36 kVA de puissance, ils bénéficieront du prix garanti en cochant une case sur le site de leur fournisseur ou sur le site des impôts. Cela se traduira sur leur facture dans les prochaines semaines. Si cela ne suffit pas, l'amortisseur s'enclenchera.

Je répondrai aussi à M. Husson...

M. le président.  - On ne répond pas à toutes les questions ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et SER)

M. Jean-François Husson.  - Expliquez cela aux boulangers !

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Je passe mon temps à expliquer les aides. Elles sont simples.

Les artisans peuvent aussi se tourner vers leur expert-comptable en cas de doute. Travaillons tous ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Réforme des retraites (III)

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE ; Mme Monique de Marco applaudit également.) Hier soir, en écoutant la Première ministre, j'ai pensé à certains de mes amis : l'une, depuis quarante ans dans l'agroalimentaire, devra travailler un an et trois mois de plus ; l'autre, charpentier, plusieurs mois de plus ; le dernier, qui vient de perdre son emploi à 60 ans, verra son assurance chômage se réduire et la perspective de la retraite s'éloigner.

Vous faites payer votre réforme idéologique par ceux qui travaillent depuis longtemps, dans des métiers difficiles et précaires. Vous ne demandez aucune contrepartie aux employeurs. Vous refusez obstinément de mobiliser les gains faramineux de certains.

Pourquoi maltraiter à ce point les travailleurs, alors que vous dites défendre la valeur travail ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - La réforme est nécessaire pour sauver notre système par répartition. Mais il faut la faire avec le plus de justice possible.

Durant la concertation menée depuis plusieurs mois, j'ai travaillé avec tous les partenaires sociaux et tous les groupes politiques. (Protestations sur les travées du groupe SER) Malgré les désaccords sur l'âge, des convergences sont apparues sur la question de la pénibilité : assouplissement du compte personnel de prévention, création d'un congé de reconversion, engagement d'un travail sur les horaires de nuit, le port de charges, les postures pénibles, les vibrations. Nous consacrerons 1 million d'euros sur cinq ans à la prévention. Un suivi médical renforcé pourra ouvrir droit à un départ anticipé.

Pour les carrières longues, le départ à 58 ans pour ceux ayant cotisé cinq trimestres avant 16 ans est maintenu, de même que le départ à 62 ans pour ceux ayant cotisé cinq trimestres avant 20 ans. Nous créons aussi, notamment pour les apprentis, une possibilité de départ à 60 ans pour ceux ayant cotisé cinq trimestres avant 18 ans.

J'espère que vos amis sont imaginaires (Mme Monique Lubin le dément), car le principal décalage qu'ils vont subir est dû à l'augmentation des cotisations que vous avez votée en 2013. Vous avez perdu le sens de la raison et de la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; vives protestations sur les travées du groupe SER)

Mme Monique Lubin.  - Que les reproches que vous adressez à ma famille politique sont doux à mes oreilles ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains) J'ai quelques souvenirs dans les Landes, avec Henri Emmanuelli, que vous aimiez beaucoup à l'époque. (Applaudissements à gauche)

Selon le COR, la part des retraites dans le PIB se maintient à 14 % : le système n'est pas en danger. C'est vous qui avez supprimé les critères de pénibilité en 2018, à votre arrivée au Gouvernement. (Applaudissements à gauche) Vous faites payer votre réforme par les seuls salariés, et en particulier les plus modestes.

Mes amis ne sont pas imaginaires. Après avoir travaillé 42 ans, un an de plus, c'est un an de trop ! (Applaudissements nourris sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST)

Marché de l'électricité dans l'Union européenne

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également.) Depuis un an, notre pays traverse une crise énergétique effroyable. Le Gouvernement allume des contre-feux, pour 24 milliards d'euros en 2022, et 43 milliards d'euros en 2023 ; mais ces outils sont mal calibrés et insuffisants. Vous arrosez le sable avec de l'eau, alors que la solution structurelle est européenne.

L'état de guerre, avec la disparition du gaz russe, a pulvérisé le marché européen de l'énergie. Tirons-en les conséquences. Il faut abolir immédiatement les mécanismes européens de concurrence qui définissent l'architecture des prix de l'électricité. Or de conseil européen en conseil européen, nous ne voyons rien venir.

À défaut d'un règlement définitif, demandez des dérogations immédiates. D'autres l'ont fait, même largement interconnectés. C'est urgent, nous ne pouvons plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique .  - Nous avons agi au service des ménages, des entreprises et des collectivités, de telle sorte que la France leur offre les prix les plus bas d'Europe. Ce n'est pas qu'une politique du chèque : grâce à la contribution sur la rente inframarginale des producteurs d'électricité, la contribution de l'État est proportionnée.

La concertation doit aussi se faire au niveau européen, en effet. Nous subissons un véritable acte de guerre, car 40 % du gaz consommé en Europe vient de Russie et 22 % de la production d'électricité dépend du gaz. La situation de notre parc nucléaire nous rend dépendants. (On se récrie sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous devons en tenir compte.

Tout ce qui nous permet de passer cette crise avec des prix inférieurs à ceux prévus tient à nos décisions. La Commission européenne présentera au cours de ce trimestre des propositions, dans le sens que vous appelez de vos voeux. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Sophie Primas.  - Je rêve d'une France forte en Europe - nous étions ce pays capable d'imposer des décisions. Il y a urgence : quand le marché de l'électricité sera enfin réformé, nous aurons dépensé des milliards ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Chlordécone aux Antilles

M. Victorin Lurel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Compte tenu de la gravité du sujet et de son caractère interministériel, ma question s'adresse à la Première ministre ; elle porte sur le non-lieu prononcé le 2 janvier dernier à propos de la contamination au chlordécone. Je respecte les décisions de justice mais celle-ci constitue un indéniable déni qui risque d'allumer des brasiers. Il n'y aurait ni coupable ni responsable ? Au scandale d'État s'ajoute le scandale judiciaire. L'État est coresponsable de cette tragédie et doit en être comptable.

Quarante-six ans après les premières alertes et seize ans après les premières plaintes, vous ne pouvez rester indifférente. Êtes-vous prête à mobiliser le Parquet, à créer un fonds d'indemnisation comme pour l'amiante, à soutenir la recherche et la décontamination des sols ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Catherine Conconne.  - Bravo !

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Je constate comme vous la décision prise librement par les autorités judiciaires. Un membre du Gouvernement ne peut qu'en prendre acte. L'ordonnance pointe néanmoins une responsabilité collective. La responsabilité de l'État a été reconnue pour la première fois en 2018 par le Président de la République.

Notre priorité est de protéger la santé, d'aider les secteurs économiques touchés et de renforcer la recherche.

Plusieurs avancées fortes ont déjà été obtenues, telles que la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle, l'analyse gratuite du taux de chlordécone dans le sang, l'analyse des sols, la dépollution.

En décembre, les nombreuses avancées ont été portées à la connaissance de tous. Mais il reste beaucoup à faire. Je note vos propositions avec attention. Je me rends en Martinique dès demain, en partie pour cela. La coordinatrice chlordécone m'accompagnera. (MMAlain Richard et François Patriat applaudissent.)

M. Victorin Lurel.  - Je regrette que la Première ministre ne m'ait pas répondu. La réponse du ministre est celle d'un communicant.

Le cadre est sous-financé : une enveloppe de 10,8 millions d'euros par an, contre 12 millions en 2010 et 13 millions en 2016, c'est insuffisant. Nous voulons bénéficier du préjudice d'anxiété, comme les victimes de l'amiante. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Crise du système de santé

M. Alain Milon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Président de la République veut reconstruire le système de santé. Une réforme globale de l'organisation des soins est nécessaire pour restituer une attractivité perdue et refonder un système innovant.

Hélas, ses déclarations appellent plus de questions qu'elles n'apportent de solutions.

Le financement est totalement absent. Sortir de la tarification à l'activité (T2A) pour lui substituer une rémunération basée sur des objectifs de santé publique sans critère populationnel défini, cela laisse perplexe. C'est sonner le glas de l'hôpital. Pendant trois ans, l'Assurance maladie paiera les 6 000 assistants médicaux : qui ensuite ? Actuellement, ils sont 4 000 et coûtent 160 millions d'euros.

Réformer la médecine de ville ne suffira pas pour faire face à la crise des vocations. Il faut refonder les financements entre la sécurité sociale et les mutuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention .  - Le 6 janvier, le Président de la République a annoncé devant les soignants un nouveau cap pour notre système de santé, avec un diagnostic lucide et un changement de méthode, se fondant non plus sur l'offre de soins mais sur les besoins de santé. Beaucoup a été fait, avec le Ségur et la suppression du numerus clausus.

Nous devons aller plus loin, plus vite, pour répondre aux défis qui se posent non seulement à la France mais à tous les pays industrialisés.

Il faut sortir d'une logique concurrentielle pour travailler en complémentarité entre l'hôpital et la médecine de ville, les hôpitaux et les cliniques, les médecins et les paramédicaux.

Redonner du temps médical est un enjeu majeur, car la suppression du numerus clausus n'aura pas d'effets tout de suite.

Les maisons de santé pluriprofessionnelles, l'intégration des administrateurs au sein de l'hôpital y participeront. Nous devons raisonner territoire par territoire.

Il faut réformer le financement et sortir de la T2A pour mieux répondre aux besoins de santé, en fonction de la qualité et de l'efficience.

Ce sont des engagements forts envers nos concitoyens et nos soignants. Les échéances sont courtes et vous pouvez compter sur ma mobilisation. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)

M. Alain Milon.  - Ces propositions, nous les avons faites depuis des années ! Rien de nouveau. Ce Gouvernement n'a aucune vision réellement alternative. En voici une : les soins primaires, le panier de soins réguliers, un pilotage fort et décentralisé, une réflexion globale sur le financement, et notamment les dépenses... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Service universel de La Poste (II)

M. Pierre-Antoine Levi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Pierre Médevielle applaudit également.) Comme Mme Varaillas, je me demande où va le service postal. Depuis le 1er janvier, le timbre rouge n'est plus commercialisé : il faut faire scanner sa lettre, l'envoyer par internet, avant qu'un employé de La Poste ne l'imprime et ne l'envoie. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Quid de la confidentialité ? Sans compter que l'illectronisme touche 14 % de nos concitoyens... Certes, ils pourront se rendre au bureau de poste pour envoyer leur lettre, mais il leur faudra alors utiliser un automate !

À partir de mars, le courrier sera distribué un jour sur deux, voire sur trois. L'expérimentation en cours risque d'être généralisée. Cela pourrait bien aboutir à la suppression de nombreux emplois.

Allez-vous laisser ce service public se déliter ? Agissez avant que nous ne devenions tous timbrés ! (Sourires ; applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes SER et CRCE)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications .  - Je ne reviens pas sur les constats qui ont conduit La Poste à faire ces choix. Le Gouvernement est très attaché à l'universalité du service postal. La présence du facteur est maintenue six jours sur sept, et les personnes pourront se faire accompagner par des facteurs dans les bureaux de poste. Les services de lettre verte resteront assurés. Les expérimentations en cours dans 78 communes testent de nouveaux modes d'envoi.

Mais je ne peux laisser dire que ce Gouvernement se désintéresse de la fracture numérique : 2 600 maisons France Services, 4 000 conseillers numériques ayant accompagné 1,3 million de Français... (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER)

Une voix à gauche. - Et les trésoreries ?

M. Max Brisson.  - Et La Poste ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Soyez convaincu que ce Gouvernement est attaché à la résorption de cette fracture. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)

M. Pierre-Antoine Levi.  - Je ne suis pas convaincu. La Poste ne distribue le courrier que quatre ou cinq jours par semaine. Les territoires sont inquiets. Qu'allez-vous faire pour éviter le délitement de ce service public ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur quelques travées des groupes SER et CRCE)

Influence française en Afrique

M. Hugues Saury .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Fin décembre, les autorités de Ouagadougou ont demandé le départ de l'ambassadeur de France sous d'obscurs prétextes. Cela rappelle le scénario du Mali et de la Centrafrique. La France est désormais indésirable là où elle a tant oeuvré.

Malgré le sacrifice de 53 de ses militaires et une large aide publique au développement (APD), jamais la France n'a été autant rejetée dans toute l'Afrique. Nos compatriotes en subissent les effets. Les parts de marché de la France ont fondu de moitié depuis les années 2000. La France n'est plus le premier partenaire commercial d'aucun pays du Maghreb. Le français est menacé par l'anglais jusque dans les programmes scolaires, voire cesse d'être une langue officielle, comme au Rwanda.

Avec ses formidables atouts humains et naturels, l'Afrique est un continent d'avenir, mais si nous ne voulons pas qu'elle écrive son histoire sans la France, nous devons remettre à plat notre stratégie. Comment le Gouvernement entend-il enrayer le déclin de l'influence française en Afrique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - En Afrique comme ailleurs, la manipulation de l'information ne cesse de prendre de l'ampleur. La France est visée par des campagnes qui n'ont rien de spontané. Je remercie la secrétaire d'État aux partenariats internationaux qui s'est rendue au Burkina Faso hier.

Nous opérons un triple changement en Afrique. Nous changeons de contenu, pour mieux expliquer nos partenariats, et nous soutenons ceux qui luttent contre la désinformation. Nous changeons de support, en étant partout présents, y compris sur les réseaux sociaux où se forment les opinions publiques. Nous changeons d'échelle en augmentant le volume de notre production.

Tout cela se fait en complément de nos relations humaines et économiques, qui changent elles aussi.

Nous sommes pleinement mobilisés. J'étais à l'instant avec le Président de la République, qui recevait le Président des Comores ; je me rendrai bientôt à Addis Abeba, siège de l'Union africaine. Nous sommes actifs, vous le voyez. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Pénurie de médicaments

Mme Émilienne Poumirol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST) La pénurie de médicaments, inexistante dans les années 2010, est devenue un problème de souveraineté et de sécurité nationales.

Nous achetons à la Chine plus de 80 % des matières premières ; moins de 40 % des médicaments sont fabriqués en Europe. Pourtant, dans le « monde d'après », tout devait être différent, disait le Président de la République....

À l'hôpital, certains anticancéreux manquent, obligeant à sélectionner les patients. C'est une perte de chance inacceptable. Les pharmaciens distribuent paracétamol ou amoxicilline au compte-gouttes.

Quelle est votre stratégie, monsieur le ministre, pour retrouver une production en France ou du moins en Europe ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST)

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention .  - Je partage en partie votre diagnostic. Deux années de crise sanitaire ont bouleversé notre consommation et créé des problèmes d'anticipation.

Nous observons une hausse de la consommation de 13 % du paracétamol en France, comme à l'échelle mondiale.

Notre système d'alerte nous permet d'anticiper, grâce au suivi de nos stocks stratégiques. Mais je comprends les inquiétudes, tout en saluant la mobilisation des pharmaciens.

Nous avons agi tôt en interdisant les exportations ; nous contingentons les stocks, les répartissons, échangeons avec les laboratoires et priorisons certaines formes de médicaments. Nous avons autorisé la reproduction d'amoxicilline par certains laboratoires.

Nous reconstruisons notre souveraineté industrielle, mais cela prend du temps. Nous investissons via le plan de relance et France 2030 pour produire du paracétamol, des masques, des gants, des médicaments dérivés du sang avec une nouvelle usine à Arras. Nous faisons notre maximum pour que les Français disposent des médicaments nécessaires. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Mme Émilienne Poumirol.  - Ne vous cachez pas derrière la crise. Notre groupe propose plusieurs solutions, comme le renforcement de nos capacités de production publique, avec la réquisition d'entreprises ou la mobilisation des pharmacies centrales des hôpitaux.

Les industriels se plaignent d'un prix trop bas des médicaments ? Jouons cartes sur table sur la fixation des prix, protégée par le secret des affaires, pour tenir compte des aides publiques directes ou indirectes.

Pour construire une véritable indépendance de la production, il faut une politique forte et volontariste. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Filière automobile électrique

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'édition 2023 du CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas a vu le PDG de Stellantis lancer une nouvelle charge contre les prix très bas des constructeurs automobiles chinois. Trois producteurs chinois prévoient en effet d'exporter un million de véhicules vers l'Europe en trois ans et construisent déjà l'outil de distribution nécessaire.

Les véhicules électriques progressent, avec une hausse de 46 % d'immatriculations en 2021, mais 80 % de ces véhicules sont importés. Comme le dit la presse, le loup chinois est dans la bergerie : la Chine, c'est 50 % de la valeur totale d'un véhicule électrique, 75 % de la chaîne de valeur des batteries, 90 % des moteurs électriques produits dans le monde.

Dans cette bataille, quelles sont nos armes ? Allez-vous sortir de la tranchée pour engager une guerre de mouvement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Sonia de La Provôté et Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique .  - Nous sommes favorables à la guerre de mouvement (marques de satisfaction à droite), qui prend une forme offensive et défensive.

L'offensive, c'est une industrie de voitures électriques performantes. (Mme Sophie Primas objecte.) Nous avons décidé il y a quatre ans de mettre en oeuvre une filière de batteries électriques et deux usines vont ouvrir, avec pour objectif de produire l'équivalent de 100 à 20 gigawatts de puissance ; nous voulons ouvrir une mine de lithium et diversifier les approvisionnements ; concernant les semi-conducteurs, nous avons obtenu l'investissement de GlobalFoundries. Au bout du compte, nous produirons des véhicules électriques sur le sol français.

Jusqu'où aller dans le volet défensif ? Faut-il réserver les aides aux véhicules produits en France ?

Plusieurs voix à droite.  - Oui !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Faut-il intégrer dans l'ajustement carbone aux frontières non seulement l'acier ou l'aluminium mais des biens manufacturés comme des véhicules ? Nous n'avons pas la réponse mais nous avons l'audace de poser les bonnes questions. Nous en reparlerons dans le cadre du projet de loi de réindustrialisation verte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

Mme Christine Lavarde.  - Vous aviez dit en octobre qu'il fallait réserver les aides aux véhicules produits en Europe. Mais dans le projet de loi de finances, vous n'avez pas suivi le Sénat qui proposait de diminuer de 500 millions d'euros les aides à l'achat de véhicules chinois ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

TVA pour la filière équine

M. Jean Pierre Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La filière équine représente plus de 11 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 66 000 emplois directs ; elle est présente dans 91 % des cantons. L'équitation, c'est 2 millions de pratiquants et 700 000 licenciés, c'est le premier sport féminin. C'est aussi des ressources pour l'État, avec 827 millions d'euros via les paris hippiques et 295 millions d'euros de TVA.

Dans la difficile période actuelle, ce n'est pas un luxe mais un volet de l'économie et une passion pour de nombreux compatriotes.

La filière se bat depuis plus de dix ans pour un taux de TVA plus conforme à la nature agricole de l'activité -  en Irlande, concurrente directe des éleveurs français, le taux est de 4,1 %. Le Sénat avait voté un taux réduit dans la dernière loi de finances, mais le Gouvernement ne l'a pas retenu.

Le Président de la République a obtenu en 2022 la révision de la directive TVA pour revenir au taux réduit de TVA antérieur. Quand et comment le Gouvernement donnera-t-il à la filière équine un cadre fiscal garantissant sa pérennité et son développement, ainsi que le respect de la parole donnée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Françoise Gatel et Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - Le taux réduit de 5,5 % est réservé aux besoins de première nécessité. En généraliser le bénéfice à toutes les ventes et prestations relatives aux équidés ne serait pas équitable par rapport aux autres filières.

L'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE) dispose d'un budget de 43 millions d'euros, qui témoigne de l'engagement de l'État.

Nous continuons à accompagner la filière dans la valorisation de ses savoir-faire.

Le tourisme équestre rassemble un million de pratiquants. (M. François Patriat applaudit.)

M. Jean Pierre Vogel.  - Les dispositions actuelles sont insuffisantes ; les distorsions de concurrence entre pays européens entraînent l'annulation de courses et des pertes de recettes pour le PMU, faute de concurrents ! La réforme de la TVA pour la filière équine est urgente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Françoise Gatel et Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)

La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 40.

Crise du système de santé

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : « La crise du système de santé ».

Mme Patricia Schillinger .  - Nous la souhaitons à tous le 1er janvier : la santé, qui est au coeur de nos vies, doit demeurer au centre de nos politiques publiques.

La triple épidémie à laquelle nous faisons face nous rappelle le rôle essentiel des professionnels de santé. Or le constat est alarmant : trop de Français n'ont pas de médecin traitant, trop de professionnels sont surmenés, trop de services d'urgence surchargés.

De nombreuses mesures ont déjà été prises : 19 milliards d'euros ont été consacrés par le Ségur à des revalorisations de 180 à 400 euros par mois, le nombre de places ouvertes aux infirmiers et infirmières a été augmenté, le champ de compétences de certains professionnels a été élargi, les infirmiers en pratique avancée (IPA) montent en puissance. Ces outils pansent les plaies pour un temps, mais beaucoup reste à faire.

Assurer l'égal accès aux soins est un enjeu essentiel. Chacun doit pouvoir être soigné près de chez lui, en même temps qu'il faut répondre au surmenage des professionnels de santé. Certes, c'est un travail d'équilibriste...

C'est ce que nous disions, Philippe Mouiller et moi-même, dans notre rapport « Les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action ». Nous proposions des pistes d'amélioration de l'accès aux soins, fondées sur les collectivités territoriales. En dépit de leurs moyens limités, nombre d'entre elles mettent en oeuvre des solutions : centres de santé, maisons de santé pluridisciplinaires, développement de la médecine ambulatoire et de la télémédecine...

Plusieurs mesures annoncées par le Président de la République vont dans ce sens : amélioration des conditions de vie des soignants, suppression du plafond de 20 % pour les téléconsultations - un outil indispensable, même s'il n'est pas une solution unique -, engagement pris auprès des 600 000 patients souffrant d'une maladie chronique d'avoir un médecin attitré.

Nous devons aussi travailler sur les rendez-vous non honorés, car le temps médical est précieux, et alléger les tâches administratives des soignants.

Un enjeu d'importance perdure : la permanence des soins. À cet égard, je suis convaincue que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) joueront un grand rôle. De nombreuses discussions ont été menées sur ce sujet dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR) en santé.

Madame la ministre, quelles sont les premières solutions envisagées pour favoriser l'égal accès aux soins et la permanence des soins ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Je présente à l'ensemble du Sénat mes meilleurs voeux - notamment de bonne santé.

La coordination entre collectivités territoriales, soignants, agences régionales de santé (ARS) et État est nécessaire pour répondre aux besoins de santé de nos concitoyens. Comme ministre de l'organisation territoriale de la santé, je connais la forte volonté des élus locaux de répondre à la demande en santé. C'est en partant du local que nous y parviendrons.

Dans le cadre du volet santé du CNR, près de 300 réunions ont eu lieu. Avec François Braun, nous présenterons fin janvier ou début février le résultat de la concertation, en complément des mesures annoncées par le Président de la République lors de ses voeux aux acteurs de la santé.

Ensemble, nous répondons aux besoins de santé de nos concitoyens en réformant aussi bien l'hôpital que la médecine de ville.

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Laurence Cohen applaudit également.) Nombre de nos compatriotes s'interrogent : dans un pays qui consacre 55 % de sa richesse à la dépense publique, soit neuf points de plus en vingt ans, comment est-il possible que la justice, le système ferroviaire et la santé soient en pareil état ? Une réponse s'impose. (M. Roger Karoutchi marque son assentiment.)

En réalité, ce qui a progressé en vingt ans, ce sont les transferts aux ménages et aux entreprises. Le financement des services publics, lui, a régressé, au point de ne représenter plus qu'un tiers de la dépense totale.

La santé n'a échappé que très partiellement à ce sous-financement, alors que la population âgée de plus de 60 ans a progressé de plus de 30 %. Résultat : nous consacrons moins de moyens à la santé aujourd'hui qu'à la fin du septennat de Valéry Giscard d'Estaing...

Nous pouvons gloser à l'envi sur la gouvernance, la répartition des tâches, la conception du système : tant que nous ne sortirons pas du cadre actuel, nous ne ferons que gérer une pénurie. Le budget de la sécurité sociale en témoigne : pour la première fois depuis qu'il existe, l'Ondam est inférieur à l'inflation.

Voilà six ans, j'étais à l'Élysée pour la présentation du plan « Ma santé 2022 ». À l'époque, j'ai applaudi. Mais la semaine dernière, le Président de la République a présenté les mêmes propositions, six ans plus tard... (Mme Catherine Deroche le confirme.) Ainsi de la réforme de la T2A : nécessaire, elle n'a pas été menée durant toutes ces années. Le covid n'explique pas tout, loin de là.

La santé est une politique essentielle. Nous devons préserver un haut niveau de soins et travailler en faveur de l'égalité d'accès. Pour cela, sortons de la gestion de la pénurie pour impulser un nouvel élan en faveur des politiques de santé ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST ; Mme Catherine Deroche, MM. Alain Milon et Yves Bouloux applaudissent également.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Depuis 2017, le budget consacré à la santé a augmenté de 53 milliards d'euros, pour dépasser 240 milliards d'euros - soit 40 % d'augmentation. Durant deux années de suite, aucune économie n'a été faite sur l'hôpital.

Je vous rejoins : il faut mettre les moyens au bon endroit et au bénéfice des bonnes personnes. Nous devons fidéliser les soignants, rendre les métiers attractifs. D'où le rattrapage sur les salaires, à hauteur de 12 milliards d'euros, mais aussi les 19 milliards d'euros mobilisés pour l'investissement.

La réforme de la T2A, annoncée en 2018, a été repoussée en raison de la crise sanitaire. (Marques d'ironie à gauche)

M. Bernard Jomier et Mme Émilienne Poumirol.  - C'est trop facile !

Mme Laurence Cohen .  - Lors de la présentation de ses voeux aux personnels de santé, le Président de la République a reconnu qu'il fallait réorganiser le système de santé, mais sans annoncer de moyens supplémentaires. Pourtant, l'hôpital est à l'agonie, et la médecine de ville en grande difficulté.

Emmanuel Macron a fait le constat de l'épuisement des soignants, de l'absence de médecins traitants pour de nombreux Français, de la démission de nombreux élèves infirmiers : autant de problèmes que nous dénonçons de longue date, sans que le Gouvernement nous entende.

Le chef de l'État continue dans la même veine, préconisant les mêmes remèdes qui ont aggravé les maux de notre système de santé. Il promet 10 000 postes d'assistants médicaux d'ici 2024, mais sans contraindre les médecins libéraux à s'installer dans les zones tendues. Il préfère une politique d'incitation inefficace à la suppression du décret Mattei de 2002 ; nous voulons rétablir l'obligation de permanence pour les généralistes comme les spécialistes.

Face à la triple épidémie actuelle, qui aggrave le désarroi des soignants, on aurait pu espérer que le Président de la République réponde différemment. Les 35 heures auraient désorganisé l'hôpital ? Parlons plutôt des embauches prévues dans ce cadre qui n'ont pas été réalisées...

Depuis 2017, 21 000 lits ont été supprimés. Un plan de recrutement doit être mis en place rapidement pour 100 000 emplois, comme le demandent les syndicats. Il faut revenir sur Parcoursup, sur le numerus apertus et augmenter les capacités de formation des universités.

Développons des centres de santé partout sur le territoire, en leur donnant les moyens nécessaires.

Il ressort des auditions menées par la commission des affaires sociales que l'hôpital souffre de déshumanisation et de l'hérésie de l'hôpital-entreprise. Il faut développer la bientraitance institutionnelle. La création d'un tandem administratif et médical à la tête des établissements est bienvenue, mais il faut renforcer la présence des usagers et des personnels dans les conseils d'administration, avec droit de veto sur les budgets et les projets d'établissement.

Cessons aussi de voter chaque année un budget insuffisant lors du PLFSS.

Madame la ministre, allez-vous enfin financer l'assurance maladie à la hauteur des besoins ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe SER)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Vous avez raison, la crise est multifactorielle. Nous devons refonder notre système de santé, en nous attachant à ses deux jambes : l'hôpital et la médecine de ville.

Depuis 2017, le budget de la santé a augmenté de 20 %. Je répète les chiffres déjà donnés : 12 milliards d'euros pour les salaires - certes, il ne s'agit que d'un rattrapage - et 19 milliards d'euros pour les investissements.

L'année dernière, l'APHP a embauché 2 200 infirmiers, mais, dans le même temps, 2 800 sont partis...

Mme Laurence Cohen.  - Et pourquoi ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Nous devons fidéliser le personnel en travaillant sur la qualité de vie au travail, en repensant les emplois du temps, en tenant, nous tous, un discours positif sur ces métiers auprès des jeunes.

Les indemnités de nuit ont été prolongées dans le cadre de la mission flash sur les urgences.

Mme Laurence Cohen.  - Si vous faites tout bien, pourquoi une telle situation ? La réalité de votre politique, c'est 1,7 milliard d'euros en moins pour le budget de la santé. L'argent existe : les exonérations de cotisations patronales, qui ne créent aucun emploi, coûtent 70 milliards d'euros par an, alors que les besoins supplémentaires sont estimés à 10 milliards d'euros. C'est une question de choix politiques. Voyez les mouvements contestataires qui se développent partout, et cessez de mettre le système à genoux ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que du GEST)

Mme Jocelyne Guidez .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) William Arthur Ward disait : « Le pessimiste se plaint du vent, l'optimiste espère qu'il va changer, le réaliste ajuste ses voiles. »

Soins déprogrammés, postes vacants, burn-out : voilà une triste litanie. Alors que la demande de soins augmente du fait du vieillissement de la population, le manque de personnel est chronique. La situation continue de se dégrader.

Consulter un généraliste devient difficile dans un délai raisonnable. Les praticiens s'installent de manière disharmonieuse. Enfin, il existe un déficit d'information auprès des patients, qui se tournent vers les urgences.

Les médecins de ville devraient être incités à s'installer dans les maisons en santé et à assurer des permanences le week-end. Mais d'une région à une autre, les situations sont différentes : d'où le rôle moteur des ARS. Il faut agir, car, à trop attendre, l'approche contraignante finira par s'imposer.

Meilleure coordination des soins, meilleure répartition des compétences et des responsabilités, augmentation des places d'accueil en médecine de ville, développement bien encadré de la télémédecine, réduction des démarches administratives : ce sont autant de pistes.

L'augmentation salariale prévue dans le cadre du Ségur n'a pas débouché sur une augmentation nette des recrutements.

Churchill disait : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge. » Une transformation ambitieuse s'impose !

Madame la ministre, quelle est votre vision réformatrice ? Que prévoyez-vous en matière de prévention ? Comment répondre à la crise des urgences ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Alors que 87 % de la France est un désert médical et que l'hôpital ne va pas bien, il nous faut réformer.

En six mois, j'ai effectué quarante déplacements importants. Nous ne pouvons pas appliquer les mêmes méthodes en Île-de-France et dans la Drôme. Je suis résolument optimiste, car sur les territoires, il y a des politiques qui marchent.

Il faut coconstruire, dans une logique gagnant-gagnant, une nouvelle répartition de la permanence des soins. Sur la base de la feuille de route du Président de la République et des résultats du CNR, nous ferons des propositions en ce sens.

M. Stéphane Ravier .  - Le préambule de la Constitution de 1946 énonce que la Nation garantit à tous la protection de la santé. Mais ça, c'était avant...

« Ma santé 2022 » et les autres plans masquent le saccage de notre système de santé, jadis envié par le monde entier.

Vous avez fermé 4 300 lits en 2021 et 5 700 en 2020, au coeur de la pandémie. En cinq ans, 21 000 lits ont été supprimés, après 10 000 fermetures sous Hollande et 37 000 sous Sarkozy. En vingt ans, nous avons ainsi perdu 100 000 lits, alors même que la population vieillit.

Les déserts médicaux touchent campagnes et villes, et jusqu'aux hôpitaux eux-mêmes. Les personnels sont essorés. Pas moins de 150 patients seraient morts aux urgences depuis début décembre, faute de prise en charge.

Pendant ce temps, la France est le dernier pays européen à ne pas avoir réintégré les soignants non vaccinés.

Ajoutez à cela une pénurie de médicaments, résultat de notre dépendance à la production étrangère.

Quelles actions concrètes envisagez-vous pour creuser les oasis nécessaires au milieu du désert médical national ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Vous parlez d'Europe. Le manque de professionnels touche toute l'Europe, et même au-delà - je pense aux États-Unis. Certes, on ne peut se satisfaire d'une telle réponse, mais l'herbe n'est pas plus verte ailleurs : voyez l'Espagne ou le Royaume-Uni... La feuille de route du Président de la République apporte des solutions.

M. Stéphane Ravier.  - Humble sénateur français, je souhaite simplement que le système de santé français fonctionne. On ne peut pas se contenter de dire : ailleurs, c'est pire ! Faisons preuve d'audace et d'autonomie de réflexion, pour trouver des idées franco-françaises qui améliorent la situation.

M. Jean-Yves Roux .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis trente ans, malgré l'excellence de notre système de santé, la situation se détériore. Nombre de patients ne trouvent plus de médecins. Tout le système doit se réinventer.

Le Président de la République a formulé des propositions. Mais certaines semblent complexes : ainsi, comment les 600 000 malades chroniques trouveront-ils les médecins pertinents ? Le pré-adressage est essentiel. Il faut mettre en oeuvre rapidement les plateformes d'accès aux soins. Nous devons aussi généraliser les plateaux techniques avec des infirmiers en pratique avancée.

L'ouverture le week-end des maisons médicales est tout aussi importante. Les rendez-vous médicaux non honorés doivent être sanctionnés, car ces créneaux sont des trésors.

En agissant avec les élus locaux, dans la collégialité, nous devons favoriser l'installation des jeunes médecins. La cassure territoriale survient dès la première année de l'internat. Nous proposons donc la création de lycées en santé, sur le modèle des lycées agricoles, l'élargissement des interfaces de prévention santé insertion (Ipsi) et la création de petits centres médicaux dans les territoires. Les collectivités locales sont prêtes.

Nos territoires sous-dotés ont dû investir dans des médecins intérimaires hospitaliers. Nous ne cautionnons pas ce système, mais il faut faire avec l'existant. Le Conseil constitutionnel a limité le recours à ces professionnels. Comment les hôpitaux tiendront-ils s'ils sont désertés par les intérimaires ? Pourquoi ne pas créer des postes fixes ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - L'urgence, ce sont les 600 000 malades chroniques sans médecin traitant. Nous travaillons avec la Cnam et avec les médecins pour que d'ici la fin de l'année, chacun se soit vu proposer un médecin traitant. Ce sera gagnant-gagnant, car un patient en affection de longue de durée qui décompense finit souvent aux urgences.

Il faut faire évoluer le parcours des infirmiers, sachant que le taux de fuite est de 30 % en première année et de 20 % à la fin : 50 % des étudiants ne vont pas au bout de leur parcours, selon l'Igas. Nous ferons des propositions très vite.

Idem sur les rendez-vous non honorés, car nos concitoyens doivent comprendre que la santé n'est pas un bien de consommation comme un autre.

J'ai constaté lors de mes déplacements les initiatives des collectivités territoriales pour attirer des internes et des jeunes médecins, à l'instar de la maison des internes à Morteau, bel exemple de coconstruction entre la collectivité, l'ARS et les soignants.

Sur l'intérim, la loi est votée ; elle sera appliquée dès mars.

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Lors de ses voeux au secteur de la santé, le Président de la République a tenté de fixer un nouveau cap. Après trois années de pandémie, il fallait aller au-delà de l'autosatisfecit presque gênant. Le constat est partagé, mais les annonces manquent de contenu et de crédibilité.

La médecine de ville est en crise : besoins croissants, désertification médicale, pénurie de professionnels, médecins peinant à dégager du temps médical. Face à cela, toujours le même catalogue d'annonces, alors que se déroulent des négociations conventionnelles tendues.

On ferait subitement sauter le seuil de 20 % de consultations à distance ? Mais quelle médecine voulons-nous ? Une médecine sans examen clinique, pratiquée depuis des centres d'appels ? Une médecine à deux vitesses ? La télémédecine est un complément, non un substitut ubérisé à une médecine de qualité.

Il faut embaucher davantage d'assistants médiaux, nous dit le Président. Soit, mais quid du financement ?

Le Président appelle à simplifier et généraliser la délégation d'actes, sans conflit entre les professions. Que signifie « apporter une solution de santé en incitant les acteurs de santé à coopérer entre eux » ? Quid des infirmiers en pratique avancée, à peine cités ?

Les 600 000 malades chroniques se verront proposer un médecin traitant par la Cnam : pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ? Surtout, quel rôle pour le médecin traitant ? Il doit être « la porte d'entrée, non le verrou », nous dit-on... Pourquoi alors la multiplication désordonnée des accès directs ? Comment faire du médecin traitant un pivot ? En Suède, son rôle n'est pas la régulation, assurée par l'infirmier, mais bien le diagnostic médical et la coordination des soins.

À l'hôpital, la crise est tout aussi durable et profonde. Mais le discours présidentiel s'est limité à l'annonce choc relative à la T2A -  qui ne fait que reprendre la proposition de la commission d'enquête du Sénat : un financement mixte, avec une part de dotation populationnelle, un financement lié à la qualité et une part assise sur l'activité.

Cette annonce ne suffira pas ; le vrai problème de la T2A est qu'elle repose sur un tarif qui, en réalité, ne couvre pas les charges des établissements.

On nous annonce un nouveau modèle de financement dès le PLFSS pour 2024, mais le Gouvernement n'a même pas conduit l'expérimentation votée dans la loi de financement pour 2021, ni mis en oeuvre les réformes du financement des soins de suite ou la psychiatrie...

Sortie de la T2A dès le prochain PLFSS, mais rappel de la légitimité de la rémunération à l'activité ? Le verbe présidentiel mérite une exégèse... Surtout, le Président de la République évite soigneusement le sujet de la dépense. Quelle part le Gouvernement veut-il réellement consacrer à l'hôpital ? S'il s'agit seulement de partager autrement le même gâteau, autant ne rien changer !

Le premier engagement à prendre vis-à-vis de l'hôpital est celui de l'humilité. Notre commission d'enquête n'a pas demandé de nouvelle loi sur l'hôpital ni de modification de la gouvernance, mais de la souplesse. Cessons d'annoncer de fausses révolutions. Le vrai sujet, ce sont les effectifs, le recrutement de soignants, l'attractivité des carrières : voilà la réalité de la politique à mener.

Or la feuille de route ne comporte aucune politique structurée ni aucune ambition pour les soignants. « Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots, rien que des mots... » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER)

M. Bernard Jomier.  - Très juste !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Des mots, oui, mais aussi des actes. L'objectif du Gouvernement est bien de faire gagner 15% de temps médical aux médecins, grâce aux assistants médicaux. Le financement est déjà annoncé, et assuré : 36 000 euros la première année, 27 000 euros la deuxième, 21 000 à partir de la troisième année.

Le médecin traitant doit rester la pierre angulaire de notre système de santé - le chef d'orchestre, et non l'homme-orchestre. Mais il ne doit pas non plus être un verrou : puisque six millions de nos concitoyens n'ont pas de médecin traitant, d'autres soignants peuvent devenir une porte d'entrée dans le système.

La pandémie nous a fait gagner quinze ans sur la téléconsultation. Dans certaines spécialités, comme la psychiatrie, les 20 % sont bloquants. Il ne s'agit pas de déréguler, mais la télémédecine peut être un complément utile dans certains territoires.

Le Président de la République n'a pas annoncé la suppression totale de la T2A. Il était impossible de réformer le financement de l'hôpital avec la crise sanitaire. L'objectif est bien de coconstruire la réforme avec les professionnels, en prenant en compte les besoins de la population et la pertinence des soins. Une part de T2A pourra être conservée.

M. Daniel Chasseing .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je salue le travail remarquable des soignants dans des conditions souvent difficiles.

La pandémie a révélé et aggravé les contraintes qui pèsent sur notre système de santé malgré la hausse de l'Ondam. Nous sommes à un tournant : nous ne pouvons plus le laisser se dégrader davantage. L'engorgement des urgences, notamment, est alarmant. Dernier rempart médical pour beaucoup de nos concitoyens, elles risquent d'être embolisées par les soins non programmés que refusent de traiter les médecins. En Corrèze, 10 % de patients en plus se sont rendus aux urgences en 2022.

La régulation doit permettre de distinguer ce qui relève de l'urgence ou pas. Elle repose sur la réorientation : les médecins de ville, assistés par des IPA et des assistants médicaux, devront accepter davantage de soins non programmés. Cela pourrait se faire dans le cadre d'une CPTS, avec une maison de santé.

Il convient également de soulager les urgences en aval, une fois la situation médicale du patient stabilisée. Il est fréquent que les autres services hospitaliers, désormais très spécialisés, refusent des patients ne relevant pas de leur spécialité. Or les urgences, surchargées, ne peuvent conserver les patients. Il faut davantage de services polyvalents en aval, et pour cela, rouvrir des lits qui ont été fermés par manque de personnel. En attendant que la fin du numerus clausus produise ses effets, en 2030, il faut augmenter le nombre d'infirmiers et d'aides-soignants.

Au fur et à mesure que la dépendance augmentera, il faudra davantage de prise en charge. Le plan Grand Âge, avec ses 50 000 emplois annoncés, doit être mis en place rapidement.

Il faudra également un effort massif de formation ; la validation des acquis de l'expérience est une bonne piste.

Depuis la dernière loi de financement de la sécurité sociale, les étudiants doivent effectuer les six derniers mois de la quatrième année d'internat auprès d'un maître de stage, mais il n'y en a pas partout. C'est pourquoi je suggère qu'il puisse être un médecin référent, qui connaît bien la patientèle et saura conseiller et orienter. Un étudiant en thèse doit être payé comme un remplaçant, avec dix consultations maximum par jour.

Un aménagement de cette quatrième année est nécessaire pour irriguer tout le territoire avec des étudiants. Il faut aussi aider les collectivités territoriales à embaucher des médecins salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MMPierre Louault et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Les défis sont nombreux et c'est ensemble que nous trouverons les solutions.

Il faut assurer la gradation dans le recours. C'est par défaut que les urgences sont la seule solution identifiée par nos concitoyens. À cet égard, les services d'accès aux soins mis en place l'été dernier sont une vraie solution. Leur nombre sera doublé.

En amont, nous nous sommes engagés en faveur de la régulation. Un plan massif de formation des assistants de régulation médicale est prévu, et nous avons revalorisé le salaire des médecins régulateurs.

Il faut aussi fluidifier les parcours en aval des urgences. Nous avons réactivé les cellules territoriales de gestion des lits et prévu des mesures dérogatoires. L'assurance maladie pourra rembourser le taxi pour les transports de malades en sortie d'urgences.

La clé réside dans les ressources humaines, qu'il s'agisse de former de nouveaux professionnels ou de convaincre des professionnels de rester.

Mme Mélanie Vogel .  - Notre système de santé n'est plus en crise, car une crise est soudaine et momentanée. Il n'est pas non plus au bord de l'effondrement : il s'effondre sous nos yeux.

Qui aurait pu le prévoir ? Toute personne renseignée ! C'est la conséquence implacable de mauvais choix politiques qui ont coûté des vies, à commencer par celles des plus précaires.

À Saint-Avold, 36 infirmiers sur 38 sont en arrêt maladie : il n'y a plus d'accueil après 19 heures. À Pontoise, c'est 90 % de l'effectif des urgences qui est arrêté. Comment en est-on arrivé là ? Ce n'est pas la faute du covid, de la grippe ou de la bronchiolite. Un système de santé prévient et soigne les maladies. S'il s'effondre parce que les gens tombent malades, c'est parce qu'il s'effondre de lui-même, et donc parce qu'il a été sous-financé.

Je ne peux pas non plus entendre que c'est à cause des 35 heures. Quel mépris vis-à-vis de ceux qui s'épuisent pour honorer leur mission, celle de soigner ! Si pour guérir les autres, il faut se tuer à la tâche, cela n'a plus aucun sens.

La responsabilité incombe à ceux qui ont désinvesti dans l'hôpital public, avec le forfait patient urgences, des salaires de misère, des conditions de travail indignes, la T2A, les déserts médicaux, les fermetures de lits, etc.

Notre système de santé subit depuis des décennies des décisions politiques à courte vue inspirées par une idéologie mortifère selon laquelle les services publics doivent coûter le moins cher possible.

Le pire arrive. Selon un rapport de l'OMS de 2016, 23 % des décès dans le monde sont liés au travail dans un environnement insalubre. Le changement climatique et la perte de biodiversité provoqueront des chocs sanitaires : la pandémie en a été l'une des premières manifestations. Or l'État ne s'est pas doté des outils prospectifs nécessaires.

Les chocs futurs seront encore plus violents que la pandémie. Il faut y songer dès à présent en développant une culture de prévention, d'adaptation et de résilience.

Ces éléments sont directement tirés du rapport de la mission sénatoriale d'information sur la sécurité sociale écologique du XXIe siècle, dont j'étais rapportrice. Qui pouvait prévoir l'impasse où nous sommes ? Tout le monde ici, mais tout le monde n'a pas été au pouvoir pour l'éviter. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes CRCE et SER ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - C'est une réforme structurelle qu'il nous faut mener à bien.

Le Gouvernement fait de la santé environnementale une priorité de sa politique. La France est l'un des pays les plus engagés en Europe pour la réduction de l'impact de l'environnement sur la santé, grâce aux plans nationaux santé environnement (PNSE) inscrits dans le code de la santé publique.

Le quatrième PNSE a été lancé en 2021. Il comporte notamment l'intégration des impacts environnementaux des activités de santé, en développant par exemple le recyclage des déchets de santé. Nous traitons ce dossier de façon interministérielle, avec Christophe Béchu et Bérangère Couillard.

La prévention est aussi une de nos priorités ; nous avons pris des mesures en ce sens dans le PLFSS.

M. Jean-Luc Fichet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Tous les secteurs de la santé traversent une crise profonde, et tous les acteurs font état de leur épuisement et de leur découragement. La santé est un bien commun, chacun devrait avoir le droit de se faire soigner de façon optimale. Les services publics, c'est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas !

L'intervention présidentielle du 6 janvier a déçu les professionnels de santé. Le Président, fidèle à sa ligne, a repris une vieille lune de la droite, la dénonciation des 35 heures. Il faudrait que les soignants travaillent plus - jusqu'à 72 ans ! - sans gagner plus. Or on sait que beaucoup d'infirmières abandonnent leur métier moins de cinq ans après l'obtention de leur diplôme.

Certaines annonces vont cependant dans le bon sens. Ainsi de la remise en cause de la T2A, mais peut-on avoir des précisions sur les objectifs de santé à l'échelle d'un territoire évoqués par le Président de la République ? Sur les conseils d'administration des hôpitaux qui se substitueraient aux conseils de surveillance ?

La réorganisation de la médecine de ville a peu été abordée alors que c'est le coeur du problème. Les dispositifs d'incitation ont échoué, Roselyne Bachelot l'a elle-même reconnu. Je regrette que les médecins libéraux n'aient aucune obligation de garde, ce qui soulagerait les urgences hospitalières.

Six millions de Français n'ont pas de médecin traitant, dont 600 000 en affection de longue durée. Les annonces du Président de la République n'ont pas rassuré sur ce point.

Il faut un projet global. Le Président semble avoir renoncé à tout volontarisme en matière de santé. Nous demandons un plan global et cohérent d'investissement dans la santé. Tous les parlementaires devront être associés à la recherche d'une telle solution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme le président interrompt l'orateur qui a dépassé son temps de parole.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Nous sommes d'accord sur un point : la santé est un bien commun. Il faut refonder l'ensemble du système de santé, hôpital comme ville.

Le Président de la République n'a pas remis en cause les 35 heures ; il a simplement appelé à davantage de souplesse et d'autonomie dans la gestion des emplois du temps au niveau du service, pour redonner du sens au travail des soignants et éviter qu'ils ne naviguent de service en service.

La réforme de la T2A doit être coconstruite à l'échelle des territoires. Pour les médecins, la convention médicale est en cours de négociation, jusqu'au mois de mars. Nous voulons une logique gagnant-gagnant, avec un médecin de ville qui reste la pierre angulaire du système. La délégation de tâches ne se fera pas contre les professionnels de santé mais avec eux.

M. Jean-Luc Fichet.  - Il est temps de mettre fin à la gestion privée lucrative des établissements de santé. Nous avons vu ce que cela pouvait donner avec Orpea dans les maisons de retraite.

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Notre système de santé traverse une crise grave dont les victimes sont tout autant les patients que les soignants.

Il faut un travail de fond sur la prévention et la bonne orientation des patients, en commençant par éviter les actes redondants.

La prévention relève du temps long, or elle est perturbée par la pénurie de soignants. Le volume d'offre de soins est très insuffisant, ce qui nous impose des mesures urgentes.

Les dossiers de médecins étrangers, européens ou non, mais possédant un diplôme équivalent qui souhaitent travailler en France doivent être traités en urgence par l'Ordre national des médecins. Certains attendent des mois. Il est incroyable de ne pas pouvoir faire mieux !

Le temps médical n'est pas toujours optimisé. Les médecins doivent se concentrer sur le diagnostic et cesser de perdre du temps en transport ou en tâches administratives.

Les nouveaux praticiens produisent deux fois moins de temps médical que leurs prédécesseurs, il faudra donc en former deux fois plus. Or nous n'en formons que 12 000 par an, contre 20 000 auparavant.

Même avec des cours en distanciel, les capacités maximales de l'université sont-elles atteintes ? Voir nos étudiants partir se former en Roumanie ou ailleurs est un constat d'échec.

Les généralistes ne demandent pas seulement une revalorisation de leurs actes ; ils veulent plus de reconnaissance. Non des primes, mais des assurances.

Il manque 60 000 infirmiers alors que 120 000 diplômés n'exercent pas en France. Il faut les convaincre de revenir. Ce gâchis de formation coûte très cher.

L'hôpital de Valenciennes, où le personnel s'épanouit et où le budget est excédentaire, peut servir de modèle.

Et que dire des aides-soignants, des sages-femmes, insuffisamment formées, des kinés, des dentistes qui passent en dessous du radar ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme le président interrompt l'oratrice qui a dépassé son temps de parole.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Grâce à la mise en place du numerus apertus en 2019, près de 52 000 étudiants en filière médecine seront formés entre 2021 et 2025 par toutes les facultés du pays, soit 10 300 par an en moyenne. Cependant, les effets sur la population médicale ne seront pas visibles avant 2030. Il nous faut donc trouver d'autres solutions pendant les huit prochaines années, en conservant toutefois le rôle de pierre angulaire du médecin.

Certaines tâches peuvent être déléguées à des paramédicaux, dans le cadre d'un exercice coordonné.

Concernant les praticiens à diplômes hors UE, nous aurons terminé le traitement du stock de demandes au 30 avril 2023. L'Ordre des médecins s'est mobilisé en ce sens.

Pas moins de 65 millions de Français ont un espace santé, et seulement 2 % s'y sont opposés. C'est un outil important pour que les Français s'approprient leur santé.

Nous ne manquons pas de moyens, mais de professionnels.

Mme Nadia Sollogoub.  - Un mot également pour les pharmaciens. J'ai insisté sur le temps médical, et non sur le nombre de professionnels de santé. Même si nous formons 10 % de praticiens en plus, il y aura toujours moins de temps médical global. Supprimer le numerus clausus ne règle pas du tout. (Marques d'appréciation sur plusieurs travées du groupe SER)

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Henno applaudit également.) La situation se dégrade de jour en jour. La crise est profonde. La pandémie a aggravé la situation et épuisé les professionnels. Elle a révélé la perte de notre souveraineté sanitaire.

Comment ne pas évoquer les coups de rabot sur l'hôpital, motivés par la logique de maîtrise des dépenses et de réduction du déficit ?

Comment en sommes-nous arrivés là ? Il faut reconnaître que les 35 heures ont désorganisé l'hôpital ; la formation reste également trop hospitalo-centrée. Le souci d'une juste dépense publique a vu Bercy prendre le pas sur l'avenue Duquesne.

Le rejet par le Sénat du dernier Ondam illustre l'incohérence entre des moyens financiers importants -  250 milliards d'euros  - et le financement de l'hôpital sur lequel il n'y a pas de débat, faute d'informations.

La rupture de stocks de médicaments avait déjà fait l'objet d'une mission d'information sénatoriale en 2018. Je salue l'initiative du groupe CRCE de former une nouvelle commission d'enquête. Je n'ai jamais vu une telle situation en quarante ans d'exercice.

Le prix des médicaments conduit certains laboratoires à s'approvisionner dans d'autres pays. Cela interroge aussi sur la capacité d'innovation. La clause de sauvegarde est-elle efficace ? Nous avions adopté un amendement de René-Paul Savary pour encourager les entreprises à relocaliser leur activité en Europe, hélas repoussé par le Gouvernement.

Un amendement du Sénat dans la loi Santé de 2019 transformait la troisième année d'internat de médecine générale en année d'exercice dans un territoire sous-doté. Il avait été conservé en CMP, mais le décret d'application n'est jamais paru. Le Gouvernement a fini par adopter le principe d'une quatrième année dans le PLFSS pour 2023, reprenant la proposition de loi de Bruno Retailleau. Que de temps perdu ! D'autant que vous dénaturez la mesure : cette quatrième année pourra être réalisée à l'hôpital, alors que l'objectif était de renforcer la médecine de ville.

Le peu de temps que le Président de la République a consacré dans son discours à la médecine de ville interroge. Le collège de la Haute autorité de santé (HAS) en avril 2022 a souligné, dans une lettre ouverte, que le système de santé était au bord de la rupture : pénurie de personnel, d'assistants médicaux, mauvaise qualité des soins, manque d'accès aux soins. Il proposait des mesures urgentes : qu'en avez-vous fait ?

Les professionnels de santé, les soignants sont épuisés. Quand la digue cèdera-t-elle ? Un effondrement du système de santé aurait des conséquences graves sur la société. Je salue ces professionnels, ainsi que les élus locaux qui se battent pour leurs territoires.

Nombreux sont ceux qui veulent sauver ce système de santé, mais la crise touche déjà le médico-social. L'intention du Ségur était bonne, mais il a oublié de nombreux professionnels. Il faut aussi fidéliser ceux qui sont en poste.

Vous pouvez compter sur les maisons de santé pluriprofessionnelles, mais ayez le courage de reconnaître que les CPTS ne sont pas la solution. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Le volet santé du plan France 2030 prévoit 7,5 milliards d'euros et de nombreuses mesures pour faire de la France une nation innovante en matière de santé et de médicaments. Nous voulons réinstaller en France des industries essentielles. Des projets concrets émergent : usine de paracétamol, de masques, de médicaments dérivés du sang.

En 2023, l'Ondam était fixé à 244 milliards d'euros, en hausse de 3,5 % -  hors dépenses liées au covid. Comment pouvez-vous parler de coup de rabot ?

Entre 2017 et 2023, le budget de la santé a augmenté de 20 %. (Marques d'ironie sur plusieurs travées du groupe SER) Aucune économie n'est envisagée sur les hôpitaux.

La quatrième année de médecine générale est un apport pédagogique permettant aux docteurs juniors d'acquérir de l'autonomie et de s'installer rapidement à la fin de leurs études.

Médecine générale et hôpitaux doivent être réformés. Nous sommes d'accord là-dessus.

Mme Corinne Imbert.  - Le Président de la République a évoqué un CNR local. Cela relève de la réunionnite aiguë... Les professionnels de santé n'ont pas de temps à perdre.

Les CPTS ne sont pas la solution, même si certaines fonctionnent bien. Or le ministère veut qu'elles couvrent tout le territoire national.

Vous pouvez compter sur les professionnels de santé pour s'organiser et aller à l'essentiel.

Mme Catherine Deroche.  - Très bien !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Vous consacrez l'un de vos premiers débats de l'année à la crise du système de santé. Je partage cette priorité : il est urgent de s'attaquer aux difficultés structurelles.

Si nous sortons tout juste de la tempête du covid-19, notre système de santé est en crise. La baisse inexorable de la ressource médicale, le vieillissement de la population, la mutation des modes de vie, la perte de sens de ces beaux métiers sont les déterminants d'une crise structurelle dans un monde qui change.

Le Président l'a rappelé vendredi dernier : nous devons être à la hauteur dans ce moment charnière. Nous devons bâtir.

M. Jean-François Husson.  - Cela ne va rien changer !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Notre combat reste la résorption de toutes les inégalités, territoriales, sociales ou liées au handicap.

Vous l'avez rappelé, 657 000 de nos concitoyens atteints de maladie chronique n'ont pas accès à un médecin traitant.

Nous avons transformé le numerus clausus en numerus apertus, mais les bénéfices ne seront visibles que dans une décennie. Il faut dégager d'ici là du temps médical, en réduisant les tâches administratives des médecins.

Nous partagerons mieux le soin entre les différents maillons de la chaîne avec une meilleure coordination. Cela passe par l'accélération du recrutement d'assistants médicaux, de 4 000 à 10 000 entre 2022 et 2023. Nous allons aussi augmenter de 20 % le nombre de places en instituts de soins infirmiers, et donner de nouvelles perspectives à ces professions grâce aux expérimentations de la pratique avancée, de l'accès direct et des délégations de compétences.

Hospitaliers et libéraux, cliniques et hôpitaux participeront à la même permanence des soins.

Nous accompagnerons ces transformations, avec une direction hospitalière rénovée, une bascule de la T2A vers une tarification fondée sur des objectifs de santé publique.

Nous devons faciliter la vie des soignants. Nous compenserons la pénibilité et le travail de nuit. Pour les urgences, les mesures issues de la mission flash seront maintenues. L'usure professionnelle sera prise en compte dans la réforme des retraites.

Plusieurs pierres importantes ont déjà été posées. (MM. Ludovic Haye, Pierre Louault et Jean-Claude Requier applaudissent.)

La séance est suspendue quelques instants.

Avis sur une nomination

Mme le président.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable (25 voix pour, 5 voix contre) à la nomination de M. Patrice Vergriete à la présidence du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France.

Lutte contre la fraude et l'évasion fiscales

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, à la demande de la commission des finances.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Mme Laure Darcos applaudit.) Ce débat s'inscrit dans la continuité des travaux engagés par la commission des finances depuis de nombreuses années. Je songe à la loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018, mais aussi aux tables rondes de notre commission sur les Pandora Papers ou les CumEx files, à nos amendements en loi de finances. Enfin et surtout, notre mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales a rendu ses conclusions en octobre.

Lutter contre la fraude poursuit un triple objectif : dissuasif, budgétaire et répressif. Lutter contre l'évasion fiscale, c'est dissuader des acteurs de tenter leur chance, protéger le consentement à l'impôt et améliorer nos services publics. La fraude fiscale est d'autant plus inacceptable dans un contexte de crise, quand des efforts sont demandés à nos concitoyens.

Nous voulons renforcer l'efficacité de la réponse pénale, amplifier les efforts contre la fraude à la TVA, donner des garanties nécessaires sur la protection des données et lutter contre les montages fiscaux abusifs.

Notre mission d'information a conclu à la robustesse de l'arsenal législatif français sur le sujet. Quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi de 2018, l'heure était au bilan. Nous avons donc formulé des recommandations, dont plusieurs ont donné lieu à des amendements en projet de loi de finances 2023, souvent votés à l'unanimité. Certains ont même passé le couperet du 49.3, comme l'extension des compétences des officiers fiscaux judiciaires.

Alors que les chiffres sont publiés à tort et à travers, nous avons besoin de méthodologies d'évaluation plus robustes. Quelles sont les sommes fraudées et récupérées par l'administration ?

Cependant, toutes nos recommandations n'ont pas trouvé de réponse législative, sur la sécurisation des dispositifs d'accès aux données ou la lutte contre la fraude à la TVA notamment.

Il faut revoir le rôle des assistants spécialisés aidant les procureurs, les moyens des services d'enquête spécialisés, et les droits de visite des douanes.

Il reste donc beaucoup de travail : il convient de réfléchir au véhicule le plus approprié.

Certains progrès dépendent plus du Gouvernement que du Parlement, comme la lutte contre les montages transfrontaliers abusifs. Selon une récente évaluation, 10 % de la richesse nette totale de l'Europe est détenue à l'étranger, ce qui représente une perte de recettes fiscales de 55 milliards d'euros par an. L'OCDE estimait qu'au niveau mondial, 11 000 milliards d'euros étaient détenus sur des comptes offshore.

Si le Gouvernement n'agit pas en amont, au niveau international et européen, le Parlement ne peut rien faire. Le projet de taxation minimale est un premier pas, qui reste insuffisant.

Mais pouvons-nous encore accepter que certaines conventions fiscales qui facilitent les arbitrages de dividendes - objet des CumEx Files - perdurent ? En vingt ans, la France a ainsi perdu 33 milliards d'euros - 1,2 milliard d'euros rien qu'en 2018 - avec un recouvrement de 277 millions d'euros seulement. Quels sont les efforts menés pour renégocier ces conventions ou les assortir de clauses anti-abus ?

Trop souvent, les services de contrôle fiscal ne peuvent accéder à des documents essentiels : la transposition n'est pas toujours garantie dans certains pays. Les listes grise ou noire de paradis fiscaux sont insuffisantes. Que fait le Gouvernement sur ce sujet ?

Quelle sera sa position dans la révision de la réglementation européenne relative aux informations sur les bénéficiaires effectifs de société, dont la CJUE a sérieusement amoindri la portée ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Je me réjouis que le Sénat ait inscrit à son ordre du jour ce débat important pour le pacte social et pour le consentement à l'impôt.

Plusieurs candidats à la présidentielle proposaient la création d'un ministère de la lutte contre la fraude. Il existe déjà : c'est le ministère des comptes publics.

Je présenterai avant la fin du premier trimestre un plan de lutte contre toutes les fraudes : fiscale, sociale, douanière. Je salue le travail du Sénat dans ce domaine : plusieurs mesures de votre remarquable rapport d'information ont été votées dans le projet de loi de finances. Le Conseil constitutionnel en ayant censuré certaines en tant que cavaliers, nous aurons l'occasion d'y revenir.

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le sujet de la fraude et de l'évasion fiscales nous anime tous, surtout depuis la révélation de grandes affaires, Panama Papers, Cumex Files ou autres Pandora Papers.

La création, ces dix dernières années, du Parquet national financier, de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) représentent d'incontestables progrès, salués par les ONG.

Autre avancée, la loi de 2018 relative à la lutte contre la fraude, avec la fin du verrou de Bercy, qu'avait déjà proposée Marie-Pierre de La Gontrie, ou des mesures de lutte contre la fraude à la TVA. Nous avions en revanche regretté la timidité du Gouvernement sur les paradis fiscaux. Thierry Carcenac alertait aussi sur la faiblesse des effectifs de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) affectés au contrôle fiscal.

La mission d'information dresse un premier bilan de l'application de cette loi. Les résultats du contrôle sont en hausse, mais il est difficile d'apprécier l'efficacité du dispositif, faute de données fiables sur l'ampleur de la fraude. La fin partielle du verrou de Bercy se traduit par une hausse de 75 % des dossiers transmis par l'administration fiscale aux parquets.

Les travaux de la commission confirment nos inquiétudes, puisque la part de la TVA dans les résultats du contrôle fiscal ne cesse de régresser. Le contrôle doit s'adapter à l'évolution de la fraude.

Les principes que nous défendions en 2018 sont toujours vrais. Il faut lutter avec la même détermination contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux. Les députés de gauche se sont émus de la création, par amendement au Sénat, d'une niche fiscale sur les captives de réassurance, adoptée sans débat grâce au 49.3. Or ces captives sont très majoritairement domiciliées dans des paradis fiscaux... Comment le Gouvernement peut-il prétendre lutter contre l'évasion fiscale quand il fait adopter une telle mesure ? Si nous sommes à l'euro près, pourquoi favoriser l'exil fiscal des multinationales ?

Il faut agir au niveau international. Je me réjouis de l'instauration d'un impôt sur les sociétés minimum à 15 % dans l'Union européenne : c'est un premier pas. L'évasion et la fraude fiscales minent le contrat social, le consentement à l'impôt, la régulation mondiale. Conjuguons mesures nationales et internationales pour établir une politique efficace en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - L'Insee évalue la fraude à la TVA à 20 milliards d'euros par an. Nous devons agir plus efficacement, notamment grâce à la facturation électronique interentreprises, chantier majeur qui se déploiera progressivement à partir de 2024. L'Italie a été le premier pays européen à la mettre en place, et a recouvré des milliards d'euros dès la première année, sans compter l'effet comportemental.

Sur l'e-commerce, nous avançons au niveau européen, avec les discussions autour de la directive.

M. Éric Bocquet .  - Je salue la mission d'information, près de quatre ans après la loi de 2018. Un premier bilan s'imposait : il est salutaire que le Parlement s'intéresse à ce sujet, vu l'enjeu pour nos finances publiques.

Les révélations de la presse suscitent l'indignation, mais le soufflé retombe vite et les réactions du Gouvernement ne sont pas à la hauteur.

Nicolas Sarkozy déclarait, le 23 septembre 2009 : « les paradis fiscaux, c'est terminé. » Mais depuis 2013, année de la triste affaire Cahuzac, ce ne sont pas moins de quinze affaires qui ont été révélées grâce à la presse et aux lanceurs d'alerte : merci à eux. Panama Papers, Paradise Papers, Luxleaks, Openlux, CumEx Files, Pandora Papers.... Quel exotisme ! L'évasion fiscale est devenue une véritable industrie.

Qu'en est-il du bilan de la loi de 2018 ? Celle-ci avait prévu la création d'un observatoire - qui n'a jamais vu le jour, faute de président... J'avais proposé ma candidature, à titre bénévole. L'observatoire est maintenant perdu dans les limbes.

Certes, le verrou de Bercy a été desserré, mais sans être supprimé totalement : cela suppose de renforcer les moyens de la justice.

Je ne partage pas l'enthousiasme de la commission sur la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Certes, McDonald's et Crédit Suisse ont été condamnés, mais les amendes ne représentent pas la totalité des sommes éludées et on laisse penser que la loi fiscale ne s'applique pas de la même manière « selon que vous serez puissant ou misérable ».

Notre mission d'information a aussi examiné la dimension européenne du sujet. L'Union européenne considère qu'elle ne comprend aucun paradis fiscal. Or l'enquête OpenLux du Monde nous a appris que le Luxembourg hébergeait 55 000 sociétés offshore cumulant 6 500 milliards d'euros d'actifs ; 17 000 d'entre elles étaient détenues par des contribuables français...

L'arme essentielle est la transparence. Mais l'Union européenne envoie des messages contreproductifs. Ainsi de cette décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui considère que la communication des informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés est réservée aux pouvoirs publics. Jusque-là, elles étaient accessibles sur internet.... Seule une volonté politique forte permettra d'avancer au nom de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Les CJIP sont utiles car elles permettent de gagner du temps. Les finances publiques recouvrent ainsi une partie très importante de la fraude. Un procès prend du temps, d'autant que nous nous battons contre des grandes entreprises qui emploient des armées de juristes, et, parfois, comme pour l'affaire UBS, le montant recouvré en appel est moindre qu'en première instance.

À chaque cas, il faut évaluer s'il est préférable de recourir à la CJIP ou d'aller au contentieux. Je salue le travail des agents de la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI). Sur McDonald's, nous avons recouvré 1,3 milliard d'euros.

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les montants des fraudes fiscales sont vertigineux. C'est le tonneau des Danaïdes : des dizaines de milliards d'euros nous échappent. Je salue le travail de la mission d'information et du rapporteur général, car il y a urgence. Je souscris sans réserve aux préconisations visant à faciliter l'accès des administrations aux données et leur partage.

La recommandation n°5 appelle à doubler le nombre d'officiers fiscaux judiciaires. Mais cela suppose que les salaires soient aussi attractifs que ce que propose la grande finance... Il nous faut les meilleurs pour déjouer les systèmes les plus sophistiqués. En bref, des armes de gros calibre.

La fraude à la TVA est estimée entre 20 et 25 milliards d'euros. Les sources de fraudes sont multiples. Je m'interroge sur l'autoliquidation de la TVA, car c'est le point de départ de la fraude carrousel. Si les déclarations ne sont pas contrôlées, les failles vont devenir des gouffres. Le guichet unique de déclaration de la TVA à l'importation sera-t-il efficace ? Restons très vigilants.

Ne prenons pas trop de retard sur les voleurs et adaptons notre réglementation sur les actifs numériques, notamment les NFT (Non Fongible Tokens). L'absence de flux physique facilite la fraude. Or il n'existe pas de registre officiel des détenteurs. Pourquoi les entreprises ne déclareraient-elles pas leurs comptes d'actifs numériques à l'administration ?

Il est clair que les comptables et les banquiers savent qui triche et qui déclare, mais ne font pas de déclarations à Tracfin pour des affaires mineures... Or le cumul de ces affaires mineures représente des milliards d'euros ! Quelle est votre position sur le secret bancaire et comptable ? Ne pourrait-il être levé lors des contrôles de l'administration fiscale ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Oui, il faut renforcer les moyens mais aussi les compétences du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Le Sénat préconise à juste titre une extension de ses pouvoirs à l'escroquerie à la TVA ; cela fait partie de la feuille de route.

Les NFT sont traités fiscalement comme des actifs numériques. Nous avons adapté notre droit et ne sommes pas pris de court. Les entreprises doivent déjà déclarer leurs NFT et la directive DAC 8 prévoit un renforcement des obligations déclaratives : c'est une priorité de la présidence suédoise, soutenue par la France.

Les intermédiaires financiers ne peuvent opposer le secret professionnel lorsque la DGFiP exerce son droit de communication. Ils ont l'obligation de communiquer tout doute sérieux à Tracfin. L'immense majorité d'entre eux respecte la loi.

Mme Sylvie Vermeillet.  - Merci pour vos réponses. Malgré tout, les NFT sont le prochain fléau en matière de fraude à la TVA. L'administration fiscale britannique a ouvert une enquête contre 250 sociétés : ne prenons pas de retard.

M. Jean-Claude Requier .  - La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est un sujet suivi depuis longtemps par la commission des finances. En 2019, le RDSE avait ainsi organisé un débat sur la fraude à la TVA transfrontalière.

Le montant de la fraude fiscale est considérable. Pourtant, nous avons du mal à évaluer son montant exact, comme le souligne le rapport.

Les pays anglo-saxons et nordiques procèdent à des contrôles aléatoires pour estimer l'écart entre les recettes attendues et effectivement recouvrées. Ce pourrait devenir une mission de l'Insee.

En 2022, la fraude à la TVA est estimée à 20 et 25 milliards d'euros, soit un taux de fraude de 10 à 15 %.

Depuis la suppression du verrou de Bercy - que nous devons mettre au crédit du précédent gouvernement - la justice dispose de marges de manoeuvre accrues, avec à la clé une hausse des dossiers à traiter.

Depuis la loi Sapin II, la lutte contre la corruption a été renforcée. Idem pour les règles de conformité, avec les accords de Bâle III ; l'échange automatique de données s'est généralisé. Effet collatéral de ces règles plus strictes, la finance de l'ombre s'est développée. Le projet Beps (base erosion and profit shifting) de l'OCDE visant à lutter contre l'érosion des bases fiscales reste facultatif dans bien des domaines.

Certaines dispositions de la dernière loi de finances en la matière - les articles 83 et 187 - ont été censurées par le Conseil constitutionnel : je le déplore. En matière de recevabilité, les Sages de la rue de Montpensier peuvent se montrer encore plus tatillons que la commission des finances du Sénat ! (Sourires sur le banc des commissions)

En 2023, certaines de nos conventions fiscales bilatérales restent avantageuses pour les investisseurs étrangers. Certes, notre droit fiscal est complexe : dispose-t-on d'une évaluation de la fraude involontaire due à l'ignorance des règles fiscales ?

Les moyens de lutte ont été renforcés, mais le « mur de l'argent » évoqué jadis par Édouard Herriot a encore de beaux jours devant lui.

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - La capacité d'évaluation de la fraude, notamment à la TVA, est une question majeure. À l'initiative du Parlement, nous avons fait évoluer notre méthodologie d'évaluation avec la DGFiP en extrapolant à partir des contrôles fiscaux. Cette évaluation reste perfectible. Il est très difficile de répondre sur les montants en jeu.

C'est une question démocratique, une question politique aussi : nombre de candidats à la présidentielle assuraient financer leurs promesses par le rendement attendu de la lutte contre la fraude - qui devient le « gage tabac » des programmes présidentiels !

L'évaluation et l'objectivation du phénomène sont donc un enjeu clé.

M. Antoine Lefèvre .  - « La fraude est à l'impôt ce que l'ombre est à l'homme », disait Pompidou. Elle prive l'État de 80 à 100 milliards d'euros de recettes par an, selon l'Insee, et porte atteinte aux principes de solidarité et d'égalité devant l'impôt.

Elle porte préjudice tant à notre économie qu'à notre contrat social : elle entrave la redistribution, affaiblit l'idée de performance publique, sape la confiance entre les citoyens et l'administration.

Notre société condamne ces faits avec force. Aussi, nous nous dotons d'outils de lutte. Le Conseil constitutionnel l'a érigée au rang d'objectif à valeur constitutionnelle par une décision du 29 décembre 1999. La loi du 23 octobre 2018 a acté la fin du verrou de Bercy et renforcé les sanctions pénales.

La mission d'information de notre commission des finances remet le sujet sur le devant de la scène. Les montants recouvrés ont progressé de 38 % en trois ans, le contrôle fiscal a donc gagné en efficacité.

Pourquoi la fraude fiscale persiste-t-elle ? Selon l'économiste américain Richard Musgrave en 1959, l'État doit remplir trois grandes fonctions : l'allocation des ressources, la redistribution des richesses et la régulation de l'activité économique. Mais pour que le contribuable consente à l'impôt, il faut qu'il le juge juste et proportionnel : c'est la fameuse courbe de Laffer.

Saluons les moyens accrus dont dispose désormais la répression de la fraude et de l'évasion fiscales. La fin du verrou de Bercy a élargi les voies de recours du ministère public, avec un bond de 75 % des dossiers transmis. La commission des infractions fiscales fait preuve de plus de transparence. Mais le législateur doit examiner des pistes d'amélioration.

La mission d'information préconise que les montants de la fraude soient estimés en loi de finances initiale, pour une plus grande lisibilité de l'action publique en la matière, et pour provoquer une prise de conscience dans l'opinion, voire un infléchissement des comportements.

La légitimité du lien entre citoyens et administration est une condition essentielle au retour du consentement à l'impôt. La suppression de la CVAE est un exemple d'atteinte à ce lien.

Le SEJF compte 25 officiers, mais ils manquent de prérogatives pour intervenir au mieux. Regrouper pouvoirs d'enquête et de poursuite, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, renforcera l'efficacité de l'action. Peut-être tendrons-nous un jour vers une véritable police fiscale et financière autonome, sur le modèle de la Guardia di Finanza italienne.

Enfin, il est indispensable de renforcer la coopération entre les services de répression, au niveau national et international.

Charge aux parlementaires de poursuivre le combat.

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Oui, il y va de notre pacte social. La loi de 2018 a deux jambes : répression de la fraude et nouvelle relation de confiance entre l'administration fiscale d'une part et les particuliers et entreprises d'autre part. Je salue le travail de la DGFiP, qui porte ses fruits - on le voit chez les chefs d'entreprise.

La réforme du verrou de Bercy est très positive. Il reste un défi : mieux accompagner le parquet pour prioriser les dossiers qui feront l'objet d'enquête. Nous y travaillons avec Éric Dupond-Moretti.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Je salue moi aussi cette initiative de la commission des finances. Le sujet fait l'objet de nombreux fantasmes, mais il est crucial pour le budget de l'État. Je distingue fraude et évasion. La fraude est condamnée par la loi : il s'agit par des moyens illégaux d'échapper à l'impôt. L'évasion, elle, n'est pas définie par le droit : il s'agit d'user de procédés licites pour échapper au fisc français au profit de contrées plus accueillantes. Nous sommes dans une zone grise.

Le montant de la fraude fiscale est difficile à chiffrer. La fraude à la TVA est estimée à 25 milliards d'euros - un dixième du coût du programme de La France Insoumise !

Le débat sur l'imposition des riches et des grandes entreprises revient souvent. Plus nos niveaux d'impôt sont semblables à ceux de nos voisins, moins il y a de dumping et d'évasion fiscale. À ce titre, l'impôt minimum de 15 % est bienvenu. Le Gouvernement a su agir auprès de l'OCDE et 138 juridictions ont accepté de mettre en place ce taux minimal. Monsieur le ministre, le confirmez-vous ?

Certains pays ne participent pas aux discussions : les paradis fiscaux. Nous essayons d'y mettre fin, mais les résultats sont loin d'être à la hauteur. Nous ne pouvons intimer d'ordres à des État indépendants, mais il y a beaucoup à faire au niveau bancaire. J'ai travaillé en banque à l'époque des sanctions financières contre l'Iran... Effectuer un virement vers ce pays était extrêmement long et compliqué. Nous avions des moyens d'action efficaces. Quelles mesures coercitives pourraient être mises en oeuvre pour lever l'opacité des paradis fiscaux ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Nous actualisons régulièrement la liste des États non coopératifs. L'imposition minimale des grandes entreprises est une avancée majeure - beaucoup n'y croyaient pas. Le Président de la République a porté le sujet devant l'OCDE et obtenu en octobre 2021 un accord signé par 140 États. Malgré le véto de la Hongrie, la France et ses partenaires ont su faire pression et le 16 décembre, le conseil Ecofin a trouvé un accord historique.

L'optimisation fiscale scandalise les Français et toutes les PME. Cette avancée est très importante.

M. Daniel Breuiller .  - Je salue le travail de la mission d'information sur la fraude fiscale. Le GEST a voté ses conclusions, mais répondre aux enjeux de civisme, de dissuasion et de répression suppose une vraie volonté politique. Malgré des avancées réelles, le Gouvernement manie l'ambiguïté afin de ne pas effrayer les milliardaires et les champions du CAC : il est dur avec les pauvres mais conciliant avec les multinationales qui fraudent. Or la fraude et l'évasion fiscales nourrissent les populismes.

Le choix de l'opacité, avec le maintien de la clause de sauvegarde, la position de la France, alignée sur l'Irlande, face à la proposition du président Biden d'une imposition minimale des entreprises de 21 %... Voilà qui interroge.

L'accord autour d'un impôt minimal de 15 % est une victoire, mais ce n'est pas assez. Il est injuste que les multinationales soient moins taxées que les TPE-PME. (M. Victorin Lurel acquiesce.)

Accentuer les actions contre l'opacité des flux financiers, doublons le nombre d'officiers fiscaux judiciaires, donnons-leur les moyens de traiter aussi la fraude à la TVA. Les recettes générées seront bien supérieures aux coûts salariaux ! Là où il y a une volonté d'agir, il y a des résultats.

Il faut évaluer les coûts, mais aussi les pertes : 80 à 100 milliards d'euros par an ! Au niveau européen, ce sont 7 900 milliards qui sont cachés dans les paradis fiscaux, dix fois le montant du plan de relance européen.

La distinction entre optimisation et fraude fiscales est parfois ténue. Les fraudeurs diminuent les recettes publiques, au détriment des politiques publiques ou de la transition écologique. Bruno Le Maire a dit qu'il serait intraitable. Tant mieux, car les personnes mises en cause sont des puissants, qui profitent de l'opacité du système financier international, grâce à des armées d'avocats.

La liste des paradis fiscaux doit être actualisée pour intégrer tous les pays cités dans les Pandora Papers.

Pour conclure, vivent le journalisme d'investigation, la presse libre et les lanceurs d'alerte ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Il ne faut pas être fort avec les faibles et faible avec les forts, en effet, mais au contraire lutter contre toutes les fraudes. Sachez que 40 % des montants recouvrés le sont grâce à des enquêtes de la DVNI qui portent sur les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 400 millions d'euros.

Il faut combattre toutes les fraudes, fiscales, sociales et douanières, sans stigmatisation ni instrumentalisation. Voilà ce qu'attendent les Français !

M. Didier Rambaud .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La fraude fiscale est le détournement illégal du système fiscal. Quatre ans après la loi de 2018, notre pays a considérablement progressé. La fin du verrou de Bercy impose à l'administration fiscale d'informer le procureur de la République de toute fraude potentielle supérieure à 100 000 euros. Les agents de l'administration fiscale ne sont plus tenus au secret, ce qui permet des actions conjointes efficaces. Je salue le travail réalisé par les femmes et les hommes de ces services.

La CJIP et la CRPC constituent aussi de bons outils ; la liste européenne des paradis fiscaux a été transposée en droit français.

L'extension du projet BEPS permet de gagner du temps puisqu'une convention multilatérale aménage automatiquement les conventions entre États. La France a été pionnière, grâce à l'impulsion de la majorité présidentielle.

Les gouvernements successifs depuis 2017 agissent. L'État a ainsi récupéré 7,8 milliards d'euros. Raison pour laquelle la mission d'information de la commission des finances n'appelle pas à une révolution fiscale, mais propose des ajustements. Il reste des progrès à faire : les affaires parues dans la presse le montrent.

Le rapport recommande ainsi de doubler le nombre d'officiers fiscaux judiciaires : ils ne sont que 40, pour 169 affaires...

Concernant la fraude à la TVA, nous pourrions envisager que les agents des douanes puissent sanctionner directement.

Les solutions les plus efficaces se trouveront à l'échelle internationale. Pourquoi ne pas manier le name and shame envers les pays non coopératifs ? Nos efforts doivent être concertés, et la France doit continuer à être moteur et force de proposition, comme elle l'est depuis 2017. 

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Merci d'avoir rappelé les apports de la loi de 2018 et l'enjeu essentiel que constitue la coopération entre l'administration et le monde économique. À cet égard, pas moins de 20 000 rescrits fiscaux sont émis chaque année, généralement en moins de trois mois. Le taux de satisfaction des entreprises est de 95 %.

L'expérimentation de nouveaux outils tels que le web scraping est très positive ; je compte sur les parlementaires pour examiner ceux qui doivent être généralisés.

M. Victorin Lurel .  - Je remercie la commission des finances et la mission d'information pour leur travail et leurs préconisations. La prudence ne doit pas entraver notre ambition. Au-delà des milliards d'euros de recettes récupérés par l'État, le sujet soulève des enjeux éthiques, politiques et démocratiques.

Je rejoins les préconisations sur les moyens financiers nécessaires à la lutte contre la fraude. Il reste incompréhensible que nos services ne connaissent pas la part de la fraude récupérée grâce au contrôle fiscal.

La DGFiP a subi des baisses d'effectif importantes. Or malgré leur efficacité, ni le data mining ni les outils technologiques ne remplaceront le travail des enquêteurs.

Je crains par ailleurs une dérive de la philosophie même du contrôle. Les fraudes ne sont pas de simples optimisations qui peuvent faire l'objet d'accords de gré à gré, même si la logique préventive est louable. Les CJIP ont été étendues en 2018 à la fraude et au blanchiment de fraude, ce qui implique l'absence d'inscription au casier judiciaire. Certes, cela permet des rentrées fiscales et évite de coûteux procès, mais l'impunité me pose problème.

Le SEJF manque de moyens : il serait de bonne politique de les augmenter et de simplifier les procédures. Je souhaite ardemment que cette mission nourrisse les travaux du Gouvernement et de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - L'enjeu de la réforme du verrou de Bercy était justement d'accroître le nombre de dossiers transmis à la justice, tout en distinguant les fraudes à enjeu des erreurs qui n'en relèvent pas. Certes la CJIP permet de recouvrer au plus tôt un montant, mais n'oublions pas qu'elle est homologuée par le juge.

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC salue le travail de la commission des finances sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, auquel Nathalie Goulet et Alain Duffourg ont largement contribué. Équité et transparence doivent être assurées.

Le montant de la fraude fiscale a été évalué par l'Insee à 80 milliards d'euros, dont un quart de fraude à la TVA. Le développement du commerce en ligne et à distance invite à la vigilance.

Nous l'avons vu sur place à Roissy : les douaniers ont besoin de plus de moyens humains mais aussi techniques pour évaluer la nature des colis transitant par les aéroports. Nous devons nous saisir de tous les outils permettant de renflouer les finances publiques.

La commission des finances a formulé une vingtaine de recommandations, notamment sur les montages financiers complexes. Cela suppose une coopération accrue avec les autorités étrangères.

Les bénéficiaires effectifs des sociétés ont été inscrits depuis 2017 sur un registre, rendu public depuis 2021. Avec la dématérialisation des formalités légales, je crains que nous n'y ayons plus accès. L'Institut national de la propriété industrielle (INPI) doit garantir cet accès.

La renégociation des conventions internationales de coopération ne doit pas être un tabou. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Le chiffre d'affaires du commerce en ligne a dépassé les 130 milliards d'euros.

Mais avec le paquet TVA e-commerce, mis en oeuvre dès juillet 2021, les plateformes sont redevables de la TVA pour certaines activités à distance. Entre juillet et décembre 2021, à travers le guichet unique, nous avons recouvré 700 millions d'euros. Il faut néanmoins aller plus loin au niveau européen sur l'encadrement fiscal de ces plateformes.

M. Michel Canévet.  - Il est très important de recouvrer la TVA des plateformes, notamment en redéployant des moyens humains vers le contrôle. J'ai constaté l'efficacité du service interrégional en Bretagne.

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La lutte contre la fraude fiscale revient régulièrement dans le débat national. Frauder, c'est refuser de contribuer au financement des politiques publiques et de la solidarité nationale.

La fraude serait estimée à 100 milliards d'euros - voilà qui amoindrirait considérablement notre déficit structurel si une telle somme était récupérée. Mais ce chiffre est sujet à caution. C'est une extrapolation qui inclut les erreurs ou les différences d'appréciation entre contribuables et services fiscaux.

Le Conseil des prélèvements obligatoires évalue le montant de 30 à 40 milliards d'euros, ce qui reste considérable, d'autant que les services fiscaux n'en détectent que 5 à 10 %.

On a évoqué le desserrement de Bercy ou la facture électronique à partir de 2024. Malgré ces efforts, les encaissements franchissent péniblement la barre des 10 milliards d'euros en 2021.

Cela montre bien les limites d'une approche uniquement répressive. La France est le pays de l'OCDE où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés.

Conformément à la courbe de Laffer, un accroissement des taux d'imposition, au-delà d'un certain seuil, amoindrit les rentrées fiscales : trop d'impôt tue l'impôt. Un pays attractif et dynamique économiquement retient ses talents. Pour faire revenir des exilés politiques dans leur pays d'origine, il faut qu'un changement de cadre politique garantisse leur sécurité. Idem pour les exilés fiscaux : sans changement de cadre, pas de retour possible.

Dans un monde interconnecté, maintenir des prélèvements obligatoires élevés et espérer mettre fin à l'évasion fiscale relève de l'utopie.

Aux États-Unis, les rentrées ont augmenté de 8 à 9 % par an en 2004 et 2005, grâce à la baisse de l'imposition. Même chose sous Margaret Thatcher au Royaume-Uni, où les recettes fiscales ont augmenté d'un milliard de livres sterling entre 1985 et 1986 grâce à la baisse massive du taux marginal d'impôt sur le revenu.

Pour faire reculer la fraude fiscale, il faut baisser les impôts et charges, même si cela paraît paradoxal, intuitivement.

La fraude fiscale est condamnable, puisqu'elle illustre le refus d'obéir à la loi, mais force est de constater qu'elle résulte d'une asphyxie fiscale : pour sept Français sur dix, l'impôt est trop lourd.

Je terminerai par une citation de Churchill : « Une nation qui essaie de prospérer par l'impôt est comme un homme dans un seau qui essaie de se soulever par la poignée ».

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Il est certes nécessaire d'alléger la pression fiscale sur les particuliers et les entreprises. C'est notre politique depuis 2017, avec la suppression de l'ISF et la flat tax, notamment. Nous avons pour la première fois constaté un solde positif de retours de contribuables soumis à l'ISF, devenu IFI.

C'est aussi pour cela que nous avons maintenu la suppression de la CVAE, écartée par le Sénat, car il faut suivre cette logique pour les entreprises.

M. Michel Canévet.  - ... et pour les finances publiques ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Pour les finances publiques, cette logique est aussi bénéfique, on l'a vu avec l'impôt sur les sociétés, dont le rendement s'accroit depuis que le taux est passé de 33 à 25 %.

En revanche, on ne peut excuser des fraudes au prétexte que l'impôt est trop élevé. Le Conseil constitutionnel censure les impôts confiscatoires. C'est cependant parce que nous sommes le deuxième pays pour les prélèvements obligatoires, qu'avec Bruno Le Maire, nous nous sommes opposés à la création d'impôts, même temporaires.

Je remarque une constance sénatoriale transpartisane sur la lutte contre la fraude. Le rapport est de grande qualité et nous tâcherons d'en suivre les recommandations.

Je demanderai au président de chaque assemblée de nommer un représentant à un groupe de travail sur ce sujet.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - Je remercie les orateurs, malgré le petit dérapage final sur les impôts. (Sourires)

La mission de notre commission a été fructueuse.

L'évaluation de la fraude fiscale et des zones de risque est un exercice délicat, qui n'aboutira jamais totalement, car les techniques de fraude évoluent. Elle est néanmoins indispensable et le Gouvernement doit y mettre les moyens.

La commission des finances est engagée depuis plusieurs années contre la fraude à la TVA. La contribution des plateformes n'était pas si évidente, au départ.

Il faut renforcer le partage d'informations entre les administrations. Tout ne passe pas par le législatif. Des progrès restent à faire dans ce domaine, notamment entre Bercy et la justice. Il faut renforcer la formation des magistrats et les moyens techniques à leur disposition.

Les instruments de justice négociée, comme la CJIP, sont critiqués, mais il faut déployer tous les moyens possibles pour faire revenir dans les caisses de l'État les sommes dues, tout en utilisant la réponse pénale si nécessaire.

Les enjeux de coopération européenne et internationale sont essentiels. La fraude la plus difficile à combattre est celle qui implique des flux financiers internationaux. Certains montages sont particulièrement sophistiqués.

Les libertés individuelles ne sauraient être brandies pour protéger les fraudeurs. Les informations accessibles librement sur les réseaux sociaux ne relèvent pas de la vie privée. Notre commission des finances restera mobilisée sur ces questions, tant les fraudes sont insupportables pour nos concitoyens.

Nous espérons que le Gouvernement saura entendre le Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; Mle rapporteur général applaudit également.)

La séance est suspendue à 20 heures.

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Politique du logement dans les outre-mer

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la politique du logement dans les outre-mer à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - Les besoins en logement dans les outre-mer sont criants. Notre délégation a publié en juillet 2021 un rapport sur la question après l'échec du premier Plan logement outre-mer (Plom 1), en vue du Plom 2.

Les rapporteurs ont présenté un ensemble de propositions autour de trois axes : refonder un cadre d'action de cette politique, assurer un habitat pour toutes les populations, dans la diversité des territoires, et faire de l'habitat ultramarin un outil d'innovation pour répondre à des défis comme le réchauffement climatique et le vieillissement de la population.

Rompre avec la méthode descendante au profit des territoires : voilà qui paraît toujours plus pertinent.

La première priorité est de libérer du foncier aménagé pour faire baisser le coût des opérations immobilières.

Il faut aussi accélérer l'adaptation des normes, en coopération avec la Commission européenne. La Nouvelle-Calédonie mène un travail précurseur dans ce domaine. En octobre, vous avez confirmé, monsieur le ministre, votre volonté de faire évoluer certaines normes. Où en sommes-nous ?

Troisième priorité, réduire l'habitat indigne, phénomène de plus en plus diffus qui concerne 110 000 logements outre-mer. L'auto-construction et l'auto-réhabilitation restent trop peu utilisées.

Il faut également accélérer la construction de logements sociaux ou très sociaux. Seulement 15 % de la population réside en logement social, pour 80 % de la population éligible - et 70 % à un logement très social.

Monsieur le ministre, quel bilan dressez-vous du Plom 2 pour 2019-2022 et quelles sont les perspectives ? La multiplication des bidonvilles pose des problèmes de sécurité, d'environnement et de santé. Le chantier est immense et vital. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe SER ; Mme Marie Mercier applaudit également.)

M. Guillaume Gontard, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - Le président Artano a présenté les axes majeurs de notre rapport. Il faut refonder la politique de logement outre-mer, qu'il s'agisse de son financement ou de sa territorialisation, davantage en appui des collectivités locales. Il faut résorber l'habitat indigne et simplifier les normes pour réduire le coût des opérations immobilières.

J'ai piloté la troisième partie du rapport, qui examine la possibilité, pour l'habitat outre-mer, de devenir un modèle d'adaptation et d'innovation. L'outre-mer est un laboratoire de l'évolution des besoins de logements ; c'est aussi un terrain d'expérimentation pour des formes d'adaptation. Enfin, il présente un formidable potentiel en matière de systèmes constructifs adaptés au réchauffement climatique.

Comment sortir de la standardisation et du tout-béton ? Comment réduire les coûts en améliorant la qualité ? Comment renforcer la résilience du bâti ? Comment construire pour s'adapter au vieillissement de la population et à des modes de vie tournés vers le plein air ?

La réponse est presque unique : la création d'une filière locale du bâtiment, appuyée sur la mémoire de l'habitat vernaculaire, utilisant des matériaux locaux tels que le bois et le bambou, pour développer un habitat léger, ouvert et moins gourmand en énergie.

Adapter la construction à chaque territoire passe par une simplification normative. Un exemple : faciliter la certification des matériaux biosourcés venus des pays voisins des départements et régions d'outre-mer (Drom). Nous financerons ainsi des écoquartiers plus inclusifs, plus aérés, plus collectifs, plus tournés vers l'extérieur.

L'habitat léger est plus résilient face au risque sismique, le béton face au risque cyclonique. Nous proposons donc des pièces sécurisées dans les logements pour protéger des cyclones, ainsi que des refuges.

Il faudra des assises de la construction en outre-mer pour mutualiser les bonnes pratiques et revoir les normes de construction. Faisons de nos territoires ultramarins un laboratoire d'innovation pour le logement. Monsieur le ministre, nous n'attendons que votre signal. (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDPI)

Mme Marie-Claude Varaillas .  - La demande de logement explose, comme la précarité. La population a besoin d'une vraie politique du logement, en particulier dans les outre-mer. L'échec du Plom 1 a montré l'incapacité du Gouvernement à apporter des réponses localement adaptées aux besoins. Le Plom 2, prolongé d'un an, a l'ambition d'associer tous les acteurs, mais la route est encore longue.

En outre-mer, 81 % de la population est éligible au logement social - 73 % pour la moyenne nationale - alors que celui-ci ne représente que 18 % du parc.

Plus un seul sans-abri, disait le Président de la République en 2017... En outre-mer, la pauvreté est deux fois plus élevée. À Mayotte, en Guyane, les loyers sont chers, l'accès au logement est difficile. La détresse sociale doit être prise en compte.

Il nous faut une vraie stratégie : il faudrait15 000 logements nouveaux par an, or nous ne conduisons que 8 000 constructions et réhabilitations.

L'habitat indigne représente 13 % des logements ; il y a autant d'habitants vivant dans des bidonvilles à Mayotte que dans tout l'Hexagone. Il faut accompagner les réhabilitations, le désamiantage.

Nous devons aussi intégrer le vieillissement de la population.

Les territoires ultramarins font partie de la République. Ils doivent être représentés dans toutes les instances nationales, notamment pour le logement.

Les collectivités doivent être accompagnées par l'État pour développer l'ingénierie locale, les bailleurs sociaux pour augmenter l'offre. Le comité interministériel des outre-mer (Ciom) du printemps sera décisif. Nous espérons des mesures à la hauteur de la détresse.

Malgré la baisse drastique des moyens alloués, pourrez-vous atteindre les objectifs de construction de 15 000 logements par an ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer.  - Le Gouvernement n'est pas le seul responsable. Nous le sommes tous, collectivement ! Je rappelle également que dans certains territoires, la compétence logement n'appartient pas à l'État.

Oui, il faut changer. C'est pourquoi j'ai décidé de proposer un objectif de construction de logements territorialisé, signé par les collectivités, les présidents d'associations de maires et les représentants des organismes HLM : voilà le moyen de définir un objectif largement partagé.

Mais nous rencontrons aussi des problèmes de foncier et de simplification. Dans la perspective du Ciom décidé le 7 septembre, qui fait suite à l'appel de Fort-de-France, nous devons bien calibrer notre action, pour définir les mesures les plus concrètes et efficaces.

En matière de foncier, les collectivités locales seront sollicitées, fermement. En échange, nous pourrons construire ensemble ces logements. Voilà quarante ans que dure cette situation, j'espère que nous avancerons ensemble.

Mme Nassimah Dindar .  - Le Plom 1 n'a pas atteint ses objectifs. Le constat est sans équivoque, le logement reste en crise dans les outre-mer.

Avons-nous reculé sur l'habitat indigne ? Moustiques, épidémie de dengue, déscolarisation précoce, problème de relogement des femmes battues : les problèmes sont nombreux.

MaPrimeRénov' et le 1 % logement sont des outils de financement à disposition des collectivités, mais l'éparpillement des dispositifs freine leur mobilisation.

De plus, le vieillissement accéléré de la population, notamment aux Antilles, appelle un plan stratégique : en 2050, la Martinique sera le département le plus vieux de France. La Réunion atteindra le million d'habitants avant 2030.

La jeunesse, étudiante comme salariée, a de plus en plus de mal à accéder au logement : à La Réunion, il n'y a que 1 381 places dans les logements du Crous, pour 21 000 étudiants.

Oui, il y a eu une incurie collective. Les défis sont nombreux et variés. Il faut d'abord territorialiser davantage la politique du logement. Il convient également que les outre-mer soient mieux représentées dans les instances nationales, comme à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ou l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

Aucune collectivité n'aura suffisamment de réserve foncière si nous ne prenons pas les mesures adéquates. Les financements du Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (Frafu) ne suffisent pas.

Un vrai plan Marshall du logement en outre-mer est nécessaire, plutôt qu'un Plom 3.

Il ne s'agit pas seulement de la ligne budgétaire unique (LBU). Les outre-mer doivent devenir des laboratoires à ciel ouvert. Les grandes tendances de l'habitat de demain sont identifiées - chanvre, bambou, bois de goyavier, cryptomeria.

Nous pourrions développer une filière de recherche-développement sur l'habitat innovant, qui permettrait de mieux mobiliser les fonds européens. Il conviendrait également de modifier la réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA) DOM. Développer le photovoltaïque dans les outre-mer, en particulier à La Réunion, serait de bon aloi pour retrouver une autonomie énergétique ; le Sénat a adopté un de mes amendements en ce sens.

Le plan de réhabilitation des logements sociaux anciens rencontre des difficultés financières. Les prix de l'immobilier ont doublé, et il est de plus en plus difficile de devenir propriétaire.

Ces territoires souffrent de grandes inégalités, notamment face à la construction d'un patrimoine. C'est très douloureusement ressenti par ces populations, qui se sentent oubliées.

Le débat reste ouvert, par exemple pour l'application du zéro artificialisation nette (ZAN). Il faut territorialiser davantage la politique du logement et mettre en place un plan d'urgence, que nous pourrions appeler plan Carenco !

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - La tentation du bien est parfois pire que la tentation du mal. Nous connaissons tous ces questions. Il faut ordonner nos actions et mieux les territorialiser : c'est ce que je veux faire avec ce que j'appellerai l'objectif Logement ensemble.

Qu'est-ce que le Frafu ? La LBU, plus un peu de fonds des régions.

M. Victorin Lurel.  - Pas tout à fait !

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Dans ce cas vous m'éclairerez. En tout cas, le Frafu mobilise la LBU. Pour financer quoi ? Peut-être des projets différents en fonction des territoires... Voilà un exemple de territorialisation.

Les organismes HLM doivent se montrer plus dynamiques.

Il faut aussi travailler avec l'Anah, pour réhabiliter les nombreux logements vacants. J'ai invité récemment le président de l'Agence à entrer dans ce système, car pour le moment elle n'y est pas.

Mme Nassimah Dindar.  - Le Frafu porte sur l'aménagement, qui est souvent ce qui coûte le plus cher. Nous pourrions le mobiliser davantage via les dispositifs européens.

M. Stéphane Artano .  - Ces dernières années, le logement a fait l'objet de nombreux rapports et amendements. La situation reste toujours aussi préoccupante et contraignante. Les effets des mesures prises tardent à se matérialiser.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, la compétence logement est en effet territoriale. La collectivité porte un véritable projet d'accompagnement de rénovation thermique et de l'habitat, pour répondre à la pénurie de logements et à des coûts d'achat qui ne sont plus du tout maîtrisés.

Il faut des outils fiscaux contre la vacance, des incitations à la rénovation énergétique.

Nous devons aussi faire évoluer les normes de construction pour faciliter l'approvisionnement en matériaux nord-américains.

La réactivation de la LBU pour Saint-Pierre-et-Miquelon serait un vrai levier de dynamisation de l'offre locative, pour un coût réduit.

Il faut également clarifier le rôle de l'État dans la politique du logement social, notamment sur les allocations personnalisées au logement (APL).

La collectivité demande aussi à l'État d'accompagner les personnes en perte d'autonomie dans l'aménagement de leur logement.

Saint-Pierre-et-Miquelon n'entre pas dans le champ de compétences de l'Anah, mais son appui méthodologique et financier permettrait une vraie politique de l'habitat.

Au regard des objectifs du Gouvernement en matière de rénovation thermique, l'État pourrait-il accompagner les usagers ?

Le déplacement du village de Miquelon n'est pas le moindre défi, en réponse au changement climatique et à la montée des eaux. La question des moyens financiers se pose, notamment pour construire les réseaux de la nouvelle zone à urbaniser. L'État peut-il s'engager ?

Il serait inacceptable de s'entendre dire que la compétence logement de la collectivité territoriale lui impose de se débrouiller seule. Nous espérons une impulsion pour la construction, grâce à un véritable partenariat, comme l'État l'a fait récemment pour Guadeloupe sur l'eau et l'assainissement, qui ne sont pas de sa compétence sur ce territoire. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Vous savez combien Saint-Pierre-et-Miquelon est chère à mon coeur. Oui, la compétence logement est à la collectivité. Elle n'entre donc pas dans le champ de l'Anru, de l'Anah, de la LBU et des aides à la pierre. Il faut changer cela. Avec 6 000 habitants, on ne peut pas avoir les mêmes services que dans le reste du pays.

Dans le prolongement de l'appel de Fort-de-France, nous allons réfléchir aux moyens d'intervenir sans prendre la compétence de la collectivité.

À titre dérogatoire, depuis 2017, la LBU finance déjà en partie le logement à Saint-Pierre-et-Miquelon.

En septembre, après le Ciom, le ministre de l'intérieur et moi-même présenterons à la Première ministre le volet institutionnel.

À Miquelon, la République a déménagé des dizaines de villages lors de la création des barrages hydroélectriques. La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) financera à 100 % les dépenses individuelles. Mais donne-t-on directement les fonds aux individus ou les centralise-t-on ? Ce sera l'un des objets de ma visite sur votre territoire au printemps.

Mme Micheline Jacques .  - Il n'y a pas de politique publique efficace sans cadre normatif adapté : c'est une approche qui m'a guidée en tant que rapporteure.

Nos auditions ont mis en évidence de nombreux freins normatifs à la production de logements. Ainsi, comment comprendre que la Guyane ne puisse importer du bois de charpente du Brésil et qu'elle doive le faire venir de Scandinavie ?

Voilà l'illustration même de l'inadaptation normative. La Guyane pourrait aussi fournir la Guadeloupe et la Martinique avec ses arbres possédant des qualités anti-termites.

Autre exemple : à Mayotte, l'entrée en vigueur de nouvelles normes sur les portes de garage a détruit toute une portion de l'artisanat local.

La protection des savoir-faire locaux peut répondre à de nombreux enjeux. La part de R&D est très faible en outre-mer. Pourtant les matériaux locaux offrent un potentiel colossal. Nous pourrions ainsi créer une école d'ingénieurs dans chaque bassin océanique.

Le coût des matériaux représente l'un des principaux freins à la construction. L'arsenal normatif doit mieux prendre en compte les échanges possibles avec les pays voisins, dont les conditions climatiques sont plus proches des territoires d'outre-mer.

La Nouvelle-Calédonie a déjà montré la voie en lançant un chantier d'acclimatation des normes. L'organisation d'assises de la construction dans les outre-mer faciliterait l'échange de bonnes pratiques.

Depuis le rapport de notre délégation intitulé « Le BTP outre-mer au pied du mur normatif », les organismes de normes ont fait des efforts, mais beaucoup reste à faire pour territorialiser, en évitant que tout soit décidé en métropole.

Enfin, je regrette l'absence de filière de désamiantage outre-mer, ce qui entraîne des coûts considérables.

En ces temps troublés et de contrainte budgétaire, on ne peut faire abstraction de la dimension normative.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Je compte beaucoup sur les collectivités territoriales pour proposer aux fonctionnaires des terrains dont elles sont propriétaires. Si vous me proposez des baux emphytéotiques de 60 ans, je saurai trouver des investisseurs. Cela ne vous coûtera pas un sou, et dans 60 ans les terrains seront à vous ! J'ai écrit à ce sujet aux présidents des collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

En matière de normes, voici une bonne nouvelle : je vous annonce, en 2023, la mise en place des marquages outre-mer en substitution des marquages CE. Pour les normes, il faut avancer, aller plus vite.

Enfin, j'ai des échanges avec l'Espagne et le Portugal sur les régions ultrapériphériques (RUP). Il faut réviser l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en passant en revue les normes les plus bloquantes. Nous sommes sur un chemin de crête dans ce domaine : l'Europe nous donne beaucoup financièrement, mais cela a son lot de contraintes.

Mme Micheline Jacques.  - Je suis élue de Saint-Martin, mais je transmettrai vos propos au président du conseil territorial, Xavier Lédée.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Les chiffres sont là : dans les Drom, on évalue à 110 000 le nombre de locaux impropres à l'habitation et faisant courir des risques à leurs habitants. 80 % des ménages sont éligibles au logement social et 70 % au logement très social, mais 15 % accèdent à des logements sociaux.

À La Réunion, 33 000 familles attendent un logement social, alors que l'on compte 120 000 logements vacants en outre-mer.

Face à ces conditions indignes, il faut une politique publique ambitieuse en faveur du logement, prenant en compte les problématiques des différents territoires.

Après l'échec du Plom 1, le Plom 2 a été lancé pour 2019-2022, abandonnant la logique quantitative au profit d'une logique qualitative. Il a été prolongé d'un an.

Quel premier bilan pouvons-nous en faire en matière de logements locatifs sociaux et très sociaux, de résorption de l'habitat insalubre, de réhabilitation du parc social et d'accession sociale à la propriété ?

Face à l'ampleur de la crise du logement ultramarin, il faut anticiper la fin du Plom 2 avec une action territorialisée. Cela doit se traduire par une véritable représentation des outre-mer dans les instances nationales du logement - Anah et Anru.

Il semblerait approprié que des référents locaux d'organes tels que la banque des territoires soient désignés dans les territoires ultramarins.

La politique du logement dans les outre-mer requiert des objectifs concrets, une volonté forte de l'État et un pilotage au plus près des acteurs locaux.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Je ne ferai pas d'évaluation quantitative de ce qu'il reste à faire. La réponse, c'est : le plus possible ! Ainsi, le Plom 2 est-il remplacé par un document appelé « Objectif logement outre-mer », signé par toutes les parties et pas seulement par l'État.

L'inoccupation d'un certain nombre de logements constitue un sujet grave. Avec l'Anah, nous devons décider de mesures fortes.

Dans le projet de loi de finances pour 2020, il a été prévu de lutter contre l'habitat indigne en multipliant par deux les crédits de la LBU qui y sont consacrés ; nous en sommes à 32 millions d'euros.

Vous avez raison : il faut une vision ensemble. Je ne veux plus d'un plan étato-étatique, mais des objectifs partagés par tous les acteurs et qui soient différenciés selon les territoires.

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les problématiques sont nombreuses. Ne pouvant m'exprimer sur les 77 recommandations du rapport, je me concentrerai sur la dernière série, qui porte sur les nécessaires évolutions de la construction pour s'adapter au changement climatique.

Inventer l'habitat résilient de demain, construire à partir de matériaux locaux biosourcés est un impératif, quand trois-quarts des déchets proviennent du BTP. Un habitat plus économe, plus résilient face aux catastrophes naturelles, voilà un véritable défi.

Les écologistes ont toujours plaidé pour la différenciation des territoires et l'adaptation des normes. De nombreuses préconisations du rapport renforceraient le tissu économique local et limiteraient l'exode de la jeunesse ultramarine, en créant de la richesse, et en permettant aux populations de prendre à bras-le-corps le problème du logement.

Il faudrait sauvegarder et valoriser les savoir-faire traditionnels, comme la brique compressée à Mayotte. Mais n'oublions pas de nombreuses essences locales : pin des Caraïbes, bambou, bagasse, vétiver, falcata, amarante - appelée aussi bois violet - angélique, gaïac, wacapou, wapa...

L'écomusée Te Fare Natura de Moorea devrait être érigé en modèle : l'habitat vernaculaire doit être réhabilité. Partout où c'est possible, il faut privilégier les matériaux locaux, plus résistants et plus efficaces contre les risques sismiques, par rapport au béton. Des logements plus aérés limitent les besoins en climatisation.

Le béton résiste mieux aux cyclones, mais c'est une ressource non recyclable et importée. Il faut limiter son usage au strict nécessaire. Les architectes auditionnés ont rappelé qu'ils savaient construire des solutions de refuge adaptées.

Les savoir-faire traditionnels peuvent être sublimés par les connaissances modernes, pour que les outre-mer deviennent des terres d'innovation. Faisons de nos territoires ultramarins le modèle de nos ambitions écologiques en matière de construction.

Construction vertueuse, confort de vie et développement économique peuvent se concilier, et tout ira pour le mieux ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDPI ; M. Victorin Lurel applaudit également.)

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - L'État ne saurait être maire, architecte et constructeur. Il n'est pas sûr par ailleurs qu'on arrivera à construire 80 000 logements ainsi. Mais ce que vous me dites, c'est aux maires et architectes qu'il faut le dire ! Ce n'est pas le ministère qui délivre les permis de construire. Nous incitons tout le monde à aller dans ce sens, mais nous ne pouvons faire plus.

M. Daniel Salmon.  - Un ministre peut tout de même faire un certain nombre de choses : organiser des filières (M. Victorin Lurel le confirme), installer des formations ou assouplir des normes très bloquantes pour autoriser les expérimentations.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - La délégation sénatoriale aux outre-mer a publié il y a 18 mois son rapport très intéressant. La problématique de l'habitat informel méritait tout particulièrement d'être débattue.

À cet égard, en novembre 2018, le Parlement a adopté dans la loi Elan des mesures spécifiques à la Guyane et Mayotte autorisant les préfets à ordonner sans décision de justice l'évacuation des logements concernés par les occupants et leur destruction par les propriétaires.

Cette loi a suscité un formidable espoir pour nos populations. En Guyane, un logement sur quatre a été construit sans droit ni titre. À Saint-Laurent du Maroni, ce sont 60 % des logements. Dès que la mairie veut construire un projet, le terrain est occupé. Paradoxalement, de nombreux logements informels sont construits sur des territoires appartenant à l'État. L'impuissance de certains acteurs ne rassure guère les petits propriétaires, privés du produit de leur dur labeur.

Lorsque j'étais maire, j'ai souvent eu à intervenir face à des propriétaires exaspérés par l'impuissance de l'État. En 2018, en plein examen de la loi Elan, une foule vindicative procédait, en Guyane, au délogement brutal d'une famille. Nous avons évité de peu un drame.

Moi aussi, j'ai placé beaucoup d'espoir dans la loi Elan. Certes, plusieurs zones d'habitat spontané ont été détruites. Mais nous devons avoir l'honnêteté de dire que ces opérations n'ont pas eu les résultats escomptés.

La pression migratoire et les contentieux paralysent les procédures. Le passage de la théorie à la pratique est bien plus complexe que prévu. (M. Victorin Lurel le confirme.) Les expulsions sont conditionnées à des relogements, or les préfectures ne sont pas capables d'en proposer. Ainsi, les squats succèdent aux squats.

La Guyane n'est pas en mesure de reloger les habitants délogés, faute de logements en quantité suffisante. Depuis vingt ans, l'habitat informel progresse bien plus vite que le logement légal.

Je me réjouis que le RDPI défende la proposition de loi contre l'occupation illicite de logements. Il n'est pas acceptable que certains territoires de la République livrent seuls le combat contre l'habitat illicite. En visite à la Guyane, François Mitterrand s'offusquait que l'on lance des fusées au-dessus des bidonvilles ; quarante ans plus tard, rien n'a changé, et l'habitat informel se développe à la vitesse d'un lanceur au décollage...

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Une chose a changé : une pression migratoire extraordinaire. C'est certes une constante de la Guyane, avec l'immigration venue de Haïti et des pays limitrophes. Mais s'y ajoute une nouvelle immigration d'Afghans, de Syriens, de Marocains et de Kurdes. Je ne veux pas qu'ils stationnent autour de la cathédrale de Cayenne et je demande la destruction systématique de leurs tentes, avec relogement. Je salue à cet égard l'action du président Serville.

Ancien préfet, je n'ai jamais expulsé, sauf cas grave, des gens qu'on ne savait pas reloger complètement.

Les 26 opérations d'intérêt national (OIN) ne se feront pas toutes seules. À Saint-Laurent-du-Maroni, nous espérons faire avancer la ZAC de Margot, en la confiant directement à la communauté de communes. Construire des logements, c'est la seule réponse. Mais ne trahissons pas notre âme : en matière d'immigration, comme de logement.

Mme Victoire Jasmin .  - Cette question fait débat depuis longtemps, mais continue de préoccuper nos populations. Les recommandations du rapport vont dans le sens d'un nouveau plan pluriannuel. Le Plom 1 a été un échec.

Faute d'une prise en compte des spécificités locales, nous n'avons pas avancé. Les problématiques de l'habitat insalubre restent inchangées, sans parler de l'indivision successorale. Le Plom 2 voudrait rattraper le retard. L'inadéquation entre la demande des 80 % de ménages éligibles au logement social et la faiblesse de l'offre est criante.

Il faut une réponse différenciée dans l'esprit de la loi 3DS, car si le risque climatique est partout, les contraintes sont différentes en fonction des territoires. Depuis le rapport « Le BTP outre-mer, au pied du mur normatif » de 2017, nous constatons le manque de mises en oeuvre concrètes. Nous l'avons vu avec Irma, Maria et Fiona, il faut mieux prendre en compte les aléas climatiques dans la construction et l'aménagement du territoire.

Les populations doivent accéder à la propriété pour un coût réduit et tout en diminuant leur impact énergétique.

Des exemples de constructions étonnamment résistantes existent. Je pense à la Maison Boc, à Marie-Galante, construite en 1900, à l'habitation Zévallos, de 1870, en Guadeloupe... Ces maisons, primées par le Loto du patrimoine, interpellent par leur longévité et leur résilience. Nous devons définir des projets de recherche, et favoriser des maisons en bois plus vertueuses écologiquement.

Les maisons doivent aussi être mieux assurées. Les coûts des aléas climatiques sont très importants, il faut maîtriser les primes d'assurance. Avec le colloque du 20 janvier prochain au Gosier sur le thème « Construire en bois aux Antilles-Guyane », nous sommes sur le bon chemin. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - L'assemblée des notaires et les assureurs sont prévenus : ils doivent participer à la rénovation des logements en outre-mer. Les indivisions successorales sont effectivement un frein important à la Martinique et à la Guadeloupe - et je ne parle pas de Mayotte ! Il y a aussi la problématique des constructions sur les cinquante pas géométriques.

Les logements sont un vrai sujet. Comment peut-on avoir une crise du logement en Guadeloupe et en Martinique, alors que ces îles perdent 5 000 habitants par an et qu'il y a des milliers de logements vacants ? Il faut se poser les bonnes questions.

Enfin, faut-il relever le revenu minimum pour que certaines personnes, âgées notamment, puissent occuper des logements HLM vacants ? J'y suis favorable.

Mme Viviane Malet .  - (Mmes Micheline Jacques et Nassimah Dindar applaudissent.) Je salue cette initiative de la délégation aux outre-mer. Le sujet est fondamental pour les habitants de ces territoires, il mérite un travail approfondi.

Le constat est saisissant - vous connaissez les chiffres : 80 % de ménages éligibles à un logement social, alors que seulement 15 % en disposent. Nos populations vieillissent, et les revenus sont plus faibles qu'en métropole. Les logements indignes et insalubres représentent 13 % du parc immobilier, contre 1,3 % en métropole. Pas moins de 25 000 familles réunionnaises sont en attente d'un logement social, alors qu'à peine 2 000 logements ont été livrés par an sur cinq ans.

La production de logements est en crise. Il faut redresser la barre.

Les solutions existent. Les crédits de la LBU doivent être mieux consommés. À La Réunion, la construction des T1 et T2 est insuffisante, et le coût est trop élevé. Il faut changer de logiciel et axer notre action vers les populations les plus âgées et les personnes seules et modestes.

L'Anru joue un rôle important, mais elle doit revoir ses maquettes financières, qui datent de l'avant-crise du covid. Les coûts de construction ont explosé depuis. Saint-Pierre de la Réunion a contractualisé en mars 2020, au tout début de la crise sanitaire, et doit demander une modification de calendrier et une subvention supplémentaire. Pas moins de 500 logements sont en jeu.

L'Anah doit pouvoir délivrer des aides aux propriétaires des outre-mer : une telle disparité entre les outre-mer et l'Hexagone ne peut perdurer.

Enfin, nous devons accompagner l'auto-réhabilitation des logements. Le département de La Réunion s'engage dans cette voie : les dossiers sont passés de 2 000 à 4 000 par an. L'association des maires de La Réunion s'est saisie de cette problématique.

Cette feuille de route est une étape importante, mais n'est en rien un aboutissement pour reprendre les mots de Serge Hoareau, président de l'Association des maires de La Réunion.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - J'ai demandé de revoir toutes les conventions Anru pour toute l'outre-mer, et je souscris à vos propos sur l'Anah.

Les prêts d'Action logement diminuent de volume. Comment faire pour harmoniser les dispositifs ? Voilà une vraie interrogation.

La séance est suspendue quelques instants.

Mme Catherine Conconne .  - Faisons la révolution ! Ouvrons le champ des possibles ! Arrêtons de traiter cette problématique du logement dans le vrac de la dite « outre-mer ». Le logement fait partie de la vie des gens, de leur histoire, de leur culture. On ne vit pas à Saint-Pierre-et-Miquelon comme à Tahiti ou à Fort-de-France ! Les situations sont extrêmement différentes. Je ne vous parlerai donc que de la Martinique, car c'est le pays que je connais le mieux. Vous avez évoqué des réalités qui ne ressemblent pas du tout à ce qui s'y passe.

Depuis 70 ans, des efforts immenses ont été accomplis pour un mieux vivre des habitants. On est loin des premières opérations de résorption de l'habitat insalubre irrémédiable ou dangereux (RHI). Le premier lotissement populaire a été construit dans les années 1920, par le maire Victor Sévère, sans fonds européens ni LBU !

Il faudrait que 100 % de la politique du logement soit gérée par les collectivités. Donnez-nous les moyens, nous saurons faire ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

En Martinique, nous perdons des habitants, étant passés de 400 000 à 350 000. Nous avons 20 000 logements vides. J'ai des idées pour donner vie à ces fantômes que sont devenues certaines rues, voire certains quartiers et certaines communes - qui peuvent compter jusqu'à 60 % de logements vacants. Stop ! Arrêtons de construire des barres de béton. Il nous faut faire de la dentelle, pas construire de grands ensembles. Cela demande un travail commun, pour comprendre la réalité de chaque territoire.

Le logement est un excellent exemple de ce qu'exprime l'appel de Fort-de-France : une volonté de responsabilité ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - L'humanité naît à partir de la conscience d'un toit - c'est la vision que j'essaie de faire partager à l'appareil d'État.

Je suis heureux que vous ne soyez pas concernée, hormis intellectuellement, par ce que nous faisons à Mayotte. Nous sommes d'accord.

Pour les logements vacants, je n'ai pas encore de solution. Il nous faut faire de la dentelle, certes. Je recevrai les 24 et 25 janvier les parlementaires des outre-mer et les membres des deux délégations aux outre-mer : tout est ouvert, mais attention à bien cadrer les choses.

Nous parlons souvent d'autonomie, mais je n'aime pas trop ce mot, qui entraîne la question des recettes, et notamment de l'octroi de mer.

J'ai eu l'autorisation des plus hautes autorités pour mener des concertations et aboutir à la fin du mois de juillet, avec toutes les parties prenantes.

Mme Catherine Conconne.  - Nous sommes d'accord. Comme vous y allez demain, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter la bienvenue dans le plus beau pays du monde, la Martinique !

M. François Bonhomme.  - Il ne faut pas exagérer !

Mme Annick Petrus .  - Je remercie la délégation pour son initiative, qui nous permet de débattre sur nos ressemblances et nos différences. Les territoires d'outre-mer ne sont pas tous régis par les mêmes statuts. La compétence du logement varie. Elle est une compétence de la collectivité de Saint-Martin alors que la solidarité relève de l'État. Nous ne sommes plus éligibles aux aides à la pierre, à la LBU, à la RHI et au Plom.

Saint-Martin pâtit cependant de l'absence de l'accompagnement de l'État - non sollicité, il est vrai. Nous manquons de logement social et intermédiaire.

Nous devons refonder la politique du logement, en nous appuyant sur des conventions entre les collectivités, l'État et les agences. Nous aurons besoin de l'ingénierie de l'État et de votre appui, monsieur le ministre.

Autre piste : la participation des employeurs à l'effort de construction, dit le 1 % logement. Huit entreprises de Saint-Martin y seraient éligibles, pour une recette de 88 000 euros. Avec le plan d'investissement volontaire d'Action logement, cela nous permettrait de récupérer entre 2,5 et 3 millions d'euros par an sur les cinq prochaines années.

Il est en effet impératif que la collectivité bénéficie du reliquat de 400 millions d'euros du plan d'investissement 2019-2022, que j'espère voir prorogé. Nous pouvons aussi bénéficier d'aides étatiques contre l'habitat insalubre.

Autant d'actions qui amélioreraient sensiblement la situation des Saint-martinois. (MmeNassimah Dindar et Viviane Malet applaudissent.)

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Saint-Martin n'a pas accès à de nombreux dispositifs, de l'Anru notamment. Nous y travaillons avec l'Anah, l'Anru et Action logement. Le problème n'est pas celui des recettes, mais de l'accès aux prestations, ce qui suppose de changer certaines règles. Je vais très prochainement rencontrer le président Mussington ; je lui demanderai aussi, comme aux autres présidents de collectivités d'outre-mer, de me donner des terrains pour loger les fonctionnaires.

M. Victorin Lurel.  - Et où les collectivités territoriales trouvent-elles l'argent ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Il s'agit de baux emphytéotiques sur des terrains appartenant à la collectivité. Des promoteurs sont prêts à rendre les constructions à la collectivité au bout de cinquante ans. Cela ne coûte rien à personne ! C'est donnant-donnant !

Je conclus. Merci à la commission pour cet échange. Je ne suis pas né du ciel. Je viens ici écouter ce qu'il y a à faire. Si je n'écoute pas les élus, j'écouterai l'administration, et vous aurez de l'administration administrante. Ce sera gai ! Ces échanges sont fondamentaux.

Nous avons commencé à travailler avec plusieurs ministères pour modifier l'approche. Le logement est au coeur de la vie des habitants. La réponse doit être différenciée.

La LBU a été consommée en 2020-2021, enfin. Ce n'est pas un problème d'argent, mais d'organisation et de volonté, de différenciation. Il faut travailler ensemble, améliorer les règles et les normes. J'y suis prêt, mais je n'y arriverai pas sans vous, sans les collectivités, sans les constructeurs.

Je crois profondément que ma décision de quitter le PIom pour aller vers Objectif logement, cosigné par tout le monde, avec des solutions territorialisées, nous aidera à avancer.

Je suis convaincu que l'on a plus de chance de réussir si l'on est ensemble. Merci de pousser l'État à bouger !

M. Victorin Lurel, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - Je suis bien gêné. C'est bien la première fois que je conclus un débat sans savoir que dire ! (Sourires)

Vieux parlementaire, je suis très étonné par la prestation de notre ministre. Ainsi, je laisserai de côté mon beau discours. (L'orateur écarte le discours imprimé posé devant lui.)

Monsieur le ministre, évitez des sorties qui, prononcées à l'Assemblée nationale ou ailleurs, susciteraient la controverse : parler de la pression migratoire en Guyane en évoquant les alentours de la cathédrale, dans ce temple républicain, est une approximation malvenue.

Je suis élu depuis plus de vingt ans ; les problèmes, nous les connaissons !

À vous écouter, vous êtes d'accord sur tout. Vous allez nous faire siéger dans toutes les instances nationales voulues... Mais vous avez évité de parler de l'instance qui nous représente véritablement, l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (Ushom). Choisissez des représentants pour que nous puissions défendre nos intérêts. Or ce n'est pas le cas !

Monsieur le ministre, vous n'êtes pas compétent sur tout. Nous n'avons jamais dit que l'État était le seul responsable, mais la politique du logement est verticale et centralisée. Elle relève de l'État.

La délégation a mené un excellent travail, mais vous n'avez retenu aucune de ses 77 recommandations. Avant vous, il y a eu d'autres ministres, il y a une continuité de l'action de l'État... Il semblerait, à vous entendre, que vous ayez tout découvert et que vous allez tout régler.

Le Plom 1 a été un échec ; le Plom 2 n'a pas été exécuté, aucun comité de pilotage n'a été installé. Et vous proposez non un Plom 3 mais un Objectif logement outre-mer, sans plus d'orientation.

Faites donc une révolution systémique !

La LBU était de 243 millions d'euros en crédits de paiement il y a dix ans, elle n'est plus que de 179 millions. Vous regrettez le manque d'ingénierie mais baissez les crédits dédiés de 3 millions d'euros !

Vous avez une certaine manière de vous défausser. Parlons-nous en adultes : il faut décentraliser les crédits de la LBU. L'Objectif logement devra être soumis aux parlementaires.

Cher ami, il est temps d'agir, il faut se réveiller ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Viviane Malet applaudit également.)

Prochaine séance demain, jeudi 12 janvier 2023, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 15.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 12 janvier 2023

Séance publique

À 10 h 30 et 14 h 30

Présidence : M. Alain Richard, vice-président, M. Roger Karoutchi, vice-président

Secrétaires : M. Joël Guerriau - Mme Françoise Férat

1. Vingt-sept questions orales

2. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels, présentée par MM. Fabien Gay, Pierre Laurent, Mme Marie-Noëlle Lienemann et plusieurs de leurs collègues (n°176, 2022-2023) (demande du groupe CRCE)