Favoriser les travaux de rénovation énergétique (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à ouvrir le tiers financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - Transition écologique et cohésion des territoires - nous y sommes avec cette proposition de loi, qui répond à la question : comment soutenir les élus locaux et leur donner les moyens pour accélérer la rénovation des bâtiments publics ?

Notre pays s'est engagé comme toute l'Europe dans une stratégie de décarbonation, afin de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici 2030. Nous avons trois leviers à disposition : l'énergie, renouvelable ou nucléaire, les infrastructures et la rénovation des bâtiments.

Le secteur résidentiel représente les deux tiers des émissions des bâtiments ; MaPrimeRénov' y répond. Restent les bâtiments publics, soit 400 millions de mètres carrés, dont 100 millions appartiennent à l'État et 300 millions aux collectivités territoriales - des bâtiments scolaires pour la moitié. C'est dire si c'est un patrimoine vivant.

Ce texte a pour mots d'ordre efficacité et exemplarité. Efficacité, car il faut rénover les bâtiments publics pour atteindre nos objectifs ; exemplarité, car nous devons faire un effort avant d'en demander à nos concitoyens.

Le coût de la rénovation de 400 millions de mètres carrés se chiffre en centaines de milliards d'euros. Comment faire face ? Les subventions et les crédits ont des limites : si l'on additionne le Fonds vert de 2 milliards d'euros, la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), le fonds chaleur avec 520 millions d'euros, on arrive à 4 milliards...

Il faut donc sortir du cadre et desserrer le frein : permettre de lisser les paiements en se remboursant sur les économies d'énergie.

Ce n'est pas une réhabilitation des partenariats public-privé (PPP) ; c'est une dérogation spécifique qui conserve à la fois une grande exigence dans l'utilisation des fonds publics et un levier pour la rénovation écologique. Pendant cinq ans, les propriétaires publics pourront signer des contrats de performance énergétique avec des personnes publiques ou privées, dans lesquels seul le chantier sera délégué, et non la gestion postérieure de l'équipement.

Cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité, tant à l'Assemblée nationale qu'en commission au Sénat. Les amendements de la rapporteure Jacqueline Eustache-Brinio apportent des garde-fous et lèvent des freins, comme sur la mutualisation des travaux par les EPCI ou les syndicats d'énergie.

La simplification de la procédure est cruciale, sans quoi les plus petites collectivités territoriales n'y auront pas recours. Je souhaite que ce texte recueille l'assentiment le plus large possible.

En le votant, nous ne contraignons personne : nous offrons aux élus un outil dont ils pourront se saisir, ou non. Nous sortons de l'injonction contradictoire entre transition écologique et maîtrise des finances publiques. Il profitera directement aux usagers, élèves comme enseignants, entre autres.

Une fois le texte voté, des prêts adaptés seront mis à disposition d'ici un mois, notamment grâce à la Banque des territoires - j'y travaille en temps masqué.

Plus largement, avec les associations d'élus locaux, nous discuterons cette année des budgets verts et de la dette verte, qui consiste à dépenser aujourd'hui pour économiser demain : le climat est un usurier, et l'inaction a un coût. (Mme Nadège Havet applaudit.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois .  - Derrière l'aspect technique, les enjeux sont considérables : réussir la transition énergétique sans dérapage des finances publiques.

Le dispositif est simple : déroger au code de la commande publique en autorisant l'État et les collectivités à différer le paiement des travaux de rénovation énergétique. Le paiement initial serait réalisé par un tiers, puis remboursé par les économies sur les factures d'énergie.

La rénovation énergétique des bâtiments nécessite des investissements colossaux. La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) impose une réduction de 60 % de la consommation finale d'énergie en 2050 par rapport à 2010. C'est un défi colossal, qui mobilisera près de 400 milliards d'euros, dont 80 milliards pour les bâtiments de l'État.

Impossible d'atteindre ces objectifs sans ressources supplémentaires. Ce texte apporte donc une solution pour aider les personnes publiques à relever le défi - mais ce n'est pas une solution miracle qui nous dédouanerait de toute réflexion. Cette expérimentation n'est pas un remède pour alléger le budget des collectivités peinant à attendre leurs objectifs, mais plutôt un outil pour favoriser la transition.

Il y a de bonnes raisons pour que le droit de la commande publique et la jurisprudence constitutionnelle encadrent le paiement différé. Le tiers financeur répercutera en effet sur les acteurs publics le coût de l'avance de trésorerie. Ce dispositif sera donc plus coûteux qu'un financement classique. Toutes les personnes auditionnées nous l'ont dit : les économies d'énergie ne compenseront pas le coût total des travaux.

Les contraintes, inspirées des PPP, seront assez lourdes, ce qui limitera l'intérêt du dispositif. C'est pourquoi la commission a rendu cette expérimentation plus accessible. Nous l'avons aussi étendue aux EPCI et aux syndicats d'énergie, qui pourront mener des travaux pour le compte de leurs membres.

En parallèle, nous avons renforcé le suivi de l'expérimentation. Il s'agira de s'assurer que les dérogations au code de la commande publique sont pleinement justifiées et que les collectivités territoriales en difficulté sont accompagnées.

Compte tenu des améliorations qu'elle lui a apportées, la commission des lois vous invite, à l'unanimité, à adopter ce texte.

Mme Jocelyne Guidez .  - La rénovation énergétique des bâtiments est une des solutions principales pour maîtriser la consommation d'énergie.

Cette proposition de loi répond à une double nécessité : exemplarité et atteinte de nos objectifs de réduction des émissions carbone. Le patrimoine immobilier du secteur public représente 400 millions de mètres carrés. Rénover ce parc coûterait plusieurs centaines de milliards d'euros. Des ressources supplémentaires sont nécessaires, surtout pour la rénovation des bâtiments scolaires, soit la moitié du bâti des collectivités territoriales.

Le tiers financement est une solution. Le texte vise à déroger à titre expérimental, pendant cinq ans, au code de la commande publique, qui interdit le paiement différé. Cette dérogation vise les contrats de performance énergétique, un outil qui reste peu employé par les acheteurs publics.

Nous soutenons le principe d'une expérimentation, qui donnera lieu à évaluation. Je salue les améliorations apportées en commission : extension aux EPCI, assouplissement des conditions de mise en oeuvre, étude de soutenabilité plus précise pour prévenir les situations de surendettement.

Toutefois, certaines interrogations subsistent. Certaines entreprises ne proposeront-elles pas que des solutions copiées-collées ? Et quelle sera la nature de la dette engendrée ?

Malgré tout, nous voterons ce texte. (Marques de satisfaction au banc des commissions)

Mme Nathalie Delattre .  - Entre les records de chaleur et les vagues de froid, les derniers mois ont souligné l'urgence climatique et l'impérieuse nécessité d'agir en faveur de la transition énergétique, sur des fronts multiples.

La rénovation énergétique des bâtiments est un enjeu de taille. Les bâtiments publics occupent une place considérable dans les émissions de gaz à effet de serre. Or trop peu de rénovations sont engagées.

Cette proposition de loi s'inscrit dans une dynamique attendue : plus de souplesse pour plus d'efficacité. Les contrats de performance énergétique sont trop peu utilisés, car ils sont difficiles à mettre en oeuvre pour les collectivités territoriales.

Les règles de la commande publique sont contraignantes, le plus souvent pour de bonnes raisons. L'usage des deniers publics doit être encadré, ce qui justifie l'interdiction du paiement différé. Toutefois, cette règle ne doit pas conduire l'administration à s'isoler - sans jeu de mot... - du reste de la société.

Le tiers financement permettrait aux administrations de mener des travaux de rénovation d'envergure. Le RDSE souscrit à cette souplesse, d'autant qu'elle vient en complément des solutions existantes.

Il faut toutefois rester vigilant. À l'issue de l'expérimentation, nous devrons nous assurer que les collectivités territoriales se sont saisies du dispositif et que celui-ci n'a pas entraîné de mauvaises pratiques ni de mauvaises dettes.

Ce travail d'évaluation devra être mené sérieusement : le Sénat est la chambre idéale pour s'en charger.

Notre groupe votera cette proposition de loi, surtout après les améliorations apportées par la rapporteure, notamment sur le renforcement des mécanismes de contrôle et la création d'études de soutenabilité.

Grâce à eux, le texte est équilibré : le groupe RDSE se réjouit de son adoption probable.

Mme Valérie Boyer .  - Le Sénat a toujours été très attentif aux finances des collectivités territoriales et à l'environnement. Ce texte, de prime abord technique, vise à accélérer la rénovation thermique des bâtiments publics, qui représentent le chiffre colossal de 400 millions de mètres carrés.

Cette accélération est indispensable. La maîtrise des consommations est devenue un enjeu crucial. Dans le contexte géopolitique actuel, certaines communes sont forcées à des choix difficiles : nous connaissons tous leur détresse. Dans un climat financier dégradé, les contrats de performance énergétique ont été peu utilisés - 383 contrats signés seulement entre 2007 et 2021.

Cette proposition de loi vise à assouplir les règles de la commande publique. Le dispositif proposé contribuera à lever les freins à l'investissement : les économies générées contribueront au paiement des travaux.

Toutefois, il n'est qu'un outil complémentaire, qui n'a pas vocation à être systématisé. Il ne doit pas non plus fragiliser les finances locales.

In fine, les choix décisifs seront faits à l'échelle locale. Plusieurs amendements adoptés en commission ont amélioré le dispositif : extension aux EPCI et syndicats d'énergie, renforcement de la soutenabilité budgétaire.

J'espère que le rapport d'évaluation ne constituera pas un frein à son maintien futur. Je me réjouis de son existence, car on nous refuse nombre de rapports. Il est pourtant essentiel que le Parlement dispose d'une bonne information. Je ne parle même pas de l'étude d'impact absente sur la réforme des retraites...

Compte tenu des améliorations apportées en commission, notre groupe votera ce texte.

M. Claude Malhuret .  - La décarbonation du bâti public est un défi majeur. Ce parc de 400 à 500 millions de mètres carrés se déprécie peu à peu. Les investissements sont colossaux, les enjeux immenses. Il est donc urgent d'accompagner les élus.

Ce texte vise à lisser dans le temps le paiement des investissements liés aux contrats de performance énergétique, de manière encadrée et sécurisée. Le Sénat a adapté le texte aux territoires ruraux, en ouvrant le dispositif aux EPCI. C'est une carte supplémentaire dans le jeu des élus locaux, qui permettra de lancer les chantiers. Nous devrons en tirer le bilan à terme.

Les associations d'élus soutiennent le texte : c'est un bon indicateur. Il apporte des solutions concrètes aux élus, l'expérimentation est innovante. Mais il faudra en tirer toutes les conséquences.

Le contexte actuel nous rappelle l'urgence d'agir. Nous devons envoyer un signal de souplesse pour déclencher les projets locaux, souvent revus à la baisse face à l'augmentation des factures des communes. Les passoires thermiques dans le parc public ne sont plus acceptables.

En votant ce texte, le Parlement ouvrira la voie à de nombreux projets d'ampleur : c'est un bon signal pour l'environnement comme pour le dynamisme de nos communes.

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La Cour des comptes signalait l'année dernière l'incohérence des mesures gouvernementales en faveur de la transition énergétique.

Notre groupe alerte depuis longtemps sur les problématiques des passoires thermiques et les charges qui pèsent sur les foyers modestes. Les bâtiments publics ne sont pas épargnés : ils sont la première source de consommation d'énergie. À Marseille, une école sur trois dépasse le seuil de surconsommation, fixé à 20 000 MW par an, soit la consommation d'une ville de 7 000 habitants ! L'effort sur les écoles a été trop longtemps repoussé, et les factures s'envolent.

Cette proposition de loi tente de répondre à la problématique du coût très élevé des travaux. Notre groupe soutient l'expérimentation, mais nous avons des interrogations. Souvenons-nous des PPP et des abus commis par les acteurs privés.

J'approuve le constat de la rapporteure : ce dispositif doit être complémentaire, non central, car le tiers financement entraîne des surcoûts. L'expérimentation est une bonne idée, car nos objectifs ne pourront être atteints sans accompagnement. Mais il faudra faire le bilan des actions qui fonctionnent ou non. Les difficultés sont présentes partout : en ville comme en milieu rural, dans les petites collectivités territoriales comme dans les grandes.

Nous voterons ce texte, en restant vigilants sur les possibles dérives du marché de la rénovation, notamment dans le cadre de la commission d'enquête dont Guillaume Gontard est rapporteur.

Mme Nadège Havet .  - L'objectif de 60 % de réduction d'émission des bâtiments publics est un défi majeur. La presse a pu parler de chantier du siècle.

De fait, le parc public fait 400 millions de mètres carrés, et des centaines de milliards d'euros de rénovation sont nécessaires. Dans le cadre de notre droit de tirage pour 2023, nous avons demandé la création d'une mission d'information sur la situation particulière des écoles, collèges et lycées, qui représentent 50 % du parc des collectivités territoriales.

Déposée par la présidente du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale, Aurore Bergé, cette proposition de loi tend à encourager les personnes publiques à avoir recours aux contrats de performance énergétique. En dérogeant au code de la commande publique, les travaux de rénovation énergétique pourront être entamés, et le remboursement sera progressif sous forme de loyer annuel, en partie payé par les économies réalisées.

Le tiers financement permettra aux élus de garder la main sur les projets. La commission a adapté le dispositif pour le rendre plus souple. De plus, le ministre a sollicité la Banque des territoires pour soutenir les collectivités territoriales en matière d'ingénierie.

Le groupe RDPI soutient ce texte et souhaite que le tiers financement soit opérationnel dès cet été.

M. Jean-Yves Leconte .  - Grenelle de l'environnement, accord de Paris, loi Elan : chaque fois on constate les mêmes engagements, selon le principe que la meilleure énergie est celle que l'on ne consomme pas.

Au niveau européen, un trilogue est engagé sur la refonte du marché carbone. Il est essentiel de répondre aux exigences, surtout après le coup de tonnerre de l'agression russe en Ukraine, qui a mis en évidence notre dépendance aux énergies fossiles.

Trouver des solutions est indispensable, en particulier pour le parc public : la rénovation coûterait 400 milliards d'euros, soit vingt points de PIB !

Le principe de l'expérimentation pour déroger au code de la commande publique est intéressant, même si ce dispositif ne résoudra pas tout. Les besoins sont urgents, nous ne pouvons que saluer ce texte.

Il faudra veiller à ce qu'il ne favorise pas les gros maîtres d'oeuvre, bénéficiant d'une ingénierie financière, au détriment des petits artisans et des PME. Ensuite, certaines collectivités sont dans des situations précaires : le risque d'accumulation d'engagements financiers est réel - voyez les PPP, voyez la situation du ministère de la justice. Un suivi rigoureux sera nécessaire.

Je regrette que l'Union européenne et l'État ne donnent pas plus de moyens, mais le groupe SER votera la proposition de loi.

Mme Michelle Gréaume .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Je salue la volonté du Gouvernement de mettre au coeur des débats la transition énergétique, tant les conséquences sont importantes pour les générations futures. La rénovation énergétique est très coûteuse, alors que la précarité énergétique des ménages est souvent très grande. Les acteurs publics se doivent d'être exemplaires.

Le chauffage des bâtiments publics représente 2,6 % de la consommation finale d'électricité en France. Un bâtiment public sur deux est un bâtiment scolaire. S'ils sont mal isolés, une spirale négative commence : absence de professeurs, fermetures en raison des canicules. Il faut rénover.

Cette proposition de loi accompagne cette rénovation énergétique ; les communes, notamment rurales, pourront réaliser des investissements. Mais nous restons dubitatifs : quand on veut respecter les standards, les normes sont si nombreuses que c'est toute la structure du bâti qui doit être revue. Par ailleurs, des formations sont nécessaires pour assurer les travaux. Les PME seront sûrement sacrifiées face aux grandes entreprises. Près de quatre élus sur dix disent ne pas avoir les moyens de mettre en oeuvre les projets de rénovation. Les collectivités territoriales doivent présenter des budgets équilibrés, contrairement à l'État. Quant à l'impact des rénovations, nous manquons de visibilité.

L'État ne peut se désengager. Un grand plan de rénovation publique porté par l'État, surtout pour les écoles, est nécessaire. Nous nous abstiendrons sur ce texte. Si des évaluations plus poussées sont menées, nous pourrions changer de position.

La proposition de loi est adoptée.

Prochaine séance, mercredi 1er mars 2023, à 15 heures.

La séance est levée à 13 h 20.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 1er mars 2023

Séance publique

À 15 heures, 16 h 30 et le soir

1. Questions d'actualité au Gouvernement

2. Désignation des dix-neuf membres de la commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence (droit de tirage du groupe INDEP)

3. Débat d'actualité

4. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique, présentée par Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et plusieurs de leurs collègues (n°260, 2022-2023) (demande du groupe UC)

5. Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à renforcer la voix des élus locaux au sein du service public de l'assainissement francilien, présentée par Mme Marta de Cidrac et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, 351, 2022-2023) (demande du groupe Les Républicains)