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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Souveraineté européenne

M. Olivier Cigolotti

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Ligue des droits de l'Homme (I)

Mme Éliane Assassi

Mme Élisabeth Borne, Première ministre

Lutte contre la fraude

M. Didier Rambaud

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics

Violences d'extrême droite

M. Yan Chantrel

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté

Pollution de l'eau (I)

Mme Véronique Guillotin

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Pollution de l'eau (II)

M. Joël Labbé

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Préservation du patrimoine communal

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture

Reprise de l'entreprise Segault

Mme Sophie Primas

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications

Déplacement du Président de la République en Chine

M. Pascal Allizard

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Difficultés de l'hôpital

M. Jean-Claude Tissot

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention

Exportation des céréales françaises

Mme Chantal Deseyne

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

FCTVA et dotations aux collectivités

M. Jean-Marie Mizzon

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Ligue des droits de l'homme (II)

M. François Bonhomme

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté

Réforme des retraites

Mme Annie Le Houerou

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Quatrième année de médecine générale

Mme Annie Delmont-Koropoulis

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention

Pollution de l'eau (III)

Mme Catherine Procaccia

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Mises au point au sujet de votes

Impacts économique, social et politique de l'intelligence artificielle générative

M. André Gattolin

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Pascal Savoldelli

Mme Catherine Morin-Desailly

M. Stéphane Ravier

M. Jean-Claude Requier

M. Cyril Pellevat

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Monique de Marco

Mme Sylvie Robert

M. Pierre-Antoine Levi

M. Jean-Jacques Panunzi

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications

Mises au point au sujet d'un vote

Rappel au Règlement

Forces de l'ordre

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution

M. Jérôme Durain

Mme Éliane Assassi

M. Pascal Martin

M. Stéphane Ravier

Mme Nathalie Delattre

M. Olivier Paccaud

M. Franck Menonville

M. Xavier Iacovelli

M. François Bonhomme

M. Pascal Allizard

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté

Avis sur des nominations

Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (Conclusions de la CMP)

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la CMP

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques

M. Pierre Laurent

M. Claude Kern

M. Bernard Fialaire

M. Michel Savin

M. Franck Menonville

M. Guy Benarroche

M. Dominique Théophile

M. Jérôme Durain

Mise au point au sujet d'un vote

Pollution lumineuse

Mme Annick Jacquemet, au nom de l'Opecst

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Mme Annick Billon

Mme Guylène Pantel

M. Jean-Claude Anglars

M. Franck Menonville

M. Jacques Fernique

Mme Nadège Havet

M. Joël Bigot

M. Jean-François Longeot

M. Guillaume Chevrollier

Mme Martine Filleul

Mme Marie-Pierre Richer

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Else Joseph

M. Marc Laménie

Mme Laurence Muller-Bronn

Mme Annick Jacquemet, au nom de l'Opecst

Ordre du jour du jeudi 13 avril 2023




SÉANCE

du mercredi 12 avril 2023

80e séance de la session ordinaire 2022-2023

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.

Souveraineté européenne

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP) « La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur le sujet de Taïwan et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise ». Ces propos du Président de la République suscitent un tollé international, à la veille de manoeuvres chinoises sans précédent ; alors que les tensions autour de Taïwan sont maximales, ils sont pour le moins maladroits.

Notre positionnement diplomatique est plus flou que jamais - un « en même temps » qui n'est pas partagé par l'ensemble des pays européens, dont certains ont fait le choix d'un partenariat américain. Alors que la guerre en Ukraine suppose une collaboration renforcée entre Bruxelles et Washington, cette polyphonie ne peut que nous affaiblir.

La France lèvera-t-elle toute ambiguïté sur sa position vis-à-vis de Taïwan ? Comment faire avancer l'autonomie européenne sans remettre en cause le partenariat privilégié avec notre allié américain ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur de nombreuses travées des groupes Les Républicains, INDEP, SER et du RDSE)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Veuillez excuser Mme Colonna, qui accompagne le Président de la République aux Pays-Bas.

La position de la France sur la situation en Asie est constante. D'abord, l'Union européenne doit défendre ses propres intérêts. Le Président de la République l'a toujours dit : nous ne sommes pas à équidistance de Pékin et de Washington, avec qui nous partageons des valeurs. La relation avec Pékin s'inscrit dans un cadre européen clair depuis 2019 : partenariat, concurrence économique, rivalité systémique. Nous voulons éviter une logique de confrontation bloc à bloc.

Sur Taïwan, nous sommes opposés à toute modification unilatérale du statu quo, fortiori par la force. Dans le cadre de notre politique d'une seule Chine, nous coopérons avec Taïwan dans de nombreux domaines.

Les Européens doivent aussi défendre leurs intérêts économiques de manière indépendante ; ils l'ont fait avec les instruments de défense commerciale, à l'initiative de la France, et avec le « de-risking » qui vise à diversifier nos sources d'approvisionnement.

Le Président de la République a dit les choses très clairement au président Xi, dans le cadre d'un dialogue exigeant et franc, loin des polémiques.

M. Michel Savin.  - Dur, dur !

M. Olivier Cigolotti.  - De l'Ukraine à Taïwan, nos alliés ne peuvent que s'interroger sur la stratégie française. Erreur d'analyse ou faute tactique, les propos du Président de la République à son retour de Chine sont un magnifique cadeau diplomatique à Xi Jinping. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, INDEP, SER et du RDSE)

Ligue des droits de l'Homme (I)

Mme Éliane Assassi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Ma question est solennelle, car elle porte sur la République. Le ministre de l'intérieur a menacé sans sourciller de remettre en cause les subventions publiques à la Ligue des droits de l'Homme (LDH), qui a exercé un rôle d'observateur à Sainte-Soline ou sur d'autres théâtres d'affrontements.

Ces menaces sont d'une gravité insupportable. Peut-on accepter qu'un ministre de la République s'en prenne à une association qui fait l'honneur de celle-ci ? La LDH, créée pour défendre le capitaine Dreyfus, défend tout citoyen victime d'une injustice ou d'une atteinte à ses droits.

Dès le début du XXe siècle, elle défendit la justice sociale et le droit des travailleurs. N'oublions pas. À la Libération, un tiers du comité central de la Ligue avait disparu ; son président Victor Basch fut assassiné en 1944 par la milice et les nazis.

Tout au long du XXe siècle, cette grande association a contrôlé les excès des pouvoirs publics. Sans de telles vigies, l'autoritarisme peut prendre le dessus.

Avec les mille personnalités qui ont signé une tribune dans L'Humanité, je vous en conjure : ne touchez pas à la Ligue des droits de l'Homme ! Madame la Première ministre, allez-vous désavouer devant le Sénat les propos de votre ministre de l'intérieur ? (Applaudissements nourris sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)

Mme Élisabeth Borne, Première ministre .  - Depuis plusieurs semaines, certains, au Sénat, à l'Assemblée nationale, dans la presse, dénoncent une « dérive autoritaire ». C'est une accusation aussi grave que mensongère. Notre État de droit et notre République reposent sur des libertés fondamentales, que nous défendons.

Les associations de défense des libertés publiques et des droits de l'Homme mènent ce combat. Elles prennent position et s'expriment librement. Nous veillerons à ce que cela demeure. Comme d'autres, la LDH joue son rôle en observant et en critiquant des acteurs publics. Lorsque l'État est mis en cause, nous le prenons en compte. Je souhaite que cette action de vigie, d'ailleurs largement financée par l'État et les collectivités, se poursuive.

Il n'est pas question de baisser par principe la subvention de telle ou telle, mais de dialoguer avec les associations sur leurs actions, dès lors qu'il s'agit de financements publics.

Je connais l'histoire de la LDH : longtemps, elle fut mêlée à celle l'émancipation républicaine. L'universalisme était un terreau commun. Je pense à Madeleine Rebérioux ou à Me Henri Leclercq. Les signataires de la tribune parue dans L'Humanité disent leur attachement à cette histoire.

J'ai beaucoup de respect pour ce que la LDH a incarné. Je ne comprends plus certaines de ses prises de position.

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Très bien.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Cette incompréhension tient d'abord à ses ambiguïtés face à l'islamisme radical. (Applaudissements sur les travées du RDPI, des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE ; protestations à gauche) Elle s'est accentuée ces derniers mois. Rappelons que l'association a attaqué un arrêté interdisant le transport d'armes par destination à Sainte-Soline.

Cette incompréhension est partagée, et le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) a dénoncé les dérives et la défaillance de la LDH.

La liberté d'expression et la liberté de manifester sont fondamentales en démocratie. Avec le Gouvernement, et avec la majorité d'entre vous, je rends hommage aux policiers et aux gendarmes, qui connaissent leur devoir d'exemplarité et assurent l'ordre républicain - et dont près de 1 800 ont été blessés depuis début janvier.

Mme Éliane Assassi.  - Combien de manifestants ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Le droit à manifester doit pouvoir s'exercer dans la sécurité ; ce n'est pas en excusant les violences qu'on le défend. Nous continuerons à agir pour protéger ce droit, protéger les manifestants, protéger les Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI, des groupes INDEP, UC et Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE)

Lutte contre la fraude

M. Didier Rambaud .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Qu'elles soient fiscales, sociales ou douanières, la lutte contre les fraudes est un exemple de cause commune, un élément clé de notre contrat social. C'est aussi un facteur de maîtrise de nos finances publiques.

Depuis la loi du 28 octobre 2018, nous avons considérablement progressé. En 2021, 11 milliards d'euros ont été recouvrés par le contrôle fiscal, et il y a un an, McDonald's a payé une amende record de 1 milliard d'euros. En 2022, les recouvrements atteignent un niveau inédit de 14,6 milliards d'euros.

En matière de fraude sociale, les Urssaf ont doublé le montant des redressements, de 320 millions d'euros en 2013 à 788 millions en 2022.

La douane atteint des résultats historiques sur les contrefaçons ou le trafic de tabac. Le projet de loi à venir va renforcer ses outils.

Il y a quatre mois, monsieur le ministre, nous débattions de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Vous avez mis en place un groupe de travail, qui doit aboutir à un plan d'action. Que compte faire le Gouvernement pour renforcer la lutte contre la fraude sous toutes ses formes ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Je le dis solennellement : la lutte contre la fraude n'est pas qu'une question de deniers publics, mais de confiance dans l'action publique et de cohésion nationale. La classe moyenne a parfois le sentiment de trop payer car certains ne paient rien... Nous devons être implacables pour renforcer la confiance et valoriser les résultats obtenus.

L'année dernière fut historique en termes de mises en recouvrement, tant pour la fraude fiscale que pour la fraude sociale.

Pour redonner confiance, nous devons nous attaquer à toutes les fraudes - fiscale, sociale, douanière - sans les segmenter. (M. Jérôme Bascher renchérit.) C'est le sens du groupe de travail rassemblant des représentants de presque tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je présenterai prochainement un plan complet de lutte contre les fraudes. Pour l'élaborer, je me suis appuyé sur de nombreux travaux sénatoriaux, de Mme Goulet, de MM. Husson et Raynal, de M. Bocquet. J'annoncerai notamment un renforcement massif des moyens du service d'enquêtes judiciaires des finances, comme vous le demandiez.

Nous nous retrouverons prochainement pour avancer ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Pierre Louault et Alain Cazabonne applaudissent également.)

Violences d'extrême droite

M. Yan Chantrel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) À Strasbourg, le 21 mars, le Planning familial a été attaqué par un groupe d'extrême droite anti-choix. À Saint-Brévin, le 22 mars, le maire a été victime d'un incendie perpétré par l'extrême droite intégriste qui s'oppose à un centre d'accueil pour réfugiés. À Bordeaux, le 23 mars, des identitaires, qui menacent le maire depuis des mois, ont mis le feu à la porte de sa mairie.

M. Stéphane Ravier.  - Ce n'est pas vrai !

M. Yan Chantrel.  - À Metz, le 5 avril, Bilal Hassani a dû annuler un concert suite aux menaces d'un collectif d'extrême droite catholique.

Des groupuscules comme Les Remparts, à Lyon, ou l'Oriflamme, à Rennes, multiplient intimidations et attaques xénophobes et homophobes.

Partout, on constate une résurgence des violences d'extrême droite (murmures sur les travées du groupe Les Républicains), que le directeur de la DGSI considère comme la principale menace. Sur les dix dernières tentatives d'attentats, sept venaient de l'extrême droite, contre laquelle vous deviez être un rempart. Quand agirez-vous enfin contre la montée de l'extrême droite dans notre pays ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

M. Olivier Paccaud.  - Contre tous les extrêmes !

M. Marc-Philippe Daubresse.  - On croit rêver !

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté .  - Le ministre de l'intérieur est pleinement mobilisé. Les services de renseignement anticipent et détectent la formation de groupuscules, qu'ils soient d'extrême droite ou d'extrême gauche, à l'origine de troubles à l'ordre public.

Le ministère de l'intérieur fait preuve de la plus grande fermeté. Nous avons dissous les Zouaves de Paris, une association d'extrême droite qui perpétrait des délits racistes, antisémites et homophobes violents.

La proposition de résolution du groupe socialiste sur les violences d'extrême droite sera l'occasion d'en débattre.

La loi confortant le respect des principes de la République d'août 2021 offre des outils pour lutter efficacement contre tous ces séparatismes. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Yan Chantrel.  - Sur un tel sujet, j'espérais une réponse de la Première ministre. Votre Gouvernement n'est pas un rempart contre l'extrême droite (« L'extrême gauche ! » sur les travées du groupe Les Républicains) ...que les provocations de votre ministre de l'intérieur alimentent. Vous banalisez le terme de terrorisme et menacez de couper les subventions d'une association garante des libertés publiques. Vous n'êtes pas le rempart contre l'extrême droite, mais sa passerelle vers le pouvoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE)

Pollution de l'eau (I)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe UC) Chlorothalonil R471811 : la France a découvert ce pesticide lors de la publication du rapport de l'Anses, qui a retrouvé 77 pesticides et résidus dans l'eau traitée. Un prélèvement sur deux contenait du chlorothalonil, un sur trois dépassait la limite de qualité.

Ce fongicide, considéré comme cancérogène probable, est interdit en Europe depuis 2019, mais certains résidus peuvent persister dans l'environnement pendant des années, d'autant que les technologies pour lutter contre ce métabolite sont fort coûteuses et énergivores.

Le chlorotholanil n'avait jamais été recherché dans notre eau potable. On sait qu'il provoque des tumeurs chez les souris, mais les recherches sur la santé humaine demeurent lacunaires. Elles pourraient rassurer la population et permettre d'abaisser le niveau d'exigence sanitaire.

Dans un contexte de tensions autour du partage de la ressource en eau, il faut des solutions nationales, sous peine d'aboutir à une fracture de confiance, et à une fracture territoriale.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelles sont les mesures envisagées pour évaluer les risques sanitaires et dépolluer nos réseaux d'eau ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - L'eau est notre bien le plus précieux, et le Gouvernement surveille sa qualité quotidiennement.

La Direction générale de la santé (DGS) missionne régulièrement les agences d'expertise françaises pour étudier pesticides et métabolites. L'Anses a publié la semaine dernière les résultats de la campagne exploratoire 2020-2022 ; ce rapport montre une contamination de la ressource en eau potable par différents métabolites, dont celui du chlorothalonil, interdit depuis 2020. L'étude a mis en évidence des concentrations maximales de 2 microgrammes par litre, alors que le seuil de risque sanitaire est de 3 microgrammes. Il n'y a donc pas de risque sanitaire à ce stade.

Plusieurs responsables de la production et de la distribution d'eau ont déjà intégré le chlorothalonil et ses métabolites dans leur plan de surveillance. À partir de 2023, le programme de contrôle des agences régionales de santé (ARS) fera de même. Nous poursuivons le travail d'amélioration de la qualité des eaux en adaptant nos mesures en fonction des spécificités territoriales, conformément au plan Eau présenté par le Président de la République. Le Gouvernement est pleinement mobilisé et vigilant. L'eau, c'est la vie et l'eau de qualité, c'est la santé. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)

Mme Véronique Guillotin.  - Distinguons bien seuil de qualité et seuil sanitaire. Il faut mesurer la qualité de notre eau et donner les moyens nécessaires à la recherche sur la santé humaine.

Pollution de l'eau (II)

M. Joël Labbé .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La semaine dernière, l'Anses a révélé qu'un tiers de l'eau potable n'était pas conforme à la réglementation, en raison de la présence de métabolites de chlorothalonil. Pis, le ministre de l'agriculture remet en cause le travail scientifique de l'Anses en contestant la demande de retrait du S-métolachlore. Votre crédibilité s'effrite.

Que répondez-vous à la population, inquiète de boire l'eau du robinet ? Aux collectivités territoriales qui s'interrogent sur les coûts de dépollution ? Aux agriculteurs qui n'utilisent pas de pesticides et que vous soutenez si peu ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Patrick Kanner applaudit également.)

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - Monsieur Labbé, nous étions à la même réunion hier. À aucun moment, je n'ai remis en cause les analyses scientifiques de l'Anses. (M. Thomas Dossus le conteste.) J'ai seulement posé la question de la synchronisation et de la chronologie des décisions à l'échelle européenne, puisque nous nous inscrivons dans un cadre européen, et qu'un travail est en cours au niveau européen sur le S-métolachlore.

M. Thomas Dossus.  - Vous cherchez à gagner du temps !

M. Marc Fesneau.  - Depuis 2016, grâce notamment au plan Ecophyto 3, les CMR, substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, ont été réduites de 96 %.

Nous comptons aller plus loin pour réduire l'utilisation des produits phytosanitaires, mais en bon ordre, dans le cadre d'une planification. L'interdiction ne produit pas la solution, mais de la distorsion de concurrence au niveau européen. Nous avons donc besoin de travailler en Européens.

Mme Kristina Pluchet.  - Exactement.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Nous avons besoin d'une planification. Filière par filière, molécule par molécule, nous allons regarder les produits dont il faudra sortir et les alternatives - afin que chaque interdiction soit accompagnée d'une solution.

Sinon, nous n'aurons plus d'agriculture et nous importerons des produits fabriqués avec ces substances dont nous ne voulons pas ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE ; protestations sur les travées du GEST)

M. Joël Labbé.  - Il y a urgence, nous n'avons plus le temps de prendre le temps ! Vous auriez pu évoquer l'étude de l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), qui estime qu'il est possible de se libérer des pesticides d'ici 2050.

M. Marc Fesneau, ministre.  - 2050...

M. Joël Labbé.  - Mais cela suppose des politiques publiques cohérentes.

Je vais bientôt quitter le Sénat. Je me suis penché sur mon passé de sénateur ; la quasi-totalité de mes interventions depuis 2011 a concerné la lutte contre les pesticides et le soutien à l'agriculture bio.

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Les abeilles sont dans les champs de betterave.

M. Joël Labbé.  - Bien peu de choses ont avancé : les pesticides sont toujours dans la place - dans le sol, l'eau, l'air - et l'agriculture bio reste le parent pauvre des politiques agricoles. Les ministres passent, la biodiversité et la santé trépassent, hélas. (Applaudissements prolongés sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE)

Préservation du patrimoine communal

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Le patrimoine culturel immobilier, c'est ce que nos ancêtres ont bâti au fil des siècles, les églises notamment. Il maille notre territoire et contribue au rayonnement de notre pays. Nous devons le préserver et le transmettre aux générations futures.

Les communes sont en première ligne, en tant que propriétaires d'une grande part des monuments et bâtiments historiques. Face à ce défi protéiforme, les communes peinent à conserver et valoriser ces trésors. Elles peinent également à les assurer, le secteur privé n'ayant pas développé de réponse idoine. Les maires se sentent démunis.

Il faut engager une réflexion autour de la préservation du patrimoine communal. Comment le Gouvernement appréhende-t-il les menaces et comment compte-t-il accompagner les communes ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Sébastien Meurant et Alain Duffourg applaudissent également.)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture .  - J'adhère à chaque mot de votre constat.

J'étais hier à Conty, dans la Somme, commune de 1 800 habitants : j'y ai constaté l'engagement des collectivités et de l'État - à hauteur de 40 % - pour restaurer l'église du XVIe siècle. Le Fonds incitatif et partenarial pour le patrimoine, créé en 2018, et dont j'ai augmenté le budget de 12 % en 2023, permet à l'État d'abonder le budget quand les régions s'engagent. Depuis 2018, il a financé 600 chantiers, dont 77 % dans des communes de moins de 2 000 habitants.

Le budget dédié aux monuments historiques, sans précédent, atteint 470 millions d'euros en 2023. C'est 40 % de plus que sous le quinquennat de François Hollande ! Pour les monuments historiques inscrits ou classés, l'État est au rendez-vous.

Pour le patrimoine non protégé, des leviers existent : les fonds interministériels des préfectures, la dotation de solidarité à l'initiative locale (DSIL), la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) - 4 millions d'euros dans la Somme, pour une centaine d'églises - et le loto du patrimoine. La moitié des sites sauvés par le loto ne sont pas protégés.

Oui, il faut une réflexion avec l'ensemble des partenaires, la Fondation du patrimoine, les assureurs et les collectivités. Nous nous attelons à ces enjeux immenses. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Nous pourrions envisager un fonds d'aide pour les communes qui ne sont pas en mesure d'assurer leur patrimoine immobilier. Il compléterait utilement les travaux de Stéphane Bern et serait une aide concrète pour préserver ce patrimoine remarquable. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Sonia de La Provôté applaudit également.)

Reprise de l'entreprise Segault

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après le rachat d'Exxelia par l'américain Heico, la PME Segault menace à son tour de passer sous pavillon américain. Celle-ci fabrique des pièces de robinetterie de haute technologie pour nos centrales nucléaires, nos sous-marins nucléaires ou encore le Charles-de-Gaulle.

Indispensable au nucléaire civil et militaire, Segault entre dans le champ des secteurs stratégiques visés par la réglementation sur le contrôle des investissements étrangers.

Or le Patriot Act permet aux États-Unis d'accéder à tout type d'information détenue par une entreprise américaine, où qu'elle soit dans le monde. Des informations sur la conception de nos infrastructures pourraient être transmises sans obstacle juridique. Il y a donc un double enjeu de souveraineté, industrielle et de défense.

Le Président se gargarise d'avoir gagné la bataille de l'autonomie stratégique. Chiche ! Quels moyens juridiques et financiers allez-vous mobiliser pour que Segault revienne dans le giron français ? Activerez-vous le décret de 2014 relatif au contrôle des investissements étrangers ? Allez-vous rechercher des acquéreurs souverains ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupeUC et CRCE ; MM. Henri Cabanel et Rachid Temal applaudissent également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications .  - Segault est un fleuron de l'industrie nucléaire française, tant civile que militaire. Je vous prie d'excuser Roland Lescure, qui accompagne le Président de la République aux Pays-Bas.

Segault est actuellement détenu par le canadien Velan. Si l'américain Flowserve devait racheter les activités de Velan - incluant Segault - nous serions particulièrement vigilants, s'agissant d'une entreprise stratégique et parce que la réglementation offensive des États-Unis pourrait menacer la confidentialité et la souveraineté des informations relatives aux technologies développées dans cette entreprise.

Cette opération sera évidemment soumise à la procédure de contrôle des investissements étrangers : le ministère de l'économie et des finances, avec le concours du ministère des armées et du ministère de l'énergie, statuera sur les risques d'un tel rachat et sur les suites à donner. (Applaudissements sur plusieurs travées du  RDPI)

Mme Sophie Primas.  - En 2015, le ministre de l'économie de l'époque a cédé Arabelle et ses turbines nucléaires à General Electric dans le cadre du rachat d'Alstom. Je vous engage à ne pas faire deux fois la même erreur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC, SER, CRCE et du RDSE)

Déplacement du Président de la République en Chine

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 8 janvier 1964, le Général de Gaulle déclarait que « la Chine est là. Vivre comme si elle n'existait pas, c'est être aveugle ». Le 27 janvier, la France reconnaissait la République populaire de Chine. Quelle vision !

Le Président de la République rentre d'un voyage en Chine qui confirme que celle-ci n'est guidée que par ses seuls intérêts stratégiques.

Pourquoi cette déclaration à l'emporte-pièce sur Taïwan ? Entre Europe, Chine et États-Unis, quelle est la stratégie française ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MMAndré Gattolin et Rachid Temal applaudissent également.)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Veuillez excuser l'absence de Mme Colonna, en déplacement. En matière de diplomatie, je me réfère aux éléments mûrement réfléchis qui me sont fournis.

M. Jérôme Bascher.  - Pas comme le Président de la République !

M. Olivier Véran, ministre délégué.  - Des accords ont été conclus en matière de développement durable et de coopération agroalimentaire et économique...

M. Rachid Temal.  - On a lu le journal !

M. Olivier Véran, ministre délégué.  - Sur l'Ukraine, le Président de la République a appelé la Chine à s'engager dans la recherche d'une solution. Des points de convergence ont été trouvés, comme l'opposition à l'usage du nucléaire.

M. Rachid Temal.  - Et Taïwan ?

M. Olivier Véran, ministre délégué.  - Autre enjeu de ce déplacement : l'unité européenne, illustrée par la présence de la présidente de la Commission européenne. Le Président de la République tenait à montrer que les Européens ont leurs propres intérêts et les assument, dans un dialogue exigeant.

La France entend travailler à un agenda commun avec la Chine, dans le domaine du climat et de la biodiversité notamment.

M. Rachid Temal.  - Et Taïwan ? Et Taïwan ?

M. Olivier Véran, ministre délégué.  - Sur la question de Taïwan, j'ai déjà répondu précédemment.

M. Pascal Allizard.  - Le rapprochement russo-chinois est un fait géopolitique sur lequel nous n'avons aucune prise.

La France ne peut rester étrangère à la montée des tensions autour de Taïwan.

Amis, alliés, mais pas alignés : tel est le titre de mon récent rapport sur les États-Unis. Malgré leurs inélégances australiennes, ils restent nos alliés ultimes.

Une tentative d'action de force de la Chine sur Taïwan n'est plus à exclure. L'armée populaire s'y prépare au quotidien. Nous devons être extrêmement prudents dans nos déclarations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER et du RDPI)

Difficultés de l'hôpital

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) La semaine dernière, dans la Loire, la fermeture des urgences de l'hôpital de Feurs a été actée. Les patients doivent désormais aller à Montbrison, à plus de 30 minutes, ce qui entraîne une perte de chances. La distance risque de dissuader des employeurs de laisser leurs salariés s'engager comme pompiers volontaires, et de décourager les volontaires eux-mêmes.

De Guingamp à Carpentras, la loi Rist, qui encadre la rémunération des intérimaires, agit comme un détonateur. Certes, il faut lutter contre le mercenariat qui grève les budgets hospitaliers, mais en ne ciblant que les établissements publics, la mesure entraîne des effets pervers.

À Feurs, la cheffe des urgences, le Dr Massacrier, propose une solution pour maintenir une ligne de garde d'urgence jusqu'en juin. L'autoriserez-vous, monsieur le ministre ?

S'agissant des intérimaires, rétablirez-vous l'équité entre le public et le privé ?

Le Ségur n'a pas rendu les métiers hospitaliers attractifs : mènerez-vous enfin une réforme d'ampleur, ou attendrez-vous de nouvelles fermetures ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du GEST et du groupe CRCE)

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention .  - Je vous remercie de rappeler le consensus autour de la loi Rist et de son article 33, car les dérives de l'intérim médical menacent notre système hospitalier.

Je mène un travail avec les représentants des praticiens hospitaliers sur l'amélioration de leurs conditions de travail, pour les faire revenir ou les retenir.

Nous travaillons à des solutions territoire par territoire, pour assurer la continuité des soins. Feurs est en grande difficulté structurelle. Je me réjouis de la solution trouvée avec Montbrison, qui assurait déjà les urgences vitales depuis plusieurs mois. Nous recherchons une solution locale, plus pérenne.

Les autres centres, notamment la maternité de Guingamp, ils souffrent aussi de difficultés structurelles.

L'amélioration des conditions de travail à l'hôpital fera l'objet d'une présentation, à la suite du rapport que j'ai demandé, avant la fin juin. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)

Exportation des céréales françaises

Mme Chantal Deseyne .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À partir du 25 avril, la France s'interdit d'exporter ses céréales hors de l'Union européenne. En cause : la phosphine, considérée comme dangereuse par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), mais pas par nos partenaires européens.

Cet insecticide est exigé par les importateurs de blé, notamment pour l'Afrique du Nord et de l'Ouest. Or l'Anses a décidé unilatéralement d'interdire son usage en contact direct avec les céréales. Paradoxalement, les céréales importées en France, continueront, elles, à être traitées à la phosphine. C'est un non-sens total !

Comment l'Anses a-t-elle pu édicter une telle règle sans concertation ?

La sécurité alimentaire du bassin méditerranéen est menacée par cette décision absurde.

Comment préserver nos exportations et ne pas menacer les pays importateurs d'une crise alimentaire ? Comptez-vous autoriser de nouveau la phosphine ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - La France souhaite continuer à exporter des céréales après le 25 avril.

Premièrement, nous voulons conserver nos capacités d'exportation.

Deuxièmement, il y va de la sécurité alimentaire mondiale, alors que la guerre en Ukraine a déstabilisé les marchés mondiaux. Tous les pays doivent avoir accès aux céréales.

Troisièmement, la réglementation européenne autorise les exportations quand bien même un État a interdit une molécule, dès lors qu'elle est autorisée à l'échelle européenne et sous réserve que le pays importateur soit demandeur.

Certains pays utilisent l'arme alimentaire, comme la Russie : ne nous laissons pas entraîner dans cette spirale. Nous voulons continuer à exporter, comme les Allemands, les Bulgares et les Roumains. Il y va de l'intérêt de la France, mais aussi de la sécurité alimentaire mondiale. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme Chantal Deseyne.  - Merci de votre réponse, qui lève quelques inquiétudes, et de votre engagement à sortir de cette situation ubuesque. Les acteurs de la filière ont besoin d'engagements écrits dans la durée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

FCTVA et dotations aux collectivités

M. Jean-Marie Mizzon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Franck Menonville applaudit également.) J'associe à ma question Stéphane Demilly. De nombreuses communes subissent les conséquences de l'automatisation du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), qui les prive de la récupération de la TVA sur des travaux lourds, comme les terrains de football et les pistes cyclables. Au sein d'un même projet, certaines dépenses restent éligibles, d'autres non. C'est oublier qu'un projet est un tout. Envisagez-vous de revenir sur cette réglementation ou au moins d'intégrer la TVA dans l'assiette subventionnable ?

Trouvez-vous normal que les communes aient connaissance fin mars, voire début avril, des dotations de fonctionnement qui leur sont allouées par l'État ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - L'automatisation du FCTVA conduit à une redéfinition de l'assiette des dépenses ouvrant droit à compensation. Certaines dépenses ont en effet été exclues. D'autres, qui n'étaient pas éligibles, le sont désormais, comme l'immobilier mis à la disposition de tiers. Ces arbitrages ont été pris en accord avec les associations d'élus locaux. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Loïc Hervé.  - Cela m'étonnerait !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Le comité des finances locales (CFL) a bien été associé.

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Mais non !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Les incidences financières de l'automatisation doivent être vues de manière globale. Une évaluation sera conduite mi-2023. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Les délais de mise en ligne de la répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sont généralement respectés. Les collectivités territoriales ont disposé de quinze jours pour l'inscrire dans leur budget. Oui c'est court, mais cette mise en ligne au 31 mars a nécessité un gros travail...

Mme Sophie Primas.  - C'est très compliqué !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - ... des agents de la direction générale des collectivités territoriales, que je remercie.

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Je ne les remercie pas !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Je m'engage à demander à la direction générale des collectivités locales de réduire ce délai d'une semaine, au 23 mars en 2024.

M. Jean-Marie Mizzon.  - « Dans une discussion, le difficile, ce n'est pas de défendre son opinion, c'est de la connaître », disait Maurois. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Didier Marie applaudit également.) C'est un peu le problème de ce Gouvernement. On ne peut pas un jour vouloir construire 5 000 équipements sportifs et le lendemain, les exclure de la dépense éligible. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

D'où tenez-vous que les réalités doivent se plier aux règles administratives et comptables ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Je n'ai pas dit cela.

M. Jean-Marie Mizzon.  - Mettez les choses dans l'ordre et vous verrez, cela ira mieux. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

Ligue des droits de l'homme (II)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) M. le ministre de l'intérieur a affirmé, devant la commission des lois, être prêt à examiner la subvention de l'État à la Ligue des droits de l'Homme (LDH), suscitant immédiatement une levée de boucliers. Quoiqu'elle fasse, cette association s'exonère de toute responsabilité, au titre de son passé glorieux. Profitant de l'argent public, elle combat l'État partout, notamment dans sa difficile mission de maintien de l'ordre. Cette instrumentalisation systématique du droit est une dérive.

Comment l'État peut-il subventionner des associations qui font profession de jeter l'opprobre sur les forces de l'ordre ? La subvention a-t-elle été examinée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté .  - Gérald Darmanin accompagne le Président de la République aux Pays-Bas. (Murmures) Rappelons le contexte de sa prise de parole, alors qu'il était interrogé en commission.

La LDH est une association ancienne et respectable. Pour autant, ses récentes prises de position suscitent des interrogations : je pense à son absence au procès des attentats de Charlie Hebdo ou à sa défense du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), dissous par le Gouvernement, ...

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Eh oui !

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État.  - ... du fait de ses menées séparatistes.

La LDH colporte des rumeurs infondées selon lesquelles les gendarmes auraient empêché les secours d'agir à Sainte-Soline.

M. Olivier Véran, ministre délégué.  - C'est délirant.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État.  - La subvention de l'État s'élève à 276 000 euros, et celle des collectivités territoriales, à 233 000 euros. Les associations ainsi aidées doivent agir en phase avec leurs objectifs déclarés et les valeurs républicaines. Tel était le sens des propos du ministre. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)

M. David Assouline.  - Combien Marlène Schiappa a-t-elle donné à ses copains ?

M. François Bonhomme.  - M. Darmanin est en vadrouille et Mme Schiappa s'exprime partout, sauf au Sénat. (Sourires) Madame la Première ministre, la LDH sélectionne soigneusement ses combats : elle reprend le slogan « la police tue » et diffuse de fausses informations, laissant entendre que le Samu aurait été empêché d'intervenir à Sainte-Soline.

M. Thomas Dossus.  - Elle est libre et indépendante !

M. François Bonhomme.  - Ce que je vous reproche, c'est votre faiblesse.

M. Thomas Dossus et Mme Raymonde Poncet Monge.  - Faiblesse ?

M. François Bonhomme.  - Votre mission est de contrôler l'usage de l'argent public. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Réforme des retraites

Mme Annie Le Houerou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Vous avez fait adopter la réforme des retraites (exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) en tordant notre Constitution. Vous avez utilisé le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale au travers de l'article 47-1 puis déclenché le 44-3, pour finir malgré tout par un 49.3. Cette méthode fait fi de la démocratie, de ce qu'ont exprimé les électeurs dans les urnes, pour éviter le pire. (On ironise à droite.)

Après onze journées de forte mobilisation, dans une grande responsabilité intersyndicale, le Président de la République reste sourd. L'autosatisfaction arrogante du Gouvernement montre à quel point vous êtes déconnectés. Vous méprisez l'intersyndicale, l'opposition parlementaire, les millions de nos concitoyens qui manifestent leur opposition, malgré l'inflation qui grève leur budget.

Face à la colère, vous restez insensibles. Ainsi, vous affaiblissez notre démocratie et notre modèle social. Cette réforme laissera des séquelles profondes. Vous avez utilisé tous les stratagèmes pour tenter de tourner la page - jusqu'aux magazines people - mais vous ne réussirez pas.

Comment apaiser les tensions ? Il n'y a qu'une seule issue : le retrait de la réforme. (Applaudissements à gauche)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Nous avons siégé sur les mêmes bancs socialistes. (On ironise à gauche comme à droite.) En 2014, nous avions tous les deux voté la réforme (« Ce n'était pas la même ! » sur les travées du groupe SER) Nous étions intervenus consécutivement à la tribune de l'Assemblée nationale. (Protestations à gauche)

Depuis dix ans, l'espérance de vie s'est allongée. L'équilibre du système de retraites est menacé. Vous, comme moi, avons allongé à 43 ans la durée de cotisation.

En responsabilité, aujourd'hui, nous prenons les décisions qui conviennent pour les générations futures.

Mme Laurence Rossignol.  - Vous pouvez continuer, ça ne marche pas !

M. Olivier Véran, ministre délégué.  - On peut s'envoyer tous les mots fleuris, mais vous ne faisiez pas partie des frondeuses, madame Le Houerou. Vous savez ce que veut dire bloquer le Parlement. (Les protestations à gauche s'amplifient.) Je suis sûr qu'au fond de vous, vous êtes capable de retrouver une ligne responsable. (Applaudissements sur les travées du RDPI, sur plusieurs travées du RDSE et du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Quatrième année de médecine générale

Mme Annie Delmont-Koropoulis .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce n'est plus à démontrer : les zones blanches médicales concernent tous les territoires et les aides ponctuelles ne suffisent pas à attirer les jeunes médecins.

La proposition de loi Retailleau adoptée l'an dernier par le Sénat crée une année de professionnalisation pour les internes en médecine générale, en fin de cursus. Il s'agit d'une quatrième année d'internat en ambulatoire dans les zones marquées par une difficulté d'accès aux soins. Chaque année, près de 4 000 internes seraient ainsi déployés dans les zones sous-dotées. L'article 37 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 prévoit un dispositif analogue.

Monsieur le ministre, vous avez confié une mission à des personnalités qualifiées sur la refonte du troisième cycle de médecine générale. Quelles sont ses conclusions ? Pouvez-vous nous préciser la date d'entrée en vigueur de l'article 37 de la loi de financement de la sécurité sociale ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention .  - En effet, nous mettons en place cette quatrième année de médecine générale à partir de la rentrée prochaine. Cela fait consensus.

Elle a pour objectif de mieux former nos étudiants. La médecine générale était la seule spécialité sans quatrième année en autonomie supervisée. Cela facilitera aussi l'installation des médecins en les déployant dans les territoires sous-denses, mais aussi en leur faisant passer plus rapidement leur thèse.

La mission rendra ses conclusions dans les jours qui viennent. La principale question est celle de la rémunération, qui sera adaptée à cet exercice particulier de docteur junior en libéral. Je vous tiendrai informés.

Par cette mesure, nous commencerons à répondre à la problématique des inégalités territoriales d'accès à la santé.

M. Alain Richard.  - Très bien !

Mme Annie Delmont-Koropoulis.  - À l'initiative du Sénat, la loi du 4 juillet 2019 d'organisation du système de santé prévoyait un stage obligatoire d'au moins six mois en médecine ambulatoire. Cela n'a jamais été mis en place. Tout en regrettant le temps perdu, nous nous réjouissons que le Sénat ait été enfin entendu. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Yves Détraigne applaudit également.)

Pollution de l'eau (III)

Mme Catherine Procaccia .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après un premier rapport en 2009, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a fait le point sur la pollution du chlordécone aux Antilles. Interdite depuis trente ans, la molécule persiste, contaminant les légumes, les animaux, les poissons et les hommes.

L'inefficacité des plans chlordécone est manifeste. Cela explique la défiance et la colère des Antillais.

La conclusion du rapport est d'actualité : « Ce qui est arrivé aux Antilles doit servir de modèle à l'État pour gérer les pollutions que nous ne manquerons pas de découvrir. Une vision à long terme s'appuyant sur la recherche et associant tous les acteurs est dorénavant nécessaire. »

L'Anses a signalé la présence dans les eaux d'une autre molécule interdite, elle aussi persistante -  mes collègues l'ont rappelé. Quelle est votre stratégie de lutte contre ces contaminations ? Englobe-t-elle les aspects sanitaires, économiques, sociaux et environnementaux ? Comment informerez-vous la population, pour éviter le contre-modèle du chlordécone ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - Vous évoquez, à raison, le récent rapport dont vous êtes l'auteure. Oui, la gestion du chlordécone entre 1973 et 1993 aux Antilles, et surtout ses conséquences, doit nous servir de boussole. Quelques semaines après la publication du rapport, je le reconnais humblement, nous n'en avons pas encore tiré toutes les conclusions.

Vous évoquez le manque de transparence, mais depuis deux ans, le site InfoSols, trop méconnu, recense toutes les pollutions existantes. Il est régulièrement mis à jour.

Les secteurs d'information sur les sols (SIS) permettent aux acquéreurs de recenser les pollutions sur leurs parcelles. La Commission européenne prépare une résolution sur la santé des sols.

Nous aurons dans quelques jours un cas pratique, sur les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) : vendredi, je rendrai public le rapport de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable. Cette pollution se caractérise par sa persistance. Notre plan d'action passe par des mesures et une action européenne. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Mme Catherine Procaccia.  - Votre plan d'action PFAS est plus préventif que curatif. Pour le chlordécone, ce n'est qu'en 2023 qu'il y a des efforts de recherche.

Quant à InfoSols, nous dénonçons, justement, que toutes les terres cultivables des Antilles n'aient pas été analysées. Il faut une vision d'ensemble pour l'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit également.)

La séance est suspendue à 16 h 15.

Présidence de M. Alain Richard, vice-président

La séance reprend à 16 h 30.

Mises au point au sujet de votes

M. Jean-Claude Requier.  - Lors de l'examen de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité, au scrutin public n°270, Nathalie Delattre souhaitait voter contre, et Jean-Pierre Corbisez voter pour.

M. Pierre-Antoine Levi.  - Sur le même texte, au scrutin public n°269, Daphné Ract-Madoux souhaitait voter contre.

Au scrutin public n°271, Daphné Ract-Madoux souhaitait voter contre, de même que Brigitte Devésa.

M. le président.  - Acte est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique des scrutins.

Impacts économique, social et politique de l'intelligence artificielle générative

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : « Impacts économique, social et politique de l'intelligence artificielle générative ».

M. André Gattolin .  - Je remercie le groupe qui a souhaité ouvrir ce débat sur l'intelligence artificielle générative (IAG) - on devrait dire les intelligences artificielles génératives -, un sous-ensemble de l'apprentissage profond, lui-même sous-ensemble de l'apprentissage machine.

Fondée sur des systèmes neuronaux artificiels, elle est née dans les années 1940, mais n'a trouvé son aboutissement que ces dernières années, grâce à la masse de données disponibles.

Un système neuronal artificiel copie le fonctionnement du cerveau humain. Celui-ci traite l'information envoyée par l'oeil à travers le nerf optique. Imaginez que vous cherchiez une tasse pour vous faire un café le matin et qu'une porte de placard soit ouverte ; le cerveau a enregistré le fait que la dernière fois que cette porte était ouverte, vous vous étiez cogné, et vous ne refaites pas la même erreur. Les informations sont réintégrées dans un environnement de synapses et de neurones qui vous guide pour trouver votre tasse...

Ce système, riche et performant, ne repose pas sur un seul algorithme, mais sur un système complexe d'algorithmes échangeant entre eux. L'intelligence artificielle (IA) adversorielle fait même discuter deux systèmes entre eux, d'autres IA reposent sur une approche probabiliste. C'est une véritable révolution de la production de contenus et de la prise de décision à laquelle nous assistons.

Ce matin, j'ai demandé à une IA de préparer mon discours. Le résultat était sympathique, mais plat, extrêmement descriptif. L'intelligence artificielle est incapable d'évaluer des impacts économiques, politiques et sociétaux. La marge de progression est donc encore élevée.

Mais les effets potentiels du développement de l'IAG sont importants. Avec Catherine Morin-Desailly et Cyril Pellevat, j'ai travaillé sur la proposition de règlement de l'Union européenne sur l'IA. Nous en avons retenu deux idées : il faut préserver les libertés, les responsabilités et l'éthique de l'IA, mais aussi favoriser son développement par l'innovation.

Aujourd'hui, nous sommes interpellés par le succès de ChatGPT - 100 millions de téléchargements en deux mois - qui pulvérise le record de TikTok, qui avait atteint ce niveau en neuf mois. Cet outil transforme la manière d'enseigner et d'évaluer les travaux.

Le numérique n'est pas uniquement négatif. Dans le monde universitaire, les logiciels de contrôle du plagiat ont permis d'éradiquer ce fléau. Malheureusement, nous n'avons pas encore d'instrument équivalent pour repérer les créations des IAG.

Si nous devons peser les risques et les dangers, voyons aussi les opportunités et les manières d'utiliser ce nouvel instrument. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Très bien !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications.  - Je salue l'initiative de ce débat et le rapport déposé par M. Gattolin et ses collègues.

M. Christian Redon-Sarrazy .  - L'IAG est capable de créer de nombreux contenus dans de nombreux champs. En automatisant certaines tâches ingrates, elle augmente l'efficacité du travail et la rentabilité.

Mais elle est aussi disruptive pour l'emploi. Elle obligera plusieurs secteurs à s'adapter pour rester compétitifs. Elle comporte des risques politiques et éthiques par la création de faux contenus pouvant servir à des propagandes diverses. À mesure que ces technologies se perfectionneront, il sera en effet de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux.

Ce que vous venez d'entendre a été généré à 95 % par ChatGPT. Monsieur le ministre, vous qui aviez qualifié cette IA de « perroquet approximatif », ne trouvez-vous pas qu'elle a été capable de présenter en une minute les apports et les risques, les limites et les promesses dont la machine semble elle-même consciente ?

On ne peut nier le potentiel de fascination de cette technologie. Elle fait planer le spectre de la destruction d'emplois et de la simplification de l'organisation du travail par la suppression du facteur humain.

Mais quelles qu'elles soient, les nouvelles technologies créent souvent plus d'emplois qu'elles n'en détruisent. L'informatique sera probablement le secteur le plus touché : il faudra faire preuve d'une grande capacité d'adaptation et former de manière plus poussée.

L'une des principales craintes est de voir l'humain dépassé par sa propre créature. Or les IAG ne sont souvent que des fabriques d'illusion, fondées sur des corrélations statistiques et sur un volume de données exponentiel : sans humain, pas de machine.

Les IAG sont à la fois poison et remède, selon l'usage que l'on en fait. Certes, en de mauvaises mains, ces outils trompent notre vigilance. Mais cette créature ne nous échappera que si nous ne posons pas les bonnes questions de régulation, de normes, de gouvernance mondiale - comme avec internet. Nous avions alors appris en marchant. Faute de précédent, il ne pouvait en être autrement.

Nous disposons d'un corpus de réflexions et de normes qui peut nous guider. Certes, la technologie progresse sans cesse, avec un risque de caducité des normes : il nous faut être plus rapides que la machine. En nous débarrassant du superflu, la machine nous lance un défi et nous appelle à plus d'intelligence.

À l'humain de montrer qu'aucune machine ne peut dépasser son jugement, son esprit critique et sa capacité d'adaptation.

Nous ne pourrons éviter une réflexion éthique pour utiliser l'IAG au profit de l'intérêt général. Cette conclusion m'a été proposée par ChatGPT. Est-elle pertinente ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. André Gattolin et Mme Catherine Morin-Desailly applaudissent également.)

M. Pascal Savoldelli .  - La révolution numérique a bouleversé le monde du travail. La moitié des métiers que les écoliers d'aujourd'hui exerceront demain n'existent pas encore. Cette digitalisation du monde fait craindre une déshumanisation par la robotisation.

Le système est poussé à générer de plus en plus de données pour que ces big data puissent être exploitées par des algorithmes. Ce système, c'est celui de l'intensification de l'exploitation et de l'aliénation des travailleurs. Le journal Times indique ainsi que l'entreprise OpenAI payait moins de 2 dollars de l'heure des travailleurs kenyans pour indexer d'immenses quantités de contenus toxiques afin de nettoyer les données d'entraînement de ChatGPT.

Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde, disait Camus.

ChatGPT n'est pas seulement un automate computationnel. Il exploite des terres rares, fait travailler gratuitement des utilisateurs ; les microtâches rémunérées moins de deux euros de l'heure précarisent des centaines de millions de personnes à travers le monde, selon le sociologue Antonio Casilli. Certains veulent substituer du capital mort au capital vivant.

Pourtant, la révolution numérique pourrait aussi créer de nouveaux métiers et faire baisser le temps de travail. Mais l'industrie numérique, avec la complicité de nos gouvernants, veut capter la valeur et non améliorer l'efficacité sociale du travail.

Cette industrie est dominée, à l'exception de la Chine, par une poignée de firmes américaines, qui souhaitent un capitalisme poussé à son paroxysme. Face à cela, la France et l'Union européenne ont fait le choix des Big Tech et de l'utilitarisme. Il est impératif de reprendre en main notre destin et de nous réapproprier nos données, en demandant la transparence des algorithmes.

Je place cet espoir dans notre jeunesse, qui refuse les « jobs à la con » - c'est-à-dire un travail dénué de sens et d'utilité sociale et sous les ordres d'une hiérarchie non fondée sur la compétence. Beaucoup veulent créer leur activité, non pour revendre plus tard leur start-up, mais pour rendre accessibles des communs mondiaux. Cette jeunesse pense nouveaux modes de production, coopératives, économie sociale et solidaire, économie circulaire, lutte contre l'obsolescence programmée. Les tiers lieux qu'elle construit préfigurent une République des communs.

Cette révolution nous met au pied du mur : voulons-nous une société d'entrepreneurs de soi-même comme les chauffeurs Uber, ou une société de libres producteurs associés, comme le souhaitait Marx ?

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Le développement exponentiel de la technologie signifie-t-il la fin de l'humanité telle que nous la connaissons ? Sans être aussi pessimiste, il y a lieu d'être inquiet : l'IAG fait peser des menaces sur l'emploi, les modèles sociaux et nos sociétés démocratiques.

Si la presse se fait l'écho des prouesses de ChatGPT, l'Italie et le Canada l'ont interdit comme d'autres l'ont fait avec TikTok. Faut-il une pause de l'IA, comme y appelle Elon Musk ? Pour le créateur de SpaceX, il s'agit aussi de contrôler le marché. Ne soyons pas naïfs ! Faut-il la réglementer ? Assurément, comme je le demande depuis des années.

Après le Règlement général sur la protection des données (RGPD), l'Union européenne régule, avec le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), et bientôt le règlement sur l'IA. Auteure avec mes collègues du rapport et d'une proposition de résolution européenne sur ce projet, je souligne le caractère précurseur de l'Europe dans la fixation d'un cadre.

Mais il faut aussi poser la question de l'éthique, exiger la transparence absolue, des audits indépendants et une évaluation des risques.

Plaçons le règlement à un haut niveau de protection. Nous avons pris en compte les risques de l'IA. Celle-ci n'est ni positive ni négative - tout dépend de son usage : elle peut résoudre des questions d'environnement, de santé et améliorer la productivité.

À défaut de stratégie indépendante, l'Europe s'est fait distancer par la Chine et les États-Unis. Si l'Union européenne ne veut pas disparaître de la carte des technologies de demain, elle doit sortir d'une dépendance dangereuse.

Avec l'Inflation Reduction Act (IRA), les États-Unis vont investir 348 milliards d'euros. Nous en sommes loin ! Or nous avons besoin de formations et d'investissements dans la recherche grâce à un Buy European Act.

La maîtrise des techniques est un enjeu géopolitique : sans verser dans le protectionnisme, il faut esquisser un monde qui ne soit ni le business above all ni le contrôle social du parti communiste chinois. Monsieur le ministre, tentez de peser dans l'élaboration du pacte numérique mondial de l'ONU, qui doit comprendre des mesures claires pour une IA au service de l'humain, fiable et éthique. C'est un enjeu de civilisation. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Sylvie Robert applaudit également.)

M. Stéphane Ravier .  - L'avenir, la liberté et la souveraineté sont les défis majeurs de l'IAG. Alors que 100 millions de personnes admirent les prouesses effrayantes et extraordinaires de ChatGPT, la société semble programmée pour une forme d'obsolescence de ses modes de production et d'éducation.

L'IAG ne serait qu'un perroquet approximatif, comme vous l'avez qualifiée, monsieur le ministre ? Vous n'avez pas pris la mesure de la révolution en cours, qui fera bientôt de Google une relique du passé.

Les équilibres économiques du monde seront bouleversés. Alors que la parole publique est remise en question, le peuple cherchera les réponses auprès d'algorithmes pré-entraînés qui créeront une dystopie nouvelle.

Cela rappelle l'intrusion du numérique dans nos vies : désormais, nous assistons à l'ubérisation de la pensée.

Ces technologies nées dans la Silicon Valley diffusent un conformisme idéologique fidèle au progressisme de ses concepteurs et aux références anglo-saxonnes. L'esprit critique et notre souveraineté sont menacés.

Certes, l'IAG est une opportunité pour refaire le système de santé et refonder l'éducation. Il faut vous remettre en marche, monsieur le ministre ! (Sourires sur quelques travées)

Nous devons réfléchir aux limites éthiques et assurer notre compétitivité.

M. Jean-Claude Requier .  - L'IA a franchi des étapes importantes, générant intérêt et inquiétude. Elle est porteuse d'innovation pour les biens et les services, mais elle soulève aussi des craintes, de peur qu'elle ne prenne des décisions indépendamment de l'homme. Cela rappelle Le meilleur des mondes de Aldous Huxley.

N'attendons pas que l'IA devienne hors de contrôle. La question n'est plus de savoir si elle est souhaitable ou non, car elle est déjà à l'oeuvre. La question est : comment encadrer cette technologie pour ne pas la subir ?

L'éthique est l'un des principaux enjeux : quid de l'utilisation médicale, de l'encadrement du travail, de la surveillance ?

Il faut protéger les données personnelles. Nous nous réjouissons du dépôt de deux plaintes de spécialistes de l'IA auprès de la Cnil. Nous avons confiance dans l'Union européenne pour se saisir du sujet, même si la mise en place d'un cadre réglementaire prendra du temps. L'Italie a interdit ChatGPT, quel est votre avis sur la demande d'un moratoire ?

Sciences Po a interdit l'utilisation du robot conversationnel d'OpenAI en dehors de tout encadrement pédagogique, par crainte d'une paralysie de l'esprit critique.

Une vaste réflexion au sein de l'Éducation nationale en limiterait l'usage, au moins pendant le temps scolaire. Attaché aux Lumières, le RDSE considère que la question des sources doit être posée. En démocratie, le rapport à la vérité est essentiel. Avec les outils d'IAG, cela devient compliqué.

Enfin, l'IA peut-elle être une réponse à la pénurie en matière d'emploi ? La réponse varie selon les études. Ainsi, 44 % des emplois juridiques seraient menacés.

Au fond, la question est le partage des gains de productivité. Que peut apporter cette évolution à la société ? Une réduction du temps de travail - la semaine de quatre jours peut-être ?

Il faut en tout cas éviter l'ubérisation.

Notre groupe ne souhaite pas verser dans la technophobie, sous réserve que l'humanisme reste la valeur centrale du progrès.

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Depuis plusieurs mois, l'IA est au centre de l'actualité. Qu'il s'agisse de ChatGPT ou des encodeurs vidéo, pas une semaine ne se passe sans que l'on en parle. Elle génère fascination et inquiétude.

En fait, ce phénomène n'est pas nouveau : nous utilisons chaque jour l'IA sans le savoir. Elle ne cesse de se perfectionner, au prix d'une collecte toujours plus importante de nos données personnelles.

Bien que des améliorations soient encore nécessaires, les études montrent que la généralisation des IAG aura des impacts inédits depuis l'apparition de l'ordinateur. Selon une étude d'OpenAI, 80 % des travailleurs américains verraient 10 % de leurs tâches effectuées par l'IAG - mais pour 19 % d'entre eux, cela pourrait atteindre 50 %, en particulier dans les domaines des services administratifs et juridiques, du management, des services financiers, du marketing, de la communication, du graphisme ou de la conception.

Selon Goldman Sachs, 300 millions d'emplois seraient menacés à terme, tandis que la productivité gagnerait 1,5 point par an pendant dix ans ; le PIB connaîtrait une augmentation de 7 %, contre une prévision de 2,9 % pour 2023.

Le marché du travail sera donc bouleversé. Selon une étude du Forum économique mondial, 87 millions d'emplois seraient supprimés, mais 95 millions de nouveaux emplois seraient créés. Bien sûr, il ne s'agit que de prévisions et nous devrons nous adapter à des effets imprévus.

La France ne doit pas rater le coche en matière de formation à ces nouveaux métiers. Déjà, la France et l'Europe font bien pâle figure par rapport aux États-Unis ou à la Chine. Que compte faire le Gouvernement pour le soutien à l'innovation et l'aide à la reconversion professionnelle des salariés touchés, monsieur le ministre ?

D'autres aspects de l'IAG sont moins réjouissants. En effet, les usages malveillants ou les erreurs de l'IA peuvent avoir des conséquences graves : non-respect du RGPD, suicides, détournement d'images, discriminations... Les exemples sont nombreux.

Il est nécessaire de trouver des solutions à ces effets de bord sans pour autant interdire l'IAG, ce qui ferait perdre du temps à la France dans la compétition qui s'annonce. Les entreprises d'IA y sont elles-mêmes favorables, comme l'a récemment fait savoir OpenAI.

Le RGPD apporte un premier échelon de réponses, mais il est insuffisant pour contrer les externalités négatives ; de plus, des dérogations à ce règlement devront être prévues.

Les dangers de l'IA et l'inadaptation du RGPD ont conduit l'Union européenne à se saisir de ce sujet, en vue de l'adoption prochaine d'un règlement.

Avec André Gattolin, Catherine Morin-Desailly et Elsa Schalck, nous avons été chargés d'élaborer une proposition de résolution européenne.

Quelle position le Gouvernement défendra-t-il lors du prochain Conseil européen ? Des échanges ont-ils eu lieu avec les États-Unis et la Chine pour promouvoir des législations similaires dans ces États ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Dès 2017, le groupe Les Indépendants avait organisé un débat sur l'IA, ses enjeux économiques et les cadres légaux. Au vu de l'actualité, nous avons jugé opportun d'aborder à nouveau ce thème.

Dans ma pratique professionnelle, j'ai eu l'opportunité d'assister en 2017 à un forum mondial sur l'IA en Chine avec d'éminents chercheurs, dont Yuval Noah Harari. La différence majeure entre l'IA et le cerveau humain serait l'intention, apanage de ce dernier. Nous devons nous concentrer sur ce point sur le plan éthique.

Dès 2016, l'OCDE avait fait des prévisions pessimistes : 9 % des emplois seraient menacés par l'IAG. Mais dans l'Aube, je constate l'inverse avec une entreprise familiale de logistique, Gamba et Rota, qui a investi 10 millions d'euros dans un outil qui lui a permis de créer une centaine d'emplois.

Nous sommes à l'aube d'une révolution dans le rapport au travail. L'approche binaire entre technophiles béats et détracteurs outranciers est dépassée. Il s'agit d'anticiper les grandes évolutions sociétales, mais aussi leurs conséquences économiques.

Nous devons répondre aux inquiétudes avec pédagogie et lucidité, pour anticiper les changements d'ampleur dans le monde du travail, et avec fermeté dans la définition d'un cadre réglementaire solide.

L'Europe doit développer une approche éthique s'affranchissant de la Chine et des États-Unis qui nous imposent leur calendrier et leurs objectifs. Avec les Gafam, l'Europe a perdu la bataille des données personnelles. Les gains de productivité promis par l'IA ne doivent pas masquer l'aspiration des données.

La France fait face également à la fuite des cerveaux, dont elle a financé la formation : nous contribuons à notre propre dépendance... Pourtant, selon France digitale, la France regroupe 590 start-ups et plus de 80 laboratoires en pole position au plan européen.

Nous attendons beaucoup de l'Artificial Intelligence Act, qui doit nous redonner une longueur d'avance. Il faut saluer à cet égard le travail du commissaire européen Thierry Breton, qui a bâti en deux ans une réglementation à la complétude inégalée.

Nous devons rester dans la course.

Monsieur le ministre, comment la France peut-elle rester chef de file ? Que pensez-vous des prises de position récentes de l'Italie ? Quelle est votre feuille de route ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Monique de Marco .  - Vous connaissez mon appétence pour l'IA. J'ai moi aussi tenté de rédiger mon intervention avec ChatGPT. Le résultat était décevant, mais je l'avais utilisé il y a quelque temps pour rédiger une question d'actualité sur la suppression des cours de technologie.

La France a plus que jamais besoin d'une jeunesse ouverte aux sciences et technologies. En tant qu'enseignante, je suis impressionnée par les perspectives de l'IA. Mais en tant que citoyenne, je m'interroge. Notre tâche de parlementaires est immense.

Je tiens à saluer les travaux de l'Union européenne et je regarde avec intérêt la décision de l'Italie : l'interdiction de ChatGPT n'est certes pas la bonne solution, mais elle doit nous faire réfléchir.

Voilà dix ans, nous parlions des assistants numériques Siri et Alexa avec des étoiles dans les yeux ; il y a quelques années, c'étaient les cryptomonnaies. Ceux qui y voyaient une poule aux oeufs d'or ont dû déchanter : le développement de ces outils a créé de nouveaux besoins.

Selon Goldman Sachs, 300 millions d'emplois seraient menacés par l'essor de l'IA. Nous ne pouvons ignorer cette alerte, d'autant que derrière les ingénieurs, il y a les petites mains de l'IA, ces Kenyans mal payés par OpenAI, par exemple. L'IA pourrait ainsi être à l'origine d'une nouvelle dégradation du travail.

Enfin, l'impact environnemental et climatique de l'IA doit être pris en compte ; le numérique représente déjà 4 % des émissions de gaz à effet de serre.

Derrière la chimère d'un numérique durable, il y a la réalité des chiffres. Si les possibilités de l'IA nous font rêver, soyons conscients des impacts économiques, sociaux et environnementaux de cette technologie.

L'IA est là. Elle fait partie de nos vies. Il n'est pas question de l'interdire ou de la réserver à une élite, mais il faut la réguler.

Jacques Ellul disait : « La technique n'est pas neutre. Elle n'est ni bonne ni mauvaise, mais ambivalente ». (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Sylvie Robert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En 2018, le Grand Palais organisait une exposition sur les artistes et les robots ; en 2019, le Barbican Centre de Londres présentait au public une exposition interactive AI: More Than Human.

À la curiosité ont succédé inquiétude, méfiance et surtout questionnements.

La proposition de moratoire d'Elon Musk a frappé les esprits, mais ne soyons pas dupes des intentions de l'entrepreneur.

La Cnil italienne a bloqué ChatGPT pour deux raisons : il n'y avait aucune vérification de l'âge des utilisateurs et l'application récoltait des données d'utilisateurs de manière indue.

La régulation est difficile. Elle procède des usages, qui se développent plus vite que la réglementation. L'application ChatGPT est apparue dans le débat public à cause de son utilisation par les étudiants ; elle se fonde pourtant sur la technique décriée du deep machine learning, qui crée des contenus parfois très fantaisistes ou marqués par des biais sociaux, raciaux ou de genre. L'IAG entre enfin en contradiction avec la recherche des faits et l'acquisition de compétences par l'expérience qui fondent notre instruction.

En outre, l'IAG touche au domaine culturel. Le cadre juridique n'est ni adapté ni suffisant en la matière, notamment sur les droits d'auteur. J'espère que l'Artificial Intelligence Act (IAA) permettra de progresser sur cette question.

Nous ne pouvons en rester à une simple possibilité d'opt-out pour les ayants droit qui ne souhaitent pas que les machines utilisent leurs oeuvres. Le statu quo est générateur de déséquilibre.

Quel statut pour les créations réalisées à partir d'une IA et pour les personnes qui en sont à l'origine ? S'agit-il d'une création ? L'IAG bouscule et interroge jusqu'à notre conception même de cet acte.

Il faut encadrer l'IAG. À nous de lui donner du sens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE)

M. Pierre-Antoine Levi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Avec l'émergence de l'IA, le monde vit une quatrième révolution industrielle, comme en témoignent les outils d'intelligence conversationnelle. Nous aurions pu d'ailleurs faire rédiger nos discours par ChatGPT : nous aurions gagné du temps, mais le débat aurait été très ennuyeux, car nous aurions tous tenu plus ou moins le même discours... (M. le ministre le confirme.)

Allons-nous vers un monde où nous penserons de moins en moins ? Monsieur le ministre, vous avez qualifié ChatGPT de perroquet approximatif : vous deviez avoir testé la version 3. Sa version 4 est impressionnante de bon sens et de précision. OpenAI nous promet même pour décembre une version 5, qui s'approcherait de l'intelligence humaine. Il y a de quoi s'inquiéter. Des emplois pourraient disparaître, mais ces craintes doivent être nuancées.

En Chine, 79 % des sondés considèrent l'IA comme plus bénéfique que néfaste, 71 % en Inde, contre 31 % seulement en France. Cela est symptomatique de notre rapport aux évolutions technologiques. C'est ce que dit Emma Marcegaglia, ancienne patronne du Medef italien : lorsque se présente une innovation, les Américains en font commerce, les Chinois la copient et les Européens font un règlement !

Effectivement, Thierry Breton a annoncé avec fierté que l'Union européenne avait rédigé en moins de deux ans une réglementation de l'IA. J'aurais préféré l'apparition d'un champion européen dans ce domaine...

Ne soyons pas à la traîne, accompagnons le mouvement. Apprenons à nos jeunes à utiliser l'IA comme un outil au service du savoir.

Monsieur le ministre, je salue votre décision de ne pas interdire priori ChatGPT, contrairement à ce qu'ont fait nos voisins italiens. Je salue aussi les travaux colossaux réalisés à Saclay sur l'IA française Bloom.

N'avons-nous pas déjà pris trop de retard sur les entreprises américaines ? La France sera-t-elle au rendez-vous de cette quatrième révolution industrielle ?

M. Jean-Jacques Panunzi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis quelques mois, les IAG influencent notre quotidien et monopolisent l'espace médiatique.

Les nouveaux logiciels se font concurrence pour devenir la référence.

L'IAG crée des contenus : c'est à elle que l'on doit les photos truquées du Pape en doudoune ou du président Trump menotté qui ont beaucoup circulé.

Deux mois après leur lancement, la croissance de ces outils est impressionnante, avec 100 millions de téléchargements pour ChatGPT, dont une nouvelle version est apparue le 10 mars.

L'IA change le monde du travail : les machines apprennent à s'adapter à des tâches autrefois réservées aux humains. Quelles conséquences pour l'emploi ? Aura-t-on encore besoin de journalistes, d'illustrateurs, de juristes, de consultants ? OpenAI a fait passer le concours du barreau américain à ChatGPT, qui a été brillamment reçu.

Selon Goldman Sachs, 300 millions d'emplois pourraient être supprimés dans le monde. McKinsey souligne que le fossé risque de se creuser entre les travailleurs et les pays : les États-Unis et la Chine seront les grands gagnants et la France, le Royaume-Uni et la Corée du Sud plutôt bien positionnés.

Selon Goldman Sachs, le PIB mondial augmenterait de 7 % par an grâce à l'IA, qui permet de créer contenus à grande échelle et produits personnalisés.

L'utilisation de l'IAG dans les affaires doit être éthique et responsable. Les fake news, propagées grâce à l'IA, les fausses révélations peuvent avoir des conséquences sur les cours de la Bourse.

D'un point de vue sociétal, l'IAG contribue à la création de contenus culturels innovants, mais elle peut aussi semer la désinformation et être utilisée pour des discours de haine et de cyber-harcèlement. La Cnil commence à s'intéresser à ChatGPT. Elle plaide pour une clarification du cadre légal.

Sur le plan politique, elle aide à la prise de décision, mais elle peut aussi conduire à la surveillance des citoyens. Un règlement européen sur l'IA proposé par la Commission européenne en avril 2021 est en cours d'examen par le Parlement européen. La Commission européenne n'écarte pas l'utilisation de l'IA pour la biométrie.

En France, le ministère des sports a exclu le recours à la reconnaissance faciale pour les jeux Olympiques et Paralympiques. Seules des caméras avec des algorithmes intelligents seront utilisées.

L'IAG offre de nouvelles opportunités, mais il faut prévoir des limites clairement établies. La compétition sera acharnée : la Chine est très en avance et Vladimir Poutine a prédit dès 2017 que le leader dans ce domaine dirigerait le monde. Elon Musk, cofondateur d'OpenAI, préconise une pause de six mois dans la recherche sur l'IA, et Joe Biden, le 4 avril, a demandé au Congrès de limiter l'utilisation des données personnelles.

Pays leader dans ce domaine, la France a un rôle important à jouer. Il faut soutenir la recherche, tout en prévoyant un encadrement légal. Monsieur le ministre, la France sera-t-elle réactive ou a-t-elle pris du retard ? Quels moyens pour votre politique dans ce domaine ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications .  - J'ai suivi l'exemple de Mme de Marco ou de M. Levi en ne faisant pas appel à ChatGPT pour rédiger mon intervention... (M. le ministre montre un papier couvert de notes.) En effet, pour bien légiférer sur ce sujet, il faut comprendre ce qu'est l'IAG, et ce qu'elle n'est pas.

Elle n'est pas une nouvelle Pythie rendant des oracles sur tous les sujets du monde. Elle n'est pas une intelligence créative, mais générative : elle réagence des contenus existants, sans connaître le monde. C'est un perroquet stochastique, c'est-à-dire approximatif, n'en déplaise à Stéphane Ravier qui estime que ChatGPT singe les comportements humains.

Voilà quatre siècles, Blaise Pascal, qui avait créé l'une des premières machines, la pascaline, soulignait que la différence entre l'homme et la machine réside dans l'intention, la capacité de volonté.

Nous devons adopter des réponses volontaristes, fondées sur des positions équilibrées. Comme le dit Christian Redon-Sarrazy, la technologie n'est ni poison ni remède : dès lors, nous ne sommes ni technolâtres ni technophobes.

Cette technologie suscite de nombreuses questions : Cyril Pellevat, Jean-Jacques Panunzi en ont souligné les effets ambigus sur le marché du travail. L'IAG soulage de certains travaux pénibles, mais bouscule certaines professions.

L'adoption de ces technologies doit se faire dans un esprit de justice sociale : il faut que nos concitoyens s'en saisissent. Nous n'entendons pas nous faire dicter notre action par l'IA, mais lui dicter notre action.

L'IAG n'exclut pas les communs numériques évoqués par Pascal Savoldelli. En témoigne le modèle Bloom, conçu en open source grâce au supercalculateur Jean Zay, qui a précédé ChatGPT.

Faut-il un moratoire, comme le réclame Catherine Morin-Desailly ? La question mérite d'être posée, mais la réponse des signataires de la pétition n'est pas la bonne. La France dispose de tous les atouts pour maîtriser ces outils. Voilà cinq ans, le Président de la République a lancé une stratégie nationale en faveur de l'IA, dotée de 1,5 milliard d'euros, qui s'est traduite notamment par la création d'instituts interdisciplinaires pour l'intelligence artificielle (3IA) à Nice, à Toulouse, à Grenoble et à Paris, ainsi que de 190 chaires de recherche, tout en multipliant par deux le nombre de diplômés dans ce domaine.

Pour répondre aux questions de plusieurs d'entre vous sur les ambitions du Gouvernement, la stratégie d'accélération de l'IA est au coeur de France 2030.

Faut-il réguler ? Oui, assurément. Nos concitoyens doivent toujours pouvoir faire la différence entre l'humain et la machine, d'où une nécessaire transparence. L'utilisation de l'IA sera proscrite pour certains usages ; pour d'autres, elle sera encadrée ou mobilisable plus librement.

Le règlement européen couvre-t-il tous les sujets ? Non : je songe à l'empreinte carbone, mentionnée par Sylvie Robert, à la normalisation des relations avec les États-Unis ou la Chine évoquée par Cyril Pellevat et Catherine Morin-Desailly, à l'exploitation des travailleurs des pays du Sud dénoncée par Monique de Marco et Pascal Savoldelli, à la question des droits d'auteur et de la protection des données personnelles abordée par Jean-Claude Requier et Sylvie Robert.

Les modèles d'IA s'entraînent sur des jeux de données, y compris des données personnelles collectées sur internet à une époque où le consentement pour leur utilisation n'était pas prévu, ce qui a motivé une interdiction de ChatGPT par la Cnil italienne. (MM. Michel Savin et Roger Karoutchi font signe que le temps de parole du ministre est écoulé.)

Certaines de vos préoccupations sont d'ores et déjà traitées par le plan d'investissement prévu par le Président de la République et par le projet de règlement européen. D'autres nourriront sans nul doute les travaux du Sénat. (M. Jean-Claude Requier et Mme Monique de Marco applaudissent.)

La séance est suspendue quelques instants.

Mises au point au sujet d'un vote

M. Franck Menonville.  - Lors de l'examen de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité, au scrutin n°270, MM. Capus, Chasseing, Decool, Mme Paoli-Gagin, MM. Verzelen, Wattebled, et moi-même souhaitions voter contre. MM. Guerriau, Malhuret et Mme Mélot souhaitaient voter pour.

M. le président.  - Acte est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique du scrutin.

Rappel au Règlement

M. Guy Benarroche.  - Rappel au Règlement sur le fondement de l'article 44. Le GEST a déposé une question préalable sur cette proposition de résolution, qui a été rejetée. Or l'alinéa 3 de l'article 44 ne dispose pas que la question préalable ne peut porter que sur un texte de loi ; l'article 50 quater qui interdit le dépôt d'amendements sur les propositions de résolution ne dit rien des motions de procédures. Il faut remédier à cette imprécision du Règlement.

Par cette question préalable, nous souhaitions rejeter d'emblée une proposition de résolution caricaturale et manichéenne. Nous nous inquiétons du calendrier, qui est dangereux et délibéré : durant cette période de tension, les représentants de la Nation ne doivent pas créer de la division.

Il n'est plus possible de réprimer la contestation sociale par la force et de voter des lois contre la majorité du pays. Nous appelons à l'apaisement face à cette dérive autoritaire et illibérale. Cette proposition de résolution ne rend pas service aux forces de l'ordre, qui ne font qu'obéir aux consignes de leur hiérarchie.

Nous invitons le Gouvernement à revoir la doctrine du maintien de l'ordre pour rétablir la confiance entre les citoyens et leur police. Nous ne participerons pas à ce débat et nous ne prendrons pas part au vote. (Quelques marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains)

M. le président.  - La présidence apportera une réponse sur la partie de votre propos qui concerne le Règlement du Sénat. (Les sénateurs du GEST quittent l'hémicycle.)

Forces de l'ordre

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution exprimant la gratitude et la reconnaissance du Sénat aux membres des forces de l'ordre déployées sur tout le territoire national présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par M. Bruno Retailleau et les membres du groupe Les Républicains, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues.

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MMFranck Menonville et Pierre Louault applaudissent également.) Cette résolution, que je présente avec le président Hervé Marseille, n'est pas uniquement symbolique, c'est un acte politique.

En un mois, ce sont plus de 1 000 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers qui ont été blessés, parfois gravement. En tant qu'élus, nous ne devons pas nous taire, nous devons prendre parti et choisir notre camp : celui de l'ordre républicain, et non celui de l'ambiguïté, voire de la complicité. (M. Éric Kerrouche se récrie.)

À Sainte-Soline, nous avons vu des élus ceints de leur écharpe tricolore participer à une manifestation interdite dont tous savaient qu'elle allait mal se terminer. (Marques d'exaspération à gauche) C'est bien un signe de complicité inadmissible, et notre écharpe ne saurait servir à couvrir les exactions des cagoules noires.

Les fonctionnaires, particulièrement les magistrats, doivent se tenir à leur obligation de réserve. À cet égard, le communiqué du syndicat de la magistrature sur les événements de Sainte-Soline est inadmissible : c'est un débordement qui alimente la défiance.

Les dérives, cela suffit ! Cette culture de l'excuse et cette fascination pour le chaos doivent cesser. Ceux qui lancent des pierres, qui brûlent les voitures de police ou de gendarmerie, ce ne sont pas les nouveaux damnés de la terre, mais les nouveaux incendiaires, les adversaires de la République.

N'ayez pas la naïveté de penser qu'ils se préoccupent des retraites ou des réserves de substitution : ils s'en fichent ! Ils veulent mettre à bas l'État et la démocratie.

La fausse équivalence entre l'usage légitime de la force - dont les dérives sont toujours sanctionnées - et l'usage illégal de la violence, cela suffit également ! Il ne saurait y avoir d'équivalence entre l'illégalité et l'illégitimité. Aucune équivalence non plus entre ceux qui veulent blesser, tuer, casser du flic et ceux qui protègent les personnes et les biens.

Notre camp ne sera jamais celui du nihilisme dans lequel l'ultragauche, voire l'extrême gauche se complaisent. Ce sont les mêmes, et je remercie la gauche de cet hémicycle de ne pas s'y être associée, qui ont battu le pavé parisien en novembre 2019 aux côtés des islamistes.

M. Roger Karoutchi et Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Eh oui !

M. Bruno Retailleau.  - Nous avons choisi notre camp, celui d?un ordre juste et calme. « L'ordre, et l'ordre seul, fait en définitive la liberté, le désordre fait la servitude », disait Charles Péguy. Ne cédons pas au terrorisme intellectuel, qui voudrait soutenir ceux qui veulent asservir la République à la chienlit. Soyons aux côtés de celles et ceux qui servent la République et notre démocratie. Certains exècrent leur uniforme. Pourtant, c'était le même que portrait Arnaud Beltrame. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains) Ils ont fait le serment de servir et de défendre la loi.

Nous avons une dette à leur encontre, surtout quand leur honneur est attaqué injustement. Défendons-les ! Dans les mots, sans rien céder à l'ambiguïté, dans les actes, en leur donnant les moyens d'exercer leurs missions.

On ne peut donner raison aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes et, le lendemain, combattre ceux de Sainte-Soline : tout se tient, sinon rien ne tient. Défendons nos forces de l'ordre, car ce qu'elles représentent transcende nos clivages. L'ordre n'appartient à aucun parti, si ce n'est celui de la République. La Nation, que nous servons, qu'ils servent, leur doit la reconnaissance pour leur mission exercée souvent au péril de leur vie. (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) M. Retailleau nous a réunis cet après-midi pour examiner une proposition de résolution.

M. Jérôme Bascher.  - Très bonne idée !

M. Jérôme Durain.  - Il y est question de gratitude, de reconnaissance. Les forces de l'ordre l'éprouvent-elles, alors que 13 000 postes de policiers et de gendarmes ont été supprimés durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy ?

Il est vrai qu'avec cette proposition de résolution, vous ne prenez pas beaucoup de risques. C'est peut-être le but : la proposition de loi sur les casseurs de M. Retailleau a mal fini devant le Conseil constitutionnel.

M. Bruno Retailleau.  - À cause de l'article 3, ajouté à l'initiative de M. Castaner !

M. Jérôme Durain.  - Mais même si le Conseil constitutionnel s'intéressait à cette résolution, je ne vois pas ce qu'il pourrait en dire. J'en veux pour preuve les termes mêmes de la résolution, qui « invite le Gouvernement à prendre toutes les mesures qui s'imposent pour appréhender les casseurs et ramener l'ordre dans notre pays. » Monsieur Retailleau, comptez-vous prochainement inviter le Gouvernement à gouverner, voire lui rappeler les vertus du dialogue ?

J'ai rencontré des policiers jeudi après-midi. Aucun d'entre eux ne m'a demandé ma position sur cette résolution, ils étaient plus heureux de savoir que le groupe SER du Sénat avait voté la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Ils ne m'ont même pas confondu avec un sympathisant de l'ultragauche !

M. François Bonhomme.  - Vous en êtes sûr ?

M. Jérôme Durain.  - Notre assemblée a su faire preuve de son souci du bien commun, mais cette résolution n'apporte rien au débat. Elle résume la situation à une guerre de tous contre tous, manichéenne. Nous voyons une colère sociale portée par des millions de Français pacifiques, vous réduisez tout aux débordements de quelques dizaines d'abrutis dangereux.

Ce n'est pas la faute des manifestants si des journalistes sont agressés par les forces de l'ordre, si l'on n'ose plus manifester en famille. C'est le Gouvernement qui, à force de mépris des corps intermédiaires, participe à la montée de la température sociale. Pour calmer les esprits, il faut prendre en compte les manifestants. Crier comme vous le faites « tout le monde adore la police », c'est aussi stupide que de crier que la police tue.

Déposée après les attentats de Magnanville ou de Charlie Hebdo, cette résolution aurait eu une tout autre portée. Dans le contexte actuel, votre proposition de résolution revient à dire : circulez, il n'y a rien à voir... Or la critique de la police est souhaitable ; c'est l'honneur de la démocratie que d'interroger toutes ses institutions. Non, nous ne sommes pas au Venezuela, mais nos voisins européens s'interrogent sur notre police.

Nous ne craignons pas ce débat, contrairement à la droite et au centre qui, à l'Assemblée nationale, ont refusé de discuter la résolution demandant la dissolution de la Brav-M. Je n'aurais jamais jeté au rebut les centaines de milliers de signatures de citoyens s'inquiétant de l'action des forces de l'ordre.

On ne sort jamais gagnant d'un refus de débattre. Seulement 51 % de nos concitoyens avaient une bonne opinion de nos forces de l'ordre le 5 avril, contre 61 % en novembre 2020 - et c'était pourtant au lendemain de l'agression du producteur Michel Zecler. Le 29 mars, un sondage révélait que pour 37 % des Français, les violences policières ne sont pas marginales.

Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Il est surtout à deux doigts de tomber par terre.

Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, n'a pas le profil du casseur. Or son expérience du maintien de l'ordre sur son territoire l'inquiète dans la perspective des jeux Olympiques, et il demande un débat apaisé. Cette résolution n'y contribue pas...

Cela étant, tout n'est pas à jeter dans votre texte. Ainsi, « cette violence a prospéré depuis plusieurs années du fait de l'immobilisme, de la tolérance et parfois de la bienveillance de certains responsables politiques à l'égard de ses auteurs », et « la violence physique est désormais précédée jusque dans nos institutions d'une violence verbale qui tente de justifier des comportements aussi illégaux qu'inadmissibles ». Sur ces points, vous avez raison... si c'est l'ultradroite que vous dénoncez, les manifestations racistes, les remarques racistes du groupe RN au Palais Bourbon, la résurrection du GUD qui se baptise « Waffen Assas », et pas seulement les étudiants bloqueurs.

C'est pourquoi le groupe SER a déposé une proposition de résolution qui plagie la vôtre, mais en dénonçant l'ultradroite. (Marques d'ironie à droite) Nous soutenons la police. Puisque vous dénoncez les casseurs et l'ultragauche, nous comptons sur vous pour dénoncer l'ultradroite.

M. Jérôme Bascher.  - Bien sûr !

M. Jérôme Durain.  - Nous ne prendrons pas part au vote. (M. François Bonhomme s'en amuse.)

L'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « la garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée ». Notre famille politique a donné de grands ministres de l'intérieur, Pierre Joxe en tête. Nous croyons à la police républicaine, à celle du préfet Grimaud. Nous ne nous résignons pas à une police mal recrutée, mal formée, mal utilisée.

Votre gratitude inconditionnelle est stérile pour les forces de l'ordre. Au groupe SER, nous offrons notre soutien de principe, mais aussi notre exigence de principe parce que nous avons une haute idée de la police. C'est le sens de notre inquiétude sur le maintien de l'ordre, que les circonstances exigent. (Applaudissements nourris sur les travées du groupe SER)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Un discours ferme, clair, républicain !

Mme Éliane Assassi .  - C'est avec un étonnement mêlé d'affliction que nous avons découvert l'inscription de ce texte à l'ordre du jour.

La crise démocratique d'une ampleur rare que nous traversons n'aurait pas eu lieu sans le projet de loi sur les retraites, passé par contrainte institutionnelle face à une large majorité de la population, face à des manifestants pacifiques. L'obstination du Président de la République et de son Gouvernement a durci le débat et fait monter les tensions.

Nous vous appelons au sérieux et au respect, car personne, à la gauche de cet hémicycle, ne souhaite la violence.

M. François Bonhomme.  - Très bien !

Mme Éliane Assassi.  - Les policiers, détenteurs de missions de service public, font face aux conséquences de choix politiques dont ils ne sont pas responsables. C'est au soir du 49.3 que la colère a explosé. Des feux ont été allumés, des projectiles lancés, des membres des forces de l'ordre blessés : nous le regrettons, et j'ai toujours condamné les groupes violents qui pourrissent le mouvement social.

Mais comment pouvez-vous fermer les yeux sur l'arrestation de centaines de jeunes nassés, placés en garde à vue dans des conditions discutables, et sur ces manifestants blessés, parfois gravement ? Un homme blessé à Sainte-Soline est toujours dans le coma.

Vous adoptez une posture dangereuse pour notre démocratie, celle de l'amalgame, de la mise en cause de vos adversaires politiques. Il n'y a pas de camp du bien et de camp du mal, de l'ordre et du désordre. Vous avez contribué à enfoncer le pays dans la crise par votre vote sur ce projet de loi, et vous attaquez les partis de gauche qui soutiennent le mouvement social ?

M. Bruno Retailleau.  - L'extrême gauche !

Mme Éliane Assassi.  - Qui visez-vous, quand vous mentionnez des élus ambivalents ? Sommes-nous une menace à l'ordre public quand nous alertons, avec la Ligue des droits de l'Homme, sur des violences policières étayées et constatées ?

M. François Bonhomme.  - Nous y voilà...

Mme Éliane Assassi.  - La République, ce n'est pas l'ordre, qui n'en a certes pas été le creuset. La République, c'est la démocratie et la justice sociale ; c'est le projet que nous opposons à une proposition de résolution archaïque et réactionnaire. (On se récrie sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Le groupe CRCE ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Pascal Martin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Quelque 1 143 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers ont été blessés depuis le début des manifestations contre la réforme des retraites, auxquels s'ajoutent 47 gendarmes pris en charge par les secours à Sainte-Soline le 25 mars.

Les forces de l'ordre sont la cible d'un nombre inédit de violences qui, dans le sillage du mouvement des gilets jaunes, atteignent un degré rarement observé. Certains instrumentalisent le droit de manifester pour casser du flic, nuisant à ceux qui exercent le droit fondamental de manifester. Pis, ils rendent impossible l'exercice serein de ce droit en s'attaquant aux forces de l'ordre et aux secours.

Nous n'aurons de cesse de défendre ceux qui protègent nos concitoyens. C'est pourquoi nous saluons l'initiative des présidents Retailleau et Marseille, écho à ce que beaucoup de Français ressentent au quotidien.

Ainsi, ils sont 85 % à condamner les violences contre les forces de l'ordre. Personne ne nous fera croire que nous sommes dans un État policier, que nos policiers sont agents du chaos et doivent « aller se faire soigner », pour reprendre les propos révoltants de Jean-Luc Mélenchon.

Notre engagement à leurs côtés est total, mais pas aveugle, alors que policiers et gendarmes sont soumis à une pression constante. Face aux insultes, aux crachats et aux coups, il y a eu des dérapages qu'il convient de sanctionner. L'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a ouvert 36 enquêtes, et son homologue dans la gendarmerie, deux : puissent-elles faire la lumière sur des actes regrettables, mais isolés.

Il est tout aussi légitime d'enquêter sur les manifestants blessés à Sainte-Soline. Mais cela ne remet pas en cause l'exemplarité des forces de l'ordre particulièrement sollicitées. Des agitateurs de premier ordre tentent de faire passer les casseurs pour les victimes et les policiers pour les bourreaux. Certains voudraient nous faire croire que sans gendarmes, il n'y aurait pas eu de casse à Sainte-Soline, et sans policiers, pas de dégradations à la Rotonde.

Encore une fois, les Français ne sont pas dupes. Les appels à la dispersion ne suffisent pas toujours contre les pavés, les mortiers et les boules de pétanque. Bien sûr, l'utilisation des LBD et des grenades de désencerclement doit être encadrée. Le problème, ce ne sont pas les LBD en eux-mêmes, mais leur usage par des agents insuffisamment formés. Il serait irresponsable de retirer cette arme intermédiaire sans alternative.

Les situations d'affrontement reflètent, en tout cas, l'échec du dialogue. Mais qui le refuse ? Prenons Sainte-Soline : les manifestants les plus radicaux font comme s'ils résistaient face à un pouvoir arbitraire. Tout se passe comme s'il n'y avait eu ni étude d'impact, ni concertation des comités de bassin et des commissions locales de l'eau (CLE), ni décision des élus en faveur des bassines. Tout se passe comme si l'idéologie de certains devait prévaloir, par la violence, sur des décisions de justice. La résistance contre l'arbitraire, c'est celle de décisions démocratiques contre une mouvance violence. Le triste bilan de cette rage, ce sont les 1 143 blessés.

Ayant été sapeur-pompier professionnel, j'adresse un hommage particulier aux agents de secours et de sécurité civile qui protègent la vie de nos concitoyens en risquant la leur. Les casseurs, eux, n'ont aucun scrupule à attaquer les sapeurs-pompiers et les urgentistes sans qui le bilan humain serait autrement pire. C'est pourquoi, en responsabilité, l'UC votera cette proposition de résolution pour exprimer sa gratitude et son soutien. (Applaudissements sur les travées des groupeUC, INDEP et Les Républicains)

M. Stéphane Ravier .  - Après avoir oeuvré récemment avec vous à la création de 200 brigades de gendarmerie, j'exprime ma gratitude et ma reconnaissance aux forces de l'ordre, notamment déployées à Marseille. Je salue avec vous la mémoire d'Arnaud Blanc, gendarme du GIGN tué le 25 mars en Guyane en luttant contre l'orpaillage illégal.

Dans cette même Amérique latine, l'extrême gauche française trouve ses meilleurs amis : Chávez, Maduro, Castro, ces apôtres de l'effondrement économique et de la répression sanglante.

Si nous subissons de telles violences contre les forces de l'ordre, c'est principalement l'oeuvre de la Nouvelle union révolutionnaire des gauches.

M. Jérôme Durain.  - Pas de l'extrême droite ?

M. Stéphane Ravier.  - Les zadistes, à Paris, Bordeaux, Sainte-Soline, Marseille, dans les facs, sont aux côtés de la racaille antifa. Un ancien dealer devenu député crache sur la police qui protège son domicile depuis des semaines.

Rappelons à Fidel Hugo Mélenchon que la République, c'est eux. Le Líder máximo de l'islamo-gauchisme devrait se rééduquer lui-même, alors que ses collègues réintègrent un collègue qui frappe son épouse. Ils veulent que toute la France soit insoumise, sauf elle.

Avec 6 700 policiers et 3 300 gendarmes blessés en service en 2020: le seul racisme systémique dans notre pays...

M. Jérôme Durain.  - C'est le vôtre !

M. Stéphane Ravier.  - ... c'est le racisme antiflics. L'extrême gauche antifrançaise pousse la racaille contre la République.

Notre pays a vibré à la mort homérique d'Arnaud Beltrame, cette figure de l'abnégation chevaleresque. Je salue tous ceux qui sont prêts à sacrifier leur vie pour protéger la nôtre.

Cette proposition de résolution a le mérite de mettre face à face le camp de la Nation et celui de ses ennemis. Face aux rouges, je serai toujours dans le camp des bleus ! (Nombreuses marques de dérision à gauche)

M. Jérôme Durain.  - Dans le camp des bruns, oui !

Mme Nathalie Delattre .  - Sans équivoque, le groupe du RDSE condamne tous les actes de violence commis, notamment par des casseurs, et toutes les attaques portées contre les policiers, les gendarmes et les pompiers. Rien n'a changé depuis les attentats de 2015 : nous sommes toujours aussi convaincus du courage et du dévouement de nos agents.

Pourtant, certains de nos concitoyens expriment une colère, un rejet de l'État. Qu'ils n'oublient pas les services rendus par nos institutions, policiers, gendarmes, mais aussi tous nos services publics. La violence à leur encontre est semblable à celle que subissent nos enseignants et nos élus. Contre cette dernière, j'ai déposé une proposition de loi de soutien aux édiles.

Pour le juriste bordelais Léon Duguit, « une société ne pourrait exister s'il n'y avait pas de discipline sociale ». La désobéissance civile est choquante quand des élus de la République la prônent. Il est donc inacceptable de renvoyer dos à dos forces de l'ordre et casseurs.

Pour autant, il ne faut pas renoncer à toute critique : on peut être révolté par l'incendie de la porte de la mairie de Bordeaux, sans pour autant pouvoir regarder sereinement les images de tirs de LBD ou de jets de grenades.

S'inquiéter de la hausse, marginale, des violences policières, c'est s'inquiéter de l'augmentation de la violence dans notre société, et de l'épuisement des agents. Mais il faut aussi une police irréprochable, et que chaque dérive soit sanctionnée. C'est notre rôle de parlementaires que de leur assurer les moyens d'un exercice décent de leur métier.

Nous voterons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

M. Olivier Paccaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Sans bouclier, tu n'es rien : tout gladiateur ou chevalier le sait. La place des forces de l'ordre est cruciale, au fondement du contrat social, qui ne serait qu'un voeu pieux sans force exécutoire. Parce que celle-ci existe, nous pouvons jouir paisiblement de nos existences.

La police arme la démocratie contre ceux qui s'y soustraient. Pour paraphraser Blaise Pascal, elle permet à ce qui est juste d'être fort. Sans police, pas de contrat social. La loi n'est qu'une vaine tache d'encre. Tout notre ordre repose sur cette force qui empêche la guerre de tous contre tous, décrite par Hobbes.

La rhétorique stérile dressant manifestants contre forces de l'ordre est inepte, car celles-ci garantissent justement le droit de manifester contre les perturbateurs.

Avant l'irruption des black blocs dans les cortèges, tout le monde saluait le bon déroulement des manifestations. C'est aux agresseurs de policiers, lanceurs de pavés, incendiaires de poubelles, qu'il faut jeter la pierre. La réprobation à leur endroit doit être unanime. Le droit de manifester n'est pas un droit à la chienlit, et force doit rester à la loi.

Jérôme Durain a cité la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Je me référerai pour ma part aux constitutions de 1791, 1793 et 1848, où le droit de manifester est toujours associé à la condition de la non-violence. La Constitution de 1791 garantit ainsi « la liberté de s'assembler paisiblement et sans armes, en satisfaisant aux lois de police. » La conciliation entre liberté et ordre public est un principe invariant et structurant de notre tradition juridique.

Devons-nous pousser des cris d'orfraie quand la police intervient contre les black blocs ? Lui reprocher de se défendre contre des assauts inacceptables ou d'escorter des pompiers ? Le faire, c'est inverser les coupables et les victimes.

En réalité, ce dont l'accusent certains, c'est de ne pas désarmer face à la violence et de préserver l'ordre républicain, faisant ainsi ce pour quoi elle a été instituée. Ceux qui le lui reprochent rompent le contrat social qui nous lie.

Nous devons redire aux forces de l'ordre notre confiance, au moment où leur critique est devenue le fonds de commerce d'une partie de la classe politique. Nous n'accepterons pas que le bruit et la fureur soient des codicilles au contrat social, et que nos policiers et gendarmes deviennent de la chair à black blocs. Sans bouclier, nous sommes faibles - toute démocratie le sait bien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)

M. Franck Menonville .  - (M. Bruno Belin applaudit.) Ces dernières semaines, nous avons assisté à un déchaînement de violences. Mairies incendiées, parlementaires pris pour cible, véhicules détruits : voilà l'image que nous donnons au monde !

À Sainte-Soline, on a jeté sur les forces de l'ordre des cocktails Molotov et des boules de pétanque, au cours d'une manifestation prétendument non violente... L'ultragauche s'en prend délibérément à notre République et à notre démocratie.

La France doit cesser d'être le terrain de jeu européen de ces factions, à la faveur d'une certaine complaisance intellectuelle et médiatique. La violence contre les dépositaires de l'ordre public doit être réprimée de façon dissuasive. (M. Laurent Burgoa abonde.) Je déplore que ceux qui ont transformé l'Assemblée nationale en ZAD soient dans la rue au côté des casseurs.

Les Français ont des opinions diverses, mais ils s'accordent sur ce point : la démocratie doit nous gouverner. « Ce qui préserve de l'arbitraire, c'est l'observance des formes », disait Benjamin Constant. Non, la violence n'est pas un moyen d'expression légitime !

Le groupe Les Indépendants rend hommage aux femmes et aux hommes qui consacrent leur vie à la protection de nos vies et de nos institutions, ainsi que des grands événements accueillis par notre pays, en dépit des violences qu'encouragent des révolutionnaires de salon.

Depuis le début des manifestations, on compte des centaines de blessés parmi les forces de l'ordre - 154 pour la seule journée de jeudi dernier. Pourtant, policiers et gendarmes continuent d'exercer leur métier avec courage et sang-froid face à ceux qui veulent embraser le pays.

Les gardiens de l'ordre républicain, qui oeuvrent au service de tous, peuvent compter sur notre reconnaissance et notre soutien. Nombre d'entre nous se sont levés pour leur rendre hommage après la question d'actualité posée par notre président, Claude Malhuret, le 29 mars dernier. De même, cette proposition de résolution doit réunir tous les Républicains. Nous la voterons, en félicitant MM. Retailleau et Marseille d'en avoir pris l'initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)

M. Xavier Iacovelli .  - Cette proposition de résolution est révélatrice du climat social et politique que nous connaissons depuis une vingtaine d'années. Les phénomènes de violence sont de plus en plus nombreux, en France comme ailleurs - souvenons-nous du G20 de Hambourg, du G8 de Rostock ou du G20 de Londres. Les prétendues zones à défendre, véritables zones de non-droit, se multiplient - comme à Lützerath, en Allemagne. En janvier dernier, à Atlanta, des manifestations contre l'ouverture d'une école de police ont entraîné un mort et de nombreux blessés.

La nouvelle génération d'activistes d'ultragauche et d'ultradroite méprise les manifestations encadrées, mais en profite pour semer le chaos. De Sivens à Notre-Dame-des-Landes, nous n'avons que trop vu leur détermination à mettre en péril la vie des forces de l'ordre.

La violence a culminé au printemps 2016, lors de la contestation de la loi travail. Depuis, des gilets jaunes à la contestation de la réforme des retraites, ultragauche et ultradroite infiltrent les manifestations pour les radicaliser.

Comme on l'a vu à Sainte-Soline, les mouvances des différents pays entretiennent des relations. Italiens, Allemands, Belges ou Français, les radicaux s'en sont pris aux forces de l'ordre pour ce qu'elles sont et, à travers elles, aux institutions de la République. Comme l'a expliqué le directeur général de la gendarmerie nationale, leur objectif est de mettre en échec la capacité des forces de l'ordre à maintenir l'ordre public et à protéger les institutions.

Nous regrettons la duplicité de certains membres du Parlement, qui, en participant à des manifestations interdites ou en ne condamnant pas clairement les violences physiques, verbales et morales contre les forces de l'ordre, jouent un jeu dangereux.

Le RDPI votera cette proposition de résolution. Toutefois, le renforcement des moyens, l'amélioration des conditions de travail et la revalorisation des carrières sont les meilleures marques de reconnaissance.

À cet égard, le premier quinquennat d'Emmanuel Macron a vu la mobilisation de moyens considérables pour le ministère de l'intérieur : 10 000 policiers et gendarmes recrutés, la moitié du parc de véhicules renouvelée, de très nombreuses heures supplémentaires accumulées enfin payées. La Lopmi prévoit 15 milliards d'euros et 8 500 postes supplémentaires jusqu'en 2027 ; l'objectif est de doubler la présence des forces de l'ordre sur le terrain, notamment à travers 200 brigades nouvelles. Nous revalorisons également les carrières et renforçons l'accompagnement social des personnels, par exemple en matière de garde d'enfants.

Les forces de l'ordre peuvent compter sur notre soutien plein et entier, traduit en actes concrets. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Jusqu'à la mi-mars, les manifestations contre la réforme des retraites se déroulaient de manière organisée et pacifique. Mais, le 16 mars dernier, la décision de la Première ministre de recourir au 49.3 a été le point de départ d'une vague de violences. Le 25 mars, nous avons assisté à un déchaînement de violence à Sainte-Soline, au cours d'une manifestation interdite. Les atteintes à nos institutions se comptent par centaines.

Saluons le sang-froid avec lequel les forces de l'ordre continuent de protéger les personnes et les biens face à ce chaos. Dire qu'il s'est trouvé des élus pour les mettre en cause de façon indécente... Quel renversement de valeurs !

À Sainte-Soline, les prétendus promeneurs auxquels nos forces de l'ordre ont fait face étaient des indignés professionnels armés de cocktails Molotov, de manches de pioche ou de boules de pétanque. Cet « arsenal festif » était complété par des bonbonnes de gaz et des mortiers d'artifice... Les fourgons en feu ne laissaient guère de doute sur leur volonté d'en découdre, au nom d'un slogan stupide : « La police tue ».

Je ne m'explique pas la complaisance, voire la fascination, que suscite cette violence, destinée à abattre nos institutions républicaines, qui seraient naturellement bourgeoises. Une violence qui n'a rien de symbolique : les vitrines de banque et les commerces attaqués en témoignent. Il s'agit de susciter un climat d'insurrection, préalable à une révolution ou à une vaporeuse VIe République.

On invoque le droit de manifester, mais le droit de propriété est bafoué lorsque, par exemple, l'outil de production de nos agriculteurs est mis à mal, comme à Sainte-Soline. Le rappeler contribue à remettre à l'endroit les valeurs qui doivent nous réunir.

Que peuvent faire les parlementaires pour soutenir les forces de l'ordre ? Le secrétaire général du syndicat Alliance...

Mme Éliane Assassi.  - Il est avec nous dans les manifs !

M. François Bonhomme.  - ... demande une nouvelle loi anticasseurs pour prévenir les violences et en sanctionner les auteurs.

La loi du 10 avril 2019 visait à renforcer le maintien de l'ordre public lors des manifestations. Malheureusement, une décision du Conseil constitutionnel a remis en cause son application. Il semble cependant qu'une voie de réécriture existe.

Par ailleurs, M. Darmanin a annoncé devant notre commission des lois que le décret relatif à l'utilisation des drones était en cours d'examen par le Conseil d'État : dès cet été, il sera possible de recourir à ces équipements.

Nous devons donner à nos forces de l'ordre tous les moyens juridiques et techniques d'accomplir leurs missions : telle est la meilleure expression de notre reconnaissance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis plusieurs années, l'activité des forces de l'ordre s'accroît considérablement. Terrorisme, maintien de l'ordre, lutte contre l'immigration irrégulière, police du quotidien : tout peut donner lieu à de la violence.

Cette agitation permanente met nos forces sous pression, éreinte les personnels et complique leur vie familiale. On ne compte plus les heures supplémentaires ni les blessures subies pour assurer la sécurité des Français et faire appliquer les lois.

En outre-mer, les forces de l'ordre font face à une délinquance jeune et violente, ainsi qu'à l'intensification des trafics. Cette violence est parfois aggravée par des flux migratoires incontrôlés, comme à Mayotte. Nos forces de l'ordre travaillent dans des conditions particulièrement dangereuses : on l'a vu, tout récemment encore, en Guyane, avec la mort d'un gendarme d'élite engagé contre l'orpaillage illégal.

Nous exprimons notre reconnaissance à nos forces de l'ordre, qui font montre de professionnalisme et de sang-froid face à des individus radicalisés et désinhibés qui veulent casser ou brûler du flic - et s'en prennent aussi à des médecins, des pompiers, des enseignants ou des élus.

Notre maintien de l'ordre est certainement perfectible. Mais il faut aussi une réponse pénale plus ferme et plus rapide. Les OQTF doivent être exécutées et il faut lutter contre l'internationalisation des casseurs d'ultragauche, mais aussi d'ultradroite.

Une partie de la jeunesse est en perte de repères et gagnée par l'éco-anxiété. Des territoires périphériques se paupérisent : les gilets jaunes ont été l'expression de ce phénomène. Mais la violence n'est jamais la solution. Quelle image donnons-nous au monde ?

Nous devons nous attaquer à ces problèmes, pour que la violence cesse de se déchaîner contre nos forces de l'ordre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Patrick Chauvet applaudit également.)

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté .  - J'ai une pensée émue pour le gendarme Yannick Pierre et l'adjudant de réserve Patrick Hervé, décédés hier lors d'une opération de lutte contre la délinquance routière.

Je vous prie d'excuser Gérald Darmanin, qui tenait à être présent pour ce débat mais accompagne le Président de la République aux Pays-Bas.

Je remercie Bruno Retailleau et Hervé Marseille : leur proposition de résolution nous offre l'occasion d'exprimer à nos forces de l'ordre la gratitude de la Nation.

Permettez-moi de vous livrer un sentiment personnel. Comme Calédonienne, j'ai connu les affres d'une guerre civile fratricide. Je mesure donc le prix de la paix civile. Deux mille agents des forces de l'ordre sont venus en renfort pour permettre l'exercice serein du droit à l'autodétermination : je sais ce que nous leur devons.

Que ces femmes et ces hommes soient assurés de notre entier soutien et de notre pleine reconnaissance. De Paris à Nouméa en passant par Sainte-Soline, ils sont les garants de l'ordre républicain, le seul qui vaille.

L'article XII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit une force publique instituée pour l'avantage de tous. Les forces de l'ordre garantissent la liberté face à ceux qui veulent saper nos institutions, le droit de propriété face à ceux qui brûlent des voitures ou s'attaquent à l'outil de travail de nos agriculteurs et aux commerces des honnêtes travailleurs.

Les forces de l'ordre accomplissent cette mission en métropole comme dans les outre-mer : aux Antilles pour lutter contre le trafic de drogue, en Guyane contre l'orpaillage illégal. Je salue la mémoire d'Arnaud Blanc, gendarme du GIGN, tué le 25 mars dernier dans une opération contre des orpailleurs illégaux. Dans le Pacifique, en Polynésie, nos forces de l'ordre contribuent à défendre des écosystèmes riches mais fragiles.

Pourtant, elles sont la cible d'attaques inacceptables. Depuis le 19 janvier, nous assistons à une montée en puissance des violences dirigées contre elles - plus de 1 000 blessés ces dernières semaines. Plus grave, certains font preuve d'une bienveillance insidieuse envers les casseurs et s'efforcent de discréditer les forces de l'ordre, alors que c'est l'honneur de celles-ci de garantir la libre expression des opinions et des mécontentements.

Face à l'extrême violence de certains groupuscules, comme les Soulèvements de la Terre, notre discours ne doit être ni ambigu ni à géométrie variable. Le Gouvernement n'a pas tremblé : Gérald Darmanin a dissous ce mouvement. Nous serons fermes face à de telles organisations factieuses, d'ultragauche comme d'ultradroite. (M. Jérôme Durain s'exclame.)

Un travail important a été mené pour un renouveau de notre doctrine de maintien de l'ordre. Le déroulement des dernières manifestations montre l'efficacité de ce dispositif, malgré quelques dégradations.

Grâce à la Lopmi, 7 500 policiers supplémentaires compléteront les forces de l'ordre, 200 brigades seront créées ; les réserves seront portées à 50 000 policiers et 30 000 gendarmes. Les agents bénéficieront aussi de matériels renouvelés. En vue des jeux Olympiques et Paralympiques, onze unités de forces mobiles seront mobilisées, et sept autres seront rendues disponibles via la reprise de leurs missions par la police.

Nous devons garantir aux forces de l'ordre les moyens d'accomplir leurs missions au service de la sécurité et de la démocratie.

Cet engagement a pour corollaire l'exemplarité, car chaque fois qu'un policier dérape, ce qui peut arriver, c'est la confiance des citoyens dans la République qui est atteinte. Lorsque la proportionnalité dans l'usage de la force n'est pas respectée, il y a enquête et sanction. La formation des forces de l'ordre est précise et exigeante.

Ne tombons pas dans le piège tendu par certains en transformant des cas isolés en généralités. Il n'y a pas de violences policières dans notre pays : l'État détient le monopole de la violence légitime. Ne jetons pas l'opprobre sur les ouvriers de la sécurité que sont nos policiers et nos gendarmes.

J'ai une pensée particulière pour les familles et les proches des forces de l'ordre, qui portent aussi le poids de cet engagement.

Le vote de cette proposition de résolution exprimera la reconnaissance des Français pour les forces de l'ordre, qui veillent à leur sécurité. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

À la demande du groupe Les Républicains, l'ensemble de la proposition de résolution est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°272 :

Nombre de votants 250
Nombre de suffrages exprimés 250
Pour l'adoption 250
Contre     0

La proposition de résolution est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI et du RDSE)

La séance est suspendue quelques instants.

Avis sur des nominations

M. le président.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis défavorable (12 voix pour, 24 voix contre) à la nomination de M. Boris Ravignon à la présidence du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.

Par ailleurs, en application des mêmes dispositions, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable (21 voix pour, zéro contre) à la nomination de M. Lionel Collet à la présidence de la Haute Autorité de santé, et la commission des affaires étrangères un avis favorable (26 voix pour, zéro contre) à la nomination de M. Gilles Andréani à la présidence de la Commission du secret de la défense nationale.

Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024 et portant diverses autres dispositions.

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Plus que 471 jours nous séparent des JOP en France. Cette rencontre sportive hors norme doit être une belle fête, dont chacun puisse profiter en sécurité. Elle sera aussi l'occasion pour notre pays de montrer, outre sa valeur sportive, son savoir-faire organisationnel.

Nous devons prévoir les outils qui permettront de sécuriser et d'organiser les JOP dans de bonnes conditions, dans le respect des libertés. Le Sénat a multiplié les contrôles et les garde-fous : nous ne signons au Gouvernement ni un chèque en blanc ni un chèque en gris...

Je souligne la méthode employée, consistant à revenir à la force de la loi, à une époque où les textes sont trop souvent bavards.

Avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement, nous sommes parvenus à un compromis équilibré. Le pragmatisme et la responsabilité ont été notre boussole. Nous avons veillé à l'opérationnalité des outils, s'agissant notamment de la vidéoprotection intelligente, des tests génétiques pour la lutte antidopage ou du criblage.

Nous avons été particulièrement vigilants sur l'équilibre nécessaire entre ordre public et préservation des libertés. La protection des personnes a été au coeur de nos préoccupations : à cet égard, la déclaration d'intérêts des tiers choisis, l'information du public sur le traitement algorithmique et le renforcement du rôle de la Cnil ont été entérinés par l'Assemblée nationale.

Nous sommes parvenus à un accord sur les conditions de l'expérimentation en matière de cybersécurité. Par ailleurs, nous avons concédé un assouplissement du contrôle des sportifs entre 5 et 6 heures du matin. Les dispositions spécifiques à la Polynésie ont été maintenues - rappelons que les JOP ne seront pas qu'un fait métropolitain. La billetterie électronique est aussi un acquis dont le Sénat peut revendiquer la parenté.

En ce qui concerne l'autorisation préfectorale de dérogation au repos dominical, un assouplissement des modalités d'extension a été prévu.

Les mobilités n'ont pas été oubliées : l'accessibilité des taxis et des autres transports sera améliorée.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter ce texte, fruit d'un compromis parlementaire de bon sens.

Les JOP doivent être une fête du sport et de l'esprit olympique. Nous mettons en place les outils nécessaires : au Gouvernement d'en faire bon usage. Place aux jeux ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur de nombreuses travées du groupe UC) Je suis heureuse de revenir devant le Sénat au lendemain du vote par l'Assemblée nationale des conclusions de la CMP, dont le succès traduit un esprit de collaboration entre les deux assemblées.

Ensemble, nous sommes parvenus à trouver les bons équilibres sur des sujets souvent sensibles.

Nous avons veillé à intégrer les suggestions des parlementaires, s'agissant par exemple de la billetterie dématérialisée nominative et infalsifiable. Je pense aussi à l'amélioration de notre édifice antidopage grâce à l'échange d'informations, notamment entre Tracfin et l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD).

Ce texte satisfait les impératifs que nous avions établis. Il est centré sur l'essentiel, avec moins de trente articles, et respecte les droits et libertés de nos concitoyens. Il nous permet d'atteindre nos objectifs sans renoncer à nos principes.

Une polyclinique sera à la disposition des athlètes : notre offre de soins ne sera pas diminuée. La formation aux gestes qui sauvent bénéficiera d'une nouvelle dynamique.

La lutte contre le dopage répondra aux meilleurs standards internationaux.

Je souligne le renforcement du cadre juridique relatif au traitement algorithmique des images, qui fera l'objet de garanties de la part de la Cnil.

En matière de transport, 1 000 licences de taxi accessibles seront créées. L'accessibilité des sites sera améliorée, la mobilité durable promue. Je me réjouis également des animations festives prévues à proximité des sites de compétition.

Enfin, l'exigence de sobriété budgétaire, condition de l'acceptabilité sociale des JOP, est respectée.

Je salue l'esprit d'ouverture et le souci d'efficacité du Parlement. Quand il s'agit de faire réussir la France, il n'est point de clivages partisans insurmontables.

Sitôt cette loi adoptée, nous assurerons sa mise en oeuvre dans les meilleurs délais. Nous serons au rendez-vous des jeux et de la pratique sportive, déclarée grande cause nationale pour 2024. (Applaudissements sur les travées du RDPI, sur de nombreuses travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

M. le président.  - Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat statuera par un seul vote sur l'ensemble du texte.

M. Pierre Laurent .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Nous examinons une dernière fois cette loi improprement appelée olympique, qui n'est qu'un texte sécuritaire, où il n'est question ni de sport ni de transmission des valeurs olympiques. Nous sommes aux antipodes de l'esprit de liberté qui aurait dû animer nos travaux.

Ce texte instaure des mesures portant atteinte aux libertés qui s'inscriront dans la durée, alors que rien n'est prévu en matière d'héritage sportif.

L'article 1er bis prévoyait une campagne de prévention contre les violences sexuelles et sexistes, mais il a été supprimé en CMP. Il en avait été de même au moment de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur. Dommage de laisser le respect aux marges d'un tel texte.

Le recours à 30 000 agents de sécurité confirme la confusion entre sécurité publique et sécurité privée. Les JOP seront le terrain d'expérimentation de techniques de maintien de l'ordre qui nous inquiètent.

Le recours à la vidéosurveillance algorithmique portera atteinte à la liberté d'aller et venir. La protection des données et de la vie privée est en danger.

En matière de contrôle antidopage, l'examen des caractéristiques ou l'identification d'une personne par contrôle génétique déroge aux principes encadrant les analyses génétiques dans le code civil.

Nous saluons toutefois les suppressions de l'article 8 bis et de l'article 2 bis. Mais ces satisfactions minimes ne dissipent pas nos craintes.

Ce texte est le véhicule de mesures sécuritaires, qui perdureront après les JOP. Le juste équilibre entre sécurité et respect des libertés et droits fondamentaux n'est pas assuré. Voilà qui ne fait pas honneur à l'esprit fraternel de l'olympisme.

Madame la ministre, j'espère que nous nous reverrons bientôt - pour parler de sport, cette fois.

M. Claude Kern .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je me réjouis qu'un accord ait été trouvé sur la préparation des JOP de 2024, au terme d'une navette qui a permis d'aller plus loin que le texte initial.

Nous nous félicitons du régime pérenne instauré en matière de tests génétiques. Des garanties ont été apportées sur leurs conditions de réalisation.

Autre motif de satisfaction : le maintien d'une billetterie dématérialisée, nominative et infalsifiable, qui préviendra la répétition des événements du Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions. Le dispositif adopté s'appliquera aux JOP, mais aussi à la saison 2024-2025 de certains championnats ; il tient compte des spécificités des compétitions.

Enfin, l'article 14 A prévoit la remise d'un rapport de la Cour des comptes au Parlement sur le bilan des JOP. Il s'agira notamment de faire toute la lumière sur les dépenses cachées engagées par l'État et les collectivités territoriales.

Le Gouvernement a eu du mal à reconnaître les erreurs commises lors de la finale de la Ligue des champions. Nous nous inquiétons du recours important à la sécurité privée. Comme l'a révélé Le Monde le 30 mars dernier, les états-majors préparent un plan de mobilisation de leurs forces, en cas de besoin.

La mission d'information sur les JOP poursuivra ses travaux dans les semaines à venir pour lever les interrogations qui demeurent sur l'organisation de cet événement.

Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Franck Menonville et Olivier Henno applaudissent également.) J'ai déjà dit à cette tribune mon attachement à tous les types de sport : haut niveau, amateur, scolaire et universitaire. Les JOP portent en eux l'ambition universaliste d'une pratique accessible à tous. Au-delà du sport business et des sportifs médiatisés, comme Mbappé et Griezmann, nous célébrerons, l'espace de quelques jours, des champions anonymes de pentathlon moderne, de gymnastique rythmique ou de cyclisme sur piste.

Après la loi du 26 mars 2018, ce texte achève nos travaux préparatoires à l'organisation des JOP.

L'article 11 étend l'usage des scanners corporels au contrôle de l'accès aux enceintes. Je me félicite que la CMP ait préservé des apports de Maryse Carrère portant sur l'information préalable aux personnes et le recours à d'autres techniques.

Toutefois, notre groupe a encore quelques inquiétudes : je pense à l'application de l'article 7. Pour reprendre les mots de Jean-Claude Requier, la peur d'une société sous surveillance automatisée à la mode orwellienne est souvent agitée de manière excessive, mais l'épouvantail est parfois justifié. C'est le cas ici.

Ainsi, ces nouveaux moyens algorithmiques n'ont rien d'anodin. Si la ligne rouge de la reconnaissance faciale n'est pas franchie, nous devons rester vigilants sur ses évolutions. Notre groupe est fondamentalement attaché à la défense des libertés. Les comportements n'ont pas vocation à devenir de la data, surtout dans un monde où le piratage des réseaux est fréquent. Certes, il s'agit pour l'instant d'une expérimentation, mais cela préfigure une normalisation.

Nous regrettons la suppression de l'article 11 bis. Nous espérons néanmoins avoir été entendus sur la réaffectation des maîtres-nageurs sauveteurs dans leur métier d'origine après les JOP.

Le RDSE votera ce texte en espérant que ces Jeux seront une réussite sportive et participeront à la concorde universelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP ; M. Yves Bouloux applaudit également.)

M. Michel Savin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Voici le dernier tour de piste de ce projet de loi. Nous nous réjouissons que les deux chambres aient pu trouver un accord en CMP.

Une partie de l'hémicycle a beaucoup reproché à ce texte d'être consacré uniquement à la sécurité. Nous considérons, pour notre part, qu'il faut tenir compte du risque d'attentat et tirer les leçons du fiasco du Stade de France. La panique et le chaos qui ont précédé le match restent une honte pour notre pays. Il est inimaginable de les reproduire lors d'un événement - les Jeux d'été - que la France attend depuis cent ans.

Notre pays doit être préparé à organiser cette manifestation exceptionnelle, en accompagnant les sportifs et en assurant un accueil digne pour tous les publics.

La lutte contre le dopage sera renforcée, tout comme l'offre de soins pour les athlètes.

Nos débats sur l'accueil du public ont été plus sportifs (Sourires), notamment sur la vidéoprotection, à l'article 7. Le Parlement la renforce tout en offrant des garanties contre les abus : aucun système d'identification biométrique n'est autorisé ; le public sera informé au préalable ; les préfets connaîtront les conditions de traitement et pourront mettre fin à l'autorisation à tout moment.

Le Sénat a par ailleurs renforcé les peines encourues pour intrusion dans les enceintes sportives en cas de récidive.

Toutefois, des inquiétudes persistent, notamment sur la capacité des sociétés de sécurité à recruter et à former les 22 000 agents nécessaires chaque jour à la sécurité des sites. L'armée pourrait être appelée à la rescousse : 10 000 militaires viendraient en renfort. Du personnel pourrait aussi être recruté dans des pays francophones.

Ces incertitudes pourraient se traduire en défaillances si des solutions ne sont pas apportées.

Lors de la première lecture au Sénat, je vous alertais sur les angles morts des volontaires des JOP : contrôle des candidats et hébergement. Déjà, nous voyons des appels au sabotage relevant de l'écologie politique ou de la gauche anticapitaliste se multiplier sur les réseaux sociaux. Des militants tentent de s'infiltrer en tant que bénévoles pour déserter ou dégrader les biens. Il ne faut pas gâcher ce moment très attendu. Le Sénat se montrera vigilant.

Les Français comptent sur vous, madame la ministre, pour que les JOP ne montent pas sur le podium des évènements ratés. Prendre à bras-le-corps tous ces aspects est la seule condition pour que les Jeux soient une réussite. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Franck Menonville .  - Nous nous réjouissons de l'accord trouvé en CMP. Ce texte nous tient à coeur : les jeux Olympiques et Paralympiques sont un événement historique. Près de 40 000 bénévoles, plus de 4 millions de spectateurs, 4 000 athlètes paralympiques et 10 500 athlètes olympiques : les chiffres donnent le vertige.

Ce projet de loi a été enrichi par les deux chambres. Il complète utilement la loi du 26 mars 2018 relative aux Jeux en prévoyant des dispositions relatives à la lutte contre le dopage, à la sécurité, à l'organisation des épreuves outre-mer, aux questions sanitaires.

De nombreux apports du Sénat ont été conservés par la CMP : nous admirerons pour la première fois les athlètes paralympiques s'affronter dans des lieux emblématiques de France, tels que le Champ-de-Mars et le château de Versailles.

Cet événement suppose un haut niveau de protection, ce qui constitue un défi pour les forces de l'ordre. Tous les acteurs de la sécurité seront mobilisés, y compris privés.

Les forces de l'ordre pourront compter sur les technologies les plus abouties - traitement algorithmique de la vidéoprotection notamment. Nous considérons que le texte garantit à la fois une sécurité renforcée et la préservation des libertés.

Nous sommes fiers de cet événement, qui doit constituer un moment d'unité nationale dont notre pays a bien besoin. Les collectivités territoriales doivent être associées à cet événement : mon département, la Meuse, accueillera la flamme olympique, et Verdun, Bar-le-Duc et Commercy ont reçu le label Terre de Jeux 2024.

Madame la ministre, je salue votre action pour réformer certaines fédérations sportives : l'éthique du sport doit s'appliquer à tous les niveaux.

Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements nourris sur les travées du GEST) Les semaines et les mois passent et l'envolée sécuritaire du Gouvernement ne retombe pas : c'est déjà en ces termes que j'avais décrit ce texte. Le constat demeure.

L'objectif réel de ce projet de loi n'est pas tant d'adapter certaines règles pour un déroulement serein des JO que de poursuivre la dérive vers une société de surveillance. Lutte contre le dopage ? Réécriture du code de l'urbanisme ? Non : trop peu a été fait pour soutenir les fédérations et le sport amateur, ou pour développer la pratique du sport pour tous dans les territoires, ou encore pour maintenir les autres activités durant les JOP.

Quel étrange texte qui compte 80 % de mesures pérennes, alors que celles-ci auraient dû être prévues pour la seule durée des JOP ! Nous sommes bien loin de l'esprit de l'olympisme : les atteintes aux personnes se multiplient. Le recours massif à la vidéosurveillance pose de nombreuses questions : quid du contrôle des algorithmes, de la mise à disposition à des acteurs non étatiques, de la pérennisation de ces mesures ? La Cnil, très prudente, estime que ces technologies sont susceptibles d'affecter les garanties fondamentales d'exercice des libertés publiques.

Alors que le ministre de l'intérieur s'attaque à la Ligue des droits de l'Homme et que le porte-parole du Gouvernement affirme qu'il peut y avoir des arrestations pour contrôler, il faut être vigilant, car c'est bien une vision sécuritaire technologique qui se dévoile.

Sur le terrain, la formation et le recrutement des agents de sécurité patinent. La Cour des comptes estime qu'entre 22 000 et 33 000 agents privés seront nécessaires chaque jour. Le spectre du fiasco du Stade de France plane. Là où le rapport de l'UEFA préconisait de revoir la doctrine du maintien de l'ordre, le Gouvernement s'enferme dans le déni.

Les modifications apportées sur le recrutement dérogatoire des étrangers montrent le manque d'anticipation de l'exécutif. Au-delà de ces mesures disproportionnées, rien ne démontre que l'explosion des coûts sera contenue. On ne se préoccupe pas du triste héritage financier que les Jeux pourraient laisser. La Cour des comptes alerte sur un budget qui n'est toujours pas connu.

Notre groupe votera contre ce projet de loi dangereux pour les libertés individuelles. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Françoise Gatel exprime sa déception.)

M. Dominique Théophile .  - (MM. Claude Kern et Jean-Marie Mizzon applaudissent.) Nous arrivons au terme de l'examen d'un projet de loi central pour les JOP. Son ambition est simple : faire de ces jeux un succès populaire en relevant le défi de l'organisation et en assurant la sécurité, y compris sanitaire, de tous.

Le texte issu de la CMP est équilibré, préservant les apports principaux des deux assemblées. Nos travaux ont été guidés par un esprit de responsabilité, malgré les caricatures.

L'article 7 relatif à la vidéosurveillance en est l'exemple le plus frappant. Mais le dispositif adopté est de nature à rassurer : il revêt un caractère expérimental et les garde-fous sont nombreux. La reconnaissance faciale n'a pas été retenue, comme nous nous y étions engagés. Nous nous réjouissons que la CMP ait préservé les apports du Sénat, particulièrement sur les garanties entourant la phase de développement des traitements algorithmiques. Saluons l'initiative de l'Assemblée, qui s'est assurée de l'intervention de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) durant le développement des systèmes. En outre, les données d'apprentissage ne pourront être utilisées que pendant douze mois.

Quant au maintien de l'ordre, plutôt qu'une délictualisation, nous saluons la sanction des primo-délinquants par une amende de cinquième classe.

Les députés ont introduit des dispositions nouvelles, telles que la possibilité pour les vétérinaires d'exercer la médecine dans le cadre des épreuves équestres.

L'embauche d'étudiants étrangers comme agents de sécurité va dans le bon sens, tout comme l'encadrement du régime des interdictions administratives de stade. Je me réjouis, en outre, que les dispositions relatives à l'outre-mer soient inscrites dans la loi. Notre groupe salue le rétablissement de l'homologation des peines de prison par les deux lois du pays de 2015, sans quoi un vide juridique demeurait autour du dopage en vue des épreuves de surf en Polynésie.

Notre groupe votera ce texte avec enthousiasme. Emboîtons le pas à l'Assemblée nationale, qui l'a adopté hier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous sommes à 471 jours du début des JOP. Le projet de loi de mars 2018 avait été adopté à l'unanimité. Ce texte aura été moins consensuel. Nous avons fait de notre mieux pour apporter notre pierre à l'édifice.

Tous, nous souhaitons la réussite de ces Jeux, chance rare pour la jeunesse française d'accueillir le monde.

Nombre de mesures de ce texte sont utiles, comme celles qui concernent le centre de santé du village olympique, la formation aux premiers secours, la lutte contre le dopage et la mise en conformité de la vidéoprotection avec le droit européen.

L'article 7 relatif à la vidéosurveillance algorithmique et la tonalité sécuritaire du texte nous ont toutefois refroidis.

La CMP, au sein de laquelle les échanges ont été francs - je salue le travail d'Agnès Canayer - a permis plusieurs avancées : suppression de l'article 8 bis, sur l'accès au centre de commandement opérationnel de la préfecture de police ; suppression de l'article 12 bis, qui aggravait des sanctions pénales applicables aux auteurs de violences dans une enceinte sportive ; limitation du recours aux caméras augmentées.

Nous regrettons toutefois la suppression de l'article 1er bis relatif à la campagne contre les violences sexuelles et sexistes.

Par ailleurs, l'augmentation de la durée de conservation des images aurait dû être alignée sur le droit commun. J'espère que les spectateurs de la Coupe du monde rugby seront prévenus que leurs images serviront à l'apprentissage de l'intelligence artificielle des JOP. Nous verrons ce que dira le Conseil constitutionnel.

Quant à la suppression de la référence au « SecNumCloud », elle est justifiée par le fait qu'aucune entreprise française ne bénéficie de ce label, mais l'article 7 ne portait que sur le droit extraterritorial. Il faudra y revenir.

Certains sujets n'ont pas pu être abordés : privatisation du réseau de bus, travail le dimanche, affectation de renforts humains à la sécurité.

Notre approche était constructive mais la discussion en commission, puis en séance, n'a pas levé tous les doutes. Tout à l'heure, lors de nos débats, l'intelligence artificielle était accusée de nombreux maux. Or elle est appliquée à la vidéosurveillance et cela semble anodin.

Notre groupe s'abstiendra sur ce texte, en raison du maintien de l'article 7, que nous jugeons inopportun. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. le président.  - Conformément à l'article 42, alinéa 12 du Règlement, le vote porte sur l'ensemble du texte.

À la demande du groupe RDPI, l'ensemble du texte est mis aux voix par scrutin public.

Voici le résultat du scrutin n°273 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 279
Pour l'adoption 252
Contre   27

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Claude Kern applaudit également.)

La séance est suspendue à 20 heures.

Présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Marie-Pierre Richer.  - Au scrutin n°270, Mme Schalck souhaitait s'abstenir.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Pollution lumineuse

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la pollution lumineuse, à la demande de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

Mme Annick Jacquemet, au nom de l'Opecst .  - Le 26 janvier dernier, l'Opecst a adopté sa note scientifique sur la pollution lumineuse. Ce phénomène massif et en extension contribue, comme d'autres pressions anthropiques, au déclin de la biodiversité, et pose un problème de santé publique.

Seule une mobilisation des pouvoirs publics et des acteurs privés permettra de lutter contre ce phénomène. La réglementation française est ambitieuse, avec une temporalité encadrée et limitée des éclairages intérieurs de locaux à usage professionnel, des parcs et des jardins, des chantiers extérieurs, des parkings desservant une activité économique, du patrimoine, des vitrines de magasins ou encore des publicités et enseignes lumineuses. L'éclairage du ciel est interdit, l'éblouissement latéral est limité et les éclairages de couleurs réduits.

Toutefois, tous les arrêtés, dont celui fixant la luminance maximale des enseignes et de publicités lumineuses, ne sont toujours pas pris. Quand cet arrêté le sera-t-il, et dans quelle version, madame la ministre ?

En outre, la réglementation actuelle - le décret du 27 décembre 2018 - est incomplète, puisque les événements extérieurs et les équipements sportifs échappent à toute prescription de temporalité.

Autre lacune : les dispositions relatives à l'éclairage vers le ciel ne concernent que la voirie et le stationnement, et non l'éclairage privé. Les fabricants d'ampoules et les enseignes de bricolage devraient conseiller le consommateur dans le sens de la sobriété lumineuse, et pas seulement énergétique. La faible consommation des LED peut, en effet, encourager à augmenter la luminosité, alors que la forte proportion de bleu de leur lumière nuit à la biodiversité.

En outre, bien des dispositions sont, de fait, inappliquées, faute de sanctions, notamment la réglementation sur l'extinction nocturne des commerces, qui date pourtant de 2013 mais est peu connue et d'application fastidieuse, les maires devant mobiliser leurs services entre 1 heure et 7 heures du matin.

Il faudrait les sensibiliser et prévoir des outils de communication - guides, courriers types - tout en mettant en avant les bénéfices réputationnels pour les commerces. Simplifions la tâche des maires, qui croulent déjà sous le travail.

Il convient aussi de rappeler les sanctions qu'encourent les commerçants, et de les sensibiliser à des moments clés comme l'ouverture de nouveaux magasins ou les demandes d'aides, tout en sensibilisant les associations de commerçants et le syndicat de l'éclairage. Il s'agit d'éteindre les vitrines, mais aussi tous les points lumineux des magasins, y compris les enseignes internes aux vitrines, de plus en plus fréquentes.

Bien des collectivités manquent des outils juridiques nécessaires. Ainsi, un nombre croissant de communes éteignent l'éclairage des voiries la nuit, mais la responsabilité des maires peut être engagée en cas d'accident. Que proposez-vous pour les protéger ?

De même, certaines communes créent des trames noires, à l'instar des trames vertes ou bleues. Mais le cadre juridique reste précaire, en l'absence d'une mention de ces trames dans le code de l'environnement. Comment les rendre opposables dans les documents d'urbanisme ?

La rénovation des éclairages ne diminue la pollution lumineuse que si elle s'accompagne d'une réflexion avec les usagers sur leur réelle utilité. Changeons de paradigme en passant d'un éclairage systématique à une adaptation fine de l'éclairage.

Il faut aussi combattre les sources lumineuses phototoxiques, dangereuses pour la santé. Ainsi, seules les lampes sans risque - niveau zéro - ou à risque faible - niveau 1 - sont autorisées, sauf pour les lampes torches et les phares de voitures. Mais les normes internationales datent de 2013 et ne prennent pas en compte la sensibilisation spécifique des enfants et jeunes adultes.

Le quatrième plan national santé-environnement (PNSE) mentionne l'interdiction des LED d'un risque supérieur à 1 pour les lampes frontales et la demande de la France de leur interdiction pour les phares. Où en est le Gouvernement ?

Enfin, les cycles circadiens souffrent de l'exposition à la lumière bleue. Toute la population, notamment les enfants et les adolescents, doit être sensibilisée à cette question. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, SER et du GEST)

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Cinquante pour cent : c'est l'augmentation du nombre de points lumineux en France en trente ans. Or la pollution lumineuse nuit à la biodiversité, à la santé publique, elle consomme de l'énergie et prive beaucoup de nos concitoyens de la vision d'un ciel étoilé.

Je remercie Mme la rapporteure et l'Opecst pour ce travail étayé, qui suit le travail réalisé en 2021 sur le déclin des insectes. Un tiers des vertébrés et deux tiers des invertébrés sont nocturnes. Pour les espèces diurnes telles que l'être humain, le repos de nuit est essentiel.

Le développement urbain entraîne le recours à l'éclairage artificiel, et à la pollution lumineuse associée, ce qui perturbe le développement des espèces, fragmentant parfois leur habitat. Une route éclairée peut ainsi constituer une barrière infranchissable pour des amphibiens en migration, et les points lumineux attirent au contraire les papillons de nuit qui tournent autour jusqu'à épuisement.

Cette pollution, source de gaspillage d'énergie et d'argent, a un impact trop négatif sur la biodiversité. Bien sûr, l'éclairage est nécessaire, mais nous pouvons concilier biodiversité et cadre de vie. Il s'agit non de décroître, mais d'éviter tout surplus inutile. Certains élus précurseurs ont réduit l'éclairage, le plus souvent pour des raisons financières, mais nos concitoyens les approuvent pour des raisons environnementales.

J'ai étudié les préconisations de votre note et je souhaite que nous avancions ensemble.

En octobre dernier, nous avons instauré une obligation d'extinction nocturne de la publicité sur tout le territoire - elle ne concernait auparavant que les grandes agglomérations. Je confirme qu'elle n'est pas suffisamment appliquée, car la sanction doit passer par un juge, ce qui la rend inopérante. Je propose donc la forfaitisation de l'amende.

Quant à l'éclairage des bâtiments non résidentiels, il est actuellement interdit de 1 heure à 7 heures. Je propose d'étendre cette interdiction à une heure après la fin d'activité, jusqu'à une heure avant la reprise.

Seul 15 % de notre territoire est indemne de pollution lumineuse. Il faut généraliser les trames noires dans les espaces protégés : la prochaine stratégie nationale de la biodiversité les intégrera.

Les opérateurs de transport ont un rôle à jouer : ainsi, une charte, signée le 27 mars dernier, régule l'éclairage dans divers lieux comme les gares, aéroports et métros, où les panneaux lumineux seraient éteints dès la fermeture d'ici le 1er janvier 2024. La RATP, la SNCF et ADP se sont engagés à réduire leur consommation, respectivement de 30 % en 2026, de 45 % en 2031 et de 50 % en 2030. Voilà qui est concret, réaliste et efficace.

Réduire notre consommation et protéger la biodiversité suppose un travail collectif avec vous, parlementaires, et les collectivités, car chacun est concerné à son niveau.

Mme Annick Billon .  - Le nombre de panneaux rétroéclairés par des néons augmente : ils sont 1 700 à Paris, par exemple. Ils ne sont pas moins polluants que les panneaux LED. Colmar, Rouen, Nice et Paris interdisent de plus en plus les écrans numériques sur le domaine privé, pour éviter une pollution visuelle et environnementale ; mais en parallèle, la mairie de Paris installe 180 panneaux numériques au titre de la sobriété énergétique...

Le Syndicat national de la publicité numérique (SNPN) déposera prochainement une plainte auprès de la Commission européenne pour entrave à la liberté du commerce et de l'industrie, en raison d'une non-application du principe de proportionnalité consacré par la jurisprudence européenne. Quelle est la position du Gouvernement ? Entend-il imposer le respect du principe de proportionnalité, comme cela se fait chez la plupart de nos voisins ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Le règlement national admet la publicité, selon plusieurs critères comme l'emplacement, la densité, la surface et la hauteur. Le règlement local de publicité peut définir des zones à la réglementation plus restrictive. Il s'agit de trouver un équilibre entre la préservation du paysage et le développement économique.

La proportionnalité est donc au coeur de cette recherche d'équilibre, sans qu'il soit besoin de l'ériger en principe. En outre, les services de l'État, dans le cadre du contrôle de légalité, et les juridictions administratives vérifient déjà l'équilibre entre ces intérêts.

Mme Annick Billon.  - En 2021, le réseau de transport d'électricité (RTE) estimait que, sur une année normale, la réduction de la publicité lumineuse ne réduirait la consommation énergétique française que de 0,1 %. Il convient donc d'être pragmatique, ce dont je vous remercie.

Mme Guylène Pantel .  - Je remercie l'Opecst pour cet important débat. Je suis sénatrice et conseillère départementale de la Lozère, territoire précurseur : ainsi, le 13 août 2018, le parc national des Cévennes a reçu le label de réserve internationale de ciel étoilé, la plus vaste d'Europe. J'y vis : j'atteste du bien être que cela procure, sans oublier les effets sur la faune, la flore et le budget des communes.

Les établissements publics, les syndicats d'électricité et les collectivités en gestion directe ont tous joué leur rôle. Toutefois, l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif à la limitation des nuisances lumineuses prévoit des échéances jusqu'à 2025. Des communes se sont engagées très tôt contre la pollution lumineuse. Prévoyez-vous des bonus incitatifs pour accompagner ces précurseurs ? Quel accompagnement prévoyez-vous pour les communes hors parcs naturels ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Le parc naturel des Cévennes est, en effet, un très bel exemple. Oui, il faut inciter financièrement les collectivités, pour aller vers une généralisation, et il faut récompenser les efforts.

Un double bonus existe déjà : l'économie d'énergie est aussi une économie financière, tout d'abord. Ensuite, les subventions du fonds vert financent jusqu'à 40 % d'un projet, déclenchant des investissements qui n'auraient pas eu lieu sans cela. Cela renforce le cercle vertueux d'économies. Je présenterai plus en détail un bilan du fonds vert dans la suite de la discussion.

M. Jean-Claude Anglars .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La pollution lumineuse augmente depuis cinquante ans. Mais la hausse du prix de l'énergie a accéléré la prise de conscience : en quelques mois, des milliers de communes ont supprimé l'éclairage public la nuit. La pollution lumineuse reste toutefois, avant tout, urbaine. Une approche différenciée saisirait mieux les réalités locales.

En outre, il y a là un enjeu juridique pour les collectivités : les maires peuvent voir leur responsabilité mise en cause en cas d'accident ou de violences en un endroit mal éclairé. Il faut donc un cadre législatif et réglementaire clair : la pratique doit faire évoluer le droit. Le Gouvernement compte-t-il légiférer sur ce sujet ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - En effet, le maire est chargé de la sûreté et de la commodité du passage dans la rue, mais il n'existe aucune obligation d'éclairage de l'ensemble des voies. S'il s'agit d'un service public obligatoire, il ne crée aucun droit à l'éclairage pour l'usager. En revanche, lorsqu'il a connaissance d'un danger, le maire doit le signaler aux usagers.

Pour ce faire, l'éclairage continu n'est pas la seule solution : des panneaux réfléchissants ou clignotants, ou encore un éclairage programmé, peuvent s'y substituer.

La luminosité ne fait pas tout : il y a plus de cambriolages et d'accidents en plein jour que la nuit. L'A15, qui n'est plus éclairée depuis 2010, n'a pas connu de hausse marquée des accidents, alors que sa fréquentation a augmenté. Nous veillerons à ce que les maires n'aient pas de difficultés.

M. Franck Menonville .  - Les astronomes ne sont pas les seuls à subir la gêne de la lumière forte. Les méfaits de la pollution lumineuse touchent non seulement la faune et la flore, mais aussi nos concitoyens.

Cela dit, l'éclairage apporte aussi la sécurité et le confort. Les rues bien éclairées sont plus sûres.

En outre, il faut réduire la consommation d'énergie, surtout pour nos collectivités. Il y a des mesures de bon sens, comme l'extinction des vitrines commerçantes quand personne ne circule.

La technologie aussi offre des solutions. À Bordeaux, un éclairage intelligent autonome a été expérimenté. À Rambouillet, on teste l'éclairage bioluminescent. Dans les deux cas, ce sont des sociétés françaises qui apportent ces solutions innovantes.

En matière d'éclairage public, la France doit rester souveraine. Le Gouvernement soutient-il ces initiatives qui réduisent notre dépendance aux technologies étrangères ? Avec quels leviers ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Les LED sont les technologies d'avenir. Les entreprises françaises ont intérêt à se positionner sur les technologies intelligentes, notamment la reconnaissance d'objets au passage. Il faut passer du radar à l'acquisition d'images, pour identifier les objets ou corps qui passent et leur vitesse.

Ces nouvelles technologies diviseraient la facture par six, contre trois pour les LED. L'expertise de nos entreprises pour la conception d'un parc luminaire clé en main est reconnue à l'international. Le retrofit, qui consiste à passer de l'éclairage classique aux LED sans modifier le design des réverbères, suscite lui aussi une forte demande.

Les industriels français disposent d'un savoir-faire et d'une capacité à innover, notamment en matière d'éclairage solaire où ils sont leaders mondiaux : je les encourage à aller dans cette voie.

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Joël Bigot applaudit également.) Contrairement à l'artificialisation, qui touche 3 % des sols, la pollution lumineuse, qui touche pourtant 23 % de la surface terrestre et 85 % du territoire français, reste négligée.

Une chanson enfantine dit bien que « la nuit, c'est pas comme le jour, c'est pas vrai, tout est différent ». On réapprend l'obscurité, on tâtonne... La nuit permet de s'extraire d'une vision anthropocentrée.

La pollution lumineuse est responsable de la disparition de milliers de milliards d'insectes. Depuis le Grenelle, on lutte contre le phénomène, mais où sont les résultats ? Les LED réduisent la consommation énergétique, mais aggravent les atteintes à la biodiversité. L'arrêté sur le seuil de luminance des publicités n'a toujours pas été publié, le contrôle et les sanctions restent trop rares.

En matière de biodiversité, le cadre législatif et réglementaire est trop léger : entendez-vous affermir la trame noire en l'intégrant dans le code de l'environnement ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Vous avez raison : la pollution lumineuse n'est pas anecdotique.

La publication des décrets a pris du retard, et le chemin est encore long. C'est pourquoi il était important de mettre ce sujet en débat.

L'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pointe le besoin de limiter l'utilisation des groupes de risque 2 et 3, c'est-à-dire les LED à forte teneur en couleur bleue. L'obtention de certificats d'économie d'énergie (CEE) impose des LED de groupe 0 et 1, désormais privilégiés par les industriels.

La révision du décret du 27 décembre 2018 permettra de mettre cette exigence en oeuvre pour l'éclairage public.

Je vous rejoins sur les trames noires, qu'il faut développer en parallèle de la prochaine stratégie nationale biodiversité (SNB). La commission du développement durable de l'Assemblée nationale proposait récemment que la puissance publique restreigne ou éteigne les éclairages en coeur de nuit, pour protéger la faune nocturne. La création de trames noires dans les espaces protégés serait également une avancée.

Ces mesures sont d'ordre réglementaire : nous pouvons avancer rapidement.

Mme Nadège Havet .  - Plus de trois humains sur dix ne peuvent voir la Voie lactée - 6 sur 10 en Europe et 8 sur 10 aux États-Unis. En France, le nombre de points lumineux a augmenté de 50 % en 30 ans, avec des conséquences sur la faune et la flore : les oiseaux migrateurs et les chauves-souris sont les espèces les plus touchées.

L'arrêté de 2018 encadre les installations d'éclairage public et privé pour réduire l'impact sur la biodiversité. La COP15 de Montréal a abouti à un accord sur la réduction de la pollution, notamment lumineuse, à la source.

Il conviendrait d'intégrer les trames noires, qui constituent une véritable respiration pour les écosystèmes, à la SNB 2030.

Madame la ministre, quelle évaluation faites-vous de l'application de l'arrêté de 2018 ? En matière de pollution lumineuse, quelles actions de la SNB sont déjà mises en oeuvre ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - L'arrêté du 27 décembre 2018 fixe des obligations temporelles et techniques. Il revient au maire d'assurer les contrôles - les installations communales relèvent de l'État. Mais ce contrôle est insuffisant. Je plaide pour une amende forfaitaire, qui évite le passage par le juge ou le parquet.

Nous voulons également cibler les contrôles dans les zones les plus sensibles en matière de biodiversité. Le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) travaille à une méthodologie plus simple pour la partie technique : vérification de la température, de la couleur, de l'intensité lumineuse.

Le second volet de la SNB prendra en compte l'ensemble de ces progrès.

M. Joël Bigot .  - Un tiers de l'humanité ne peut plus distinguer la Voie lactée. Les animaux diurnes et nocturnes voient leurs sites de prédation perturbés. Le suréclairage est, après les pesticides, la deuxième cause de mortalité des insectes. Le rythme circadien humain est également déstabilisé.

Les progrès dans la performance de l'éclairage conduisent à un effet rebond, qui se traduit par l'élargissement des zones éclairées à hauteur de 2 % par an.

Les LED sont donc pourfendues par les associations, qui essaient de faire respecter l'arrêté de 2018 - France nature environnement et la Ligue de protection des oiseaux sont très actives dans le Maine-et-Loire contre l'éclairage illégal.

Les communes d'Anjou sont volontaires : à Saumur, depuis huit ans, les lampadaires sont dotés de cellules de détection, permettant des économies de 90 000 euros par an.

Madame la ministre, comment comptez-vous accompagner ces politiques locales et concrètes ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Je partage votre constat. Nous venons d'aboutir à un accord mondial dans le cadre de la COP15, qui sera repris dans la SNB.

Dans le cadre de cette dernière, nous prévoyons notamment d'améliorer la connaissance de l'impact de la pollution lumineuse sur la biodiversité, d'éviter l'impact des équipements lumineux en améliorant le conseil au client, de développer les trames noires, de mieux cibler les contrôles sur les espaces les plus sensibles.

Saumur a eu une action pionnière en matière d'éclairage public. Le fonds vert accompagne les collectivités territoriales dans ces initiatives. Il faut poursuivre dans cette direction, et Christophe Béchu et moi-même avons bon espoir de pérenniser le fonds vert.

M. Jean-François Longeot .  - La pollution est multifacettes : déchets, carbone, transports, mais aussi lumière. Nous ouvrons à peine les yeux sur ce problème, si j'ose dire ; c'est pourquoi la note de l'Opecst est si précieuse. Je salue le travail d'Annick Jacquemet, car c'est la première fois que le Parlement s'intéresse au sujet.

Pour aller de l'éclairage systématique à l'adaptation fine, nous disposons de plusieurs outils, notamment le fonds vert, guichet unique ouvert en janvier pour les collectivités territoriales. Doté de 2 milliards d'euros, il subventionne à hauteur de 40 % les projets de transition écologique des collectivités. Les premiers lauréats ont été désignés la semaine dernière, et l'enveloppe a déjà été atteinte. Beaucoup de projets portent sur l'éclairage public. En quoi consistent-ils ? Quel est leur nombre total, et quel sera leur impact sur la pollution lumineuse ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Le fonds vert a été présenté le 27 août dernier par la Première ministre. Piloté par les préfets, c'est un guichet unique pour aider les collectivités territoriales.

Le succès est réel : environ 7 000 dossiers ont été déposés, et l'enveloppe de 2 milliards d'euros a bien été atteinte, mais non encore dépensée  - les dossiers sont en cours d'étude. Vous pouvez encore inciter les collectivités à candidater.

La rénovation énergétique et l'éclairage public sont au coeur des projets des collectivités territoriales, ce qui est une bonne nouvelle. Le fonds vert permet de financer des diagnostics territoriaux, des stratégies d'extinction en coeur de nuit, des trames noires ou des études d'ingénierie. C'est un vrai levier pour accompagner les collectivités territoriales dans la dépollution lumineuse.

Environ 2 000 dossiers, soit 28 % des projets déposés, concernent l'éclairage public. L'objectif de 10 % de rénovation du parc sera atteint. En revanche, l'enveloppe de 150 millions du fonds vert consacrée à la biodiversité n'est pas épuisée. Je vous encourage à mobiliser les collectivités territoriales sur ce sujet.

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Effondrement de la biodiversité, halo lumineux, altération du sommeil, augmentation des risques cardiovasculaires et de cancer : on ne compte plus les effets nocifs de la pollution lumineuse sur la santé des humains, des animaux, de la faune et de la flore.

L'éclairage artificiel correspond à 41 % de la consommation d'électricité des communes, pour 670 000 tonnes de CO2 émises par an.

La réglementation française, ambitieuse, désigne le maire comme autorité de contrôle de la sobriété de l'éclairage nocturne. L'action à l'échelle communale est importante. Les élus de la Mayenne sont particulièrement mobilisés : la commune de La Bazouge-des-Alleux a reçu le label « Village étoilé » et installe des réverbères équipés d'un détecteur de mouvements.

À Montjean, c'est la rénovation de l'éclairage public qui est engagée : tous les luminaires auront été remplacés à l'horizon 2026, y compris le mât et le câble pour les plus anciens.

Les dépenses s'élèvent à plusieurs millions d'euros, et le fonds vert est une aide bienvenue. Comment le Gouvernement compte-t-il accompagner davantage encore les collectivités territoriales ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Nous voulons mieux accompagner les collectivités territoriales, notamment via le fonds vert et la forfaitisation de l'amende.

Il faut également apporter un soutien à l'ingénierie, à la formation et à l'information des élus. L'État et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) peuvent être force de proposition pour les choix technologiques.

Le ministère accorde un soutien important à l'association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes, qui organise le concours des Villes et villages étoilés.

Enfin, le ministère, via ses parcs nationaux et régionaux, soutient aussi les projets de réserves internationales de ciel étoilé.

Mme Martine Filleul .  - Les élus locaux se mobilisent depuis plusieurs années sur ce sujet. À Douai, une trame sombre a été créée, avec une baisse de la luminosité nocturne de 90 % et des détecteurs de présence. À Lille, on remplace les anciennes LED à lumière blanche ou bleue, véritables catastrophes pour la biodiversité, par de nouvelles LED ambrées qui ne gênent plus les animaux.

Les humains aussi sont concernés : altération du sommeil, troubles de la mémoire, risques cardiovasculaires et cancers sont autant de conséquences de la pollution lumineuse. Il faut encourager l'adoption, pour l'éclairage public et privé, de LED de nouvelle génération.

Quelles seront les orientations du Gouvernement pour la santé de nos concitoyens ? Comptez-vous compléter la législation pour lutter contre la phototoxicité ? L'État a-t-il répertorié les bonnes pratiques et initiatives des territoires ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Merci d'avoir cité les bonnes pratiques des collectivités. Il est toujours intéressant de s'en inspirer.

Les concertations avec les habitants doivent aboutir à une meilleure utilisation de l'espace public.

Il faut aller plus loin dans ce que nous demandons aux acteurs. C'est pourquoi je me réjouis de la signature, le 27 mars, de la charte d'engagement des acteurs du transport relative à l'extinction des panneaux lumineux.

Nous voulons aussi étendre la période d'extinction des bâtiments non résidentiels, aujourd'hui fixée entre une heure et sept heures du matin, avec une extinction une heure après la fin de l'activité et un rallumage une heure avant la reprise.

Il faut aussi réduire les émissions lumineuses des serres et verrières, dont les éclairages non directifs ont des conséquences néfastes pour le ciel et la faune.

Travaillons également à une diminution de la puissance d'éclairage des stades avant et après les événements sportifs.

Sur toutes ces questions, il est possible d'agir rapidement par voie réglementaire.

Il faudra également agir contre les nuisances que la lumière bleue cause aux enfants.

Mme Marie-Pierre Richer .  - Je pose cette question au nom de Marta de Cidrac.

Près de 60 % des Européens et 80 % des Américains ne voient plus la voie lactée. Un tiers de l'humanité est touchée par la pollution lumineuse, qui nuit aussi à la biodiversité.

Entre 1990 et 2010, les zones illuminées ont progressé de 6 % par an. Le rythme d'augmentation reste soutenu, en dépit d'une prise de conscience.

La pollution lumineuse entraîne stress, anxiété et troubles du sommeil. Elle porte préjudice au monde vivant - je pense aux insectes, indispensables aux réseaux trophiques.

Nos collectivités territoriales ont déjà pris des mesures. Mais nous devons aller plus loin pour aboutir à un équilibre entre éclairage et protection de la biodiversité. Quelle feuille de route le Gouvernement compte-t-il fixer, et dans quel délai ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Les solutions sont multiples, grâce au développement des technologies.

Ainsi, l'extinction peut être totale, comme dans le parc naturel régional du Gâtinais français. On peut aussi recourir à un pilotage intelligent, comme à Paris, Bordeaux ou Toulouse. Il y a aussi les trames noires. Les LED ont l'avantage de pouvoir être modulées à distance.

Les collectivités territoriales peuvent décider de la meilleure option, en fonction de leur situation.

Mme Marie-Pierre Richer.  - New York, ville qui ne dort jamais, suscitait jadis l'admiration. C'est vers l'inverse que nous devons tendre aujourd'hui. Les maires ont un rôle fondamental à jouer en la matière. Il y va de la qualité de vie des générations à venir !

M. Jean-Pierre Sueur .  - Madame la ministre, vous avez mentionné la charte. Vous avez probablement lu ce qu'en dit Stéphane Foucart, dans un récent article paru dans Le Monde.

Il relève par exemple ce chef-d'oeuvre : il faut « établir une stratégie sobriété fondée sur des trajectoires de réduction des consommations électriques et d'émissions carbone du parc des publicités lumineuses en tenant compte des caractéristiques, usages et besoins des univers de transports selon leurs périmètres à la date de signature de la présente charte »... Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas très clair !

Comptez-vous muscler ce dispositif ? Vous devez aller au-delà des intentions.

Par ailleurs, les publicités aux entrées de ville sont des catastrophes urbanistiques. On ne voit qu'elles, de jour comme de nuit. Comment mettre fin à cette pollution inutile ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Je n'ai pas échappé à cet article sur la charte signée par Clément Beaune et Agnès Pannier-Runacher.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est un festival !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Les opérateurs se sont engagés à éteindre 100 % des panneaux à la fermeture des gares, dès 2024. J'ai mentionné les objectifs de réduction de la consommation de la RATP, de la SNCF et d'ADP. Nous pouvons faire confiance à des opérateurs de cette importance. (M. Daniel Salmon ironise.) Nous parlons d'opérateurs qui ont pignon sur rue, avec lesquels nous discutons. Il y a aussi la parole politique que je porte devant vous ce soir.

Sur les entrées de ville, des évolutions réglementaires sont en préparation : un arrêté formulera des préconisations techniques et un décret réglementera le format des affichages lumineux et non lumineux.

Mme Else Joseph .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est un cauchemar : je ne vois plus la voie lactée et ne peux plus méditer sous le ciel étoilé, comme le faisait Kant... Pourtant, ces trésors pour la vue sont aussi des trésors pour l'esprit.

La lutte contre la pollution lumineuse est une nécessité pour la santé et l'écologie - je pense aux oiseaux migrateurs, dont l'orientation est perturbée. Elle est aussi un levier de maîtrise des coûts de l'énergie.

Beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire. Ne tombons pas d'un extrême à l'autre, de la pollution lumineuse à l'obscurité intégrale. Il ne faut pas une énième démarche punitive qui opposerait les uns aux autres, mais un combat mené avec un réel pilotage.

Quelles leçons tirez-vous des expérimentations dans les espaces protégés ? Comment accompagnerez-vous les collectivités territoriales en matière d'ingénierie et d'investissement ? Enfin, comment mieux protéger l'environnement nocturne ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Les aires protégées sont d'excellents territoires d'expérimentation, en raison de leurs enjeux de préservation et de leurs instances de concertation, qui permettent de mobiliser tous les acteurs concernés - je pense au parc national des Cévennes, dont a parlé Mme Pantel.

Les parcs naturels régionaux sont des territoires actifs et précurseurs. Ils peuvent réduire l'éclairage nocturne et rénover l'éclairage vétuste via le financement des projets innovants, comme l'ont fait le parc naturel régional des Causses du Quercy et celui des Préalpes d'Azur. Je souhaite généraliser ces démarches.

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me félicite de ce débat de qualité suscité par l'Opecst.

Les collectivités territoriales sont au coeur des enjeux. Parmi les 449 communes des Ardennes, dont nombre de villages et de bourgs, beaucoup interrompent, désormais, leur éclairage de nuit. Le coût de l'énergie n'y est pas étranger.

Comment articulez-vous le fonds vert, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'initiative locale (DSIL) et les autres financements ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - Le fonds vert est un accompagnement pertinent et efficace pour les collectivités territoriales. Les réflexions sur sa pérennisation en 2024 sont en cours. Nous pourrions octroyer des aides de renouvellement du parc d'éclairage au titre de la biodiversité et réorienter les enveloppes dont le plafond n'est pas atteint.

M. Marc Laménie.  - Les élus de proximité rencontrent souvent des difficultés pour constituer leurs dossiers. Nous comptons sur l'aide des services de l'État.

Mme Laurence Muller-Bronn .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La conversion des parcs d'éclairage public est urgente, alors que 40 % des installations ont plus de 25 ans. Les communes peuvent réaliser jusqu'à 80 % d'économies sur leur facture énergétique, sans compter les bénéfices pour la biodiversité et la santé humaine.

Pourtant, ces projets ne représentent que 28 % de l'enveloppe du fonds vert : c'est trop peu. Ce potentiel immense, aux retombées immédiates, devrait être prioritaire. Pourquoi intégrer les aides à la modernisation de l'éclairage public dans ce fonds, en concurrence avec d'autres projets ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État.  - L'instruction des dossiers est encore en cours. Un critère obligatoire est l'impact écologique : il y va de la crédibilité du fonds vert. Par exemple, 20 % des dossiers pour la rénovation énergétique des bâtiments publics locaux déclarent un gain inférieur aux 30 % exigés pour l'éligibilité.

Pour l'éclairage public, l'objectif est de rénover 10 % du parc existant : les dossiers déposés permettent déjà d'atteindre cet objectif. Au total, 414 millions d'euros d'aides pourraient abonder 1 milliard d'euros d'investissements : c'est presque un quart de l'enveloppe globale. Sur les 4 millions de points d'éclairage déclarés comme devant être rénovés, 1 million pourront l'être grâce à ces fonds.

Mme Laurence Muller-Bronn.  - Le fonds vert est un recyclage du programme 362, avec passage d'une gestion centralisée à une gestion pseudo-décentralisée. Un guichet unique et un accompagnement auraient été plus appréciés des élus.

Mme Annick Jacquemet, au nom de l'Opecst .  - Je constate avec satisfaction qu'un consensus se dégage pour lutter contre la pollution lumineuse.

Madame la ministre, j'ai entendu vos propositions : réduction de l'éclairage intérieur, généralisation des trames noires, engagement des opérateurs de transport, forfaitisation des amendes.

En revanche, vous n'avez pas dit quand paraîtra l'arrêté fixant les seuils de luminosité des enseignes, ni quelles en seront les grandes lignes.

M. Anglars et moi-même avons souligné la responsabilité du maire en cas d'accident. Vous dites qu'il n'y a pas d'obligation générale, mais la jurisprudence établit une distinction entre les zones n'ayant jamais été éclairées et celles où le maire a décidé l'extinction des lumières. Il faut résoudre cette difficulté pour ne pas compromettre les initiatives des maires en matière de sobriété lumineuse.

Les trames noires ne figurent pas dans le code de l'environnement : faut-il les y intégrer ? Vous n'avez pas répondu non plus sur les phares de voiture.

Je compte déposer une proposition de loi sur ces sujets et me réjouis de votre volonté de travailler avec le Sénat.

Il faut aussi éduquer et sensibiliser nos concitoyens, notamment les plus jeunes. L'association française d'astronomie nous a fait remarquer que l'observation du ciel et l'émerveillement qu'elle suscite sont l'un des rares spectacles gratuits. Pourtant, nombre de nos concitoyens en sont privés. La nuit permet pourtant à l'homme de s'extraire de la vision anthropocentrée de son environnement.

Plusieurs études ont montré une réelle adhésion de nos concitoyens aux mesures de sobriété. Réfléchissons à l'utilité réelle des éclairages et utilisons les technologies les plus sobres.

Les acteurs privés doivent se mobiliser également, par le biais d'une communication massive sur les règles et bonnes pratiques à respecter. Les magasins de bricolage et les fabricants d'ampoules doivent conseiller leurs clients pour optimiser leur éclairage. Les fédérations d'éclairage doivent aussi mieux communiquer sur les règles en vigueur.

Contrairement à d'autres pollutions, la pollution lumineuse est très facilement réversible : il suffit d'éteindre la lumière. Prenons tous notre bâton de pèlerin pour protéger notre environnement nocturne et garantir notre cohabitation avec le monde vivant non humain. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

Prochaine séance demain, jeudi 13 avril 2023, à 10 h 30.

La séance est levée à 22 h 55.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 13 avril 2023

Séance publique

À 10 h 30 et à 14 h 30

Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président, Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

Secrétaires : Mme Victoire Jasmin - M. Pierre Cuypers

1. Vingt-huit questions orales

2. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs d'emballages ménagers et des producteurs de papier (texte de la commission, n°486, 2022-2023) (demande du Gouvernement)

3. Débat sur l'état de la justice dans les outre-mer (demande du groupe SER)