Quelle réponse au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes ?

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quelle réponse au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes ? », à la demande du groupe CRCE.

M. Éric Bocquet, pour le groupe CRCE .  - (Mme Nathalie Goulet applaudit.) Nous sommes rassemblés sur l'initiative de notre groupe pour débattre du phénomène tentaculaire et mondial de la fraude aux dividendes - véritable braquage de nos finances publiques. Si le Parquet national financier (PNF) annonce un préjudice d'un milliard d'euros annuel, il aurait atteint 33 milliards d'euros pour ces vingt dernières années dans notre pays, et 140 milliards au niveau international.

Les transactions CumEx et CumCum reposent sur la notion cardinale d'arbitrage de dividendes consistant à transférer la propriété d'actions dans l'objectif d'échapper à l'impôt. Lorsque des droits sont attachés à l'action, on parle de Cum. Quand il n'y en a aucun, on parle d'Ex.

En résulte un double bénéfice frauduleux : non-acquittement de l'impôt et retenue à la source remboursée sous la forme de crédit d'impôt indûment perçu. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer qu'aucune pratique de cet ordre n'a eu lieu depuis votre prise de fonctions ?

Ces pratiques peuvent être internes ou externes. Dans le premier cas, le propriétaire de l'action la prête autour de la date du versement des dividendes à un résident français - le plus souvent à l'établissement financier - qui n'est soumis à aucune retenue à la source, et rétrocède le dividende à son véritable bénéficiaire en échange d'une commission. Dans le second cas, l'action est prêtée à un résident d'un pays dont la convention fiscale avec la France ne prévoit pas de retenue à la source : l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, l'Égypte, les Émirats arabes unis, la Finlande - un partenaire européen -, le Koweït, le Liban, Oman et le Qatar.

Mme Nathalie Goulet.  - Eh oui !

M. Éric Bocquet.  - Je me souviens à cet instant que Jérôme Kerviel avait évoqué ce phénomène à l'occasion d'une audition à huis clos le 8 octobre 2013 dans le cadre de la commission d'enquête sur la fraude fiscale que nous avions conduite - Nathalie Goulet était présente.

Comment croire que l'administration fiscale, avec la compétence qui est la sienne, n'aurait engagé des contrôles qu'en 2017, comme l'affirmait Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques devant le Sénat le 1er décembre 2021 ?

Je salue la pugnacité de l'administration fiscale et je l'encourage à poursuivre ses efforts dans l'exploitation des documents saisis lors de la perquisition qui a frappé BNP Paribas, Exane, Société Générale, Natixis et HSBC, avec la participation de 16 magistrats du PNF, de 150 enquêteurs et de 6 procureurs allemands.

Ce scandale est d'autant plus choquant qu'il concerne notamment les trois spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) qui achètent et traitent la dette française sur les marchés financiers.

Selon M. Iannucci, si l'une des banques a accepté le redressement, reconnaissant que les pratiques en cause ne relevaient pas du fonctionnement normal des marchés, les autres nient le mobile fiscal, même face à des cas caricaturaux avec des prêts de titres la veille des versements d'acomptes.

Nous avons ainsi de quoi être optimistes quant à l'issue de ces investigations, malgré l'obstruction du lobby bancaire, qui a déposé un recours au Conseil d'État deux jours après la perquisition, mais prétendument sans lien avec elles...

Nous sommes au coeur du sujet : le système bancaire tente d'inventer un nouveau concept : la « fraude légale ».

Car sur le terrain du droit, comment qualifier une pratique qui a pour seul objectif d'échapper à l'impôt - sinon de fraude ? Le Parlement et le Gouvernement ne doivent pas laisser croire qu'il pourrait exister une « fraude légale ».

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, cinq groupes du Sénat avaient pourtant déposé un amendement commun visant à encadrer ces pratiques, sur lequel Mme Pannier-Runacher, alors au banc, avait émis un avis de sagesse, « faute de meilleure proposition ». Mais en nouvelle lecture, le ministre du budget, aidé par la majorité de l'époque, avait vidé le dispositif de sa substance : le total return swap, où les opérateurs s'échangent des actions sans conclure formellement de contrats de cession, est en effet exclu, de même que les transactions, même d'apparence frauduleuse, éloignées de 45 jours du versement du dividende. Nul besoin d'être ingénieur financier pour avoir l'idée de le faire le 46ème jour !

M. Iannucci regrettait de ne pas disposer de bilan de l'efficacité du dispositif finalement retenu, mais ne croyait pas les établissements financiers gênés par le délai de 45 jours. Lors du projet de loi de finances pour 2022, le Sénat est revenu à la charge sur cette question. Il ne faut plus de clause de revoyure, mais une date à fixer pour mettre un terme à ce pillage fiscal qui lèse les peuples de France et d'ailleurs. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER et sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Marie Mercier applaudit également.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics.  - Je remercie le groupe CRCE d'avoir inscrit ce sujet à l'ordre du jour.

Nous avions entamé ce débat il y a quatre mois sur la question de la fraude fiscale. Ce sujet est d'importance, en raison des montants.

Soyons clairs : il n'y a pas de fraude légale. La fraude est illégale et il nous revient de l'identifier, pour que les sommes indûment perçues soient recouvrées par l'administration fiscale.

Je confirme que nous n'avons pas identifié à date de schémas CumEx, contrairement à l'Allemagne. La DGFiP a mené en revanche des procédures concernant des Cum internes, pour un montant de 2,5 milliards d'euros. Une deuxième série de contrôles a entraîné la saisine du PNF pour certains dossiers.

Comme vous, je salue le travail de l'ensemble de l'administration fiscale sur ce sujet.

M. Paul Toussaint Parigi .  - Ce débat intervient dans un contexte de fraude fiscale aggravée qui aurait coûté 33 milliards d'euros à l'État, au moment où le Gouvernement impose une réforme injuste visant à combler un déficit de 13,5 milliards d'euros.

Tragique ironie que celle de faire peser sur l'ensemble de nos concitoyens le poids de la dette, là où il convient de faire primer la justice fiscale, garante de notre pacte social et de notre modèle de solidarité.

La presse a mis en évidence des scandales, avec les Pandora Papers, les Panama Papers, ou les CumEx Files.

Les politiques ont une responsabilité majeure dans ce domaine. Si les progrès du PNF et de l'administration fiscale sont réels, notamment grâce à la loi du 23 octobre 2018, beaucoup reste à faire.

Au travers du CumEx Files, un consortium de journalistes a mis en évidence une perte de 140 milliards d'euros sur vingt ans pour les États concernés.

Je salue le travail régulier de la commission des finances et du Sénat en la matière. Notre assemblée avait adopté, lors de l'examen des projets de loi de finances, des amendements visant à faire échec à ces dissimulations, mais l'Assemblée nationale les a, hélas, empêchés de prendre toute leur mesure.

Certes, la tâche est complexe, mais la faiblesse des moyens de l'administration fiscale ne constitue-t-elle pas une forme de politique ? Monsieur le ministre, mènerez-vous ce chantier essentiel avec la même détermination dont vous avez fait preuve pour la réforme des retraites ?

Il nous faut combattre cette pratique délétère, dimension importante mais trop négligée de la crise globale qui frappe le monde contemporain. (M. Éric Bocquet applaudit.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Je présenterai prochainement un plan de lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières, issu des travaux du groupe de travail auquel ont participé Mmes Goulet et Vermeillet et MM. Rambaud et Bocquet. (Mme Nathalie Goulet le confirme.)

J'ai déjà annoncé le doublement du nombre d'officiers du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF)...

M. Jean-François Husson.  - Vous auriez pu le faire lorsque nous l'avions proposé !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - ... effectivement, c'était une de vos propositions ; d'autres annonces compléteront ces premières dispositions.

En 2019, je n'occupais pas les mêmes fonctions : mes prédécesseurs et le Parlement ont revu le dispositif voté par le Sénat pour le rendre conforme à la Constitution et aux conventions fiscales, afin d'éviter une censure totale du Conseil constitutionnel.

Quant à l'efficacité du dispositif, une diminution des prêts-emprunts de titres autour des dates de versement des dividendes a été observée, mais on ne peut être sûrs que cette corrélation soit un lien de causalité. Restons prudents.

M. Didier Rambaud .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le mardi 28 mars dernier fera date dans l'histoire bancaire française : des perquisitions ont eu lieu dans cinq grandes banques, à l'occasion de l'enquête pour fraude fiscale aggravée et blanchiment aggravé de fraude fiscale.

Les mises en examen témoignent de l'importance des faits reprochés notamment à la BNP et à la Société Générale.

La fraude aux dividendes se nomme le CumCum : un investisseur non résident détenant des actions cotées en France transfère temporairement le titre de propriété aux banques qui, elles, ne sont pas soumises à cet impôt. L'investisseur récupère ensuite le titre de propriété une fois le dividende versé, exonéré d'impôts.

Le CumEx a été mis en évidence en novembre 2018 grâce à un groupe de médias internationaux : l'opération vise à échanger la même action autour de la date de paiement des dividendes, faisant en sorte que l'administration fiscale ne soit plus en mesure de connaître le véritable bénéficiaire du dividende, chacun recevant une attestation fiscale alors que l'impôt n'a été payé qu'une seule fois.

La fraude aux dividendes aurait coûté 33 milliards d'euros de recettes fiscales entre 2000 et 2020.

Quelles réponses législatives ou réglementaires à ce problème ? La coopération est l'une des clés de l'efficacité. Or nous devons pouvoir compter sur des partenaires, qui n'ont pas répondu positivement à nos demandes, pour le moment. Nous devrions essayer de les y contraindre. Quels leviers faut-il utiliser pour créer un rapport de force ?

Les réponses européennes ou internationales sont complexes. Toutefois, nous pouvons déjà apporter une réponse au vide juridique du droit français. (Mme Nathalie Goulet le confirme.)

Je me souviens des débats lors des projets de loi de finances pour 2019 et pour 2020, et des dispositifs proposés par Albéric de Montgolfier et repris par Jean-François Husson. Il convient de cibler les situations abusives dans lesquelles le non-résident évite délibérément la retenue à la source de la taxe.

Le Beps, instrument de lutte contre l'érosion de la base fiscale, peut nous permettre de modifier nos conventions. Pourra-t-il remettre en cause le treaty shopping, ou chalandage de traités, par lequel des investisseurs cherchent à bénéficier de la protection plus avantageuse d'un traité bilatéral d'investissement entre un État dont ils n'ont pas la nationalité et l'État hôte dans lequel ils ont investi ?

Monsieur le ministre, j'espère que votre plan antifraude permettra d'endiguer ces phénomènes. En luttant contre toutes les fraudes, nous renforçons la confiance de nos concitoyens dans l'action publique.

Un tel combat est crucial : c'est une boussole pour le Président de la République. En tant que parlementaire, je poursuivrai mon engagement en ce sens. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet.  - Bravo !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - L'identification du bénéficiaire des flux est l'un des enjeux. Mais cela relève aussi de la responsabilité des banques : elles doivent effectuer toutes les diligences pour le connaître - tel est, pour nous, l'esprit de la loi. C'est ce que rappelle un bulletin officiel des finances publiques (Bofip), publié en février dernier, et attaqué devant la justice administrative par les établissements bancaires. Les banques ont cette responsabilité, comme en matière de blanchiment.

Mme Sylvie Vermeillet.  - Très bien !

M. Vincent Éblé .  - Au lendemain d'une mobilisation de deux millions de Français pour plus de justice sociale et contre la réforme des retraites, je salue l'initiative du groupe CRCE.

De nombreuses multinationales essaient de diminuer leur imposition, privant de ressources les services publics essentiels. La fraude fiscale globale coûterait aux États entre 80 et 100 milliards d'euros. Nos concitoyens sont très sensibles à cette question.

Les CumCum et les CumEx sont des pratiques d'optimisation fiscale à la limite de la fraude. Il nous faut réprimer de tels comportements politiquement et moralement inacceptables. Notre commission y travaille depuis longtemps.

À l'époque, président de la commission des finances, avec le rapporteur général Albéric de Montgolfier, j'avais déposé un amendement adopté à l'unanimité par le Sénat, visant à lutter contre ces comportements fiscaux douteux.

Concernant les montages internes, nous avions proposé d'instaurer une retenue forfaitaire de 30 %, les banques pouvant obtenir son remboursement uniquement si elles pouvaient prouver que l'objectif poursuivi par le prêt de titres n'était pas fiscal.

Concernant les fraudes externes, nous proposions que l'établissement bancaire pratique par défaut un taux de retenue à la source de 30 %, cette retenue étant remboursée si le prêt avait d'autres justifications que d'éviter la fiscalité. En résumé, nous proposions d'inverser la charge de la preuve.

Malheureusement, ce dispositif a été vidé de sa substance par l'Assemblée nationale. Nous aurions pourtant pu engranger 12 milliards de recettes fiscales depuis cette date - somme qui se rapproche du déficit putatif des caisses de retraite.

Monsieur le ministre, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas soutenu notre proposition à l'époque ? En 2019, vous vous étiez engagés à produire un bilan ; où en êtes-vous ? Depuis, vous n'avez fait aucune nouvelle proposition ; qu'attendez-vous ? Le temps passe, mais le problème demeure.

Les Français comprendraient mal que des dividendes échappent à toute taxation, alors que ces derniers vont battre tous les records, avec 140 milliards d'euros de résultat net !

Pour les procédures en cours, il faut distinguer les perquisitions et les accords entre les banques et le Gouvernement. Est-ce le retour du verrou de Bercy ?

Notre dispositif est toujours d'actualité. En cette période de tensions, appuyez-vous sur la sagesse du Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Éric Bocquet et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Certaines conventions fiscales avec plusieurs pays prévoient des taux nuls lors du versement de dividendes. La liste des pays concernés n'est pas très longue. Les objectifs des renégociations sont ambitieux, mais nous devons les engager. Nous venons de trouver un accord avec la Finlande en vue de réviser le taux nul, qui passerait à 15 %. Le Parlement sera saisi de la ratification de cette convention fiscale courant 2024.

Nous sommes également très favorables au standard Beps de l'OCDE, clause générale anti-abus.

M. Vincent Éblé.  - Monsieur le ministre, nous proposons d'agir avant la transmission des actions dans un pays tiers, en taxant l'établissement français : dès lors, nul besoin de modifier les conventions fiscales.

M. Pascal Savoldelli .  - Je me réjouis de ce débat. Bruno Le Maire et Gérald Darmanin stigmatisent les étrangers, accusés de fraude aux prestations sociales, créant un ennemi imaginaire, alors que le monde bancaire est bien plus responsable des inégalités. C'est un jeu dangereux et c'est une manipulation grossière ! La fraude fiscale représente entre 80 et 100 milliards d'euros, quand la fraude aux prestations sociales n'atteint même pas le milliard d'euros !

Cessons de nourrir la stigmatisation et la haine pour cacher l'incapacité à taxer les grandes entreprises.

La seule fraude aux CumCum, concernant seulement cinq banques, représente pas moins de 3 milliards d'euros, soit trois fois le montant des fraudes sociales !

Monsieur le ministre, les outils législatifs actuels sont-ils suffisants pour nous prémunir contre la fraude aux dividendes ? Aucune disposition n'a été prévue dans le dernier budget ; au contraire, les propositions quasi unanimes du Sénat pour lutter contre ce pillage fiscal ont été rejetées. (Mme Nathalie Goulet le confirme.)

Dans ses investigations, l'administration s'appuie sur une jurisprudence européenne de 2019 et sur une jurisprudence du Conseil d'État. Le droit français doit-il accompagner ce revirement de jurisprudence ?

Albéric de Montgolfier indiquait en 2018 que le volume des prêts de titres était multiplié par huit en période de versement de dividendes. Qu'en est-il aujourd'hui ?

La résurgence de la fraude aux dividendes s'inscrit dans un contexte particulier, alors que nous cherchons quelques milliards pour les retraites. Commençons par lutter contre la fraude !

Depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, il y a une passion pour les dividendes : la flat tax a fait s'envoler leur montant de 60 % dès 2018. La fortune des 0,1 % de Français les plus aisés a augmenté de 25 % depuis 2017 - excusez du peu ! Ils peuvent vous remercier.

L'an dernier, 59,8 milliards d'euros de dividendes ont été versés, soit une croissance de 4,6 % ; 95 % des entreprises ont maintenu ou augmenté le versement par rapport à 2021. D'où nos amendements au PLF visant à lutter contre la fraude aux arbitrages des dividendes. Ces 140 milliards manquent aux travailleurs, à l'investissement et à l'administration fiscale.

Négocier avec la Finlande est une bonne chose, mais quid du Luxembourg par exemple ? Vous avez un peu moins de cent jours pour agir, monsieur le ministre ! (Rires à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Vous critiquez la création de la flat tax, or France Stratégie estime que la flat tax est autofinancée. La mise en oeuvre du prélèvement forfaitaire unique (PFU) a créé des recettes supplémentaires.

Mes prédécesseurs et la majorité de l'Assemblée nationale ont revu le dispositif voté par le Sénat pour que celui-ci soit conforme à la Constitution et à nos engagements internationaux.

Mon ministère a publié une nouvelle doctrine fiscale, qui s'appuie sur une jurisprudence du Conseil d'État. Nous considérons que l'esprit de la loi oblige déjà les établissements financiers à identifier le bénéficiaire ultime des flux. C'est pourquoi nous n'avons proposé aucune modification législative. Je suis persuadé que le Conseil d'État validera un Bofip qui s'inspire de sa propre jurisprudence.

M. Pascal Savoldelli.  - Nous n'avons pas la même lecture des documents de France Stratégie. Les 0,1 % des plus riches ont amélioré leurs revenus de 25 % depuis 2017. Je connais très peu de petites entreprises, d'artisans ou de salariés qui puissent en dire autant !

La flat tax s'est certes autofinancée, mais l'augmentation de 60 % du taux de versement des dividendes pose la question de la redistribution fiscale. Je vous le répète : il vous reste un peu moins de cent jours !

Mme Sylvie Vermeillet .  - Le groupe CRCE propose un débat sur un sujet épineux mais passionnant. Les membres de la commission des finances se souviennent de l'audition du 1er décembre 2021 sur les outils de lutte contre les pratiques de fraude fiscale, où le chef de service du contrôle fiscal, M. Iannucci, avait bien du mal à se faire comprendre par le directeur général délégué de la Fédération bancaire française, M. Barel. Les logiques s'étaient combattues avec courtoisie, mais sans concession.

Les pratiques en matière de CumCum et de CumEx ont cours depuis si longtemps qu'elles semblent normalisées. On considère que toute tentative d'un État pour s'y opposer entraînerait la perte de compétitivité de ses banques... Mais mieux vaut tard que jamais : l'administration fiscale mérite notre soutien et des moyens. Selon M. Iannucci, le problème tient aux compétences des enquêteurs : il nous faut former les meilleurs des meilleurs, et les rémunérer mieux que ceux qui sont du côté de la fraude fiscale.

Nos impôts doivent être des outils simples tels que la flat tax. Notre complexité fiscale favorise le contournement. Revenons à des systèmes plus directs, permettant un contrôle plus aisé. L'administration allemande a remboursé plus de dix fois par action la même retenue à la source, sans avoir pu vérifier que l'impôt avait été acquitté !

La fraude a toujours un coup d'avance. Nous n'attendons pas de miracle, mais de la détermination et des compétences pour que l'État reste maître de ses finances.

Rien n'interdit aux établissements bancaires de nous proposer des solutions, que nous aurons plaisir à étudier. (Mme Françoise Férat applaudit.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Effectivement, la fraude semble toujours avoir un coup d'avance, et nous devons anticiper. Ce n'est pas évident. La loi de 2018 a été une avancée, même si elle n'a pas réglé tous les problèmes.

Il faut identifier les pratiques frauduleuses sans jeter l'opprobre sur tous les établissements financiers et sans affaiblir la place de Paris comme place de référence.

Oui, il faut lutter contre la fraude, mais aussi permettre les investissements. Nous sommes naturellement très ouverts aux propositions du secteur.

Mme Sylvie Vermeillet.  - Parmi les banques initialement visées, l'une d'entre elles a accepté de changer ses pratiques. Je ne vois pas pourquoi les autres ne feraient pas de même !

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Franck Menonville applaudit également.) En 2018, éclatait le scandale des CumEx files, cette technique d'évasion fiscale frauduleuse qui a même conduit le fisc à rembourser des trop-perçus imaginaires.

Les banques européennes ont incité les clients à profiter de ces fraudes, qui représentent environ 140 milliards d'euros de pertes sur les vingt dernières années, dont 33 milliards d'euros pour la France.

Il y a trois mois, le PNF, mobilisant seize magistrats, 150 enquêteurs et six procureurs allemands, a réalisé la plus grosse opération de son histoire en perquisitionnant de nombreux établissements. Mais une seule banque a reconnu ses torts et payé 105 millions d'arriérés d'impôts. Les autres encourent un redressement fiscal de 1 milliard d'euros, assorti d'amendes pénales pouvant aller jusqu'à 50 % de l'impôt dû.

En 2018, un amendement voté au Sénat avait été rejeté par l'Assemblée nationale. Les demandes du Sénat n'ont pas été entendues, notamment le doublement du nombre d'enquêteurs ou la révision des conventions fiscales.

Monsieur le ministre, vous avez mis en place un groupe de travail, dont je suis membre, pour lutter contre la fraude fiscale et sociale. Renforcer l'arsenal de l'État, y compris en passant par la loi, est essentiel. Ces pratiques sont frauduleuses ; la haute finance joue sur la mince frontière entre l'optimisation et l'évasion fiscales. Leur double langage doit cesser.

Le data mining permet des progrès encourageants, mais le recrutement d'agents compétents est indispensable. Les sommes que nous pourrions recouvrer pourraient financer nos retraites (on le confirme sur les travées du groupe CRCE) ou nos services publics.

Les mailles du filet doivent être solides, et ne pas ressembler à la toile d'araignée, qui comme chacun sait, capture les moucherons et laisse passer les bourdons. (Sourires ; applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Le plan de lutte contre la fraude s'est construit sur la base des différents Papers produits par la presse. Je souhaite que la France puisse elle-même produire de telles révélations.

À la suite des Panama Papers, l'administration fiscale a identifié environ 200 dossiers et 180 millions d'euros ont été récupérés ; pour les Paradise Papers, 35 dossiers ont été identifiés, pour 12 millions d'euros de récupérés. Nous devons nous doter d'outils pour récupérer l'information auprès de ceux qui permettent ces révélations : je ferai des annonces concrètes à ce sujet.

M. Jean-François Husson .  - Comme mes prédécesseurs, je remercie le groupe CRCE de proposer ce débat qui s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat depuis la publication des CumEx Files en 2018. Le groupe de suivi de notre commission des finances sur la lutte contre l'évasion fiscale a proposé immédiatement un dispositif anti-abus, adopté en séance sur un amendement d'Albéric de Montgolfier.

Le Gouvernement de l'époque et sa majorité à l'Assemblée nationale ont restreint le dispositif proposé aux opérations simples d'emprunt de titres, empêchant l'action sur des actions plus complexes. De plus, le Gouvernement n'a pas cherché à renégocier les conventions internationales concernées.

L'administration fiscale a engagé des travaux pour identifier le préjudice subi.

Avant même les spectaculaires perquisitions de mars dernier, notre mission d'information sur la lutte contre la fraude avait plaidé pour un renforcement des effectifs du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Dans le projet de loi de finances pour 2023, nous avions proposé de financer un doublement des effectifs des officiers fiscaux et judiciaires du service sur cinq ans, mais vous aviez émis un avis défavorable. Quelques mois plus tard, faisant acte de contrition, vous annoncez le renforcement des effectifs de ce service. Que de temps perdu !

Il faut ensuite qualifier ces montages et mettre en place des dispositifs anti-abus efficaces. Les CumEx Files n'ont pas touché tous les pays de la même manière : en Allemagne, le préjudice s'élèverait à près de 50 milliards d'euros, parce que certains intermédiaires ont pu demander le remboursement d'une retenue à la source sur les dividendes qui ne leur avait pas été prélevée... Les montages réalisés en France sont plus difficiles à qualifier ; ils sont à la frontière entre fraude, optimisation et évasion fiscales.

L'administration fiscale, les enquêteurs et les magistrats doivent distinguer le fonctionnement normal des marchés des manoeuvres abusives. Le but n'est pas de paralyser les marchés, dont il faut assurer la liquidité pour ne pas perturber la formation des prix. Toutefois, ce type d'opérations présente un risque clair de déstabilisation.

L'autorité européenne des marchés financiers relevait ainsi en septembre 2020 que les montages internes et externes d'arbitrage des dividendes présentaient plusieurs marqueurs de fraude fiscale.

Un surplus de valorisation de titres prêtés à la date de détachement de dividendes de 160 milliards d'euros relève-t-il d'un fonctionnement normal des marchés ?

Pour ma part, je fais confiance aux enquêtes pour nous éclairer sur la qualification des arbitrages de dividendes. Ce sera au législateur d'en tirer les conséquences. Faudra-t-il renforcer le dispositif anti-abus mis en place à l'initiative du Sénat ? Comptez sur moi, et sur les travaux de la commission, y compris dans le cadre de nos actions de contrôle, pour y veiller.

Notre rapport d'information demandait au Gouvernement de renégocier certaines conventions fiscales pour nous prémunir contre les montages fiscaux abusifs.

Renforcement des services d'enquête, évaluation du dispositif anti-abus, renégociation des conventions : voilà une réponse claire au scandale des CumEx Files. Monsieur le ministre, à vous de jouer !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Je salue le travail mené par la commission des finances du Sénat. Je ne regrette pas ma demande de retrait de votre amendement au projet de loi de finances pour 2023 : vous proposiez un doublement des effectifs sur cinq ans, je propose un doublement d'ici à 2025. C'est plus ambitieux, mais dans le même esprit.

N'oublions pas de saluer la DGFiP : le volet administratif de la lutte contre la fraude est tout aussi important que le volet judiciaire.

Mme Sylvie Vermeillet.  - Tout à fait !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - La mise en conformité des banques a ainsi permis le recouvrement de 2,5 milliards d'euros.

Concernant l'évaluation de la clause anti-abus, la nouvelle doctrine fiscale publiée en février nous permettra d'être plus efficaces.

Enfin, j'ai également annoncé l'aboutissement de la renégociation de la convention fiscale avec un pays qui pratique actuellement un taux nul de retenue à la source. Nous avançons donc sur les trois volets.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Les perquisitions menées par le PNF en mars dernier feront date : elles ont remis dans l'actualité les pratiques des CumCum et des CumEx, ces dernières ayant déjà fait les gros titres en 2018 avec les révélations de plusieurs médias internationaux, dont Le Monde. Ces perquisitions en sont la conséquence puisqu'elles faisaient suite à l'enquête préliminaire lancée sur des chefs de fraude fiscale aggravée et de blanchiment.

Le PNF essaie de déterminer si les CumCum relèvent de la fraude fiscale. Ce qui sépare les CumCum des CumEx est ce qui sépare la fraude de l'optimisation. Il s'agit dans les deux cas d'un transfert temporaire de titre financier, avec le bénéfice du dividende.

Dans le cas des CumEx, la propriété du titre est, elle aussi, transférée, afin de tromper l'autorité fiscale. Dans le cas des CumCum, l'opération s'effectue dans un cadre légal, où des intermédiaires opèrent pour le compte des détenteurs de titres afin d'améliorer leur rendement.

Il faut clarifier la distinction entre ce qui est légal et ce qui ne l'est pas, et c'est au Parlement de le faire. Gardons-nous d'entretenir la confusion entre fraude et optimisation fiscale.

Il convient aussi de faire la lumière sur les montants ; en la matière, le flou prédomine. Par essence, la fraude fiscale est difficile à chiffrer. Certains médias ont évoqué 140 milliards d'euros de recettes fiscales perdues - mais sur une période de vingt ans. Alexandra Givry, directrice de l'Autorité des marchés financiers (AMF), avait évoqué devant la commission une fourchette beaucoup plus modeste, de l'ordre de 400 millions à 1 milliard d'euros de pertes annuelles liées aux opérations de prêt-emprunt.

Il ne s'agit pas de relativiser les pertes, mais prétendre que la lutte contre cette fraude suffira à financer notre système de retraites, c'est aller un peu vite en besogne...

La France ne semble pas être le pays le plus exposé à la fraude des CumEx, mais il faut une coopération internationale sur le sujet. Quant aux CumCum, le Sénat a proposé des mesures dès 2018, et plusieurs des amendements du groupe Les indépendants n'ont pas été repris par l'Assemblée nationale. Il en reste quand même la durée minimale de détention des titres de 45 jours.

Nous avons aussi proposé d'étendre la retenue à la source à tous les versements équivalant à des dividendes à des non-résidents, disposition inspirée du code des impôts des États-Unis. Cela sécuriserait nos concitoyens et nos banques, et renforcerait l'attractivité de la place de Paris.

Espérons que nous progresserons dans cette voie ; les Français l'attendent.

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - L'évaluation du préjudice, parfois très élevée, ne peut pas aisément être infirmée : les évaluations se poursuivent. Nous en sommes à 2,5 milliards d'euros de droits notifiés, pénalités incluses.

Nous sommes amenés à travailler avec un très grand nombre d'acteurs. Nous échangeons notamment avec l'AMF pour nous assurer que nous n'entravons pas les activités bancaires classiques.

Au vu des instruments très complexes qui entrent en jeu, notamment sur les produits dérivés, nous avons aussi besoin d'experts qui connaissent très bien le monde bancaire, et des banques elles-mêmes.

M. Rémi Féraud .  - Ce débat intervient deux semaines après que le Gouvernement a annoncé une réforme de la lutte contre la fraude fiscale.

Je regrette que le ministre de l'économie ait d'abord ciblé dans ses interventions médiatiques la fraude aux prestations sociales, qui est pourtant sans commune mesure avec la fraude fiscale. On évoque pour cette dernière, faute d'évaluation précise, un montant de 80 à 100 milliards d'euros.

Monsieur le ministre, vous avez apporté quelques réponses, mais pourquoi le Gouvernement a-t-il tant tardé ? Comment clarifier la législation pour mieux distinguer optimisation et fraude fiscales ? Écartez-vous toute modification de la législation sur les CumCum ? Le plan annoncé traitera-t-il de la fraude aux dividendes ?

Alors que les scandales dévoilés par la presse et les lanceurs d'alerte se multiplient, il est urgent d'agir. Ne faut-il pas enfin changer d'approche, accélérer et modifier la législation ?

Alors que nos finances publiques ont grand besoin de nouvelles ressources, vous avez toujours refusé de conditionner les aides publiques pendant la crise sanitaire au non-versement de dividendes.

Mme Nathalie Goulet.  - Ce n'est pas faute de l'avoir demandé !

M. Rémi Féraud.  - Alors que vous avez fait passer la réforme des retraites, ne serait-il pas temps de mettre à contribution des revenus du capital, dans un souci d'équité ? C'est un sujet éminemment politique.

En 2018, votre prédécesseur, M. Darmanin, avait promis la création d'un observatoire de la fraude fiscale. Cet engagement n'a pas été tenu. Le sera-t-il enfin ? Il est temps de passer aux actes. (Applaudissements sur les travées des groupeSER et CRCE)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Bruno Le Maire n'a jamais ciblé les prestations sociales comme premier levier de la fraude dans notre pays : il a répondu à une question sur le versement de prestations sociales sur des comptes étrangers.

On croirait, à entendre la gauche, qu'il n'y a que de la fraude fiscale ; à entendre la droite, que de la fraude sociale ! Nous nous attaquons à tous les types de fraude, fiscale ou sociale. Un euro fraudé, c'est un euro soustrait à la solidarité nationale et un préjudice pour tous les Français.

J'ai répondu à M. Savoldelli qu'il ne nous paraît pas nécessaire de légiférer pour nous adapter à la jurisprudence du Conseil d'État : à nos yeux, la doctrine fiscale publiée en février suffit. Le Conseil d'État donnera son avis, nous en tirerons les conclusions.

Le débat sur la justice fiscale relève du projet de loi de finances, ne mélangeons pas les sujets. La France n'est pas un paradis fiscal. Nous taxons plus tous les niveaux de contribuables que nos voisins, nous sommes deuxièmes de l'OCDE pour les prélèvements obligatoires.

Mme Nathalie Goulet .  - Avec ce énième débat sur la fraude fiscale, j'ai l'impression de revivre la chanson de Barbara : « Chaque fois qu'on aime d'amour / C'est avec "jamais" et "toujours" / On refait le même chemin / En ne se souvenant de rien / Et l'on recommence... »

Le 19 novembre 2021, à mon initiative, le Sénat avait de nouveau voté l'amendement complémentaire à l'amendement de 2018 ; le 22 novembre 2022, il le retoquait, au motif que le rapport de la commission des finances proposait le même dispositif. Nous évoquons ce sujet très régulièrement.

Vous nous avez parlé de la convention fiscale avec la Finlande, c'est formidable, mais quid de celles avec l'Arabie saoudite ou le Qatar ? Le Sénat ayant refusé une demande de rapport sur le manque à gagner lié à ces conventions fiscales, j'ai posé une question écrite en décembre : dans la réponse, vos services me renvoient à un rapport de 2015. Est-ce exagéré de demander une mise à jour de ces informations ?

Il faut avancer également, dans le cadre du Beps, sur le recrutement de vérificateurs européens compétents, face à des fraudes particulièrement créatives.

Éric Bocquet a proposé une COP fiscale, c'est une bonne idée. Nous pourrions évoquer les ports francs, le Luxembourg et la Suisse. Il faudrait également une réunion des Cnil européennes, car nous nous heurtons aussi au problème de l'échange des données. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Je salue votre engagement sur ces sujets. Vous êtes d'une certaine manière une lanceuse d'alerte.

Les dispositifs votés au Parlement doivent avant tout être conformes à la Constitution et aux conventions.

Pour renégocier une convention, il faut être deux. Si nous demandons à modifier le taux applicable aux dividendes, on nous demandera en contrepartie des concessions, peut-être moins favorables pour nous...

Je rappelle que la clause générale anti-abus du Beps s'applique même aux pays avec lesquels la convention fiscale prévoit un taux nul.

Concernant un éventuel observatoire, je suis favorable à une instance indépendante, incluant des parlementaires et des personnalités qualifiées, pour évaluer plus finement l'ampleur de la fraude, car les estimations varient du simple au triple.

Je suis également très favorable à l'idée d'une COP fiscale. Ce point figurera dans le plan que je présenterai prochainement.

Mme Nathalie Goulet.  - Il convient de réévaluer les dispositifs, car on ne peut se fonder sur un rapport de 2015.

Avant de renégocier, commençons par discuter. Les ports francs à nos portes - Luxembourg, Suisse, Jersey - méritent une attention particulière. Faut-il rappeler que le Sénat, très attentif à ces sujets, avait refusé de ratifier la convention avec le Panama ?

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La fraude fiscale aux dividendes atteindrait 140 milliards d'euros : le casse du siècle ! Les mesures prises jusqu'à présent sont-elles suffisantes ? La plupart des États ont légiféré pour lutter contre les montages frauduleux.

La frontière entre optimisation et fraude fiscales n'est pas toujours évidente.

Un montage respectueux de la lettre de la loi mais contraire à son esprit peut être rejeté sur le fondement de l'abus de droit fiscal.

Sur les CumEx, tout a été dit et je salue l'action du PNF.

La fraude fiscale massive renforce le sentiment d'opacité du secteur bancaire, au détriment de l'égalité fiscale.

Les réponses du législateur sont insuffisantes. Le secteur bancaire, sans violer directement la loi, a profité d'un encadrement trop large de ses pratiques. Celles-ci sont aujourd'hui sous le coup de procédures du PNF fondées sur l'abus de droit. Pour prouver sa bonne foi, le secteur bancaire a saisi le Conseil d'État.

Légiférer à nouveau aurait plusieurs conséquences, sur la sécurité juridique, sur la compétitivité des établissements financiers et sur leur image, déjà dégradée.

Un cadre juridique clair et cohérent est nécessaire. Il doit préserver la sécurité et la compétitivité des banques.

La pratique des CumEx était courante et visiblement tolérée. Ne désavantageons pas les banques françaises sur la scène internationale. La régulation serait plus efficace à l'échelle de l'Europe ou de l'OCDE.

Monsieur le ministre, l'administration fiscale et le PNF disposent-ils de moyens suffisants ?

Nous proposons de généraliser les conventions fiscales bilatérales imposant une retenue à la source sur les flux de dividendes sortants. Où en sont les négociations en cours au niveau européen et à l'OCDE ?

Les CumEx et autres CumCum peuvent sonner le glas de toute possibilité d'optimisation fiscale, au regard de leur écho médiatique. Il est donc urgent de clarifier les choses. Une approche éthique de la fiscalité mondialisée est nécessaire si l'on souhaite préserver le consentement à l'impôt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - L'administration fiscale dispose-t-elle d'outils suffisants pour obtenir des informations semblables à celles du consortium de journalistes ? La réponse est non. C'est pourquoi je proposerai un renforcement de ses moyens.

Concernant les discussions à l'échelle de l'OCDE, 2 300 conventions sur 2 400 ont été mises au standard Beps en 2022.

Mme le président.  - Nous arrivons au terme de ce débat. À vous la parole, monsieur le ministre.

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Nous avons eu des échanges nourris sur ce sujet majeur. Des progrès ont été constatés ces derniers mois. Des démarches ont été entreprises ; une convention fiscale a été renégociée avec un pays pour lequel on a appliqué un taux nul de retenue à la source pour le versement de dividendes.

Nous franchirons une étape supplémentaire avec le plan de lutte contre la fraude fiscale que je présenterai prochainement.

Je veux redire mon admiration pour nos agents qui, loin du battage médiatique, face à une très grande complexité, travaillent d'arrache-pied pour identifier les abus, et les distinguer des erreurs de bonne foi. Je les remercie pour leur travail exceptionnel.

M. Éric Bocquet, pour le groupe CRCE .  - L'objet du débat n'était pas de jeter l'opprobre sur un secteur ni de stigmatiser telle ou telle banque. Nous nous appuyons sur des faits.

Les banques incriminées - BNP Paribas, Crédit Agricole, HSBC et Société Générale - sont des spécialistes en valeurs du Trésor (SVT). Elles ont pratiqué ces fraudes. Elles nous font perdre des recettes fiscales, y gagnent des commissions et aggravent la dette, dont elles gèrent les titres sur les marchés.

J'ai sous les yeux le code déontologie de l'agence France Trésor que ces banques s'engagent à respecter. En cas de manquement, l'agence peut décider de suspendre les SVT. Ainsi de Morgan Stanley entre août et novembre 2020. Indépendamment du travail que la justice mène en toute indépendance, est-il éthiquement supportable que ces banques gèrent encore nos titres de dette ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet.  - Bravo !

Prochaine séance demain, mercredi 3 mai 2023, à 15 heures.

La séance est levée à 20 h 25.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 3 mai 2023

Séance publique

À 15 h, de 16 h 30 à 20 h30 et le soir

Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Pascale Gruny, vice-président, M. Alain Richard, vice-président

Secrétaires : M. Loïc Hervé - Mme Jacqueline Eustache-Brinio

1. Questions d'actualité au Gouvernement

2. Proposition de loi visant à renforcer l'accessibilité et l'inclusion bancaires, présentée par MM. Rémi Féraud, Jean-Claude Tissot, Patrick Kanner, Rémi Cardon, Mmes Florence Blatrix Contat, Laurence Rossignol et plusieurs de leurs collègues (n°35, 2022-2023)

3. Proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique, présentée par M. Rémi Cardon, Mmes Viviane Artigalas, Catherine Conconne, Annie Le Houerou et plusieurs de leurs collègues (n°170 rectifié, 2022-2023)

4. Débat sur le programme de stabilité et l'orientation des finances publiques (demande de la commission des finances)