Accès aux services publics

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution proposant au Gouvernement de renforcer l'accès aux services publics présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues, à la demande du RDSE.

M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'essor des plateformes téléphoniques a ses bons comme ses mauvais côtés. Parfois, c'est un gain de temps pour accéder aux services publics, surtout s'ils sont éloignés. Mais lequel d'entre nous n'a jamais fait l'expérience du « Tapez 1, tapez 2, tapez 3 », un bip, puis personne...

Cette réalité a été documentée par une récente enquête de 60 millions de consommateurs, en collaboration avec la Défenseure des droits : 40 % des appels n'aboutissent pas, quand ils réussissent, la durée moyenne d'attente est de neuf minutes. Près de la moitié des appels aux caisses d'allocations familiales restent sans réponse.

La dématérialisation des démarches suppose un minimum de compétences informatiques et un bon accès au réseau.

Sur le premier point, un rapport d'information de notre ancien collègue Raymond Vall a montré que quatorze millions de nos concitoyens sont frappés d'illectronisme... Dans ces conditions, la dématérialisation des services publics peut engendrer des souffrances sociales, surtout chez les plus modestes ou les personnes âgées, qui se sentent exclus et n'accèdent pas à leurs droits. C'est une nouvelle fracture.

Certes, il y a des politiques en faveur de l'inclusion numérique. Mais il faudra faire davantage pour réduire le fossé : nous appelons à une stratégie numérique inclusive et précoce, tout au long du parcours scolaire.

Quant au réseau, nous sommes bien placés pour constater les difficultés de son déploiement. Or internet et la téléphonie mobile sont particulièrement utiles dans ces zones où les déplacements sont moins aisés, comme l'avait souligné feu notre collègue Alain Bertrand dans un rapport sur l'hyper-ruralité.

La déclaration européenne du 26 janvier 2022 sur les droits et principes numériques affirme : « Toute personne devrait avoir accès à des technologies qui visent à unir et non à diviser. La transformation numérique devrait contribuer à l'équité sociale et économique dans l'Union. »

Certes, l'État s'efforce d'améliorer la couverture des territoires ruraux : le ministre chargé des télécommunications a indiqué qu'un accord s'imposait entre l'État, les collectivités territoriales et les opérateurs pour répartir l'effort financier du déploiement de la fibre.

Comme le rappelait Éric Gold lors d'une récente séance de questions d'actualité, il ne faut pas oublier le défi de la qualité du réseau, y compris dans les territoires qui n'ont pas encore la fibre, où le réseau cuivre est mal entretenu. La numérisation à marche forcée des services publics, pour reprendre les termes utilisés par le Secours populaire, entraîne certains renoncements aux droits. Selon l'Assemblée des départements de France, la sous-consommation du chèque carburant est une conséquence de la fracture numérique.

Ces difficultés pourraient être minorées si l'État jouait pleinement son rôle. Or la dégradation des comptes publics et la baisse démographique ont conduit celui-ci à réduire la présence de l'administration dans ces territoires.

Si dans son rapport sur l'accès aux services publics dans les territoires ruraux, la Cour des comptes ne constate pas d'abandon généralisé, elle reconnaît une répartition variable des services publics sur les territoires.

Les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAASP) ont permis d'améliorer la situation.

La mobilisation des collectivités territoriales a permis d'éviter le pire. Les maisons France Services y ont contribué, mais moins d'un quart d'entre elles sont accessibles en transport en commun, et leur implantation repose sur la bonne volonté des collectivités territoriales. C'est pourquoi le RDSE plaide pour une répartition de la charge financière entre l'État et ces dernières.

Le principe d'égalité des droits est au coeur du pacte républicain : nos concitoyens y sont très sensibles. Alors que les Français se rendent de moins en moins dans les bureaux de poste, ils supportent mal leur réorganisation. Ce paradoxe s'explique par l'image très populaire du facteur, connu de tous dans nos villages, gardien d'une présence publique de proximité. Il symbolise la nécessité de soutenir les services publics dans notre monde rural. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Daniel Chasseing .  - L'accès aux services publics est un combat mené par la République depuis sa naissance : les départements ont été dessinés pour que chaque citoyen puisse se rendre à la préfecture et en revenir à cheval en moins d'une journée. Ce combat ne sera jamais achevé, il doit être renouvelé constamment.

La proposition de résolution présentée par Jean-Claude Requier, fort de son expérience de maire, conseiller départemental et sénateur, va dans le bon sens.

L'accès numérique ne peut se substituer entièrement au contact humain.

Dans toutes les zones du territoire se posent les mêmes questions : accès au train, à l'éducation, aux CAF, à la culture, au sport, à la formation, aux soins et aux pharmacies.

Les agents des maisons France Services apportent une contribution efficace au service des usagers. C'est un renfort indispensable aux actions développées par les élus locaux. L'accès aisé aux services publics doit répondre aux besoins de nos concitoyens, qui auront ainsi le sentiment d'être reconnus par la République.

L'accès aux services publics est aussi nécessaire pour l'attractivité des territoires. N'oublions pas le message des gilets jaunes, majoritairement issus des territoires souffrant de désertification. Travaillons à une répartition plus favorable aux territoires ruraux des activités économiques et sociales. La création des espaces France Services et des sous-préfets à la relance s'inscrit dans cette vision.

Réfléchissons aussi à la coordination de soutiens nationaux pour financer des ateliers relais pour les TPE, ainsi qu'à l'avenir des zones de revitalisation rurale (ZRR), peu coûteuses, contrairement à ce que j'entends parfois. Je plaide en faveur d'un aménagement du ZAN pour les communes rurales qui ont peu construit.

Il est également nécessaire de développer des services au public polyvalents. Aux côtés des buralistes, les restaurants ruraux, les épiceries multiservices sont autant de lieux ressources aux côtés des services publics plus classiques.

Merci au président Requier pour son initiative : continuons à faire preuve d'imagination pour que tous les Français puissent accéder aux services publics qu'ils méritent. Le groupe INDEP votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Paul Toussaint Parigi .  - Cette proposition de résolution rappelle le rôle essentiel des services publics, condition indispensable de l'accès de tous aux droits fondamentaux - santé, logement, justice, éducation, hébergement d'urgence. Ils incarnent l'esprit républicain, étayant les droits et libertés ; ils sont le terreau de l'économie, le maillage de la solidarité et le ferment de la citoyenneté.

Face à ces impératifs, il faut analyser avec lucidité leurs forces et leurs faiblesses, pour les améliorer.

Ces dernières années, les vagues des réformes successives se sont traduites par des fermetures de services de proximité dans les territoires éloignés des agglomérations, marginalisant des pans entiers du territoire.

L'égalité d'accès aux services publics est loin d'être acquise, voire décroît. Les réponses sont loin de tenir compte des spécificités territoriales, à l'image de la Corse, où les communes rurales concentrent la moitié de la population régionale mais se trouvent bien souvent en zone blanche. L'administration dématérialisée s'accompagne trop souvent de la suppression du contact humain, synonyme d'exclusion pour les personnes âgées, précaires ou handicapées pour qui l'accès aux droits sociaux est vital.

Notre vision du progrès ne peut plus se satisfaire d'une telle fracture territoriale : l'épisode de 2018 le rappelle. L'agenda rural est une première prise en compte, mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

Un accès égalitaire aux droits et services publics reste une condition du pacte républicain. Il faut donc mieux associer les élus locaux, qui connaissent les besoins. C'est une question de justice territoriale.

La couverture numérique doit être pleine et entière, avec des services de proximité simples, aux procédures simples, car ils sont garants de la cohésion sociale et symboles de l'action publique.

Je remercie le président Requier pour cette proposition de résolution, en espérant que le plan France Ruralité tienne ce pari de taille. Il ne faudrait pas que de nouvelles coupes budgétaires viennent contrarier l'espoir de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Denise Saint-Pé et M. Joël Bigot applaudissent également.)

M. Didier Rambaud .  - Pour joindre l'hôpital public, tapez 1, la police, tapez 2, pour un nouveau passeport, tapez 3 ; si vous souhaitez parler à un conseiller, tapez dièse : ne quittez pas, votre temps d'attente est estimé à... 35 heures. Trêve de plaisanterie, mais je n'ai pas envie de rire. Voilà le premier contact aride de nos concitoyens avec les plateformes d'accueil des services publics. Or un service public de qualité se doit d'être facile d'accès, efficace et rapide.

Le réseau France Services a permis de retrouver une forme de proximité. Les plus de 2 500 maisons France Services sont un bel outil, mais elles ne peuvent résoudre toutes les questions.

L'accès aux services publics se heurte aux problèmes de réseau et à la complexité bureaucratique qui caractérise notre pays. Les conseillers numériques sont une avancée majeure, ils doivent être pérennisés. Les services publics doivent rester ouverts à toute la population, ce qui suppose de réduire la fracture numérique. (M. le ministre opine.)

La bureaucratie a prospéré sans limites au fil des décennies, les procédures administratives se sont alourdies. Jérôme Fourquet disait qu'à moins de quinze cases à remplir, l'administration fait un malaise : la caricature n'est pas si caricaturale. (M. le ministre sourit.)

L'inflation législative est un frein à la simplification que nous appelons de nos voeux. Une réflexion approfondie s'impose pour simplifier le cadre législatif et réglementaire et faciliter le quotidien des usagers et des élus. Sans quoi nous irons dans le mur.

Bref, il faut un effort de simplification, de modernisation et d'adaptation aux besoins pour rendre les services publics plus efficaces et plus proches des attentes des Français. Le RDPI votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)

M. Patrice Joly .  - Il est loin le temps où le maillage des services publics était le moteur d'un développement équilibré du territoire, faisant de la ruralité française un modèle en Europe. Sous couvert de modernisation de l'État, on a concentré les services dans les grandes villes ou les villes intermédiaires : pour rationaliser l'offre et réduire les coûts, on a délaissé la proximité. Voyez la SNCF : les lignes secondaires n'étant pas entretenues, on prend la voiture - et les lignes ferment. Écoles, hôpitaux, maternités, gares, trésoreries, tribunaux : c'est toujours la même logique. La grande faucheuse statistique a fait son oeuvre dans la Nièvre : fermeture de classes, de gares, de guichets, des maternités de Clamecy et Autun, des urgences, des trésoreries...

Face à la multiplication des déserts de services publics, quelle réponse apporter ? La population de ces territoires peu denses est souvent fragile, âgée et précaire. Comment ne pas comprendre son sentiment d'abandon, quand elle voit disparaître la dimension sociale des services publics ? Pour les habitants des territoires ruraux, profondément attachés à leur identité, la défense des services publics symbolise la lutte contre un déclin inéluctable. Leur disparition est un choc, psychologique, économique et démographique.

A-t-on évalué l'apport de ces services publics pour la cohésion sociale, l'accès aux droits, la lutte contre le réchauffement, le développement économique ? Nos territoires sont à nouveau recherchés et attractifs, ce qui impose de repenser le financement des services publics. La baisse de l'imposition des plus riches a appauvri l'État. Or l'impôt est accepté par tous quand il finance le service public, patrimoine de ceux qui n'en ont pas.

L'innovation et la bonne volonté sont insuffisantes pour reconnecter les territoires : les maisons France Services sont certes une avancée, mais ne compensent que partiellement les manques, d'autant que la densité du maillage et l'éventail de services offerts varient. L'articulation avec les collectivités locales est à renforcer, car les mairies restent la première voie d'accès aux services publics. Ces derniers doivent être pensés comme un investissement d'avenir. Nous voterons en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDSE ; Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)

Mme Michelle Gréaume .  - Qui pourrait s'opposer au renforcement de l'accès aux services publics ? Personne. Pourtant, à examiner les projets de loi de finances, la réponse ne va pas de soi... Les enjeux sont nombreux pour nos territoires et nos concitoyens, en termes de cohésion sociale, d'accès aux droits, d'égalité territoriale.

C'est la particularité de notre République d'avoir développé des services publics forts et accessibles à tous, en tout point du territoire. Mais, aujourd'hui, les enseignants désertent un champ de ruines, les hôpitaux ferment des lits à tour de bras et les collectivités territoriales peinent à mettre en oeuvre des politiques publiques. Les gouvernements ont sapé notre modèle pour céder au privé l'école, les transports, l'hôpital et jusqu'à l'eau et l'énergie - bientôt l'air ?

Nous aurions besoin de 500 000 nouveaux emplois pour tenir nos engagements sociaux, sanitaires, éducatifs et écologiques. Pour recruter, il faut redonner de l'attractivité à la fonction publique en rémunérant mieux ses agents.

Cette proposition de résolution n'évoque pas d'engagement financier pour 2024. Elle ne s'intéresse qu'au déploiement du numérique, objet de la récente proposition de loi de Patrick Chaize, que nous avons votée.

Mais le numérique ne doit pas servir de prétexte pour dégrader le service public : nous ne voulons pas d'enseignants, de médecins relégués derrière un écran. Les démarches prioritaires sont accessibles en ligne à 84 % : c'est pratique pour certains, moins pour d'autres, alors que l'illectronisme frappe un quart de nos concitoyens, souvent les plus précaires, qui ont justement le plus besoin d'un accès physique - ce qui encourage le non-recours.

Nous nous abstiendrons donc sur cette proposition de résolution, qui n'ajoute rien à la proposition de loi de Patrick Chaize.

On ne résoudra pas les difficultés de nos services publics par un clic droit, mais par des crédits en loi de finances !

M. Jean-Marie Mizzon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) À quatre mois des sénatoriales, cette proposition de résolution qui réclame un meilleur accès aux services publics est bienvenue. Mais le numérique n'est souvent qu'un cautère sur une jambe de bois. Prétendre remplacer un guichet par un formulaire en ligne, c'est bien mal comprendre les besoins de nos concitoyens.

Le premier des services publics est l'accès à la santé. Or l'espérance de vie des ruraux a baissé par rapport à celle des urbains ces dernières décennies : l'écart atteint deux ans pour les hommes, un an pour les femmes. En cause, la dégradation de l'accès aux soins, tant à l'hôpital qu'en ville.

Les solutions sont connues, mais ne sont pas mises en oeuvre. Daphné Ract-Madoux vous interrogeait hier sur la revalorisation des professions paramédicales. Quand allons-nous protéger les infirmiers et infirmières avec de vraies délégations d'actes ? À long terme, il faut en finir avec le pseudo-exercice libéral des médecins. Des rapports du Sénat le demandent de longue date, comme celui d'Hervé Maurey.

Toutes les professions médicales sont soumises à des impératifs d'installation territoriale, sauf les médecins, pourtant rémunérés par la sécurité sociale. Cela ne peut durer, d'autant plus que les nouvelles générations sont plus ouvertes en la matière. À quand le changement ?

C'est quand les cabinets ne refuseront plus de nouveaux patients que l'on pourra réellement parler d'accès effectif aux services publics ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDSE ; M. Bruno Belin applaudit également.)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Grâce au président Requier, nous débattons d'un sujet connu, mais hélas toujours actuel.

La crise des services publics est une vieille marotte du discours sur l'administration française. Certains l'imputent au néolibéralisme, à la porosité entre public et privé, à l'affaiblissement de l'État providence au profit d'un resserrement sur ses missions régaliennes. Les services publics sont régulièrement remis en cause. Au Sénat de défendre cette pierre angulaire de la cohésion sociale et territoriale.

Le service public assure l'égalité dans l'accès aux soins, aux transports, à l'école, à la sécurité, à la justice : cette dernière voit ses moyens augmenter, qu'il en soit de même pour les autres administrations.

Les travaux de Raymond Vall sur l'illectronisme et d'Alain Bertrand sur l'hyper-ruralité ont souligné la précarité administrative de nos territoires, que le numérique est incapable de combler. Le principe de différenciation territoriale, consacré dans la loi depuis deux ans, doit être appliqué aux services publics, pour adapter les dispositifs nationaux aux populations rurales.

Le bilan de l'Agence nationale de la cohésion des territoires - une initiative du RDSE - reste insuffisant, mais cela tient à l'ampleur des défis. Le maillage des maisons France Services, pour lesquelles le manque de moyens se fait sentir, reste à parfaire. Il faut les pérenniser et accompagner les collectivités qui ont su en créer.

Tout schéma, toute programmation est vaine sans pendant budgétaire. La dématérialisation évite l'attente au guichet ou les déplacements chronophages, certes, mais encore faut-il que l'administré soit capable d'y recourir. Le numérique n'a pas le monopole de la simplification, et il arrive qu'il prive l'usager de toute autonomie. Il faut adapter ces services pour ceux qui souffrent de ne pas savoir s'en servir. La digitalisation doit aller de pair avec le maintien de guichets physiques.

Nous voterons unanimement cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Daniel Chasseing et Michel Canévet applaudissent également.)

M. Antoine Lefèvre .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Denise Saint-Pé applaudit également.) S'il y a bien une prérogative à laquelle les Français sont attachés, c'est l'accès aux services publics. Le service public est constitutif de l'identité française. Le haut niveau d'intervention de l'État doit s'accompagner d'un haut niveau d'efficience.

C'est pourquoi le désengagement progressif de l'État dans certains territoires se traduit par un sentiment d'abandon. Les territoires ruraux rassemblent 88 % de nos communes et plus d'un Français sur trois. Or les services publics ont entamé un vaste mouvement de transformation, dans une logique de performance, qui se traduit par des fermetures de bureaux de poste, de trésoreries, de guichets Pôle emploi, de lits d'hôpitaux, de petites lignes ferroviaires... Les moyens ne suivent pas la hausse de fréquentation. Ainsi, le guichet de paiement des amendes de Seine-Saint-Denis ne propose que neuf heures d'ouverture hebdomadaire, pour 1,6 million d'habitants.

La dématérialisation des procédures s'est faite à marche forcée pour nombre de nos concitoyens, alors que quatorze millions de Français ont du mal avec les outils numériques. Dans l'Aisne, l'État a lancé en 2021 un vaste plan de lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme : il faut généraliser ce type de démarches.

Autre préoccupation : les zones blanches téléphoniques et l'absence de très haut débit. L'État doit contraindre les opérateurs à agir. Je salue toutefois le recrutement de conseillers numériques et le fléchage de 250 millions d'euros de crédits dans le cadre de France Relance.

Afin d'approfondir les solutions, le débat devra porter sur le rôle des territoires dans notre République et la confiance que le Gouvernement leur accorde. On ne peut se satisfaire d'une vision purement comptable de services qui touchent à la vie quotidienne. Le maintien d'un interlocuteur physique doit être la règle, non l'exception. Pour renforcer l'attractivité de ces métiers en relation avec l'usager, il faudra nécessairement revaloriser les carrières et les grilles indiciaires.

Les progrès permis par le déploiement des maisons France Services doivent être salués, mais moins de 25 % d'entre elles sont accessibles en transport en commun.

Les acteurs locaux peuvent compléter l'action des administrations publiques, comme le font les missions locales pour renforcer Pôle emploi. En somme, le véritable enjeu de l'accès aux services est celui de l'accès à la démocratie. Le groupe Les Républicains salue donc l'importance de cette proposition de résolution, tout en rappelant que le Sénat, par ses nombreux travaux, tire depuis longtemps la sonnette d'alarme sur la désaffection des services publics dans les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme Martine Filleul .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les services publics jouent un rôle fondamental pour servir l'intérêt général en soustrayant des activités à la logique du marché et du profit. Nous devons protéger cet héritage, sur lequel repose notre contrat social.

L'essor de l'administration dématérialisée suscite un sentiment d'abandon et des tensions, notamment chez les treize millions de Français souffrant d'illectronisme. Celui-ci touche toutes les classes sociales, toutes les générations, mais il est plus prégnant pour les plus précaires, pour qui l'accès aux droits est crucial. Autrefois, on remplissait comme on pouvait le formulaire Cerfa, avant de le compléter au guichet avec un agent. Désormais, par souci d'économie, l'usager est devenu lui-même un agent du service public.

La dématérialisation des services publics a été vécue plus douloureusement encore dans le monde rural : les secrétaires de mairie sont sursollicités, et des associations doivent parfois les aider.

Les conseillers numériques sont certes une première étape, qui mérite d'être renforcée. Les maisons France Services offrent un service inégal selon les endroits : certaines apportent toute satisfaction, d'autres sont des coquilles vides, sans qu'aucune solution alternative ne soit proposée. Il est temps d'instaurer une politique publique d'inclusion numérique digne de ce nom, avec un financement à la hauteur de l'enjeu. Il faut traiter le mal à la source par l'apprentissage à l'école des outils numériques et développer l'aller-vers.

La question est bien celle d'un accès aux droits qui, pour les naufragés du numérique, vire parfois au cauchemar. C'est pourquoi le groupe SER votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)

Mme Denise Saint-Pé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il n'y aura pas de République sans service public sur nos territoires : ce mot d'ordre pourrait résumer la présente proposition de résolution, à laquelle nous souscrivons.

Le numérique ne pourra pas se substituer totalement aux services publics traditionnels. La persistance de l'illectronisme est un fléau à l'origine d'une fracture générationnelle, sociale et territoriale. Loin d'aider les zones rurales, dématérialiser les services publics ne fait que les enclaver davantage.

Dans les territoires ruraux, les zones blanches demeurent, et la fibre est trop souvent déployée à la hussarde. Espérons que la récente proposition de loi sénatoriale visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique prospérera. Quelles sont vos intentions, monsieur le ministre ?

Autre limite : tous les services publics ne sont pas numérisables, notamment l'école. Certes, les effectifs du premier degré amorcent une décrue, mais cela ne justifie pas la suppression de postes à due proportion, notamment en zone rurale, où les classes restantes se retrouvent surchargées. Il faut une approche prospective, au cas par cas, tenant compte de l'urbanisation à venir. Des classes moins chargées, c'est un enseignement de meilleure qualité : notre classement Pisa s'en trouverait amélioré.

Mais l'école n'est pas le seul service public non numérisable. Alors que La Poste perçoit 325 millions d'euros au titre de sa mission d'aménagement du territoire, il est paradoxal de continuer à fermer des bureaux et à réduire les horaires d'ouverture.

Je remercie le RDSE d'avoir déposé cette proposition de résolution, que mon groupe votera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme Martine Berthet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de résolution pointe l'importance des services publics dans l'attractivité et le dynamisme de nos territoires. Or, malgré des politiques publiques palliatives, l'accessibilité n'est pas assurée, alors que le Gouvernement s'apprête à lancer le plan France Ruralité. Chacun a peut-être une maison France Services à moins de trente minutes de chez lui, mais comment s'y rendre sans voiture ? L'engagement de l'État doit être pérennisé et sa participation portée à 50 000 euros.

Les opérateurs doivent être réactifs aux questions des agents d'accueil des maisons France Services, et respecter les critères : les maisons France Services ont été auditées pour être labellisées, les opérateurs non. Ils doivent assurer la formation continue des agents, dont les fiches de poste n'ont d'ailleurs toujours pas été réalisées.

Le déploiement des espaces France Services doit s'adapter aux contextes locaux. Les territoires de montagne et touristiques, notamment en Savoie, sont pénalisés par une lecture stricte des critères, et les espaces saisonniers n'ont pu tous être labellisés.

Il faut renforcer le maillage en milieu urbain, car les villes souffrent désormais elles aussi de la fermeture de services publics.

Les SDAASP ont montré leur utilité pour faire dialoguer les collectivités, les opérateurs, France Services et l'État. L'animation départementale est décisive, car les conditions de fonctionnement varient. J'ai posé une question écrite à ce sujet, et vous m'avez indiqué qu'une mission relative aux modalités d'accès aux services publics était en cours. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La Défenseure des droits et la Cour des comptes appellent à simplifier les portails, les formulaires et le vocabulaire. La définition d'un chef de file de l'inclusion numérique est nécessaire pour garantir la coordination et l'égalité territoriales. Enfin, le très haut débit est en 2023 une condition sine qua non pour l'accès aux services publics, la télémédecine et le télétravail : il faut accélérer.

Le déploiement du numérique ne doit pas oblitérer l'importance de la proximité physique des locaux et d'un interlocuteur identifié.

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de résolution insiste sur la nécessité de renforcer le partenariat entre l'État et les collectivités territoriales et revient sur le besoin exprimé par nos concitoyens. Les communes rurales ont été affectées par la disparition croissante des services publics et la dématérialisation des démarches administratives, qui posent la question de l'égalité d'accès aux droits. Les treize millions de Français qui souffrent d'illectronisme se sentent abandonnés par l'État. Malgré les progrès accomplis, il reste beaucoup à faire.

Plusieurs axes d'action peuvent être dessinés, à commencer par le renforcement de notre infrastructure technique partout sur le territoire. Il faut résorber les différences de débit entre zones urbaines et zones rurales qui utilisent encore le réseau cuivre. La vulnérabilité des réseaux inquiète, il faut des réponses adaptées.

Ensuite, il faut renforcer l'accompagnement des personnes souffrant d'illectronisme : certains usagers livrés à eux-mêmes finissent par renoncer à leurs droits. Les modalités de financement et de pérennisation des conseillers numériques restent floues. Les personnes concernées, souvent précaires ou âgées, n'ont pas toujours les moyens de s'équiper ou de se déplacer pour suivre des formations. Il faut garantir des moyens d'accès alternatifs aux services publics : nos concitoyens demandent un contact humain.

Malgré les efforts déployés, les maisons France Services et les SDAASP manquent encore de lisibilité et de clarté, car ils se superposent à l'action des municipalités, de l'ANCT ou des préfets.

Aujourd'hui, les collectivités concourent à la réalisation de services publics, avec leurs propres moyens, or leur reste à charge est important. Le Gouvernement a annoncé débloquer des fonds supplémentaires, mais un système de financement pérenne serait préférable.

Enfin, le maillage des espaces France Services gagnerait à être complété par des moyens itinérants.

Cette proposition de résolution servira de base à la réflexion pour une stratégie claire, associant communes et élus. Le groupe Les Républicains la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE ; M. Daniel Chasseing et Mme Denise Saint-Pé applaudissent également.)

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques .  - Oui, le principe d'égalité des droits est au coeur du pacte républicain. Oui, l'accès aux services publics, partout et pour tous, est le fondement de notre cohésion sociale. Oui, la dématérialisation est utile, mais doit s'accompagner d'une couverture numérique de qualité et d'un accompagnement de ceux qui en sont éloignés. Nous agissons en même temps pour que numérisation ne rime pas avec déshumanisation des services publics : la création des maisons France Services et des conseillers numériques en témoigne.

Monsieur Requier, le Gouvernement partage votre constat. La Première ministre a réuni, le 9 mai dernier, un comité interministériel de la transformation publique pour renforcer l'accès à nos services publics et leur qualité.

Je défends trois priorités, pour des services publics plus qualitatifs : assurer les fondamentaux, accompagner pour ceux qui en ont le plus besoin, porter une attention particulière à nos agents publics.

Les fondamentaux, d'abord. Les Français ont des attentes simples : les délais, pouvoir parler à quelqu'un si l'on est bloqué dans une démarche administrative, ne pas être baladé d'une administration à une autre.

J'ai deux convictions de méthode. Première conviction : ne jamais opposer numérique et physique, mais porter une attention sur tous les canaux d'accès aux services publics. Seconde conviction : ne pas simplifier pour simplifier, mais partir de la vie des gens.

Fort de ces convictions, le comité interministériel de la transformation publique a pris des décisions fortes.

Pour améliorer tous les canaux d'accès, il faut d'abord une mobilisation accrue sur la qualité de l'accueil téléphonique. Nous avons fixé des objectifs clairs : taux de décroché supérieur à 90 %, création d'un outil de mesure de la satisfaction des usagers, possibilité de prendre rendez-vous ou d'être rappelé par l'administration.

Nous allons aussi améliorer résolument la qualité des démarches en ligne. Il s'agit de faire du bon numérique, qui réponde aux attentes. Un bon numérique, c'est d'abord un numérique accessible à tous. Sur les 250 démarches essentielles, le taux de numérisation est acceptable - plus de 94 %. Mais nous sommes en retard pour l'accessibilité des personnes en situation de handicap.

Nous devons simplifier le quotidien des Français, aux principaux moments de leur vie. Il s'agit de résoudre les principales difficultés rencontrées, d'améliorer le parcours usager, de faire appliquer le droit à l'erreur et le « dites-le nous une fois ». Nous avons retenu cinq moments clé : lorsque je deviens étudiant ; que j'établis ou renouvelle mon identité ; que je pars à l'étranger ; que je rénove mon logement ; que je perds un proche.

Il faut aussi se concentrer sur ceux de nos concitoyens qui ont le plus besoin d'accompagnement : les personnes âgées et les jeunes, à l'aise sur leur portable mais moins face à une démarche en ligne.

Ainsi, les services publics doivent être accessibles physiquement : il faut leur donner des voix et des visages. Le réseau des maisons France Services fonctionne : 2 600 espaces à moins de vingt minutes pour 92 % de nos concitoyens. Huit fois sur dix, le citoyen y obtient sa réponse.

Bien sûr, il faut aller plus loin, notamment dans le développement du réseau - nous ouvrirons 150 maisons France Services supplémentaires - et dans les financements - nous aiderons les collectivités territoriales à financer ces espaces. Un amendement du sénateur Delcros porte le ticket de 30 000 à 35 000 euros pour chaque espace, soit une enveloppe de 12 millions d'euros.

Nous allons aussi doubler le temps de formation des agents et élargir le bouquet de services, comme nous le faisons via des expérimentations avec le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), la Banque de France ou MaPrimeRénov'.

Nous devons aussi être attentifs aux agents du service public, à qui je rends hommage. Pour relever ces défis, il faut rendre la fonction publique attractive. Ces derniers jours, certains fonctionnaires ont donné leur vie en faisant leur métier. Nous devons rendre leurs carrières plus diverses, leurs rémunérations plus attractives, améliorer leurs conditions de travail. Le premier employeur du pays doit s'interroger sur les nouveaux rapports au travail au travers de promesses employeur sur l'organisation des services et des espaces de travail, la santé au travail ou encore l'égalité entre les femmes et les hommes.

Nous ne réussirons qu'avec le concours des hommes et des femmes qui incarnent le service public au quotidien.

Je remercie le président Requier de son initiative. Vous pouvez compter sur ma détermination pour renforcer l'accès à nos services publics ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes UC, Les Républicains et SER)

La proposition de résolution est adoptée.

(Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Prochaine séance demain, jeudi 1er juin 2023, à 10 h 30.

La séance est levée à 20 h 35.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 1er juin 2023

Séance publique

À 10 h 30 et 14 h 30

Présidence : M. Alain Richard, vice-président, M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : Mme Victoire Jasmin - M. Pierre Cuypers

1. Examen d'une proposition de création d'une commission spéciale en vue de l'examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (n°593, 2022-2023)

2. Sous réserve de la décision de sa création, désignation des trente-sept membres de la commission spéciale sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (n°593, 2022-2023)

3. 25 questions orales

4. Conclusions de la CMP sur la proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (texte de la commission, n°644 rectifié, 2022-2023)

5. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à interdire l'importation de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure en République populaire de Chine, présentée par Mme Mélanie Vogel, M. Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues (n 242, 2022-2023) (Demande du GEST)