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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions orales

Accompagnement des éleveurs contre la prédation

Mme Dominique Estrosi Sassone

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Réhabilitation des hôpitaux ruraux

M. Jean-Luc Fichet

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Offre de soins hospitalière à Saint-Louis (Haut-Rhin)

Mme Nadège Havet, en remplacement de Mme Patricia Schillinger

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Offre de soins dans les territoires frontaliers

Mme Sabine Drexler

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Ségur et soignants en catégorie active

Mme Élisabeth Doineau

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Fermeture du Smur d'Orthez

M. Max Brisson

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Enjeux de démographie médicale dans les communes rurales

M. Guillaume Chevrollier

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Réforme du financement des cliniques privées en Île-de-France

M. Alain Richard

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Manque de places dans les établissements médico-sociaux de Charente

Mme Nicole Bonnefoy

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Prestation de compensation du handicap

M. Olivier Cigolotti

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Difficultés de la filière nucicole

M. Daniel Chasseing

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Maladie de Charcot et congé spécial de la fonction publique territoriale

M. Cédric Perrin

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Référents déontologues pour les élus locaux

M. Jean-Michel Arnaud

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Crédits pour la réparation des ouvrages d'art

Mme Nadia Sollogoub

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Label bas-carbone et spécificités de la forêt méditerranéenne

Mme Patricia Demas

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Zones à faibles émissions et entreprises du bâtiment et des travaux publics

M. Jean-Baptiste Blanc

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Reprise des friches industrielles dans les territoires

M. Louis-Jean de Nicolaÿ

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Situation de la commune d'Avesnes-sur-Helpe

M. Frédéric Marchand

Mme Bérangère Couillard, secrétaire chargée de l'écologie

Objectif du ZAN à l'horizon 2050

M. Patrice Joly

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Ligne Polt

Mme Angèle Préville

Pollutions autour de l'aéroport de Roissy

M. Fabien Gay

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Candidature du Petit-Quevilly aux quartiers résilients

M. Didier Marie

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Diagnostics de performance énergétique

M. Hervé Maurey

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Assiette de la taxe Gemapi

M. Laurent Burgoa

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Augmentation de l'enveloppe du fonds vert attribuée à la Guyane

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie

Suspension de l'arrêté préfectoral contre les travailleuses du sexe à Lyon

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

Réquisitions dans les Alpes-Maritimes pour les mineurs non accompagnés

M. Philippe Tabarot

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

Maison d'arrêt de Saint-Brieuc

Mme Annie Le Houerou

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

Implantation de la cité judiciaire à Marseille

M. Stéphane Le Rudulier

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

« Référent écoute » du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

M. Ronan Le Gleut

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

Fouilles archéologiques préventives

M. Bruno Rojouan

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

Transfert d'oeuvres corses dans les musées insulaires

M. Jean-Jacques Panunzi

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

Extension des zones tendues

Mme Annick Billon

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie

Suppression de la CVAE

M. Thierry Cozic

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie

Interdiction des chaudières à gaz

M. Jean-François Longeot

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie

Parcoursup

M. Stéphane Sautarel

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Directeurs d'écoles privées sous contrat

M. Stéphane Piednoir

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Gratification du bénévolat

Mme Catherine Belrhiti

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Avenir des missions locales pour l'emploi

M. Serge Mérillou

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Conditionnalité du RSA

M. Hervé Gillé

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Salut à une délégation sénatoriale roumaine

Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 - Ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire (Procédure accélérée)

Discussion générale commune

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois

Mme Laurence Harribey

Mme Cécile Cukierman

M. Philippe Bonnecarrère

M. Stéphane Ravier

M. Jean-Yves Roux

M. Stéphane Le Rudulier

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Guy Benarroche

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Jean-Pierre Sueur

M. Gilbert Favreau

Mme Laurence Rossignol

Mme Catherine Belrhiti

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Esther Benbassa

Rapport annexé

APRÈS L'ARTICLE 1er

ARTICLE 2

AVANT L'ARTICLE 3

Déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère de la France en Afrique

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées

M. Christian Cambon

Mme Marie-Arlette Carlotti

M. Olivier Cadic

Mme Nicole Duranton

M. Pierre Laurent

M. Joël Guerriau

M. André Guiol

M. Guillaume Gontard

M. Stéphane Ravier

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées

Ordre du jour du mercredi 7 juin 2023




SÉANCE

du mardi 6 juin 2023

94e séance de la session ordinaire 2022-2023

Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions orales

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

Accompagnement des éleveurs contre la prédation

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - Face à l'inquiétante prolifération du loup, les éleveurs sont contraints de renforcer les moyens de protection dont ils assurent le co-financement, a minima à hauteur de 20 %. Souvent, ils doivent faire l'avance de trésorerie qui, dans les meilleurs cas, leur sera remboursée un an plus tard. Toutes ces mesures ont un coût pour les éleveurs, découragés au point d'envisager l'arrêt de leur activité.

À quelques mois de l'entrée en vigueur du prochain Plan national loup, seriez-vous favorable à une prise en charge intégrale des équipements de protection ? Autoriserez-vous le remplacement des bêtes victimes plutôt que l'indemnisation, afin d'éviter d'alourdir la fiscalité des exploitations ? Accepterez-vous la demande de pouvoir déduire du chiffre d'affaires le montant des salaires des bergers ainsi que l'entretien des chiens de protection pour soulager les trésoreries ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Le ministre Marc Fesneau regrette de ne pouvoir être présent. L'État accompagne financièrement les éleveurs pour la protection des troupeaux : aide au gardiennage, achat de clôtures, achat de chiens de protection...

Un dispositif d'accompagnement technique des éleveurs a été ouvert en 2018. Depuis 2020, un soutien plus important a été mis en place dans les foyers de prédation grâce au déplafonnement des dépenses de gardiennage par des bergers salariés ou prestataires et pour ceux situés en front de colonisation. Les éleveurs sont nouvellement éligibles à l'aide pour l'acquisition et l'entretien des chiens de protection, dont le budget est en augmentation constante, pour atteindre 32 millions d'euros en 2022, et en moyenne 35 millions d'euros par an durant la période de programmation qui débute en 2023.

Certes, le traitement de certains dossiers a été excessivement long et génère des difficultés de trésorerie. Ce n'est pas acceptable, d'où l'engagement de Marc Fesneau à un paiement plus rapide des soutiens étatiques.

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Il faut changer de doctrine tant pour les mesures de protection des troupeaux que pour les mesures de prévention, qui ne sont plus du tout adaptées aux attaques des loups.

Réhabilitation des hôpitaux ruraux

M. Jean-Luc Fichet .  - Il est primordial de réhabiliter les hôpitaux en zone rurale. Le pôle médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) du Centre hospitalier des Pays de Morlaix (CHPM) sera complètement réhabilité. En novembre 2021, Joël Giraud avait annoncé le déblocage de 24 millions d'euros dans le cadre du Ségur de la santé. Ce projet de rénovation a été validé par l'Agence régionale de santé (ARS) en septembre 2018. Ce n'est pas seulement un simple hôpital de proximité, mais un hôpital de recours territorial, avec de nombreuses spécialités et un volet recherche-développement très attractif pour les jeunes médecins.

Cette aide reste insuffisante au vu de l'investissement nécessaire de 94 millions d'euros - contre 80 millions d'euros initialement - à cause de la hausse des prix des matières premières. Cela risque d'affecter le budget de fonctionnement de l'hôpital, donc la qualité des soins et la masse salariale, au détriment des usagers.

Outre cette enveloppe, quelles mesures prendrez-vous pour assurer les travaux du CHPM et des hôpitaux ruraux sans affecter leur budget de fonctionnement ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Le budget du projet immobilier du CHPM, initialement estimé à 94 millions d'euros en 2018, est désormais évalué à 95,2 millions d'euros ; mais l'assiette financière globale a peu varié, grâce aux révisions itératives du projet, qui portent l'accent sur la restructuration du bâtiment existant et minorent les surfaces à construire.

Ce projet, validé par l'ARS en mars 2022, s'inscrit dans une logique territoriale et a fait l'objet d'un travail de structuration avec l'offre de premier recours ainsi qu'avec le CHU de Brest.

La trajectoire financière proposée est soutenable avec une aide de 24 millions d'euros, dont 2 millions ont déjà été alloués au CHPM en 2021, le recours à l'emprunt et une part d'autofinancement.

En plus des aides fléchées au titre du Ségur, l'ARS aide chaque année le CHPM en fonctionnement et en investissement. Celui-ci a bénéficié depuis 2019 de 4,29 millions d'euros. En 2021 et 2022, l'ARS a octroyé 1,7 million d'euros pour les investissements du quotidien, et 3,2 millions d'euros depuis trois ans pour la sécurisation des organisations.

Le projet d'investissement du CHPM s'inscrit pleinement dans les orientations du Ségur, dont le volet investissement de 19 milliards d'euros a permis de réhabiliter et reconstruire de très nombreux établissements de proximité à travers le territoire.

M. Jean-Luc Fichet.  - Attention au budget de fonctionnement des hôpitaux, car les moyens sont rares.

Offre de soins hospitalière à Saint-Louis (Haut-Rhin)

Mme Nadège Havet, en remplacement de Mme Patricia Schillinger .  - Dimanche dernier, plusieurs centaines de personnes se sont réunies à Saint-Louis pour soutenir leur hôpital. Après la fermeture de la clinique des Trois frontières et la reprise de son activité par le groupement hospitalier de la région de Mulhouse et Sud-Alsace (GHRMSA), beaucoup craignent qu'une offre de soins de qualité et adaptée aux besoins des 80 000 habitants du territoire ne soit pas assurée. Le GHRMSA peine à mettre en place le projet prévu pour le site de Saint-Louis.

Situé en territoire frontalier, l'hôpital de Saint-Louis subit de manière aggravée le problème de démographie médicale, notamment du fait de l'attraction exercée par la Suisse. Sur le terrain, on regrette que la rédaction du cahier des charges n'ait pas permis de susciter davantage l'intérêt du privé, qui aurait offert des conditions de travail et des rémunérations plus attractives.

De plus, depuis la reprise, les habitants et leurs élus n'ont reçu aucune information ni de l'Agence régionale de santé (ARS) ni du GHR.

Afin de rétablir le lien de confiance entre les parties prenantes, envisagez-vous un comité de pilotage ? Quelles mesures urgentes prendrez-vous pour assurer une prise en charge minimale des patients, y compris avec les médecins libéraux et si nécessaire de manière expérimentale et provisoire ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Depuis dix ans, l'ARS mène de multiples actions pour sauvegarder une offre sanitaire à Saint-Louis. La reprise à 100 % de l'ancienne clinique par le GHRMSA résulte d'une procédure de redressement judiciaire qui assure la continuité de l'activité et la pérennité du site de Saint-Louis.

L'hôpital de Saint-Louis vient d'être labellisé « hôpital de proximité » par l'ARS, ce qui sécurise ses financements à moyen terme.

Parmi les efforts réalisés, un Smur a été habilité afin de renforcer la présence en urgentistes et rendre plus attractif le site ; l'activité libérale reste possible sur place ; et les consultations sont effectives dans de nombreuses spécialités, notamment la cardiologie et la chirurgie générale. De nombreux services sont opérationnels.

Malgré une démographie médicale difficile, le GHRMSA veut augmenter le nombre de lits et de places du service de médecine et de soins de suite et de réadaptation (SSR), développer de nouvelles consultations avancées spécialisées, et déménager les activités de psychiatrie sur le site de l'hôpital pour créer un hôpital de jour de psychiatrie.

Un comité de suivi incluant les élus sera mis en place par l'ARS, avec un premier rendez-vous avant l'été.

Parallèlement, l'ARS et le GHRMSA mettent en place un programme de travail avec les professionnels de santé libéraux. Une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) est en cours de construction.

Offre de soins dans les territoires frontaliers

Mme Sabine Drexler .  - Les régions frontalières, notamment le sud du Haut-Rhin, font face à une pénurie d'offre de soins : toujours davantage de médecins, d'infirmiers, d'aides-soignants, franchissent chaque jour la frontière suisse où leur salaire est parfois multiplié par trois. Nous avons 19 % de médecins généralistes en moins par rapport à la moyenne de la région Grand Est. Dans ce contexte de pénurie de soignants, et notamment de spécialistes, la clinique de Saint-Louis, récemment reprise par le GHRMSA, a perdu ses médecins libéraux.

Nous manquions déjà de praticiens, à présent ce sont les 80 000 habitants de l'agglomération qui ne peuvent se faire soigner. Je suis régulièrement alertée par des familles et par les Ehpad qui ne sont plus en mesure d'accueillir dignement nos aînés. Dans certains d'entre eux, j'ai vu des cadres de la direction assurer eux-mêmes la toilette et les repas faute de personnel suffisant. Les personnels s'épuisent et n'hésitent plus à passer la frontière.

Quelle place ont les territoires frontaliers dans votre politique de santé ? Comment y retenir le personnel médical ? Quelles solutions pour assurer, notamment à nos anciens, une prise en charge digne dans nos hôpitaux et nos Ehpad ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - L'offre de soins hospitaliers en proximité sur le bassin de Saint-Louis sera maintenue.

Un accord-cadre sanitaire, ratifié entre les gouvernements français et suisse en 2019, ouvre la voie à des négociations par secteur géographique et par spécialité. Des négociations à visée opérationnelle sont en cours.

Les coopérations transfrontalières se poursuivent avec les Länder frontaliers - Sarre, Rhénanie-Palatinat et Bade-Wurtemberg - dans la lignée de la coopération active durant la crise covid. Après la finalisation des conventions sur l'aide médicale d'urgence, les travaux se concentrent notamment sur la mise en place d'un observatoire transfrontalier, sur les sujets de simplification des modalités de prise en charge et de projets de contrats locaux de santé transfrontaliers. Nous faisons de même avec le Luxembourg, la Suisse et la Belgique.

Dans le cadre du Schéma régional de santé 2023-2028 en cours de finalisation, une analyse de la démographie médicale de part et d'autre de la frontière sera conduite pour mettre en place un plan d'action précis pour le territoire.

Ségur et soignants en catégorie active

Mme Élisabeth Doineau .  - Je me fais le porte-voix d'un corps en voie d'extinction, les soignants en catégorie active. Historiquement, tous les professionnels de la fonction publique hospitalière (FPH) en relevaient, mais le protocole Bachelot de 2010 les a contraints à choisir entre cette catégorie et la catégorie sédentaire. Désormais, les professionnels de catégorie active sont de moins en moins nombreux, les embauches se faisant en catégorie sédentaire.

Le Ségur de la santé devait concerner l'ensemble du personnel médical, jusqu'aux secrétaires. S'il a été globalement une avancée, l'histoire retiendra cependant l'injustice des oubliés du Ségur : ces soignants ont les mêmes diplômes, les mêmes professions et la même responsabilité, et pourtant ils n'ont pas bénéficié de la même revalorisation. Il est grand temps de régler ce problème !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Le volet RH du Ségur a revalorisé les grilles indiciaires de l'ensemble des personnels paramédicaux de la FPH. C'est inédit et historique.

Comme l'ensemble des agents de la FPH exerçant au sein des établissements sanitaires, des services sociaux et médico-sociaux rattachés à un établissement sanitaire ou à un Ehpad, les personnels en catégorie active relevant des corps placés en voie d'extinction bénéficient du complément de traitement indiciaire (CTl) de 183 euros nets par mois - 189 euros nets depuis la revalorisation de la valeur du point d'indice au 1er juillet 2022.

Les écarts constatés en sommet de grilles entre les populations en catégories active et sédentaire s'expliquent essentiellement par des perspectives de carrière différentes. Les agents relevant des corps en catégorie active, très majoritairement en fin de carrière, évoluent sur les échelons les plus élevés, alors que ceux des corps en catégorie sédentaire sont majoritairement en début de carrière. Les sommets de grille, désormais à des niveaux élevés en catégorie A sédentaire, leur seront accessibles après plusieurs années. Pour les personnels de la catégorie B active, des concours réservés sont ouverts par les établissements afin qu'ils intègrent leur corps analogue de catégorie A.

Mme Élisabeth Doineau.  - J'entends ces explications, mais les soignants vivent cela comme une discrimination. Allez les voir et trouver avec eux comment l'équité peut être atteinte. C'est une nécessité.

Fermeture du Smur d'Orthez

M. Max Brisson .  - Comme dans la journée du 17 juillet 2021, le Smur de l'hôpital d'Orthez a fermé ses portes durant la nuit du 26 avril 2023, en raison du non-remplacement d'un de ses deux médecins.

Certes, un seul médecin ne peut pas prendre en charge les urgences vitales, les hospitalisations non programmées et assurer le fonctionnement du Smur : le temporaire ne peut pas devenir la règle. La fermeture du Smur est-elle pour autant une réponse acceptable à l'absence d'un médecin ? Ne pose-t-elle pas à terme la question de la pérennité du service ?

Depuis des années, l'hôpital d'Orthez dénonce le manque de personnel. Les soignants et les élus locaux tirent la sonnette d'alarme : comment éviter une nouvelle fermeture du service ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Afin de garantir la continuité de l'accès aux soins en présence d'un seul médecin urgentiste, la doctrine nationale prévoit un accès régulé au Smur par l'intermédiaire du centre 15.

L'organisation territoriale des urgences coconstruite par l'agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine vise à répondre aux problèmes de ressources et à définir un fonctionnement solidaire. Face à des difficultés de planning les 14, 15 et 26 avril derniers, le maintien du Smur et un accès régulé aux urgences ont été mis en place durant la journée, et la fermeture du Smur et un accès régulé aux urgences la nuit, le territoire du Smur d'Orthez étant couvert par celui de Pau.

Afin d'améliorer le dispositif et d'anticiper de nouvelles tensions, l'ARS a demandé au centre hospitalier d'Orthez une procédure interne de gestion des urgences vitales, une équipe paramédicale de médecine d'urgence (EPMU), un protocole d'accès gradué pour les urgences, et la formation des équipes médicales aux gestes d'urgence. Un référent missionné par l'ARS veille à une meilleure organisation territoriale des urgences, pour maintenir une prise en charge de qualité dans le bassin orthézien.

M. Max Brisson.  - Votre réponse me laisse perplexe : rien sur le manque de personnel ou la fermeture du Smur comme seule réponse au non-remplacement de médecin. L'organisation territoriale doit certes être repensée, mais cela ne répond pas à la crise ou à l'inquiétude de la population.

Enjeux de démographie médicale dans les communes rurales

M. Guillaume Chevrollier .  - En Mayenne, on ne compte plus que 6,2 généralistes pour 10 000 habitants ; certains services ferment par intermittence, trop de patients ne trouvent pas de médecins traitants, les spécialistes, dentistes et gynécologues notamment, se font rares, sans parler des médecins du travail ou des infirmières libérales. Les avancées de la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé restent insuffisantes.

Il faut soutenir les élus locaux, qui améliorent l'accès aux soins en contribuant au financement des maisons médicales et en étant acteurs des contrats locaux de santé. Ces maisons médicales essaiment dans les territoires, mais les élus peinent à trouver des médecins. Quels dispositifs d'accompagnement prévoyez-vous ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - L'État est mobilisé, comme les élus locaux, en particulier dans les territoires ruraux.

Les travaux menés avec les agences régionales de santé (ARS) sont nombreux : objectif de 4 000 maisons de santé d'ici la fin du quinquennat, coordination des acteurs locaux dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) couvrant l'ensemble du territoire d'ici la fin de l'année, incitation à exercer dans les zones en tension, notamment grâce à la quatrième année d'internat de médecine générale, déploiement de 10 000 assistants médicaux pour dégager du temps médical, développement de la téléconsultation et de l'aller-vers, avec un plan de déploiement des médicobus à venir. La loi Rist permet également un meilleur partage des tâches entre professionnels.

Les collectivités locales et les maires ont toute latitude pour se saisir de ces outils. Les conseils nationaux de la refondation (CNR) santé ont fait émerger nombre d'initiatives territoriales que nous soutenons.

M. Guillaume Chevrollier.  - L'État doit être au rendez-vous : il faut des réponses concrètes pour lutter contre les pertes de chances face à la maladie.

Réforme du financement des cliniques privées en Île-de-France

M. Alain Richard .  - Je tire le signal d'alarme concernant la tarification des soins médicaux et de rééducation dans les cliniques privées en Île-de-France, dont la réforme de financement, souhaitée et longuement concertée, n'est pas encore au point alors qu'elle doit entrer en vigueur le 1er juillet prochain.

Premier sujet d'inquiétude, les surcoûts : comme la compétition est forte pour garder les personnels, les coûts salariaux risquent d'être importants, et une augmentation de 10 % des dépenses de fonctionnement est à craindre.

Second sujet d'inquiétude : si l'on ne tient pas compte de la surcharge pour les actes médicaux les plus intenses, en cancérologie, cardiologie et neurologie en particulier, les établissements risquent de fonctionner à perte, et l'offre de soins de disparaître. Quelles dispositions le Gouvernement a-t-il prises afin de ne pas se retrouver dans cette impasse ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Les premières études d'impact de la réforme font apparaître des pertes de ressources pour certains établissements de soins médicaux et de réadaptation (SMR) d'Île-de-France.

La réforme s'appliquera le 1er juillet 2023, mais les vecteurs actuels de financement, notamment les prix de journée pour le secteur ex-objectif quantifié national (ex-OQN), seront maintenus jusqu'à la fin de l'année pour l'ensemble des acteurs.

L'évaluation de la réforme sera faite a posteriori, selon une méthodologie partagée entre les fédérations d'établissements SMR et les agences régionales de santé (ARS), qui évitera la reprise des crédits déjà alloués aux établissements au titre de l'exercice 2023. Une transition amortissant les impacts de la réforme est prévue sur trois ans, afin de prendre en compte les enjeux de territoire. En Île-de-France, le coefficient géographique sera pris en compte dès l'application de la réforme.

Les groupes de travail nationaux assureront la prise en charge des activités spécifiques que vous mentionnez. Les travaux sur les grilles tarifaires des séjours, encore en cours, ont vocation à identifier les ajustements nécessaires.

M. Alain Richard.  - Je remercie la ministre pour ces éclaircissements : avec cette période de glissement, le Gouvernement prend en compte les spécificités de ces établissements.

Manque de places dans les établissements médico-sociaux de Charente

Mme Nicole Bonnefoy .  - En Charente, le taux d'équipement en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) est largement inférieur à la moyenne nationale, alors que le taux d'élèves en situation de handicap psychique est de dix points supérieur à la moyenne de l'académie. L'objectif louable d'une école inclusive se heurte à la réalité : vous avez choisi de fermer des places dans les structures spécialisées avant même de vous assurer de la possibilité de la prise en charge des élèves dans le système classique.

De nombreuses familles ne disposent d'aucune solution. L'accueil classique est souvent inadapté, une centaine de jeunes Charentais sans solution se retrouvent déscolarisés, et doivent patienter pendant deux ans avant d'accéder à un Itep, trois ans pour les instituts médico-éducatifs (IME) et jusqu'à six ans pour les jeunes atteints de troubles autistiques. L'idéal républicain n'existe plus si des élèves sont exclus du système scolaire. Entendez-vous créer de nouvelles places d'accueil dans les établissements médico-sociaux en Charente ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - En Charente, le taux d'équipement en Itep est légèrement inférieur à la moyenne nationale, mais pour les IME il est supérieur à cette moyenne, tout comme pour les services à domicile.

Il est inacceptable que certaines familles doivent attendre plusieurs années avant de trouver une solution adaptée. Mais ces deux dernières années, l'engagement du conseil départemental aux côtés de l'agence régionale de santé (ARS) a permis de créer 14 places en réorientation professionnelle ainsi que 30 places en service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah). L'offre de répit et un accompagnement spécifique pour les enfants en situation de handicap relevant de l'aide sociale à l'enfance sont également développés.

Nous voulons aller plus loin, notamment pour les jeunes adultes relevant de l'amendement Creton, pour les territoires en zone blanche et pour les enfants et adultes autistes.

Lors de la conférence nationale du handicap, le 26 avril dernier, le Président de la République a présenté 70 mesures, dont la création de 50 000 nouvelles solutions pour les personnes en situation de handicap. Nous travaillons avec Pap Ndiaye pour que l'école s'adapte à tous les élèves en situation de handicap et non l'inverse. Notre ambition, c'est l'exercice de tous les droits pour tous les citoyens.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Le conseil départemental et l'ARS ont fait des efforts, mais il manque encore de nombreuses places et des familles souffrent. Il est urgent de trouver des réponses.

Prestation de compensation du handicap

M. Olivier Cigolotti .  - Le décret du 19 avril 2022 relatif élargit l'accès à la prestation de compensation du handicap (PCH) aux personnes atteintes de handicap psychique, cognitif, mental ou de troubles du neurodéveloppement, et inclut la prise en compte des besoins spécifiques des personnes souffrant de déficience auditive et visuelle.

C'est une avancée pour la reconnaissance de ces pathologies, mais elle engendrera pour le département de la Haute-Loire un surcoût annuel compris entre 700 000 et 2,5 millions d'euros. En 2022, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) compensait 3,9 des 7,7 millions d'euros du budget de la PCH, qui augmentent à un rythme insoutenable. Ces montants seront-ils revus pour trouver un juste équilibre entre compensation du handicap et préservation des budgets des collectivités territoriales ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Le CNSA aide les départements en versant une partie de la PCH et de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), mais aussi en couvrant une partie du fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées. Pour la PCH, les concours de la CNSA ont augmenté d'un quart, passant de 510 millions d'euros en 2009 à 637 millions en 2021.

Concernant la PCH pour les personnes souffrant de troubles psychiques, intellectuels, cognitifs ou de troubles du neurodéveloppement, cette augmentation est effective depuis le 1er janvier dernier.

Nous nous sommes engagés à suivre l'évolution des dépenses induites, ainsi que les modalités de sa couverture par la branche autonomie. Depuis l'année dernière, le comité des financeurs constitue une instance de dialogue pour assurer un suivi objectivé des évolutions des dépenses. Le Gouvernement est particulièrement attentif à la compensation de ces dépenses de solidarité dans les territoires.

M. Olivier Cigolotti.  - Les départements ne peuvent plus assurer le transfert de compétences imposé : ils consacrent parfois plus de 50 % de leurs ressources à des dépenses liées à l'aide sociale.

Difficultés de la filière nucicole

M. Daniel Chasseing .  - La crise de la noix dure depuis l'automne. Elle se vend entre 0,40 et 0,80 euro le kilo, loin de couvrir les coûts de production qui sont à 2,50 euros. Le retrait de la production en stock se met en place mais ne concernera que les agriculteurs en organisation de producteurs ou en coopérative. Il y a urgence à additionner ce dispositif de retrait avec des allègements de charges, comme on le fait régulièrement pour les productions en crise - le verger de noix est le deuxième verger de France.

Il faut aussi des clauses miroir pour les importations de produits qui ne respectent pas nos normes, et une campagne de communication sur les bénéfices diététiques de la noix. Si la consommation passait de 200 à 400 grammes par an et par Français, la crise serait en partie résolue.

La Cour des comptes a récemment recommandé de diminuer le cheptel bovin viande de 30 % et celui de bovins laitiers de 25 % à l'horizon 2050, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela nous conduira à importer davantage depuis d'autres pays, et ainsi à une perte de souveraineté qui pénalise nos élevages et notre ruralité. Les recommandations irresponsables de la Cour des comptes sont vécues comme une blessure par nos éleveurs. Ne réservons pas à l'agriculture ce qu'a subi notre industrie. Allez-vous soutenir nos agriculteurs ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Le ministre de l'agriculture a lancé un travail sur trois axes : réponse à l'urgence avec aide au retrait, activée par FranceAgriMer ; mise en valeur des produits par des actions de communication, un travail sur l'export et l'évolution de notre production - c'est l'objet du plan de souveraineté fruits et légumes ; enfin, structuration de la filière par le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) dans la perspective de la prochaine récolte.

Le ministre Marc Fesneau a réaffirmé son soutien à nos éleveurs, tout comme la Première ministre, la semaine dernière devant l'Assemblée nationale. Nous sommes fiers de nos éleveurs, et c'est avec eux que nous mènerons la transition écologique.

Maladie de Charcot et congé spécial de la fonction publique territoriale

M. Cédric Perrin .  - La sclérose latérale amyotrophique, dite maladie de Charcot, affecte 5 000 à 7 000 patients en France : ainsi, aujourd'hui, trois nouveaux cas ont été déclarés.

Si la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées a été un tournant, l'égalité n'est pas encore au rendez-vous. En effet, en vertu de l'article L. 822-12 du code de général de la fonction publique, un fonctionnaire peut être placé en congé de longue durée s'il souffre de cancer, de maladie mentale ou de poliomyélite, mais pas de la maladie de Charcot.

Ce type de congé permet de conserver l'intégralité du salaire pendant trois ans, et la moitié pour les deux années suivantes. Le congé de longue maladie, qui s'applique à la maladie de Charcot, qui ne laisse pourtant aucune perspective de reprise de l'activité professionnelle, prévoit quant à lui un et trois ans.

Quelles raisons justifient une telle différence de traitement ? Si, comme je le crois, il n'en existe aucune, envisagez-vous d'aménager le droit ou de réviser par voie réglementaire la liste des maladies donnant droit au congé de longue durée ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Contrairement au congé de longue durée, qui ne peut être attribué qu'une fois, le congé de longue maladie est renouvelable si le fonctionnaire territorial a repris ses fonctions pendant un an. De plus, si pendant la période de référence de quatre ans sur la base de laquelle ses droits à rémunération sont appréciés, il n'a pas bénéficié de plus d'un an de congé de longue maladie, il continue à percevoir un plein traitement. Enfin, en cas de congé de longue maladie fractionné, ce droit est ouvert intégralement quatre ans après l'octroi de la première période de congé de longue maladie.

Le plan d'accompagnement des maladies chroniques lancé le 1er juin par Stanislas Guerini a identifié la protection des agents publics malades comme une priorité. Des décisions relatives aux arrêts maladie longs seront portées dans le cadre des négociations sur la prévoyance dans la fonction publique, dont l'aboutissement est prévu à la mi-juillet.

Référents déontologues pour les élus locaux

M. Jean-Michel Arnaud .  - La loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite 3DS, de février 2022 prévoit la possibilité pour tout élu local de consulter un référent déontologue. L'idée peut paraître adaptée aux besoins des élus ruraux, mais le décret d'application du 6 décembre 2022 ne prévoit aucune condition de diplôme pour ce référent, ni de profil type. Il n'y a donc aucune garantie sur ses compétences juridiques, d'autant que chaque collectivité doit en désigner un. En somme, le premier venu peut candidater pour apporter des conseils juridiques aux élus, pour une indemnité plafonnée à 80 euros...

Le décret manque de bon sens, en fixant des conditions de désignation irréalistes, surtout pour les territoires ruraux où les consultations risquent d'être peu nombreuses. Le Gouvernement simplifiera-t-il le dispositif, par exemple en autorisant la désignation d'un seul référent au niveau départemental ? Le décret fixait la date limite pour la désignation des référents déontologues au 1er juin 2023...

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - La création du référent déontologue, issue d'un amendement parlementaire à la loi 3DS, a fait l'objet d'une concertation avec les associations d'élus. Le décret en conseil d'État du 6 décembre 2022 en est la traduction. L'objectif était notamment de laisser une grande souplesse aux collectivités pour la mise en place du référent.

Le décret n'est entré en vigueur que le 1er juin, un an et demi après la promulgation de la loi. Le Gouvernement ne reviendra pas sur cette mesure importante. Il est toujours possible pour plusieurs communes, groupements de communes ou syndicats mixtes de désigner le même référent. Un guide sera prochainement diffusé pour appuyer les collectivités dans la mise en oeuvre.

M. Jean-Michel Arnaud.  - En tant que président de l'association départementale des maires des Hautes-Alpes, je puis témoigner des difficultés à mettre en place ce déontologue. La rémunération de 80 euros n'est pas attractive. Il faudrait ouvrir la possibilité de désigner un référent par département.

Crédits pour la réparation des ouvrages d'art

Mme Nadia Sollogoub .  - En 2019, une mission sénatoriale d'information dont je faisais partie demandait un véritable plan Marshall pour les ponts. En juin 2022, un nouveau rapport concluait à l'insuffisance des dispositifs en place, bien que le plan de relance ait financé un programme national Ponts mis en oeuvre par le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).

Il faut passer à la phase suivante. Les tentatives du Sénat de prévoir des crédits substantiels pour les travaux n'ont pas été suivies ; or il y a, dans presque toutes les communes, un ouvrage ayant un besoin urgent de travaux. Dans le meilleur des cas, les maires peuvent mobiliser la dotation d'équipement aux territoires ruraux (DETR) mais elle ne représente que 30 % des coûts, et ils n'ont pas la possibilité de rechercher des cofinancements. Que compte faire le Gouvernement ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Le Gouvernement est attentif aux besoins d'accompagnement des petites communes, exprimé dans les deux rapports que vous avez mentionnés. Dans le cadre du programme national Ponts, doté de 40 millions d'euros, nous avons ainsi proposé un recensement gratuit des ouvrages d'art et un premier diagnostic de deux ouvrages qui présentent des désordres. Plus de 11 000 communes ont demandé à en bénéficier, et plus de 45 000 ouvrages ont été recensés. Le Gouvernement a décidé en avril dernier l'extension du dispositif à 4 000 nouvelles communes, avec 10 millions d'euros supplémentaires.

Une aide au financement des travaux sera proposée aux communes éligibles au programme national Ponts, dans un dispositif qui sera présenté à l'été.

Mme Nadia Sollogoub.  - J'attends avec impatience cet été, car nous n'avons encore aucune visibilité sur les arbitrages. Je souhaite être certaine que le Cerema aura une feuille de route.

Au-delà des moyens financiers, il faut des moyens humains : la France forme 30 000 ingénieurs alors qu'il en faudrait 40 000. Nous avons besoin de choix stratégiques forts pour éviter une catastrophe annoncée.

Label bas-carbone et spécificités de la forêt méditerranéenne

Mme Patricia Demas .  - Dans sa stratégie nationale label bas-carbone (LBC) de 2019, le Gouvernement mise sur le puits de carbone qu'est la forêt française pour atteindre l'objectif de neutralité en 2050.

Si l'intention est louable, on comprend mal que la région Sud, deuxième région la plus boisée de France, soit écartée du dispositif. En effet, les spécificités de la forêt méditerranéenne, en particulier la croissance plus lente de ses arbres, ne sont pas reconnues et les pénalités infligées en matière de risque incendie l'excluent de projets d'entretien ou de reconstitution. Par ailleurs, la région sera plus fortement touchée que le reste par la hausse des températures et les périodes de sécheresse.

Les Alpes-Maritimes sont prêtes à devenir un territoire pilote, au travers notamment de la sylviculture du pin d'Alep. Assouplissons les critères d'éligibilité du dispositif LBC. Il y va du devenir de la forêt méditerranéenne.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Le fonds vert, doté de 2 milliards d'euros, a pour objectif de renforcer la performance environnementale, adapter les territoires au changement climatique et améliorer le cadre de vie. À ce titre, la Guyane a reçu une enveloppe de 9 millions d'euros, qui reste inférieure aux attentes, comme dans la plupart des autres régions. Ce constat reflète la volonté des collectivités de participer à l'effort collectif.

Le fonds vert remplit son rôle d'accélérateur de la transition écologique et les territoires ultramarins bénéficient des taux de financement les plus élevés. Sept dossiers sur les quarante concernant la Guyane ont été acceptés, pour un total de 2 millions d'euros de subventions. L'intégralité des crédits devraient être engagés d'ici à la fin 2023 pour soutenir un grand nombre de projets, en métropole comme outre-mer.

Mme Patricia Demas.  - Ma question concernait la forêt méditerranéenne. Merci d'entendre ce message.

Zones à faibles émissions et entreprises du bâtiment et des travaux publics

M. Jean-Baptiste Blanc .  - Malgré l'engagement des acteurs, la mise en oeuvre, à l'horizon 2025, des zones à faibles émissions (ZFE) pose des difficultés aux entreprises du bâtiment et des travaux publics.

L'offre de véhicules, en cours de structuration, ne permet pas de répondre au calendrier fixé et cette nouvelle obligation fait peser des contraintes budgétaires élevées sur des entreprises déjà touchées de plein fouet par l'inflation. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour aider les entreprises des travaux publics soucieuses de s'inscrire dans la démarche écologique visant à protéger les populations de la pollution ? (MM. Cédric Perrin et Philippe Tabarot applaudissent.)

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Madame Demas, veuillez m'excuser de ne pas vous avoir apporté la bonne réponse. Je vous répondrai naturellement sur la question forestière.

Monsieur Blanc, les ZFE sont un outil aux mains des collectivités pour améliorer la qualité de l'air et répondre à cet enjeu de santé publique. Seules les agglomérations dépassant de façon régulière les seuils de pollution sont tenues de respecter un calendrier de restriction de circulation, dont les poids lourds et véhicules utilitaires légers sont par ailleurs exclus. Les autres agglomérations décident, en fonction du contexte local, de la temporalité des restrictions imposées, des catégories de véhicules visés et des éventuelles dérogations.

Un comité de concertation sur les ZFE a été mis en place. Il doit formuler des propositions d'harmonisation du dispositif, accompagner les usagers et assurer son acceptabilité sociale. Les ZFE doivent par ailleurs s'accompagner d'un verdissement du parc. L'État accompagne déjà les professionnels dans cette transition au travers d'un certain nombre d'aides.

Reprise des friches industrielles dans les territoires

M. Louis-Jean de Nicolaÿ .  - Les territoires ruraux sont confrontés aux objectifs croisés du « zéro artificialisation nette » (ZAN), de la revitalisation urbaine et de la territorialisation.

L'incitation à la reprise d'une friche existante doit pouvoir concourir à la revitalisation du tissu économique et commercial existant, de même qu'aux nouvelles potentialités d'habitat. Cette complexité contraint régulièrement les territoires à abandonner des projets de réhabilitation pourtant validés par un architecte urbaniste et par le conseil municipal. Il serait donc judicieux de mieux prendre en compte les spécificités des territoires dans la définition de la vocation du site.

Quelle est la position du Gouvernement sur une éventuelle approche en souplesse des caractéristiques propres à la friche, en particulier son périmètre ? Quelles mesures pourraient être mises en place, en matière de documents de planification ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - La reconquête des friches doit répondre aux objectifs de maîtrise de l'étalement urbain, de revitalisation urbaine et de limitation de la consommation des espaces naturels.

Le préfet Rollon Mouchel-Blaisot a été chargé d'une mission interministérielle de mobilisation pour le foncier industriel. La loi Climat et résilience a proposé une définition de la friche. Des outils comme UrbanVitaliz, Cartofriches ou Bénéfriches visent à accompagner les porteurs de projets et les collectivités territoriales. La loi Climat et résilience a par ailleurs introduit un bonus de constructibilité de 30 % pour faciliter l'équilibre économique des opérations. Enfin, l'État a alloué 750 millions d'euros de subventions en 2021-2022 à des projets de recyclage des friches. Plus d'un millier de dossiers sont en cours d'instruction dans le cadre de ce fonds, pérennisé en 2023.

Situation de la commune d'Avesnes-sur-Helpe

M. Frédéric Marchand .  - Sous-préfecture la moins peuplée du Nord - 4 345 habitants en 2018  - Avesnes-sur-Helpe connaît depuis 1968 une baisse constante de sa population, liée en partie au problème du logement.

En 2014, la commune est sortie du dispositif de la politique de la ville et des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS), qui permettait de niveler les différences sociales, et la municipalité de l'époque n'a activé aucun programme de rénovation de l'habitat. La qualité et la diversité des logements s'en ressentent aujourd'hui.

Depuis 2020, la nouvelle équipe municipale mène une politique volontariste, fondée sur la mise en valeur du patrimoine architectural, le développement du tourisme, le soutien au commerce local de proximité et l'instauration d'un programme d'habitat. Permettre le renouvellement urbain d'Avesnes-sur-Helpe passe par la réinscription de la commune au titre des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Une issue favorable est-elle possible ?

Mme le président.  - Merci de respecter le temps imparti. Ce dépassement est inadmissible.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire chargée de l'écologie .  - Le zonage des quartiers prioritaires de la politique de la ville a été défini à l'article 5 de la loi du 21 février 2014. Le décret du 3 juillet 2014 a précisé cette définition, en visant les unités urbaines de plus de 10 000 habitants, ce qui n'est pas le cas d'Avesnes-sur-Helpe.

Des concertations locales se tiennent actuellement sous l'égide des préfets pour déterminer les contours des nouveaux quartiers prioritaires, en respectant les critères de pauvreté et de populations actualisés. Le Gouvernement souhaite toutefois redonner la capacité aux acteurs locaux d'intervenir dans certains quartiers qui ne rentreraient pas dans les conditions fixées par la loi. La réforme en cours de la politique de la ville donnera une ambition nouvelle à cette politique, nourrie de la participation des habitants des quartiers et des dynamiques positives enclenchées.

Objectif du ZAN à l'horizon 2050

M. Patrice Joly .  - Les élus ruraux s'inquiètent d'une mise en oeuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui s'affranchirait des enjeux essentiels que sont la rénovation et la revitalisation de nos bourgs et villages. Conscients de la nécessité de concilier sobriété foncière et développement des territoires ruraux, ils refusent d'être de simples exécutants.

Une forte politique en faveur de la réhabilitation du bâti vacant est indispensable. Elle doit intégrer des moyens financiers, un accompagnement en ingénierie, des outils juridiques facilitant le changement de destination du bâti ou encore l'inscription dans la loi du droit au projet. Il faut permettre plus à ceux qui ont artificialisé moins et prendre en compte plus justement les projets d'envergure nationale.

Espérons que le Gouvernement poursuive la discussion sur la base de la proposition de loi sénatoriale visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs du ZAN et qu'il sera à l'écoute des élus locaux lors de son examen à l'Assemblée nationale les 21 et 22 juin prochains.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Chaque année, 21 000 hectares d'espaces agricoles et forestiers sont consommés en France, avec des conséquences écologiques, mais aussi socio-économiques, d'où l'objectif que la France s'est fixé à horizon 2050.

Le ZAN est au coeur de nos préoccupations. La mise en oeuvre d'une garantie rurale et la prise en compte spécifique des grands projets d'intérêt national ont été annoncées. Au travers de la proposition de loi de Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc, nous saluons l'engagement du Sénat pour adapter le dispositif dans les territoires. Nous avons engagé la procédure accélérée sur ce texte, inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale les 21 et 22 juin prochains. L'objectif est de parvenir, dans la concertation, à l'adoption d'un texte consensuel.

Ligne Polt

Mme Angèle Préville .  - Le ferroviaire est incontournable pour baisser les émissions de gaz à effet de serre. Or les lignes Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt) et Paris-Clermont-Ferrand desservent cinq régions et dix millions d'habitants : un Paris-Marseille dure 3 heures et un Paris-Bordeaux deux heures, quand un Paris-Cahors dure jusqu'à 6 heures : Cahors est au-delà de la frontière espagnole...

Le schéma directeur en cours ne sera pas à la hauteur du Capitole des années 1960, Paris-Toulouse en 6 heures. Il faut le renforcer, à quatorze allers-retours au lieu de onze et un gain de 35 minutes sur Paris-Toulouse. Le programme minimum pour 2025 est à réaliser sans faute.

La Première ministre a déclaré : « moderniser se traduira par davantage de trains, une meilleure ponctualité et des temps de parcours moins longs » et : « notre stratégie doit bénéficier à tous les Français, où qu'ils vivent, des petites communes jusqu'aux grandes métropoles ». Les oubliés du rail que nous sommes sont donc le coeur de cible. Quelle sera, sur les 100 milliards d'euros du plan, la part attribuée à la ligne Polt ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie.  - La ligne Polt est un axe nord-sud stratégique. Le nouveau matériel roulant bénéficiera de 450 millions d'euros de la part de l'État, et l'amélioration des performances de la ligne d'ici à 2026 de 257 millions d'euros.

SCNF Réseau régénère les infrastructures pour 1,6 milliard d'euros jusqu'en 2025. Les travaux avancent conformément aux prévisions. La Première ministre, lors de la remise du rapport du conseil d'orientation des infrastructures (COE), a indiqué s'appuyer sur le scénario de planification écologique, actant les investissements dans le schéma directeur de la ligne Polt.

De plus, pour associer les parties prenantes, le ministre des transports a demandé à la SNCF un groupe de travail technique se réunissant chaque trimestre sur l'amélioration de la qualité de service.

Pollutions autour de l'aéroport de Roissy

M. Fabien Gay .  - Des associations, des élus et des riverains se mobilisent contre les pollutions aux alentours de l'aéroport Paris - Charles-de-Gaulle. Le bruit est la seconde menace pour la santé environnementale après la pollution atmosphérique. C'est la double peine de ces 500 000 vols annuels.

C'est un enjeu climatique : là où les grands aéroports européens prévoient des couvre-feux et plafonnent le trafic, le plan de prévention du bruit dans l'environnement (PPBE) balaie ces options et prévoit même une hausse du trafic de 38 %, soit l'équivalent du terminal 4, officiellement abandonné...

La santé n'est pas une variable d'ajustement : l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) appelle à une réduction de 13 % du trafic. Ainsi, 300 élus franciliens, dont Eugénie Ponthier, adjointe au maire d'Épinay-sur-Seine, vous demandent un couvre-feu de 22 heures à 6 heures et un plafond de 440 000 vols annuels. Accéderez-vous enfin à leurs demandes ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Il faut discuter sans entrave des apports et des nuisances des aéroports. C'est le coeur de l'approche équilibrée de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), traduite en droit européen : trois leviers d'action, suivis éventuellement de restrictions d'exploitation.

Les prévisions de trafic que vous mentionnez, prises pour un exercice spécifique lié à la crise sanitaire, ont été retenues pour élaborer des cartes stratégiques de bruit et n'ont pas caractère d'objectif.

Le plan de réduction du bruit relève des trois leviers de l'approche équilibrée. Le PPBE prévoit une étude d'impact : c'est dans ce cadre que les éventuelles mesures de restriction seront analysées. La nouvelle autorité compétente, créée par le décret du 16 mai 2023 relatif à la lutte contre les nuisances sonores, permet enfin de s'engager dans ce processus.

M. Fabien Gay.  - Les élus souhaitent être reçus et entendus.

Candidature du Petit-Quevilly aux quartiers résilients

M. Didier Marie .  - Malgré une candidature solide, le quartier de la Piscine du Petit-Quevilly n'a pas été retenu dans le dispositif des quartiers résilients. Il est pourtant quartier d'intérêt national et fait l'objet de 85 millions d'euros d'investissements par la commune. Celle-ci souffre de pollution, ayant connu l'incendie de Lubrizol, et d'un taux de pauvreté de 10 points supérieur à la moyenne.

Elle a à coeur d'être exemplaire, avec notamment une forêt urbaine et un projet d'autoconsommation collective. L'éducation et le sport sont au coeur de son programme. Le soutien de l'État via les quartiers résilients est indispensable pour réussir la transition au titre du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) du quartier de la Piscine.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Nous soulignons l'engagement des acteurs de territoire dans la démarche des quartiers résilients. Le NPNRU intègre la résilience dans le renouvellement urbain, notamment au regard du changement climatique. Toutes les revues de projet la prendront en compte.

Ainsi, vingt-cinq quartiers vulnérables sont déjà retenus pour un accompagnement renforcé et l'obtention de crédits du fonds résilience portés par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). À l'automne, vingt-cinq nouveaux quartiers seront annoncés.

Le projet du Petit-Quevilly présente un bon niveau d'avancement. Il faut poursuivre sa mise en oeuvre, avec un dépôt des demandes au plus tard pour la mi-2026. Les services de l'État accompagnent actuellement la commune sur la dépollution des sols pour mobiliser le fonds vert avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

M. Didier Marie.  - Le Petit-Quevilly doit bénéficier d'un accompagnement dans le cadre des vingt-cinq quartiers restants.

Diagnostics de performance énergétique

M. Hervé Maurey .  - Le nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) pose problème : résultats différents d'un professionnel à l'autre, coût des travaux, difficulté à obtenir l'accord des copropriétés.

Il est inadmissible qu'à isolation égale, les petits logements, qui ont des surfaces déperditives importantes par rapport à leur taille, soient moins bien classés. Selon l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), 63 % d'entre eux relèvent des catégories E, F et G contre 39 % pour l'ensemble du parc.

Les travaux sont onéreux et techniquement irréalisables : poser une pompe à chaleur dans un studio au cinquième étage est impossible. Comment y remédierez-vous ? Donnerez-vous suite à la proposition de la fédération des diagnostiqueurs de créer un coefficient de pondération ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Le DPE est un outil majeur de la politique de rénovation énergétique : gel des loyers, interdiction de mise en location et audit lors de la vente y sont adossés pour les passoires. Dès 2024, certaines aides y seront associées.

La réforme de 2021 le fiabilise en l'appuyant sur les seules caractéristiques physiques du logement. La feuille de route ministérielle de l'été 2022 vise à en améliorer la qualité, et un arrêté publié à l'été prochain renforcera les obligations de formation et les contrôles sur les diagnostiqueurs à partir de 2024.

Un DPE peut être complété par un audit énergétique, obligatoire depuis avril pour les logements classés F ou G, avec des scénarios de travaux en vue d'atteindre la classe B. Les spécificités architecturales et patrimoniales sont reconnues, mais les performances peuvent être améliorées même dans ces cas.

M. Hervé Maurey.  - Vous n'avez pas répondu à ma question : est-il normal que le diagnostic diffère selon la surface du bien, à isolation égale ? Comment y remédierez-vous ? J'espère une réponse écrite.

Assiette de la taxe Gemapi

M. Laurent Burgoa .  - La compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) relève des intercommunalités depuis 2010. À ce titre, l'article 1530 bis du code général des impôts leur ouvre la possibilité d'une « aquataxe ».

La taxe Gemapi fait partie des taxes spéciales d'équipement (TSE) prélevées sur les entreprises et les propriétaires. Avec la suppression de la taxe d'habitation à compter de 2023, la taxe Gemapi reposera sur les seuls propriétaires. C'est inique, alors que cette taxe est censée financer la protection des personnes, qu'elles soient propriétaires ou locataires, et de leurs biens. À l'instar de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (Teom), le Gouvernement prévoit-il la récupération de cette taxe par le propriétaire auprès du locataire ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - La taxe Gemapi s'ajoute aux quatre taxes directes perçues au profit des EPCI. Son produit se répartit sur les personnes physiques et morales assujetties aux taxes foncières, à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS) et à la cotisation foncière des entreprises, proportionnellement aux recettes de l'année précédente. Les entreprises et les redevables de la THRS y contribuent donc.

En outre, l'État a compensé les réformes fiscales pour préserver les contribuables.

Aux termes de l'article 23 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, la récupération des charges locatives est le remboursement des dépenses engagées pour services rendus, comme l'entretien courant ou de menues réparations. La taxe Gemapi ne correspond pas à ces dépenses, et le Gouvernement n'envisage donc pas de la rattacher à ce dispositif.

M. Laurent Burgoa.  - C'est bien dommage, surtout dans le Sud où les inondations sont une priorité. Les locataires sont concernés et devraient contribuer.

Augmentation de l'enveloppe du fonds vert attribuée à la Guyane

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Je salue l'effort de 2 milliards d'euros consenti par le Gouvernement pour accélérer la transition écologique dans les territoires à travers le fonds vert, mais ses critères de répartition - la démographie et les besoins de chaque territoire - suscitent des réserves.

Personne ne peut ignorer les besoins guyanais : l'urgence est omniprésente, en témoigne le nombre important de dossiers déposés, qui dépassent largement l'enveloppe de 9 millions d'euros allouée.

De l'avis de tous, les chiffres du recensement, utilisés pour les dotations, sont insincères. C'est injuste : on sait citer la Guyane pour évoquer la richesse de sa biodiversité, mais elle est encore une fois sous-dotée. Je ne veux nullement déshabiller Paul pour habiller Pierre, mais d'autres critères comme l'étendue du territoire devraient être pris en compte. Comment l'État entend-il introduire plus d'équité dans la répartition du fonds vert à l'avenir ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie .  - Le fonds vert répond à un triple objectif : renforcer la performance environnementale, adapter les territoires au changement climatique, améliorer le cadre de vie.

La Guyane a effectivement reçu une enveloppe de 9 millions d'euros. Comme dans la plupart des autres régions, l'aide demandée excède l'enveloppe déléguée. Mais les territoires ultramarins observent les taux de financement les plus élevés -  56 % en Guyane.

Sur les 270 dossiers déposés dans les Outre-mer, 40 concernent la Guyane. À ce stade, sept  ont été acceptés, pour un total de 2 millions d'euros, sur la prévention des risques d'inondation, l'adaptation au recul du trait de côte et le tri et la valorisation des bio-déchets.

L'intégralité des crédits du fonds vert devrait être engagée d'ici la fin de l'année, et ils seront reconduits l'année prochaine.

Suspension de l'arrêté préfectoral contre les travailleuses du sexe à Lyon

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Le 3 mai dernier, en vue de la Coupe du monde de rugby, la préfète du Rhône a publié un arrêté visant à expulser les camionnettes dans lesquelles des femmes exercent une activité prostitutionnelle dans le 7e arrondissement de Lyon. Initialement circonscrit aux abords du stade, le périmètre a été élargi à tout l'arrondissement et met des centaines de personnes dans une extrême précarité, malgré les propositions alternatives.

Pour la majorité de ces femmes, ces camionnettes sont le logement où elles dorment en journée, car elles travaillent de nuit. Une mise en fourrière de ces véhicules, outre son coût important, signifie une mise à la rue sans aucune solution d'hébergement alternative.

Entravées dans leurs actions, les associations comptent déjà de nombreuses sorties de parcours de soins. Ces expulsions accroissent la vulnérabilité de ces personnes et les exposent à plus de violences.

Quelles solutions proposez-vous pour leur sécurité ? Pouvez-vous suspendre cet arrêté préfectoral afin que des négociations garantissent, « en même temps », la tranquillité des riverains, le bon déroulement de la Coupe du monde et la sécurité des personnes concernées, sans rupture du lien avec les associations ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Les abords du stade sont touchés par une augmentation des violences, notamment à l'encontre de ces personnes.

L'arrêté municipal réglementant le stationnement sur certaines voies du quartier Gerland n'ayant pas d'effet, l'autorité préfectorale était fondée à prévenir ces troubles graves à l'ordre public dans une vingtaine de rues autour du stade, et non sur l'ensemble de l'arrondissement. Cet arrêté n'a pas pour vocation d'expulser ces femmes et de saisir leurs véhicules. Il leur appartient seulement de ne pas stationner dans le périmètre interdit.

Le travail de prévention et d'accompagnement social demeure une priorité pour l'État, avec l'appui des associations locales et sous la houlette de la commission départementale de lutte contre la prostitution et le proxénétisme - non sans résultats : sur un total de 52 dossiers suivis entre 2018 et 2022, avec l'appui de l'Amicale du Nid et du Mouvement du Nid, 42 personnes sont entrées dans un parcours de sortie de la prostitution.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - C'est, paraît-il, les cent jours d'apaisement. Pourquoi ne pas suspendre cet arrêté, comme le demandent les associations, notamment celles que vous avez citées ?

Réquisitions dans les Alpes-Maritimes pour les mineurs non accompagnés

M. Philippe Tabarot .  - L'État ne parvient pas à contrôler l'immigration clandestine, comme Patricia Demas et moi pouvons en témoigner dans les Alpes-Maritimes, où 40 000 clandestins ont été interpellés en 2022 à la frontière italienne. Le nombre de jeunes clandestins, dits mineurs non accompagnés (MNA), explose. Le président du département, les parlementaires, les maires ne cessent de lancer un cri d'alarme : plus de 5 000 de ces mineurs sont arrivés, dont 2 000 dans les seules Alpes-Maritimes. Les structures sont débordées malgré un effort du département de 20 millions d'euros. Le préfet ne cesse de prendre des arrêtés de réquisition d'hôtels comme à Antibes, à Châteauneuf-de-Grasse ou à Biot, ou de gymnases comme à Menton, sans aucune concertation avec des maires mis devant le fait accompli.

Au-delà du fait qu'il devrait revenir à l'État d'assumer pleinement cet accueil, comme nous le suggérons au Sénat, quand ces réquisitions cesseront-elles ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - La pression migratoire dans les Alpes-Maritimes a été multipliée par quatre entre janvier 2022 et janvier 2023, soumettant le dispositif de mise à l'abri à de très fortes tensions.

Je remercie le conseil départemental d'avoir mis en oeuvre des capacités nouvelles pour la prise en charge de plus de 700 MNA. Le parquet de Nice a également mobilisé des ressources nouvelles pour accélérer la prise des ordonnances de placement réorientant des mineurs vers d'autres départements.

En dépit de cela, le dispositif peut être occasionnellement saturé, conduisant le préfet - à deux reprises seulement et à la demande du président du conseil départemental - à réquisitionner des structures : une résidence hôtelière d'Antibes pendant un mois en mars et un gymnase de Menton pendant huit jours en avril. Dans les deux cas, les maires des communes concernées ont été préalablement informés par le préfet.

Nous recherchons toutes les solutions permettant au département d'exercer sa mission d'aide sociale à l'enfance.

M. Philippe Tabarot.  - La situation est beaucoup plus préoccupante. Vous devez cesser cette politique migratoire menée sur le dos des maires.

Maison d'arrêt de Saint-Brieuc

Mme Annie Le Houerou .  - Par courriers du 27 juillet 2021 et du 5 août 2022, j'ai sollicité en vain le garde des sceaux sur la situation préoccupante de la maison d'arrêt de Saint-Brieuc, 147 détenus pour 85 places, soit un taux d'occupation de plus de 170 %. La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté l'a écrit le 18 juillet 2022, les conditions de détention sont indignes : infiltrations d'eau, moisissures, trous dans les murs, mobilier détérioré ou manquant, absence d'intimité dans les WC, hygiène déplorable des sols et des lits, manque d'espace pour les gestes du quotidien.

J'ai pu à nouveau le constater en visitant l'établissement le 19 avril, et les travaux sont encore plus urgents après l'incendie de la nuit du 24 au 25 mai dernier. Une rénovation d'ampleur est nécessaire, voire une reconstruction sur un autre site : comme l'a souligné le maire de Saint-Brieuc Hervé Guihard, le territoire briochin y est disposé. Dans l'attente, une régulation en lien avec l'autorité judiciaire serait nécessaire ; quatre détenus dans 11 m2, c'est indigne, et les conditions de travail de la pénitentiaire s'en ressentent. Quel est votre projet pour la maison d'arrêt de Saint-Brieuc ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Répondre à la surpopulation est l'objectif premier du plan immobilier pénitentiaire de construction de 15 000 places de prison annoncé dès 2018 par le Président de la République - j'en voyais les effets la semaine dernière en Nouvelle-Calédonie. La construction du centre pénitentiaire de Vannes permettra une meilleure prise en charge de la population pénale. La direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes met tout en oeuvre pour désencombrer la maison d'arrêt de Saint-Brieuc, notamment en orientant les détenus vers d'autres établissements et en travaillant avec le Parquet. Les chiffres sont en effet impressionnants : au 1er juin 2023, le taux d'occupation de la structure était de 193 %, soit 164 détenus pour 85 places.

La libération sous contrainte, créée par la loi du 22 décembre 2021, est une des solutions de court terme.

Mme Annie Le Houerou.  - Aucune réponse concrète, donc, et la loi d'orientation et de programmation reste muette sur ce sujet...

Implantation de la cité judiciaire à Marseille

M. Stéphane Le Rudulier .  - Le choix du futur site d'implantation de la cité judiciaire de Marseille inquiète. Le barreau de Marseille comme la chambre de commerce et d'industrie (CCI) alertent sur les conséquences désastreuses d'un déménagement des juridictions hors du centre-ville. La perte s'évaluerait à 7,4 millions d'euros par an pour les restaurants, à 10,9 millions pour les autres commerces. Sept avocats sur dix sont à moins de dix minutes à pied du Palais de justice. Si la cité judiciaire sort de l'hypercentre, la plupart des professionnels du droit devront transférer leur cabinet. Pourquoi délocaliser l'ensemble des juridictions et entraîner inutilement une catastrophe économique du centre-ville ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Une consultation sous l'égide du préfet est en cours, rassemblant avocats, magistrats, greffiers, personnels administratifs, président de la CCI, mairie, élus, députés, métropole, région.

Trois options sont envisagées : la construction d'une cité judiciaire en centre-ville, pour 450 millions d'euros et six ans de travaux ; un terrain à la Capelette, mais à proximité d'un centre de traitement des déchets ; un terrain à Euroméditerranée, à quinze minutes de tramway du palais Monthyon. Il s'agirait soit de construire une cité judiciaire, pour 350 millions d'euros et trois ans de travaux, soit de se limiter à un palais de justice, conseil des prud'hommes et tribunal de commerce restant à Monthyon, pour un total de 370 millions d'euros et quatre ans de travaux.

Nous entendons les craintes légitimes d'une dévitalisation du centre-ville si cette troisième option était retenue. Dans ce cas, le palais Monthyon pourrait accueillir l'École du barreau et une annexe de l'École nationale de la magistrature, pour former les futurs magistrats, greffiers et attachés de justice qui vont être massivement embauchés.

L'enjeu est à la fois symbolique et économique, c'est pourquoi le garde des sceaux a souhaité que la réflexion se poursuive et s'articule autour d'autres enjeux locaux. La concertation initiée par le préfet éclairera la décision du gouvernement.

M. Stéphane Le Rudulier.  - Oui, il faut de nouveaux locaux, plus d'espace, mais le déménagement se justifie principalement pour les juridictions pénales, pas pour toutes les autres juridictions. Si vous délocalisiez toute la cité judiciaire, il faudrait à tout le moins un projet de reconversion des bâtiments actuels.

Le conseil départemental et la métropole Aix-Marseille-Provence ont investi massivement afin de préserver la vitalité et l'attractivité du coeur de ville. La justice doit se dresser fièrement au coeur de la cité, pour incarner l'autorité et l'État de droit.

« Référent écoute » du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

M. Ronan Le Gleut .  - Par arrêté du 30 novembre 2020, un dispositif de recueillement et de traitement des signalements des faits de harcèlement, de discrimination ou d'agissements sexistes ou violents a été mis en place au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, avec la création d'une cellule encadrée par un « référent écoute ».

Des présomptions de faits de cette nature dans divers consulats, notamment au Canada, ont eu de lourdes conséquences tant pour les agents du ministère que pour l'image de la France, avec pour corollaire des difficultés dans le service rendu aux Français de l'étranger.

En mars dernier, l'Assemblée des Français de l'étranger a souhaité auditionner le « référent écoute », mais le ministère a refusé. Je souhaite donc connaître le nombre de signalements, d'enquêtes diligentées, le nombre et la nature des décisions prises à la suite de ces signalements, notamment pour les agents ayant dénoncé ces faits.

Une modification de l'arrêté du 30 novembre 2020 est-elle envisagée afin d'améliorer le fonctionnement de la cellule « référent écoute » ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Veuillez excuser Mme Colonna, en déplacement.

Vous me demandez des chiffres : en 2022, il y a eu 189 signalements, concernant 109 situations, et quinze enquêtes administratives ou mission d'inspection. Dans 98 % des affaires pour lesquelles la direction des ressources humaines a été saisie, une action a été menée - les 2 % restants étant classés. Les cas les plus graves donnent lieu à des enquêtes rigoureuses et indépendantes.

Le principe est : tolérance zéro. Si les faits sont avérés, les mesures correctrices vont jusqu'à la fin de mission, à la sanction disciplinaire ou à l'article 40. Il n'y a pas d'impunité. Nous le devons aux victimes, mais aussi à nos compatriotes car une situation dégradée au sein d'une ambassade ou d'un consulat peut altérer la qualité du service rendu.

Je vous invite toutefois à la prudence avant de vous prononcer sur la foi d'articles de presse. Ces situations sont rarement simples et les responsabilités souvent partagées. Il faut du temps pour aller au bout d'un dossier, mais aucune affaire n'est abandonnée.

M. Ronan Le Gleut.  - Votre réponse partielle révèle l'omerta qui règne au Quai d'Orsay. À Toronto, quatre des cinq agents ayant dénoncé un harcèlement ne sont plus en poste, la cinquième est en arrêt maladie. Circulez, il n'y a rien à voir !

De la même façon, on refuse de nous communiquer la circulaire relative aux relations entre nos postes diplomatiques et les conseillers des Français de l'étranger ; du temps de Philippe Douste-Blazy, elle était publique. Nous allons étudier les moyens que nous offre le Règlement du Sénat pour accéder aux informations que le ministère nous refuse.

Fouilles archéologiques préventives

M. Bruno Rojouan .  - L'obligation légale de réaliser des fouilles lorsqu'un projet d'aménagement ou de construction est susceptible d'affecter le patrimoine archéologique pose des difficultés dans de nombreux territoires ruraux.

C'est le cas pour la communauté de communes de Lapalisse, dans l'Allier : pour un projet d'extension d'une zone d'activités économiques de 1,3 million d'euros, le coût des fouilles archéologiques préventives s'élève à 1,9 million. Soit 150 % du montant des travaux !

Les collectivités ne peuvent de supporter de telles dépenses, sauf à doubler le prix de vente du mètre carré aménagé, bien loin des prix moyens pratiqués sur le territoire.

Et ce cas n'est pas isolé : Dompierre-sur-Besbre et Varennes-sur-Allier ont dû renoncer devant le coût exorbitant des fouilles, Gannat et Creuzier-le-Neuf rencontrent des difficultés. Le développement économique est bloqué, les aides du Fonds national pour l'archéologie préventive (Fnap) étant plafonnées à 50 % du coût prévisionnel.

L'État doit mieux accompagner le développement en zone rurale, qui va être encore plus contraint avec le ZAN (objectif zéro artificialisation nette). Allez-vous faire évoluer le plafonnement des subventions du Fnap, et autoriser le recours à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) pour ce type de projet ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Il faut en effet concilier recherche scientifique, conservation du patrimoine et développement économique et social.

Les communes peuvent interroger en amont les directions régionales des affaires culturelles pour connaître la sensibilité archéologique des terrains. Le financement des fouilles repose essentiellement sur les maîtres d'ouvrage, sur la base de prix établis par les opérateurs. Cependant, les aménageurs peuvent bénéficier d'aides attribuées par le Fnap. Les communes en zone de revitalisation rurale, qui réalisent une zone d'aménagement concerté ou un lotissement destinés à recevoir les constructions éligibles, peuvent donner mandat à l'opérateur de fouilles afin que celui-ci encaisse directement l'aide, évitant une moindre sortie de trésorerie. Par ailleurs, l'impact du coût de la fouille sur l'équilibre financier du projet fait partie des critères d'éligibilité de la subvention.

En moyenne, sur la période 2016-2022, 44 % des fouilles reçoivent annuellement un soutien financier de l'État. En 2022, 53 millions d'euros d'aides ont été accordés.

S'agissant de la communauté de communes de Lapalisse, le diagnostic a révélé une forte densité de vestiges archéologiques, du Second Âge du Fer jusqu'au Moyen Âge central. Après échange avec les collectivités, il a été convenu que l'emprise globale de la fouille serait scindée en trois phases, permettant un échelonnement sur cinq ans. Il n'y a donc pas de dépense de trésorerie immédiate. Mais le Gouvernement considère qu'il faut préserver les fouilles archéologiques.

Transfert d'oeuvres corses dans les musées insulaires

M. Jean-Jacques Panunzi .  - Dans une région à forte identité comme la Corse, la culture, l'histoire, le patrimoine sont des marqueurs importants. Depuis plusieurs années, l'île a développé une politique culturelle et ouvert des musées qui témoignent de son histoire, et qui sont aussi une attraction touristique.

La Corse a longtemps été un carrefour et les fouilles archéologiques attestent de cette richesse. Faute d'infrastructures d'accueil à l'époque, les objets découverts sur son territoire ont été transportés et exposés ailleurs -  ainsi de la statuette du Néolithique dite Venus de Campu Fiureddu, découverte au début du XXe siècle à Grossa, près de Sartène, qui est exposée au British Museum. De même pour des objets et artefacts de l'âge de bronze découverts à Vizzavona ou à Carbuccia, que l'on retrouve en Suisse ou en Italie alors que les musées de Corte, Lévie, Ajaccio ou Sartène pourraient les accueillir, au moins pour un temps partagé, dans le cadre de conventionnements.

Le ministère de la culture a pu intercéder en faveur du retour en Corse de la Madone de Brando le mois dernier parce qu'une vente aux enchères était en cours.

Nombre des oeuvres qui pourraient être conservées en Corse appartiennent à des musées étrangers. Comment procéder pour les rapatrier dans nos musées, sachant que l'environnement juridique est complexe ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Le Gouvernement salue et soutient le développement d'une politique culturelle dynamique en Corse.

Je comprends que les Corses déplorent que la Venus de Campu Fiureddu ou des objets archéologiques trouvés à Vizzavona soient conservés à l'étranger. Ces oeuvres sont parties de Corse à une époque où aucune règle de protection internationale ou nationale n'interdisait ces mouvements. De ce fait, leur situation semble peu contestable en droit : seule la négociation de prêts permettrait leur présentation en Corse.

Beaucoup d'oeuvres ne restent pas dans le lieu où elles ont été créées ou découvertes... Quoi qu'il en soit, ma collègue Rima Abdul-Malak reste très attentive au sort de la Madone de Brando et aux possibilités de retour en Corse, qu'elle a évoquées avec le président du conseil exécutif. Les services du ministère sont pleinement mobilisés auprès de la collectivité de Corse et de la commune de Brando pour trouver une solution respectueuse des droits et intérêts des différentes parties.

Extension des zones tendues

Mme Annick Billon .  - L'article 73 de la loi de finances pour 2023 prévoit un élargissement du zonage de la taxe sur les logements vacants (TLV) aux communes touristiques tendues et une actualisation de la liste des territoires urbains concernés. Or des communes nouvellement entrantes vont perdre le bénéfice de la taxe d'habitation sur les logements vacants (THLV), lorsqu'elles l'avaient mise en place.

C'est la double peine : carence de logements et baisse des recettes. Le Gouvernement s'est engagé devant le président de l'Association des maires de France (AMF) à corriger ces effets. Les communes doivent pouvoir loger convenablement les salariés. Le zéro artificialisation (ZAN) et les exigences énergétiques vont aggraver la situation. Que le ministre du logement dise vouloir « redonner du pouvoir d'habiter aux Français » ne suffit pas ; les annonces de la Première ministre restent insuffisantes.

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Face à l'attrition du nombre de logements dans les communes touristiques, le Gouvernement a prévu l'extension du zonage de la TLV et de la majoration facultative de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS), notamment pour celles où la tension immobilière est forte. Après une phase de consultation, le décret modifiant la liste des communes sera publié prochainement.

Le nouveau zonage se traduit par l'imposition à la TLV des logements vacants, y compris pour les logements situés sur le territoire de communes qui avaient préalablement institué la THLV, à un taux en moyenne plus élevé. De plus, les communes pourront majorer la THRS. Les changements de périmètre pourraient avoir des conséquences budgétaires pour certaines. L'examen du projet de loi de finances pour 2024 sera l'occasion d'apporter les ajustements nécessaires.

Mme Annick Billon.  - Aux Sables-d'Olonne, les recettes ne seront pas totalement compensées. Les communes doivent pouvoir loger les salariés.

Suppression de la CVAE

M. Thierry Cozic .  - La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a été décidée par le Gouvernement contre l'avis unanime des collectivités. La main sur le coeur, on nous a promis une compensation à l'euro près. Mais les promesses n'engagent que ceux qui y croient... L'Association des maires de France constate que, dans certaines collectivités, les compensations envisagées sont très insuffisantes. L'engagement n'est pas tenu, il manque 650 millions d'euros.

À l'heure du changement climatique, le Gouvernement a trouvé une solution bien surprenante : réserver 530 millions sur les 2 milliards d'euros du fonds vert à la compensation de la suppression de la CVAE. La circulaire du 14 décembre 2022 adressée aux préfets est explicite. Cela rendra l'accès au fonds d'autant plus difficile pour les collectivités bénéficiant de la compensation.

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Le Gouvernement est conscient des effets de l'inflation et de la revalorisation du point d'indice sur le budget des communes. C'est pourquoi nous avons instauré à l'été 2022 un filet de sécurité inflation, doté de 430 millions d'euros.

La suppression de la CVAE prolonge la baisse des impôts de production, pour préserver notre compétitivité. Elle est compensée par l'affectation aux collectivités, à compter de 2023, d'une fraction de TVA pérenne et dynamique. La compensation aboutit à une ressource en hausse de plus de 20 % cette année.

En matière énergétique, le Gouvernement a protégé les collectivités avec le bouclier tarifaire et l'amortisseur électricité. De plus, le bloc communal bénéficie cette année de la revalorisation forfaitaire des bases d'imposition de 7 %.

Enfin, la dotation globale de fonctionnement (DGF) augmente de 320 millions d'euros : plus de 90 % des communes ont une DGF stable ou en augmentation. Une telle hausse est inédite depuis treize ans.

S'agissant du fonds vert, je vous répondrai précisément par écrit.

Interdiction des chaudières à gaz

M. Jean-François Longeot .  - Le gaz fournissant jusqu'à 50 % des besoins d'énergie en hiver, la suppression des chaudières à gaz sera facteur d'instabilité. Renoncer au gaz, c'est renoncer à des capacités pilotables pour les jours les plus froids. Les pompes à chaleur (PAC) hybrides - électriques et à gaz - permettent de diminuer la consommation de gaz tout en préservant l'équilibre du système électrique : pourquoi se priver d'un tel outil de flexibilité ?

L'interdiction des chaudières à gaz aurait des effets dévastateurs sur la pointe électrique et sur la sécurité d'approvisionnement. Les écarts offre-demande pourraient atteindre 30 à 50 gigawatts lors des pointes hivernales en 2050, voire davantage. De très lourds investissements sur le réseau électrique seraient nécessaires, entre 750 et 1 000 milliards d'euros à l'horizon 2050, contre 150 milliards d'euros pour le développement des gaz verts.

Que pensez-vous de l'interdiction d'installation des chaudières au gaz dans les logements ? Comment comptez-vous assurer la résilience de notre système énergétique ?

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie .  - L'objectif de neutralité carbone est un défi immense ; il n'y a pas de formule magique. Entre autres, nous devons assurer notre souveraineté et ne plus dépendre d'énergies importées. Ainsi, MaPrimeRénov' ne subventionne plus les nouvelles chaudières au fioul ou au gaz, tandis que la réglementation énergétique (RE) 2020 empêche l'installation de chaudières au gaz ou au fioul dans les bâtiments neufs.

La sortie progressive du gaz doit répondre à trois principes : avoir des solutions alternatives décarbonées - elles existent -, prendre en compte les contraintes techniques locales et associer les acteurs de la filière.

Pour accélérer la production de biogaz, la ministre de la transition énergétique va bientôt revaloriser son tarif d'achat, mais le gisement de biomasse sera durablement limité et il doit être orienté vers les secteurs avec le moins de solutions alternatives.

Décarboner nos bâtiments est une des priorités du Gouvernement, mais jamais au détriment de la résilience de notre système énergétique.

Parcoursup

M. Stéphane Sautarel .  - Parcoursup, censé compenser les défaillances de l'admission post-bac, généralise en fait la sélection aléatoire, tout en créant du stress. Les bacheliers des filières professionnelles et technologiques sont les premières victimes. Nombre de bacheliers arrivent dans une filière dans laquelle ils ne sont pas à leur place, ce qui les conduit à l'échec scolaire. La Cour des comptes soulignait en 2020 l'opacité des procédures et des algorithmes. Parcoursup, traduction d'un examen algorithmique des dossiers, déshumanise les candidatures et crée stress et inégalités.

Dans le domaine de la santé et des soins infirmiers, les conséquences sont plus lourdes encore. À l'heure où les professions médicales font défaut dans notre pays, il faut préserver notre système éducatif en santé. À l'Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) d'Aurillac, entre 2014 et 2019, plus de 83 % des étudiants passaient en deuxième année, contre 57,2 % en 2021 et 2022. Les abandons augmentent.

Envisagez-vous une solution alternative à Parcoursup ? Que prévoyez-vous pour le système éducatif en santé, en particulier pour les infirmiers ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Vous avez choisi de ne présenter que les défauts de Parcoursup. Pourtant, ce système a été facteur de progrès. D'après une étude de septembre dernier, 58 % des lycéens ont une expérience conforme à leurs attentes, voire positives ; 72 % des lycéens sont satisfaits des réponses données à leurs voeux, et 68 % des délais - soit deux et quatre points de plus que l'année précédente.

Certes, nous devons continuer à lutter contre le stress ressenti dans cette phase de choix. Nous avons amélioré l'information sur les critères d'examen des voeux par les commissions des enseignants. Car, non, Parcoursup n'est pas un algorithme : ce sont bien des enseignants qui examinent les dossiers. Nous réduisons aussi la phase principale d'examen.

Concernant les Ifsi, le ministère de la santé a lancé une concertation, pour une réforme de la formation dès la rentrée 2024. Parcoursup n'est pas responsable de toutes les difficultés. De plus, nous avons amélioré la plateforme pour mieux informer les candidats.

M. Stéphane Sautarel.  - Sortez du déni : le stress n'est pas un ressenti, mais une réalité, notamment pour les professions de santé. Comme partout, il faut remettre de l'humain !

Directeurs d'écoles privées sous contrat

M. Stéphane Piednoir .  - Plusieurs directeurs d'écoles privées sous contrat m'ont interpellé sur la dégradation de leurs conditions d'exercice. Leur constat alarmant est confirmé par la hausse des demandes de disponibilité et de congé, des démissions et des ruptures conventionnelles.

Ce malaise résulte de plusieurs facteurs : absence de médecine du travail, manque de ressources humaines et matérielles, notamment pour l'accompagnement des élèves en situation de handicap, surcharge de travail. La décharge de direction est insuffisante pour leur permettre de répondre aux nombreuses injonctions administratives qui leur incombent. En outre, compte tenu des difficultés liées au statut des enseignants suppléants, les remplacements sont de plus en plus difficiles à assurer.

Ces enseignants et chefs d'établissement ont à coeur de bien faire leur métier au service des élèves, mais estiment manquer de moyens. Comment le Gouvernement envisage-t-il d'y remédier ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Les chefs d'établissement de l'enseignement privé sous contrat ne sont pas recrutés par le ministère mais pas la structure porteuse de leur établissement. Ils ne sont donc pas liés, pour leur fonction de chef d'établissement, par un contrat avec l'État.

Dans le premier degré, ils bénéficient des mêmes décharges de direction que dans le public ; ils sont, à ce titre, pris en charge par l'État. Dans le second degré, les maîtres qui souhaitent assurer des fonctions de chef d'établissement peuvent réduire leur service d'enseignement dans des conditions favorables, afin de garder un lien avec l'État et leur métier d'enseignant.

Par ailleurs, les forfaits versés par la puissance publique permettent la prise en charge des personnels d'accompagnement éducatif ou administratif ; ils sont calculés par référence au coût d'un élève du public. La rémunération des chefs d'établissement est intégrée dans le forfait d'externat.

S'agissant des accompagnants d'élèves en situation de handicap, l'État assure leur mise à disposition dans les établissements pendant le temps scolaire, sans différence entre public et privé.

Enfin, les maîtres délégués et auxiliaires bénéficieront dans les prochains mois d'une revalorisation, ainsi que d'une partie des revalorisations transversales destinées à tous les enseignants.

Gratification du bénévolat

Mme Catherine Belrhiti .  - Le bénévolat ne fait l'objet d'aucun statut ni définition juridique. En 1993, le Conseil économique et social a défini le bénévole comme une personne s'engageant librement pour mener une action non salariée au bénéfice d'autrui, en dehors de son temps professionnel et familial. Le bénévolat peut être informel - lorsqu'on aide son voisin - ou formel, notamment dans un cadre associatif.

La Cour de cassation admet que le travail accompli par une personne en vue de sa propre insertion sociale puisse lui valoir un pécule et des avantages, sous réserve qu'il ne constitue pas une relation de salariat, mais ce dispositif est très isolé. De manière générale, le bénévolat est sous-valorisé, dans toutes les catégories d'âge et d'activité.

Pour remercier les millions de bénévoles de leur engagement, il serait possible de leur offrir une gratification, sous des formes diverses : chèques vacances, droits à la retraite, chèques emploi-service universels préfinancés... Le désintéressement de nos bénévoles ne justifie pas l'ingratitude !

Comment le Gouvernement entend-il remercier les bénévoles de tous les services qu'ils rendent au quotidien ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels .  - En effet, aucune définition légale du bénévolat n'existe. Néanmoins, le sens commun le considère comme une activité accomplie sans contrepartie. La Cour de cassation le définit comme une activité permanente ou occasionnelle, à temps plein ou partiel, exercée spontanément et de plein gré en l'absence de subordination juridique et de contrepartie financière.

Sont admis, en revanche, le remboursement de frais engagés par le bénévole, dûment justifiés, des aides destinées à compenser des sujétions et l'octroi de biens de valeur symbolique en lien avec l'activité exercée. Aucune autre forme de gratification ne saurait être accordée, au risque de faire basculer une situation de bénévolat vers une relation de salariat. Une entreprise qui recourt à de faux bénévoles est passible d'une condamnation pour travail dissimulé.

Mme Catherine Belrhiti.  - Votre réponse ne me satisfait pas. Les bénévoles sont une espèce en voie de disparition : nous devons trouver des solutions pour les encourager et les fidéliser !

Avenir des missions locales pour l'emploi

M. Serge Mérillou .  - Le 1er janvier prochain, France Travail remplacera Pôle emploi. Quid de l'intégration des missions locales pour l'emploi à ce nouvel écosystème ?

Depuis plus de quarante ans, ces structures luttent contre l'exclusion et l'isolement des jeunes, notamment dans le monde rural. Leur connaissance du terrain, nourrie par la participation à leur gouvernance des élus locaux, leur permet de répondre aux besoins de chaque jeune.

En Dordogne, les cinq missions locales assurent un maillage efficace du territoire. L'année dernière, plus de 60 % des publics suivis dans le département n'étaient pas inscrits à Pôle emploi.

La transformation de ces acteurs de proximité en France Travail Jeunes risque d'entamer leur autonomie dans la gestion des problématiques de santé, de logement, de mobilité et de budget touchant les jeunes. À l'heure où les services publics désertent nos territoires, les missions locales favorisent l'égalité des chances. Les coupler à un algorithme d'orientation désincarné serait un non-sens et un obstacle supplémentaire pour des jeunes déjà exclus. Rien ne remplacera l'humain !

Faisons confiance aux agents des missions locales, dont l'expertise n'est plus à démontrer. Quelles garanties et assurances pouvez-vous apporter sur la préservation de l'autonomie de ces structures ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels .  - Je connais l'utilité des missions locales, qui assurent un accompagnement de grande qualité auprès des jeunes en difficulté. Elles sont naturellement appelées à continuer à jouer ce rôle dans le cadre de France Travail.

Devenues France Travail Jeunes, opérateur associé à l'opérateur principal, elles auront pour mission d'accompagner les jeunes qui en ont le plus besoin, en travaillant aussi sur les freins périphériques, pour les faire gagner en autonomie et les ramener vers l'emploi. Les jeunes seront orientés vers France Travail Jeunes selon des règles définies dans le cadre du contrat d'engagement jeune.

France Travail Jeunes contribuera à l'élaboration de la feuille de route annuelle pour chaque territoire, qui détaillera notamment les objectifs en matière de repérage, d'accompagnement et de retour à l'emploi. Ces feuilles de route seront examinées par les comités locaux France Travail, coprésidés par l'État et les collectivités territoriales.

Le nouveau schéma de gouvernance ne modifiera pas la contractualisation entre les missions locales et leurs financeurs : le conventionnement direct avec l'État et les collectivités sera maintenu. De même, les structures France Travail Jeunes pourront continuer d'assurer le pilotage de projets contractualisés.

Ainsi, les missions locales, étroitement intégrées dans France Travail, continueront d'assurer leurs missions d'accompagnement, dans le cadre d'un écosystème rationalisé et fondé sur des objectifs communs.

Conditionnalité du RSA

M. Hervé Gillé .  - Pour une personne seule, le RSA s'élève à 607,75 euros. Ce dispositif bénéficie à 3,85 millions de personnes.

Le Gouvernement envisage de conditionner le versement du RSA au suivi de parcours intensifs de quinze à vingt heures par semaine. Où en êtes-vous de ce projet ? Il faut évaluer attentivement les risques et s'assurer que les politiques menées favorisent une réinsertion durable plutôt que des résultats de court terme.

La conditionnalité du versement du RSA est en cours d'expérimentation dans plusieurs départements. Nous espérons que le Gouvernement adaptera sa politique en fonction des conclusions de cette expérimentation.

Allez-vous renationaliser le RSA, remettant en cause la place des départements dans l'organisation de son versement ? Ou placer les départements sous tutelle ?

Les discussions doivent se poursuivre pour soutenir réellement l'autonomie des allocataires, tout en laissant les départements mener une véritable politique de proximité.

Allez-vous imposer votre réforme aux départements et poursuivre une politique coercitive d'inspiration néolibérale ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels .  - Le chantier France Travail vise à améliorer l'offre de services aux demandeurs d'emploi et aux entreprises. Il concerne tout particulièrement les allocataires du RSA, dont 40 % seulement sont inscrits à Pôle emploi et dont 42 % sont toujours au RSA sept ans après leur première inscription.

Les quinze à vingt heures hebdomadaires évoquées ne sont ni du travail gratuit ni du bénévolat obligatoire, mais du temps consacré à la construction d'un parcours d'insertion professionnelle. Nous tiendrons compte des situations pour répondre aux besoins d'accompagnement de chacun, s'agissant notamment des freins périphériques.

Nous nous appuierons sur les démarches existantes, dont le contrat d'engagement jeune, dont les résultats sont encourageants. Nous avons lancé un vaste exercice de parangonnage européen, qui nous a confortés dans la conviction qu'un accompagnement intensif est un facteur clé de réussite.

L'expérimentation en cours dans dix-huit départements devrait être progressivement étendue, et nous retiendrons les solutions qui auront fait leurs preuves.

M. Hervé Gillé.  - Les conclusions des expérimentations doivent être discutées avec les départements. Remettez-les dans le jeu !

La séance est suspendue à 12 h 20.

Présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.

Salut à une délégation sénatoriale roumaine

M. le président.  - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le garde des sceaux, se lèvent.) Je suis particulièrement heureux de saluer la présence en tribune d'une délégation du Sénat de Roumanie, conduite par M. Titus Corl??ean, président de la commission des affaires étrangères.

La délégation est accompagnée de notre collègue Bernard Fournier, président du groupe d'amitié France-Roumanie.

Cette visite, qui s'inscrit dans le cadre des échanges interparlementaires réguliers qu'entretiennent les sénats français et roumain, portera en particulier sur l'actualité européenne dans le contexte de la guerre en Ukraine, ainsi que sur la francophonie.

Permettez-moi de souhaiter à nos amis roumains un séjour et des échanges fructueux, en formulant le voeu que cette rencontre interparlementaire contribue à renforcer encore les liens d'amitié qui unissent nos deux assemblées. Nous leur souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français ! (Mmes et MMles sénateurs, ainsi que M. le garde des sceaux, applaudissent.)

Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 - Ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire (Procédure accélérée)

Discussion générale commune

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire.

La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Hélas !

M. le président.  - Il a été décidé que ces textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Nous y voici. Après huit mois d'intenses travaux pour sonder les difficultés de l'institution judiciaire et près d'un million de contributions citoyennes, nous sommes réunis à la suite de la remise du rapport des états généraux de la justice. Après deux grandes vagues de concertation et la présentation d'un plan d'action global pour la justice en janvier, voici la première traduction législative de ce plan.

Conformément à l'engagement du Président de la République, je vous présente les projets de loi de programmation et de réforme du statut de la magistrature les plus ambitieux de l'histoire du ministère. Comme je l'annonçais en juillet 2020 en arrivant sur le perron du ministère, j'entends tourner avec vous la page de mauvaises habitudes qui gangrènent notre justice depuis plus de trente ans.

La première de ces mauvaises habitudes consiste à demander plus à la justice en lui donnant toujours moins. Nous mettons un terme au délabrement et à la clochardisation de la justice française.

Une autre mauvaise habitude était une approche parcellaire. La nôtre est globale, touche toutes les matières et utilise tous les leviers - législatif, organique, budgétaire et réglementaire.

La dernière est la pire des habitudes : celle de ne pas placer le justiciable, qu'il soit victime, demandeur ou requérant, au coeur des réformes. Ces projets de loi ont l'ambition de répondre concrètement aux attentes de nos concitoyens, en particulier d'une justice plus rapide. L'objectif est simple : réduire tous les délais de moitié d'ici à 2027.

Notre priorité absolue est de donner les moyens nécessaires à la justice pour qu'elle soit à la hauteur de sa mission. L'article 1er de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice entérine ainsi une hausse inédite des crédits du ministère, qui atteindront près de 11 milliards d'euros en 2027. Sur les cinq prochaines années, la hausse cumulée atteindra 7,5 milliards d'euros, contre 2 milliards sous le quinquennat Sarkozy et 2,1 milliards sous le quinquennat Hollande.

Nous poursuivons par là quatre objectifs : tout d'abord, la mère de toutes les batailles, ce sont les recrutements rapides de magistrats, greffiers, attachés de justice, qui font vivre le ministère de la justice. J'ai souhaité inscrire dans le marbre de la loi 10 000 créations de poste, dont 1 500 postes de magistrat - soit autant que lors des vingt dernières années - et au moins 1 500 de greffier.

Deuxième objectif, la revalorisation : il faut attirer les talents, et cette loi de programmation entérine une hausse de 1 000 euros mensuels dès l'automne pour récompenser l'engagement des magistrats ; la revalorisation des greffiers se fera dans un calendrier propre, à l'automne. Les agents pénitentiaires seront revalorisés de la catégorie C à la catégorie B, et les officiers passeront de la catégorie B à la A. Il était temps de reconnaître le rôle indispensable de la troisième force de sécurité intérieure de notre pays. Je suis fier d'être leur ministre et d'avoir amélioré leur place dans la fonction publique.

Troisième objectif de ces crédits : mener à bien la transformation numérique du ministère. Les magistrats disent souvent être freinés par un réseau qui n'est pas à la hauteur. Il faut instaurer le zéro papier d'ici à 2027, avec des experts informatiques dans toutes les juridictions pour aider lorsque la bécane plante. Les capacités du réseau seront augmentées pour fluidifier les connexions. À terme, un seul compte permettra l'accès à toutes les applications, pour éviter les doublons de saisie. En particulier, le projet Portalis sera mis à jour avec le terrain pour la procédure civile, et nous accélérerons le déploiement de la procédure pénale numérique, avec un chef de file commun, issu de la Chancellerie, en lien avec le ministère de l'intérieur.

La transformation numérique de la justice doit se faire en direction des justiciables. J'annonçais en janvier dernier le lancement d'une application sur smartphone. Sa version du 27 avril dernier permet, entre autres, de savoir si l'on est ou non éligible à l'aide juridictionnelle ou de simuler le calcul d'une pension alimentaire. L'application justice.fr a ainsi été téléchargée plusieurs dizaines de milliers de fois, et montera en puissance au gré de mises à jour régulières.

Quatrième objectif, le programme immobilier du ministère, avec la construction de tribunaux. Il faudra renouveler le parc judiciaire pour accueillir les nouveaux recrutés. Notre stratégie est d'investir massivement dans les tribunaux de demain pour améliorer les conditions de travail de ceux qui servent la justice, au bénéfice, en bout de chaîne, du justiciable.

D'ici à 2027, plus de quarante opérations de rénovation de tribunaux seront menées. Pour le pénitentiaire, malgré les effets de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine, ainsi que les réticences des riverains et des élus, nous construirons 15 000 places supplémentaires d'ici à 2027, dont la moitié sera sortie de terre l'année prochaine. Il y va de la bonne application de ma politique pénale : fermeté sans démagogie, humanisme sans angélisme. Je fais le tour des prisons depuis plus de quarante ans, j'en connais la dégradation. Je n'ai pas de baguette magique, mais une volonté politique forte avec des leviers d'action réalistes et des moyens inédits. Il faut se méfier des solutions miracles...

La construction de prisons est la solution la plus lente, mais la plus sûre. Nous investissons près de 130 millions d'euros par an dans la rénovation, soit deux fois plus que sous le quinquennat Hollande.

Le président Jean-Marc Sauvé l'a indiqué : tout ne se réduit pas aux moyens. Nous allons réformer sans déstabiliser, avec les moyens suffisants.

Premier axe, il faut améliorer l'organisation de la justice. Il faut une approche innovante et pragmatique pour déconcentrer le ministère et laisser plus de latitude aux acteurs de terrain dans leurs délibérations. Cette réforme est essentiellement réglementaire, mais, madame la rapporteure, j'ai souhaité l'inscrire dans le rapport annexé.

L'amélioration de l'organisation des juridictions passe aussi par des expérimentations innovantes. Nous proposons ainsi d'expérimenter un tribunal des activités économiques, car l'organisation actuelle manque de lisibilité, mais aussi une contribution économique, à l'instar de nos voisins européens, afin de lutter contre les recours abusifs et d'inciter à l'amiable. Nous bénéficierons ainsi de l'effet marque, car souvent ce qui est gratuit est perçu comme de moindre qualité. Cette contribution tiendra compte de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande.

Nous devons aussi améliorer nos politiques pénales prioritaires, notamment la lutte contre les violences intrafamiliales, avec des pôles spécialisés, conformément au rapport de grande qualité de Mmes Vérien et Chandler. Cette nouvelle organisation inscrite dans le rapport annexé sera traduite dans un décret qui vous sera transmis et pris à l'été.

Le deuxième axe est la modernisation des ressources humaines de la Chancellerie. Le plan de recrutement devra correspondre aux besoins du terrain, les ressources devant être adaptées à la diversification des fonctions. Les contractuels réalisent un travail formidable, et ont participé à la baisse du stock d'affaires civiles de près de 30 % pour la première fois depuis des décennies, dans presque toutes les juridictions. Moins de stock, c'est moins d'attente pour nos concitoyens. La loi de programmation CDIse ces emplois et crée la fonction d'attachés de justice, formés à l'École nationale de la magistrature (ENM), prêtant serment, et qui font partie de l'équipe réunie autour du magistrat.

Enfin, nous souhaitons répondre au plus près aux besoins des établissements pénitentiaires avec le recrutement par contrat de surveillants adjoints. Ce dispositif a fait ses preuves au ministère de l'intérieur.

La modernisation des ressources humaines est au centre du projet de loi organique, avec la réforme du statut de la magistrature, autour de trois axes.

Tout d'abord, il faut faciliter l'accès à la magistrature, en créant des magistrats en service extraordinaire et de nouvelles voies d'accès, notamment en simplifiant l'accès pour les avocats et en professionnalisant le recrutement avec un jury professionnel. Le maintien du principe du concours républicain garantira l'excellence du niveau de recrutement. Les magistrats à titre temporaire sont, eux, cruciaux pour la politique de l'amiable et les cours criminelles départementales.

Il faut simplifier la gestion des ressources humaines, en pérennisant par exemple les brigades de soutien de magistrats et greffiers à Mayotte et en Guyane et en mettant en place des priorités d'affectation des magistrats ayant accepté de partir dans des territoires peu attractifs. La création d'un troisième grade permet de conserver des magistrats d'expérience et d'améliorer la qualité de la première instance, conformément aux voeux du président Sauvé.

Le deuxième point de la réforme statutaire est la modernisation, notamment celles du dialogue social et du mode de scrutin au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Enfin, il faut responsabiliser le corps judiciaire, avec l'élargissement des conditions de recevabilité des plaintes contre les magistrats, et des pouvoirs d'enquête du CSM via la saisine de l'inspection générale de la justice.

Le troisième chantier de la réforme est la simplification de procédures pénales ou civiles. Je veux simplifier la procédure d'appel en réformant le décret Magendie, et réaliser la révolution de l'amiable, qui se fait tant attendre. Ces réformes sont de niveau réglementaire, mais j'ai transmis à la commission des lois le projet de décret pour que nous puissions échanger sur ces projets, dans un temps plus long - il sera pris à l'été pour une entrée en vigueur le 1er octobre.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Nous ne l'avons pas reçu !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Ma porte est grande ouverte. En matière pénale, nous devons lancer ensemble le chantier titanesque de la simplification de la procédure pénale à droit constant, pour rendre le code plus lisible pour les professionnels. Nous devons regrouper des textes épars pour éviter les erreurs procédurales.

J'ai mis en place un comité scientifique, et je vous proposerai la mise en place d'un comité de suivi composé de parlementaires de tous les groupes politiques, et des présidents des deux commissions des lois. Le contrôle de la commission supérieure de codification et du Conseil d'État imposera au Gouvernement de respecter la lettre et l'esprit de l'habilitation octroyée par le législateur. Le nouveau code de procédure pénale n'entrera pas en vigueur avant sa ratification, conformément à la volonté de votre commission.

Enfin, nous vous proposons des mesures concrètes immédiatement applicables : des mesures améliorant l'efficacité de l'enquête pénale, l'extension des travaux d'intérêt général (TIG) aux entreprises de l'économie sociale et solidaire, l'extension du champ des infractions recevables pour une indemnisation des victimes.

Je salue les membres de la commission des lois, son président et ses rapporteurs : nous partageons l'ambition commune de replacer la justice à la hauteur des attentes des Français, au nom de qui elle est rendue. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Daniel Chasseing et Pierre Louault applaudissent également.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) La justice n'est pas épargnée par la défiance des Français à l'égard des institutions. Cette défiance n'a pas été endiguée par les six réformes législatives votées depuis 2017, la dernière il y a un an et demi, qui n'ont pas résolu les crises, comme l'établit le rapport Sauvé à l'issue des états généraux de la justice : cette situation découle « d'un malaise profond aux origines lointaines » que « l'ordonnancement juridique actuel plus kaléidoscopique que pyramidal » n'apaise pas.

Les états généraux ont fait naître un nouvel espoir. La loi de programmation et d'orientation de la justice et la loi organique en sont les traductions législatives. Toutefois, certaines dispositions restent en deçà de l'ambition, comme la réforme du témoin assisté ou l'exclusion des greffiers de l'équipe autour du magistrat.

L'effort budgétaire de 6,8 %, en euros constants, de 2023 à 2027 est assurément bienvenu, pour financer les 1 500 magistrats et les 1 500 greffiers promis. Nous avons souhaité augmenter le nombre de greffiers recrutés, et flécher le recrutement de 600 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP).

Il faut une réforme en profondeur de l'organisation du travail des magistrats et une simplification des procédures. Cela passe par la réorganisation du corps judiciaire. La commission des lois a souhaité renforcer l'ouverture du corps judiciaire, en prévoyant que les magistrats constituent moins de la moitié des membres du jury professionnel.

La réforme des trois grades et les durées minimale et maximale d'affectation, ajoutées par la commission des lois, y participent également.

Enfin, nous avons voulu renforcer le rôle des chefs de cour d'appel dans le respect du principe d'inamovibilité des magistrats, corollaire de leur indépendance. En contrepartie, l'évaluation à 360 degrés des chefs de cour et de juridiction sera alignée sur d'autres évaluations similaires pour la haute fonction publique.

La responsabilité des magistrats judiciaires sera consolidée grâce à une clarification de la faute disciplinaire et à un renforcement de l'échelle des sanctions. Il faut une évaluation de la charge réelle de travail, attendue depuis fin 2022 - c'est un serpent de mer - pour faire en sorte que les moyens répondent aux besoins.

L'équipe autour du magistrat, qui était très attendue, est réduite à la portion congrue, sans les greffiers, loin des préconisations du rapport de Dominique Lottin.

La simplification des 2 400 articles du code de procédure pénale est unanimement désirée, mais elle doit poser des questions de fond, entre autres, sur l'instruction, l'unification des enquêtes et la place des parquets. L'habilitation sollicitée n'emporte pas l'adhésion naturelle du Sénat : nous souhaitons en contrôler les effets lors de la ratification. En outre, comment réécrire le code sans modifier le fond ni prendre en compte la jurisprudence du Conseil constitutionnel ?

L'ordonnance ne sera donc qu'une étape ; c'est pourquoi la commission des lois propose d'en repousser d'un an l'entrée en vigueur afin de laisser le temps de la ratification et simplifier vraiment le code de procédure pénale. La commission des lois y prendra sa part de responsabilité. Réformons, en éloignant de nous l'immobilisme et de l'agitation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) S'il est utile que le projet de loi organique ouvre la magistrature et augmente le recrutement, entendons la défiance exprimée à l'égard de la justice, certains pensant les juges intouchables. Avec 3 224 saisines du CSM ces dix dernières années pour 88 jugées recevables, 7 plaintes renvoyées et 0 sanction, on pourrait le croire.

C'est pourquoi l'article 8 élargit la recevabilité des plaintes des justiciables et supprime la nécessité d'articuler les griefs, inconnue du justiciable lambda.

La commission a supprimé l'audition systématique du magistrat, a clarifié la faute disciplinaire et renforcé l'échelle des sanctions.

Sujet qui n'est pas anecdotique, il faut désormais un master 2 pour exercer le métier d'avocat. Cependant, le décret ne précise pas le niveau nécessaire pour intégrer l'école de formation : 8 % le font dès le master 1. Pourquoi s'en priver ? Nous proposons de modifier le décret en ce sens.

Ensuite, je salue personnellement l'inscription des pôles Violences intrafamiliales (VIF) dans le rapport annexé, à la suite du plan Rouge VIF que nous avions remis le 22 mai dernier avec Émilie Chandler. Avec ma corapporteure, nous n'avons pas déposé d'amendements modifiant le rapport annexé, pour éviter d'en faire un inventaire à la Prévert ; nous souhaitons lui conserver son statut d'orientation. Nous serons donc défavorables à certains amendements, même issus du plan Rouge VIF (Mme Marie-Pierre de LGontrie le déplore), soit parce que ce sont des éléments réglementaires, soit parce qu'ils relèvent du projet de loi de finances (PLF), soit à cause de l'article 45.

Ce texte réforme la justice commerciale, à la suite du rapport de nos collègues François Bonhomme et Thani Mohamed Soihili, avec l'expérimentation des tribunaux des activités économiques. Nous l'avons rendue plus ambitieuse en l'étendant à tous les corps de métier et en permettant de la conduire dans des conditions réelles, avec des juges consulaires issus des différentes professions.

Le Sénat est favorable de longue date à la contribution pour la justice économique - je renvoie au droit de timbre prévu par le rapport Bas de 2017. Attention toutefois à son montant, qui ne doit pas être un frein à l'accès de la justice. Le barème affiné pour ne pas pénaliser les petites entreprises doit s'accompagner d'une extension de l'aide juridictionnelle aux personnes morales, que nous n'avons pu créer du fait de l'article 40.

De même, seule une loi de finances peut flécher la contribution pour la justice économique : cela serait utile, car les juges consulaires, au-delà du bénévolat, font figure de quasi-mécènes. Devoir payer pour travailler, c'est trop injuste...

Il vous reste du travail, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Heureusement ! (Sourires)

Mme Laurence Harribey .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) « Dégradation de l'institution judiciaire », « souffrance du personnel », « incompréhension des justiciables » : tels sont les mots du rapport issu des états généraux de la justice. Ces deux textes ne sont pas une réforme systémique ; ils ne sont que la traduction chronologique des états généraux.

La question carcérale, objet d'un seul article, est l'une des grandes oubliées de la réforme : elle se résume à l'augmentation de places de prison, corrélée avec le risque de récidive selon les études.

Autre point oublié, la question des violences familiales : on reste bien en deçà des besoins.

Nous regrettons aussi l'engagement de la procédure accélérée alors que ces textes apparemment techniques sous-tendent parfois un véritable changement de paradigme et nous sommes dubitatifs sur le rapport annexé, qui peut être une manière de se défausser.

Sur le principe, nous sommes défavorables aux ordonnances. Il est difficile de l'éviter pour réécrire le code de procédure pénale, mais il faut encadrer ce report : le report d'un an est un premier pas, il faut aller plus loin.

Il y a bien urgence à avancer. Nous abordons donc l'examen du texte dans un esprit constructif et saluons l'adoption par la commission de certains de nos amendements. L'augmentation budgétaire est significative, mais nous serons vigilants sur son effectivité.

Sur le thème de la justice plus rapide, nous nous interrogeons sur l'article 3 de la loi d'orientation et de programmation : le renvoi de procédures au juge des libertés et de la détention (JLD) nous semble attentatoire aux libertés, de même que les perquisitions de nuit, le délai de détention provisoire et de garde à vue, l'assignation à résidence avec surveillance électronique (Arse), ou encore les écoutes, la captation d'images et la géolocalisation. Nous avons déposé des amendements.

La réforme de la justice économique, qui suscite de nombreuses réserves, n'est pas mûre.

Enfin, les nouveaux attachés de justice doivent être de réels appuis pour donner du sens à l'équipe autour du juge, à laquelle nous souscrivons.

Concernant la loi organique, il faut bien garantir l'ancrage sociétal et la diversité des candidats à la magistrature, mais ne déséquilibrons pas la composition du corps et veillons à ce que la durée des formations et du stage probatoire ne soit pas contre-productive.

Nous serons vigilants sur le sort de la commission d'avancement et la constitution du jury.

Enfin, nous regrettons que le texte renonce à appliquer l'article 56 de la loi Sauvadet de 2012 pour les nominations aux plus hauts postes.

Nous saluons l'augmentation des moyens, mais regrettons que le texte soit en deçà de la réforme systémique préconisée par les états généraux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman .  - L'élaboration de ces deux projets de loi n'est pas constructive : le recours à la procédure accélérée est un signe de récidive du Gouvernement. Nous regrettons aussi que le dialogue social ait été négligé, et déplorons l'élaboration de normes législatives et réglementaires à la hâte. Nous multiplions ainsi les textes mal ficelés, vecteurs d'insécurité juridique et difficiles à appliquer.

Nous souscrivons donc au constat des deux rapporteures d'une traduction approximative des états généraux de la justice. Notre groupe est sur la réserve.

Le projet de loi d'orientation et de programmation affiche l'objectif d'une justice moderne, plus rapide et plus claire. Nous regrettons l'absence d'endiguement de la population carcérale : la construction de 15 000 places de prison est insatisfaisante. Il n'y a rien sur la régulation carcérale ni sur le suivi en milieu ouvert. L'assignation à résidence n'est pas une solution pour la réinsertion. Le nombre de détenus atteint des records, les conditions de détention sont indignes.

Il faut sortir des réponses populistes attendues par une certaine presse en soif de vengeance plutôt que de justice, et mobiliser l'humanité de chacun plus que son animalité. Notre groupe se fait le relais législatif de ces exigences, en proposant d'introduire par amendement la proposition de loi de la présidente Assassi sur la surpopulation carcérale. La dignité n'est pas le prix de la sanction pénale, et les droits fondamentaux ne sont pas une option.

Le recrutement de magistrats et de greffiers demeure insuffisant. Nous sommes réservés sur le recrutement massif d'attachés de justice, des urgentistes qui ne combleront pas le manque de magistrats à long terme. La justice est un service public exigeant, qui suppose des magistrats formés.

Nous nous opposons à certaines dispositions relevant de la réforme de la procédure pénale, que nous proposons d'amender.

Nous nous opposons aussi à la réforme asynchrone de la justice commerciale.

Enfin, le projet de loi organique, présenté comme l'une des plus importantes réformes statutaires depuis 1958, vise l'ouverture du corps judiciaire sur l'extérieur, la modernisation de l'institution et la responsabilisation accrue des magistrats. Si nous approuvons certains de ces objectifs, nous restons sur notre faim.

Ainsi, les fonctions d'encadrement sont valorisées au détriment de la grande majorité des magistrats qui exercent exclusivement des fonctions juridictionnelles.

L'ouverture du corps judiciaire sur l'extérieur se résume à une simplification des voies de recrutement. Les avancées sont maigres : la magistrature ne saurait devenir une voie de repli. Sa philosophie, sa pratique ne sont pas celles de l'avocature.

Nous faisons confiance au travail en séance et sommes satisfaits de certaines améliorations apportées en commission. Nous réservons notre vote à l'issue des travaux, mais ne doutons pas que le travail sera constructif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous vous savons gré, monsieur le ministre, des moyens supplémentaires obtenus, résultat d'arbitrages qui traduisent une volonté politique. Nous vous en donnons acte. Cependant, tout n'est pas qu'une affaire comptable.

Notre groupe est d'autant plus favorable aux orientations du texte que nous avons été associés à sa préparation : nous savons combien Dominique Vérien y a travaillé avec Agnès Canayer.

Nous mesurons à quel point, dans le monde judiciaire, tout est dans les détails. Au-delà des beaux discours d'audience de rentrée, c'est dans la mise en oeuvre que le bât blesse.

Le projet de loi organique ouvre l'accès à la magistrature, conformément aux évolutions de la société. Vous changez de registre sur le plan quantitatif, avec de nombreux recrutements. Se pose en parallèle la question qualitative. Si je ne doute pas des qualités techniques des candidats - la science juridique est fort bien enseignée - la fonction de magistrat, comme celle de médecin, exige des qualités humaines. Vos propositions concernant les jurys et les concours nous semblent adaptées.

Vous souhaitez une évaluation à 360 degrés des magistrats : cela pose la question de la gestion des ressources humaines, point faible de la Chancellerie. Vous en avez conscience, de même que de ses faiblesses informatiques. Le simple fait de s'attaquer à ces sujets est important. La notion d'équipe du magistrat y contribuera, pourvu qu'on l'interprète de façon souple.

Vous proposez également une évolution du régime de responsabilité des magistrats, et de la notion de faute disciplinaire : le sujet est attendu par la société. L'analyse du rapport du CSM laisse perplexe, notamment au regard du nombre de plaintes qui lui sont adressées et de leur résultat. Les modifications proposées sont raisonnables et pondérées.

La commission a prévu une reconduction par moitié des personnalités qualifiées du CSM, afin d'assurer un tuilage entre les mandatures. Le rapport rédigé à la fin de la dernière mandature illustre ce besoin d'assurer une continuité des jurisprudences.

Quelques mots sur le projet de loi ordinaire. La commission des lois vous demande un peu plus de précision sur la répartition des emplois.

L'article 2 ordinaire habilite le Gouvernement à procéder par ordonnance. Sur le principe, nous y sommes défavorables, mais toute règle a une exception. Quelles seraient les alternatives ? Nous pourrions demander un rapport au Conseil d'État, mais la procédure pénale n'est pas son terrain de jeu et la Cour de cassation n'est pas spécialisée en matière de légistique. Nous pourrions aussi recourir à des parlementaires en mission, mais six mois n'y suffiront pas.

Je ne vois pas d'autre solution que l'ordonnance. Attention toutefois à ne pas confondre lisibilité et simplification, monsieur le ministre : lors de votre audition, vous évoquiez tantôt l'un, tantôt l'autre. La réécriture à droit constant relève de la lisibilité. En revanche, les magistrats et les forces de sécurité attendent une simplification des procédures, ce qui n'est pas possible à droit constant. Il faudra faire les deux.

Le comité scientifique qui assumera le travail de bénédictin de recodification devra aussi identifier, en cheminant, les sujets qui méritent simplification. Le comité de parlementaires que vous souhaitez associer aura toute légitimité sur ce volet. Il y a une articulation à trouver entre une meilleure lisibilité du code de procédure pénale et sa vraie simplification : c'est le sens de l'amendement porté par le rapporteur.

Nous approuvons l'expérimentation des tribunaux des activités économiques, qui libérera des magistrats pour d'autres tâches. L'intégration de professions réglementées est de bon aloi, la spécialisation en matière de baux commerciaux est justifiée. Concernant le droit de timbre, il n'y a que des avantages à montrer que la justice n'est pas gratuite.

Je vous renvoie à mes travaux sur les conseils de juridiction. Sortons de la méfiance réciproque entre monde politique et monde judiciaire. Le dialogue plutôt que le duel !

Nous resterons vigilants sur l'article 17 et la simplification pour les saisies-arrêts. Je suis curieux de voir ce que vous mettez derrière l'ordonnance en matière de publicité foncière.

Concernant les perquisitions et l'activation à distance, le texte me paraît correctement rédigé. Avec la multiplication des applications cryptées, il n'y a pas d'autre solution si l'on veut tracer les éléments, sous le contrôle des juges des libertés et de la détention (JLD).

Il vous reste du travail, disait Mme Vérien. Je dirai plutôt : il nous reste du travail. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. Stéphane Ravier .  - Monsieur le ministre des détenus, la parole est à la défense du peuple français. (Marques d'ironie sur plusieurs travées au centre et à gauche) Les justiciables sont dans l'incompréhension face à l'augmentation de l'insécurité, première des injustices. Les délais s'allongent, les peines de substitution se multiplient et les places de prison manquent toujours. Alors que 73 000 personnes sont incarcérées en France, pour 60 900 places, près de 17 000 places, soit 23 %, sont occupées par des étrangers. (Mme Michelle Gréaume s'insurge.) Le désengorgement de nos prisons commence par leur expulsion.

Les citoyens français veulent une justice ferme et efficace, que l'on restaure l'ordre dans les prisons où règne la violence.

Les magistrats sont soit politisés, soit découragés. Le Syndicat de la magistrature, qui préfère les murs des cons aux murs de prison, incarne la politisation de la justice, on l'a vu encore à Mayotte. Les autres magistrats sont contraints au laxisme, faute de places de prison.

Pour y remédier, votre texte propose des places supplémentaires, alors que vous n'avez même pas atteint 6 % de l'objectif du premier quinquennat, avec 400 places sur 7 000. Qui peut croire aux 15 000 places supplémentaires d'ici quatre ans ?

La confiance en la justice ne cesse de reculer, car vous en éloignez le peuple, en supprimant les jurys populaires ou en confiant les nouveaux tribunaux des activités économiques à des magistrats professionnels.

Comment croire que les choses changent quand le garde des sceaux, après s'être autoproclamé « ministre des prisonniers », assume comme une fatalité que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne puissent pas être exécutées ? C'est consacrer la loi du plus fort. Quel bras d'honneur à la famille de la petite Lola, quel signal envoyé aux trafiquants d'êtres humains !

Vous êtes ici sur le banc des ministres mais, en réalité, vous avez déjà démissionné. Après vos trois années à la tête de la Chancellerie, la France est plus que jamais un coupe-gorge.

M. Jean-Yves Roux .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Dès lors qu'il est question de réformer la justice, il est facile de dresser une liste de lieux communs.

Nos juridictions tiennent beaucoup grâce à l'abnégation de nos magistrats. Soulignons les efforts budgétaires qui tendent à replacer petit à petit notre pays à un niveau acceptable, et réjouissons-nous que cette dynamique se poursuive.

Le problème de la justice n'est pas uniquement financier. La justice peine aussi à convaincre les citoyens de son efficacité. Nous avions placé beaucoup d'espoirs dans la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, et il est regrettable qu'une nouvelle loi soit nécessaire, moins de deux ans après. Espérons que nous ne devrons pas à nouveau dresser un constat d'échec.

Sur le fond, la peine de travail d'intérêt général, l'élargissement du champ des infractions recevables de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions, la déjudiciarisation de la procédure de saisie des rémunérations sont des avancées. Reconnaissons que pour réécrire à droit constant le code de procédure pénale, il est pertinent de procéder par ordonnance. La proposition des rapporteures de reporter d'un an son entrée en vigueur est un bon compromis. Les procédures réputées complexes auront-elles disparu pour autant, ou faudra-t-il une nouvelle loi pour simplifier le code nouvellement réécrit ?

Les orientations indiquées dans le rapport annexé sont globalement satisfaisantes. Il faut revaloriser les salaires, recruter, financer les chantiers immobiliers et numériques.

En revanche, nous réservons notre position sur des mesures qui nous paraissent risquées pour nos libertés, comme le recours à la visioconférence pour les interprètes et la téléconsultation médicale en garde à vue.

Idem concernant l'activation à distance des appareils connectés des suspects. S'agissant de crimes et délits particulièrement graves, cela peut se concevoir, mais les avocats s'interrogent sur la confidentialité de leurs échanges avec leurs clients. Nous serons attentifs aux arguments.

Notre groupe est donc plutôt favorable à ce projet de loi, mais notre position pourrait évoluer selon la teneur des débats.

Nous sommes également favorables au projet de loi organique, même si nous relayons les regrets de certains professionnels, notamment du CSM. Il y a toutefois intérêt à simplifier les voies d'accès à la magistrature, tout comme à responsabiliser davantage les magistrats. Les ajustements proposés par la commission nous semblent ainsi bienvenus. Nous voterons pour l'essentiel en faveur de ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Une justice pauvre est une justice faible. L'augmentation du budget de la justice, de 14 %, répond à des attentes anciennes. La justice française, pauvre, lente et parfois opaque, en a cruellement besoin pour remplir sa mission.

Ces nouveaux moyens financiers seront-ils pour autant suffisants pour enrayer la clochardisation de la justice pointée en 2016 par Jean-Jacques Urvoas ? Notre pays attend une réforme en profondeur de la justice, pas seulement de l'institution judiciaire.

Ce projet de loi ne prévoit rien pour restaurer l'effectivité de la chaîne pénale, malgré quelques signaux faibles dont l'efficacité fera débat. Or face à l'explosion des violences et du sentiment d'impunité, la France a besoin d'une révolution pénale, faute de quoi le ministre de l'intérieur sera condamné à vider la mer à la petite cuillère percée.

Cette révolution pénale passe avant tout par la construction de places de prison, seule garantie d'une bonne exécution des peines, pour redonner du sens à la sanction et casser le sentiment d'impunité.

Or le projet de loi contourne l'écueil en généralisant les alternatives à la prison comme les TIG et le bracelet électronique. Au lieu de revenir sur les aménagements de peine, vous les renforcez !

La France est l'un des pires élèves européens en matière de surpopulation carcérale, avec des taux d'occupation de 119 % en prison et de 140 % en maison d'arrêt. Résultat, elle incarcère moins que ses voisins : 105 personnes pour 100 000 habitants, derrière l'Espagne à 123, le Portugal à 124, l'Angleterre à 138. Le président Macron avait promis 15 000 places d'ici 2022, mais n'en a construit que 2 000. Comment réussir en quatre ans ce qu'on n'a pas réussi en six ?

Il y a urgence, sachant que seuls 59 % des personnes condamnées à de la prison ferme sont réellement incarcérées. Des solutions existent pour inciter les maires à accepter un centre de détention sur leur territoire : revalorisation de la DGF, ou comptabilisation des places de prison construites dans le calcul de carence pour les communes concernées par l'article 55 de la loi SRU.

La nécessité de réformer le code de procédure pénale fait consensus. Ce n'est pas ce que propose le projet de loi, qui prévoit une recodification à droit constant, par ordonnance. Il serait plus pertinent de commencer par réformer le code de procédure pénale pour le simplifier, avant de le codifier - sauf à devoir ensuite recommencer l'ouvrage.

La justice est un sujet singulier, qui engage notre conception de l'État et de la démocratie. Il faut donc rechercher une adhésion large. Chacun doit pouvoir dire sa vérité. Trop longtemps, la justice a vécu en vase clos, en cultivant sa complexité, parfois en minorant ses responsabilités. Elle retrouvera la confiance des Français si elle garantit leur sécurité, première des libertés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Depuis le code d'Hammourabi, le droit a structuré nos sociétés. Nous croyons aux vertus de l'État de droit, au respect des libertés individuelles et de la propriété privée.

La confiance des individus dans l'institution judiciaire est clé, or un doute s'est installé. Pour un Français sur deux, la justice fonctionne mal.

Votre ministère souffre d'un mal chronique, Monsieur le ministre. Pendant trop longtemps, il n'a pas fait partie des priorités politiques. La France figure parmi les pays qui investissent le moins dans la justice : 72 euros par habitant en 2020, contre 111 euros au Royaume-Uni, 140 euros en Allemagne. Depuis quelques années, grâce à vous, monsieur le ministre, le budget de la justice est passé de 8,5 milliards d'euros à 11 milliards. C'est à saluer, mais nous partions de loin.

Au 1er avril 2023, le taux d'occupation des prisons était de 120 %. Les moyens manquent encore. La loi de programmation doit permettre de réduire les délais de jugement, d'améliorer les conditions de travail dans les juridictions. Il faut recruter plus de magistrats et renforcer l'attractivité du métier.

Le manque de moyens n'est pas seul en cause. L'inflation normative rend notre droit illisible. Le code de procédure pénale a triplé de volume depuis sa création. Bien plus que le toiletter, il faut le simplifier. Cela ne peut se faire à droit constant. Il faudra notamment trancher la question de la fusion des cadres d'enquête.

S'agissant des libertés individuelles, nous comprenons les inquiétudes vis-à-vis de techniques d'enquête de plus en plus intrusives. Il faut veiller à leur strict encadrement, et en exclure les journalistes, les magistrats et les avocats.

Nous soutenons l'expérimentation des tribunaux des activités économiques pour les procédures relatives aux entreprises en difficulté.

Les saisies sur rémunération seront confiées aux commissaires de justice sous le contrôle des juges, ce qui libérera du temps de magistrats et de greffiers. Nous serons attentifs aux débats que nous aurons en séance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

M. Guy Benarroche .  - (Mme Esther Benbassa applaudit.) La justice, son fonctionnement et ses acteurs, sont essentiels à l'équilibre de la société. Deux ans après la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, nous légiférons à nouveau pour tenter de remédier à la « clochardisation » de la justice.

Si nous partageons ce constat et l'urgence d'agir, notre groupe ne saurait pourtant s'aligner sur la vision du Gouvernement et du Sénat. Certes, le budget est en hausse, mais nous nous interrogeons sur sa répartition et son utilisation.

Pour nous, le « tout carcéral » n'est pas une solution. Une société qui incarcère moins n'est pas moins sécurisante, au contraire, et le coût et l'efficacité des alternatives à la prison plaident en leur faveur. Les conditions de détention indignes, qui ont valu à la France d'être condamnée, ne justifient pas la construction de places de prison supplémentaires : la punition d'exclusion sociale ne peut être découplée de l'objectif de réinsertion. Il aurait fallu présenter au même niveau que la détention des solutions en milieu ouvert et interroger les possibles décriminalisations et dépénalisation.

Ce texte prévoit le recrutement de personnels contractuels moins bien formés pour la pénitentiaire. Vous ayant déjà alertés par le passé, nous ne saurions cautionner ces sucres rapides.

Nous saluons la volonté de faire sortir les assistants de la précarité, mais cela ne saurait pallier le manque de magistrats. On ne peut se contenter de gérer la pénurie.

L'ouverture de la magistrature est essentielle, et nous la saluons ; le terrain la demande depuis longtemps. Mais l'occasion est ratée d'investir dans les sucres lents : un recrutement et une formation massifs à l'ENM.

Les visioconférences ne peuvent pas être la règle : un médecin ne peut juger des conditions de garde à vue à distance, et l'interprétariat à distance gêne les auditions. Comment ne pas voir dans la vidéo-audience un éloignement de la justice et du citoyen ? Notre groupe proposera un droit de visite des parlementaires dans les hôpitaux psychiatriques.

La mise en place de caméras-piétons dans les prisons sans garantie d'accès aux vidéos relève de l'effet d'annonce. Que dire de la transformation des objets connectés en mouchards pour chacun d'entre nous ?

Je le dis souvent, mais treize millions de Français souffrent d'illectronisme, et le tout internet représentera pour eux une difficulté.

Nous saluons l'effort budgétaire consenti et les mesures positives présentes dans ce texte, mais elles ne vont pas assez loin. Nous aurions pu voter ce texte en guise d'encouragement, mais trop de mesures nous semblent négatives. Nous ne voterions pas ce texte en l'état, mais serons attentifs au sort réservé à nos amendements, qui déterminera notre vote. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MmeEsther Benbassa et Michelle Meunier applaudissent également.)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - (M. Frédéric Marchand applaudit.) Les deux textes que nous examinons sont le fruit des travaux des états généraux de la justice, lancés en octobre 2021 par le Président de la République à Poitiers, et dont les conclusions remises en juillet 2022 figurent dans le rapport Sauvé. Ils sont la traduction législative des 60 recommandations issues des états généraux, pour rendre notre justice plus protectrice, rapide et efficace. Le projet de loi d'orientation et de programmation fixe un cap ambitieux : un budget de 11 milliards d'euros en 2027. Je suis à court d'adjectifs pour qualifier cette augmentation de crédits, qui renforcera les moyens humains nécessaires à cette institution, mais également leur revalorisation et leur carrière.

M. Michel Savin.  - Tout va bien !

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Ce seront donc 10 000 personnes qui seront recrutées, avec la création des corps de surveillants pénitentiaires adjoints, ou d'attachés de justice destinés à rompre la solitude des magistrats.

La réforme statutaire accompagnera cette hausse d'effectifs. Elle s'inspire des recommandations des états généraux de la justice et ouvre le corps judiciaire sur l'extérieur, améliore le dialogue social et développe la responsabilité comme la protection des magistrats. La transformation numérique et les chantiers immobiliers du ministère seront également soutenus.

J'entends les réticences sur la création de 15 000 places de prison ; elle est pourtant nécessaire et s'accompagnera de l'extension du champ des TIG et de la libération sous contrainte.

Je ne peux que me réjouir de la reprise expérimentale des tribunaux des activités économiques, qui figuraient dans la proposition de loi ratifiant, modifiant et complétant l'ordonnance du 15 septembre 2021, déposée en novembre 2021 par François Bonhomme et moi-même. La commission a adopté deux amendements de mon groupe associant le Parlement à cette expérimentation.

Dans ce même esprit de rationalisation, vous proposez la réécriture à droit constant par ordonnance de la partie législative du code de procédure pénale. Le comité scientifique chargé d'assurer le suivi de ces travaux sera accompagné d'un comité parlementaire s'assurant du respect de l'habilitation. Nous avons souvent eu le débat selon lequel les prérogatives du Parlement seraient mises à mal par des ordonnances ; à tout le moins, soulignons que les modalités de concertation prévues par ce Gouvernement sont inédites.

Notre groupe soumettra à la Haute Assemblée un certain nombre d'amendements.

Enfin, un sujet me tient à coeur - vous me voyez venir... (Mme Marie-Pierre de la Gontrie le confirme.) En avril dernier, le Sénat avait organisé à la demande du groupe SER un débat sur l'état de la justice dans les outre-mer. J'avais regretté que seulement deux pages et demie des 250 pages du rapport Sauvé y soient consacrées. Entre particularisme géographique, pauvreté, barrière linguistique et insécurité, les outre-mer cumulent les difficultés.

Monsieur le ministre, je connais votre intérêt pour ces territoires éloignés. Comment ces recrutements massifs seront-ils effectifs dans les outre-mer ? Comment les chantiers immobiliers évolueront-ils ? Vous avez annoncé le début en 2025 de la rénovation de l'ancien palais de justice de Guadeloupe et la construction d'une structure d'accompagnement vers la sortie en Martinique. À Mayotte, en mars 2022, vous aviez annoncé la création d'une nouvelle cité judiciaire, d'un second centre pénitentiaire et d'un centre éducatif fermé. Il y a certes un problème de foncier, mais compte tenu des événements récents, il faut rapidement un calendrier de mise en place.

Nonobstant les effets de tribune de certains, qui traduisent mal le travail constructif en commission, le RDPI considère que le Gouvernement a pris la mesure des enjeux - surpopulation carcérale, délais de procédure, accès à la justice - et qu'il propose des moyens et des mesures ambitieux : nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Quel coup de théâtre !

M. Jean-Pierre Sueur .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Il y a dix ans, le Sénat votait à l'unanimité une proposition de loi que j'avais déposée restaurant la compétence universelle du juge français pour les infractions et crimes relevant de la Cour pénale internationale. Il s'agissait d'appliquer un traité auquel quatre verrous avaient été imposés. Depuis dix ans, j'ai déposé de nombreux amendements pour que les choses bougent.

Il y a eu des évolutions, mais pas concernant la constatation de l'infraction dans les deux pays - la France et celui dont l'auteur des faits est citoyen. Les décisions de la Cour de cassation ont suscité une réprobation internationale.

Le 12 mai dernier, la Cour a pris une position claire sur cette double incrimination. Monsieur le garde des sceaux, vous aviez publié le 9 février 2022, conjointement avec M. Le Drian, un communiqué surprenant, qui affirmait que si la justice évoluait, votre ministère en tirerait les conséquences -  d'habitude, les lois sont votées par le Parlement à l'initiative du Gouvernement, puis les juges les appliquent... Mais puisque la Cour de cassation a rendu sa décision, personne ne comprendrait que vous ne fassiez pas ce que vous aviez dit.

Beaucoup de voix réclament la régulation carcérale : la contrôleure des lieux de privation de liberté, comme le rapport Sauvé ou l'Observatoire international des prisons. Mais votre position reste la même. Nous considérons qu'il faut prendre en considération la proposition de loi du groupe CRCE et les préconisations de Dominique Raimbourg en faveur d'un plafond de surpopulation mettant fin à cette réalité : il y a aujourd'hui 2 151 détenus qui dorment sur des matelas à même le sol ! (Mme Éliane Assassi renchérit.) Il faut, pour cela, s'opposer aux discours démagogiques selon lesquels la sécurité reviendrait à entasser des gens dans les prisons, y compris dans des conditions indignes.

Robert Badinter disait que la cause principale de récidive était la condition pénitentiaire. Des moyens pour lutter contre ce phénomène existent : abordons-les. (Applaudissements à gauche ; M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

M. Gilbert Favreau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 8 juillet 2022, le premier vice-président honoraire du Conseil d'État, M. Sauvé, remettait au Président de la République son rapport, aux constats alarmants : difficultés dans l'application des peines, défaillances de l'administration judiciaire, délais de jugements toujours plus longs.

Les moyens de la justice sont insuffisants, et les mesures de ces projets de loi sont bienvenues. Mais les crédits ne permettront pas à eux seuls de pallier les carences.

L'article 2 du projet de loi prévoit la réécriture du code de procédure pénale ; mais pourquoi choisir de le faire par ordonnance ? Il s'agit de revenir sur les règles sensibles touchant aux libertés et au pouvoir coercitif de l'État, qui relèvent du législateur plus que du Gouvernement. L'usage abusif des ordonnances est devenu pratique courante : quand seules 321 avaient été prises entre 1984 et 2007, 773 l'ont été depuis.

Il ne faut pas oublier le flottement jurisprudentiel entourant la ratification de ces ordonnances. Je ne suis donc pas favorable à cette méthode.

Sur le fond, on est loin de la réforme à droit constant annoncée. L'article 3 modifie notre procédure pénale, avec des mesures sur les perquisitions, la garde à vue et sur le statut de témoin assisté. Nous nous interrogeons notamment sur l'activation des objets numériques à distance, qui nous semble relever des pratiques de régimes totalitaires. (M. le garde des sceaux est surpris.)

L'article 6 prévoyait d'inclure un magistrat du siège comme assesseur du tribunal des affaires économiques, sur ordonnance du président du tribunal judiciaire. Ce recours à l'échevinage est perçu comme un signe de défiance par les juges consulaires. Le risque est grand d'une vague de démissions. La commission des lois l'a compris et a supprimé cette mesure.

L'article 7 prévoit de déroger au principe de gratuité de la justice en expérimentant pour certains tribunaux seulement une cotisation financière qui créerait une rupture d'égalité des justiciables. Les porteurs de bonne foi devront en outre payer cette contribution et un avocat ; cette première atteinte notable au principe de la gratuité de la justice n'est pas souhaitable.

Ces observations témoignent de la densité des textes, qui doivent être modifiés par nos assemblées pour que les droits des citoyens soient garantis. C'est à cette condition que je le voterai. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Laurence Rossignol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Quoi de mieux qu'une loi de programmation pour mettre le fonctionnement de la justice au service de la lutte contre les violences faites aux femmes ? J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'une priorité - du Président de la République, du Gouvernement, de vous-mêmes, mesdames les rapporteures - mais quelle déception ! En tout et pour tout, un seul amendement, créant des pôles spécialisés. C'est mieux que rien, mais la promesse du Président de la République portait non sur des pôles, mais sur des juridictions spécialisées. Quelle est la différence ? Les pôles spécialisés, ce sont des magistrats qui se coordonnent...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Qui sont formés...

Mme Laurence Rossignol.  - Cela existe déjà et les professions judiciaires en sont satisfaites. Mais une juridiction unique, ce n'est pas ça : c'est un guichet unique, avec des magistrats ayant compétence à la fois pour le civil et le pénal, ce qui fait toute la différence. Nous nous contenterons des pôles spécialisés - faute de mieux...

Monsieur le ministre, vous aviez une belle occasion de traduire les propositions du rapport Vérien-Chandler, mais vous nous avez encore expliqué que ce n'était pas encore le bon texte.

La manière dont nous légiférons sur les violences faites aux femmes - qui ne sont pas la même chose que les violences intrafamiliales, monsieur le ministre - pose problème. Les féminicides, ce sont des femmes qui meurent - 47 depuis le début de l'année - et des hommes qui tuent ; il est important de le rappeler. Nous légiférons n'importe comment, avec des propositions de loi qui se perdent dans les sables mouvants, pendant que les femmes se cognent la tête contre le labyrinthe judiciaire, pendant que des hommes continuent de tuer.

Il y a dix jours, un homme sortant de prison a assassiné femme et enfants, et le procureur a dit qu'il ne l'avait pas vu venir... Je ne comprends plus : quand il s'agit de faire travailler les gens deux ans de plus, le décret est pris rapidement, tout de suite, alors que quand il s'agit de lutter contre les violences faites aux femmes, on nous indique qu'un autre projet viendra, mais on ne sait pas trop quand... (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE ; Mme Elsa Schalck applaudit également.)

Cette méthode n'est pas la bonne : il faut une loi-cadre. Les ordonnances de protection doivent pouvoir être prises lorsqu'il y a danger, même lorsqu'aucune violence n'a eu lieu ; le délit de non-représentation d'enfant ne doit plus envoyer de femmes en prison. Ce n'est pas sérieux, dans un pays où l'année dernière, 142 femmes ont été tuées par des hommes. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La justice est au bord de la rupture : la longévité de ce constat interpelle. Le rapport Sauvé pointait deux responsables : la sous-dotation permanente de l'institution et la complexification du droit et des procédures.

Membre de la commission des lois, j'ai observé deux fois la réalité des tribunaux en immersion, à Bordeaux et à Thionville. J'ai constaté des défaillances matérielles comme informatiques, étalant les jugements sur quatorze mois en première instance, près de seize mois en appel ou aux Prud'hommes.

L'augmentation des moyens, de 26 % en un an est à souligner, mais on reste loin des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs ambitieux du Gouvernement, dont les 15 000 places de prison à créer d'ici à 2027. En effet, le taux d'occupation des maisons d'arrêt est de 143 %, alors que les détenus y sont à 27 % des prévenus en attente de leur procès.

Le rapport du député Patrick Hetzel du 25 mai souligne bien que le plan est déjà sous-dimensionné : sur les 7 000 places annoncées en 2018, seuls 35 % ont effectivement été en service, alors que ces places sont indispensables pour que les peines soient effectives.

À Bordeaux, les magistrats m'ont fait part de situations aberrantes : ils évitent de condamner à de la prison ferme pour ne pas aggraver la surpopulation du centre pénitentiaire de Gradignan.

La simplification de la procédure pénale n'appelle pas d'opposition de principe. Cependant, le renvoi substantiel à la discrétion du pouvoir réglementaire nous pose des difficultés. Faute de communication sur les projets de texte, le Sénat ne pourra se prononcer en connaissance de cause.

La traduction des recommandations du rapport Sauvé est approximative. On étend ainsi à bon droit les TIG et on expérimente les tribunaux des activités économiques, mais on omet le témoin assisté par exemple, présent dans le rapport Sauvé.

Notre commission des lois a pu corriger des lacunes - 1 800 greffiers recrutés plutôt que 1 500 - mais quelle place l'exécutif laisse-t-il au législateur ? Ce dernier doit avoir le temps nécessaire. Ce texte n'est que la première pierre de la reconstruction d'une justice digne de ses valeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je rappelle une singularité des états généraux de la justice : la participation de nos compatriotes, à travers plus d'un million de contributions remontées à la Chancellerie. Autre particularité, les réformes précédentes étaient rarement corrélées aux moyens de leur mise en oeuvre.

Il y a ensuite un changement de gouvernance : les idées sont issues de la parole de chacun plutôt que du seul ministère. Je rappelle que le comité d'où provient le rapport Sauvé comprenait les présidents des commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale, des magistrats, des universitaires, des avocats... Je n'y ai pas participé pour éviter le reproche ultérieur d'une réforme partisane. Ensuite, une seconde vague de rencontres a rassemblé l'écosystème de la justice dans son ensemble, des magistrats aux syndicats. Nous en avons retiré des mesures, souvent consensuelles.

Certains de vos propos me chiffonnent. Madame Cukierman, vous évoquez une absence de dialogue social, alors que nous avons consulté tout le monde. L'agence de la probation proposée par le rapport Sauvé était refusée par les organisations syndicales : nous en avons tenu compte.

Mme Cécile Cukierman.  - Je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas eu de dialogue, mais qu'il avait été négligé.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Quant à la composition du CSM, sa modification était évoquée dans le rapport Sauvé mais nécessitait une modification constitutionnelle. Même chose pour l'indépendance du parquet : il n'était pas possible de la proposer dans ce texte.

Monsieur Sueur, que propose le rapport Sauvé sur la surpopulation ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - La régulation !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Un seuil de criticité. Ce n'est pas un quota.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il ne faut pas être simpliste !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Ne soyons pas caricaturaux non plus. Le quota, ce serait une libération automatique au-delà d'un certain nombre de détenus. Le seuil de criticité, c'est la réunion des acteurs au-delà du seuil : cela se fait déjà.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Mettez-le donc dans le texte !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - J'ai doublé le nombre de places en TIG et rappelé dans toutes les circulaires qu'il fallait en prononcer « chaque fois que cela est possible ». La baisse de 15 % du nombre de TIG prononcés est une difficulté qu'il faut absolument résoudre.

Enfin, madame la rapporteure, les greffiers sont bien, de fait, intégrés à l'équipe autour du magistrat. Si je l'avais écrit, on m'aurait reproché une loi trop bavarde... Le greffier est garant de l'authenticité de ce qui se dit, il est indispensable au fonctionnement de la justice.

Enfin, madame la rapporteure Vérien, l'entrée à l'ENM des étudiants en master 1 est un assouplissement réglementaire ; il faut conserver la finalité professionnalisante de la formation, mais nous pouvons y travailler.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et les violences faites aux femmes ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - La sénatrice Vérien et de la députée Chandler ont réalisé un travail exceptionnel.

Mme Laurence Rossignol.  - Ce n'est pas un mémoire de master ; ce sont des préconisations pour des mesures législatives. Qu'en faites-vous ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Il y a eu 400 auditions et des déplacements à l'étranger. Les pôles spécialisés, ce ne sont pas seulement des magistrats qui papotent à la machine à café ; c'est aussi une formation commune. Le rapport de Dominique Vérien a été l'occasion d'observer la situation en Espagne, où la juridiction spécialisée ne fait pas que des heureux.

Dès l'automne, nous serons prêts à agir. Nous retiendrons le pôle, mais aussi le bracelet anti-rapprochement renforcé et l'ordonnance sous 24 heures - je rappelle que nous étions à 47 jours. Pourquoi motiver ces décisions ? Parce que, pendant une courte période, le contradictoire ne s'exerce pas ; or c'est le b.a.-ba de notre justice.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Pourquoi n'est-ce pas dans le texte ?

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Esther Benbassa .  - Nous sommes tous conscients des difficultés que rencontre notre système judiciaire. L'article 1er porte les moyens budgétaires consacrés à la justice à 11 milliards d'euros en 2025 ; mais un budget important ne garantit pas le succès d'une politique judiciaire.

Cette trajectoire finance des créations nettes d'emploi : 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP). Cela suffit-il ?

Il faut aussi un changement de philosophie. Ainsi, rappelons-nous cette jeune magistrate, Charlotte, qui s'est suicidée à Béthune en 2021 : elle n'avait même pas de bureau. Cette réforme porte son nom, à mes yeux.

Monsieur le ministre, soyez vigilant sur la répartition de ces ressources. Les prisons, notamment, en ont grand besoin.

M. le président.  - Amendement n°268, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 4

Remplacer les mots :

s'élèveront à 9 395 équivalents temps plein, dont 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers de probation et d'insertion supplémentaires

par les mots :

sont fixées à 10 000 équivalents temps plein d'ici 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires, y compris 605 équivalents temps plein recrutés en gestion 2022 au titre de la justice de proximité

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je vous demande de faire preuve de flexibilité en supprimant la référence aux 1 800 greffiers et aux 600 CPIP. Les moyens seront affectés année après année, sous votre contrôle budgétaire, en fonction des capacités de recrutement et de formation. D'ici à 2027, nos objectifs sont bien de 10 000 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, et non de 9 395. Les 605 ETP créés en 2022 doivent bien y être rattachés.

Les chiffres de 1 500 greffiers et 1 500 magistrats supplémentaires correspondent bien aux préconisations des états généraux de la justice : ils ont bien fait l'objet d'une discussion avec l'écosystème. Toutefois, si besoin était, nous recruterions bien sûr davantage de greffiers.

Quant aux CPIP, 970 ont été créés entre 2018 et 2022, dont 100 au titre de la justice de proximité fin 2021. Le nombre de dossiers suivis par chaque CPIP est passé de 81 à 71 : il est prématuré de s'engager à recruter 600 CPIP supplémentaires pendant le quinquennat. Laissez-nous donc de la flexibilité sur la répartition des postes.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. Nous sommes conscients des efforts de recrutement déjà accomplis. Vous mettez un coup d'accélérateur, mais le ratio de 1,2 greffier recruté par magistrat nous a été demandé par les personnels de greffe : l'évolution des moyens doit le refléter, d'où les 1 800 greffiers et 1 500 magistrats supplémentaires que nous proposons.

D'autre part, les CPIP sont un axe majeur de progression, le talon d'Achille restant l'exécution des peines et le suivi des dossiers. C'est une loi de programmation : elle restera souple.

L'amendement n°268 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°29, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

La trajectoire des créations d'emplois définie à l'alinéa précédent s'accompagne d'une revalorisation et de l'adaptation des compétences des différentes professions judiciaires, prenant en compte les spécificités des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Monsieur le ministre, dans le rapport annexé, qui est dépourvu de valeur normative, vous dressez des diagnostics justes, parmi lesquels la nécessaire revalorisation des professions judiciaires. Fixons-la donc dans la loi.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. La revalorisation est un axe important, mais elle ne relève pas du niveau législatif. Ne diluons pas la loi. Nous demeurerons vigilants quant à l'atteinte des objectifs.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Même avis. Nous avons d'ores et déjà tenu nos promesses, avec 1 000 euros de revalorisation pour les magistrats, qui n'avaient pas été revalorisés depuis 1996 - à cette aune, l'augmentation n'est pas si considérable. L'objectif était de calquer la rémunération des magistrats judiciaires sur celle des magistrats de l'ordre administratif. Si ces derniers souhaitent abonder l'ordre judiciaire (M. Alain Richard sourit), il est normal qu'ils aient le même salaire.

J'ai mentionné le passage des catégories C à B pour les agents pénitentiaires, et B à A pour les postes de commandement. Les greffiers bénéficieront de revalorisations importantes d'ici au mois d'octobre.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Je ne suis pas sûre que sur ces questions, la rapporteure et le ministre doivent nécessairement être du même avis. C'est troublant : vous êtes d'accord, mais il ne faudrait pas le dire dans la loi...

M. Michel Savin.  - Macronie !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - J'ai tendance à penser que l'inscription dans la loi est une protection supplémentaire.

L'amendement n°29 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°30, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur la ventilation des créations nettes d'emplois mentionnés à l'alinéa précédent.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - La commission des lois et le Gouvernement sont en désaccord sur la ventilation des emplois : ambition d'un côté, souplesse de l'autre. Les deux positions sont légitimes. D'où cet amendement qui prévoit, chaque année, un rapport sur la ventilation des créations d'emplois.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable, d'autant que le rapport sur l'application des lois pour 2022, qui vient d'être présenté, fait état de zéro rapport obtenu sur 21 demandés. En outre, ce serait redondant avec le bleu budgétaire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je vous remercie de m'avoir rappelé que le Gouvernement n'avait pas nécessairement à être d'accord avec Mme la rapporteure, mais en l'espèce, c'est le cas... Nous en reparlerons à l'occasion du projet de loi de finances. Avis défavorable, d'autant que les rapports sont une charge de travail supplémentaire pour mon ministère et que j'ai toujours plaisir à répondre à vos questions. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie sourit.)

L'amendement n°30 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°31, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

La présente programmation fait l'objet d'actualisations afin de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans le rapport annexé à la présente loi, d'une part, et les réalisations et moyens consacrés, d'autre part.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - La loi de programmation 2018-2022 prévoyait l'actualisation de la programmation pour vérifier sa cohérence avec les objectifs. Elle ne figure pas dans ce texte, ce qui est sans doute un oubli...

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable, comme en 2018.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Oui, mais cela avait été voté !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis défavorable également.

L'amendement n°31 n'est pas adopté.

La séance, suspendue à 16 h 55, reprend à 17 h 05.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Plusieurs amendements portant sur le rapport annexé recueillent notre accord. Je songe notamment aux amendements de Mélanie Vogel et Laurence Rossignol sur les violences intrafamiliales, dont certains reprennent des préconisations du rapport que j'ai présenté avec Mme Chandler.

Nous avons néanmoins émis des avis défavorables, car ce rapport annexé n'a pas de valeur normative. Il ne brille pas non plus par sa clarté. (M. le ministre s'en amuse.) Il n'est pas utile d'adjoindre un rapport au rapport.

En commission, nous n'avons présenté aucun amendement, et accepté un seul amendement du Gouvernement ; nous avons ensuite déposé un seul amendement de séance pour préciser la méthode de simplification de la procédure pénale.

Ces sujets méritent un débat, au-delà des déclarations d'intentions.

Rapport annexé

M. le président.  - Amendement n°206, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'alinéa 61

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

En ce qui concerne les avocats, la limitation à trois tentatives pour les candidats à l'examen du centre régional de formation professionnelle des avocats ne sera plus effective, afin de rendre l'accès à l'avocature autant accessible que celle à la magistrature.

Mme Cécile Cukierman.  - Sur la méthode, il est assez rare que nous recueillions des avis défavorables avant même la présentation des amendements...

La limitation à trois essais pour l'accès à la profession d'avocat ne nous paraît pas opportune : il n'y a aucune limite aux candidatures au concours de l'ENM. Il faut garantir l'égalité des chances.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. L'amendement peut difficilement être adopté sans consulter la profession concernée. De plus, on ne peut comparer l'accès à la fonction de magistrat, qui passe par un concours, et l'accès à la profession d'avocat.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Pour les magistrats, il y a un concours, pour les avocats, l'examen passe par les centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA). C'est totalement différent. De plus, le Barreau doit avoir son mot à dire : il y va de la qualité des recrutements. Enfin, cette disposition n'est pas d'ordre législatif.

Retrait ou avis défavorable.

L'amendement n°206 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°161, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Alinéa 176

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La mise en place d'un guichet en présentiel dans des proportions et répartitions géographiques adéquats, ainsi que d'un numéro de téléphone dirigeant la communication vers un agent devra aussi être mis à disposition des justiciables.

M. Guy Benarroche.  - Dès lors que l'on peut déposer des amendements sur les rapports annexés, je ne vois pas pourquoi ils seraient rejetés priori.

Le rapport annexé doit refléter une vision politique, qui apporte une cohérence aux mesures législatives et réglementaires. Si on le modifie, on peut changer la façon dont un certain nombre de mesures réglementaires seront prises.

Mon déplacement à Grasse, la semaine dernière, m'a montré que l'utilisation du numérique dans la chaîne pénale présente des avantages certains ; mais il n'y a pas de solution numérique globale pour résoudre toutes les difficultés, et un grand nombre de nos concitoyens souffrent encore d'illectronisme. Le lien humain doit rester au coeur du service public. D'où cet amendement qui prévoit, en parallèle du développement de l'application, le déploiement d'un guichet en présentiel et d'un numéro dirigeant la communication vers un agent.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Le rapport annexé est une feuille de route qui servira de base à notre contrôle : il doit refléter les engagements du Gouvernement.

L'illectronisme est un sujet majeur, qui touche des couches très différentes de la société. Mais soyons efficaces, ne multiplions pas les objectifs. Les justiciables pourront se rendre dans les maisons de la justice et du droit, les points-justice et les maisons France Services. (M. le garde des sceaux en convient.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Monsieur Benarroche, nous avons déjà échangé sur le sujet. Le numérique est bien sûr indispensable pour faire entrer la justice dans l'ère moderne, mais on ne peut pas oublier tous ceux qui en sont exclus.

Nous avons désormais quelque 2 080 points-justice. C'est une de mes fiertés : j'ai d'ailleurs demandé que les élèves de l'ENM s'y rendent pour rencontrer nos compatriotes les plus défavorisés. Plus de 96 % de nos compatriotes se trouvent à moins de trente minutes de l'un de ces points, et 990 000 personnes y ont été reçues. Enfin, le 3039 reçoit environ 500 appels par jour. J'estime donc que votre amendement est satisfait. Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Le rapport annexé est la feuille de route du Gouvernement, dit la rapporteure. Est-ce à dire que les amendements ne peuvent être votés que si le Gouvernement y est favorable ? Dans ces conditions, à quoi sert l'examen de ce rapport ?

Vous-mêmes, mesdames les rapporteures, avez souhaité y insérer des amendements...

L'amendement n°161 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°144, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Alinéas 199 et 200

Rédiger ainsi ces alinéas :

S'agissant du patrimoine pénitentiaire, il s'agira de construire un projet de rénovation et d'entretien du parc existant en tenant compte des exigences d'amélioration des conditions de vie des personnes détenues, tout en engageant la rénovation énergétique.

Une réflexion sur l'architecture du parc carcéral sera menée, en faveur d'un développement des prisons ouvertes , ??tournée vers la prévention de la récidive par le biais de l'insertion.

M. Guy Benarroche.  - L'extension du parc carcéral et la sécurité des établissements de surveillance figurent toujours au premier rang des priorités budgétaires, malgré des coûts de construction et d'entretien déjà astronomiques. En 2022, 1 milliard d'euros ont été investis dans l'immobilier pénitentiaire, venant s'ajouter à une dette immobilière de cinq milliards d'euros. Tout cela n'a pas amélioré l'état des établissements insalubres et vétustes, qui ont valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme. Les travaux de rénovation à Nouméa sont estimés à 7 millions d'euros.

La répression s'accroît et nous connaissons une inflation pénale : ces mesures ne s'accompagneront donc pas d'une baisse de la population carcérale. La prison est une école de la délinquance, et le tout carcéral n'est pas une réponse aux défis de notre société.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - La construction de places de prison rencontre de nombreux obstacles, dont le zéro artificialisation nette (ZAN). La prise en compte de la rénovation énergétique est également un enjeu fort.

Concernant la prévention des récidives, le modèle des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), dispositifs temporaires de semi-liberté, est intéressant. Mais les prisons ouvertes ne sont pas une solution.

Enfin, votre amendement supprime du rapport annexé le programme de construction des 15 000 places de prison, auquel nous sommes très attachés. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je connais, monsieur Benarroche, votre engagement sur la question, mais je partage l'analyse de la rapporteure.

Nous avons fait beaucoup de SAS - jamais un acronyme n'a été mieux choisi. Ils se trouvent souvent en coeur de ville, pour faciliter la réinsertion.

Nous tenons beaucoup aux 15 000 nouvelles places, qui sont un des leviers pour mettre un terme aux conditions indignes de détention, mais aussi améliorer les conditions de travail du personnel pénitentiaire.

Nous avons consacré à la rénovation des établissements pénitentiaires le double des montants alloués sous la présidence de François Hollande. Lorsque j'étais avocat, les détenus avaient droit à une douche par semaine ; aujourd'hui, il y a une douche dans chaque cellule.

Il faut également citer trois prisons expérimentales entièrement tournées vers le travail, dans le cadre du projet InSERRE, là aussi très bien nommé.

En 2024, nous aurons construit la moitié des 50 nouveaux établissements prévus.

M. Guy Benarroche.  - La construction de places est un levier, mais le rapport annexé fixant une trajectoire, nous aurions aimé qu'y figurent d'autres leviers dont le développement de prisons ouvertes, comme celle de Casabianda en Corse.

Ce type de structure permet une réinsertion graduée, le maintien des liens familiaux et la diversification des activités. Et en plus, cela coûte moins cher...

L'amendement n°144 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n° 148, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Après l'alinéa 200

Insérer un alinéa ainsi rédigé : 

Pour résorber la surpopulation carcérale, il est mis en place, à titre expérimental sur une durée de trois ans, un mécanisme de régulation carcérale sur l'ensemble du territoire, ayant pour objet de définir un taux de surpopulation carcérale dont le dépassement entraînerait la réunion des différents acteurs de la chaîne pénale. Ces derniers pourraient alors envisager des mesures de régulation lorsque les services de l'administration pénitentiaire ne sont plus en mesure de fonctionner sans affecter durablement la prise en charge des personnes détenues.

M. Guy Benarroche.  -  Nous proposons l'expérimentation d'un mécanisme de régulation carcérale pour faire face à la surpopulation. Cette proposition fait écho aux expérimentations locales menées à Varces, à Grenoble, et aux Baumettes, à Marseille. Utilisons tous les leviers à notre disposition.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - La véritable solution est la construction de places de prison, pour que les peines soient bien exécutées, et dans de bonnes conditions. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Nous avons 60 000 places de prison pour 73 000 détenus. Je ne libérerai pas 13 000 détenus, pour de multiples raisons - par exemple, parce que cela ferait le bonheur de M. Ravier et de quelques autres...

J'assume une réponse pénale ferme. Mais ce n'est pas le garde des sceaux qui fixe les peines, et c'est très bien ainsi. C'est en toute indépendance que la justice est plus sévère aujourd'hui qu'auparavant, contrairement à ce que d'aucuns racontent.

Je suis attaché aux libertés individuelles, mais les acteurs judiciaires et la direction de l'administration pénitentiaire se réunissent déjà, à Bordeaux comme partout ailleurs. Ils alertent sur la surpopulation préjudiciable à des conditions de détention dignes. J'ai d'ailleurs soutenu l'initiative du président Buffet sur ce point.

Nous sommes tous contre la surpopulation carcérale, mais lorsque Mme Belloubet a proposé la sortie de détenus en fin de peine, à l'exclusion de certaines infractions, elle s'est heurtée à des critiques - pour ma part, je la soutenais.

Le seuil de criticité, c'est une jolie formule d'affichage, mais des réunions ont déjà lieu. Le nombre de matelas au sol, l'administration pénitentiaire en fait déjà état...

Les TIG sont une façon de penser la peine autrement ; nous les développons chaque fois que c'est possible. Mais le seul moyen de lutter contre la surpopulation carcérale, c'est de construire des établissements. Plus on en construit, plus les prisons seraient pleines ? Voilà un syllogisme particulier... Il faudrait donc ne rien faire ?

Enfin, je réponds à Mme la rapporteure sur l'artificialisation des sols : cela a pris du temps, mais nous avons les terrains.

M. Guy Benarroche.  - La rapporteure explique qu'il faut des peines plus lourdes et défend une approche exclusivement carcérale. Ce n'est pas la position du garde des sceaux, qui défend les TIG et d'autres solutions alternatives.

Pour lutter contre l'opportunisme de l'extrême droite et la politique du tout carcéral défendue par la majorité de cette assemblée, des alternatives à l'incarcération devraient être inscrites dans le rapport annexé.

Mme Éliane Assassi.  - Je remercie M. Benarroche d'avoir déposé ces amendements. La surpopulation carcérale me préoccupe beaucoup, comme nombre d'associations. En la matière, le statu quo est impossible. Nous pourrions notamment nous inspirer des travaux de nos anciens collègues Jean-René Lecerf et Jean-Jacques Hyest.

Je ne peux pas entendre l'argument selon lequel il ne faut rien faire qui puisse mettre le Rassemblement national en colère. Le RN se combat sur les idées ! (M. Joël Bigot et Mme Mélanie Vogel applaudissent.)

Mme Laurence Rossignol.  - Très bien !

Mme Éliane Assassi.  - La surpopulation ne cessera d'augmenter, faute de mesures drastiques en matière de peines alternatives. Il s'agit d'un vrai sujet de société, sur lequel nous devons avancer.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Il n'y a pas de statu quo : nous construisons des prisons !

Mme Françoise Gatel.  - M. le garde des sceaux m'a tendu une perche en évoquant le ZAN... Les terrains ont été trouvés : mais sur quel quota seront-ils imputés ?

M. Michel Savin.  - Excellente question !

Mme Françoise Gatel.  - L'État assumera-t-il ces hectares ou seront-ils décomptés des droits à artificialiser des collectivités, qui ont d'autres besoins pour le logement et la réindustrialisation ? Nous comptons sur vous pour convaincre votre collègue Christophe Béchu d'agir avec sagesse... (Marques d'assentiment à droite)

Mme Laurence Harribey.  - Monsieur le garde des sceaux, n'adoptez pas de position binaire. Les choses ne sont pas si simples - par votre trajectoire personnelle, vous le savez bien.

Construire des places de prison ne résoudra pas tout. Voyez l'Allemagne : plus peuplée, elle a moins de détenus et il n'y a pas plus de délinquants. Depuis vingt ans, l'augmentation du nombre de places est suivie par celle du nombre de détenus. Des travaux canadiens sur l'analyse des politiques publiques montrent que certaines d'entre elles, au lieu de résoudre un problème, visent à répondre à la manière dont il est perçu par l'opinion. En l'occurrence, on propose d'enfermer davantage, parce que les gens ont des craintes liées à la sécurité.

Élue de Gironde, je connais bien tous les problèmes à Gradignan. Il faut des établissements dignes, mais il n'y a pas que cela à faire. Notre approche doit être plus fine et mesurée.

Oui, madame la rapporteure, il faut exécuter les peines ; mais lorsque 40 % des détenus sont en détention provisoire, il n'y a pas de peine à appliquer...

Mme Marie Mercier.  - Il faut une réponse pénale juste et adaptée. Or pour avoir visité des prisons et assisté à des comparutions immédiates, nous savons tous que des personnes ne sont pas vraiment à leur place en prison.

Un tiers des justiciables ne devraient pas aller en prison. Il faut une éducation solide, car tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des fées autour de son berceau : certains naissent sous une mauvaise étoile. Nous avons aussi besoin d'une psychiatrie plus développée, car on trouve en prison des patients qui n'ont rien à y faire.

L'amendement n°148 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°157 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Alinéa 218

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ce programme doit se baser sur les besoins dûment recensés au travers d'une évaluation du nombre de personnes en demande de prise en charge psychiatrique.

M. Guy Benarroche.  - Nous demandons un rapport sur les aménagements de peine en fonction des pathologies. Les UHSA se développent, mais, avec le Comité consultatif national d'éthique, nous nous inquiétons d'un déplacement de l'hôpital psychiatrique vers la prison.

D'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), il y a quelques années, un quart des personnes en prison souffraient de troubles psychiatriques ; aujourd'hui, ce serait le cas de la moitié des entrants.

Les UHSA doivent être développées et les besoins dûment recensés.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis favorable. Cette évaluation préalable est importante pour déterminer les besoins liés à la prise en charge des détenus présentant des troubles psychiatriques, qui relèvent de structures adaptées.

Madame de La Gontrie, nous acceptons cet amendement car le Gouvernement s'est engagé dans cette politique. Pas besoin d'avis favorable du Gouvernement pour qu'il soit inscrit dans le rapport annexé.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Il est nécessaire de renforcer la prise en charge psychiatrique en prison. Mais deux études sur la santé mentale ayant déjà été lancées, je demande le retrait de votre amendement, qui est satisfait.

La Fédération de recherche en psychiatrie estime que deux tiers des hommes et trois quarts des femmes sortant de prison ont un trouble psychiatrique lié à la consommation de stupéfiants. Une seconde étude se terminera en 2024.

Avec François Braun, je travaille à améliorer la prise en charge psychiatrique des détenus. Trois nouvelles unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) seront construites, en Île-de-France, en Normandie et en Occitanie. La situation sera évaluée spécifiquement dans les outre-mer.

Madame Gatel, les prisons sont évidemment incluses dans les grands projets d'envergure, dont les surfaces sont comptabilisées au niveau national, conformément aux engagements pris par le Gouvernement devant l'Association des maires de France. Au reste, je travaille en parfaite intelligence avec M. Béchu.

L'amendement n°157 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°152, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Alinéa 235

Supprimer cet alinéa.

M. Guy Benarroche.  - Le développement du numérique dans les prisons prévu par la feuille de route du Gouvernement pourrait nuire à la réinsertion et aux relations entre détenus et surveillants. Réservation des parloirs par informatique, visioconférences : avec chaque nouvel outil informatique, les contacts humains diminuent et l'isolement des détenus s'aggrave. Le tout numérique en prison risque de conduire à une dégradation des relations avec les surveillants, les interactions étant moins fréquentes.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. Les caméras-piétons et la modernisation de ces services sont attendues tant par les surveillants que par les détenus, qui y voient une garantie de sécurité. Les familles de détenus estiment également qu'il s'agit d'une avancée.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Plus de numérique, ce serait moins d'humain, selon vous. Pourtant, précédemment, vous vous inquiétiez de ceux qui n'ont pas accès au numérique...

Le numérique en détention, c'est un moyen de réduire la fracture numérique ! Dans sept cas sur dix, les visiteurs utilisent un service en ligne pour réserver les visites au parloir et en sont très satisfaits.

Votre amendement va à l'encontre d'autres expérimentations menées à Melun et Dijon : possibilité de bénéficier d'un enseignement en ligne, d'acheter des produits de la vie courante ou d'obtenir des réponses de l'administration. Plutôt pas mal, non ?

Je pense, contrairement à vous, que le numérique favorise des relations apaisées : quand un détenu obtient un tube de dentifrice facilement ou que sa famille peut prendre rendez-vous rapidement, les choses se passent mieux.

Je suis donc défavorable à votre amendement, même si je sais qu'il part d'un bon sentiment. (M. Guy Benarroche rit.)

Mme Marie Mercier.  - La demande d'accès au numérique vient des détenus eux-mêmes. Il s'agit notamment de préparer leur réinsertion. Autant il convient d'être prudent sur l'accès au numérique des enfants - voyez les mesures prises en Suède en la matière -, autant l'accès au numérique dans les prisons est important.

L'amendement n°152 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°205, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 266

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il convient de réformer en entièreté les décrets dits Magendie.

Mme Cécile Cukierman.  - La nécessité de modifier les décrets Magendie a fait consensus lors des états généraux de la justice : les avocats demandent une réforme, voire une abrogation. Le groupe CRCE les soutient dans cette revendication, à travers cet amendement d'appel - il s'agit d'une matière réglementaire.

Les contraintes de ressource et les délais stricts de traitement des dossiers ont conduit à un engorgement des procédures. Les avocats sont contraints par cette précipitation qui nuit à la qualité de leur travail.

Entérinons le principe d'une réforme pour garantir des décisions de meilleure qualité.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Il faut réviser ces décrets : cela fait consensus. Le garde des sceaux s'y est engagé.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Tout à fait !

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Ce midi, nous avons reçu un projet de rédaction du décret. Monsieur le garde des sceaux, quand la réécriture interviendra-t-elle ? Retrait de l'amendement, car satisfait.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Voilà la preuve que nous avons été attentifs à l'écosystème. À l'unisson, les avocats ne voulaient plus du décret Magendie, des chausse-trapes procédurales qu'il entraînait. Il faut le modifier, et nous sommes en train de le faire.

Le Conseil national des barreaux a travaillé avec le directeur des affaires civiles et du sceau, et la conférence nationale des premiers présidents a été consultée. Le texte sera publié prochainement, et vous en aurez connaissance dans les détails. Retrait ou avis défavorable.

Mme Cécile Cukierman.  - Je retire l'amendement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Je le reprends !

M. le président.  - Il s'agit donc de l'amendement n°205 rectifié, présenté par Mme de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Le 25 novembre dernier, vous indiquiez, lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris, que vous présenteriez une réforme du décret Magendie la semaine suivante. L'autre jour, je vous ai écouté à l'Assemblée nationale à la télévision - je suis tellement contente quand je vous vois... Vous faisiez un décompte sur la constitutionnalisation de l'IVG. Eh bien, pour le décret Magendie, cela fait sept mois ! (M. le garde des sceaux lève les yeux au ciel.) Preuve que, quand vous annoncez quelque chose, les délais annoncés ne sont pas toujours tenus...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je suis ravi d'apprendre que vous suivez mes déclarations à la télévision par plaisir... (Marques d'amusement)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Par besoin ! (L'amusement redouble.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Vous allez me faire rosir... Je parlais en novembre du début des consultations. Comment voulez-vous que je réécrive le décret Magendie la nuit pendant que vous regardez la télévision ? (Sourires)

L'amendement n°205 rectifié est retiré.

M. le président.  - Amendement n°276, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission.

Alinéas 298 à 303

Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :  

Ce travail nécessaire, réclamé par l'ensemble des acteurs et observateurs du monde judiciaire, comporte deux aspects indissociables qui doivent être conduits conjointement : d'une part, une clarification des dispositions existantes du code et la refonte de son plan et, d'autre part, la simplification des procédures.

Cette simplification doit permettre leur sécurisation juridique, la recherche d'une plus grande efficacité, l'allègement de contraintes formelles pesant sur les acteurs, le respect des garanties des droits de la défense et la réduction des délais de jugement.     

Un comité scientifique composé de professionnels du droit de tous horizons (magistrats, personnels de greffe, avocats, professeurs de droit, représentants des services d'enquête...), sera chargé de formuler les propositions de clarification du code de procédure pénale qui serviront de base à l'ordonnance de recodification à droit constant prévue par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice. Il débutera ses travaux courant 2023.

Ce comité formulera par ailleurs des propositions de simplification répondant aux objectifs fixés ci-dessus.

Un comité composé de parlementaires représentant tous les groupes politiques des deux assemblées sera chargé d'assurer le suivi de ces travaux. Lui seront présentés tous les trois mois l'état de leur avancement et les propositions de clarification et de simplification préconisées par le comité scientifique.

2.4.3.2. De nouvelles mesures de procédure pénale limitées et cohérentes

Dans l'attente des conclusions des travaux de clarification et de simplification de la procédure pénale, les nouvelles dispositions dans ce domaine seront limitées afin d'assurer la plus grande stabilité pour les praticiens et citoyens.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - La réforme du code de procédure pénale n'est pas chose aisée. Nous proposons l'inscription dans le rapport annexé d'une méthode.

Clarification et simplification devront aller de pair. Ce travail devra viser la sécurisation juridique, la recherche d'une plus grande efficacité, l'allègement des contraintes formelles, la garantie des droits de la défense et la réduction des délais.

Un comité scientifique formulera des propositions de simplification, qui seront soumises à un comité parlementaire tous les trois mois.

M. le président.  - Amendement n°159, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Après l'alinéa 299

Insérer un alinéa ainsi rédigé

Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement faisant le bilan de l'utilisation des comparutions immédiates. Ce rapport analyse plus largement les types de peines prononcées, les recours aux peines alternatives à la prison, les taux de recours.

M. Guy Benarroche.  - Nous demandons un rapport dressant le bilan des comparutions immédiates. L'Observatoire international des prisons indique que ces procédures sont pourvoyeuses d'incarcérations. Il y aurait, dans ce cas, un rapport mécanique avec la hausse du nombre de personnes incarcérées. Puisque nous souhaitons lutter contre cette hausse, l'étude paraît utile.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable à cette demande de rapport, en vertu d'une position constante. Au demeurant, la direction des affaires criminelles et des grâces publie chaque année un rapport sur la politique pénale, qui vous satisfait.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - L'amendement n°276 est excellent : avis favorable. Il faut une méthode de clarification - une centaine d'articles du code de procédure pénale renvoient à des articles, qui renvoient eux-mêmes à d'autres articles. Il n'est évidemment pas question de toucher au sens ni aux équilibres, mais le souci du Sénat est légitime. La confiance n'exclut pas le contrôle...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et la peur n'exclut pas le danger.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Oui, et pierre qui roule... (Sourires)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous sommes au Parlement, ici !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Ce n'est pas moi qui ai commencé, monsieur le sénateur.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nul besoin de surenchérir...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Monsieur Benarroche, avis défavorable à votre amendement n°159.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Je reviens sur la présentation des travaux, tous les trois mois, prévue par l'amendement n°276. L'article 2 et la demande d'habilitation justifient un contrôle : cet amendement doit être suivi d'un engagement fort du Gouvernement.

L'amendement n°276 est adopté.

L'amendement n°159 n'a plus d'objet.

M. le président.  - Amendement n°158, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Après l'alinéa 304

Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :

Il est institué dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, un comité d'évaluation de l'inflation des normes pénales.

Ce comité comprend deux députés et deux sénateurs, respectivement désignés par le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat.

Sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement sont précisées par décret.

Il établit un rapport public au plus tard dans les dix-huit mois suivant l'entrée en vigueur de la présente loi. Ce rapport établit un constat précis de l'inflation pénale, de ses conséquences et formule des préconisations visant à améliorer la construction normative dans sa qualité et dans sa quantité.

Il formule aussi des évaluations et prévisions liées à de possibles dépénalisations.

M. Guy Benarroche.  - Voilà quelques mois, j'ai travaillé avec Agnès Canayer au comité d'évaluation des cours criminelles départementales, qui a proposé des pistes d'amélioration. Dans le même esprit, je suggère d'instituer un comité d'évaluation de l'inflation des normes pénales et de leurs effets. En particulier, il s'agit de réfléchir à des dépénalisations et à leurs conséquences. Voilà qui ferait avancer tout l'écosystème, pour reprendre l'expression employée tout à l'heure.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Nous aimons, en effet, évaluer les politiques publiques. Votre idée est bonne, d'autant qu'elle correspond au comité parlementaire de suivi prévu par l'amendement que nous venons d'adopter... Il y aurait redondance à adopter le vôtre. Retrait, sinon avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Le Parlement, démocratiquement élu, a tout pouvoir pour vérifier s'il y a une inflation normative. Je refuse son effacement au profit d'instances sans légitimité. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie simule le geste d'un violoniste et Mme Laurence Rossignol part d'un grand éclat de rire.) Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je ne puis qu'être d'accord.

M. Guy Benarroche.  - Ce comité serait légitime, dans la mesure où le Parlement voterait sa création... Toutefois, je fais confiance à la rapporteure et retire mon amendement.

L'amendement n°158 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°146, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

I  -  Alinéa 310, deuxième phrase

Supprimer cette phrase.

II.  -  Après l'alinéa 310

Insérer sept alinéas ainsi rédigés :

Le Gouvernement s'engage à mener une politique de déflation carcérale, qui prenne en compte les différents facteurs de l'inflation pénale et replace la privation de liberté en tant que « peine de dernier recours ».

Une telle politique implique :

- la dépénalisation de certains types de délits, en confiant leur prise en charge à des autorités administratives sanitaires (comme la consommation de stupéfiants) ;

- la limitation des possibilités de recours à la détention provisoire dès le placement initial, et la réduction de sa durée ;

- une stricte limitation du champ d'application des procédures de jugement rapide ;

- une meilleure prise en compte du principe de l'individualisation des peines ;

- une révision de l'échelle des peines qui allie réduction du recours aux longues peines et remplacement des courtes peines de prison par des mesures non carcérales, en particulier par des mesures de probation en milieu ouvert.

M. Guy Benarroche.  - L'orientation toujours plus répressive des politiques pénales est un facteur d'augmentation de la population carcérale : de nouveaux délits sont systématiquement associés à de nouvelles peines de prison. Ainsi, des lois récentes banalisent l'incarcération, qui devrait être réservée aux peines les plus graves.

Nous militons pour une réponse pénale individualisée et graduée, avec davantage de mesures de probation ou en milieu ouvert. Tel est l'objet de cet amendement.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. Nous n'avons pas du tout la même vision des moyens de limiter la surpopulation carcérale. En particulier, nous n'entendons pas du tout dépénaliser la consommation de stupéfiants.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Grâce à la loi du 23 mars 2019, qui encourage les alternatives à l'incarcération, le taux d'aménagement est passé de 3 à 16 %.

Nous favorisons le développement du TIG. La plateforme TIG 360 est accessible à tous les avocats et magistrats : j'ai connu l'époque où des magistrats prononçaient des TIG sans savoir s'il y avait des places disponibles... Des aménagements sont prévus pour tenir compte des situations personnelles. Pourtant, les TIG sont de moins en moins utilisés. C'est pourquoi je demande, dans toutes mes circulaires, qu'on y ait davantage recours, chaque fois que c'est possible.

Dans la loi de décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, j'ai créé la libération sous contrainte de plein droit, pour limiter les sorties sèches.

L'article 3 du présent texte va dans votre sens, en développant l'assignation à résidence sous surveillance électronique.

Dans la circulaire du 20 septembre dernier, j'ai demandé que l'ensemble de ces mécanismes soient totalement utilisés.

Je suis radicalement opposé à la dépénalisation des stupéfiants, et certaines affaires récentes me confortent dans cette position.

Pour ces raisons, avis défavorable.

L'amendement n°146 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°240, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.

Alinéa 317, première phrase

Après le mot :

intrafamiliales

insérer les mots :

, opérationnels au plus tard au 1er janvier 2024,

Mme Mélanie Vogel.  - Cet amendement est très gentil... Les pôles spécialisés, sans être révolutionnaires, vont dans la bonne direction, mais sans date d'entrée en vigueur. Nous proposons une date limite au 1er janvier 2024.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Sagesse. Nous souhaitons tous une mise en place rapide, car nous en attendons de vraies améliorations. Le rapport est très complet et mérite notre admiration. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie simule à nouveau le geste du violoniste.) Je m'engage à présenter rapidement des propositions au Parlement et en espère une approbation massive.

L'amendement n°240 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°241, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.

Après l'alinéa 321

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Dans la continuité de la volonté de mieux coordonner et d'accélérer les démarches, des centres d'aide aux victimes de violences intrafamiliales seront expérimentés dans sept départements, dont deux d'outre-mer permettant à toute victime d'effectuer les premières démarches juridiques, médicales et administratives et garantissant, le cas échéant, une protection aux victimes, co-victimes et témoins. À ces fins, ces centres permettront de déposer plainte, de demander une ordonnance de protection et de réaliser un examen médical. Par ailleurs, le centre d'aide propose un accompagnement psychologique aux victimes et, le cas échéant, aux co-victimes et témoins. Si la victime demande une ordonnance de protection, elle se voit automatiquement proposer une place d'hébergement d'urgence.

Mme Mélanie Vogel.  - Comme vous, j'ai visité en Espagne une juridiction spécialisée dans la protection des victimes de violences fondées sur le genre. C'est un véritable guichet unique, regroupant magistrats et avocats spécialement formés, travailleurs sociaux, psychologues. Les femmes peuvent faire toutes les démarches au même endroit, les professionnels se parlent, les enfants n'ont pas à témoigner plusieurs fois. Inspirons-nous en.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Votre amendement a une portée plus réduite. Les maisons des femmes, comme celle créée par Ghada Hatem dans le 93, ont vocation à essaimer. Le 8 mars, la Première ministre a annoncé qu'il y en aurait une par département.

En Espagne, les tribunaux spécialisés sont réservés aux grandes villes ; dans les plus petites juridictions, tout aussi touchées par les féminicides, ce sont des pôles spécialisés. Faisons avec les moyens du bord, pour aller vite. Demande de retrait car satisfait.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Même avis. Nous avons des lieux qui regroupent médecins, psychologues, forces de sécurité intérieures, et la Première ministre a appelé à créer une maison des femmes par département. J'ai signé en mai une convention nationale interministérielle avec le réseau des maisons des femmes pour les promouvoir. Retrait car satisfait.

Mme Laurence Rossignol.  - La proposition de Mélanie Vogel n'est pas contradictoire avec les maisons des femmes, qui sont le plus souvent adossées à une structure hospitalière, et ne proposent pas un hébergement d'urgence. Les maisons des femmes ne pourront pas être toutes les mêmes. La coexistence des deux types de structures est pertinente, car certains départements ne pourront accueillir de maison des femmes faute d'offre de soins.

L'amendement n°241 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°160, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Alinéa 329

1° Deuxième phrase

Après le mot :

détention

insérer les mots :

ainsi que vers une juste rémunération et création du statut de détenu-travailleur

2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La réflexion de la rénovation du cadre normatif devra prendre en compte les nécessaires évolutions attendues en matière de conditions de travail, d'exercice des droits sociaux collectifs, ou du bénéfice de droits sociaux individuels comme ceux liés aux cotisations retraites et aux arrêts maladies.

M. Guy Benarroche.  - Le travail des détenus est un moteur de la réinsertion mais reste problématique. Le Conseil de l'Europe a conclu à la non-conformité avec le droit à une rémunération décente, le paiement à la pièce, officiellement interdit, étant toujours en cours. Le minimum légal est de 45 % du Smic, mais oscille entre 20 et 33 % lorsqu'il s'agit de l'entretien de la prison. L'absence de l'inspection du travail fait que les détenus ne sont pas traités comme des travailleurs à part entière.

Monsieur le ministre, vous le dites vous-même : le droit du travail ne doit pas s'arrêter aux portes des prisons. Menez ce combat avec nous !

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis défavorable. La loi pour la confiance en l'institution judiciaire qui crée le contrat d'emploi pénitentiaire est récente et nous n'avons pu en mesurer les effets. Au surplus, le Sénat, comme les entreprises, n'était pas spécialement favorable au contrat d'emploi pénitentiaire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis défavorable. Le contrat d'emploi pénitentiaire, voté il y a peu, réforme en profondeur le statut du détenu travailleur. Contrat de droit public, fin de la rémunération à la pièce, minimums de rémunération bien plus élevés que chez nos voisins : 5,15 euros de l'heure, contre 1,50 euro en Allemagne, 1,73 euro en Belgique, 2,80 euros aux Pays-Bas. Avec ce salaire, le détenu est tenu de rembourser ses victimes. Ces contrats sont triplement vertueux : pour la formation et donc la réinsertion du détenu, pour les entreprises, pour les victimes. Les droits sociaux - assurance chômage, assurance vieillesse, accidents du travail - sont garantis.

Le travail est un levier contre la récidive. Le sens de l'effort n'est pas un sens interdit. Avec ces contrats, nous faisons venir les patrons dans les établissements ; par la suite, ils embauchent. Dans les années 2000, il y avait 50 % de détenus travailleurs. Lors de mon arrivée à la Chancellerie, ce taux était de 20 % ; aujourd'hui, nous sommes au-dessus de 30 %. Il faut tout faire pour éviter les sorties sèches.

Mme Laurence Rossignol.  - L'oisiveté est mère de tous les vices.

M. Guy Benarroche.  - Si le Sénat était réservé sur le contrat d'emploi pénitentiaire, le GEST, lui, y était très favorable, et l'a soutenu. Nous proposons ici de l'améliorer encore.

L'amendement n°160 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°242, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.

Après l'alinéa 360

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

- adaptation de la possibilité de déposer plainte, y compris une pré-plainte en ligne, aux Français établis hors de France.

Mme Mélanie Vogel.  - Les Françaises de l'étranger sont particulièrement exposées aux risques de violence conjugale : isolement, dépendance financière et matérielle, non-maîtrise de la langue ou du système juridique... Quand elles en sont victimes, elles voudraient pouvoir déposer plainte auprès des juridictions françaises pour bénéficier de l'assistance des autorités consulaires. Or accéder à la pré-plainte en ligne depuis l'étranger est extrêmement difficile, je peux en témoigner.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Je comprends l'intérêt de porter plainte en France pour les Français résidant à l'étranger, mais cela se fait auprès du tribunal de Paris, par écrit. La pré-plainte en ligne permet seulement de prendre rendez-vous sans se rendre au commissariat. Je ne comprends pas bien la difficulté que vous soulevez. Retrait ou avis défavorable, mais j'aimerais entendre le ministre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je ne comprends pas non plus la plus-value de déposer une plainte en ligne depuis l'étranger, puisqu'il y a ensuite un déplacement.

Par ailleurs, la Lopmi permet à toute victime d'infraction pénale de déposer plainte. Le décret paraîtra très prochainement. Retrait ?

Mme Mélanie Vogel.  - Une compatriote vivant à l'étranger a failli mourir récemment sous les coups de son compagnon. Pour accéder au site public qui permet notamment de contacter la police par messagerie instantanée, on vous demande de renseigner votre code postal. Pour les personnes à l'étranger, la démarche s'arrête là. Je demande simplement qu'on leur permette de poursuivre la démarche.

Mme Dominique Vérien, rapporteure - Il faudrait qu'ils indiquent le département de Paris...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Le garde des sceaux va s'en occuper.

M. Jérôme Bascher.  - Cela ne relève pas du législatif, mais c'est intéressant.

Mme Mélanie Vogel.  - Je l'entends, et je retire l'amendement si le ministre me dit que l'on peut accéder à ces services depuis l'étranger.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Naturellement, il n'est pas question de laisser sans réponse des victimes qui sont à l'étranger. Le ministère de l'intérieur prépare des décrets sur la plainte par télécommunication audiovisuelle. À ma connaissance, les Français de l'étranger ne sont pas exclus de ce dispositif. Cela mérite néanmoins une vérification. Je m'engage à me rapprocher du ministre de l'intérieur et vous apporterai rapidement une réponse.

L'amendement n°242 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°139, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Après l'alinéa 367

Insérer un alinéa ainsi rédigé : 

Le Gouvernement s'engage en outre à poursuivre la revalorisation de l'aide juridictionnelle et, dans le contexte de la création de la contribution pour la justice économique, à ouvrir cette aide aux personnes morales.

M. Guy Benarroche.  - Il faut poursuivre la revalorisation de l'aide juridictionnelle. En effet, l'effet de seuil revient à exclure nombre de personnes qui mériteraient une prise en charge.

Le rapport Perben de 2020 soulignait que l'aide juridictionnelle était dans la moyenne basse de l'Union européenne. Le projet de loi de finances pour 2023 a augmenté les crédits de 4,2 %, mais il faut aller plus loin. Ouvrons également l'aide juridictionnelle aux personnes morales les plus fragiles, pour ne pas entraver l'accès à la justice des PME.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Ce sujet est important et cet amendement très large. La revalorisation de l'aide juridictionnelle, préconisée tant par le rapport Perben que par les états généraux de la justice, relève du projet de loi de finances. Sagesse, mais nous aimerions entendre le Gouvernement sur ce sujet.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - En matière d'aide juridictionnelle, nous sommes passés de 342,4 millions d'euros en 2017 à 629,8 millions d'euros en 2022, soit une augmentation de plus de 80 %. C'est énorme ! C'est notamment dû à la hausse du montant de l'unité de valeur, qui a dépassé son niveau d'origine en valeur réelle, corrigée de l'inflation. Avis défavorable.

L'amendement n°139 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°140, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Alinéa 369

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Les demandes et suivis concernant le traitement de l'aide juridictionnelle par envoi postal ou auprès d'un guichet seront toutefois maintenus ;

M. Guy Benarroche.  - Nous partageons l'objectif zéro papier et mesurons les avantages de la dématérialisation, mais celle-ci a des limites, en premier lieu l'illectronisme.

Les individus les plus vulnérables - âgés, en situation de handicap, migrants, éloignés ou en grande précarité - sont les plus sujets à l'illectronisme, mais aussi ceux qui ont le plus besoin de l'aide juridictionnelle.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis défavorable. Le rapport annexé prévoit une possibilité supplémentaire, mais ne supprime aucune disposition.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Bien sûr qu'il reste des gens pour accueillir les justiciables, dans les points de justice ou dans les services d'accueil unique du justiciable (Sauj). Aucune juridiction ne refuse de renseignements aux personnes précaires ! Le numérique permet d'apporter des réponses plus rapidement, et 90 % des juridictions peuvent répondre par voie dématérialisée.

J'ai souhaité mettre la justice à portée de doigts. Sur justice.fr, une application mobile indique si l'on est ou non éligible à l'aide juridictionnelle. Tout le monde n'a pas de portable, certes, mais vous pouvez vous-même renseigner une personne précaire, dans la rue !

Jamais l'humain ne disparaîtra, bien sûr, et il reste des gens pour vous informer, notamment les futurs magistrats dans les points de justice. Avis défavorable.

M. Guy Benarroche.  - Je n'ai jamais prétendu le contraire, mais tout le monde n'est pas égal face au numérique. Les personnes qui seront le plus naturellement demandeuses d'aide juridictionnelle sont aussi plus sujettes à l'illectronisme.

Il n'est pas toujours évident de faire 50 kilomètres pour rejoindre un point de justice. Je connais des personnes qui n'ont pas trouvé de guichet ouvert pour répondre à leurs questions, alors qu'elles ne peuvent ni téléphoner, ni envoyer un courrier. Tout repose sur la bonne volonté du personnel administratif ou des associations bénévoles. Il ne me paraît pas absurde de prévoir le maintien des liaisons téléphoniques.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Bien sûr, tout justiciable doit avoir accès à la justice. Il existe des points de justice forains et des audiences foraines. La justice va vers les plus démunis.

L'amendement n°140 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°109, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Harribey et MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte et Marie.

Après l'alinéa 376

Insérer un alinéa ainsi rédigé : 

Enfin, le ministère examinera d'une part la possibilité de revaloriser l'indemnité d'aide juridictionnelle pour les avocats et les commissaires de justice concernant les actes relatifs à l'ordonnance de protection prévue par l'article 515-9 du code de procédure civile.

Mme Laurence Rossignol.  - Comme le suivant, cet amendement reprend les préconisations du rapport de Mme Vérien. Les véhicules législatifs ne sont pas fréquents, et quand le train passe, je monte dedans ! Je vous suggère de faire de même avec vos amendements, d'autant que le ministre dit adhérer à vos recommandations.

Il s'agit ici de revaloriser l'aide juridictionnelle concernant les actes relatifs à l'ordonnance de protection. Les avocats qui se spécialisent dans la défense des femmes victimes de violences le font presque pro bono, tant l'aide juridictionnelle est faible. Indiquons dans le rapport annexé que le ministre examine la possibilité d'une revalorisation.

M. le président.  - Amendement n°110, présenté par Mme Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 382

Insérer un alinéa ainsi rédigé : 

Une fonctionnalité visant à permettre aux victimes d'être informées en temps réel de l'avancée de leur procédure sera également mise en place. 

Mme Laurence Rossignol.  - Encore une recommandation de Mme Vérien : ajouter une fonctionnalité permettant aux victimes d'être informées en temps réel de l'avancée de leur procédure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis défavorable, car nous ne souhaitons pas inclure le rapport dans le rapport annexé. L'amendement n°110 relève du domaine réglementaire, l'amendement n°109 du projet de loi de finances. J'y suis toutefois attentive.

Mme Laurence Rossignol.  - L'adopter préparerait la loi de finances !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Vous montez dans le train qui se présente, mais au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable...

Mme Laurence Rossignol.  - J'espère que vous connaissez le sens de cette référence ! (Rires) C'était osé...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Pour l'ordonnance de protection, l'aide juridictionnelle est fixée à seize unités de valeur.

Mme Laurence Rossignol.  - Ce n'est pas assez ! Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Mme Vérien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - J'entends, mais avis défavorable pour le moment. Je rejoins Mme Vérien à 90 %, mais laissez-moi une marge de liberté !

Retrait de l'amendement n°110, car nous sommes en train de travailler sur cette fonctionnalité.

Mme Laurence Rossignol.  - Je retire l'amendement n°110 : je fais confiance à la Chancellerie. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'étonne.) Pour l'aide juridictionnelle, je maintiens l'amendement n°109 : j'ai moins confiance.

L'amendement n°110 est retiré.

L'amendement n°109 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Gold et Guiol, Mme Pantel et MM. Roux et Guérini.

Alinéa 383

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée : 

Ces améliorations s'accompagneront de mesures visant à pallier les risques d'exclusion numérique.

M. Jean-Claude Requier.  - La mise en place d'une application mobile est bienvenue, mais gare à ne pas aggraver la fracture numérique, sur laquelle le RDSE alerte régulièrement - je vous renvoie notamment au rapport de Raymond Vall. Les innovations numériques devront s'accompagner de mesures pour lutter contre l'illectronisme.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Nous n'allons pas reprocher au ministre de la justice de se numériser, d'autant que les points de justice se multiplient. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Comment des gens dépourvus de téléphone ou qui ne savent pas faire ont-ils accès à l'aide judiciaire ? Il y a 2 080 points de justice, dont 148 maisons de la justice et du droit et 264 Sauj en présentiel. En 2022, plus de 900 000 personnes ont été reçues au sein des 743 042 permanences organisées. Soyez assuré que le ministère est très attentif à nos compatriotes qui n'ont pas accès au numérique.

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°243, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.

Alinéa 385

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

De plus, la déconjugalisation des allocations familiales pour les personnes victimes de violences conjugales sera expérimentée dans huit départements, dont deux d'outre-mer, pour une durée de cinq ans.

Mme Mélanie Vogel.  - Je suis pour tout déconjugaliser - impôts, allocations - mais cet amendement est beaucoup plus restreint. La dépendance financière est une cause de non départ du domicile, même en situation de danger. Je propose d'expérimenter la déconjugalisation des allocations familiales pour les victimes de violences familiales, dans huit départements, dont deux d'outre-mer.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis défavorable, car nous ne mesurons pas la faisabilité de cette expérimentation. Nous avons récemment voté la proposition de loi Létard qui prévoit un accompagnement des victimes par la CAF.

Mme Laurence Rossignol.  - Cela vaut le coup d'y travailler.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - En effet.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - L'idée est certes intéressante, mais en l'état, retrait ou avis défavorable. Cela ne peut relever de la loi organique. L'expérimentation du pack nouveau départ permet de régler, dans l'urgence, les difficultés notamment financières.

L'amendement n°243 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°244, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.

Alinéa 386, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Toute femme victime de violences conjugales qui en fait la demande se verra proposer une place d'hébergement ou de logement temporaire.

Mme Mélanie Vogel.  - Chaque victime de violence conjugale qui le demande doit se voir proposer une place d'hébergement temporaire.

En Espagne, il y a trois fois moins de morts par féminicides, notamment grâce au système performant de relogement. Les féminicides ont souvent lieu les jours suivant le signalement. Les femmes qui signalent ces violences sont mises à l'abri immédiatement ; cela sauve des vies. Il serait intéressant de savoir combien de places d'hébergement ont été créées en 2022.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Là encore, cet amendement est utile, mais avis défavorable, pour ne pas noyer le rapport annexé.

Beaucoup de choses sont expérimentées, y compris en ruralité : des villages de l'Yonne ont mis à disposition de familles ou de femmes seules des logements, souvent gérés par l'association France Victimes. Mais il faut aussi que l'auteur soit éloigné du domicile conjugal - sans nier l'importance du secret de l'adresse. Il faut qu'il paye les conséquences de ses actes...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - L'ordonnance de protection permet d'attribuer le domicile conjugal à la victime de violences. D'autres politiques publiques sont expérimentées.

L'Espagne est une référence, mais rappelons qu'elle a légiféré dès 2004, bien avant nous. Dans un premier temps, les crimes n'ont pas baissé, avant de décroître, jusqu'à un nouveau plateau.

Chez nous, les premières mesures sont plus récentes : le Grenelle, les téléphones grave danger, les mesures d'hébergement d'urgence ou les bracelets anti-rapprochement (BAR), pour lesquels nous faisons mieux que les Espagnols. Un BAR 5G sera bientôt opérationnel. Nous franchissons petit à petit des étapes, et nous progressons.

Les Espagnols ont commencé bien avant nous, mais nous n'avons pas à rougir de notre action.

L'amendement n°244 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°245, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.

Alinéa 386, après la deuxième phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Le stock des bracelets anti-rapprochement sera considérablement augmenté pour garantir que ce dispositif pourra être utilisé à chaque fois que les circonstances l'exigent.

Mme Mélanie Vogel.  - Au lendemain d'un féminicide à Mérignac par un homme qui ne portait pas de BAR, la presse avait révélé l'inégale répartition de ces bracelets selon les juridictions. Cet amendement propose d'augmenter les stocks de ces bracelets. Sont-ils en nombre suffisant ? Le problème est-il ailleurs ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis défavorable. La non-prescription d'un BAR peut être une erreur initiale du juge, qui n'a pas anticipé la sortie de prison.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Eh oui, c'est le juge !

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Il y a aussi eu des dysfonctionnements : les magistrats n'en donnent pas, notamment à Paris, car passer en métro sous l'endroit où se trouve la femme concernée déclenche l'alerte. À Sens, le sujet est différent : les anciens conjoints ne vivent plus au même endroit, mais l'alerte est parfois déclenchée lorsque les personnes se croisent en ville ou dans des lieux de travail proches. La nouvelle génération de BAR permettra des périmètres plus courts, ce qui évitera les déclenchements intempestifs ; ils pourront être distribués plus largement.

Nous avons voté en loi de finances une augmentation du nombre de BAR, et leur amélioration technique. (M. le ministre abonde.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Dans les juridictions, tout le monde connaît le BAR et le téléphone grave danger. J'avais rédigé une circulaire, qualifiée de comminatoire, à la suite d'une affaire dramatique, rappelant que les BAR ne devaient pas rester dans les tiroirs.

Le BAR a été déployé le 24 septembre 2020. Aujourd'hui, 1 020 dispositifs sont actifs, sans aucune difficulté de stock. Le volume de matériel disponible augmente, et sera porté à 2 500 en 2024. S'il en faut plus, nous les fournirons. Les BAR dernière génération auront une meilleure connectivité et une meilleure autonomie.

L'amendement n°245 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°111, présenté par Mme Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 386

Insérer un alinéa ainsi rédigé : 

De plus, le ministère entend examiner la possibilité de prévoir l'indemnisation de l'avocat assistant une victime de violences intrafamiliales dans le cadre de l'enquête, et ce dès le dépôt de plainte.

Mme Laurence Harribey.  - Cet amendement reprend la 22e recommandation du plan rouge VIF, à savoir l'indemnisation de l'avocat assistant une victime de violences intrafamiliales dès le dépôt de plainte.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Pas de rapport dans le rapport : avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°111 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°246, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon.

Après l'alinéa 387

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Le numéro national d'écoute des victimes de violences 39 19 est un dispositif essentiel qui constitue souvent un premier point de contact qui permet la libération de la parole, informe la victime de ces droits et, le cas échéant, l'oriente vers les acteurs proposant un accompagnement spécifique de la victime. Son opération ne peut faire l'objet d'un appel d'offres de marché public.

Mme Mélanie Vogel.  - Les associations féministes, y compris celle qui gère aujourd'hui le 3919, avaient été très inquiètes de l'annonce d'un recours à un appel d'offres pour son attribution, finalement abandonné. Nous voulons garantir que cela ne se reproduira pas.

Une requête pour les Françaises de l'étranger : on ne peut appeler le 3919 de l'étranger ; il faudrait un numéro public qui le permette. Êtes-vous prêt à le mettre en place, monsieur le garde des sceaux ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis défavorable. Des services de l'État expliquaient qu'il fallait un marché public pour renouveler le 3919, sans avoir conscience que ce numéro appartenait à une association et qu'on pouvait très bien s'affranchir des règles du code des marchés publics.

Une fois ce problème réglé, cette décision a fait jurisprudence. Avis défavorable, donc.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Même avis.

Quant à la ligne accessible depuis l'étranger, nous étudierons la question.

L'amendement n°246 est retiré.

L'article 1er, modifié, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE 1er

M. le président.  - Amendement n°32, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement de la programmation immobilière, pénitentiaire et judiciaire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cet amendement et les suivants prévoient une information du Parlement respectivement sur la progression de l'information immobilière et pénitentiaire, le plan de transformation numérique, l'aide juridique aux victimes de violences intrafamiliales et l'installation des pôles avancés pour les violences intrafamiliales.

M. le président.  - Amendement n°33, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement du plan de transformation numérique du ministère de la justice pour les années 2023-2027.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°34, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi et du plan d'action qui l'accompagne s'agissant du renforcement et de la modernisation de l'accès au droit, le traitement de l'aide juridictionnelle et l'attention renforcée aux droits des victimes, notamment de violences intrafamiliales et sur mineurs.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°57, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'état d'avancement de l'installation des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales. Ce rapport précise en particulier les effets relatifs à la création des pôles spécialisés sur le traitement judiciaire de ces violences, la prise en charge de leur auteur et l'accompagnement des victimes.

Les possibilités de l'évolution des pôles spécialisés vers la création d'une juridiction spécialisée en charge des violences sexuelles, intrafamiliales et conjugales, compétente pour juger les faits de viol, d'inceste et d'agressions sexuelles, d'outrage sexiste, de harcèlement, de recours à la prostitution, des violences physiques, sexuelles et morales commises au sein du couple ou sur un enfant de la cellule familiale sont également analysées.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Défendu.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Vous connaissez le sort des demandes de rapport, je serai donc brève : avis défavorable. Nous en reparlerons lors du budget.

L'amendement n°32 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos33, 34 et 57.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°208, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Supprimer cet article.

M. Gérard Lahellec.  - Nous exprimons des réserves sur l'habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de clarification du code de procédure pénale.

La tâche, complexe, nécessite une analyse approfondie et l'écoute des experts du système judiciaire. La précipitation est source d'erreurs et le délai d'un an, insuffisant. Les acteurs du système judiciaire auront besoin de temps pour s'adapter aux nouvelles règles.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - L'article 2 habilite le Gouvernement à réécrire à droit constant le code de procédure pénale dans un délai de deux ans, afin de le clarifier en passant de 2 400 articles à moins de 300 ; c'est un travail considérable. Il faudra s'interroger sur ce qu'est le droit constant.

Le Sénat n'aime guère les habilitations, mais les recodifications sont toujours des travaux fastidieux, comme nous l'avons vu pour les douanes, le code pénitentiaire ou la justice pénale des mineurs. C'est le rôle du comité scientifique.

Il faut non seulement une clarification, mais une simplification, avec des réformes de fond. La logique aurait voulu que l'on s'interroge d'abord sur le fond - l'unification des procédures d'enquêtes, par exemple. La procédure inverse a été choisie, mais il faut aller vers la simplification, attendue par tout le monde. Avis défavorable, donc.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Monsieur Lahellec, je comprends vos interrogations. Mais le Parlement contrôlera et se rendra compte que le Gouvernement n'aura pas débordé.

Le Conseil d'État, dans son avis, ne dit rien concernant la question du droit constant. Un suivi parlementaire complétera le travail du comité scientifique, qui sera titanesque. Si nous ne le faisons pas maintenant, cette clarification n'aura pas lieu dans vingt ans.

Éviter l'habilitation supposerait de présenter un projet de loi de 2 000 articles ! Laissons ce comité composé de professionnels travailler ; les parlementaires contrôleront ses travaux au fil de l'eau. La Commission supérieure de codification, dont Alain Richard est membre, se penchera aussi sur cette question.

Clarifier avant de se pencher sur le fond, c'est un peu mettre la charrue avant les boeufs, mais je n'ai pas d'autre possibilité. Il faudra deux ans pour clarifier - ou simplifier... La nuance est fine, monsieur Bonnecarrère : quand on simplifie, on clarifie ! (M. Philippe Bonnecarrère hoche la tête en signe de désaccord.)

Il faut faire passer le code de cela (M. le garde des sceaux écarte le pouce et l'index) à cela (il rapproche ses doigts) sans bouleverser les équilibres. Fusionner les cadres d'enquête, ce ne serait ni de la clarification ni de la simplification, mais un autre code de procédure pénale.

Monsieur Lahellec, je sais les parlementaires légitimement soucieux de leurs prérogatives. Mais le travail se fera avec vous, de façon transparente. Les forces de sécurité intérieure, les magistrats, les avocats ont besoin d'un code clarifié, donc simplifié. Avis défavorable.

L'amendement n°208 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°210, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Cette codification à droit constant s'oppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Nous avons réfléchi, autant que possible dans les délais qui nous étaient octroyés, à ce sujet majeur. Oui, il faut réécrire le code, et c'est, en effet, un travail de titan.

L'article d'habilitation est complet et précis. Il mérite cependant que l'on précise la notion de droit constant. Je salue, par avance, le travail des professionnels qui devront suivre cette contrainte.

Reprenons donc la formulation du juge constitutionnel du 16 décembre 1999 : « Le principe de la codification à droit constant s'oppose à ce que soit réalisée une modification de fond des matières législatives codifiées ». L'habilitation ne peut qu'y gagner.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Nous avons largement échangé avec Mme de La Gontrie à ce sujet. La clarification se fera à droit constant, mais elle aura nécessairement des incidences. Surtout, le concept de « modification de fond » proposé par Mme de la Gontrie n'est pas tellement plus clair...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est celui du Conseil constitutionnel !

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - L'amendement n'apporte pas de garantie supplémentaire. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - J'y vois moi aussi une mention superfétatoire. Les pages 39 et 40 de l'étude d'impact mentionnent que la recodification à droit constant s'oppose à une modification de fond : c'est clair.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est que l'étude d'impact.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis défavorable.

M. Philippe Bonnecarrère.  - Le débat entre clarification et simplification n'est pas seulement sémantique. Ces notions sont complémentaires. Il est exact qu'une réforme de fond de la procédure n'améliorerait pas la lisibilité.

En revanche, si l'on ne s'attache qu'à la lisibilité, cela prendra deux ans. Les magistrats, policiers et gendarmes devront s'adapter à une nouvelle numérotation, à une nouvelle organisation et nous ne verrons jamais la simplification.

Il faudrait mener les deux travaux en parallèle, sinon « en même temps » : l'ordonnance à droit constant offre la meilleure visibilité, mais en parallèle, le comité scientifique et les parlementaires doivent réfléchir à la simplification. Cela évitera une tromperie sur la qualité du travail réalisé. S'il n'y avait finalement pas de simplification, policiers, gendarmes et magistrats se sentiraient à bon droit floués.

M. Alain Richard.  - Voilà une douzaine d'années que je siège à la Commission supérieure de codification. La première étape de la refonte d'un code consiste à en refaire le plan. De mon point de vue, cela prendra un an. Commence ensuite le travail de vérification de la qualité de la rédaction, perfectible car parfois répétitive, dans le cas d'espèce.

Dès lors, on décèlera les points nécessitant une réforme de fond. La seule manière de finir le travail sera de les intégrer au projet de loi de ratification (M. Philippe Bonnecarrère acquiesce), d'où le délai prévu par la commission entre publication et ratification de l'ordonnance.

L'amendement n°210 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°35, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni de celles des commissions chargées des affaires européennes, il est constitué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, un comité de suivi composé à parité d'hommes et de femmes représentant tous les groupes politiques, chargé de suivre, de proposer les mesures de simplification de la procédure pénale, et préparer le débat parlementaire nécessaire à la ratification de l'ordonnance de réécriture de la partie législative du code de procédure pénale.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Chaque assemblée doit disposer d'un comité de suivi.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable, à défaut d'un retrait : le rapport annexé le prévoit déjà.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est pas la même chose.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Même avis. Le rapport annexé le prévoit et je m'y suis engagé.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est toujours pas la même chose...

L'amendement n°35 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°115, présenté par Mme Devésa.

Alinéa 3

Remplacer le mot :

vingt-quatre

par le mot :

douze

Mme Brigitte Devésa.  - La justice française doit relever le défi de l'efficacité et de la réduction des délais. Mais les ordonnances, elles aussi, doivent être prises deux fois plus vite : je propose douze mois plutôt que vingt-quatre.

M. le président.  - Amendement n°168, présenté par Mme de La Gontrie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 3

Remplacer le mot :

vingt-quatre

par le mot :

dix-huit

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Nous proposons de réduire le temps dont disposera le Gouvernement pour rédiger l'ordonnance à dix-huit mois, mais pour une autre raison. Lorsque Gérard Larcher avait engagé la refonte du code de travail en 2005, une nouvelle habilitation avait dû être votée en raison d'un délai trop court. Dans le cas qui nous intéresse, ce serait l'occasion pour le Parlement d'être pleinement informé et de conserver la main - comme une habilitation en deux temps.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Raccourcir le délai serait effectivement un moyen de contrôler le travail du comité. Cependant, dix-huit mois, c'est très court...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est exprès !

Mme Agnès Canayer.  - ... et une nouvelle habilitation alourdira les travaux. Privilégions la ratification. Douze mois, c'est encore pire. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Il faut travailler vite, mais il faut aussi travailler bien. M. Richard a rappelé l'ampleur de la tâche. Nous avons besoin des vingt-quatre mois pour faire un travail de qualité. Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est étrange que, depuis des années, tout le monde déplore la complexité du code de procédure pénale, mais que rien ne bouge... Dix-huit mois, c'est tout de même une certaine durée, au cours de laquelle les parlementaires peuvent suivre les travaux.

Depuis 2008, la Constitution prévoit une ratification expresse des ordonnances : c'est beau, c'est généreux, mais cela ne s'applique pas. J'entends votre engagement, monsieur le ministre, d'une ratification expresse pour ce cas particulier.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Évidemment. Nous ne prendrons pas ce risque.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Sans cela, tout notre débat est nul. Tout ce qui garantit effectivement la consultation du Parlement sur le résultat des travaux et leurs modifications de fond est bienvenu. Le fond et la forme ne peuvent jamais être totalement dissociés.

M. Alain Richard.  - D'après mon expérience, le temps de réexamen d'un texte nouvellement codifié par le Conseil d'État est d'au moins trois mois. C'est le Conseil d'État qui écrit l'ordonnance : vu la masse prévisible du texte, il demandera sans doute au moins quatre mois. Comprimer à dix-huit mois n'est pas réaliste.

L'amendement n°115 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°168.

L'article 2 est adopté.

L'article 2 bis est adopté.

AVANT L'ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°15 rectifié ter, présenté par Mmes Herzog et Saint-Pé, M. Folliot, Mme Dindar, MM. Delcros, B. Fournier, Genet, Moga et Duffourg, Mme Jacquemet et M. Henno.

Avant l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 4° de l'article 61-1 du code de procédure pénale est complété par les mots : « et du droit de disposer d'une copie certifiée conforme du procès-verbal, délivrée par l'autorité d'enquête dans le cadre de l'audition ou de la confrontation ».

M. Alain Duffourg.  - Les parties doivent disposer d'une copie du procès-verbal lors des interrogatoires.

M. le président.  - Amendement n°16 rectifié ter, présenté par Mmes Herzog et Saint-Pé, M. Folliot, Mme Dindar, MM. Delcros, B. Fournier, Genet, Duffourg et Moga, Mme Jacquemet et M. Henno.

Avant l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le troisième alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Après chaque interrogatoire, confrontation et reconstitution, après qu'elle en a été informée verbalement, une copie du procès-verbal est immédiatement délivrée par tout moyen à la personne entendue. »

M. Alain Duffourg.  - Idem pour les reconstitutions et confrontations.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Vous reprenez la proposition de loi Herzog de juillet dernier. Il y a cependant un risque quant à la confidentialité de l'enquête. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis défavorable.

L'amendement n°15 rectifié ter n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°16 rectifié ter.

M. le président.  - Amendement n°267, présenté par le Gouvernement.

Avant l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 230-8 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Aux première, sixième, huitième, neuvième et dixième phrases du premier alinéa, après chaque occurrence du mot : « mention », sont insérés les mots : « interdisant l'accès dans le cadre d'une enquête administrative » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé : 

« S'agissant des décisions rendues par une cour d'appel, le procureur général territorialement compétent dispose des mêmes prérogatives que le procureur de la République. »

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Le fichier des antécédents judiciaires est essentiel au fonctionnement de la justice. Nous prévoyons d'en améliorer le fonctionnement en permettant aux procureurs généraux de le modifier en fonction des décisions prises par les cours d'appel, afin d'éviter le délai plus long que nécessite l'intervention des procureurs de la République.

Par ailleurs, l'amendement précise la notion de « mention », employée dans le code pénal pour se référer tant au casier judiciaire qu'aux restrictions d'accès au fichier des antécédents judiciaires. L'accessibilité des données resterait possible pour l'autorité judiciaire, mais pas dans un cadre administratif.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Bel exemple de clarification complexe... (Sourires) Sagesse.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est pourtant clair ! (Nouveaux sourires)

L'amendement n°267 est adopté et devient un article additionnel.

M. le président. - Nous avons examiné 41 amendements ; il en reste 215 sur ce texte.

La séance est suspendue à 19 h 55.

Présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 21 h 30.

Déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère de la France en Afrique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la politique étrangère de la France en Afrique.

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - L'Afrique est « un continent où se joue une partie de notre avenir commun » : le constat dressé par le Président de la République en 2017 devant les étudiants d'Ouagadougou reste d'actualité. L'Afrique subsaharienne compte désormais 1,1 milliard d'habitants, et ce nombre devrait doubler d'ici à 2050. Ce dynamisme réel dans notre voisinage immédiat comprend des défis et des opportunités.

Au nombre des opportunités, les perspectives de développement économique et démographique, de marchés à investir et à consolider, une jeunesse dynamique et créative. Les défis, ce sont les risques induits par cette croissance démographique et le changement climatique.

Les enjeux de développement, de transition, de partage de la richesse, d'éducation et de santé sont immenses, avec toutes leurs conséquences sécuritaires et migratoires. Nous avons bel et bien, comme l'a dit le Président de la République en février, « un destin lié avec le continent africain ». Il ajoutait : « Ce n'est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle, c'est un fait. Et tout dépendra de ce que nous en faisons. »

Nous avons trop souvent considéré nos relations avec l'Afrique comme celles de Montaigne et La Boétie : « parce que c'était lui, parce que c'était moi », comme si les Africains devaient toujours nous réserver leur préférence. Rien n'est plus faux. Cette attitude nous fait perdre de la crédibilité. La vision de l'Afrique comme terrain d'un jeu d'influence à somme nulle entre puissances est tout aussi dépassée, car les pays africains ont depuis longtemps diversifié leurs partenariats.

En somme, notre politique étrangère en Afrique est de mettre définitivement fin à cette mentalité de l'évidence, pour avancer ensemble, en partenaires. Nos atouts sont nombreux, à commencer par l'intensité des liens humains, avec la langue, le million de Français de La Réunion et de Mayotte vivant en Afrique, nos diasporas - Français en Afrique et Africains en France.

La France entend aussi se donner des moyens à la mesure de son action. Notre aide publique au développement est ainsi passée, entre 2017 à 2022, de 10 à 15 milliards d'euros par an. La France est devenue le quatrième bailleur mondial, le seul à avoir augmenté ses financements sur le continent, qui s'élèvent désormais à 5,2 milliards d'euros. Nous défendons l'Afrique comme première région de solidarité à Bruxelles.

Le sommet de Paris des 22 et 23 juin pour un nouveau pacte financier mondial vise à prévenir le risque de fracture entre le Nord et le Sud, en finançant la transition écologique et la sortie de la pauvreté.

Notre ambition est aussi de soutenir l'intégration de l'Afrique à la gouvernance mondiale, avec l'attribution d'un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et une pleine participation de l'Union africaine (UA) au G20.

Notre ambition s'incarne également dans notre réseau culturel, avec nos 28 instituts français et 109 alliances françaises en Afrique subsaharienne, ainsi que les 108 établissements scolaires du continent.

En France, les étudiants africains étaient 150 000 en 2021, soit une hausse de 40 % en quatre ans.

En matière d'ambition économique, méfions-nous des faux-semblants : nos parts de marché marquent le pas, mais la croissance africaine est telle que notre présence croît en volume. En quinze ans, les filiales d'entreprises françaises en Afrique ont doublé. Nous sommes le deuxième investisseur étranger. Notre réseau diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir cette dynamique.

Notre ambition, c'est le dialogue sur des sujets tels que la lutte contre le changement climatique. À la COP26 de Glasgow, nous avons joué un rôle précurseur en la matière avec le partenariat pour une transition énergétique juste pour faire sortir l'Afrique du Sud de sa dépendance au charbon.

Dès le début de la guerre en Ukraine, qui a aggravé la situation alimentaire du continent, nous nous sommes mobilisés pour les pays les plus vulnérables en y facilitant l'envoi de céréales. Nous avons transporté 20 millions de tonnes d'engrais vers le Malawi et 26 000 tonnes de céréales en Éthiopie avec le Programme alimentaire mondial (PAM) et l'Allemagne. Nous avons doublé notre contribution au PAM.

La Russie exerce, quant à elle, un chantage constant sur la reconduction de l'initiative pour l'exportation de céréales en Mer Noire. Nous discutons pour limiter les effets de la guerre en Ukraine. L'agression d'un État souverain par un autre rompt les principes d'égalité souveraine et d'intégrité territoriale. L'Europe apparaît parfois trop lointaine. Nous cherchons donc à accroître la pression sur la Russie pour que son agression échoue - il y va de l'avenir de toutes les nations souveraines. Tous doivent en être conscients, d'autant plus que six chefs d'État du continent se rendront à Kiev et à Moscou dans le cadre d'une initiative de paix dont les contours restent à définir.

Plus généralement, la France met sa diplomatie au service de la paix. Ainsi, les pays du Sahel et du golfe de Guinée font toujours face à la menace terroriste. Au Soudan, nous sommes en contact avec les deux parties au conflit. Nous avons évacué de Khartoum les Français et de très nombreux ressortissants étrangers. Nous recherchons une solution politique pour la reconduction de la trêve. Dans les Grands Lacs, nous sommes à la manoeuvre pour soutenir le processus de paix.

Enfin, nous entretenons un dialogue permanent sur l'État de droit, la démocratie, la lutte contre la peine de mort, l'égalité entre les femmes et les hommes, les droits LGBT+ ou encore la liberté d'expression, que notre interlocuteur soit africain ou non.

En effet, l'autre clé de notre ambition est la volonté de bâtir « une relation nouvelle, équilibrée, réciproque et responsable » - je cite encore le Président de la République - avec les 54 pays africains. Il n'y a pas une Afrique, mais beaucoup d'Afriques.

Le piège du déclinisme, ou un complexe qui n'a pas lieu d'être, nous empêcherait d'être à la hauteur de ce qui se passe réellement sur le continent. Dans leur grande majorité, les relations fonctionnent bien. Il y a néanmoins des vents contraires, avec la diffusion d'un discours anti-français dans certains pays. Il est pour partie lié à l'héritage de l'histoire et aux frustrations de la jeunesse, mais aussi à des menées hostiles venues notamment de Russie.

Face à chacune de ces causes, nous agissons. C'est le sens de la dynamique plus partenariale de notre présence sécuritaire.

C'est le sens aussi de notre démarche vis-à-vis de certains pays où le passé ne passe pas, faute d'efforts suffisants de notre part. Nous les avons faits au Rwanda, où la France a regardé son histoire en face en constituant une commission d'historien des deux pays. C'est la voie que nous voulons prendre au Cameroun, avec une commission d'historiens et d'artistes constituée l'été dernier. Notre communication s'oriente vers la jeunesse.

J'ai redonné à nos ambassades les moyens de mener elles-mêmes de petits projets (Mme Marie-Arlette Carlotti s'en félicite), avec une prise de décision plus proche du terrain. Pour cela, j'ai lancé le fonds Équipe France de 40 millions d'euros - pour mon ministère, c'est beaucoup - qui permet aux ambassades de monter des projets à haute valeur politique, ainsi qu'un fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel doté de 20 millions d'euros. Ces deux fonds sont complémentaires des actions structurantes de l'Agence française pour le développement (AFD).

Après la saison Africa 2020, nous inaugurerons à Paris une Maison des mondes africains, pour mettre en valeur la diaspora et montrer que la France et ses partenaires africains sont plus forts quand ils s'unissent. Nos instituts programment désormais des créations africaines partout dans le monde, avec succès.

La Fondation de l'innovation pour la démocratie, lancée en octobre avec Achille Mbembé, met en réseau celles et ceux qui inventent les nouvelles formes de vie démocratique sur le continent, sans donner de leçons.

Enfin, face à la manipulation de l'information, j'ai augmenté les moyens de communication du ministère. Nous avons mis en place des dispositifs de veille et de riposte, notamment sur les réseaux sociaux, et soutenons les fact checkers et les écosystèmes médiatiques africains. J'ai demandé à nos ambassadeurs une communication plus offensive, et nous refondons la communication de tous nos opérateurs derrière le seul drapeau de l'Équipe France.

Je réserverai ma conclusion à cette jeunesse exigeante, entreprenante, fière, ouverte sur le monde, qui ne demande pas qu'on agisse à sa place, mais qu'on investisse dans ses projets. Une jeunesse qui ressemble tellement à la nôtre et nous lance le défi de nous renouveler. Tous nos diplomates en Afrique font vivre ce programme de transformation avec conviction. C'est ainsi que la France restera un partenaire pertinent d'un continent central pour l'équilibre du monde de demain. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et des groupes UC et Les Républicains)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées .  - Comme l'a dit Mme la ministre, il y a autant de situations sécuritaires en Afrique que de partenaires.

Premièrement, pour schématiser, nous avons vécu deux périodes. Les années 2000 à 2010 ont vu beaucoup d'interventions françaises relevant d'une culture d'interposition, sur fond de maintien de la paix dans un cadre onusien. La plus connue est l'opération Licorne en Côte d'Ivoire. La décennie suivante a été marquée par la lutte contre le terrorisme au Sahel, avec les opérations Serval puis Barkhane lancées à la demande de nos partenaires, notamment maliens.

Serval et Barkhane ont été des succès militaires, dont je ne conteste pas les limites politiques. Les forces armées françaises ont rempli leurs objectifs et ont été couronnées de succès - qu'on nous démontre le contraire ! (M. Bruno Retailleau acquiesce.) Je le dis contre certains récits qui tendent à ignorer le sacrifice des 53 soldats morts dans ces opérations : 9 pour Serval, 1 pour Épervier, 43 pour Barkhane. J'ai une pensée pour eux, leurs familles et les blessés.

L'armée française est une armée d'emploi, qui prend sa part de risque. Mais avec le temps, nous avons fini par nous substituer aux pays concernés.

Deuxièmement, les menaces évoluent, et Paris doit le voir. La menace terroriste est plus fragmentée, mais pas moins dangereuse : elle est devenue balkanisée et diffuse, plus endogène à la zone. De plus, le continent africain s'est ouvert, pour le meilleur comme pour le pire. Les États ont diversifié leurs partenariats, faisant jouer une forme de concurrence économique et sécuritaire. Notre défi est donc d'être plus attractifs vis-à-vis de nos partenaires anciens. Enfin, d'autres influences sont moins bienvenues - je pense au compétiteur stratégique russe, avec la force Wagner, entre autres.

Troisièmement, Paris ignore souvent que le continent africain est tiraillé entre les modèles libéral et totalitaire : voyez le Mali. On reproche presque à Paris l'arrivée des juntes au pouvoir, comme on nous reprocherait l'ingérence si nous intervenions. Il faut se renseigner et détecter - j'ai évoqué le sujet devant la délégation parlementaire au renseignement - mais aussi mener le combat politique des valeurs démocratiques. Le modèle tocquevillien de liberté convient-il ou non à ces pays ?

Quatrièmement, où en est notre présence militaire ? Il faut en distinguer trois formes.

D'abord, au Sénégal et au Gabon, nos bases hébergent des éléments prépositionnés depuis l'indépendance de ces pays. Ce sont des pôles de coopération, plus civils que militaires, où nous faisons beaucoup de formations pour le partenaire et les pays alentour - huit ou neuf dans le cas du Gabon. Les séjours de nos forces y sont plutôt longs, et nous n'y avons presque pas d'armements : un ou deux véhicules de l'avant blindé (VAB) par base, tout au plus.

La deuxième famille, ce sont les bases opérationnelles, les forces prépositionnées en Côte d'Ivoire, à Port-Bouët - 950 personnes - et à Djibouti -  1 700 personnes. Djibouti est une base pour l'Afrique de l'Est, de laquelle nous avons lancé l'opération Sagittaire au Soudan. C'est une base de sécurité pour notre partenaire djiboutien, avec des accords de défense. Enfin, c'est une base ouverte sur l'Indopacifique, via les détroits d'Ormuz et de Bab el-Mandeb, et connectée à nos éléments prépositionnés aux Émirats arabes unis, ainsi qu'aux forces armées de la zone sud de l'océan Indien (Faszoi) à Mayotte et à La Réunion.

Ces deux bases sont de vrais points d'appui au combat. Les forces peuvent être engagées, à la demande du Président de la République, selon les souhaits des pays de la région, notamment dans la lutte contre le terrorisme.

La troisième famille est composée des positionnements aux côtés des forces locales, dans les immenses pays que sont le Tchad et le Niger. Ce dernier pays incarne une offre française rénovée et aux côtés du partenaire, et non plus à sa place. Nous n'agissons qu'à la demande des autorités nigériennes, avec des résultats probants sur le terrain. Dans la région de Tillabéri, la surface agricole exploitable, tombée à 33 % à cause des groupes terroristes, est remontée à 65 % après plusieurs mois de missions menées avec courage mais dans la discrétion, voire l'indifférence. Le Niger agit pour l'équilibre de toute la région. Nous lui devons le succès de l'évacuation des forces du Mali - je salue les efforts du président Bazoum à cette occasion.

Cinquièmement, la mise à jour de la présence militaire française se fait sur la base d'une doctrine. La guerre informationnelle et nos échecs dans ce domaine nous imposent la lucidité : nous ne pouvons nous substituer aux États africains pour lutter contre le terrorisme. Aider, oui ; faire à la place, non.

Le besoin de France sur le plan militaire doit passer par une expression de volonté : ce que veut le partenaire, ce que nous sommes prêts à faire. Le Niger et Djibouti montrent que cette écoute de l'expression de besoin est essentielle, et nous devons prendre le même chemin au Sénégal, au Gabon et en République centrafricaine. Le travail est en cours.

Ensuite, il faut réfléchir à la taille de nos emprises militaires. Au Sénégal, nous avons environ 7 à 8 empreintes dans l'agglomération de Dakar, ce qui n'est pas satisfaisant pour nos forces. Nous devrions encourager une forme de cogestion pour certaines d'entre elles. Le partenariat en matière de formation fait que nous sommes déjà en situation de confiance et d'intimité stratégique. Soyons modernes et innovants.

Au Gabon et au Sénégal, nos camps militaires sont très ouverts sur la ville, contrairement à Port-Bouët en Côte d'Ivoire, sorte de grosse caserne hors de la ville. Les maires parmi vous le savent : on ne peut déconnecter l'emprise militaire de son environnement civil.

En matière de formation, nous avons peut-être été trop satisfaits de nous-mêmes... Notre formation, certes de qualité, a parfois mal vieilli, tandis que la Turquie, Israël, l'Algérie proposaient de nouveaux modules, en matière de drones ou de cyberdéfense.

Il faut donc revoir l'organisation, avec des séjours plus courts, des bataillons également composés de réservistes, pour offrir des formations parfois de masse -  désarmement d'engins explosifs improvisés ou combat d'infanterie classique  - , parfois dans le haut du spectre.

Nous devons aussi rouvrir nos écoles miliaires, pour officiers comme sous-officiers, sur le territoire national. Saint-Cyr Coëtquidan, l'École navale, Salon-de-Provence et Polytechnique ont progressivement exclu les stagiaires ressortissants de nos pays africains amis. De plusieurs dizaines, nous sommes passés à un, deux, trois élèves par cohorte. Je vise 600 stagiaires africains par an à l'horizon de 2030.

Pour terminer, il faut réfléchir aux équipements et aux armements. Notre base industrielle et technologique de défense (BITD) rencontre un certain succès pour les gros contrats, mais les pays partenaires accomplissent des efforts budgétaires très importants pour monter en puissance. L'armée sénégalaise, par exemple, n'est plus ce qu'elle était il y a quinze ans. Or nos industriels ont éconduit certaines armées amies, jugeant les marchés trop modestes - et d'autres partenaires ont pris leur place... Il faut engager une réflexion avec la direction générale de l'armement (DGA) et l'écosystème bancaire pour trouver des solutions.

Nous devons renforcer notre réseau d'attachés de défense. N'avoir aucun attaché d'armement de la DGA en Afrique est un non-sens. La remontée en puissance passe par les capacités opérationnelles, ce qu'a montré l'opération Sagittaire. Avoir beaucoup d'A400M, c'est bien, des A400M opérationnels, c'est mieux.

Les sujets de sécurité et de défense s'appliquent aussi à l'Afrique lusophone et anglophone, à l'instar du Mozambique, proche de Mayotte, ou de l'Angola. Dans ces pays, nous avons des accords à construire, à raffermir ou à renouveler. Nous avons signé un contrat d'offre satellitaire de renseignement avec l'Angola.

L'esprit de Takuba demeure. En dehors du cadre de l'Otan, l'armée française a su emmener beaucoup de partenaires européens pour lutter contre le terrorisme. Continuons à faire vivre cet esprit. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)

M. Christian Cambon .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI) Au cours des soixante dernières années, notre relation avec les pays africains a rythmé comme nulle autre la vie de notre pays. Notre histoire commune est longue, avec ses parts d'ombre que nous devons regarder en face, mais aussi ses faces brillantes, faites d'engagements sincères et de réalisations admirables.

Chaque président de la République a voulu marquer cette relation de son empreinte, lui donner une nouvelle perspective. L'actuel chef de l'État ne fait pas exception, qui a annoncé en 2017 à Ouagadougou vouloir fonder une nouvelle relation d'amitié avec le continent africain.

Mais si la France et l'Afrique ont un passé commun, partagent-elles encore un avenir ? Le coeur aussi bien que la raison me font répondre oui, sans ambages. Reste qu'il nous faut dresser un constat lucide de la situation.

La France reste un acteur clé, mais, depuis vingt ans, son influence se fait de plus en plus relative. Nos parts de marché ont fondu de moitié, la Chine est devenue le premier exportateur vers le continent en 2007, l'Allemagne le premier exportateur européen en 2017 et, depuis l'année dernière, la France n'est plus le premier partenaire commercial d'aucun pays du Maghreb.

Le rayonnement de la culture française s'estompe également. Des pays francophones comme le Rwanda, le Togo ou le Gabon ont rejoint le Commonwealth, voire adoptent l'anglais comme langue officielle ou d'enseignement. L'Algérie et le Maroc pourraient s'engager dans une démarche similaire.

M. Claude Kern.  - En effet !

M. Christian Cambon.  - Si nous restons la première destination des étudiants africains, nous formons moins d'élites africaines.

Nous devons faire face au mur du sentiment anti-français. Nous pourrions être tentés de le relativiser, de n'y voir qu'un effet de loupe. Ce serait une erreur. Le phénomène est incontournable et a joué un rôle majeur dans le départ contraint de nos forces de plusieurs pays, malgré l'engagement remarquable de nos soldats et le sacrifice de cinquante-trois d'entre eux, dont le souvenir est bien vivant dans nos coeurs.

Ce ressentiment tient à notre histoire coloniale, mais aussi au fait que l'Afrique a profondément changé : 275 millions d'habitants en 1960, 1,2 milliard aujourd'hui, dont la moitié ont moins de 25 ans.

Une bascule générationnelle s'est opérée, distendant nos liens. L'Afrique vit à l'heure de la globalisation, et le monde se presse à sa porte ; elle multiplie les partenariats, sans relation exclusive. Sans doute la France n'a-t-elle pas assez intégré ces évolutions, tandis que certains de nos compétiteurs font tout pour nous évincer - le prétendu charnier de Gossi montre que tous les coups sont permis.

Comment réagir ? Nous devons entendre les reproches, injustes ou fondés, et y répondre par les mots, mais aussi par les actes. En revanche, nous ne devons pas les intérioriser au point qu'ils guideraient nos attitudes - comment, sinon, présenter une image positive de notre pays ? Refusons le discours de ceux qui ne voient dans le passé qu'un passif, de ceux pour qui la France aura toujours tort, et assumons franchement la promotion de nos intérêts.

Ces intérêts sont sécuritaires : nous avons intérêt à ce qu'il y ait moins de crises et de conflits en Afrique. Ils sont aussi politiques : nous devons nous appuyer mutuellement dans les instances internationales. Ils sont économiques, enfin, car nous avons intérêt à ce que l'Afrique soit un relais d'innovation et de prospérité.

Nous devons restaurer les moyens de notre influence. La nouvelle revue stratégique y concourt. La cohérence de notre diplomatie interroge parfois - quel hiatus entre nos ambitions et le sort que nous réservons à notre diplomatie, avec une réforme qui nie ses spécificités et son savoir-faire et des moyens drastiquement réduits ! Je vous donne acte, madame la ministre, d'avoir stoppé cette hémorragie. Mais combien d'agents sont consacrés à l'influence culturelle ? Parfois un seul stagiaire... Partout, les services de coopération et action culturelle se réduisent.

Les crédits de l'aide au développement, eux, ont beaucoup augmenté : c'est essentiel, mais je regrette que la commission d'évaluation des politiques de soutien au développement, prévue par la loi d'orientation d'août 2021, ne soit toujours pas constituée.

M. Bruno Retailleau.  - Une commission d'enquête !

M. Christian Cambon.  - Il faut recentrer notre solidarité : nourrir, soigner, éduquer, voilà où notre aide est la plus attendue. Trop longtemps, notre aide au développement a fonctionné en vase clos, alors que nos partenaires opèrent de manière plus intégrée, à l'instar de l'Allemagne, dont la GIZ a un chiffre d'affaires de 3,7 milliards d'euros et 23 600 employés, contre 339 millions d'euros et 1 400 agents pour Expertise France.

Nous devons reprendre le contrôle de notre aide multilatérale à l'Afrique : un tiers de l'aide de l'Allemagne cible ses intérêts propres, contre 1 % de la nôtre...

Nous devons aussi accompagner bien davantage nos entreprises, pour qu'elles commercent avec les pays africains.

J'en viens enfin à notre coopération militaire. Barkhane a obtenu d'indéniables succès - je vous approuve sur ce point, monsieur le ministre -, mais constitue une forme d'anomalie par sa durée. Faute de progrès politique, la France s'est retrouvée en première ligne, vulnérable face à l'influence de nos ennemis. Cela étant, des partenariats utiles ont été noués, notamment avec le Niger.

Il nous faut mieux répondre aux demandes ponctuelles, notamment en matière d'appui au renseignement, pour surveiller les groupes djihadistes dans le nord de la Côte d'Ivoire, du Bénin et du Togo. Nous ne vaincrons pas les terroristes à la place des pays concernés, mais apporter à ces derniers des appuis ponctuels, discrets et efficaces.

En ce qui concerne nos bases, nous les considérons comme essentielles. L'opération Sagittaire, brillamment menée, en est une nouvelle preuve. Nos compétiteurs stratégiques en sont convaincus, à l'instar de la Chine, appréciée de Djibouti, qui veut ouvrir une base sur le golfe de Guinée.

Je ne suis pas hostile à une meilleure prise en compte du contexte local, mais ces bases sont l'expression de notre souveraineté qui, par définition, ne se partage pas. Il appartient aux États de décider s'ils acceptent notre présence, mais l'idée d'une cogestion pose problème sur les plans conceptuel et opérationnel.

Nous sommes à un moment charnière de notre relation avec l'Afrique. Soyons objectifs : rien n'est plus acquis dans un environnement devenu ultra-concurrentiel, y compris de la part de nos partenaires européens.

Nous devons tirer les leçons des vingt dernières années, nous adapter, nous battre, parfois nous remettre en cause, mais aussi être fiers de ce que la France a accompli en Afrique. Parions sur l'Afrique, parions sur la France ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI et du RDSE)

Mme Marie-Arlette Carlotti .  - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP) Le groupe SER a souhaité ce débat, mais sous une autre forme que cet échange formel.

Le contexte du déclin relatif de l'influence française, voire de son rejet spectaculaire, est douloureux.

Abandonné dans les années 1990, le continent est désormais courtisé par la Russie, la Chine, les États-Unis et bien d'autres. Tous sont nos compétiteurs et nous avons perdu nos liens exclusifs. Nos relations avec les pays africains doivent devenir ordinaires.

La hiérarchie du monde change, l'Afrique doit être considérée comme un acteur de plein droit. Sa société civile change aussi. Le sentiment anticolonial se radicalise, et un panafricanisme se développe, réhabilitant les groupes djihadistes ; la Russie en fait son miel.

Pourquoi la France devrait-elle avoir une position privilégiée ? Certes, le Président de la République proclame la fin de la Françafrique, mais tous l'ont fait depuis Pompidou... Et pourtant, nous avons continué à surfer sur notre histoire coloniale empreinte de corruption et de clientélisme.

La France ne peut se passer d'une politique africaine, mais doit changer d'approche. Le 29 juillet dernier, le président Macron a prononcé un discours qui se voulait fondateur, mais marqué par la continuité et qui ne marque pas le début d'une nouvelle politique africaine.

Je rends hommage à l'engagement de nos soldats, qui ont eu des succès militaires mais n'ont pas enrayé l'implantation djihadiste. La ministre des armées de l'époque annonçait l'arrivée des Européens au sein de l'opération Takuba - cela n'a pas été une franche réussite. L'Union européenne a montré sa faiblesse : elle doit s'impliquer davantage dans cette zone instable.

Nous devons changer de modèle : la France n'est plus le gendarme de l'Afrique. Notre influence ne se mesure plus au nombre de nos opérations militaires ou de nos bases, le Président de la République l'a dit. Entrons-nous dans une phase de repli ou continuerons-nous à lutter contre le djihadisme ?

Emmanuel Macron a aussi fait des annonces sur l'aide au développement, notion désormais à proscrire. Selon un proverbe africain, la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. Nous devons passer à une logique d'investissement solidaire et partenarial.

Les Africains n'ont que trop l'habitude de ces déclarations non suivies d'effet. Droits humains et climat sont intégrés à juste titre, mais l'eau et l'assainissement ont été oubliés, tout comme la société civile. Les ONG françaises comme celles de nos pays partenaires doivent devenir des partenaires privilégiés.

La trajectoire financière est éludée, malgré la loi du 4 août 2021, qui fixe l'objectif de 0,7 % du revenu national brut consacré à l'aide au développement en 2025 - objectif qui doit être maintenu.

Enfin, l'évaluation de l'aide au développement fait toujours défaut : voilà deux ans que la commission compétente devrait être en place, auprès de la Cour des comptes comme le Sénat l'a souhaité.

Dans la stratégie 3D théorisée par le Gouvernement, l'appareil militaire de défense était étroitement lié à la diplomatie. À cet égard, notre diplomatie a-t-elle fait preuve de naïveté ou d'aveuglement ? Avons-nous sous-estimé la puissance du ressentiment à notre égard, surtout entretenu par une propagande hostile ? Je ne le crois pas.

En revanche, notre logique est obsolète. Nous faisons de la diplomatie comme à l'époque où nous avions les moyens de faire et défaire les régimes. La France a oublié que l'Afrique des gouvernants n'est pas celle des peuples.

Nos moyens pour la diplomatie sont trop faibles. Nos petites ambassades sont des couteaux suisses. Au Sahel, notre présence a été bien plus militaire que diplomatique. La réforme annoncée du corps diplomatique ne nous rassure pas.

Le Président de la République, lors du sommet de Montpellier, a cherché à ouvrir de nouvelles voies, mais qu'en reste-t-il ? Un Observatoire de la démocratie... Mais la démocratie ne se crée pas en laboratoire. Le président Macron revendiquait une démarche moderniste, mais il a proposé un schéma suranné. De même, une annonce venue des présidents Ouattara et Macron sur le franc CFA ne peut qu'être suspecte. Pourquoi vouloir imposer des modèles clé en main et un agenda démocratique irréaliste ?

Depuis son élection, Emmanuel Macron s'est souvent rendu en Afrique, mais surtout dans les pays les moins démocratiques du continent. Nous ne lui reprochons pas la realpolitik, mais le double langage : on accepte le pouvoir militaire au Tchad, on le condamne au Mali. Nous perdons ainsi toute crédibilité.

Soyons plus attentifs aux tragédies, aux crimes de guerre et aux crises alimentaires. La Corne de l'Afrique en souffrait déjà, la non-livraison de céréales de l'Europe de l'Est aggrave les choses, sans relais de l'Union européenne ni de la France. Le chantage alimentaire est un facteur déterminant de l'influence russe en Centrafrique.

Dans le débat à venir sur l'immigration, nous veillerons à ne pas assujettir notre politique de développement aux enjeux intérieurs. Madame, monsieur les ministres, allez dire à Gérald Darmanin que sa politique des visas a abîmé nos liens indéfectibles avec les jeunesses africaines.

Nous avons pourtant le formidable atout de l'espace francophone, que vous n'avez pas mentionné. C'est en Afrique francophone que nous avons le plus lourd héritage à purger. Sans quoi, Russie et Chine tireront les bénéfices du chaos. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, INDEP et du RDSE)

M. Olivier Cadic .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Pour comprendre l'Afrique, encore faut-il la connaître. J'y suis allé 57 fois depuis 2015, et elle m'étonne toujours.

Je commencerai par trois anecdotes. Un entrepreneur français a subi un vol : le nom que lui donne la dame aux balais s'avère être le bon. Un autre croit avoir perdu son portefeuille, mais le marabout lui indique qu'il est à la vue de tous : on le retrouve au bord de la piscine. Un consul général fait venir un coupeur de pluie pour le 14 juillet : dès qu'il part, la pluie se met à tomber. Les esprits cartésiens seront dubitatifs...

M. Mickaël Vallet.  - En effet !

M. Olivier Cadic.  - Le consul général ne s'est pourtant pas fait rembourser la prestation par le Quai d'Orsay... (Mme la ministre s'en amuse.)

Un conseiller des Français de l'étranger établi en Afrique depuis vingt ans m'a confié qu'il se refuse à expliquer l'Afrique à quelqu'un qui n'y a pas vécu au moins cinq ans.

On aborde souvent la stratégie française en Afrique par un seul prisme. À tort, car il y a des Afriques.

Emmanuel Macron a visité vingt-cinq pays africains depuis 2017 - un record. (M. François Patriat abonde.) Mais, en Afrique de l'Ouest, on nous répète que le sentiment antifrançais croît. Et si c'était une fake news ? Nous nous fions trop aux réseaux sociaux, où sévissent des activistes : les plus crédibles sont ceux qui parlent le plus, pas ceux qui disent la vérité.

Le mea culpa permanent est vu comme une faiblesse. De grandes entreprises françaises sont attaquées par des ONG soutenues par leurs concurrents. Nous avons perdu la bataille informationnelle au Sahel, mais pas la guerre. Nos militaires ont été irréprochables, ils sont notre fierté.

Antifrançais, les Africains ? Pourtant, les demandes de visa étudiant battent des records : 53 000 en Algérie, 40 % de hausse au Togo cette année après 68 % l'an dernier. Il y a une envie de France. Un Camerounais me rappelait l'importance dans l'inconscient de la langue partagée.

Nous sommes confrontés à une guerre hybride. Avec quelques euros, on paie un journalier pour travailler, mais aussi pour manifester avec un drapeau russe devant notre ambassade. Dans plusieurs pays, la France est le bouc émissaire des difficultés.

Qui sont derrière les apôtres du panafricanisme ? Ils se jettent dans les bras de la Russie, de la Chine, de l'Iran et consorts, qui en profitent pour faire du dégagisme en visant nos entreprises. Ainsi, une entreprise du groupe Castel a été attaquée au cocktail Molotov par Wagner, et de nouvelles menaces planent sur ce groupe qui fait de la responsabilité sociale sa marque de fabrique. (Murmures sur les travées du groupe SER)

Comment justifier le retrait de la France alors que la militarisation de la Chine augmente ? Les pays de la région constatent que le retrait de la France du Sahel profite aux djihadistes. En Algérie, 93 % des ressources proviennent du Sud du pays. Pour la première fois en dix-sept ans, le chef d'état-major algérien est venu en France : que voulait-il ?

Au Brésil, des milices protègent les quartiers au détriment de la liberté des habitants. En Afrique, la milice Wagner se paie sur le pays, comme une mafia.

Mais la France n'abandonne pas l'Afrique : l'Académie nationale de lutte contre le terrorisme appuie les pays d'Afrique. Ce modèle de gouvernance est un exemple. Je salue la réunion, le 11 mai dernier, du premier conseil d'administration international, avec plusieurs pays comme l'Australie et les États-Unis. Notre modèle est innovant et mérite d'être mieux connu. Combien de pays africains se sont-ils déclarés intéressés ?

L'attrition des visas suscite des frustrations dans bien des pays.

M. Rachid Temal.  - Enfin !

M. Olivier Cadic.  - Plusieurs se fournissent en matériel auprès d'autres pays, de peur de ne pas obtenir de visas pour former leurs personnels. Quel est l'intérêt de certaines de nos mesures, perçues comme vexatoires ?

L'aide dans le domaine de la santé est essentielle. Acheté auprès de donneurs contaminés par l'hépatite, le sang est inutilisable à 60 %. Le Gouvernement est-il prêt à défendre l'idée d'une Agence africaine du médicament ?

J'ai été attristé du renversement de Roch Kaboré, un an après sa réélection. Le Somaliland a garanti une stabilité politique et des élections au suffrage universel, avec cinq présidents successifs. Allons-nous évoluer sur la prise en compte officielle ce pays ou continuerons-nous à ne reconnaître que Mogadiscio ?

Nos partenaires africains attendent une ligne claire, fondée sur le respect mutuel. Cessons de chercher à nous faire aimer, faisons valoir nos atouts pour nous faire désirer. L'honorable Alipui, membre du Parlement togolais, m'a donné ce conseil : « Plutôt que plus de France, optez pour mieux de France ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que du RDPI)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Aucune relation n'est aussi complexe et importante pour l'avenir de notre pays et de notre continent que la relation avec l'Afrique. Nous sommes à la croisée des chemins entre coopération et passé colonial. Comme le disait Camus, l'amitié n'exige rien en retour ; elle grandit librement sur le terreau des valeurs communes.

Le Président de la République a visité le Gabon, l'Angola, la République démocratique du Congo et le Congo-Brazzaville. Les programmes de développement durable et en faveur de la gouvernance démocratique témoignent d'un désir de réinventer notre relation. Le Président de la République a affirmé que l'ère de la Françafrique était révolue, marquant un tournant en faveur d'un partenariat équilibré et transparent.

Le défi environnemental doit être relevé par les pays africains : la France a investi 100 millions d'euros pour les forêts. Au sommet de Libreville, en mars dernier, Emmanuel Macron a rappelé les engagements de la COP15 et de la COP26 pour inverser le mouvement de déforestation. Ce format pourrait être annuel. Les premiers contrats pays pour la conservation positive vont être signés.

Le développement économique, ensuite : à Luanda, le Président de la République a rappelé l'importance du renforcement des partenariats. Nous mettons l'accent sur la formation professionnelle, l'agroalimentaire et les infrastructures, notamment dans le cadre du programme Choose Africa.

Enfin, les enjeux sécuritaires sont au coeur de nos préoccupations. Ainsi de la piraterie autour de la Corne de l'Afrique, qui reste une menace. Selon la Banque mondiale, les rançons ont rapporté entre 339 et 413 millions de dollars aux pirates entre 2005 et 2012. Toutefois, la piraterie a baissé de 15 % depuis 2021. Quelle stratégie contre ce phénomène, qui persiste dans les eaux africaines ?

Nous devons faire face à l'influence grandissante de la Russie et de la Chine. En mai 2022, nous avons été témoins des slogans antifrançais et des drapeaux tricolores brûlés à Pretoria. Nous répondons : la diplomatie française se réarme, communique davantage vers la jeunesse et tisse des liens avec la diaspora française.

Chine et Russie tentent de remplir l'espace vide que nous avons laissé. La première investit massivement sur la côte Est, la seconde en Afrique francophone, profitant de la fin de Barkhane. L'article 4 de la loi de programmation militaire rappelle que la réduction de la présence militaire française n'est pas un désengagement, mais une adaptation aux menaces.

Chaque pays africain doit assumer sa propre défense. Les anciennes bases Barkhane seront destinées à former les militaires des pays concernés. Ce n'est pas un recul, mais une présence différente. (MM. Jean-Marc Todeschini et Yannick Vaugrenard ironisent.)

Les bases évoquées par le Président de la République ont été mises en place par des accords de défense entre États souverains.

Le Bénin, qui semble devenir le nouveau nid du djihadisme, pourrait suivre le chemin du Mali et du Burkina Faso, qui se sont tournés vers la Russie.

M. Christian Cambon.  - En effet, malheureusement.

Mme Nicole Duranton.  - Quelle est la réponse de la France pour préserver ses liens historiques tout en respectant la souveraineté des nations africaines ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Christian Cambon applaudit également.)

M. Pierre Laurent .  - La déclaration du Gouvernement de ce soir est dans la droite ligne du discours du Président de la République du 27 février dernier, selon lequel la France doit refuser la compétition, entrer dans une logique partenariale au service d'un investissement solidaire.

Mais tous les fondamentaux qui sapent le développement de l'Afrique et les relations de confiance sont maintenus : la pseudo-réforme unilatérale du franc CFA est louée alors qu'elle ne visait qu'à tuer dans l'oeuf le projet de monnaie commune de la Cedeao ; la Banque de France détient toujours 80 % de l'or de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest. Circulez, il n'y a rien à voir.

Pour changer réellement nos relations, il faudrait porter le fer contre les traités de libre-échange inégaux, la course au moins-disant fiscal, le nivellement par le bas des droits des travailleurs ou les logiques de prédation des multinationales. Certes, l'Afrique subsaharienne ne représente que 2 % de notre commerce extérieur, mais les parts de marché sont concentrées entre les mains de quelques grands groupes, en complicité avec les élites corrompues, au détriment des populations africaines : voyez la surfacturation par des groupes français du train urbain d'Abidjan où les profits accumulés par le groupe Bolloré dans les ports ouest-africains, dont il est parti sans égard pour les pays concernés.

Les coûts de ces rapports économiques pour les peuples sont exorbitants : pauvreté, sous-alimentation, insécurité, corruption, migration forcée.

C'est là que se trouve la source du rejet de la politique française, qui ne peut être réduit au travail d'influenceurs russes, turcs ou chinois.

Barkhane est un échec politique lourd de conséquences. Notre politique est à mille lieues des exigences populaires africaines en faveur d'une vraie souveraineté - d'une deuxième indépendance, comme ils disent.

Vous ne comblerez pas ce fossé en lançant un média de propagande. La lutte d'influence ne fait pas tout. Contre les fake news, il faut mettre en cohérence actes et paroles. Si la France changeait de politique, nous aurions tous à y gagner, ici et là-bas. Un agenda africain, par les Africains, voilà la clé du succès.

L'Afrique a un besoin massif de financement et de création monétaire. La France doit agir auprès du FMI, pour changer les règles d'attribution des droits de tirage spéciaux (DTS), émis actuellement au compte-gouttes. Il faut une réforme des conditions d'émissions, pour lutter contre la pauvreté et financer la transition écologique du continent africain. Face à cela, les Brics ne restent pas inertes.

Les recettes fiscales représentent en moyenne 34 % du PIB dans les pays de l'OCDE - deux fois moins pour les pays en développement, notamment africains, qui ont besoin de nouvelles recettes fiscales. Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels doit être notre guide. Il faut flécher au moins 10 % de l'aide publique au développement en faveur des systèmes fiscaux des pays, pour leur assurer des moyens budgétaires endogènes.

J'entends souvent dire que l'Afrique est notre avenir ; c'est d'abord celui des Africains. Ainsi, en partenaires respectés, nous pourrons répondre aux défis sociaux, climatiques et environnementaux et la France pourrait passer de la conquête de parts de marché à court terme, du rôle de VRP d'armes et de stigmatisation hypocrite de l'immigration, à une politique de coopération mutuellement avantageuse au service de l'industrialisation indispensable et d'une agroécologie vivrière qui a déjà fait ses preuves.

Comprenant l'impasse de nos aventures militaires à répétition, nous supprimerions le plus vite possible nos bases permanentes : cette usurpation par la France de la souveraineté de pays africains a donné des résultats médiocres. Acceptons le refus d'une relation de dépendance et la revendication d'une pluralité de partenaires stratégiques.

Oui, il faut changer de logiciel dans tous les domaines. J'y suis allé à la serpe, je le concède,... (Sourires)

M. Mickaël Vallet.  - À la faucille !

M. Pierre Laurent.  - ... mais ce changement, les peuples africains nous y appellent constamment ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; MmeMarie-Arlette Carlotti et Gisèle Jourda, ainsi que MM. Mickaël Vallet et Guillaume Gontard, applaudissent également.)

M. Joël Guerriau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC) Le 15 juillet 1959, le général de Gaulle réunissait ici-même pour la première fois le Sénat de la Communauté : 284 sénateurs, dont 98 qui représentaient douze pays africains.

Un an plus tard, la fin de la Communauté nous renvoie au discours d'ouverture de De Gaulle : « La grande chance de la paix et de la civilisation, c'est que les hommes, les enfants de l'humanité qui disposent des moyens voulus apportent leur aide à cette humanité tout entière. »

Soixante ans plus tard, nous souhaitons entretenir un lien d'estime et d'attachement réciproque avec le continent africain. Nous apportons notre aide quand elle est souhaitée : la moitié de l'aide publique au développement bénéficie à l'Afrique ; la coopération décentralisée des collectivités françaises participe à la construction de routes, d'écoles, de dispensaires pour améliorer le quotidien des populations et réduire la pauvreté.

Depuis de nombreuses années, nous participons à des opérations de maintien de la paix ; je rends hommage aux cinquante-trois  soldats français qui ont péri au Sahel et j'ai une pensée pour leurs familles et leurs camarades.

Depuis une décennie, notre pays fait l'objet de campagnes de désinformation. La milice Wagner est ainsi intervenue en Centrafrique, puis au Mali.

Depuis le Brexit, la France est le moteur de l'action européenne en Afrique, mais elle ne peut plus être la seule à assumer cette charge ; elle a donc réduit son engagement. Mais la prolifération de mouvements islamistes, les présences russe et chinoise sont des motifs d'inquiétude, alors que point le changement climatique. L'Afrique est exposée au risque de crise, comme on le voit au Soudan ou dans la Corne de l'Afrique, victime de famine.

Une idée continue de germer : la Françafrique, bouc émissaire de tous les maux. Cette idée couvre en fait l'incapacité des gouvernants à gouverner. Les faits inventés des deux côtés de la Méditerranée sont bien éloignés de la réalité. L'ensemble du continent africain représente 5 % du commerce extérieur français - on est loin de l'Eldorado.

Le premier partenaire commercial de l'Afrique est la Chine, l'influence de la France diminue. De nouvelles amitiés se lient : l'Afrique du Sud, l'Algérie se lient avec Moscou. Quant au Mali, il s'enfonce dans les putschs. Ces exemples sont les signes du recul de l'influence occidentale.

Nous n'avons pas les mêmes valeurs que la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping. Les gouvernements sont libres de nouer de nouveaux partenariats : aux gouvernements africains d'assumer leurs choix.

Après le covid et avec le retour de la guerre en Europe, avons-nous les moyens de mener des efforts de haute intensité ? Nous devons prendre en main notre propre sécurité, la guerre en Ukraine nous l'a montré. La concertation avec nos partenaires européens est nécessaire. Certains États membres doivent être encore convaincus de la nécessité de s'intéresser au continent africain.

Un milliard d'habitants aujourd'hui, peut-être 2,4 milliards en 2050 : la croissance démographique peut intensifier les crises, les déplacements de population concernent directement notre continent européen.

Pour le groupe Les Indépendants, notre politique doit être proportionnée à nos moyens. Nous saluons donc la cogestion des bases. Nous devons retrouver des instances de dialogue et d'échanges, comme l'Union pour la Méditerranée. Nous devons concentrer nos efforts sur les pays qui partagent nos valeurs, alors que sept pays, dont le Mali et l'Érythrée, ont refusé de condamner, à l'ONU, la guerre en Ukraine.

M. Christian Cambon.  - Eh oui !

M. Joël Guerriau.  - Nous n'avons pas que des amis parmi les dirigeants africains. Investissons donc en faveur de nos alliés en veillant à ne pas renforcer nos adversaires. La France doit agir au mieux de ses intérêts, selon deux principes : réciprocité et entente cordiale. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. François Patriat et Olivier Cadic applaudissent également.)

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER) L'Afrique est le continent de tous les défis, climatique, économique et démographique. C'est aussi l'objet de toutes les convoitises. Chine et Russie ont sorti l'Afrique du face-à-face avec l'Europe - mais à quel prix ?

La masse d'argent qu'a déversée la Chine a créé une relation asymétrique, sans apporter le développement attendu. Dans le cadre de la stratégie non conventionnelle d'influence russe, Wagner conduit son travail de sape de l'Occident. Ce n'est pas très subtil, mais cette politique a des résultats, comme à l'ONU : la récente abstention du Gabon sur une résolution portée par la France est éclairante.

Que peut l'Europe ? Que peut la France, qui traîne derrière elle le poids de son histoire coloniale et de la politique du pré carré ?

Les relations de certains pays avec la France restent, hélas, passionnées ou traumatiques. Depuis longtemps, nos présidents successifs ont appelé à regarder l'avenir. De son discours à l'université de Ouagadougou à sa récente tournée dans quatre pays africains, le président Macron n'a cessé de rappeler la fin de la Françafrique et la nécessité de refonder une relation équilibrée. Les évènements font qu'il n'en reste plus grand-chose. La fin du franc CFA est le symbole du peu qui reste de nos liens historiques.

Pour refonder nos relations, il faut d'abord demander à nos partenaires ce qu'ils attendent de nous. Il nous faut des relations sincères. Le président Macky Sall n'a-t-il pas justifié son maintien à la tête du Sénégal par le sentiment antifrançais ?

L'instabilité complique toute bonne intention. Appelée par le Mali en 2013, la France en a été évincée par la junte. Il faut éviter tout geste d'adoubement d'un dirigeant.

Sur le plan sociétal, ne surestimons pas le rayonnement de la France même si le français, langue de culture selon Senghor, demeure bien vivace.

Il faut encourager la coproduction ; c'est ce qu'attendent les jeunes générations. Sur le plan militaire, il faut encourager la formation et l'équipement des armées locales. L'envoi de troupes ne peut être que le dernier recours. Il faut toutefois maintenir nos bases et le partage du renseignement.

Le chef de l'État a souhaité une offre militaire rénovée en Afrique. Mon groupe partage l'idée d'une présence plus discrète.

En matière de coopération économique aussi, nous devons nous demander quels sont les besoins de l'Afrique. Celle-ci ne saurait rester un pourvoyeur de matières premières, comme l'a rappelé le président de l'Union africaine Azali Assoumani.

La banque africaine de développement a publié l'indice d'industrialisation 2022 en Afrique : les pays les plus développés sont donc ceux qui se sont le plus éloignés des industries extractives. Les entreprises françaises doivent donc prendre ce virage. Les pays anglophones, avec lesquels nous avons peu d'antécédents, doivent retenir toute notre attention.

Enfin, l'Afrique est aux portes de l'Europe ; il faut donc coopérer en matière d'immigration. Au-delà de l'action bilatérale, l'Union européenne doit travailler au plus proche avec les instances locales autour de trois axes : promouvoir l'immigration légale, lutter contre l'immigration clandestine, et promouvoir le lien entre migration et développement. Ne privons pas l'Afrique de ses talents ; la migration choisie a ses limites. Il faut penser notre coopération en termes de gagnant-gagnant.

La France doit développer un nouveau récit et faire la preuve de son utilité. (Mme Gisèle Jourda applaudit.)

M. Guillaume Gontard .  - Le 9 novembre 2022, le Président de la République a annoncé la fin de Barkhane, dix ans après son début. Dix ans, et un seul vote du Parlement, en 2013 ! Les décisions ont été prises de manière unilatérale, même si vous nous avez fait la grâce d'un débat sur le retrait du Mali en 2022, avant celui de ce soir. La politique africaine de la France demeure une chasse gardée de l'exécutif, mais ce n'est pas un gage d'efficacité : jamais la position de la France en Afrique n'a été aussi précaire.

Quel bilan de l'opération Barkhane ? Le groupe écologiste pense aux 59 militaires décédés en Afrique depuis 2013.

La menace djihadiste est loin d'être éradiquée. Après un recul en 2014, les djihadistes restent bien présents au Mali, au Burkina Faso, au Niger ou en Côte d'Ivoire.

Le Mali et le Burkina Faso restent aujourd'hui sous l'emprise de juntes militaires. Les opérations militaires ont peu de chance d'aboutir à des situations politiques stables. Les djihadistes profitent de notre retrait du Mali et du Burkina Faso pour s'y infiltrer.

Le sentiment antifrançais, de plus en plus prégnant, ouvre la voie à la Russie et à la milice Wagner, présente dans dix-sept pays africains. Notre relation avec le continent africain s'est abîmée. Des puissances étrangères instrumentalisent le rejet de la France, mais cela n'explique qu'en partie la situation. Nous manquons de transparence et prenons des décisions de manière paternaliste, sans prendre en compte les choix des pays théâtres d'opérations. Sans débouché politique tangible, il est inconcevable d'envoyer nos troupes sur le continent.

Nous devons être plus transparents sur nos opérations et reconnaître nos bavures, comme le bombardement d'un mariage au Mali, le 3 janvier 2021.

Notre indignation est aussi à géométrie variable vis-à-vis des dirigeants africains : pourquoi conspuer la junte malienne mais soutenir Idriss Déby et son fils ?

Alors que les effectifs sont réorientés vers des pays, Niger et Tchad, liés à la fourniture d'uranium, il est clair que nous devons bâtir un nouveau type de coopération. Accords de défense et partenariats économiques doivent être pris dans l'intérêt des peuples. Il faut soutenir le développement du continent, et être plus solidaires avec les pays les plus pauvres. La loi de programmation de l'aide publique au développement a produit des effets, mais nous devons favoriser les dons aux prêts, qui ne bénéficient pas aux pays qui en ont le plus besoin.

L'aide de notre pays doit être plus ciblée et travailler avec des réseaux locaux, autre manière de lutter contre le terrorisme. C'est un juste retour, car notre dette envers l'Afrique est immense. Les aides doivent être conditionnées aux droits humains, notamment ceux des femmes et des peuples autochtones. Enfin, l'aide aux réfugiés ukrainiens doit intégrer nos comptes sociaux, et non être comptabilisée dans l'aide publique au développement.

Il faut aussi alléger les dettes contractées par les pays africains. Les pays les plus pauvres subissent déjà les effets du réchauffement climatique : sommes-nous prêts à accueillir des millions de réfugiés climatiques ? Durcir nos politiques migratoires ne sera d'aucun secours.

Continuerons-nous à soutenir les projets climaticides comme l'oléoduc de Total en Ouganda et en Tanzanie, qui équivaudra à 216 millions de trajets aériens Paris-New-York en vingt-cinq ans ? Les ONG dénoncent déjà des violations des droits humains. Il faut renforcer l'application de la loi sur le devoir de vigilance, voire transformer le devoir en obligation.

La politique africaine de la France est à un tournant. C'est l'occasion de faire primer le respect mutuel, dans un but de développement social et écologique. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Stéphane Ravier .  - Après le discours de Ouagadougou en 2017, le sommet de 2021 et la tournée de 2023, le Président de la République, très engagé publiquement, investissant temps et argent, n'empêche pas le progrès de la francophobie sur le continent le plus francophone.

C'est que, première erreur, vous relayez le mythe culpabilisateur du pillage colonial, contrairement aux autres anciennes puissances coloniales : Togo et Gabon ont ainsi rejoint le Commonwealth en 2022. Ce masochisme doit cesser.

Deuxième erreur, la démocratie n'est pas universellement transposable ; on l'a vu en Libye, où le chaos règne et est exporté ici.

Troisième erreur : vous refusez de faire de la politique et vous cantonnez à des partenariats avec la société civile ; par idéalisme, vous renoncez à faire de la France une grande puissance et faites croire que notre recul militaire est un choix, alors que les États africains nous mettent dehors.

Quatrième erreur : l'absence d'exigence de réciprocité avec l'aide publique au développement - sans laquelle c'est la double peine.

Cinquième erreur : la suppression du corps diplomatique, avec la perte d'un réseau et d'un savoir-faire uniques. On voit les conséquences de négociations improvisées : froid avec le Maghreb et toute l'Afrique, alors que la Chine, l'Iran, la Turquie et les pays du Golfe s'y implantent. Au Gabon, 70 % de la forêt appartient aux Chinois.

Enfin, avec le départ de Barkhane, nous perdons la main sur la lutte en amont contre les flux migratoires. Le président tunisien, qui parle de grand remplacement, contrôle le robinet migratoire avec l'Algérie et le Maroc.

Le trafic humain devient aussi juteux que celui de la drogue.

Madame, monsieur les ministres, parier sur l'Afrique commence par parier sur la puissance de la France !

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Nous partageons bien des constats, notamment sur le besoin de transformer notre approche.

Monsieur le président Cambon, vous avez mentionné les relations commerciales. Notre présence économique a bien progressé en volume, à distinguer des parts de marché.

Le sentiment antifrançais est une expression trompeuse, comme M. Cadic l'a souligné. Il est à distinguer d'un discours antifrançais, qui se répand et joue un rôle majeur dans le basculement du Mali et du Burkina Faso. Mais c'est l'aide de Wagner, appelé par des putschistes, qui pousse ce discours, tout en créant prédation et exactions, et non l'inverse. Nous réarmons et dénonçons ces manipulations.

Oui, monsieur Cambon, nous devons assumer nos intérêts d'égal à égal, de façon décomplexée. C'est pourquoi nous augmentons nos crédits de communication et culturels et renforçons notre expertise technique de centaines d'experts techniques internationaux d'ici à 2027.

Madame Carlotti, la loi d'août 2021 fixe des niveaux d'APD jusqu'à cette année, puis des objectifs, non impératifs. Là encore, notre APD augmente en volume vers l'Afrique : 50 % entre 2017 et 2022. Je ne connais pas d'autre pays dans ce cas.

Je vous remercie pour vos éloges à nos diplomates, mais la décision d'augmenter les moyens du ministère n'affaiblit pas notre action. Nous créons des emplois pour la première fois depuis trente ans, jusqu'en 2027.

Nous n'avons pas la nostalgie d'une relation exclusive, mais celle-ci a changé et doit se tourner vers les défis climatique et alimentaire, entre autres.

La politique des visas, monsieur Cadic, est menée par le ministère de l'intérieur conjointement avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous avons tenu un comité de pilotage récemment : notre politique des visas protège nos intérêts et l'attractivité de notre pays. Nous avons confié à M. Hermelin et aux deux inspections générales un rapport à ce sujet.

Je vous remercie d'avoir mentionné l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme.

Madame Duranton, j'apprécie que vous reconnaissiez l'intensité de notre travail diplomatique, avec par exemple le One Forest Summit au Gabon et le sommet sur le nouveau pacte financier à la fin de ce mois. Nos efforts et notre réarmement d'influence se poursuivent.

Monsieur Laurent, je regrette nos désaccords, notamment sur le franc CFA : si nous garantissons la parité avec l'euro, à la demande des pays concernés, la centralisation des réserves de change est terminée. Mettons notre logiciel à jour. En outre, le nombre de filiales d'entreprises françaises augmente : il n'y a pas que le grand capital qui se développe.

En revanche, nous avons un point d'accord : nombre de pays africains ont besoin de financements accrus. C'est le sens du sommet des 22 et 23 juin, où la France plaidera pour une augmentation des droits de tirage spéciaux (DTS) que nous avons nous-mêmes pratiquée, avec 4 milliards de DTS pour les plus vulnérables. La Chine sera représentée par son premier ministre. Nous débattrons aussi de la dette.

Monsieur Gontard, nous ne soutenons aucun régime au Tchad, mais une transition dont nous souhaitons qu'elle aboutisse à des élections. En Ouganda, si Total a des projets, l'État n'apporte pas de garanties ni de financements à des sociétés privées commerciales. (MM. François Patriat, André Guiol et Olivier Cadic applaudissent.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées .  - Je vous remercie pour l'organisation de ce débat. Les questions africaines occupent trop peu de place dans notre débat démocratique. Cette discussion permet de les évoquer devant l'opinion publique et la presse. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)

M. Rachid Temal.  - C'est nous qui l'avons demandé !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Et nous y répondons volontiers.

Vos interventions dressent des constats qui semblent similaires : l'exercice est simple, une fois l'histoire terminée. Mais en creusant, des différences profondes apparaissent sur ce que doit être la politique française en Afrique. C'est sain. Monsieur Gontard, le débat parlementaire a-t-il été confisqué ? Il a bien eu lieu, avec les quinze jours d'examen de la loi de programmation militaire à l'Assemblée qui ont montré l'incohérence de certaines formations politiques - sur l'Europe, le couple franco-allemand, l'aide à l'Ukraine. (MM. Rachid Temal et Jean-Marc Todeschini ironisent.) Les formations de certaines alliances électorales ont eu des positions très désaxées sur ces sujets. Le cardinal de Retz disait que l'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment ; je pense au contraire que ces débats sont intéressants.

Quatre points ont appelé mon attention.

Madame Carlotti, votre appréciation de Takuba est dure. Takuba n'est pas un raté ; l'opération manque peut-être d'ambition, mais elle n'a pas échoué. Nos partenaires européens, y compris ceux qui n'ont pas l'habitude des Opex, ont répondu présents et sont heureux de l'avoir fait, monsieur Todeschini - à moins que votre groupe ne croie plus à l'Union européenne ? (Sourires)

D'autres missions européennes ont été oubliées dans ce débat, comme Atalante contre la piraterie et la pêche illégale. La piraterie est un enjeu majeur dans le golfe de Guinée et la corne de l'Afrique. Notre approche militaire reste très terrestre, mais nous aurions tort d'écarter la coopération maritime, car les besoins de nos partenaires en la matière vont croissant. Furieux séguiniste, je suis prudent vis-à-vis des coopérations européennes, mais sur Takuba cette envie de coopération a été réelle, et il faut l'entretenir.

Deuxième observation : aucun des orateurs ne veut la même chose pour nos bases. Monsieur le président Laurent souhaite les fermer, tout en disant qu'il faut être à l'écoute des besoins de nos partenaires : que faire, alors, quand ils nous demandent de les maintenir ? Vous le voyez, les choses sont complexes alors que, comme vous le dites vous-mêmes, vous taillez à la serpe.

À l'inverse, monsieur Cadic, les missions de nos forces armées ne sont pas comparables à celles des forces de sécurité intérieure de nos pays hôtes. Nos bases assurent des missions régaliennes, et non économiques.

Entre vos deux positions, nous voyons l'arc des points de vue exprimés dans cet hémicycle. Ne nous méprenons pas sur le rôle de nos bases : on peut faire Sagittaire avec la base de Djibouti, mais pas avec celle du Sénégal, qui n'assure que de la formation. Affirmer le contraire serait mentir à l'opinion publique et à nos compétiteurs. De même pour la base projetée de Niamey et la base du Gabon, qui appartient à un héritage. Entretenir le flou, c'est entretenir le discours antifrançais.

Troisième point : beaucoup d'entre vous insistent sur le respect de la souveraineté des pays. Cela étant dit, vous avez une lecture unilatérale, voire expéditionnaire des événements au Mali. Certes, il aurait fallu partir avant d'être mis dehors ; mais d'autres armées que la nôtre n'ont pris aucun risque. Il faut assumer ce portage politique : il a fallu du courage au président Hollande pour engager nos forces à la demande du président malien, et pour l'expliquer à la représentation nationale et à l'opinion. Assumons ce bilan, au-delà des clivages politiques.

Autre argument avancé, le vide que nous laissons appellerait nos compétiteurs : mais fallait-il rester contre l'avis de la junte malienne, au risque d'un conflit ouvert ? Quand un pays demande de l'aide, il faut lui répondre par oui ou par non, tout en étant conscients qu'on ne sait pas toujours où le oui nous mène.

Dernier point, tout le monde a mentionné le risque terroriste, mais, désormais plus endogène, moins homothétique, il nécessite un traitement militaire différent. Vous n'avez pas fait le procès de nos forces, contrairement à d'autres, mais si la junte malienne préfère Wagner à nos forces armées, peut-être la faute n'en revient-elle pas à Paris... Cela relève du bon sens.

Je retiendrai donc que la question des bases nécessite une approche transparente. Avec nos partenaires, nous avançons sur le catalogue de formation. Les prochaines cohortes sur notre territoire national seront bien plus étoffées dès l'année prochaine. Nous prenons du retard pour accompagner les armées africaines sur les drones et le cyber... Il faut donc mettre les bouchées doubles.

En avançant sur ces sujets concrets, nous gagnons de l'influence et nous honorons notre parole, donnée voici plusieurs décennies. C'est l'honneur de la France. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

Prochaine séance demain, mercredi 7 juin 2023, à 15 heures.

La séance est levée à minuit.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 7 juin 2023

Séance publique

À 15 h, 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Alain Richard, vice-président, M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : Mme Victoire Jasmin - M. Pierre Cuypers

1. Questions d'actualité au Gouvernement

2. Proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs (procédure accélérée) (n°667, 2022-2023)

3. Suite du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (procédure accélérée) (texte de la commission, n°661, 2022-2023) et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (procédure accélérée) (texte de la commission, n°662, 2022-2023)