Organisation de la navigation aérienne en cas de mouvement social (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l'adéquation entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic, présentée par M. Vincent Capo-Canellas et plusieurs de ses collègues à la demande du groupe UC.

Discussion générale

M. Vincent Capo-Canellas, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissement au banc des commissions) Le contrôle aérien est un service public essentiel au pays. Il participe de notre souveraineté, assure le contrôle de notre espace aérien et, pour nos territoires, garantit la connectivité du pays. Il assure aussi la sécurité des vols et permet notre ouverture.

En 2018, j'ai publié un rapport assez critique sur ce service public, dont je reconnais aujourd'hui qu'il est engagé dans une démarche de modernisation appréciable.

Plusieurs parlementaires, comme le président Retailleau ou Joël Guerriau, ont déjà présenté des propositions de loi sur le sujet. Je les remercie tous deux de s'être associés à ce texte.

Les contrôleurs aériens sont soumis à des règles strictes, au nom de du respect du survol, de la continuité, de la sécurité et du ciel unique européen. Ils ont été exemptés de la loi Diard, notamment car ils ont un service minimum. Mais le dispositif fonctionne aujourd'hui assez mal. Souvent, malgré les abattements de vols après le dépôt d'un préavis de grève, des vols sont annulés à chaud, ce qui pose de nombreux désagréments aux passagers comme aux compagnies aériennes.

En cas de préavis de grève, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) demande aux compagnies de réduire leurs plans de vol. Mais c'est parfois excessif : la réduction de trafic n'est alors pas proportionnée au nombre de grévistes effectifs.

Selon les classements européens, notre pays est celui qui connaît le nombre de retards et d'annulations de vols le plus élevé. C'est difficile à vivre, y compris pour les contrôleurs aériens eux-mêmes, dont l'une des missions est d'assurer des routes droites pour diminuer les émissions de CO2.

Ma démarche est déconnectée de procédures médiatiques menées par des compagnies étrangères. Nous devons trouver une solution.

Bien sûr, nous devons respecter le droit de grève, principe constitutionnel auquel nous sommes tous attachés. Je propose d'assurer une meilleure prévisibilité du nombre de grévistes, et donc une meilleure organisation du service minimum.

Ce dispositif spécifique trouvera sa place dans le code de la fonction publique, les contrôleurs aériens étant des fonctionnaires, plutôt que dans le code des transports.

Si le texte prospère, les contrôleurs aériens devront se déclarer grévistes 48 heures à l'avance. En contrepartie, la DGAC devra informer les contrôleurs aériens d'éventuelles astreintes sous 48 heures également.

Depuis le début de l'année et le mouvement des retraites, on recense 40 jours d'astreinte, ce qui pose problème pour les contrôleurs aériens eux-mêmes avec des réorganisations de dernière minute. Monsieur le ministre, le décret organisant le service minimum devra être revu.

Ma démarche participe d'un équilibre : mieux organiser le service et réduire le trafic proportionnellement au suivi de la grève.

Je m'inscris dans le dialogue social et je suis attaché à la modernisation de la DGAC. Les agents subissent eux-mêmes un système qui est à bout de souffle, tout autant que les passagers et les compagnies.

Voilà une réponse proportionnée et adaptée à la réalité de ce métier essentiel pour le pays. Si nous y parvenons, la DGAC pourra poursuivre sa modernisation. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Jean-Pierre Grand applaudit également.)

Mme Évelyne Perrot, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Ce sujet - les mouvements sociaux des contrôleurs aériens - est bien identifié par le grand public. Le cadre actuel n'est pas satisfaisant.

Si les organisations syndicales doivent déposer un préavis de grève cinq jours à l'avance, la DGAC n'a pas les moyens de savoir avec précision combien d'agents y participeront. Par prévention, elle procède souvent à des abattements de vol, parfois de manière disproportionnée pour éviter les annulations à chaud, qui sont les plus pénalisantes pour les passagers.

Les contrôleurs aériens peuvent annoncer qu'ils font grève sans réellement passer à l'action, puisque les abattements de vol sont programmés avant le début du mouvement. Les effets de la grève sont donc déjà atteints avant même le début du mouvement.

Parfois, la DGAC peut être trop optimiste : il faut alors annuler des vols à chaud, ce qui désorganise profondément le système aérien et peut causer, dans les aéroports, des troubles à l'ordre public.

De plus, cette incertitude est pénalisante pour les contrôleurs eux-mêmes, qui sont soumis à un service minimum, notamment pour assurer la continuité territoriale avec la Corse et les outre-mer, ainsi que la continuité du survol du territoire. Ce service minimum nécessite des réquisitions, qui empêchent les contrôleurs concernés de participer au mouvement de grève.

Parfois, le service minimum peut être instauré tardivement : il est alors difficile de notifier aux contrôleurs aériens leur réquisition. Dans de rares cas, les forces de l'ordre doivent s'en charger : cela n'est pas satisfaisant.

Le 11 février dernier, les contrôleurs aériens ont rejoint une grève de la fonction publique qui n'avait pas été relayée par les syndicats de la DGAC, d'où de nombreuses annulations à chaud. Les semaines suivantes, le recours au service minimum s'est multiplié, ce qui n'est pas satisfaisant.

Alors qu'approchent la Coupe du monde de rugby et les jeux Olympiques et Paralympiques, il faut régler le problème. La proposition de loi prévoit que les contrôleurs aériens devront individuellement se déclarer grévistes 48 heures à l'avance. L'autorité administrative pourra alors décider d'éventuelles réquisitions : les adaptations du trafic aérien seront ainsi mieux proportionnées à l'ampleur du mouvement et les annulations à chaud évitées.

Le système se rapprocherait des règles en vigueur dans le secteur du transport terrestre depuis 2007 et à celles s'appliquant aux salariés du privé dans le secteur aérien depuis la loi Diard de 2012.

La commission a adopté un amendement couvrant la déclaration individuelle du secret professionnel, sous peine de sanction.

J'ai cherché à m'inscrire dans une logique d'équilibre et de pragmatisme. Le texte de la commission crée donc une nouvelle obligation pour les contrôleurs, mais aussi une contrainte pour l'administration ; tout le monde devrait y gagner.

Je souhaite que ce texte puisse être largement adopté par le Sénat, et que l'Assemblée nationale se l'approprie. (Applaudissements sur les travées des groupeUC et Les Républicains, ainsi que du RDSE)

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports .  - Ce texte vise une meilleure organisation de la navigation aérienne. Dans mes fonctions de ministre, j'échange aussi bien avec les contrôleurs aériens qu'avec les passagers, les compagnies ou les aéroports.

Je partage avec Vincent Capo-Canellas quelques convictions solides : le service français du contrôle aérien est de grande qualité - notre pays est le plus survolé d'Europe, compte tenu de sa position géographique. Ces derniers mois, il a affronté des difficultés, au point d'être à certains égards à bout de souffle. Nous devons trouver des solutions adaptées, innovantes et équilibrées.

L'organisation actuelle me conduit à devoir déclencher le service minimum sans mesurer au préalable l'impact qu'aura un mouvement social et sur la base d'informations partielles, éparses et subjectives.

Pour éviter des annulations à chaud - les plus gênantes pour les passagers - nous déclenchons des annulations préventives, souvent plus nombreuses que nécessaire. Nous sommes confrontés à un paradoxe : avec moins de mobilisation, le service est plus touché et les nuisances sont nombreuses. Cela nuit à son image et à de nombreux passagers.

La grève surprise du 11 février dernier a ainsi montré les limites du système.

Je suis très attaché au respect du droit de grève, que ce texte ne modifie en rien. La proposition de loi me semble en effet équilibrée et efficace - et je remercie le questeur Capo-Canellas de s'être saisi du problème.

Elle introduit l'obligation de se déclarer gréviste à midi l'avant-veille d'une journée de grève, comme dans les transports terrestres, pour les « personnes des services de la navigation aérienne qui assument des fonctions de contrôle d'informations de vol ou d'alerte ».

Avec la déclaration préalable, le service minimum sera moins souvent déclenché. J'entends les inquiétudes, mais le texte y répond.

Si cette proposition de loi était adoptée, je prends l'engagement d'adapter les règles relatives au service minimum. Le Gouvernement est donc favorable à ce texte. Je serai très attentif au respect du dialogue pour sa mise en oeuvre. (Applaudissements au banc des commissions ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

M. Jean-Claude Requier .  - Les perturbations liées aux mouvements sociaux des aiguilleurs du ciel sont fréquentes. Le dispositif de service minimum actuellement en place vise à gérer la pénurie, le droit de grève étant protégé par la Constitution.

Je salue l'initiative de Vincent Capo-Canellas, ancien maire du Bourget, qui vise à apporter une réponse à ce problème. En son temps, notre ancienne collègue Josiane Costes avait rédigé un rapport sur les lignes aériennes assurant la continuité territoriale pour des départements qui constituent de véritables îles intérieures, comme le Cantal.

La stratégie nationale du transport aérien pour 2025 a-t-elle porté ses fruits ? Quel bilan à la veille des jeux Olympiques ? Deux tiers des grèves de contrôleurs aériens en Europe ont lieu en France : les clichés se vérifient...

Dans la situation actuelle, les réquisitions montrent leurs limites. Il s'agit donc bien d'un problème d'organisation.

Selon la rapporteure, le texte renforcerait paradoxalement le droit de grève. Cela dépendra des conditions de sa mise en oeuvre et de la qualité du dialogue social.

La commission du développement durable a couvert du secret professionnel les déclarations individuelles des contrôleurs aériens. Les membres du RDSE voteront ce texte, moins quelques abstentions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Philippe Tabarot .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Cinquante jours de grève depuis le début de l'année, 3 000 vols annulés par anticipation, 6 000 vols annulés à chaud. À Nice, 100 000 passagers n'ont pas pu prendre leur avion du 1er janvier à fin mai. Face à ce constat, la proposition de loi de Vincent Capo-Canellas est plus que nécessaire.

Aujourd'hui, la DGAC est incapable de connaître le nombre de contrôleurs aériens grévistes. Comment l'expliquer, alors qu'ils doivent assurer un service minimum ? Comment expliquer que la DGAC annule des vols, préventivement ou à chaud ?

Cela suscite l'exaspération des passagers, des compagnies et du personnel des aéroports lorsque certains - je dis bien certains - confondent tour de contrôle et tour d'ivoire...

Oui, c'est un métier qui comporte de multiples responsabilités - comme d'autres. Mais il est nécessaire d'adapter les demandes de réduction de programme à la réalité du suivi du mouvement pour éviter des annulations inutiles.

Les contrôleurs ont multiplié les grèves ces derniers mois, dans le silence médiatique, comme si l'avion était le plus grand fossoyeur climatique et ne méritait plus de voler. Le service minimum et le respect des voyageurs ont la même valeur pour tous. Il faut atterrir, chers collègues : le service minimum n'est pas de droite ou de gauche.

Le texte ne porte pas atteinte au droit de grève constitutionnel. Monsieur le ministre, ne restez pas sourd à ces propositions. Comme dans les transports en commun - sur lesquels portent la proposition de loi Retailleau et celle que j'ai déposée récemment avec 45 collègues - il faut concilier ce droit avec la liberté d'aller et venir.

Je souhaite que le Sénat et le Gouvernement restent mobilisés. Je regrette qu'on ne s'attaque pas aux préavis dormants, parfois anciens de plusieurs années, mais dont tout un chacun peut se réclamer. Pourquoi ne pas allonger le délai de la déclaration individuelle, pour plus de lisibilité ?

Néanmoins, nous voterons ce texte, qui est un début de réponse. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE)

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Grand .  - Qui n'a pas subi un retard, qui ne s'est pas retrouvé bloqué, une fois embarqué, qui n'a pas subi une annulation à son arrivée à l'aéroport ? Je pense aux urgences, au voyage d'une vie manqué. Je pense à la réputation de la France, tristement championne des retards et des annulations.

Le groupe Les Indépendants est investi sur ce sujet avec la proposition de loi de notre collègue Joël Guerriau. Notre ligne est claire : préserver le droit de grève et trouver un équilibre pour garantir la continuité de l'activité aérienne, essentielle à la vie économique et sociale et à l'attractivité de la France.

Il faut faire évoluer le système actuel. L'obligation de déclarer son intention ou son renoncement à faire grève est le point central. Le service minimum de précaution n'est pas satisfaisant.

Dans le décret qui régit ce dernier, l'aéroport de Montpellier ne figure pas sur la liste des aéroports où les services de la navigation aérienne nécessaires doivent être exécutés, alors que dans l'Hérault, le rail n'est pas une option naturelle de remplacement ; il faut y remédier, monsieur le ministre.

Le groupe Les Indépendants considère que les contrôleurs aériens ne peuvent être plus longtemps exonérés des règles qui régissent le droit de grève. Dans une société moderne, les voyageurs doivent pouvoir s'organiser en amont sans préjudice du droit de grève. Notre groupe votera ce texte tout en restant attentif aux évolutions réglementaires. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)

M. Jacques Fernique .  - Ce sujet est sensible. Il touche à la liberté de se déplacer ou au droit de grève. En tant que fonctionnaires, les contrôleurs aériens ne peuvent participer à une grève que si un préavis a été déposé cinq jours à l'avance. Contrairement aux agents de la SNCF, les contrôleurs aériens ne sont pas contraints de se déclarer grévistes - limitation individuelle d'un droit par essence collectif.

Depuis la loi de 1984, les contrôleurs aériens doivent cependant assurer un service minimum, avec un taux de réquisition variable, entre 30 % et 80 %. Comme la DGAC ne peut connaître le nombre de grévistes, elle peut être amenée à annuler des vols à la dernière minute.

Ce texte est une réaction aux perturbations engendrées par la puissante mobilisation contre la réforme des retraites. Le 11 février, il n'y a pas eu de service minimum. La mobilisation a ensuite duré un mois et demi, parfois il est vrai aux dépens des voyageurs.

Toutes les annulations de vols ne sont pas dues aux grèves. Les 4 000 contrôleurs environ travaillent sous pression, souvent en sous-effectif ; il faut conforter ce service public essentiel en améliorant ses conditions techniques d'exercice. La déclaration préalable combinée au service minimum serait un affaiblissement du droit de grève.

Car ce qui ne fonctionne pas bien, c'est le service minimum. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, monsieur le ministre. Le décret est obsolète, inadapté : il intègre dans la liste l'aéroport de Deauville, mais pas celui de Montpellier ; il faut le réviser. La balle est dans le camp du Gouvernement.

Cette proposition de loi est inopportune. L'équilibre doit être trouvé par le dialogue social. Notre groupe ne votera donc pas ce texte.

M. Julien Bargeton .  - Face à la disproportion entre le nombre de grévistes et les perturbations engendrées, notre collègue et Mme la rapporteure nous proposent un texte proportionné. Le texte respecte en effet les grands équilibres entre la continuité du service public et le respect du droit de grève.

Parfois, un mouvement de grève est annoncé, des vols sont annulés alors que les grévistes sont en réalité peu nombreux.

Le dispositif revient à étendre la loi Diard aux personnels de navigation aérienne qui assurent les opérations de contrôle et d'alerte.

Il est clair, ciblé et bien conçu. Notre groupe le votera, le droit de grève étant respecté. Toute la chaîne, de l'administration à l'usager, disposera de l'information nécessaire à une meilleure organisation et adaptation. Nous suivrons la rapporteure sur les amendements proposés.

Après la crise covid, Paris et la région capitale sont redevenues la première destination touristique mondiale. Beaucoup de Français ont besoin des aéroports parisiens. Nous voulons tous un transport aérien plus écologique, plus décarboné. (M. le ministre acquiesce.)

C'est dans ce sens constructif que nous devons travailler. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)

M. Gilbert-Luc Devinaz .  - Il ne s'agit pas d'être pour ou contre l'avion. Le secteur aérien fait partie de l'avenir et de la mobilité durable : à cet égard, les gares de Charles de Gaulle 2 et de Saint-Exupéry à Lyon doivent étoffer l'intermodalité. Je me suis d'ailleurs toujours interrogé sur l'impact sur la biodiversité des kilomètres de routes ou de rails par rapport à un couloir aérien.

Nous partageons l'intention de cette proposition de loi et je remercie notre questeur pour cela, mais je poserai le problème différemment. Les graves perturbations de ces derniers mois marqueront l'année 2023 - 40 jours de grève entre février et mars. La journée du 11 février est mémorable : alors que la DGAC en avait connaissance, le trafic européen a été fortement perturbé : cette gestion catastrophique mérite des améliorations.

Les contrôleurs aériens sont des fonctionnaires. Ils sont donc soumis au service minimum. Ce dernier aurait dû permettre d'éviter ce genre de situation le 11 février. L'absence de contrôleurs aériens a provoqué à Orly ce jour-là un énorme chaos. Est-ce la faute des grévistes ? Je m'interroge sur la façon dont la DGAC a géré la situation.

En l'état, l'application d'un service minimum avec réquisition n'a pas permis de gérer la situation de façon satisfaisante. Aurait-ce été mieux avec une déclaration individuelle ? Ce n'est pas sûr.

Quoi qu'il en soit, le service minimum est obsolète, remontant à un décret de 1985. Il est indispensable de le réactualiser pour le rendre plus efficace. Son application est à géométrie variable : les abattements de vol sont appliqués différemment selon les territoires, certains d'entre eux se voyant réquisitionnés de façon disproportionnée, sans transparence. Je m'interroge donc sur la nécessité de légiférer avant cette nécessaire réforme.

Il est urgent de renouer le dialogue social et de restaurer la confiance au sein de la profession. Les contrôleurs aériens assurent des missions hautement stratégiques avec une responsabilité de tous les instants. Ils ne peuvent pas endosser la double peine, avec un droit de grève altéré et une réquisition reposant sur un décret obsolète. Les agents favorables au texte demandent à le conjuguer avec une réduction des obligations de service public.

Ne mettons pas la charrue avant les boeufs. Nous voterons contre cette proposition de loi.

M. Gérard Lahellec .  - En application de la loi du 13 août 2004, j'ai contribué à la pérennité des activités civiles de cinq aéroports entre 2007 et 2020. En toute modestie, j'ai vécu un petit échantillonnage des turbulences économiques et sociales qui secouent le transport aérien. Tous ces problèmes ne sont manifestement pas surmontés ni imputables à l'exercice du droit de grève, que personne ne remet en cause ici - je vous remercie de l'avoir rappelé... (Sourires)

On me rétorquera que je n'ai eu qu'à connaître de petits aéroports de province.

Mme Évelyne Perrot.  - Mais quelle province !

M. Gérard Lahellec.  - Et pourtant dans ces petits aéroports se concentrent des problématiques similaires. Si à Paris, on connaît mieux l'opéra que l'opérette, le radar de Loperhet, dans le Finistère, couvre 400 000 km², 40 % de l'espace aérien français. Les 300 contrôleurs aériens, diplômés de l'École nationale de l'aviation civile (Enac) après des prépas scientifiques, y utilisent 17 radars, dont trois sont en Espagne et deux en Irlande. Ce qui frappe, c'est le silence, la solennité de leur travail. Nous pouvons nous honorer d'avoir en France une catégorie professionnelle capable d'une telle maturité, bien loin des sauvageons irresponsables que l'on dépeint.

Certes, des difficultés ont eu lieu ce 11 février.

M. André Reichardt.  - C'est souvent.

M. Gérard Lahellec.  - Sans ignorer le sujet, se déclarer gréviste à l'avance ne réglera pas les problèmes. Il ne faudrait pas que cela édulcore la nécessité de négocier. Attention à ce que cela ne devienne un avant-goût d'une extension à d'autres secteurs. Je vous remercie à cet égard de ne pas avoir retenu en commission un amendement qui remettait en cause le droit de grève dans la fonction publique. Nous voterons contre le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST)

M. Jean-François Longeot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette initiative est bienvenue, attendue par les acteurs du secteur aérien et, surtout, par les usagers. Les limites du système actuel ont été montrées. La DGAC doit piloter à vue, faute d'outils pour connaître le nombre de contrôleurs aériens grévistes. Des abattements massifs de vols sont parfois en totale disproportion avec l'ampleur du mouvement.

La déclaration individuelle préalable a un double avantage : la DGAC pourra d'abord anticiper l'ampleur réelle de la grève dans un ciel dégagé, comme cela se fait déjà pour les autres professionnels des secteurs aérien et ferroviaire. Nous avons vu la différence le 6 juin dernier : 30 % des vols ont été annulés à Orly, alors que les trains ont circulé.

Ensuite, la déclaration est très peu contraignante. Elle ne remet pas en cause le droit de grève ni n'empêche les perturbations. Elle met simplement fin aux perturbations aberrantes lors de grèves peu suivies.

Ce texte équilibré permettra un atterrissage en douceur du système actuel et répondra aux difficultés que rencontrent les contrôleurs aériens. Le dialogue social s'en trouvera renforcé. J'attends d'ailleurs du Gouvernement qu'il mette à jour le cadre réglementaire du service minimum.

Le trafic aérien n'a toujours pas retrouvé son niveau d'avant crise : 85 %, contre 88 % pour les compagnies étrangères, dont la concurrence est importante. Dans ce ciel incertain, il faut limiter les turbulences du secteur pour qu'il retrouve sa vitesse de croisière le plus rapidement possible. Vincent Capo-Canellas a su mener un exercice de haute voltige : rédiger un texte acceptable pour tous qui résout un maximum de situations problématiques. Qu'il en soit remercié ainsi qu'Évelyne Perrot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Procaccia .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À quelques mois de la fin de mon mandat, je vis une période enthousiasmante, avec l'examen de textes sur des sujets qui me tiennent à coeur : la lutte contre le squat, le service minimum dans les transports.

M. André Reichardt.  - Exact !

Mme Catherine Procaccia.  - Je remercie Vincent Capo-Canellas de cette initiative. Le combat se poursuit, non contre les contrôleurs aériens, mais pour les voyageurs. Il s'agit de permettre aux compagnies d'être informées et d'adapter le trafic à la réalité du nombre de grévistes.

En tant que passagère, j'ai récemment subi cette grève d'autant plus inacceptable qu'elle est secrète : c'est dans l'avion que nous avons appris que nous partirions « quand les aiguilleurs du ciel l'auront décidé », avec au moins une heure de retard. Tant pis pour les correspondances ! Aéroports de Paris (ADP) m'a ensuite renvoyée sur la DGAC, qui aurait oublié de communiquer...

Instauré par la loi de 2007 dont j'étais rapporteur, le préavis de 48 heures sur les transports terrestres a amélioré la prévisibilité des perturbations sans empêcher le droit de grève. J'ai par la suite déposé une proposition de loi sur le transport aérien, jamais examinée ; quant à la loi Diard, elle ne concerne pas les contrôleurs. Après quinze ans, la DGAC va enfin pouvoir adapter le trafic. Pourtant, en 2007, puis en 2010 lors d'un débat sur le service minimum, et encore en 2018, sur la proposition de loi Guerriau, elle jugeait la déclaration préalable inutile.

Le droit de grève des aiguilleurs du ciel a bientôt 40 ans, et la réquisition ne fonctionne pas. Les grévistes n'étant pas obligés de se déclarer à l'avance, on annule préventivement plus de vols que nécessaire, disait le ministre des transports en 2010, ajoutant qu'il faudrait peut-être modifier la loi.

Monsieur le ministre, serez-vous celui qui appliquera ce texte mesuré ? J'espère que vous l'inscrirez à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, sans craindre des grèves à l'approche des vacances.

Les correspondances ratées en France ont des effets en cascade. Il y a quelques années, quatre compagnies aériennes portaient plainte, le survol de l'Hexagone leur ayant été interdit pour près de 16 000 vols en un trimestre. L'association Airlines for Europe (A4E) demande à la Commission européenne la protection des survols en cas de grève, comme cela existe déjà en Italie. Monsieur le ministre, agirez-vous pour éviter une condamnation ?

Selon Eurocontrol, les transporteurs ont volé en moyenne 96 000 km de plus par jour de grève : encore un argument décisif, quand on prétend faire de la sobriété énergétique une priorité !

Je voterai ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE ; M. Jean-Pierre Grand applaudit également.)

Discussion des articles

AVANT L'ARTICLE UNIQUE

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Tabarot.

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section 1 du chapitre IV du titre Ier du livre Ier du code général de la fonction publique est complétée par un article L. 114-2-... ainsi rédigé :

« Art. L. 114-2-....  -  Un préavis déposé dans les conditions prévues à l'article L. 2512-2 du code du travail, qui n'a pas donné lieu à une cessation concertée du travail par au moins deux agents publics de l'État, des autorités administratives indépendantes, des autorités publiques indépendantes et des établissements publics de l'État, des collectivités territoriales autres que les communes comptant au plus 10 000 habitants et de leurs établissements publics ainsi que des établissements publics mentionnés à l'article L. 5 du présent code, pendant une période de vingt-quatre heures, est caduc. L'autorité administrative dont ils relèvent constate la caducité du préavis et en informe la ou les organisations syndicales l'ayant déposé.

« En cas de caducité du préavis, les déclarations individuelles présentées antérieurement à ce constat et mentionnées à l'article L. 114-9 du présent code ne peuvent produire d'effet. »

M. Philippe Tabarot.  - Il s'agit de rendre caducs les préavis de grève n'ayant pas donné lieu à une cessation concertée du travail. En effet, un préavis illimité rend toute anticipation impossible.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure.  - L'objectif est pertinent : éviter de faire peser une épée de Damoclès sur la prévisibilité. Toutefois, la portée de l'amendement, qui vise tout préavis au sein de la fonction publique, excède le champ de la proposition de loi et fragiliserait ses équilibres. Retrait ?

M. Clément Beaune, ministre délégué.  - Même avis. L'amendement risquerait de remettre en cause le subtil équilibre du texte.

Le 11 février, la DGAC et le ministre des transports n'avaient aucune information autre que des rumeurs : la grève surprise a été déclenchée par une petite minorité de grévistes, s'appuyant sur un préavis existant.

Cette proposition de loi n'est pas de circonstance, mais de bon sens. Elle n'est pas contre les contrôleurs aériens mais pour eux, car ils sont les premiers affectés. Leur mission est essentielle, leur responsabilité lourde. Les transformations à venir supposent un investissement considérable dans les systèmes d'information : nous y consacrons plusieurs centaines de millions d'euros.

Il faut d'abord une intervention du législateur car l'organisation d'un service minimum touche à un droit constitutionnel. Je m'engage à procéder aux modifications réglementaires qui en découleront, et à ajuster la liste des aéroports concernés.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Très bien !

M. Clément Beaune, ministre délégué.  - Les premières victimes d'annulations surcalibrées sont les voyageurs et les compagnies françaises. Ce texte protège aussi le pavillon français.

Je souhaite que le Sénat l'adopte, et qu'il soit rapidement inscrit à l'ordre du jour à l'Assemblée nationale. Nous avons d'ailleurs engagé la procédure accélérée. (Mme Catherine Procaccia et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent.)

M. André Reichardt.  - Pour une fois, cela se justifie !

M. Philippe Tabarot.  - Je souhaitais ouvrir le débat sur les préavis illimités. Pour ne pas faire obstacle au texte, je retire l'amendement tout en appelant à rester mobilisés. (M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Christine Chauvin et M. Jean-François Longeot applaudissent.)

L'amendement n°1 rectifié est retiré.

ARTICLE UNIQUE

Mme la présidente.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Pellevat, Regnard, Calvet et Frassa, Mme F. Gerbaud, MM. Daubresse, Kern et D. Laurent, Mme Garriaud-Maylam, MM. C. Vial, Panunzi et H. Leroy, Mme Dumont, M. Mandelli, Mme Belrhiti, M. Charon, Mme Jacquemet, MM. Belin et Genet, Mme Bellurot et MM. Klinger et Laménie.

Alinéa 3, première phrase

Remplacer les mots :

l'avant-veille

par les mots :

la veille

M. André Reichardt.  - Cet amendement réduit de 48 à 24 heures le délai minimal de renonciation à la participation à une grève, pour aligner le secteur de la navigation aérienne sur ce qui est prévu pour d'autres secteurs par la loi du 16 janvier 1984 et par le code des transports.

De plus, dans la perspective d'un éventuel contrôle de constitutionnalité, ce délai concilie l'exercice du droit de grève et la continuité du service, et a déjà été jugé conforme.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure.  - L'objectif est louable, mais l'amendement pose des difficultés opérationnelles. Ce nouveau délai permettrait au personnel gréviste de renoncer à la grève la veille à 18 heures, et non 24 heures avant le début de la grève, comme le prévoit la loi Diard, ce qui laisse trop peu de temps pour organiser les abattements de vols. Les contrôleurs aériens ne bénéficieraient pas de l'organisation en amont du service minimum. Enfin, l'administration devrait toujours engager le service minimum l'avant-veille à 18 heures. Retrait ou avis défavorable.

M. Clément Beaune, ministre délégué.  - Même avis. Le délai laissé à la DGAC serait trop court. Préservons l'équilibre fin du texte.

M. André Reichardt.  - Pourquoi la DGAC ne pourrait-elle faire ce que font d'autres autorités, soumises à un délai de 24 heures ?

Toutefois, je veux que cela fonctionne. Au vu de l'accord entre l'auteur, le rapporteur et le ministre, pour faire plaisir à Catherine Procaccia, qui attend depuis des années, et parce que le ministre a engagé la procédure accélérée, je retire mon amendement. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC)

L'amendement n°2 rectifié est retiré.

À la demande du groupe UC, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°308 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 250
Contre   92

L'article unique est adopté. En conséquence, la proposition de loi est adoptée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, du RDPI et du RDSE)