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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions orales

Précarité des étudiants

Mme Antoinette Guhl

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Formation des enseignants et calcul du droit à pension de retraite

M. Olivier Rietmann

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Filet inflation et reversement des communes

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Éligibilité au FCTVA

M. Cyril Pellevat

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Gestion du FCTVA

Mme Maryse Carrère

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Fraudes à la taxe soda

M. Dany Wattebled

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Indemnisation des agents territoriaux démissionnaires

M. Jean-François Longeot

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Travailleurs sans-papiers de La Poste dans le Val-de-Marne

M. Pascal Savoldelli

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour cause de sécheresse

M. Daniel Laurent

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Effectifs de police à Allauch et Plan-de-Cuques

Mme Valérie Boyer

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Cyberattaques contre les hôpitaux

M. Jean Hingray

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Naturalisation des réfugiés hmongs de Guyane

M. Georges Patient

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Familles à la rue à Paris

M. Ian Brossat

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Financement du déneigement

Mme Annick Jacquemet

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Implantation des antennes relais

Mme Alexandra Borchio Fontimp

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Exceptions aux plans d'exposition au bruit (PEB)

Mme Frédérique Puissat

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Grillages dans les espaces naturels

M. François Bonneau

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Transfert de gestion des digues domaniales

Mme Martine Berthet

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Forêt primaire dans les Ardennes

Mme Else Joseph

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Gravières en Basse Ariège

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Décrets d'application de la loi ZAN

M. Rémi Cardon

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Transfert des compétences eau et assainissement

Mme Marie-Pierre Monier

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Absence de protection fonctionnelle pour les conseillers municipaux sans délégation

M. Jean-Michel Arnaud

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Financement des services express régionaux métropolitains

M. Jean-Pierre Corbisez

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Demande de logement social

Mme Sylviane Noël

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Chauffage au bois

M. Christian Klinger

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Sécurité des élus locaux

Mme Marie Mercier

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Directive sur les émissions industrielles

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Règlement européen sur les produits phytosanitaires et vignobles français

Mme Pascale Gruny

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Dégâts du mildiou

M. Alain Duffourg

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Financement des Maec

M. Daniel Salmon

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Avance des aides de la PAC

M. Pierre Cuypers

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Fixation du prix de l'énergie sur le marché européen

M. Pierre-Jean Verzelen

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Bénéfice du fonds chaleur territorial pour les écoles privées

M. Stéphane Sautarel

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Difficultés de recrutement dans le secteur du soin à domicile

M. Fabien Genet

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Formation des médecins maîtres de stage

M. Jean-Luc Fichet

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Dispositif Rézone

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Urgences de l'hôpital de Manosque

M. Jean-Yves Roux

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Arrêt de travail d'un salarié multi-employeurs particuliers

M. Alain Marc

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Pérennisation du baluchonnage en faveur des aidants

Mme Jocelyne Guidez

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Conseil conjugal et familial

M. Claude Kern

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Conseils d'administration des CAF

Mme Françoise Gatel

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Territoires zéro chômeur de longue durée (I)

Mme Marie-Pierre Richer

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Territoires zéro chômeur de longue durée (II)

M. Gilbert-Luc Devinaz

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux

Discussion générale

Mme Silvana Silvani, auteure de la proposition de loi

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Rappel au Règlement

Discussion générale (Suite)

M. Jérôme Durain

M. Stéphane Le Rudulier

M. Christopher Szczurek

M. Dany Wattebled

Mme Nathalie Goulet

Mme Mélanie Vogel

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. Jean-Yves Roux

Mme Patricia Schillinger

Discussion des articles

ARTICLE 5

M. Thomas Dossus

M. Ian Brossat

Abroger l'article 40 de la Constitution

Discussion générale

M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi constitutionnelle

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. André Reichardt

M. Vincent Louault

Mme Nathalie Goulet

M. Guy Benarroche

M. Éric Bocquet

M. Ahmed Laouedj

M. Olivier Bitz

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Discussion de l'article unique

ARTICLE UNIQUE

Vote sur l'ensemble

M. Pascal Savoldelli

Ordre du jour du lundi 6 novembre 2023




SÉANCE

du mardi 31 octobre 2023

15e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions orales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

Précarité des étudiants

Mme Antoinette Guhl .  - La précarité explose à un tel niveau que nous appelons à la protection de la jeunesse. Une société qui ne prend pas soin de sa jeunesse n'a pas d'avenir. Selon Linkee, 76 % des étudiants ont un reste à vivre de moins de 100 euros par mois, soit 3,33 euros par jour, une fois leurs factures payées. Quel pays laisse sa jeunesse s'interroger sur comment se loger, se soigner, voire se nourrir ? La France.

Cette précarité était prévisible : la revalorisation des bourses sur critères sociaux à la rentrée 2022 a été maintenue à 4% dans la loi de finances initiale pour 2023, alors que selon les rapporteurs, cela ne suffisait pas à couvrir l'érosion du pouvoir d'achat découlant de l'inflation en 2022 et 2023.

Face à l'urgence d'agir face à l'atteinte portée à l'égalité d'accès à l'enseignement supérieur, quand et comment mettre en oeuvre une réforme structurelle des bourses ? Quelle suite donnerez-vous à l'appel des présidents d'université pour une allocation d'étude pour tous ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Le Gouvernement n'a pas attendu pour protéger le pouvoir d'achat des étudiants. Dès la crise sanitaire, il a instauré le repas à 1 euro. À la rentrée 2022, nous avons présenté des mesures d'urgence, dont une première revalorisation des bourses de 4 %. À la rentrée 2023, nous avons augmenté les bourses sur critères sociaux, et le budget dédié aux bourses de 20 %. Nous allons revaloriser tous les niveaux de bourses, réintégrer 35 000 boursiers auparavant non éligibles, reclasser 140 000 boursiers à un échelon supérieur et neutraliser les effets de seuil. Nous avons gelé la tarification des repas au Crous : j'ai pérennisé le repas à 1 euro pour les boursiers et non-boursiers précaires et celui à 3,30 euros pour tous les étudiants, sans condition de ressources. Nous avons gelé les loyers en résidence Crous et les frais d'inscription.

Nous agissons en responsabilité, avec des mesures mises en oeuvre dès la rentrée 2023, et pour la justice, avec un système redistributif.

Les Crous ont recruté 70 travailleurs sociaux, et nous oeuvrons pour la santé mentale des étudiants. Nous prévoyons un demi-milliard d'euros supplémentaires.

Mme Antoinette Guhl.  - Je ne souhaite pas que le titre du livre de Salomé Saqué, Sois jeune et tais-toi  (l'oratrice brandit l'ouvrage), reste une réalité. Je vous invite, madame la ministre et chers collègues, au séminaire jeunesse intitulé « Pour une fois, écoutons-les ! » que j'organiserai au Sénat avec mes collègues Monique de Marco et Mathilde Ollivier.

Formation des enseignants et calcul du droit à pension de retraite

M. Olivier Rietmann .  - Vous avez le mérite, madame la ministre, de répondre à une question qui ne relève pas de votre portefeuille... J'espère que la note fournie par le cabinet de M. Guerini apportera des réponses.

J'ai adressé au Gouvernement plusieurs courriers et questions écrites ; c'est ma seconde question orale en moins de six mois. Je vous l'avais dit : « s'il le faut, nous reviendrons à la charge ». Nous y voilà.

Le décret d'application de la loi du 26 juillet 1991 n'a toujours pas été publié. Vous laissez 30 000 enseignants dans l'expectative. La parole de l'État sera-t-elle respectée, les trimestres acquis au cours de leur formation seront-ils comptabilisés ?

En mars 2023, Olivier Dussopt promettait une réponse avant l'été ; le 17 mai, Sarah El Haïry affirmait que le décret était en cours de finalisation ; le 22 juin, le cabinet de Stanislas Guerini annonçait une solution avant la fin de l'année. Certes, il reste deux mois, mais l'inquiétude et les rumeurs grandissent, comme celle d'un plafonnement du nombre de trimestres accordés par année d'allocation.

Madame la ministre, tuez dans l'oeuf ces bruits de couloir. Quand le Gouvernement publiera-t-il ce décret, et comment assurer une application uniforme sur tout le territoire ? Comment régulariser la situation d'individus pour lesquels les bonifications sont incomplètes ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Ce sujet est une priorité pour les services ministériels compétents.

Selon l'article 14 de la loi du 26 juillet 1991, sont prises en compte, pour la constitution et la liquidation de la pension, les périodes pendant lesquelles ont été perçues les allocations d'enseignement créées en 1989, ainsi que l'année passée en IUFM en qualité d'allocataire.

Toutefois, le décret en Conseil d'État n'a jamais été pris et je le regrette. Cela a empêché le personnel de faire valoir ses droits dans de bonnes conditions, même si certaines démarches individuelles ont pu aboutir devant les juridictions administratives. Le Gouvernement veut tenir la promesse faite dans les années 1980. Nous allons faire aboutir un projet de décret correctif avant la fin de l'année. Des travaux interministériels sont engagés en ce sens.

Filet inflation et reversement des communes

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - En 2002, lors de la crise énergétique, vous n'avez pas voulu de nos propositions : sortie du marché européen de l'énergie, indexation de la DGF sur l'inflation, bouclier tarifaire... Vous débordiez d'enthousiasme, promettiez que 22 000 communes bénéficieraient du filet de sécurité. Elles sont aujourd'hui 2 930, tandis que 3 425 communes devront rembourser plus de 69,7 millions d'euros. Dans le Pas-de-Calais, 133 collectivités en ont bénéficié, mais 93 d'entre elles doivent rembourser 2,6 millions d'euros. La colère gronde chez les élus.

Et quel mépris du Gouvernement ! Aucun courrier, aucune information : certains maires ont appris par voie de presse qu'ils devraient rembourser.

Dès le 23 octobre 2022, à Arras, nous défendions nos propositions, avec plusieurs élus. J'avais évoqué le risque que l'on demande aux maires de rembourser l'acompte : nous y sommes. Vous avez préféré vendre du rêve plutôt que de prendre de vraies mesures. Les maires ont deux mois pour rendre l'argent. Pourquoi un tel taux d'erreur ? Sont concernées 54 % des collectivités, 70 % dans le Pas-de-Calais !

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - La loi de finances rectificative du 16 août 2022 a instauré une dotation budgétaire au profit des communes : 2 011 communes et 930 syndicats ont été soutenus à hauteur de 406 millions d'euros. Les communes et leurs groupements qui anticipaient une baisse de leur épargne brute de plus de 25 % pouvaient demander un acompte : 4 177 communes et groupements en ont bénéficié fin 2022, pour un montant de 106 millions d'euros.

Finalement, la situation est plus favorable qu'envisagée, ce qui justifie un reversement de l'acompte pour 82 % des bénéficiaires. Les montants sont souvent modestes : moins de 10 000 euros pour 75 % d'entre eux, moins de 5 000 euros pour 61 %, soit moins de 1 % de leurs recettes de fonctionnement.

Le Gouvernement a néanmoins prévu un étalement de la charge sur les deux derniers mois de 2023, voire sur 2024. Les services locaux de la DGFiP sont à votre disposition pour réaliser ce lissage en cas d'insuffisance de trésorerie.

Éligibilité au FCTVA

M. Cyril Pellevat .  - En 2021, à la suite de l'automatisation, certaines dépenses des collectivités ne sont plus éligibles au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). C'est le cas du compte « Agencement et aménagement de terrains ». Les projets d'aménagement sont pourtant essentiels pour atteindre l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) ou oeuvrer en faveur de la transition écologique.

La Première ministre a annoncé que le projet de loi de finances pour 2024 rétablirait l'éligibilité des dépenses d'aménagement de terrains. Cependant, il serait injuste de pénaliser les collectivités ayant investi dans l'intervalle où ces dépenses étaient inéligibles.

Les dépenses engagées en 2021 et 2022 seront-elles éligibles rétroactivement ? La compensation étant versée à N+1, les aménagements réalisés en 2023 seront-ils éligibles, puisque des crédits sont prévus au projet de loi de finances pour 2024 ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - L'automatisation du FCTVA a conduit à réviser l'assiette des dépenses d'investissement éligibles. Le périmètre des comptes du plan comptable des collectivités ne permet pas de faire coïncider exactement l'assiette automatisée et l'assiette réglementaire précédant la réforme. La réforme se veut neutre : si certaines dépenses n'ont pas été retenues dans l'assiette automatisée, d'autres ont été rendues éligibles, comme les dépenses relatives à des biens mis à disposition de tiers. Les simulations montrent que la réforme coûte davantage à l'État et qu'elle est donc favorable aux collectivités.

Le Gouvernement a décidé qu'à partir du 1er janvier 2023, les dépenses d'aménagement de terrains seraient réintégrées dans l'assiette. Elles ne peuvent faire l'objet de versements rétroactifs - cela coûterait 750 millions d'euros pour 2021, 2022 et 2023.

En réintégrant ces dépenses d'aménagement, le Gouvernement majore de 250 millions d'euros le soutien apporté chaque année à l'investissement des collectivités locales. C'est une mesure d'avenir.

M. Cyril Pellevat.  - La non-rétroactivité pénalise des communes, notamment en Haute-Savoie, et bloquera des investissements futurs. Il faudrait trouver des compensations, sinon les pertes d'investissement seront énormes.

Gestion du FCTVA

Mme Maryse Carrère .  - Les changements de règles d'éligibilité au FCTVA sont incompréhensibles. Jusqu'ici, les investissements du syndicat mixte du pays de Lourdes et des Vallées des Gaves y étaient éligibles ; cette année, seuls 18 000 euros sur les 120 000 attendus lui ont été reversés. Les commissions syndicales découvrent qu'elles ne sont plus éligibles au FCTVA pour l'intégralité de leurs investissements, non plus que de nombreuses communes qui ont investi dans des city stades.

Il est urgent d'harmoniser, de clarifier et d'expliquer la liste des comptes déterminant l'assiette éligible au FCTVA. Est-il prévu d'accompagner les collectivités surprises par ce changement de règles, qui risquent de se retrouver dans une situation financière délicate ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - Avec l'automatisation du FCTVA, l'éligibilité des dépenses se constate lorsqu'elles sont régulièrement imputées sur un compte éligible.

L'utilisation des comptes est encadrée par des instructions budgétaires et comptables. Plus de déclaration papier, il suffit d'imputer correctement ses dépenses : c'est moins de charges déclaratives et un remboursement plus rapide. Toutefois, cette réforme a provoqué des problèmes d'assiette, auxquels nous sommes attentifs.

Pour les groupements exerçant la compétence Gemapi, l'assiette des dépenses éligibles au FCTVA va être clarifiée. La réforme de l'automatisation n'a pas modifié l'éligibilité des dépenses d'investissement exposées sur des biens dont ils n'ont pas la propriété - travaux de lutte contre les avalanches, glissements de terrain, inondations, incendies, défense contre la mer, etc.

Le Gouvernement a intégré les dépenses d'aménagement de terrain, notamment concernant la Gemapi, dans l'assiette automatisée à partir du 1er janvier 2024, pour renforcer sa lisibilité et sa cohérence.

Mme Maryse Carrère.  - Merci de cette dérogation offerte aux syndicats exerçant de lourdes compétences comme la Gemapi. Actuellement, les collectivités bénéficient de subventions calculées sur le prix hors taxe. Demain, pourrait-on les calculer sur le prix TTC, notamment au travers de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), puisqu'elles ne sont plus éligibles au FCTVA ?

Fraudes à la taxe soda

M. Dany Wattebled .  - Pour protéger la santé de la population, la loi de finances pour 2012 a instauré une taxe sur les boissons sucrées, dite taxe soda, de 7,55 euros par hectolitre. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 l'a rendue progressive en fonction de la teneur en sucre. En dix ans, son produit a fortement augmenté, jusqu'à représenter 4 000 euros par camion.

Depuis 2019, cette taxe est perçue non plus par les douanes, mais par l'administration fiscale, par le biais d'une déclaration mensuelle de TVA. Le contrôle du bon niveau de taxe est quasiment impossible, d'autant qu'il intervient longtemps après l'échéance des biens. De ce fait, des importateurs de sodas d'origine européenne se sont développés qui règlent rarement la taxe due et disparaissent rapidement pour échapper aux poursuites. Leurs clients grossistes et les distributeurs ne la paient pas davantage : tous participent à ce carrousel dans la plus grande impunité.

Résultat : dans la grande distribution, des sodas fortement sucrés sont vendus moins cher que des boissons « zéro », induisant une inégalité concurrentielle au détriment des entreprises qui respectent la loi et un manque à gagner d'au moins 10 millions d'euros chaque mois pour les finances publiques.

Entendez-vous renforcer les contrôles ? Prévoyez-vous une solidarité de paiement entre les acteurs de la chaîne ainsi que des sanctions ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est l'une de nos priorités. Le transfert à la direction générale des finances publiques (DGFip) de la contribution sur les boissons sucrées, dans un souci de rationalisation et d'homogénéisation des circuits de recouvrement et de contrôle, s'inscrit dans cet objectif. Les recettes perçues ont augmenté : 581,8 millions d'euros en moyenne ces deux dernières années, contre 497 millions en moyenne les deux années précédant le transfert. Le nombre de déclarants a augmenté l'année dernière.

La DGFip est en mesure de lutter efficacement contre les différents types de fraude. Elle possède une sérieuse expérience dans la lutte contre les schémas de fraude complexes et met en oeuvre une stratégie offensive de contrôle fiscal, notamment face aux sociétés éphémères.

Le recouvrement de la contribution sur les boissons sucrées a été modernisé par son intégration au processus déclaratif de la TVA, lui-même allégé. Ce gain d'efficacité permet à l'administration de se recentrer sur la lutte contre la fraude à enjeu.

L'ensemble des taxes transférées à la DGFip bénéficient des moyens modernes de détection de la fraude. Des travaux informatiques spécifiques ont été menés sur cette contribution, avec des résultats encourageants.

Le temps me manque pour achever ma réponse, mais je sais que vous me pardonnerez...

M. Dany Wattebled.  - La fraude n'a pas disparu : il faut donc poursuivre l'effort !

Indemnisation des agents territoriaux démissionnaires

M. Jean-François Longeot .  - Les employeurs territoriaux assument la charge et la gestion de l'allocation chômage de leurs anciens agents démissionnaires. En effet, c'est l'employeur pour lequel l'intéressé a travaillé le plus longtemps qui est responsable de son indemnisation, même si ce dernier a retrouvé un emploi puis a été licencié.

Il peut en résulter des difficultés financières pour de petits employeurs territoriaux : les cas sont rares mais de plus en plus nombreux, avec le développement des mobilités.

L'affiliation des agents territoriaux au régime géré par Pôle emploi ne paraît pas être la bonne solution. La gestion de ce risque pourrait-elle être confiée aux centres de gestion de la fonction publique, qui pratiquent déjà la mutualisation dans différents domaines, à travers une cotisation spécifique ou une hausse du taux de cotisation ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - Les employeurs territoriaux assurent la charge de l'allocation chômage de leurs anciens agents selon le système de l'auto-assurance. Ils peuvent adhérer au régime géré par Pôle emploi.

Un décret du 16 juin 2020 réserve le droit à indemnisation aux agents démissionnant pour un motif légitime : suivi de conjoint ou changement de résidence à la suite de violences conjugales, par exemple.

Par ailleurs, le code général des collectivités territoriales prévoit que les collectivités peuvent, lors de l'élaboration de leur budget, constater la probabilité de survenance de certains risques et prévoir une dotation correspondante. Le risque lié au financement des allocations chômage est inclus dans ce dispositif.

Confier la gestion de ce risque aux centres de gestion aurait un coût financier non négligeable pour les collectivités. Sur les 74 000 anciens agents territoriaux indemnisés au titre du chômage par leurs anciens employeurs en 2019, seuls 1 155 étaient d'anciens agents titulaires. Le Gouvernement n'est donc pas favorable à votre proposition.

M. Jean-François Longeot.  - Je pense à un syndicat à vocation unique dont un agent a demandé à suivre une formation, motif légitime. Mais cette personne n'a ni suivi la formation, ni réintégré son service... Son indemnisation pèse sur le budget du syndicat, qui a dû embaucher un nouvel agent.

Travailleurs sans-papiers de La Poste dans le Val-de-Marne

M. Pascal Savoldelli .  - L'injustice subie par les travailleurs sans-papiers de La Poste dans le Val-de-Marne, en grève depuis deux ans, se poursuit. Après avoir travaillé avec abnégation pendant les confinements, avoir été applaudis, ils demandent légitimement leur régularisation.

Le 5 mai 2022, La Poste a reconnu la sous-traitance en cascade. Mais ce groupe n'assume pas ses responsabilités de donneur d'ordres. Au contraire, il rompt le contrat de sous-traitance de Chronopost avec Derichebourg : c'est se dédouaner de la situation des travailleurs concernés.

La Poste est détenue à 100 % par l'État et la Caisse des dépôts, et le code du travail dispose que « nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit une personne non munie du titre l'autorisant à exercer une activité salariée ». Cette situation est donc illégale, en plus d'être inhumaine. Les salariés méritent réparation.

Que comptez-vous faire avec le groupe La Poste pour régulariser ces travailleurs ? (M. Ian Brossat abonde en ce sens.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Depuis décembre 2021, le collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry-sur-Seine campe aux abords de la société Chronopost à Alfortville, afin d'obtenir la régularisation de personnes en situation irrégulière qui auraient été employées par cette entreprise ou ses sous-traitants.

Une délégation a été reçue par la direction générale des étrangers à deux reprises, en février et juillet 2022. Il a été demandé au collectif d'adresser les éléments utiles aux préfectures, qui étudieront les situations au cas par cas au regard des critères de l'admission exceptionnelle au séjour. Celle-ci peut être appréciée favorablement si l'étranger justifie d'anciennetés de séjour et de travail significatives, ainsi que d'un contrat de travail ou d'une promesse d'embauche. En l'état actuel des textes, l'admission au séjour de ces travailleurs requiert une action positive de l'employeur.

L'examen des situations est individuel et doit être opéré par la préfecture du domicile du demandeur. Les personnes concernées ont été invitées à former une demande de régularisation auprès de la préfecture de leur lieu de résidence. Trente-deux l'ont fait dans le Val-de-Marne, dont la majorité n'a aucun lien avec le groupe La Poste.

La lutte contre l'emploi de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière est une de nos priorités. À la demande de la préfecture du Val-de-Marne, l'inspection du travail mène les investigations nécessaires s'agissant du site d'Alfortville.

M. Pascal Savoldelli.  - C'est à mes amis travailleurs de Chronopost, dont certains sont présents en tribune, que vous devez une réponse. Vous n'avez pas dit un mot sur la responsabilité de La Poste ni sur Derichebourg ! Trente et un dossiers ont été reçus : onze réponses, et pas la moindre avancée... L'attente pour ces travailleurs est inhumaine.

Personne n'est de trop dans notre société.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Bien sûr.

M. Pascal Savoldelli.  - Seriez-vous d'accord pour organiser une table ronde au ministère du travail ?

Reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour cause de sécheresse

M. Daniel Laurent .  - La reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à la suite de mouvements de terrain différentiels liés à la sécheresse et à la réhydratation des sols est soumise à une procédure complexe. Or ce phénomène concernerait 10,4 millions de maisons individuelles, d'après le rapport de notre commission des finances sur le financement du risque de retrait-gonflement des argiles (RGA).

En Charente-Maritime, 221 communes sur 463 ont déposé une demande à la suite de la sécheresse de l'année dernière ; si 86 ont obtenu une réponse favorable, 74 n'ont pas satisfait aux critères fixés par la circulaire du 10 mai 2019 et 61 attendent encore une réponse.

Le document de notification des motivations adressé aux élus des communes non retenues est totalement abscons : il est question de proportion des sols où la présence d'argile sensible au RGA est avérée, d'indicateurs d'humidité des sols superficiels, de durées de retour... Les élus ne sont pas en mesure d'expliquer de manière compréhensible à leurs administrés les raisons des disparités de reconnaissance entre communes voisines, parfois contiguës. Nombre de communes envisagent de former des recours, malgré la complexité de la démarche.

La loi du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles n'a pas atteint ses objectifs de simplification et de transparence. Envisagez-vous une évaluation et une évolution des procédures ? Allez-vous expérimenter des techniques de prévention, comme le recommande le rapport du Sénat, et réviser les critères de la circulaire de 2019 ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - L'épisode de sécheresse et réhydratation des sols survenu l'année dernière a donné lieu à un nombre record de demandes : 8 832 communes ont sollicité la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, et 6 415 sont satisfaites, soit 73 %.

La motivation des décisions est désormais précisée dans les arrêtés interministériels, et des documents explicatifs sont transmis à chaque municipalité. La transparence est donc assurée. Le Gouvernement l'a renforcée, conformément à la volonté du législateur exprimée dans la loi que vous avez citée.

Le financement d'expérimentations techniques visant à améliorer la prévention des risques ne relève pas du ministère de l'intérieur. Plusieurs initiatives ont été engagées par les pouvoirs publics en ce sens. Ainsi, la Caisse centrale de réassurance et France Assureurs ont lancé le projet Initiative sécheresse pour améliorer la protection des maisons individuelles ; il fait l'objet d'une candidature dans le cadre de l'appel à projets « Prévention et remédiation des désordres bâtimentaires dus au phénomène RGA » de France 2030, qui vise à renforcer notre résilience.

Effectifs de police à Allauch et Plan-de-Cuques

Mme Valérie Boyer .  - Le Président de la République a annoncé la création de 238 brigades de gendarmerie supplémentaires en zone rurale. Malheureusement, Allauch et Plan-de-Cuques, dans les Bouches-du-Rhône, ne répondent pas aux critères pour intégrer une zone gendarmerie. Leurs maires réclament depuis trois longues années des effectifs supplémentaires de police nationale, en vain.

Ces communes ne sont pas assez rurales pour être en zone gendarmerie - alors qu'elles l'étaient avant 2003 - et pas assez urbaines pour bénéficier de renforts de police... Les renforts annuels des commissariats marseillais ne bénéficient pas à ces communes, dans lesquelles il n'y a plus que dix policiers nationaux pour 35 000 habitants !

Même si les polices municipales sont remarquables, cette situation n'est pas acceptable. La sécurité doit rester une compétence régalienne. Quand le Gouvernement créera-t-il pour ces deux communes une circonscription de sécurité publique distincte de la division sud de Marseille ? Les délais d'intervention depuis Marseille sont bien trop longs, alors que, en matière de sécurité, chaque seconde compte.

Vivre en sécurité est l'une des premières libertés. Toutes les communes de France doivent bénéficier de la même présence des forces de l'ordre !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - La sécurité est pour nous une question absolument prioritaire. Nous avons dégagé des moyens sans précédent -  15 milliards d'euros supplémentaires - dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur. Nous amplifierons encore cet effort.

Marseille est au coeur de nos préoccupations, notamment dans le cadre de la stratégie « Marseille en grand », impulsée par le Président de la République. La circonscription de sécurité publique de Marseille, qui inclut Allauch et Plan-de-Cuques, dispose de 1 392 gradés et gardiens de la paix, contre 1 312 à la fin de 2020. S'y ajoutent 797 policiers des unités départementales, contre 730 il y a trois ans.

Le commissariat de secteur, qui compte dix agents, remplit une mission essentielle mais réduite : prendre les plaintes et assurer le traitement judiciaire de proximité. Les missions de voie publique sont désormais assurées par les policiers de la circonscription.

Dans chaque département, une direction unique de police sera prochainement mise en place, pour un déploiement plus rapide d'un plus grand nombre de policiers sur le terrain.

Mme Valérie Boyer.  - Après le « en même temps », l'« entre-deux »... Ces communes sont oubliées. Il faut créer une circonscription de sécurité publique !

Cyberattaques contre les hôpitaux

M. Jean Hingray .  - Le 7 octobre dernier, les hôpitaux de Vittel et Neufchâteau ont été victimes d'une cyberattaque. L'hôpital paie le prix très élevé de sa numérisation accélérée : en 2021, 730 établissements ont été visés. Les hackers cherchent à collecter des données très lucratives mais aussi à déstabiliser notre système de santé.

À Vittel et Neufchâteau, des actes chirurgicaux ont dû être déprogrammés ; certains services ne sont pas encore rétablis et les équipes fonctionnent au tout papier. Comment bien soigner un patient dont les antécédents médicaux sont stockés dans des machines inaccessibles ?

En 2021, la stratégie de cybersécurité pour les établissements de santé et médico-sociaux a prévu une enveloppe de 350 millions d'euros ; cela reste insuffisant.

Les hackers se faufilent sans peine dans des systèmes d'information morcelés. La plateforme d'assistance des victimes, le commandant de la gendarmerie dans le cyberespace et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) pilotent la stratégie de défense et de sécurité des systèmes de sécurité et d'information. Comme dans le sport, ce n'est pas forcément à trois que l'on défend le mieux ses buts !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Ces cyberattaques sont souvent liées à des rançongiciels. L'Anssi et les gendarmeries proposent des actions de prévention, à l'instar du diagnostic opérationnel national cyber, dit Diagonal. Un questionnaire permet aux hôpitaux de mieux connaître leur niveau de protection et d'agir. Sécuriser les systèmes d'information coûte cher, mais toujours moins que les attaques réussies.

En matière de répression, les investigations sont très longues, car il faut coopérer à l'échelon international. Dans l'affaire Ragnar Locker, il a fallu 150 personnes, à l'international, pour finalement mettre en examen quatre personnes en 2023, trois ans après les faits. Les peines sont lourdes : les hackers risquent jusqu'à dix ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende.

Naturalisation des réfugiés hmongs de Guyane

M. Georges Patient .  - D'anciens réfugiés hmongs se voient refuser leur naturalisation au motif d'une maîtrise insuffisante de la langue française. Ils ont fui le Laos, pour avoir pris le parti de la France durant la guerre d'Indochine. La France les a installés en Guyane, de 1977 à 1988. Ils sont parfaitement intégrés et participent à l'activité économique. Le retour au Laos est inenvisageable, leurs descendants sont profondément ancrés dans la société et sont tous de nationalité française.

Ces personnes sont âgées. L'article 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) stipule que toute personne âgée de plus de 65 ans n'est pas soumise à la condition relative à la connaissance de la langue française. Le projet de loi immigration va encore durcir les conditions de maîtrise de la langue. Ces personnes resteront-elles toujours des réfugiées, elles qui ont combattu pour la France ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Cette population de 2 000 membres vit de manière communautaire, isolée dans la forêt amazonienne. Le niveau de compétences attendu en langue française pour être naturalisé est le niveau B1. C'est un obstacle pour ces personnes, notamment pour celles arrivées en France en 1977, qui maîtrisent mal le français, en raison de leur isolement au sein de la structure communautaire.

Toutefois, sont susceptibles d'être exemptées, sur le fondement de l'article 21-24-1 du code civil, les personnes âgées de plus de 70 ans et réfugiées depuis plus de quinze ans. D'autres entrent dans le champ de l'article 21-13-1 du code civil, qui prévoit l'acquisition de la nationalité française par simple déclaration et sans condition d'assimilation linguistique : il s'agit des ascendants directs d'un ressortissant français qui résident en France depuis plus de 25 ans et ont plus de 65 ans.

M. Georges Patient.  - Il faudrait donner des instructions aux autorités locales pour qu'elles appliquent ces dispositions.

Familles à la rue à Paris

M. Ian Brossat .  - Je vais vous parler d'enfants qui ont les mêmes aspirations que leurs camarades - l'école, les vacances -mais qui dorment dehors, dans des abris de fortune ; parfois à l'école, car certains directeurs d'école pallient les déficiences de l'État.

Il y a 3 000 enfants à la rue en France, 42 % de plus en un an. Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, ils sont soixante.

Ces enfants comptent beaucoup sur l'école pour s'intégrer et s'émanciper. Mais comment suivre une scolarité convenable dans ces conditions ? Le Conseil d'État a souvent rappelé qu'il revient à l'État de proposer un hébergement à ces familles.

Que compte faire le Gouvernement pour que ces enfants aient un toit et vivent dignement dans la septième économie mondiale ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Vos préoccupations sont partagées. Les efforts déployés pour la mise à l'abri sont sans précédent. Plus de 200 000 places d'hébergement d'urgence, dont 47 000 places à Paris, permettent de mettre à l'abri 70 000 enfants. En intermédiation locative, 25 000 mineurs sont logés. Environ 122 000 logements sociaux ont été attribués à des ménages sans domicile, ce qui concerne 240 000 personnes, dont 100 000 enfants, 40 % de plus que sur la période 2013-2017. L'État prend donc directement en charge 100 000 enfants.

Le territoire parisien dispose d'un système de veille sociale qui travaille en collaboration avec l'État et la Ville de Paris. Dans le XVIIIe, les demandes sont prises en compte par le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) parisien et par l'État. Mais le contexte est difficile, le parc est saturé.

M. Ian Brossat.  - Nous n'avons pas une obligation de moyens mais de résultats ! Des enfants à la rue, c'est indigne d'une puissance économique comme la nôtre.

Financement du déneigement

Mme Annick Jacquemet .  - Chaque hiver, les communes de montagne doivent assumer des opérations importantes de déneigement. C'est une obligation légale pour les maires. Le FCTVA vise à soutenir l'investissement public local mais, à titre exceptionnel, des dépenses d'entretien, par exemple de voirie, comme l'élagage et le débroussaillage, sont incluses dans son assiette.

Le déneigement, lui, est inclus dans les dépenses de fonctionnement. Or il participe tout autant aux bonnes conditions d'utilisation de la voirie, évitant par exemple une détérioration rapide de la voirie, et donc des investissements plus fréquents.

Dans le Doubs, de nombreux maires me sollicitent. Je salue l'ouverture du FCTVA aux dépenses d'agencement et d'aménagement des terrains, mais son ouverture aux dépenses de déneigement serait salutaire. Le Gouvernement l'envisage-t-il ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Le FCTVA représentera 7,1 milliards d'euros d'investissement en 2024. Les dépenses liées au déneigement sont des dépenses de fonctionnement. À titre d'exception, certaines dépenses d'entretien sont éligibles au fonds - entretien de bâtiments, de voirie ou de réseaux - pour assurer des conditions normales de circulation.

Il n'est pas prévu d'ouvrir le FCTVA à d'autres dépenses de fonctionnement. Le déneigement bénéficie d'une TVA à taux réduit, de 10 %. Un remboursement au taux de 16,4 % serait supérieur au taux acquitté. Enfin, les exceptions doivent rester limitées.

L'ouverture aux dépenses d'aménagement des terrains, prévue dans le projet de loi de finances pour 2024, représente 250 millions d'euros supplémentaires pour les collectivités : c'est une avancée majeure.

Implantation des antennes relais

Mme Alexandra Borchio Fontimp .  - J'associe Mme Patricia Demas à ma question.

Les élus locaux sont en première ligne pour répondre aux enjeux de la transition écologique, mais leur parole n'est souvent pas écoutée, par exemple sur les implantations d'antennes relais, notamment sur les terrains privés.

À Saint-André-de-la-Roche ou à Falicon, dans les Alpes-Maritimes, ces implantations forcées génèrent incompréhension et colère. Les conséquences environnementales et les enjeux de santé publique inquiètent, mais surtout la prolifération anarchique et incontrôlée des antennes.

Les manifestations d'élus et riverains se suivent, mais les solutions pérennes manquent. La mutualisation des opérateurs est insuffisamment privilégiée. Il est urgent d'agir, tout en luttant contre les zones blanches. Avez-vous conscience de cet enjeu, et quelles sont vos pistes pour associer réellement les élus locaux ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - La couverture numérique des territoires, via le New Deal mobile, est une priorité du Gouvernement, qui a confié l'identification des zones prioritaires aux territoires - préfectures et collectivités. L'implication des élus est donc déterminante ; la concertation a été prévue dès le premier instant.

Les situations que vous évoquez ne relèvent pas de ce plan. L'implantation des antennes relais classiques est régie par le code des postes et des communications électroniques, le code de l'urbanisme et le code général des collectivités territoriales.

Le maire est compétent pour conclure une convention d'occupation temporaire du domaine public avec les opérateurs en vue d'une implantation. Il peut demander aux opérateurs un dossier d'état des lieux des installations, et ainsi informer le public sur tout projet. Le guide des relations entre opérateurs et communes rappelle l'obligation d'information des communes par les opérateurs. Ainsi, les maires sont bien parties prenantes, mais je reste ouverte à vos propositions.

Exceptions aux plans d'exposition au bruit (PEB)

Mme Frédérique Puissat .  - Bien des communes mettent en place un PEB. Celle d'Heyrieux, en Isère, est concernée par le PEB de l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry. J'associe Damien Michallet à ma question.

Le PEB empêche l'extension de l'urbanisation lorsque celle-ci expose de nouvelles populations aux nuisances, mais il faut combiner qualité de vie des habitants et développement de la commune. Or en zone C, il est possible de construire en cas de faible accroissement du nombre d'habitants ainsi exposés. Que cela signifie-t-il précisément ? Le plan de construction de dix logements prévu par la commune correspond-il bien à cette notion de faible accroissement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Le code de l'urbanisme prévoit déjà des dérogations, dont la commune bénéficie. Ainsi, des opérations de réhabilitation et de réaménagement urbain sont déjà possibles dans les secteurs de requalification prévus par l'arrêté préfectoral du 26 mars 2013.

En particulier, le projet de requalification du centre-ville d'Heyrieux identifie déjà trois secteurs de réaménagement, et le maire a de nouveau sollicité, fin 2018, une augmentation du nombre de constructions. La direction départementale des territoires (DDT) a confirmé que ces dérogations ne devaient pas excéder vingt logements pour mille habitants de la zone C. Les services compétents de l'État examinent tout nouveau projet localement, après concertation.

Mme Frédérique Puissat.  - Il y a donc bien une possibilité. Madame la ministre, nous vous proposons avec Damien Michallet une réunion avec la DDT et le préfet pour expertiser la construction de ces dix nouveaux logements.

Grillages dans les espaces naturels

M. François Bonneau .  - La loi du 2 février 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée ne s'applique pas aux clôtures nécessaires à la régénération forestière, déterminantes pour le contrôle des populations animales et la protection des jeunes arbres et des espèces végétales fragiles.

Les services préfectoraux reconnaissaient déjà ces nécessités. Dans un contexte de réchauffement climatique, il faut reconnaître les clôtures nécessaires à cette gestion durable des espaces. Pourriez-vous confirmer ces exemptions, madame la ministre ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - La loi que vous mentionnez prévoit la libre circulation des animaux sauvages en tout temps. Cependant, bien des zones présentent un déséquilibre entre gibier et forêts, avec par exemple des surpopulations de cervidés et de sangliers, à l'origine de dégâts. Un engrillagement de protection des zones en régénération est donc parfois nécessaire.

Je confirme les exceptions prévues par le législateur à cet effet, notamment à l'article L. 372-1 du code de l'environnement.

Forestiers et chasseurs doivent, plus globalement, travailler localement pour réduire les dégâts sur les jeunes arbres. C'est donc aussi à cette échelle et avec des indicateurs coconstruits qu'il faut rééquilibrer la régénération et les populations d'animaux sauvages.

M. François Bonneau.  - La forêt est cruciale pour absorber le carbone. Il faut la protéger.

Transfert de gestion des digues domaniales

Mme Martine Berthet .  - La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) prévoit, au 28 janvier 2024, le transfert de gestion de 80 km de digues domaniales au syndicat mixte de l'Isère et de l'Arc en Combe de Savoie (Sisarc). Or l'administration centrale reste silencieuse, malgré des enjeux énormes liés aux travaux conséquents requis sur les digues et au risque de remise en cause des engagements financiers de l'État. Nous parlons d'un héritage, intenable pour le Sisarc, de 50 millions d'euros sur un total de 100 millions.

Renvoyer aux impôts locaux est inacceptable. L'esprit d'étroite collaboration d'hier a disparu. Pis, le syndicat découvre dans la presse un projet de décret automatisant le transfert sans signature d'une convention, qui ferait reposer la responsabilité sur l'autorité gémapienne.

Alors que l'ouvrage protège des milliers de nos concitoyens, la direction générale de la prévention des risques (DGPR) semble s'en laver les mains. Laisserez-vous votre administration crucifier ainsi le Sisarc, madame la ministre ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Depuis le 1er janvier 2018, les EPCI dits gémapiens sont responsables des systèmes d'endiguement, et ont reçu des moyens à cet effet. La loi de 2014 a bien prévu le transfert des digues domaniales de l'État, qui est sensible à la situation des ouvrages de l'Isère et de l'Arc.

Pendant cette période transitoire de dix ans, le Sisarc a déjà mené des travaux de consolidation des digues, financés à 100 % par l'État. Certes, ils n'ont pas suffi. C'est pourquoi, face aux inquiétudes des collectivités, l'État s'est engagé à apporter un soutien financier bonifié par le fonds Barnier, à hauteur du maximum de 80 % permis par la réglementation, jusqu'en 2028. Christophe Béchu a mandaté le préfet pour prévoir des compléments pour réduire le reste à charge, dont le fonds vert, porté de 500 millions à 2,5 milliards d'euros.

Mme Martine Berthet.  - Il serait bon d'en informer les élus : c'est le silence total pour l'instant, alors qu'il reste 80 km de digues à entretenir.

Forêt primaire dans les Ardennes

Mme Else Joseph .  - La perspective de réalisation d'une forêt primaire de 70 000 hectares dans le nord-est de l'Europe par l'association Francis Hallé nous inquiète. Ce projet flou exclurait l'activité humaine pour 7 000 ans : adieu les promenades libres, la découverte des forêts, la chasse, l'affouage... Installera-t-on des gradins pour observer la nature ? C'est l'homme qu'on met sous cloche, alors qu'il fait tout pour améliorer son rapport avec la nature - je témoigne des efforts du parc naturel régional des Ardennes.

Entendre que le potentiel économique et touristique n'est pas pertinent dans les Ardennes est scandaleux. Quid de l'industrie forestière - 350 000 mètres cubes exploités - ou des investissements du conseil départemental - la voie verte de la vallée de la Meuse est classée Eurovéloroute ? Est-ce là le projet d'industrie verte dont le département doit être pilote ?

Madame la ministre, il y a quelques mois, le ministère avait donné un accord de principe à ce projet déconnecté et idéologique. Nous attendons une réponse claire à ce projet punitif pour les Ardennes.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Les espaces en libre évolution sont des refuges pour la biodiversité et des points de référence pour faire progresser la connaissance scientifique des forêts. Elles peuvent s'insérer dans des massifs exploités et gérés, notamment contre le risque incendie.

L'État est attentif aux projets de restauration des forêts primaires, mais aussi au dialogue entre l'association et les parties prenantes, dont les acteurs d'une filière bois structurante, car filière d'avenir pour toute la région du Grand Est. Le bois est essentiel pour décarboner la construction.

Dans un contexte de changement climatique et de prévention du risque incendie, le Gouvernement entend étendre la gestion durable des forêts.

Mme Else Joseph.  - J'attendais un message clair de votre part... si la forêt n'est plus entretenue, que fera-t-on contre les incendies ? Nous serons contre cette forêt primaire.

Gravières en Basse Ariège

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Depuis des années, les entreprises du BTP multiplient les projets d'extraction de granulat en Basse Ariège, où se situe une nappe phréatique prioritaire. Les carrières provoquent des prélèvements directs sur la nappe, exposée sur 250 hectares. Or une extension des carrières de 1 100 hectares est prévue pour des projets contestables comme l'A69. L'exposer revient à assécher la nappe. Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), 100 hectares exposés représente un million de mètres cubes de déficit par an, soit huit millions perdus avec ces extensions.

Il est donc urgent de revenir sur l'extension des gravières, d'autant que l'enfouissement prévu des déchets du BTP, chargés d'aluminium, risque de polluer définitivement la nappe alors que les sécheresses se multiplient. Peut-on suspendre et réévaluer ces projets ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - La gestion des ressources minérales au plus près de la zone de consommation est stratégique. Or le bassin toulousain est déficitaire en matériaux. Exploiter les alluvions nécessite souvent une phase de mise à nu, suivie d'un remblaiement.

La Dreal prévoit donc des prescriptions spécifiques. Le schéma régional des carrières Occitanie a fait l'objet d'études environnementales, dans le respect des schémas locaux d'aménagement.

En outre, la réglementation encadre strictement le remblayage des carrières. Les déchets externes à la carrière doivent être inertes et respecter certaines valeurs limites après un test de lixiviation. Enfin, les eaux souterraines sont analysées en lien avec les associations de protection de l'environnement.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Il faut réévaluer les projets à l'aune de l'accélération du réchauffement climatique.

Décrets d'application de la loi ZAN

M. Rémi Cardon .  - Le retard pris pour la publication des décrets d'application de la proposition de loi sur le « zéro artificialisation nette » (ZAN) adoptée le 20 juillet 2023 suscite des difficultés. En effet, plusieurs documents de planification d'aménagement du territoire sont d'ores et déjà en cours d'élaboration. Certains font l'objet d'un recours devant le tribunal administratif. La publication des décrets résoudrait ces litiges. Alors que l'on peine à maintenir les services publics et les commerces de proximité dans les territoires ruraux, le temps est à l'apaisement.

Quand les décrets seront-ils publiés ? Il faut coconstruire la planification écologique avec les élus locaux.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Conformément aux engagements du Gouvernement, la loi du 20 juillet 2023 a ajusté les dispositions de la loi Climat et résilience.

Plusieurs décrets d'application ont fait l'objet d'une concertation avec les parlementaires et l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité.

Un premier décret traite de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols dans les documents de planification et d'urbanisme.

Un second porte sur l'évaluation et le suivi de l'artificialisation des sols dans les documents de planification et d'urbanisme à compter de 2031. Il précise la nomenclature définissant les surfaces artificialisées ou non, ainsi que les seuils de référence retenus.

Tous deux ont été soumis à l'évaluation du Conseil national d'évaluation des normes et du Conseil d'État ; ils seront signés courant novembre par Christophe Béchu. Un document recensant les projets d'envergure nationale ou européenne fera l'objet d'un arrêté ministériel avant fin mars 2024. Une première liste sera soumise à la consultation des régions avant la fin de l'année 2023.

M. Rémi Cardon.  - J'espère que ce calendrier sera tenu.

Transfert des compétences eau et assainissement

Mme Marie-Pierre Monier .  - Depuis l'adoption de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), les modalités du transfert des compétences eau et assainissement des communes vers les intercommunalités, prévu au 1er janvier 2026, restent problématiques. Les élus contestent non pas la mutualisation, mais l'obligation de transfert. (M. Jean-Michel Arnaud acquiesce.)

Beaucoup de communes se sont déjà organisées en syndicats pour partager la ressource en eau ou mutualiser les réseaux.

Lors de la présentation du plan Eau, le 30 mars 2023, le Président de la République a plaidé pour un « modèle pluriel et différencié », laissant les élus dans le flou. Comment cette déclaration se traduira-t-elle concrètement ? Le transfert doit avoir lieu dans moins de 30 mois. Des possibilités de différenciation seront-elles prévues ? Le retour à un transfert optionnel est-il envisagé ? (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - L'échelon communautaire a été retenu pour remédier aux difficultés engendrées par l'émiettement des services. La mutualisation facilite la modernisation des réseaux.

À plusieurs reprises, le législateur et le Gouvernement ont apporté des souplesses, comme dans la loi Engagement et proximité avec l'activation d'une minorité de blocage, entre autres.

Parfois, une gestion de l'approvisionnement en eau dépassant les frontières de l'intercommunalité peut se révéler pertinente.

Sans revenir sur la répartition des compétences, le Gouvernement est favorable à l'introduction de nouvelles souplesses : premièrement, en étendant le maintien par délégation des syndicats infracommunautaires à tous ceux qui existaient au 1er janvier 2026 ; deuxièmement, en facilitant l'intervention des départements, qui pourraient adhérer à des syndicats mixtes ouverts ou recevoir la délégation de la maîtrise d'ouvrage par un EPCI à fiscalité propre ou un syndicat mixte.

Mme Marie-Pierre Monier.  - Le Sénat a pris sa part dans les assouplissements proposés. Il faut faire confiance aux élus sur le terrain.

Absence de protection fonctionnelle pour les conseillers municipaux sans délégation

M. Jean-Michel Arnaud .  - Les agressions contre les élus municipaux ont augmenté de 15 % en un an, selon l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF).

Le code général des collectivités territoriales prévoit une protection fonctionnelle pour les maires et les élus ayant reçu une délégation. Mais les conseillers municipaux sans délégation ne sont pas éligibles à ce dispositif. Lors de l'examen de la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, les amendements visant à l'étendre à tous les élus ont été déclarés irrecevables : c'est alors le juge qui doit se prononcer sur l'application du mécanisme.

Or le Conseil d'État, dans un arrêt de 2011, a consacré, en tant que principe général du droit, l'octroi de la protection fonctionnelle à tout agent public. Dès lors, le Gouvernement l'accordera-t-il à tous les conseillers municipaux ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Les élus municipaux bénéficient d'un régime de protection qui s'apparente à la protection fonctionnelle applicable aux agents publics.

Celui-ci s'applique lorsque l'élu fait l'objet de poursuites judiciaires civiles ou pénales pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions. Pour les élus des conseils municipaux, la protection fonctionnelle relève de l'État lorsque l'élu agit en qualité d'agent de l'État. Cette protection peut également être accordée aux conjoints, enfants et ascendants directs des élus décédés dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions.

Comme je m'y suis engagée lors de l'examen de la proposition de loi, l'extension de la protection fonctionnelle sera abordée lors de la navette parlementaire.

En l'état actuel du droit, celle-ci doit faire l'objet d'une délibération expresse de l'organe délibérant. Toutefois, le Gouvernement soutient la proposition de loi sur la sécurité des élus locaux et la protection des maires, qui prévoit, entre autres, de rendre son activation automatique.

M. Jean-Michel Arnaud.  - Merci pour votre réponse, mais cette extension ne vise que les élus ayant reçu une délégation, non les conseillers municipaux de base. Le Gouvernement doit régler ce problème.

Financement des services express régionaux métropolitains

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Le Gouvernement a fait du train l'un des leviers de sa politique de transition énergétique. Il y a un an, le Président de la République annonçait la relance des projets de services express régionaux métropolitains (Serm). Je me réjouis que l'étoile ferroviaire de Lille en fasse partie.

Néanmoins, le compte n'y est pas, loin de là : alors que le projet lillois coûterait entre 7 et 9 milliards d'euros, le montant des subventions annoncé par le Gouvernement - 700 millions d'euros - laisse songeur : au mieux, seules les études seront financées.

Dans ces conditions, la région ne pourra pas boucler à elle seule le montage financier. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour soutenir ce projet indispensable à ce territoire ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Le Gouvernement offre la possibilité aux aires urbaines qui le souhaitent de se doter de Serm.

L'objectif est ambitieux : doubler la part modale du transport ferroviaire dans les déplacements du quotidien autour des grands pôles urbains, à la fois pour améliorer la desserte des zones périurbaines et participer à la décarbonation des mobilités.

L'élaboration des projets locaux suppose une démarche collective, réunissant tous les acteurs concernés. Tel est l'objet de la proposition de loi de Jean-Marc Zulesi, votée par le Sénat le 23 octobre dernier.

L'État est au rendez-vous en matière de financement. Le plan de relance a consacré 30 millions d'euros pour engager les premières études. L'État allouera 800 millions d'euros à un volet spécifique des contrats de plan État-région (CPER) - les régions pourront abonder le budget à parité. Si elles le souhaitent, ces dernières pourront créer des financements innovants, tels que des recettes affectées aux projets.

M. Jean-Pierre Corbisez.  - Mme la Première ministre a annoncé un plan doté de 100 milliards d'euros. Or vous parlez de 30 millions !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Ce montant porte uniquement sur les études !

Demande de logement social

Mme Sylviane Noël .  - Un décret du 29 mars 2023 a modifié le seuil de tension sur la demande de logement social mesuré à l'échelle des territoires concernés par la loi SRU.

Ainsi, un objectif de 25 % de logements sociaux - contre 20 % auparavant - s'impose désormais à Marignier, en Haute-Savoie ; sa pénalité passe de 40 000 à 85 000 euros.

Cette punition est insupportable à plusieurs titres. Financièrement, d'abord, car la pénalité intervient rétroactivement après le vote du budget. Juridiquement, ensuite, car elle tombe comme un couperet, sans aucun préavis. Humainement, enfin, car elle sanctionne des élus qui ne voient pas leurs efforts récompensés.

Dans ce domaine comme dans d'autres, l'État ne ferait-il pas mieux de manier la carotte plutôt que le bâton ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Le décret du 28 avril 2023, qui a fait l'objet d'une concertation avec les acteurs, a fixé le seuil de tension à quatre demandes pour une attribution.

Le Gouvernement a choisi la stabilité en reconduisant le seuil préexistant. Un taux de 20 % de logements sociaux - contre 25 % dans le droit commun - est appliqué aux communes où le taux de tension est inférieur à ce seuil.

Dès lors, la hausse du taux cible attendu de la commune de Marignier s'explique non par un changement réglementaire, mais uniquement par la hausse de la tension observée dans l'unité urbaine de Cluses. En trois ans, le taux est passé de 3,9 à 4,5 demandes pour une attribution. Ce niveau de tension résulte d'une méthode de calcul prenant en compte la situation particulière liée à l'épidémie de covid-19.

Le relèvement de l'objectif est lié à l'intensification des enjeux de production de logements sociaux sur ce territoire. La commune conserve la possibilité de déduire de son prélèvement annuel ses dépenses engagées en faveur du développement d'une offre sociale.

Mme Sylviane Noël.  - Votre réponse me laisse sur ma faim. Je vous ai interrogée sur des faits précis et vous me répondez en termes techniques.

Chauffage au bois

M. Christian Klinger .  - Le projet gouvernemental de planification écologique ambitionne de faire de la France l'une des premières nations à sortir des énergies fossiles. Le chauffage domestique au bois, auquel 7,2 millions de ménages français ont recours, s'inscrit dans cette ambition. Or vous envisagez de réduire drastiquement les aides à partir de 2024. Une partie des ménages modestes et ruraux risque d'être privée d'un accès à une source de chauffage compétitive et efficace pour décarboner. La filière, composée de nombreuses PME et ETI implantées dans nos territoires, sera pénalisée. Avez-vous bien mesuré toutes les conséquences de votre réforme ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Le Gouvernement prépare une refonte de MaPrimeRénov' pour le 1er janvier 2024, afin de multiplier les rénovations performantes et d'accélérer la dynamique de décarbonation du chauffage. Des priorités d'utilisation de la biomasse - dont la ressource est limitée - ont été fixées. Les paramètres des aides par geste pourraient être ajustés pour soutenir l'installation d'équipements bois lorsqu'il s'agit de la solution de référence. Tout recentrage sera progressif afin de donner de la visibilité à la filière. L'installation d'un chauffage au bois dans le cadre d'une rénovation d'ampleur continuera à bénéficier de MaPrimeRénov'. Ces nouvelles modalités seront connues dans les prochains mois.

M. Christian Klinger.  - Le bois de chauffage est issu d'une ressource locale, durable et responsable. Ne mettez pas tous vos oeufs dans le même panier et soutenez la filière bois.

Sécurité des élus locaux

Mme Marie Mercier .  - Le 10 octobre 2023, le Sénat a adopté la proposition de loi du président Buffet renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires.

L'agression d'un maire est une attaque contre la République.

En Saône-et-Loire, le maire de Mancey a démissionné et des menaces graves ont été prononcées contre les maires de Cheilly-lès-Maranges, Montcenis, Senozan et bien d'autres encore.

Il y a quelques jours, un maire a dû renoncer à présenter son projet d'agrandissement de la zone de loisirs devant trente administrés, tant ceux-ci étaient agressifs. L'équipe municipale est bouleversée : pourquoi tant de violence pour une aire de jeux ? Il n'y a plus de respect de la fonction.

Quand cette proposition de loi sera-t-elle inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, promulguée et appliquée ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Nous avons engagé un travail collectif sur la sécurité des élus. Le Gouvernement s'est engagé à soutenir cette proposition de loi qui comporte des avancées majeures comme l'amélioration de la prise en charge financière de la protection des élus et l'alourdissement des sanctions pénales. J'ai également présenté en mai dernier un « pack sécurité » et mis en place un centre d'analyse et de lutte contre les atteintes aux élus : à chaque menace, sa prévention.

En juillet 2023, un plan national a été présenté, construit autour de quatre axes : la protection juridique et fonctionnelle, la sécurité physique et l'accompagnement psychologique, la réponse judiciaire et les relations maires-parquets. Les évolutions législatives nécessaires sont dans le texte du Sénat. Je fais tout pour qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale avant la fin de l'année.

Mme Marie Mercier.  - Une proposition de loi a aussi des limites : les amendes restent impayées, les plaintes sont classées sans suite... Il faut traiter les causes et appliquer les lois existantes. Des administrés de tous âges et de tous milieux ne respectent plus les règles. Les élus sont inquiets de ce recul de l'ordre et de l'autorité.

Directive sur les émissions industrielles

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Bernard Buis souhaitait interroger le Gouvernement sur le projet de révision de la directive relative aux émissions industrielles.

Le 5 avril 2022, la Commission européenne a présenté un projet de révision qui intègre les élevages de volailles, porcins et bovins à partir d'un certain seuil. La position française vise à tenir compte des contraintes financières pour la profession agricole.

Le 10 juillet 2023, le Parlement européen a voté contre le projet de la Commission. C'est un message de soutien aux filières agricoles et nullement une mauvaise nouvelle pour la transition écologique : élevage et écologie ne doivent pas être opposés sans nuance.

Les négociations dans le cadre du trilogue européen se poursuivent-elles ? Quelles en seront les prochaines étapes ? Comment le Gouvernement compte-t-il protéger nos éleveurs ? Ceux-ci peuvent-ils être sereins ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - L'inclusion des activités d'élevage dans le champ de la directive n'a de sens qu'en rappelant que l'élevage a de l'avenir en France et qu'il détient une partie de la solution face au changement climatique. Le ministre de l'agriculture a annoncé un plan de soutien. La France défend l'élevage au niveau européen et restreint au maximum son inclusion dans le champ de la directive. Cela a porté ses fruits, avec des avancées dans l'orientation générale du Conseil du 16 mars : rehaussement des seuils, exclusion des élevages extensifs, etc. La France a soutenu ce compromis, en insistant sur la prise en compte des élevages durables.

Le mandat du Parlement du 11 juillet propose un statu quo. Le sujet devrait être abordé le 28 novembre dans le cadre des trilogues. Vous pouvez rassurer le sénateur Buis : les négociations sont bien en cours. La France estime que le vote du Parlement doit inciter le Conseil à desserrer la contrainte sur les élevages.

Règlement européen sur les produits phytosanitaires et vignobles français

Mme Pascale Gruny .  - Depuis plusieurs mois, la proposition de règlement européen relatif à l'utilisation durable des pesticides inquiète nos viticulteurs. Ce règlement, en cours de négociation, vise à imposer des mesures contraignantes aux États pour réduire de 50 % l'utilisation des produits phytosanitaires d'ici 2030. Il prévoit notamment une interdiction absolue de traitement dans et à proximité de « zones sensibles ». Cela pourrait conduire à l'abandon pur et simple de certaines parcelles du vignoble champenois qui compte plus de 1 500 hectares en zone Natura 2 000 et plus de 1 000 hectares en zone de non-traitement.

Les vignes de l'AOC Champagne sont très sensibles aux maladies : on ne peut pas se passer des traitements. Il est indispensable de laisser aux vignerons le temps de trouver des alternatives.

Quelle position défendrez-vous à Bruxelles pour préserver les intérêts de nos viticulteurs et protéger notre souveraineté alimentaire ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Ce texte, en cours de négociation, est encore susceptible d'évoluer.

La France soutient l'idée d'un règlement sur l'utilisation durable des produits phytopharmaceutiques. Cette initiative porte la transition à la bonne échelle, avec une protection commune des consommateurs européens, sans distorsion entre producteurs européens. Néanmoins, des évolutions sont nécessaires. L'étude d'impact complémentaire ne documente pas suffisamment les baisses de production.

Richesse, emplois, paysages, biodiversité : la viticulture est essentielle dans de nombreux territoires. Ce projet de règlement doit s'accompagner du développement d'alternatives fiables. Nous y travaillons.

Mme Pascale Gruny.  - Les intérêts français passent trop souvent à la trappe, quand nos concurrents européens sont autrement plus efficaces. Nous attendons de la fermeté !

Les produits phytosanitaires sont aussi des médicaments pour les plantes. Tant que la recherche n'aura pas avancé, ne pénalisons pas nos viticulteurs. Dans le Bordelais, on arrache les vignes...

Dégâts du mildiou

M. Alain Duffourg .  - Après les calamités de 2021 et 2022, les vignobles gersois ont subi cette année une attaque de mildiou sans précédent. Le ministre de l'agriculture a pu le constater sur place le 2 octobre dernier. Les pertes sont estimées à 50 % voire 80 % de la production.

En cas de calamité agricole, les pertes sont assumées pour une part par les agriculteurs, pour une autre par les assureurs, et les deux tiers restants par la solidarité nationale. Mais les assurances ne veulent pas payer. C'est pourquoi les organisations agricoles demandent la création d'un fonds d'urgence pour éponger quelque 23 millions d'euros de pertes. Une ligne budgétaire est-elle prévue ? Quand les agriculteurs seront-ils indemnisés ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Le Gouvernement soutient les viticulteurs. Le ministre de l'agriculture s'est immédiatement rendu sur le terrain, en Gironde, en Haute-Garonne, dans le Gers, l'Aude et les Pyrénées-Orientales. Les conséquences agronomiques ne seront connues avec précision qu'en 2024, après récolte et commercialisation. L'assurance récolte n'indemnise que des pertes directement liées à l'aléa climatique et non les conséquences sanitaires de l'aléa.

La situation de certains viticulteurs risque d'être très difficile dès 2024. Nous les soutiendrons avec des dispositifs de droit commun - dégrèvement de taxe foncière sur le non-bâti, report de cotisations fiscales et sociales, prise en charge de cotisations sociales - ou d'autres mesures spécifiques en cas de difficultés de trésorerie.

Financement des Maec

M. Daniel Salmon .  - Malgré l'ambition environnementale affichée par le Gouvernement via la planification écologique, les moyens ne sont pas au rendez-vous. Le financement des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), pourtant essentielles à la transition écologique, est dans l'impasse. En Bretagne, il manque 53 millions d'euros pour répondre aux demandes des agriculteurs engagés dans le dispositif. Au niveau national, il manque plusieurs centaines de millions d'euros ! Les agriculteurs qui se sont engagés volontairement vont se retrouver au bord de la route.

Il y a un risque de rupture de confiance, alors que la transition agricole urge. Hier, Marc Fesneau a annoncé travailler avec les agences de l'eau pour qu'elles prennent à leur compte une part du financement des Maec. Cela risque d'être insuffisant. Madame la ministre, pouvez-vous assurer aux agriculteurs engagés dans le dispositif Maec qu'ils seront accompagnés et obtiendront bien les aides prévues ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - L'enveloppe française des Maec s'élevait à 255 millions d'euros par an pour la programmation 2015-2020 de la PAC. En 2021, le Gouvernement a prévu une enveloppe annuelle de 260 millions d'euros pour 2023-2027, en légère augmentation. Sur ce montant, 40 millions d'euros ont été confiés aux régions pour les Maec non surfaciques, dont 12,5 millions pour la région Bretagne. L'enveloppe restante dédiée aux Maec surfaciques gérées par l'État a été prérépartie entre les territoires.

Le Gouvernement engagera dès 2023 la majorité des crédits de la programmation 2023-2027, dont 87 millions d'euros dévolus à la région Bretagne. La somme des crédits dédiés aux Maec est donc semblable à celle qui a été engagée pour la période 2015-2020, et nous faisons le point sur les participations des autres financeurs, notamment les agences de l'eau.

M. Daniel Salmon.  - Vous me parlez de l'argent qui a été versé, je vous parle de celui qui manque ! La signature de l'État est engagée. Des agriculteurs se sont engagés volontairement dans le dispositif, ce n'est pas pour qu'on les abandonne. Sans compter que les aides à l'hectare pour l'agriculture biologique sont passées de 110  à 92 euros par an.

Avance des aides de la PAC

M. Pierre Cuypers .  - Le 18 octobre dernier, j'ai attiré l'attention du ministre de l'agriculture sur la suspension du paiement de l'avance des aides de la PAC pour les agriculteurs de plus de 67 ans, due, d'après la direction départementale des territoires (DDT), aux difficultés de déploiement de certains outils d'instruction.

Plusieurs milliers de dossiers, dont 200 en Seine-et-Marne, sont en attente tant que l'Agence de services et de paiement (ASP) n'a pas réussi à croiser les données des caisses de retraite. Sous prétexte de problèmes informatiques, l'État pratique donc la rétention de millions d'euros d'aides de la PAC, au mépris des exploitations concernées, qui font face à des échéances financières et bancaires importantes. Quelle solution le ministère de l'agriculture propose-t-il pour régler cette situation inadmissible dans les plus brefs délais ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Depuis l'entrée en vigueur de la réforme de la PAC en 1993, la France paie des avances massives sur les paiements directs à la surface des aides couplées animales et de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), dès le premier jour autorisé par la réglementation, soit le 16 octobre. Elle est le seul État à procéder ainsi. Cette année, alors qu'entre en vigueur une réforme profonde de la PAC, Marc Fesneau a tenu son engagement d'un maintien du calendrier habituel de paiement des avances. Ainsi, 84,4 % des agriculteurs français ont reçu un paiement entre le 16 et le 18 octobre, et 89 % dans votre département.

Un agriculteur de plus de 60 ans n'est éligible aux aides de la PAC que s'il ne bénéficie pas d'une pension de retraite, d'où un contrôle spécifique qui suppose de croiser les données avec celles des caisses de retraite. L'une de ces dernières a rencontré des difficultés pour fournir les données dans les temps, mais ce problème est désormais résolu, et le paiement interviendra dans les tout prochains jours.

M. Pierre Cuypers.  - Qu'entendez-vous par « tout prochains jours » : huit jours, quinze jours ? Les aides de la PAC font partie du fonctionnement économique des exploitations. Les agriculteurs planifient des remboursements, pour leurs fournisseurs notamment, à partir du 16 octobre, comptant sur le versement des avances dans les temps, et ce quel que soit leur âge. Or ils ne peuvent tenir leurs engagements.

Fixation du prix de l'énergie sur le marché européen

M. Pierre-Jean Verzelen .  - En France, certaines entreprises sont asphyxiées par la hausse des prix de l'énergie. Nous avons pourtant un avantage compétitif historique : le nucléaire, l'énergie la plus propre et la moins chère. La France a en outre retrouvé son autosuffisance énergétique. Or les entreprises n'en voient pas la couleur, en raison du maintien, au niveau européen, de l'indexation du prix de l'électricité sur celui du gaz. Les annonces faites à ce sujet, à la suite notamment du récent séminaire gouvernemental franco-allemand, manquaient de clarté. Où en est-on réellement du changement du mécanisme de fixation du prix de l'énergie sur le marché européen ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Grâce à Agnès Pannier-Runacher, le conseil des ministres de l'énergie du 17 octobre dernier a adopté un accord européen. C'est une victoire pour l'Europe ; une victoire pour répondre à l'inflation et à la concurrence chinoise ; une victoire pour la France, qui assoit ainsi le principe du traitement identique entre le nucléaire et les énergies renouvelables ; une victoire pour le climat, car cet accord facilite les investissements dans la production d'énergies décarbonées. Cela permettra de stabiliser les prix de long terme et de protéger les consommateurs français.

Cet accord vient déconnecter les prix du gaz et ceux de l'électricité pour empêcher les prix de s'envoler en cas de crise sur le marché des énergies fossiles. Nous donnons ainsi de la visibilité aux industriels et aux consommateurs et sécurisons nos approvisionnements énergétiques grâce à la solidarité européenne. Comme l'a dit le Président de la République, nous reprenons le contrôle sur les prix de l'électricité.

Une sortie du marché européen, prônée par certains, aurait conduit à augmenter les factures des Français et mis en difficulté nos industries et notre sécurité d'approvisionnement. Une réforme était cependant nécessaire. C'est tout le travail qu'Agnès Pannier-Runacher a mené avec l'Alliance du nucléaire et la Commission européenne, pour la protection de nos intérêts. La finalisation du compromis avec le Parlement européen est attendue pour la fin 2023.

M. Pierre-Jean Verzelen.  - Une sortie du marché européen n'aurait peut-être pas été si catastrophique : l'Espagne et le Portugal ne s'en portent pas plus mal. Je vous encourage à annoncer les avancées que vous venez d'indiquer aux organismes professionnels, entreprises et commerçants, qui ne semblent pas en ressentir les effets.

Bénéfice du fonds chaleur territorial pour les écoles privées

M. Stéphane Sautarel .  - La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a institué le fonds chaleur territorial, pour augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale.

Une école primaire privée du Cantal a souhaité en bénéficier afin de remplacer une chaudière au fioul par une chaudière à granulés. Or l'article L. 151-3 du code de l'éducation, selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, dispose que toute aide, financière ou matérielle, des collectivités publiques à ces établissements est prohibée. De plus, la loi du 15 mars 1850, dite loi Falloux, encadre l'intervention des collectivités.

Au regard de ces dispositions, confirmez-vous que les établissements scolaires privés ne peuvent bénéficier du fonds chaleur territorial ? Envisagez-vous de faire évoluer le cadre juridique afin que ces établissements puissent contribuer à l'atteinte de nos objectifs énergétiques ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Nous devons redoubler d'efforts en matière de sobriété énergétique afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Quelque 40 000 établissements publics du premier degré devront être rénovés d'ici dix ans. Un grand plan de rénovation énergétique des écoles élémentaires a été annoncé par le Président de la République le 23 avril 2023, impliquant la mobilisation de nouveaux outils et le renforcement des outils existants, dont le fonds chaleur territorial, pour soutenir les collectivités dans la rénovation de leur bâti.

Dans une décision du 14 avril 1999, le Conseil d'État a considéré qu'une aide à l'investissement ne pouvait être accordée par une commune à une école primaire privée. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) s'aligne sur cette jurisprudence. Toutefois, au vu de l'importance de l'enjeu, nos services sont mobilisés pour étudier une possible actualisation de cette interprétation.

M. Stéphane Sautarel.  - Rien ne justifie que les établissements privés ne soient pas traités comme les autres sur ce point. J'espère que les textes seront rapidement adaptés.

Difficultés de recrutement dans le secteur du soin à domicile

M. Fabien Genet .  - Une récente enquête auprès des directeurs de structures de soins et d'aide à domicile a révélé les importantes difficultés de recrutement rencontrées dans ce secteur. Près d'une demande de prise en charge sur dix ne pourrait être honorée, une prise en charge sur quatre ne pourrait l'être que partiellement.

Or le maillage territorial des professionnels du soin et de l'aide à domicile, qui se substitue au placement en Ehpad, joue un rôle clé en milieu rural. Les difficultés de recrutement se font sentir partout : en moyenne, un poste sur deux n'a pu être pourvu en 2022. Le manque de reconnaissance salariale explique certainement cette pénurie de vocations. Il faut agir pour renforcer l'attractivité du secteur par l'amélioration des conditions de travail, une meilleure prise en charge des indemnités kilométriques et une meilleure tarification des services. Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - La ministre Aurore Bergé affirme son soutien à la valorisation des métiers de l'aide aux personnes âgées. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 double les fonds alloués, avec l'ambition de créer 50 000 postes supplémentaires dans les Ehpad.

Concernant l'aide à domicile, le Gouvernement a budgété 1 milliard d'euros d'ici la fin du quinquennat. La proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir a fixé une feuille de route, qui apportera des solutions concrètes : mise en place d'une carte professionnelle ; généralisation des flottes de véhicules de service ; refonte du financement à l'heure pour répondre aux problèmes de temps partiels subis, d'horaires fractionnés et de plages non rémunérées ; développement de l'accès à la formation professionnelle.

M. Fabien Genet.  - Une vraie mobilisation s'impose pour faire connaître et reconnaître ces métiers et les rendre plus attractifs. Il y va de la prise en compte du vieillissement de la population, de la soutenabilité financière du système, de la dignité due aux seniors et de la solidarité intergénérationnelle.

Formation des médecins maîtres de stage

M. Jean-Luc Fichet .  - À mon tour de féliciter Mme la ministre pour sa polyvalence, même si je regrette l'absence du ministre de la santé...

Les 12 000 généralistes maîtres de stage sont précieux pour accompagner les jeunes médecins, en particulier dans les territoires qui manquent cruellement de professionnels de santé. Avec la quatrième année d'internat en médecine générale, leur nombre doit mécaniquement augmenter. Or l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) réduit les possibilités de formation, ce qui limite le nombre de médecins pouvant être formés à la maîtrise de stage.

Un rapport conjoint de l'Igas et de l'Iger préconise de promouvoir la maîtrise de stage universitaire en maintenant, autant que de besoin, la formation « hors quota » lorsqu'elle est indemnisée par l'ANDPC.

Les maîtres de stage s'inquiètent du nombre de formations et du volume horaire dédié.

Comment comptez-vous à la fois renforcer l'accès des médecins généralistes aux formations de maîtrise de stages, et les rassurer quant à votre stratégie d'augmentation du nombre de médecins dans les territoires sous-dotés ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - La lutte contre la désertification médicale est une priorité du Gouvernement, en lien avec les territoires et les professionnels de santé. Nous favorisons les stages en ambulatoire et accompagnons la mise en oeuvre de la quatrième année d'internat en médecine générale, avec 13 000 praticiens formés depuis 2017 à la maîtrise de stage universitaire.

Nous voulons aller plus loin : dans l'offre de formation, en mettant en place un nouveau cadre pédagogique de la maîtrise de stage universitaire d'ici fin 2023, qui définira des objectifs spécifiques à l'accompagnement des étudiants de deuxième et troisième cycles ; dans l'accompagnement financier, avec une enveloppe dédiée de 41,9 millions d'euros sur la période 2022-2027.

Nous favorisons l'exercice coordonné, avec un objectif de 4 000 maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) en 2027 ; nous faisons sauter un verrou en permettant à la MSP d'être juridiquement maître de stage.

Nous avançons sur le maillage par les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en visant une couverture totale fin 2024. Des territoires qui se coordonnent mieux, c'est autant d'opportunités de stage en plus !

M. Jean-Luc Fichet.  - Votre réponse ne me satisfait pas. La loi a créé les médecins juniors, et prévu qu'ils soient accompagnés par des maîtres de stage. Il faut donc en former, et en nombre !

Dispositif Rézone

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Je salue la présence en tribune du conseil municipal d'Escolives-Sainte-Camille, emmené par son maire : ils sont ici chez eux, dans la maison des élus locaux.

L'outil Rézone permet aux professionnels de santé de savoir de quelles aides ils peuvent bénéficier. Le zonage distingue les zones d'action prioritaire, éligibles à de nombreux dispositifs incitatifs, et les zones d'action complémentaire, offrant une palette d'aides beaucoup plus restreinte.

Or certains territoires pourtant sous-denses en termes de démographie médicale se trouvent catégorisés en zone d'action complémentaire. C'est le cas de Coulanges-sur-Yonne, où la non-éligibilité à certaines aides découlant de ce zonage conduit un médecin à remettre en cause son projet d'installation...

Comment ce zonage est-il établi ? Comment peut-on le réviser ? Quelles sont les dérogations à la main des ARS ou du ministère pour accompagner un médecin souhaitant s'établir en zone d'action complémentaire ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Le zonage a été établi par les ARS sur la base d'une méthodologie nationale, revue en 2021, après concertation avec les parties prenantes, pour mieux prendre en compte les spécificités locales.

Rézone est un outil complémentaire d'aide à l'installation des médecins ; il est révisé tous les trois ans, mais l'arrêté régional peut être modifié par l'ARS afin d'ajuster les aides aux besoins du territoire. Ainsi, le zonage dont dépend Coulanges-sur-Yonne pourra être modifié jusqu'au mois de juillet 2024. Dans l'Yonne, une organisation tripartite - CPAM, ARS, conseil départemental - examine mensuellement les projets d'installation et propose un accompagnement personnalisé. Plusieurs leviers peuvent être mobilisés : aide complémentaire du conseil départemental, exonération sur les bénéfices en ZRR, appui d'un assistant médical, intégration au sein d'un exercice coordonné, accompagnement à l'accueil de la famille du praticien.

Nous sommes mobilisés pour favoriser l'égal accès aux soins. C'est avec les professionnels eux-mêmes et avec les acteurs locaux, dont les élus, que nous réussirons à relever les défis.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Je retiens que le zonage Rézone peut être modifié par l'ARS jusqu'en 2024, et que les aides sont mobilisables jusqu'à douze mois après l'installation. Ce sera précieux pour Coulanges. Merci de l'attention que vous portez à l'Yonne, madame la ministre !

Urgences de l'hôpital de Manosque

M. Jean-Yves Roux .  - Il y a un an, je vous alertais déjà sur les grandes difficultés des urgences de l'hôpital de Manosque. En 2022, 28 jours de fermeture de nuit durant l'été. Depuis le début 2023, les urgences ont fermé 180 nuits et 18 journées, et seuls 39 % sont des jours régulés. En novembre, aucune urgence de nuit jusqu'au 15 du mois ; des ouvertures de jour sont planifiées - sauf les 4, 5, 8 et 13. Espérons que l'usager retiendra ! Quant au centre Vista qui vient d'ouvrir à proximité des urgences, il annonce déjà ne pas avoir vocation à les remplacer.

Vous nous répondrez que nos concitoyens doivent appeler le 15 - ce que tous les élus leur conseillent depuis des années. Mais la situation continue de se dégrader. Toute la chaîne de premier secours et recours souffre désormais de cette dégradation.

M. Braun nous annonçait le 1er septembre 2022 une série de mesures censées produire des effets : la loi Rist, la prime de solidarité territoriale adaptée, des dispositifs innovants d'aide médicale d'urgence, des appels à candidatures. Mais le service public hospitalier s'enfonce dans la crise.

Le provisoire - qui change tout le temps - va-t-il devenir la norme dans nos territoires ruraux ? Cette situation use les personnels de l'hôpital, les premiers secours ainsi que les pompiers, fragilise les patients qui trouvent porte fermée, et ne permet pas de mener des politiques de recrutement attractives.

Comptez-vous conforter rapidement les urgences de Manosque ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Sans nier les difficultés, réelles, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour renforcer le recrutement et l'attractivité du centre hospitalier de Manosque. Malgré des tensions sur les ressources humaines, la prise en charge des patients repose sur plusieurs leviers : présence à proximité de médecins correspondants du Samu ; protocole de fonctionnement restreint lorsque la situation nécessite une régulation, avec maintien de l'accueil et de la prise en charge des urgences vitales, le plateau technique étant disponible 24 heures sur 24 ; maison médicale de garde assurant la prise en charge les dimanches et veilles de jours fériés ; véhicule léger infirmier sur le secteur de Castellane ; déploiement d'une équipe dédiée au transport infirmier interhôpital.

Enfin, nous finançons un poste de chargé de mission pour travailler au recrutement de professionnels de santé, une campagne de communication, des vidéos promotionnelles pour diffuser les offres d'emploi. Un rendez-vous est prévu en novembre avec le cabinet d'Aurélien Rousseau, auquel vous participerez. Tout cela montre bien l'engagement du ministère dans la durée.

Arrêt de travail d'un salarié multi-employeurs particuliers

M. Alain Marc .  - Un salarié travaillant chez plusieurs particuliers a du mal à obtenir le paiement complet des indemnités journalières et des compléments de salaire qui lui sont dus à la suite d'un arrêt de travail.

Il lui faut fournir une copie de l'arrêt de travail de chaque employeur. Or les particuliers employeurs, souvent âgés, ne connaissent pas toujours leurs obligations ou ne les remplissent pas correctement.

La CPAM doit déterminer, employeur par employeur, le montant des indemnités journalières au regard de la rémunération que chacun a versée au salarié au cours des trois derniers mois. Ce montant doit être communiqué à la caisse de prévoyance des salariés de chaque particulier employeur afin qu'un complément de salaire soit calculé et reversé au salarié.

Les CPAM pourront-elles récupérer directement les informations de la déclaration sociale nominative afin de calculer le montant des indemnités journalières, employeur par employeur, et effectuer ainsi plus rapidement un versement global au salarié ? Pourront-elles remettre en un seul envoi à la caisse de prévoyance des salariés du particulier employeur l'intégralité du dossier « complément de salaire » pour chacun des employeurs, le complément de salaire étant ensuite globalisé pour un paiement direct et unique au salarié ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - En effet, la procédure applicable aux salariés de particuliers employeurs est lourde, et repose largement sur le salarié. En théorie, les particuliers employeurs devraient compléter l'attestation d'emploi, comme tout employeur de droit commun. Dans les faits, c'est le salarié qui fournit à la CPAM l'ensemble des bulletins de ses différents employeurs sur la période de référence.

Le Gouvernement s'est attaché à simplifier ces démarches. Depuis 2022, il suffit d'adresser à l'organisme d'assurance maladie une attestation sur l'honneur ainsi que les volets 1 et 2 de l'arrêt de travail, ce qui permet un versement plus rapide des indemnités journalières.

Par ailleurs, la gestion du régime de prévoyance des particuliers employeurs a été confiée à l'Institution de retraite complémentaire des employés de maison (Ircem), qui bénéficie de la télétransmission des décomptes d'indemnités journalières, ce qui dispense les salariés de toute démarche supplémentaire et leur permet de percevoir plus rapidement leurs indemnités complémentaires.

M. Alain Marc.  - Merci. Il faudra une évaluation de ces dispositifs, pour s'assurer que ces salariés, dont les revenus sont généralement faibles, perçoivent leurs indemnités au plus vite.

Pérennisation du baluchonnage en faveur des aidants

Mme Jocelyne Guidez .  - Inspirée du Québec et lancée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) en 2019, l'expérimentation du baluchonnage a été prolongée jusqu'à fin 2023. Dans 24 départements, un intervenant unique peut ainsi suppléer l'aidant à domicile sur une période continue allant de 36 heures à six jours consécutifs, ce qui est particulièrement utile pour les personnes ayant besoin de préserver leurs repères. Au 30 juin 2023, 389 baluchonnages avaient été réalisés, permettant 1 598 jours de répit.

À cent jours de la fin de l'expérimentation, j'alerte le Gouvernement : une interruption, même temporaire, ou un prolongement d'une seule année seraient néfastes. Le Gouvernement entend-il la prolonger en garantissant les financements nécessaires ?

M. Loïc Hervé.  - (Applaudissant) Très bonne question !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Prendre soin de nos aidants est un impératif ; je salue votre engagement et les avancées dans ce domaine de votre proposition de loi. Bien que l'expérience québécoise de Baluchon ne soit pas transposable directement en France, une expérimentation a été lancée en 2019 et prolongée jusqu'à fin 2023. Le relayage à domicile par un seul relayeur est crucial pour les binômes aidant-aidé ayant des besoins spécifiques.

La loi Bien vieillir en cours d'examen à l'Assemblée nationale précisera les éléments indispensables à la protection des salariés. Le ministère des solidarités et de la famille souhaite collaborer avec les branches et les syndicats dans un secteur marqué par un taux élevé d'accidents du travail. Cette offre doit s'inscrire dans un parcours intégrant notamment du soutien psychologique. Ces travaux s'inscrivent dans la prochaine stratégie Aidants.

Mme Jocelyne Guidez.  - Il faut pérenniser cette expérimentation. J'y serai attentive lorsque nous examinerons la proposition de loi Bien vieillir. (M. Loïc Hervé applaudit.)

Conseil conjugal et familial

M. Claude Kern .  - Le Président de la République l'a dit au conseil des ministres du 14 septembre 2022, la prévention des conflits intrafamiliaux et des ruptures des liens familiaux est un sujet d'intérêt pour les enfants, pour les parents - notamment les femmes - et pour l'ensemble de la collectivité.

Or le conseil conjugal et familial n'est toujours pas reconnu, ni financé, alors que la déconjugalité impacte fortement notre société : première cause de pauvreté des femmes et des enfants, première cause du manque de logements, elle change les parcours scolaires, sociaux et de vie des enfants. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) soulignait dès 2017 son utilité à chaque étape de la vie relationnelle des couples.

Avec un taux de divorce de 45 % et une famille monoparentale sur quatre, la famille, quoique plébiscitée par les Français, est fragilisée. Le conseil conjugal et familial doit être mis à la disposition du grand public au même titre que la médiation familiale. Quelles sont les intentions du Gouvernement à cet égard ? (M. Loïc Hervé applaudit.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Les pouvoirs publics doivent effectivement accompagner les couples et les familles après une séparation, notamment conflictuelle, grâce à la médiation familiale ou aux espaces de rencontre. C'est le rôle des établissements d'information, de consultation ou de conseil familial (EICCF) soutenus financièrement par l'État, et devenus en 2018 des espaces vie affective relationnelle et sexuelle (Evars).

Mais il faut faire plus : combien de souffrances pourraient être évitées, pour les parents comme pour les enfants, si les couples étaient aidés à surmonter leurs difficultés ou à se séparer de manière apaisée - sans parler des dépenses évitées pour les collectivités ou pour les couples eux-mêmes ? (M. Loïc Hervé le confirme.) Le ministère des solidarités et des familles proposera donc à la caisse nationale des allocations familiales d'expérimenter des modes de financement pour mieux soutenir les Evars et ce, avant même que les difficultés ne conduisent à une séparation.

Conseils d'administration des CAF

Mme Françoise Gatel .  - La récente loi Plein emploi fait du bloc communal l'autorité organisatrice de la politique d'accueil du jeune enfant. Les élus communaux savent qu'ils devront respecter les injonctions des conseils d'administration des caisses d'allocations familiales (CAF), notamment concernant le taux de remplissage - sans y être jamais associés. Or le Sénat est très attaché au principe selon lequel qui paie décide - ou est à tout le moins associé à la décision. Le Gouvernement entend-il faire une place dans ces conseils d'administration aux principaux financeurs de la politique d'accueil du jeune enfant ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Le Gouvernement se réjouit du compromis trouvé en CMP pour confier aux communes le rôle d'autorité organisatrice de l'accueil du jeune enfant ; sous réserve de son adoption définitive, c'est une reconnaissance méritée de leur engagement dans ce domaine.

Conformément aux engagements pris par le Président de la République et la Première ministre, la compensation de cette nouvelle compétence sera définie à la suite d'une étude des charges induites réalisée en collaboration avec les associations représentatives des élus ; le questionnaire a déjà été construit et validé. La convention d'objectifs et de gestion signée en juillet allouera des moyens ambitieux.

Il sera essentiel d'associer les communes aux décisions nationales de manière appropriée à leur rôle spécifique dans le modèle d'organisation cible.

Mme Françoise Gatel.  - Pour une fois, je ne demande pas d'argent, mais que les élus locaux aient voix au chapitre. Ils ne demandent pas des médailles, mais à être associés à un objectif qu'ils vont financer. Un jour peut-être obtiendrai-je un simple « oui » ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Sylvie Vermeillet approuve.)

Territoires zéro chômeur de longue durée (I)

Mme Marie-Pierre Richer .  - L'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, menée dans 58 départements, a fait ses preuves. Elle est pourtant menacée par l'arrêté du 31 juillet 2023 qui diminue la participation de l'État à son financement - les sommes inscrites dans le projet de loi de finances étant par ailleurs insuffisantes. Dans le Cher, la communauté d'agglomération Bourges Plus a candidaté afin de mettre en place ce dispositif : des moyens ont été engagés et l'entreprise à but d'emploi est prête à accueillir ses premiers salariés. Idem dans les autres territoires habilités, essentiels dans l'accompagnement des personnes durablement privées d'emploi. Avez-vous l'intention de maintenir un financement correspondant aux besoins ?

M. Claude Kern.  - Très bien !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Le soutien du Gouvernement aux territoires zéro chômeur de longue durée est constant et augmentera en 2024. Cette expérimentation est prolongée jusqu'en 2025 avec l'habilitation de 50 nouveaux territoires ; c'est la plus forte croissance du budget du ministère du travail.

L'État finance à la fois une dotation d'amorçage pour chaque emploi nouvellement créé, un complément temporaire d'équilibre en cas de déséquilibre financier des structures et une contribution au développement de l'emploi, fixée par décret dans une fourchette de 53 à 110 % du Smic. Elle est de 95 %, le même taux qu'avant la crise sanitaire, pour permettre un pilotage budgétaire du dispositif.

Mme Marie-Pierre Richer.  - Je ne sais que penser de votre réponse. Ce dispositif a suscité tant d'espoir... Mme Borne, alors ministre du travail, avait promis qu'aucun territoire ne serait laissé de côté. Le projet porté par Bourges Plus est le seul du département.

Territoires zéro chômeur de longue durée (II)

M. Gilbert-Luc Devinaz .  - Olivier Dussopt a soutenu la semaine dernière que son budget augmentait dans le projet de loi de finances ; soit, mais il manque toujours 20 millions d'euros.

Il a également évoqué une évaluation de l'expérimentation - que la loi prévoit courant 2025. Le Gouvernement serait-il en train de changer les règles du jeu ? En habilitant des territoires, le Gouvernement s'engage à soutenir leur trajectoire d'embauche. Alors que l'Union européenne débloque 23 millions d'euros pour soutenir les pays membres désireux de répliquer l'expérimentation française, comptez-vous permettre à cette expérimentation de se dérouler pleinement, conformément à la loi ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - M. Dussopt regrette de ne pouvoir être là. J'ai déjà répondu à Mme Richer sur l'augmentation du budget. Nous avons à ce jour habilité 58 territoires ; ce budget est en augmentation de 53%, avec 23 millions d'euros supplémentaires.

Nous souhaitons continuer à avancer, mais il appartient à l'association de piloter son budget.

Laisser les territoires habilités créer de nouvelles entreprises à but d'emploi et recruter des salariés limitera nécessairement le nombre de nouveaux territoires. Comme le prévoit la loi, un comité scientifique travaille depuis juin sous la présidence de Yannick L'Horty à l'évaluation de l'expérimentation, et rendra son rapport à la mi-2025 au plus tard.

M. Gilbert-Luc Devinaz.  - Je regrette moi aussi l'absence de M. Dussopt. Villeurbanne compte deux territoires habilités, au coeur des quartiers prioritaires de la politique de la ville. S'ils ne sont pas maintenus, 79 recrutements devront être annulés - touchant des personnes qui se sentent déjà abandonnées par les pouvoirs publics.

La séance est suspendue à midi et demi.

Présidence de M. Mathieu Darnaud, vice-président

La séance est reprise à 14 h 30.

Amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux

Discussion générale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives, présentée par Mme Cathy Apourceau-Poly, Mme Éliane Assassi, Mme Laurence Cohen et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe CRCE-K.

Mme Silvana Silvani, auteure de la proposition de loi .  - Point de malentendu : une loi d'amnistie ne contrevient pas à la séparation des pouvoirs ; nous ne remettons pas en cause les jugements passés. Nous demandons seulement que des hommes et femmes soient amnistiés. Cette tradition remonte aux lois constitutionnelles de 1875. Chaque nouvelle législature s'attache à s'ouvrir à la clémence par la réconciliation nationale, comme Victor Hugo plaida en 1876 pour l'amnistie des communards : « Les sociétés humaines, douloureusement ébranlées, se rattachent aux vérités absolues et éprouvent un double besoin, le besoin d'espérer et le besoin d'oublier. (...) Je demande l'amnistie. Je la demande dans un but de réconciliation. »

L'amnistie des communards prit effet le 14 juillet 1880, réintégrant les révolutionnaires parisiens dans le camp de la République. Le 7 juin 1936, l'amnistie figure parmi les premiers projets de loi du Front populaire. Le 23 mai 1968, le Sénat vote l'amnistie pour les délits liés aux « événements ». À différentes époques, pour préserver l'action syndicale, le législateur a considéré que les peines liées à l'action militante dans un contexte exceptionnel ne devaient pas perdurer.

Ce texte propose l'amnistie pour les infractions punies de moins de dix ans commises lors de conflits du travail, à l'occasion d'activités syndicales ou revendicatives ; elle ne concerne en rien les casseurs. Nous proposons d'amnistier aussi les sanctions disciplinaires, dont la mention serait retirée des dossiers. C'est une possibilité ouverte par le Conseil constitutionnel depuis le 20 juillet 1988, dans un but d'apaisement. Nous demandons également la réintégration des salariés licenciés, comme le prévoit la loi du 20 juillet 1988. Enfin, nous demandons la suppression de toutes les informations nominatives et empreintes digitales des militants collectées pendant les manifestations contre la réforme des retraites. Ce fichage, initialement réservé aux délinquants sexuels, a été élargi à la dégradation de biens. On assimile ainsi les syndicalistes à des criminels !

Notre groupe s'inscrit dans une longue tradition sociale et républicaine. Le préambule de la Constitution de 1946 protège l'action collective, attaquée de toutes parts. Ce droit inhérent à toute démocratie est remis en cause par la répression du Gouvernement et les stratégies d'intimidation du patronat, menaces de barbouzes recyclés en milices, comme au temps du Service d'action civique (SAC).

Nous nous insurgeons contre la criminalisation de l'action revendicative. J'ai une pensée pour ces militants, pour Alexandre Pignon, postier à Perpignan et secrétaire départemental de la fédération des activités postales des Pyrénées-Orientales, visé par une plainte pour entrave à la liberté de travail ; pour les dix salariés de Sonelog, dans le Vaucluse, licenciés pour faute lourde après avoir fait grève ; pour Loris Taboureau, employé de Disneyland Paris qui demandait des hausses de salaires et de meilleures conditions de travail ; pour Sébastien Menesplier, secrétaire général de la fédération nationale des mines et de l'énergie de la CGT, et pour bien d'autres.

Près de mille militantes et militants sont sous la menace de licenciement, de sanction disciplinaire, de convocation ou de poursuites judiciaires. On leur reproche d'avoir défendu un idéal, des convictions en faveur d'une société plus juste, égalitaire, humaniste et écologiste. Ils s'opposent avec leurs moyens à la destruction de notre société mais sont considérés comme des délinquants. Or ils n'usent que de leur droit à la parole et à la résistance. Les pratiques antisyndicales ne sont pas un phénomène isolé : selon le Défenseur des droits et l'Organisation internationale du travail (OIT), 46 % des personnes interrogées estiment avoir été discriminés à cause de leur action syndicale et 67 % perçoivent cet engagement comme un risque professionnel. L'engagement syndical est ainsi délégitimé par le patronat.

Le Gouvernement n'est pas en reste. En réponse aux concerts de casserole, des interdictions préfectorales ! À l'usage disproportionné de la force se sont ajoutées des sanctions administratives et pédagogiques pour les élèves qui s'opposaient à la réforme des retraites.

Mais qui sont les fauteurs de troubles ? Les patrons voyous qui délocalisent, ou les femmes et les hommes qui luttent pour leurs droits ?

Nous vous demandons d'amnistier les faits commis lors de conflits du travail, de manifestations et d'actions syndicales.

Monsieur le ministre, la liberté de manifester et la liberté syndicale sont essentielles à la démocratie. Le ministère du travail doit protéger les syndicats plutôt que d'adresser un vade-mecum « sur l'autorisation administrative des licenciements pour fait de grève des salariés protégés ou de représentants du personnel. »

Pour une société plus juste et solidaire, votez cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pascal Martin applaudit également.) Selon l'article 34, alinéa 4 de la Constitution, l'amnistie relève du domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel a rappelé que le législateur peut enlever tout caractère délictuel à des faits pénalement répréhensibles, en effaçant les sanctions, sans préjudice aux tiers selon l'article L. 133-10 du code pénal.

Les lois d'amnistie poursuivent deux finalités : le retour à la paix civile - comme après la guerre d'Algérie, ou en 1990 en Nouvelle-Calédonie ; le désengorgement des juridictions de contentieux de masse de faible importance - cas des lois d'amnistie votées après les élections présidentielles jusqu'à Jacques Chirac.

Or les lois d'amnistie des années 1980 ont été critiquées. Depuis 1990, aucune loi d'amnistie en lien avec des événements ou un territoire particulier n'a été adoptée. Celles qui suivaient les élections sont abandonnées depuis 2002. L'impunité, même pour de simples infractions à la sécurité routière, n'est plus tolérée. De nombreuses infractions sont exclues du champ de l'amnistie.

Cette proposition de loi soulève plusieurs critiques. La notion de « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux » est mal définie, alors que la loi pénale est d'interprétation stricte.

De plus, le champ de l'amnistie est trop large ; elle ne concernerait pas seulement les manifestants, mais aussi ceux qui se joignent à eux - je parle des casseurs. (M. le garde des sceaux acquiesce.) Elle s'étend ainsi aux délits, mais aussi à toutes les sanctions disciplinaires envers les salariés, des élèves ou des étudiants.

Des exceptions sont prévues, comme à l'article 3, pour les étudiants ayant commis des faits de violence : ils ne pourront être réintégrés. Les fautes lourdes ayant conduit à un licenciement, les violences contre les personnes dépositaires de l'autorité publique et ayant provoqué une incapacité de travail totale (ITT) ou envers des personnes mineures ou vulnérables ne peuvent être amnistiées. En revanche, des actes de vol et ayant entraîné des ITT le seraient.

Ainsi, la proposition de loi paraît aller bien au-delà de la protection du droit à l'action collective. La commission des lois a estimé qu'elle est une réponse intéressante, mais non souhaitable, aux troubles récents.

Les dispositions actuelles encadrant l'action publique sont suffisantes pour protéger les salariés et les élèves dans leurs actions revendicatrices. Une amnistie générale n'est pas adaptée. La commission vous invite à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Cette proposition de loi a pour objet d'amnistier contraventions et délits punis de moins de dix ans d'emprisonnement commis lors de conflits du travail, d'activités syndicales ou de mouvements revendicatifs, associatifs et syndicaux.

En droit, la sémantique compte double. Amnestia signifie, en grec et latin, oubli : une amnésie législative. Ce fut le cas pour rétablir la paix civile, par exemple, en Algérie. Puis on a vu des amnisties générales, pratiquées par la gauche comme la droite, de 1981 à 2002 à la suite des élections présidentielles, une forme de solde de tout compte. Cette tradition s'est éteinte en 2002. Il n'est pas opportun de ressusciter un oubli qui s'apparente, non à un pardon, mais à un renoncement coupable qui affaiblirait l'autorité de l'État et l'indépendance de la justice.

En 2023, une telle loi ne ferait qu'aggraver la discorde et nourrir l'impunité, alors que le dialogue social a été renoué lors de la grande conférence sociale.

La proposition de loi pose deux difficultés majeures. Tout d'abord, elle amnistierait un champ d'infractions très larges - comme le vol suivi de violences sur autrui ayant entraîné une ITT de huit jours, puni de sept ans d'emprisonnement. Un vol commis lors d'une manifestation serait amnistié, point.

M. Pascal Savoldelli.  - C'est une approche conjoncturelle !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Les circonstances évoquées laisseraient planer le doute sur des faits méritant une réponse pénale.

« À l'occasion de mouvements collectifs revendicatifs » est une notion trop large, dont les effets de bord n'ont pas été mesurés. Les événements de juillet seraient-ils concernés ? Certains de vos alliés politiques ont parlé de « révolte populaire » ! (Mme Cathy Apourceau-Poly proteste.)

Mme Cécile Cukierman.  - Ils ne sont pas ici !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Même le Syndicat de la magistrature s'y associe.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Jaloux !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - La notion est trop large et fait planer le doute. Or il n'y a aucun doute : ce n'était pas une révolte, mais des délinquants très jeunes. Il fallait absolument rétablir l'ordre républicain, comme je le demandais dans ma circulaire du 5 juillet 2023, pour une réponse ferme, rapide et systématique (M. Éric Dupond-Moretti frappe son pupitre), et qui engage la responsabilité des parents. Je remercie les magistrats et greffiers qui nous ont permis, avec les forces de l'ordre, de rétablir l'ordre en un temps record.

C'est souvent au prétexte de mouvements collectifs que se sont produits des actes de pillage et de vandalisme, qui n'ont rien à voir avec l'expression légitime de revendications collectives.

Ma politique pénale est ferme et claire : oui au droit de manifester, non au droit de tout démolir et de s'en prendre aux forces de l'ordre.

M. Pascal Savoldelli.  - C'est binaire !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Manifester, oui, détruire, non !

Cela m'a valu une contre-circulaire, Canada Dry, du Syndicat de la magistrature... Mais le seul qui conduit la politique pénale et en est responsable devant le Parlement, c'est le garde des sceaux. (Marques d'approbation à droite)

Il n'est pas souhaitable que des personnes ayant commis des délits passibles de dix ans d'emprisonnement soient amnistiées. Pas d'amnistie pour les casseurs et les vandales qui se repaissent du désordre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - On travestit la réalité !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Vos dispositions n'ont rien d'un remède. Elles instillent le poison d'une justice qui ne serait pas indépendante. Les juges le sont, et c'est très bien ainsi.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ah !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Elles provoqueraient la stupéfaction chez nos compatriotes témoins des pillages. Vous creuseriez un nouveau fossé parmi nos concitoyens, entre ceux attachés à la stabilité républicaine et ceux qui guettent la moindre faiblesse des institutions.

Manifester est un droit fondamental, mais dans le cadre de la loi que nous devons tous respecter. Pensez aux commerçants qui ont vu leurs vitrines détruites pendant l'épisode des gilets jaunes ou lors de la réforme des retraites.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Est-ce la faute des syndicalistes ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Comment le comprendraient-ils ? Ce n'est pas le bon message.

M. Pascal Savoldelli.  - Ce n'est pas terrible...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Les signataires de la proposition de loi indiquent vouloir amnistier le secrétaire général de la Fédération des mines et de l'énergie de la CGT.

Mmes Cathy Apourceau-Poly et Céline Brulin.  - Exactement !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - L'affaire est en cours, je ne puis la commenter.

M. Pascal Savoldelli.  - Mais quand même...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - La justice tranchera en toute indépendance. Mais, vous, auteurs de la proposition de loi, avez-vous réfléchi aux conséquences de votre texte ?

En effet, seraient nécessairement amnistiés les individus ayant caillassé, place de la Nation, des camions et des militants de la CGT le 1er mai 2021, faisant une vingtaine de blessés !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Il est malin !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - En outre, aucune exception pour les infractions sexistes, homophobes, racistes ou antisémites : on amnistierait donc les auteurs de slogans comme « Mort aux juifs ! » (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Pascal Savoldelli.  - Un minimum de respect ! Vous vous croyez où ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Des manifestations ont dégénéré ! Selon vous, toutes les infractions périphériques doivent être amnistiées ? Vous n'avez pas réfléchi aux effets de bord.

M. Pascal Savoldelli.  - Qu'est-ce que cela veut dire ?

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Vous dévoyez notre proposition de loi !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Nullement ! Je suis en plein dedans : selon votre texte, un vol serait amnistié. Cela, le Gouvernement n'en veut pas !

Dans ma circulaire du 10 octobre dernier relative à la lutte contre les infractions susceptibles d'être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre, j'ai demandé au Procureur de la République de la sévérité contre l'apologie du terrorisme et l'antisémitisme comme contre les propos sexistes, antimusulmans ou homophobes. Je le dis de façon claire et définitive : l'amnistie serait inacceptable.

Votre proposition de loi n'exclut pas non plus les incitations à la haine, à la violence envers les forces de l'ordre ou les élus : seuls sont exclus les actes entraînant une ITT ! C'est inacceptable, alors que le débat public se radicalise et que les discours de haine se répandent.

Les victimes d'infractions et la majorité des Français attendent que la justice, qui bénéficie désormais de moyens inédits - j'en remercie le Sénat -, sanctionne les infractions. En temps de paix, c'est la justice indépendante qui est garante du pacte social, pas une loi d'amnistie. (M. Stéphane Le Rudulier applaudit.)

Rappel au Règlement

Mme Cécile Cukierman.  - Mon rappel se fonde sur l'article 36 du Règlement du Sénat.

L'initiative parlementaire est un droit, monsieur le garde des sceaux. Bien sûr, elle est perfectible. Le droit d'amendement est un autre droit fondamental. Si, comme nous, vous avez à coeur de défendre notre République, sociale selon la Constitution, et si vous considérez que notre texte présente des écueils, si vous souhaitez préserver les corps intermédiaires, proposez des amendements !

Notre travail, ici, a toujours été constructif. Nous ne sommes pas et n'avons jamais été les porte-parole d'organisations syndicales - réglez avec elles les griefs que vous leur adressez.

En outre, nous ne pouvons accepter votre amalgame mettant sur le même plan syndicalistes et casseurs ou pillards. Nous ne pouvons pas non plus accepter votre sous-entendu selon lequel nous permettrions des propos antisémites ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Mélanie Vogel applaudit également.) Ce n'est pas notre histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Sébastien Fagnen applaudit également.)

M. le président.  - Acte est donné de ce rappel au Règlement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je n'ai jamais dit que vous portiez ces valeurs. En revanche, votre proposition de loi permet d'amnistier toutes les infractions commises dans le cadre de manifestations. J'ai cité des exemples : sans dire que vous approuvez le vol, j'ai dit qu'il serait amnistié... (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Pascal Savoldelli.  - Où sommes-nous ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - ... s'il est commis dans le cadre d'une manifestation sociale. C'est votre texte ! Je ne puis pas l'approuver.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Déposez des amendements !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Mais vous ne les ferez jamais vôtres.

Je connais votre histoire. Mais si, demain, des propos antisémites ou sexistes sont tenus, ils seront amnistiés ! Permettez que j'exprime mon désaccord.

Discussion générale (Suite)

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'amnistie est une tradition ancienne, issue de la grâce et que la République s'est appropriée. Selon Victor Hugo, elle est « la porte de la clémence ouverte par la force ». Mais elle ne va pas de soi : pour Hervé Bazin, elle est « l'expédient des gouvernements faibles. »

Cette tradition semble morte depuis 2002, mais des collègues du groupe Les Républicains la défendent parfois pour les petites infractions routières. Dans le contexte de nombreux combats syndicaux - Continental, les « 5 de Roanne »... -, le Sénat avait adopté en février 2013 une proposition de loi soutenue par François Patriat, Jean-Michel Baylet, Jacques Mézard, Patricia Schillinger ou encore Gérard Collomb - pas des partisans de la chienlit...

Pour jauger cette nouvelle initiative, interrogeons-nous sur le contexte. Le règne d'Emmanuel Macron n'est pas de tout repos sur le plan social, avec l'épisode catastrophique des retraites, lourdement réprimé. Nous comprenons l'objectif de nos camarades : réamorcer la tradition de l'amnistie sociale.

Actuellement, les tensions sont encore accrues et le recours à la violence comme moyen d'action politique est exacerbé - en témoignent les black blocs et la détermination grandissante des mouvements écologistes contre les méga bassines, notamment à Sainte-Soline. En réponse, le Gouvernement multiplie les lois liberticides et nourrit les tensions par un maintien de l'ordre discutable. Aussi les droits des Français sont-ils largement mis à mal, malgré la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le préambule de la Constitution de 1946.

Le droit de manifester n'est aucunement un droit à casser, nous ne cautionnons ni violences ni heurts. Tous, ici, sommes partisans de l'ordre public. Mais les faits de violence ne peuvent être décorrélés du contexte, presque inédit ces temps-ci : pandémie, guerre en Ukraine, aux portes de l'Europe, recrudescence des conflits sur le globe.

Ce climat anxiogène alimente le ressentiment contre un gouvernement perçu comme impuissant. Hélas, ce ressentiment devient parfois violence. Nul ici ne la cautionne, mais, alors que notre nation est plus divisée que jamais, nous ne saurions refuser de balayer la main tendue envers ces personnes pleines de colère ou de dépit.

Ainsi, ce texte se limite aux infractions punies de moins de dix ans.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est énorme !

M. Jérôme Durain.  - Et l'amnistie n'empêche pas la réparation des actes subis.

L'intimidation, la discrimination et la criminalisation des représentants syndicaux sont indignes de notre État de droit. Monsieur le garde des sceaux, nous prenons acte de votre appréciation selon laquelle l'article 1er est trop large. Certes, la proposition de loi de 2013 était plus précise que l'actuelle : des militants d'extrême droite pourraient bénéficier de ce dispositif dans le cadre de manifestations contre les migrants. Mais cette proposition de loi a au moins le mérite de mettre en exergue le besoin vital d'apaisement de notre population.

En raison des risques juridiques que pourrait lever l'Assemblée nationale dans une navette, nous opterons pour une abstention bienveillante. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le texte pose une question de fond : le législateur peut-il amnistier des délits commis dans le cadre de mouvements sociaux ? Certes, le constituant de 1946 a reconnu le droit de grève comme fondamental, mais celui-ci s'articule avec d'autres principes, comme l'ordre public.

Comme l'a souligné Jean-Michel Arnaud, la proposition de loi est trop évasive, et les exceptions s'en trouvent quasi inapplicables.

Évitons tout malentendu : si le droit syndical, le droit de grève et de manifester entraînent des procédures disciplinaires et des licenciements abusifs, ils doivent être évidemment contestés devant les juridictions compétentes. (M. Éric Dupond-Moretti manifeste son approbation.) Légiférons, le cas échéant, sur les voies de recours si celles-ci sont insuffisantes. Mais ces dérives, aussi condamnables soient-elles, ne sauraient justifier une énième loi d'amnistie. (M. Jean-Claude Anglars acquiesce.) Comme le disait le juge Diplock, n'utilisons pas un « marteau-pilon pour casser une noix, si le casse-noix suffit. »

Loin de moi l'idée de remettre en cause le droit de manifester, les droits syndicaux ou le droit de grève. Mais de ces droits ne peuvent découler le chaos ou une répression effrénée. Ce texte offense la plupart de nos concitoyens, qui manifestent leur mécontentement sans heurts ni violences.

En outre, s'il s'agit de ramener le syndicalisme vers son âge d'or avec une promesse d'impunité, vous faites fausse route, chers collègues. Le contexte actuel exige au contraire un surcroît de responsabilisation des représentants syndicaux : respect du dialogue plutôt qu'entêtement au désordre.

L'amnistie est un geste de pardon, de reconstitution de la concorde sociale, voire de pacification des mémoires. Le pardon des pouvoirs publics intervient quand l'ordre public a failli. Or la France n'en est pas à un tel point.

En tout état de cause, l'amnistie ne saurait être une autorisation donnée à la violence ; ce serait un bien mauvais signal adressé à nos concitoyens. Pourquoi respecter la loi si nous cédons - même ponctuellement - à la tentation ? L'amnistie revient à demander au législateur de méconnaître la législation en vigueur. Le principe de l'égalité des citoyens devant la loi est remis en cause. Enfin, c'est aussi le rôle du juge qui est nié. Les lois d'amnistie perturbent l'équilibre des pouvoirs.

Une dérive judiciaire ne saurait répondre à la potentielle dérive autoritaire dénoncée par le texte, dans une forme de schizophrénie judiciaire. Notre Haute Assemblée ne peut l'accepter. Le groupe Les Républicains est, par principe, hostile à toute loi d'amnistie, et votera contre cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Jacques Grosperrin.  - Bravo !

M. Christopher Szczurek .  - La détérioration des conditions de vie a fatalement conduit à l'explosion sociale, jusqu'aux classes moyennes, que l'on a trop longtemps cru préservées.

Le recul de l'âge de la retraite a été la légitime cause de manifestations, durant lesquelles des membres de mouvements radicaux et anarchistes ont systématiquement causé des violences. Pire que l'impunité, cette proposition de loi légitimerait les violences, qui nuisent aux contestations sociales, des gilets jaunes aux retraites.

Plus récemment, la mort de Nahel montre que même un tel événement, si douloureux soit-il, est le prétexte à un déferlement de violence. Or l'émotion suscitée par cet événement n'a joué qu'un rôle minoritaire dans les motivations des pillards.

Derrière eux, il y a surtout des victimes, dont il faut réparer le préjudice. Derrière chaque casseur, on trouve un artisan privé de ses locaux ou un ouvrier privé de sa voiture. Leur cause sera toujours plus forte et plus juste que celle du délinquant et du vandale.

Si la gestion du pays par Emmanuel Macron est aussi horripilante que désespérante (Mme Patricia Schillinger manifeste sa désapprobation), rien ne justifie les pillages - je parle comme élu national, mais aussi au nom de ceux qui, comme moi, fils de syndicaliste, ne veulent plus voir les luttes sociales décrédibilisées. Le droit à manifester, constitutionnel, n'est pas un droit à l'insurrection.

Il y a des profiteurs de crises financières comme il y a des profiteurs de crises sociales : de grâce, combattons-les tous !

M. Dany Wattebled .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Franck Menonville applaudit également.) Notre pays a traversé des mouvements de contestation majeurs en 2023, certains suscitant des actes de violence choquants pour nos concitoyens. Le professionnalisme des forces de l'ordre a permis d'éviter des drames, de justesse ; mon groupe leur rend hommage. Des centaines de leurs membres ont été blessés durant les manifestations contre la réforme des retraites.

Les mêmes scènes de chaos se sont reproduites lors de la création des mégabassines. S'il est légitime que les oppositions s'expriment, je rappelle que ces projets ont été décidés démocratiquement ; des recours étaient possibles. Nous sommes en démocratie, ne l'oublions pas.

Armés de battes de baseball et de barres de fer, les fanatiques sont là pour casser : de la bassine ou du flic. C'est inacceptable. Au-delà de l'imprécision de la proposition de loi, comment imaginer que la circonstance d'un mouvement collectif exonère de toute condamnation ? Le droit de grève ne s'étend pas à la commission d'infractions.

Au contraire, cette circonstance est aggravante, non atténuante. La commission d'infraction est facilitée dans les attroupements, et leurs conséquences souvent plus graves.

Par ailleurs, la présence d'écharpes tricolores dans certaines manifestations nous a consternés. Ceux qui encouragent à enfreindre les lois n'ont pas leur place dans les Chambres qui les votent. La loi s'applique à tous. La défense des droits des individus doit s'exercer dans les urnes, non dans la rue.

« Ce qui préserve de l'arbitraire, c'est l'observance des formes » disait Benjamin Constant. La contestation ne peut s'en affranchir. Le groupe INDEP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'ai fait mes études de droit sous la houlette de Jean-Jacques Dupeyroux, avec Maurice Cohen. J'ai suivi le progrès des lois Auroux à l'Assemblée nationale : je me souviens des syndicats jaunes et le recours du jeune député Alain Richard pour annuler l'article infâme autorisant le vote plural lors des élections prud'homales...

Robert Badinter disait que « les notables vieillissants parlent d'eux dans leur discours » : voilà que cela m'arrive... (Sourires)

On imagine difficilement une société dans laquelle le droit d'exprimer son mécontentement serait entravé par des mesures coercitives : c'est ce qui distingue une démocratie d'une dictature. C'est pourquoi le constituant de 1946 a reconnu le droit de grève - mais pas le droit à la violence. Au vu des faits survenus lors des manifestations contre la réforme des retraites, une telle proposition d'amnistie peut paraître séduisante : nous ferions table rase du passé. Mais le pardon ne peut viser des agissements contraires à l'ordre républicain. Certes, le texte exclut de l'amnistie les violences commises contre les personnes dépositaires de l'autorité publique, mais il ne dit rien des autres violences.

L'amnistie est un geste de pardon, mais ne saurait autoriser les débordements de toute sorte. Ce serait un signal de bien mauvais augure adressé aux manifestants et, plus largement, à tous nos concitoyens. (M. le ministre acquiesce.)

Le principe même d'une amnistie crée un appel d'air : dès lors, pourquoi respecter la loi ? Le principe de l'égalité des citoyens devant la loi doit ici s'appliquer, tout comme le principe du respect de l'ordre public. En dépit du travail réalisé par les auteurs du texte, il n'y a pas de consensus au sein du Parlement autour de cette proposition.

Si nous comprenons - et même partageons parfois - la colère sociale, son expression doit rester dans les lois de la République.

Le rapporteur, dont je salue le travail, a rappelé que la commission des lois était défavorable à l'adoption du texte. Le groupe UC votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, ainsi que sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP ; M. Olivier Bitz applaudit également.)

Mme Mélanie Vogel .  - (M. Thomas Dossus applaudit.) Je remercie le groupe CRCE-K d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour du Sénat. Cette proposition de loi intervient à un moment particulier : alors que le Gouvernement se montre incapable de répondre aux crises, que les élus échouent à protéger l'intérêt général et à permettre à chacun de manger à sa faim et d'envisager un avenir commun sur une planète vivable, ce sont davantage les manifestants, les syndicalistes, les militants, les mouvements sociaux, qui sont attaqués, plus que les pollueurs, les évadés fiscaux, les exploiteurs, les racistes et les sexistes.

Alors que l'État faillit, ce sont ses enfants qui trinquent, et qui trinquent deux fois : en payant le prix des mauvaises décisions prises et en payant celui de les contester.

La France violera ses propres engagements climatiques internationaux et nationaux. Pendant ce temps, le Gouvernement poursuit le projet de l'A69, vieux de 30 ans. Malgré la promesse présidentielle de 2017, il ne demande plus l'interdiction au niveau européen du glyphosate, qui tue tous les végétaux, et dont les effets sont néfastes pour l'homme et la nature.

Il ne répond pas non plus à l'urgence sociale. Alors que la France compte plus de 9 millions de pauvres, les 500 Français les plus riches ont vu leur fortune croître de 9 % l'année dernière.

C'est pourquoi des millions de Français grossissent les rangs des mouvements sociaux, notamment lors de la réforme des retraites. C'est pourquoi nombre de personnes défendent la nature, à Sainte-Soline et ailleurs.

Or ces mouvements sociaux sont criminalisés. Des passants, qui ne manifestaient même pas, se sont retrouvés au poste. Pour la première fois depuis un demi-siècle, un dirigeant syndical national a été convoqué à la gendarmerie. Selon la CGT, 600 travailleurs et travailleuses seraient ciblés par des procédures disciplinaires.

Tous ces militants ne se battent pas pour le plaisir. Bien sûr, nous aimerions tous passer des week-ends de détente entre amis, plutôt que de risquer le coma pour défendre notre bien commun. Mais il est de plus en plus difficile de manifester dans ce pays. Or l'immense majorité des personnes arrêtées ne font pas partie des individus violents dont nous condamnons, bien sûr, les méthodes.

La démocratie meurt si elle cherche à criminaliser les opposants au pouvoir. C'est le propre d'un pouvoir démocratique que de protéger la contestation, le débat, les luttes politiques, y compris contre lui.

Le GEST soutient les objectifs de cette proposition de loi.

Nous entendons les commentaires du ministre sur le calibrage trop large de cette proposition de loi. Nous faisons confiance au Gouvernement et à nos collègues de l'Assemblée nationale pour amender ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.) Il y a plus de 70 ans, des milliers de personnes ont participé à la grande grève des mineurs de 1948. Ce sont autant de vies brisées, victimes d'une parodie de justice. Leur combat a duré plusieurs années. Ils seront réhabilités par Mme Taubira, alors garde des sceaux. Parmi eux, Norbert Gilmez, un syndicaliste CGT, dira jusqu'à la fin de sa vie : « j'étais syndicaliste, pas délinquant ». Tel est l'objet de notre proposition de loi : nous défendons les syndicalistes, pas les délinquants. Sébastien Menesplier, Mathieu Pineau, Sophie Bournazel, Nicolas Constantin, les salariés de Vertbaudet, autant de personnes réprimées.

Des syndicalistes de la fédération du commerce ont été interpellés chez eux, devant leur famille. La répression s'est tellement généralisée qu'un syndicaliste, Mohammed, a été interpellé par de faux policiers, roué de coups, puis jeté d'une voiture en marche après avoir été dépouillé de ses papiers. Dans le même temps, la direction continuait d'assigner ses salariés en justice. Nous pourrions multiplier les exemples. Cette proposition de loi vise à leur rendre justice au nom de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Les acharnements individuels, les arrestations arbitraires sont légion. Comme si la répression patronale ne suffisait pas, vous y ajoutez la répression d'État, par la voie judiciaire. Celle-ci s'est encore amplifiée à l'occasion de la contestation de la réforme des retraites. La tribune « Pour les libertés syndicales, contre toutes les entraves à l'engagement militant et citoyen ! » a recueilli de nombreuses signatures, y compris celle d'universitaires et de chercheurs.

Les carrières font aussi l'objet d'entraves.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait l'amalgame entre faits commis à l'occasion de manifestations et violences urbaines et propos antisémites. C'est inacceptable ; ces faits n'ont rien à voir entre eux ! (M.  le ministre se récrie.) Nous voulons sanctionner les casseurs et les black blocs. Pour nous, l'amnistie ne signifie pas l'absence de sanction. Le 17 mai 2020, vous indiquiez à un journaliste d'Europe 1 : « J'aurais souhaité que le Président de la République renoue avec la tradition régalienne de la grâce présidentielle ou de la loi d'amnistie. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Cela n'a rien à voir !

M. Jean-Yves Roux .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE.) Notre histoire a produit plusieurs lois d'amnistie, qui ont vocation à demeurer exceptionnelles. Les dispositions de la présente proposition de loi sont particulièrement larges, et pourraient être facilement interprétées comme un droit à la violence. Est-ce le modèle que nous souhaitons promouvoir ?

J'ai le plus grand respect pour l'action syndicale, qui a forgé notre pays, mais cette amnistie serait-elle juste en toutes circonstances ? Faut-il essentialiser tous les mouvements et acteurs sociaux ? Je crains que certains se drapent dans l'intérêt général pour échapper à des poursuites. Les émeutiers de l'été dernier étaient-ils mus par l'intérêt général ? La motivation de certains était sincère, sans nul doute, mais ce texte s'appliquerait à ce cas précis, dévoyant vos propres intentions. Ce serait un comble !

Certes, la proposition de loi contient des restrictions opportunes, mais celles-ci semblent insuffisantes.

L'article 5 prévoit que les victimes conservent le droit de faire reconnaître le préjudice subi et d'en obtenir réparation, même en cas d'amnistie. Mais si aucune poursuite n'est possible, y aura-t-il vraiment réparation ?

Il faut que chacun reprenne sa place : juges, syndicalistes, salariés... Je ne suis pas sûr que cette proposition de loi aille en ce sens : le groupe RDSE s'y opposera. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. Claude Kern.  - Bravo !

Mme Patricia Schillinger .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI.) Dans le contexte de crise multiple que nous traversons, les motifs d'inquiétude abondent : emploi, pouvoir d'achat, accès aux soins, réchauffement climatique... Nous, élus, ne pouvons y être insensibles.

Les mouvements sociaux sont la traduction concrète de libertés et de droits auxquels nous sommes attachés : ils se multiplient, mais s'accompagnent de plus en plus de violences.

La répression de ces actes cacherait une tentative de restriction des libertés. Il faudrait protéger les libertés individuelles en pardonnant aux auteurs des violences, comme si la défense de l'intérêt général devait conduire inévitablement à commettre des délits ! Le groupe RDPI réaffirme son attachement à la liberté syndicale et son respect pour la mobilisation sociale. Certes, l'action collective est un rouage essentiel de la démocratie, mais la préservation de l'ordre public est elle aussi primordiale. Le pardon républicain en vue de rétablir la concorde sociale pourrait être contreproductif, car il heurterait le principe d'égalité devant la loi.

Le champ d'application de ce texte doit être strictement défini. Or l'amnistie prévue est particulièrement large. Elle profiterait à ceux qui rejoignent des mouvements sociaux dans l'intention de commettre des délits - c'est inacceptable !

Le législateur a le devoir d'affirmer que toute violence est contraire à l'ordre républicain.

Le présent texte est bien plus généreux que celui de 2013. Les délits passibles de moins de dix ans d'emprisonnement sont visés, contre cinq ans auparavant. Toutes les infractions commises avant la promulgation de la loi seraient susceptibles d'être amnistiées.

L'acception d'un tel texte par l'opinion est largement discutable. Celui-ci pourrait être perçu comme un appel aux débordements, alors qu'il faut plutôt renforcer le dialogue social.

Il est nécessaire de protéger les droits fondamentaux, mais cette proposition de loi soulève des inquiétudes préjudiciables à la concorde nationale. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Madame Apourceau-Poly, j'ai lu votre tweet disant que je faisais des amalgames : non, pas du tout ! J'exprime simplement le droit. J'ai bien compris l'objet de votre texte, mais j'en dénonce les effets de bord.

L'amnistie prévue bénéficie aux personnes physiques. Sont amnistiés de droit les délits passibles de moins de dix ans d'emprisonnement. Aucune amnistie aussi large n'a jamais existé dans l'histoire ! Mais ce n'est pas le sujet de notre débat.

Si un manifestant brûle un véhicule, il sera amnistié. Voilà ce que cela signifie ! Je suis évidemment pour le droit de manifester, qui est constitutionnel, mais certains tordus profiteront de votre texte pour commettre des exactions. Je ne peux y être favorable.

Vous avez cité une déclaration que j'ai prononcée en tant qu'avocat. Elle portait sur le problème de la surpopulation carcérale dans le contexte de la pandémie ; Nicole Belloubet a pris des dispositions que j'ai approuvées. J'ai défendu ensuite un texte visant à libérer un détenu dont le reliquat de peine était inférieur à trois mois ; le Sénat l'a d'ailleurs voté. Je ne suis pas en contradiction avec moi-même, ce sont deux choses différentes ! Ce que j'ai dit lors de la pandémie n'aurait permis en aucune façon à des voyous de commettre des infractions.

Madame la sénatrice, j'ai bien compris l'objet de votre texte et je ne fais pas d'amalgame. Votre texte a des effets de bord qui n'ont pas été mesurés. Ce serait un mauvais signal adressé à nos compatriotes.

Le petit commerçant qui a vu son magasin fracassé verrait l'auteur des faits amnistié : ce n'est pas acceptable ! (M. Claude Kern acquiesce.)

Si certains ont fait des amalgames - et je le dis avec beaucoup de respect -, c'est vous.

Discussion des articles

L'article 1er n'est pas adopté, non plus que les articles 2, 3 et 4.

ARTICLE 5

M. Thomas Dossus .  - Nous aurions aimé voter ce texte, non qu'il soit parfait, mais parce qu'il intervient dans un contexte particulier de contraction des libertés fondamentales, alors que toutes les formes de militantisme sont contraintes par des dispositions législatives, mais aussi administratives et policières inquiétantes. Le schéma de maintien de l'ordre provoque de la violence. Ce qui est parfois un véritable appel à la confrontation conduit à la multiplication des gardes à vue sans objet - des centaines lors de la réforme des retraites ! Les responsables syndicaux font l'objet d'intimidations. Les outils de surveillance des militants écologistes sont de plus en plus utilisés.

Nous aurions aimé voter ce texte en vue de son amélioration par la navette.

M. Ian Brossat .  - Aucun des arguments contre cette proposition de loi n'est valable.

Elle conduirait à amnistier des auteurs de propos racistes et antisémites ? Ce sont les communistes, dont Fabien Roussel, qui ont voulu une proposition de résolution pour les rendre inéligibles - vous vous y êtes opposé, monsieur le garde des sceaux. Aujourd'hui, un ancien candidat à la présidentielle, condamné à de multiples reprises pour de tels propos, court toujours les plateaux de télévision.

Le dialogue social serait rétabli ? Tel n'est pas le sentiment des militants.

La rédaction en serait insuffisante ? Vous auriez pu proposer des amendements.

Cette proposition de loi est absolument nécessaire : le monde syndical doit pouvoir s'exprimer sans être criminalisé, comme c'est trop souvent le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Thomas Dossus applaudit également.)

À la demande des groupes CRCE-K et Les Républicains, l'article 5 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°21 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 280
Pour l'adoption   34
Contre 246

L'article 5 n'est pas adopté.

L'article 6 n'est pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 16 h 05, reprend à 16 h 15.

Abroger l'article 40 de la Constitution

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à abroger l'article 40 de la Constitution, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Éric Bocquet, M. Pascal Savoldelli et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe CRCE-K.

Discussion générale

M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi constitutionnelle .  - Je salue Mme Assassi, auteure de cette proposition de loi. (Sourires bienveillants)

Mme Nathalie Goulet.  - Moi aussi !

M. Pascal Savoldelli.  - Nous voulons nous inscrire dans la dynamique de réforme de la Constitution engagée par le Président de la République.

La Constitution donne du sens à l'État de droit, mais notre démocratie vacille. De crise en crise, la question de l'intervention citoyenne a fait irruption dans le débat public, mais quel débouché nos institutions lui ménagent-elles ? Ainsi, lors de la réforme des retraites, une grande majorité a manifesté contre cette réforme injuste, puis s'est exprimée contre les articles 49.3, et de manière inattendue, 40, qui rendait irrecevable la proposition de loi du groupe Liot abrogeant le report de l'âge légal de la retraite.

Beaucoup de nos concitoyens ont découvert l'existence de cet article qui restreint le droit de proposition de la représentation nationale et qui contrarie l'expression de la démocratie sociale. C'est un étau démocratique qui dépossède les individus de leur citoyenneté.

Les constitutionnalistes s'interrogent, mais nous, législateurs, devons saisir cette occasion pour l'abroger et pour apporter un nouveau souffle à la démocratie. Selon le préambule de la Constitution de 1793, « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » Le général de Gaulle affirmait en 1958 que « c'est pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes » que la Constitution avait été établie.

La crise de confiance dans nos institutions est profonde.

Le Sénat est à la bonne place pour débattre de la légitimité du pouvoir du Gouvernement, du Parlement et des citoyens.

Ce qui lie les citoyens au budget de la Nation, ce sont d'abord les services publics, ciment de la République. Mais comment les citoyens peuvent-ils se les approprier s'ils n'en ont pas la maîtrise ? Chaque fois que l'on veut conserver les lignes de bus : irrecevable ! Augmenter les bourses aux étudiants : irrecevable ! Revenir à un grand service public de l'énergie : irrecevable ! Mais c'est toute la démocratie sociale qui est irrecevable !

C'est aussi un outil d'entrave au débat parlementaire. La commission Balladur, en 2008, l'avait dit. Didier Migaud et Jean Arthuis, alors présidents des commissions des finances des deux chambres, avaient plaidé contre cette forme d'« autocensure parlementaire ». (Mme Nathalie Goulet et M. André Reichardt le confirment.)

C'est aussi un outil incohérent. Malgré l'article 40, il est possible d'élargir une niche fiscale, de reporter des dizaines de milliards d'euros ou de mettre en réserve des crédits budgétaires : c'est le deux poids, deux mesures !

Le droit d'amender est confisqué aux oppositions, mais aussi à la majorité. (Mme Nathalie Goulet acquiesce.) Le rôle d'élaboration budgétaire du Parlement est incontestablement restreint. Budget de la Nation ? Non, plutôt celui des cabinets ministériels, appuyés par des cabinets privés...

La commission des lois a jugé l'abrogation impossible et son assouplissement aventureux, invoquant le risque d'un creusement de la dette et du déficit. Mais voyez l'état de nos finances publiques ! Que veut-on vraiment restreindre : les déficits ou les droits des parlementaires ? Dans la moitié des pays de l'OCDE, il existe un droit d'initiative parlementaire illimité, et les niveaux de dette y sont très différents. L'argument ne tient pas.

Les collectivités territoriales votent leurs dépenses et leurs recettes toute l'année - théoriquement à l'équilibre. (M. André Reichardt acquiesce.) Les procédures de mise sous tutelle sont très rares. La dette des collectivités est saine, elle permet de construire les écoles et ne représente que 10 % de l'endettement public. C'est bien la preuve que les élus locaux sont responsables. Pourquoi pas les élus de la Nation ?

À qui sert l'article 40 ? C'est une contradiction de la Constitution : la souveraineté nationale appartient au peuple. L'aboutissement de la Constitution, c'est la démocratie sociale. Ni le peuple ni ses représentants ne sont irresponsables. Légitimer la démocratie sociale et parlementaire, c'est donner un nouveau souffle à la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; MM Jérôme Darras, Patrice Joly et Guy Benarroche applaudissent également.)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous ne connaissons que trop bien les limites de notre droit d'amendement : 49.3, vote bloqué, article 45... et l'article 40, qui n'est pas des moindres.

Cette proposition de loi d'abrogation pure et simple de l'article 40 a le mérite de la clarté.

Les critiques contre l'article 40 ne sont pas neuves, mais ont connu un regain d'attention avec la réforme des retraites. Cette proposition de loi est conjoncturelle, alors qu'il faut de la sérénité et du recul pour réviser la Constitution.

Ce débat est néanmoins légitime, et pose deux questions : est-il envisageable d'abroger l'article 40, et, à défaut, pourrions-nous en assouplir les dispositions ?

Le principe de l'irrecevabilité financière s'inscrit dans le parlementarisme rationalisé : le Parlement ne détermine pas le budget, il le vote. L'article 40 fait partie de la trentaine d'articles jamais modifiés depuis 1958. C'est le produit d'une histoire de plus de 140 ans, comme le souligne Anne Levade.

Une telle abrogation serait-elle aujourd'hui plus pertinente ? Non, elle est moins opportune que jamais, car elle serait tout d'abord contradictoire avec nos objectifs de sérieux budgétaire. Nous ne sommes pas irresponsables.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ah !

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Le Gouvernement n'a pas eu besoin du Parlement pour présenter des budgets déficitaires depuis 1974... mais on ne peut écarter un risque d'augmentation des dépenses en cas d'abrogation de l'article 40.

Ensuite, l'équilibre institutionnel serait affecté. Le Gouvernement sollicite des crédits pour mettre en oeuvre sa politique, le Parlement les accorde ou non.

Enfin, l'abrogation serait politiquement malvenue dans un contexte de majorité relative à l'Assemblée nationale. En effet, le parlementarisme rationalisé a pour logique même de permettre à l'exécutif de gouverner avec une majorité relative.

Dès lors, peut-on assouplir l'article, en en retirant par exemple les propositions de loi ? L'inscrire dans la Constitution serait paradoxal, sauf à considérer que les propositions de loi ne peuvent prospérer sans l'aval de l'exécutif...

Pourrait-on permettre la compensation d'une aggravation des dépenses publiques ? De facto, le législateur pourrait alors redessiner entièrement le budget du Gouvernement. In fine, à quoi servirait encore l'article 40 ? Ne serait-ce pas une remise en cause du monopole du Gouvernement sur l'initiative des lois de finances ? (M. le garde des sceaux acquiesce.)

Faudrait-il qualifier plus précisément les ressources ou charges concernées ? Mais peut-on chiffrer toutes les propositions ?

Mme Sophie Primas.  - Pas toujours : même le Gouvernement a du mal ! (Mme Olivia Richard s'en amuse.)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Faudrait-il autoriser la discussion des amendements irrecevables ? Le calendrier du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances n'est-il pas déjà assez contraint ? Et nous avons la pratique de la prise de parole sur l'article.

Nous pourrions aussi améliorer les procédures en vigueur, à commencer par le renforcement de la motivation des décisions. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nathalie Goulet approuve également.) Il est déjà possible de demander un complément de motivation.

Faudrait-il instituer une voie de recours ? Pourquoi pas, mais on parle de plusieurs dizaines de milliers d'amendements par législature déclarés irrecevables ! Et quel serait l'organe compétent ? Le président de la commission des finances peut déjà réexaminer ses décisions. En outre, cela relève du règlement des assemblées, pas de la loi. (M. André Reichardt acquiesce.)

En conclusion, je propose le rejet du texte, la réflexion collective n'étant pas à maturité, et je remercie nos collègues du groupe CRCE-K pour ce débat stimulant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Monsieur Savoldelli, je me joins à vous pour saluer Mme Assassi. Vous nous contraignez à la réflexion : soyez-en remerciés.

Inchangé depuis 1958, l'article 40 constitue une limite objective à l'initiative parlementaire et au droit d'amendement. Mais il est un modérateur qui concilie initiative parlementaire, équilibre des finances publiques et qualité des débats.

Maintes fois décrié, il a résisté à toutes les tentatives de modification ou d'abrogation depuis 1958. Il y a même des parlementaires pour le défendre : voyez votre commission des lois !

Il est une des clés de voûte de l'équilibre institutionnel de la Ve République qui, comme la IVe, est un régime parlementaire dans lequel le Gouvernement est responsable devant le Parlement, en contrepartie de quoi il conduit la politique de la Nation.

L'irrecevabilité financière n'est ni une pure création de 1958 ni une spécificité française - des dispositions similaires existent dans la plupart des démocraties parlementaires.

Ses origines sont lointaines : c'est d'abord une résolution Berthelot votée le 26 mars 1900 ; puis une procédure introduite dans le règlement de la chambre des députés en 1920 ; puis une disposition prévue à l'article 17 de la Constitution de la IVe République ; enfin, celle d'un décret-loi du 19 juin 1956.

L'article 40 n'a fait que donner une pleine effectivité à la règle de l'irrecevabilité financière. Mais, désormais, elle n'est pas laissée à l'unique appréciation des autorités parlementaires : le Gouvernement peut l'invoquer, et le Conseil constitutionnel s'est reconnu compétent pour juger de son respect.

Hier comme aujourd'hui, cette règle est une nécessité qui n'a rien d'excessif. Aux termes de l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement est responsable devant le Parlement, notamment de l'équilibre du budget ; c'est une constante de toutes les démocraties modernes. Il est inconcevable que des initiatives parlementaires altèrent cet équilibre, sapant les efforts financiers du Gouvernement et diluant sa responsabilité.

En outre, l'article 47 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) a assoupli la recevabilité des amendements portant sur les crédits, la notion de charge s'entendant au niveau de la mission : les parlementaires peuvent donc modifier la répartition des crédits au sein d'une même mission.

Le Parlement bénéficie d'une grande marge d'appréciation : le Conseil constitutionnel ne se déclare compétent en matière d'article 40 que lorsque le Parlement s'est préalablement prononcé. Les assemblées se sont approprié ce rôle, prenant la forme d'une juridiction du premier degré, avant l'appel réservé au juge constitutionnel.

Les rapports des commissions des finances détaillent une jurisprudence abondante. Toute décision est motivée et le parlementaire auteur de l'amendement peut demander une explication complémentaire.

Lors de la précédente législature, seuls 8,4 % des amendements ont été déclarés irrecevables, et une seule proposition de loi.

Le Gouvernement n'est pas favorable à cette proposition de loi constitutionnelle. L'article 40 n'est qu'un instrument du parlementarisme rationalisé, il n'est pas responsable de tous les maux. En outre, je note qu'aucune des 40 propositions de révision de la Constitution formulées par le Sénat en 2018 ne concernait l'article 40...

Le Président de la République a annoncé des travaux transpartisans sur la modernisation de nos institutions : je sais que le Sénat y prendra toute sa part. (Applaudissements sur les travées dRDPI, du RDSE et du groupe INDEP ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. André Reichardt .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons été nombreux à avoir subi les fourches caudines de l'article 40, et je me suis souvent offusqué, en séance, du sort réservé à certains de mes amendements - moins certes que Jean-Pierre Sueur, qui en faisait un juste leitmotiv.

Ainsi de mon amendement au projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante fin 2021, proposant de rétablir le stage obligatoire préalable à l'installation des futurs entrepreneurs. Il s'autofinançait parfaitement par le passé : aucune charge, donc, ni pour les chambres de métiers, ni pour l'État. Retoqué, au motif que la dépense ne pouvait être compensée par les recettes...

En 2019, je déposais un amendement pour permettre à la Collectivité européenne d'Alsace et au conseil départemental de la Moselle de formuler des propositions d'adaptation de la législation au droit local. Retoqué, au motif qu'il créait une charge publique pour lesdites collectivités ! (Mme Nathalie Goulet le déplore.) Pourtant, les collectivités sont tenues d'équilibrer leur budget : elles compensent une charge nouvelle en baissant d'autres dépenses ou en augmentant les recettes.

La logique des irrecevabilités est parfois difficile à comprendre, les motivations lapidaires et sans recours.

Cela étant, faut-il abroger l'article 40 ? Jean Arthuis et Didier Migaud, éminents présidents de la commission des finances du Sénat et de l'Assemblée, le proposaient dès 2008 ! (Mme Nathalie Goulet le confirme.) Pour ma part, je n'y suis pas favorable. En revanche, il faut assouplir l'article 40.

Depuis treize ans que je siège ici, j'observe que l'interprétation de la commission des finances est de plus en plus stricte. Avant 2019, si une hausse de charges imposée à une institution était absorbable à moyens constants, elle était considérée comme une simple charge de gestion. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

L'article 40 nuit à la qualité du débat budgétaire en empêchant le Parlement d'arbitrer entre les dépenses des différents ministères, et empêche quelquefois de proposer des réformes de structure pourtant favorables à l'efficacité de l'action publique ! Il tue ainsi des initiatives parlementaires vertueuses. Notons d'ailleurs que l'article 40 n'a en rien empêché la dérive de la dépense publique et l'endettement record... 

Dans la plupart des pays de l'OCDE, le pouvoir d'amendement en matière financière n'est pas encadré. (M. Pascal Savoldelli le confirme.)

Roger Karoutchi rappelait qu'en 1958, l'article 40 était censé mettre fin aux errances budgétaires de la IVe République. La règle a bien moins de sens depuis quarante ans que l'État a cessé de présenter un budget en équilibre... (« Eh oui ! » sur les travées du groupe CRCE-K)

Quels assouplissements apporter ? Un futur projet de loi constitutionnel, monsieur le garde des sceaux, serait une bonne occasion de revenir sur ce parlementarisme rationalisé à la française.

Dans l'attente, monsieur le rapporteur, pourquoi ne pas modifier le règlement des assemblées pour, à tout le moins, harmoniser les pratiques ? Nous pourrions aussi favoriser un contact préalable avec les auteurs des amendements concernés. La commission des finances pourrait suggérer des modifications pour rendre l'amendement recevable. Je n'ai pas eu l'heur de bénéficier de tels conseils...

Le rapporteur l'a reconnu : la motivation des décisions pourrait être renforcée, et une voie de recours sérieuse formalisée. La décision du président de la commission des finances n'est jamais remise en cause.

Vous estimez, monsieur le rapporteur, que la procédure en vigueur au Sénat « donne satisfaction » : je n'en suis pas certain. Les courriels que nous recevons sont lapidairement motivés, et les réponses aux demandes d'explications complémentaires n'arrivent parfois qu'après la séance... Bref, trop tard. Quant aux recours gracieux auprès du président de la commission des finances, combien ont abouti ?

Le domaine est sensible, et une expertise du Conseil constitutionnel serait utile pourvu que le principe d'une réforme du Règlement soit acté.

En tout état de cause, le statu quo est impossible, parce que l'article 40 limite trop notre initiative d'une part, et d'autre part parce qu'il faut s'interroger sur la cohérence d'un dispositif qui autorise des dépenses fiscales de plusieurs milliards d'euros tout en interdisant une aggravation mineure des charges publiques.

Je ne voterai pas cette proposition de loi constitutionnelle mais demande, ardemment, qu'une suite sérieuse soit donnée à ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. Vincent Louault .  - Le constat est sans appel : l'article 40 ne nous prémunit pas du fléau de la dette publique, dont les intérêts nous ont coûté 50 milliards d'euros cette année.

C'est l'un des rares articles inchangés depuis 1958, l'un des principaux garants du parlementarisme rationalisé. Le privilège de la dépense revient à l'exécutif. Est-ce un mal ? Non, s'il est encadré, car il y va de l'équilibre de nos institutions. Augmenter encore les dépenses précipiterait la France vers le naufrage. Plutôt que d'accaparer un pouvoir qui nous soumettrait aux tentations démagogiques, renforçons notre pouvoir de contrôle, pour éviter la gabegie.

Le vrai problème tient peut-être dans la lecture de nos institutions. Le Gouvernement a le privilège budgétaire, mais le Parlement le pouvoir du contrôle. Pourquoi passons-nous trois mois sur le projet de loi de finances et seulement trois semaines sur son évaluation ? Abroger l'article 40 reviendrait à repenser l'esprit de nos institutions. Nous préférons changer la façon de les incarner.

Le privilège budgétaire véritablement inique, c'est celui que le Gouvernement accapare au détriment des collectivités territoriales ! Combien de décisions prises passent outre à l'article 72-2 de la Constitution, censé garantir la compensation des charges transférées ? Tant de dépenses sont imposées aux collectivités, pourtant bien meilleures gestionnaires que l'État !

Il faudrait en réalité compléter l'article 40 au profit des collectivités territoriales. (Marques de surprise au banc du Gouvernement et au banc des commissions) Le groupe INDEP votera contre ce texte.

Mme Nathalie Goulet .  - Je regrette qu'aucun membre de la commission des finances ne soit présent.

Nous l'avions rêvé, le groupe CRCE-K l'a fait : proposer la suppression de l'article 40 ! Selon M. le garde des sceaux, seuls 8 % des amendements ont été retoqués sous la précédente législature : c'est peu, mais lorsqu'il s'agit des vôtres, c'est cruel !

Jean Arthuis et Didier Migaud - des références - ont proposé en 2008 la suppression de l'article 40, à tout le moins son assouplissement. Il donne parfois lieu à des débats ubuesques, par exemple sur l'augmentation du salaire des secrétaires de mairie : les budgets locaux étant bornés, cela n'aurait pas créé de charge nouvelle ! Pourtant, l'amendement a été jugé irrecevable. Idem pour la protection fonctionnelle des conseillers municipaux sans délégation, qui relève pourtant du budget de la collectivité.

M. André Reichardt.  - Très bien !

Mme Nathalie Goulet.  - Pourquoi l'appréciation de cet article est-elle différente à l'Assemblée nationale et au Sénat ? Cela devient grotesque. Depuis seize ans que je suis sénatrice, aucun recours n'a fonctionné.

Nous nous heurtons également à l'article 40 quand nous proposons des économies, par exemple en matière de fraude sociale. Nous avons ainsi proposé une connexion entre le service des étrangers et les organismes de sécurité sociale : article 40 ! Comprenez notre frustration...

Nous n'avons pas attendu l'article 40 pour avoir des budgets en déficit. Souvenez-vous du logiciel Louvois, qui a coûté 465 millions d'euros, ou de Flamanville, dont le coût est passé de 3 à 19,5 milliards d'euros. Est-ce la faute de l'article 40 ?

Parlons des études d'impact, mal chiffrées, qui induisent des votes mais ne peuvent faire l'objet d'aucun recours. C'est assez déloyal à l'égard du Parlement.

La situation est déséquilibrée : l'article 40 brime le Parlement, et le Gouvernement ne donne pas assez d'éléments aux parlementaires pour juger des dispositions qu'il propose. Mon groupe votera contre cette proposition de loi, les conditions de suppression de l'article 40 n'étant pas réunies (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'en étonne), mais je la voterai à titre personnel.

Il faut plus de considération sur la nature des amendements proposés - ceux qui concernent les budgets locaux ou ceux qui proposent des économies. Il faudrait pouvoir en discuter avec la commission des finances.

Les frustrations qui naissent de l'application de l'article 40 sont légitimes. Je remercie le groupe CRCE-K d'avoir mis ce sujet à l'ordre du jour. (Mme Dominique Vérien applaudit.)

M. Guy Benarroche .  - Je remercie le groupe CRCE-K pour ce texte, que nous soutenons. Le privilège de l'exécutif en matière budgétaire ne saurait être remis en cause, mais sa suprématie presque absolue, oui.

Si l'objectif de rigueur des comptes publics est partagé par tous, l'interprétation de l'article 40 compromet la capacité d'action du Parlement. D'autant que son application n'a nullement empêché l'aggravation de la dette publique...

Cet article est aussi un moyen de censure du Parlement, notamment des groupes d'opposition. L'utilisation abusive de cet étau budgétaire lors du débat sur la réforme des retraites a inquiété les parlementaires et donné lieu à de vifs débats. Un amendement écologiste visant à introduire de l'alimentation bio dans les cantines scolaires, qui aurait pourtant conduit à des économies, a été retoqué. Un de mes amendements, créant une réserve pour les marins pompiers de Marseille, a été déclaré irrecevable - avant d'être repris par le Gouvernement ! De nouvelles consultations de prévention, en addictologie par exemple, proposées par voie d'amendement, ont été, de la même façon, écartées, sans tenir compte de la dépense évitée.

L'application de l'article 40 ne permet pas aux auteurs de montrer comment leur amendement peut assainir les finances publiques - je pense au renforcement de la médecine du travail, à l'heure où le Gouvernement s'inquiète des arrêts de travail...

Et que dire des annonces du Gouvernement non budgétées ?

Lors de l'examen de la loi 3DS, tout amendement tendant à modifier la répartition des compétences se voyait opposer l'article 40. Impossible, dès lors, de débattre d'une réforme territoriale !

Loin de responsabiliser les parlementaires, l'article 40 les tient en marge de leurs obligations. Une question comme celle du revenu universel ne peut être débattue que dans le cadre de résolutions, débats ou questions. En matière pénale, impossible de proposer des mesures d'accompagnement, mais on peut renforcer les sanctions - sans tenir compte du coût induit !

Nous regrettons que la commission n'ait retenu aucune piste d'assouplissement, ne serait-ce que l'exclusion des propositions de loi.

Notre groupe s'engage pour un parlementarisme raisonnable et affirmé et votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Mickaël Vallet applaudit également.)

M. Éric Bocquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) L'article 49.3, c'est le couperet ; l'article 40, la tenaille qui enserre l'action parlementaire. En demandant son abrogation, nous avons la constance pour nous. Le rapporteur a relevé le paradoxe de l'argument du naufrage des finances publiques, alors que les parlementaires étaient interdits de dépenser. L'article 40 n'a pas évité le dérapage des finances publiques : de 74 milliards d'euros en 1978, la dette s'élève à 3 046 milliards d'euros au second trimestre 2023.

Vous n'avez pas directement majoré les dépenses mais rogné les recettes fiscales, à force de niches, de crédits d'impôt et autres exonérations. Ce n'est pas à proprement parler une dépense ? Légistiquement vrai, mais politiquement trompeur. Avec toutes vos dépenses fiscales gagées sur la taxe tabac, le prix du paquet de cigarettes devrait frôler les 1 000 euros !

Toute l'argumentation consiste à présumer de l'irresponsabilité budgétaire des parlementaires. Un comble, quand notre groupe propose des recettes fiscales supplémentaires à chaque projet de loi de finances ! Votre Gouvernement, qui pratique la doctrine fiscale de la terre brûlée, ne peut nous donner des leçons.

Mes chers collègues, ne déposez plus d'amendements !

L'article 40 est un outil contre le progrès social. Nous examinons un budget avec 358 amendements choisis par le seul Gouvernement dans le cadre du détestable 49.3. L'irresponsabilité n'est pas toujours là où on le croit. Toute proposition de réforme de l'article 40 est systématiquement balayée. Une modification à la marge du Règlement du Sénat reviendrait à nier l'importance démocratique du sujet.

Le parlement britannique, pris pour exemple par le rapporteur, est particulièrement bâillonné. Le parlement français, lui, particulièrement maltraité. Vous ne voulez pas de l'abrogation de l'article 40, véritable corset parlementaire. Desserrez-le au moins ! Le rapporteur a avancé des propositions intéressantes, comme l'évaluation du coût effectif d'un amendement ou l'exercice d'un droit d'appel. Vous avez renoncé, nous le regrettons. On ne touche décidément pas à cette loi d'airain !

Donnons les moyens aux parlementaires de donner des moyens à la nation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; Mme Nathalie Goulet et M. Vincent Louault applaudissent également.)

M. Ahmed Laouedj .  - Mon tout premier amendement, visant à élargir la protection fonctionnelle des élus locaux, est tombé sous le coup de l'article 40. Un fait anecdotique dans la vie d'un parlementaire... J'ai obtenu en séance l'engagement que le Gouvernement déposerait un amendement au cours de la navette. N'aurait-il pas été plus simple et plus sûr d'examiner mon amendement ?

Mme Nathalie Goulet.  - Eh oui !

M. Ahmed Laouedj.  - L'article 40 laisse au Gouvernement le privilège de la dépense publique. Sous-entendu : le Parlement ne saurait pas ce qui est bon pour notre budget. Certes, nous avons parfois du mal à évaluer le montant exact des dépenses que nous proposons. Mais cela fait des décennies que les gouvernements présentent des budgets non équilibrés... L'aggravation de notre dette publique est le fait de l'exécutif !

M. Éric Bocquet. - Très bien !

M. Ahmed Laouedj.  - Notre frustration est donc légitime, tout comme la solution radicale proposée ici. Pour autant, je ne crois pas que l'abrogation soit la réponse. (M. Pascal Savoldelli le déplore.)

Michel Debré disait des mécanismes prévus dans la Constitution qu'ils étaient « nécessaires pour changer les moeurs ».

L'année dernière, le nombre record d'amendements au projet de loi de finances a conduit à brider les débats. J'en tire deux conclusions : malgré l'article 40, nous sommes en mesure d'amender ; en dépit de limitations peut-être excessives, nous sommes en mesure de trop amender. Si chacun avait fait preuve de mesure dans l'usage de ce droit, peut-être aurions-nous pu envisager de l'ouvrir...

Le droit d'amendement doit être défendu. Nous le disons avec d'autant plus de conviction que le RDSE, comme petit groupe, compte grandement sur lui pour s'exprimer.

Paradoxalement, c'est parce qu'il est encadré qu'il trouve une forme d'intérêt et de légitimité. Sans ces limites, que de temps perdrions-nous à discuter de dispositifs irréalisables ou sans contenu concret...

Nous voterons majoritairement contre ce texte.

Mme Nathalie Goulet.  - Dommage...

M. Olivier Bitz .  - C'est au moment où l'équilibre budgétaire est le plus fragile, parce que l'État a joué son rôle de protection de nos concitoyens, qu'on nous propose de supprimer un dispositif visant, précisément, à réguler la dépense publique !

L'irrecevabilité financière des initiatives parlementaire est le fruit d'une rationalisation progressive du parlementarisme, observable dans la plupart des démocraties parlementaires confrontées à la nécessité de contenir l'expansion continue de la dépense. Il s'agit de partager la contrainte de l'équilibre budgétaire.

En France, le régime d'irrecevabilité financière naît sous la IIIe République, pourtant présentée comme l'âge d'or du parlementarisme. Présente dès 1920 dans le règlement de la Chambre des députés, cette règle est confirmée par l'article 17 de la Constitution de 1946, puis précisée, deux ans plus tard, par la loi dite des maxima. La régulation de la dépense publique n'est donc pas inhérente à la Ve République.

L'article 40, dont la suppression nous est proposée, suscite immanquablement des frustrations, liées, en fin de compte, au principe de réalité. De fait, les besoins sont loin d'être tous couverts. Mais celui qui propose une dépense nouvelle ne peut négliger son financement.

Les décisions d'irrecevabilité s'appuient sur une jurisprudence exigeante. La procédure a été assouplie dans le cadre d'un travail d'harmonisation entre les deux chambres, au bénéfice de l'initiative parlementaire. Comme le souligne notre rapporteur, l'application de l'article 40 n'a jamais été aussi uniforme, n'en déplaise à certains.

Le filtre de l'article 40 constitue un rempart indispensable. Est-ce bien le moment d'ouvrir les vannes de la dépense publique, dans notre situation financière actuelle ? Nos 3000 milliards d'euros de dette sont la conséquence des budgets votés en déséquilibre depuis 1974.

Pour se convaincre de l'utilité de l'article 40, il suffit d'observer nos collègues députés : 90 % des amendements déposés en commission par l'opposition sur la première partie du projet de loi de finances créent des dépenses supplémentaires. Le cumul des amendements du groupe Les Républicains représente 100 milliards d'euros de charges additionnelles !

Mme Nathalie Goulet.  - C'est cruel !

M. Olivier Bitz. - Exclure de la base de la TVA l'accise sur les carburants : 6 milliards d'euros. TVA à 5,5 % sur les travaux de rénovation des logements pendant deux ans : 3,7 milliards d'euros. Relever les plafonds du quotient familial : 2 milliards d'euros.

Quand la Nupes proposait d'augmenter le quotient familial des propriétaires d'animaux, les députés RN suggéraient d'exonérer d'impôt sur le revenu tous les moins de 30 ans. Ces mesures démagogiques se chiffrent en dizaines de milliards ! Imaginez ce que donnerait une suppression pure et simple de l'article 40...

De fait, les oppositions abusent du droit d'amendement pour promouvoir des positions politiques irresponsables à destination de leur clientèle. Plutôt que de supprimer l'article 40, poursuivons la réflexion sur son application. Ainsi, nous considérons avec bienveillance la proposition de résolution de Jean-Pierre Sueur visant à inscrire dans notre Règlement la possibilité pour l'auteur d'un amendement susceptible d'être déclaré irrecevable d'adresser des observations. Je pense aussi à la mise en place d'un mécanisme de recours interne devant le Bureau du Sénat.

Si ces propositions risquent d'alourdir la procédure législative, elles érigent des garde-fous contre le basculement vers une gestion intenable de nos finances publiques. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La procédure parlementaire peut donner lieu à des batailles politiques, et les batailles politiques à des batailles de procédures... Les débats sur la réforme des retraites en témoignent, comme ceux sur la proposition de loi du groupe Liot visant à l'abroger.

Les parlementaires seraient-ils par nature irresponsables, voire incompétents sur le plan budgétaire ? Sans l'article 40, l'exécutif serait-il démuni de tout autre outil pour contrôler le Parlement ? Articles 49.3 et 44.3, mesures figurant dans les règlements des assemblées : n'est-il pas temps de libérer les parlementaires en les responsabilisant, comme le suggéraient Didier Migaud et Jean Arthuis, pour redonner force à notre démocratie ?

Nous répondons oui, car nous souhaitons reparlementariser le régime. Du fait de la pratique du général de Gaulle et de ses successeurs, nous vivons dans un régime présidentialiste. Malgré la réforme de 2008, notre pratique maintient le Parlement sous la domination de l'exécutif - qui confine à l'abus sous le gouvernement actuel.

L'article 40 constitutionnalise l'article 14 de la Constitution de 1946 en ôtant aux parlementaires toute initiative en matière de dépenses, puisqu'ils ne peuvent même plus compenser une augmentation des charges par une diminution des dépenses. De plus, le Conseil constitutionnel a étendu le champ, déjà large, de l'article 40 et poussé à une convergence, encore imparfaite, entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Les collectivités territoriales entrent ainsi dans le champ des charges visées.

Un rapport de l'OCDE de 2014 montre que, dans 52 % des pays, le pouvoir d'amendement est illimité ; dans 24 % d'entre eux, les parlementaires peuvent modifier le budget dans certaines limites. Bref, dans les trois quarts des cas, le Parlement peut intervenir, au moins partiellement, en matière budgétaire. Dans les autres pays, les règles sont diverses : pouvoir d'amendement limité aux nouvelles politiques comme en Australie, modifications possibles sous réserve de l'approbation de l'exécutif comme au Canada ou en Corée...

En France, le pouvoir législatif ne peut que réaffecter les ressources à l'intérieur du budget global. L'objectif serait d'assurer une gestion sérieuse des finances publiques : force est de constater qu'il est loin d'être atteint... « Les parlementaires vont devenir des économes devant un gouvernement dépensier », avait prophétisé Paul Reynaud. Mieux, les parlementaires sont devenus des sages budgétaires, alors que la dette publique tutoie les 3 000 milliards d'euros après une augmentation sans précédent sous Emmanuel Macron.

Les techniques de contournement de l'article 40 - propositions de rapport, gage tabac - nuisent à la clarté des débats et dispensent les parlementaires d'estimer le coût des mesures qu'ils proposent.

Alors que ceux-ci ne peuvent redéployer les crédits qu'au sein de la même mission budgétaire, peut-on encore considérer le vote du budget comme un acte démocratique ?

Le comité Balladur avait proposé un assouplissement du régime d'irrecevabilité par l'interdiction d'aggraver les charges publiques, et non plus une seule charge publique. Comme l'a rappelé en commission notre collègue Éric Kerrouche, dont je salue le travail sur ces questions, MM. Arthuis et Migaud ont expliqué qu'une telle réforme aurait vidé l'article 40 de son contenu.

La suppression de cet article constituerait un gage efficace contre l'hyperprésidentialisation de la Ve République. Le pouvoir exécutif continuerait de bénéficier d'autres armes dans la procédure législative, ainsi que -  pas toujours, il est vrai  - du fait majoritaire. Cette suppression n'exclut pas une révision du règlement des assemblées allant dans le sens d'un renforcement du contrôle interne. Une commission restreinte, composée de membres de la majorité et de l'opposition, pourrait ainsi examiner les textes d'initiative parlementaire.

La suppression de l'article 40 n'est pas un encouragement à la gabegie, mais l'occasion de responsabiliser les élus. Elle concourrait au renforcement de l'institution parlementaire, donc de la vitalité démocratique. Notre groupe votera donc cette proposition de loi constitutionnelle, à l'exception de M. Raynal, président de la commission des finances, qui ne prendra pas part au vote. (Applaudissements à gauche)

Discussion de l'article unique

ARTICLE UNIQUE

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. V. Louault, Mmes L. Darcos et Bourcier, MM. Brault et Malhuret, Mme Lermytte, M. A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Chevalier, Wattebled, Capus et L. Vogel.

Rédiger ainsi cet article :

La Constitution est ainsi modifiée :

1° L'article 47 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est interdit de présenter ou d'adopter une loi de finances dont la section de fonctionnement est en déficit. »

2° L'article 47-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est interdit de présenter ou d'adopter une loi de financement de la sécurité sociale dont l'ensemble des charges dépasse l'ensemble des recettes. »

M. Vincent Louault.  - Cet amendement sera retiré, car il s'agit d'un appel -  un appel au secours. Quand je suis né, en 1972, notre dette était de 50 milliards d'euros... Je remercie nos collègues communistes d'avoir suscité ce débat d'importance. À mon arrivée au Sénat, les plus anciens m'ont prévenu de la dureté de l'interprétation de l'article 40. Mais le poids de la dette devient insoutenable pour l'avenir de notre pays !

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Je partage votre intention, mais elle est éloignée de l'objet de ce texte. Le débat sur la règle d'or mérite de se tenir de façon indépendante. De plus, nous ne voulons pas alourdir la procédure d'examen des textes financiers. Enfin, interdire le déficit pourrait poser problème dans certaines situations - songez à la covid... (M. Vincent Louault en convient.) Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis défavorable.

Mme Nathalie Goulet.  - Lors de la réforme de 2008, par un amendement du président Alain Lambert, sénateur de l'Orne, nous avons tenté d'instaurer cette règle d'or, sans succès. Il faudra y revenir... En attendant, nous ne voterons pas cet amendement.

M. Pascal Savoldelli.  - Ce n'est pas un appel au secours, mais un amendement bâillon ! Le Conseil constitutionnel le censurerait à coup sûr. De plus, monsieur Louault, votre groupe INDEP vient de faire adopter la création d'un énième produit d'épargne exonéré de droits de mutation, creusant un peu plus le déficit... Où est la sincérité ?

M. Éric Bocquet.  - C'est vrai !

M. Pascal Savoldelli.  - Cet amendement est quelque peu populiste. Nos collectivités ne peuvent investir sans s'endetter. Il faudrait gérer les budgets publics comme les ménages gèrent le leur : mais le boulanger, pensez-vous qu'il achète son four comptant ? Retirer cet amendement démagogique serait faire acte de responsabilité.

L'amendement n°1 rectifié est retiré.

Vote sur l'ensemble

M. Pascal Savoldelli .  - Je remercie l'ensemble des collègues qui sont intervenus dans ce débat.

M. Reichardt, en particulier, a dit qu'il espérait ardemment une suite sérieuse à ce débat. La balle est dans votre camp, chers collègues de la majorité ! (M. André Reichardt acquiesce.)

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, je vous ai trouvé un point commun : vous voulez, main dans la main, rationaliser le parlementarisme - pour ce qui est du garde des sceaux, parce qu'il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale.

Ce dernier fait référence à l'article 20 de la Constitution, mais il fait mine d'oublier que, avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, l'élection législative est déterminée par l'élection du Président de la République.

Le mieux serait de voter cette abrogation, pour lancer une dynamique de réforme !

L'article unique est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°22 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 100
Contre 243

L'article unique n'est pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.

Prochaine séance, lundi 6 novembre 2023, à 16 heures.

La séance est levée à 17 h 50.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du lundi 6 novembre 2023

Séance publique

À 16 heures, le soir et la nuit

1. Examen d'une demande de la commission des lois tendant à obtenir du Sénat, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qu'il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour une mission d'information sur les émeutes qu'a connues notre pays à compter du 27 juin 2023

2. Projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (procédure accélérée) (texte de la commission n°434 rectifié, 2022-2023)